poésies: Léon Dierx
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poésies: Léon Dierx
Rappel du premier message :
Les poésies écrites par Léon Dierx, auteur du 19 ième siècle éxtrait du recueil Les lèvres closes
La nuit filtrait en moi, fraîche comme un breuvage.
Mes pores la buvaient délicieusement
Je roulais enivré dans un doux tournoiement;
Et toujours j'approchais du ténébreux rivage
Où l'ombre dans les corps filtre comme un breuvage.
Le Léthé de la Nuit délicieusement
M'emplissait d'un silence ineffable...
Et maintenant au bord de l'Erèbe immobile,
Sous l'oeil démesuré d'un fixe et noir soleil,
Je reposais dissous dans l'éternel sommeil...
Et je comptais sans fin, ainsi que des secondes,
Les siècles un par un tombés des mornes cieux,
Les siècles morts tombés de l'amas des vieux mondes,
Tombés dans le néant noir et silencieux.
Les poésies écrites par Léon Dierx, auteur du 19 ième siècle éxtrait du recueil Les lèvres closes
Rêve de la mort |
Mes pores la buvaient délicieusement
Je roulais enivré dans un doux tournoiement;
Et toujours j'approchais du ténébreux rivage
Où l'ombre dans les corps filtre comme un breuvage.
Le Léthé de la Nuit délicieusement
M'emplissait d'un silence ineffable...
Et maintenant au bord de l'Erèbe immobile,
Sous l'oeil démesuré d'un fixe et noir soleil,
Je reposais dissous dans l'éternel sommeil...
Et je comptais sans fin, ainsi que des secondes,
Les siècles un par un tombés des mornes cieux,
Les siècles morts tombés de l'amas des vieux mondes,
Tombés dans le néant noir et silencieux.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
En chemin
En chemin
Les dieux sont muets, et la vie est triste.
Pour nous mordre au coeur, les crocs hérissés,
Un noir lévrier nous suit à la piste.
Sur les fronts pâlis, sous les yeux baissés,
Dans les carrefours que la foule obstrue,
Parmi les chansons, les bruits de la rue,
Dans les yeux éteints, sur les fronts penchés,
Je cherche et je trouve une angoisse affreuse,
Un doute, un souci vainement cachés,
Un vieux souvenir qui monte et qui creuse;
Et je vais ainsi, trésorier des pleurs,
En chemin quêtant soupirs et douleurs.
Ô passants! vous tous qu'un regret harcèle,
Que ronge un tourment, remords ou désir,
Vous que brûle encor la chaude étincelle
Du songe enflammé qu'on n'a pu saisir;
Le destin commun avec vous m'emmène :
Inconnus, salut dans la vie humaine!
Vous tous qui passez près de moi sans fin,
Inquiets, furtifs, le long des murailles,
Ames, coeurs, esprits, corps, emplis de faim,
Quel que soit le mal qui tord vos entrailles,
Vous versez en moi, trésorier du fiel,
Un regard profond, dédaigné du ciel.
Au nom du poète ivre d'amertumes,
Confident discret qui de 1'oei1 vous suit;
Au nom du passé perdu dans les brumes;
Au nom du silence! au nom de la nuit!
Dans la vie humaine où je vous salue,
Au nom de tout rêve en qui l'ombre afflue,
Au nom de demain, au nom de toujours,
Je dis à chacun d'entre vous qui passe :
« Au revoir, ailleurs, plus loin, dans l'espace,
Sous un ciel muet peuplé de dieux sourds! »
Les dieux sont muets, et la vie est triste.
Pour nous mordre au coeur, les crocs hérissés,
Un noir lévrier nous suit à la piste.
Sur les fronts pâlis, sous les yeux baissés,
Dans les carrefours que la foule obstrue,
Parmi les chansons, les bruits de la rue,
Dans les yeux éteints, sur les fronts penchés,
Je cherche et je trouve une angoisse affreuse,
Un doute, un souci vainement cachés,
Un vieux souvenir qui monte et qui creuse;
Et je vais ainsi, trésorier des pleurs,
En chemin quêtant soupirs et douleurs.
Ô passants! vous tous qu'un regret harcèle,
Que ronge un tourment, remords ou désir,
Vous que brûle encor la chaude étincelle
Du songe enflammé qu'on n'a pu saisir;
Le destin commun avec vous m'emmène :
Inconnus, salut dans la vie humaine!
Vous tous qui passez près de moi sans fin,
Inquiets, furtifs, le long des murailles,
Ames, coeurs, esprits, corps, emplis de faim,
Quel que soit le mal qui tord vos entrailles,
Vous versez en moi, trésorier du fiel,
Un regard profond, dédaigné du ciel.
Au nom du poète ivre d'amertumes,
Confident discret qui de 1'oei1 vous suit;
Au nom du passé perdu dans les brumes;
Au nom du silence! au nom de la nuit!
Dans la vie humaine où je vous salue,
Au nom de tout rêve en qui l'ombre afflue,
Au nom de demain, au nom de toujours,
Je dis à chacun d'entre vous qui passe :
« Au revoir, ailleurs, plus loin, dans l'espace,
Sous un ciel muet peuplé de dieux sourds! »
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
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La Soif
La Soif
La cuirasse à nos reins bouclée,
Dans une lutte sans merci,
Nous nous sommes jetés, ainsi
Que des bretons dans la mêlée.
Ainsi donc soit! Et jusqu'au soir
Tenons tête dans la bataille,
Haut la visière, et haut la taille,
Sans lâcher pied, sans nous asseoir!
Champions du beau qu'on lapide,
Que le sort nous trahisse ou non,
Faisons flotter notre pennon
Par-dessus la clameur stupide.
Puisque pour nous les durs chemins,
Quand nous regardons vers la terre,
N'ont point d'eau qui nous désaltère,
A notre flanc portons les mains;
Et, ruisselants d'éclaboussures,
Pour revivre du même espoir,
Buvons, ainsi que Beaumanoir,
Le sang tout chaud de nos blessures!
La cuirasse à nos reins bouclée,
Dans une lutte sans merci,
Nous nous sommes jetés, ainsi
Que des bretons dans la mêlée.
Ainsi donc soit! Et jusqu'au soir
Tenons tête dans la bataille,
Haut la visière, et haut la taille,
Sans lâcher pied, sans nous asseoir!
Champions du beau qu'on lapide,
Que le sort nous trahisse ou non,
Faisons flotter notre pennon
Par-dessus la clameur stupide.
Puisque pour nous les durs chemins,
Quand nous regardons vers la terre,
N'ont point d'eau qui nous désaltère,
A notre flanc portons les mains;
Et, ruisselants d'éclaboussures,
Pour revivre du même espoir,
Buvons, ainsi que Beaumanoir,
Le sang tout chaud de nos blessures!
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La Prophétie
La Prophétie
I
Nour-Eddour, le voyant de l'avenir, un soir,
Comme il avait coutume, était venu s'asseoir
Au seuil de son logis, en face du Bosphore.
Tout au fond d'une extase où l'esprit s'évapore,
Dans l'ombre, sur un tertre accroupi, fixement
Il regardait un astre au fond du firmament,
Et parlait haut. - La nuit gravissait les terrasses
Des jardins de Stamboul qui confondaient leurs masses.
- « Heureux qui dans la vie, et fort du lait qu'il but,
Marche à grands pas, la main prête à toucher un but,
Sans se laisser jamais arrêter ni distraire
Par le songe flatteur ou le songe contraire!
Heureux qui devant lui marche tout droit, sachant
Ce qu'il veut, fût-ce un trône ou fût-ce un maigre champ!
Moi, j'ai sucé le rêve aux pointes des mamelles
Que m'offraient au désert les pensives chamelles,
Et, les regards errants et les pas incertains,
Pour les autres je lis au ciel de grands destins,
Ou devine sous eux le prochain précipice.
Or, pour l'homme qui sait agir, l'heure est propice.
Où qu'il soit, qu'il se lève et se hâte, il est temps!
Car la sourde rumeur du gouffre, je l'entends.
Quand le grenier fermente, un grain ardent l'embrase;
Et tout l'islam est las de l'impôt qui l'écrase!
Qu'un seul se dresse, et tous, du scheick au marabout,
Seront à l'instant même à ses côtés debout!
Au fond de la mosquée, au coin de chaque rue,
Une imprécation monte, sans cesse accrue;
Et dans le sérail clos en vain d'un triple mur
La tête du sultan est pareille au fruit mûr! »
Pendant que Nour-Eddour parlait, contre un platane
Qui s'élevait tout près, ombrageant la cabane,
Un homme était penché pour entendre. -la nuit,
Une forme aisément glisse et s'évanouit.
Le lendemain, devant le ciel rouge, à sa porte
Nour-Eddour se tenait assis de même sorte,
Sans mouvement, les yeux pleins de pourpre et d'éclairs.
« Les signes, disait-il, où seul je lis, sont clairs.
Le meurtrier triomphe, acclamé par la foule;
Mais sur le bras qui frappe et la tête qui roule
La colère d'Allah s'allume également;
Et tel se croit élu qui n'est que l'instrument
De l'oeuvre, et qu'Allah brise aussitôt l'oeuvre faite.
Oui, l'escarboucle au front comme un fils du prophète,
C'est en vain qu'il se dit commandeur des croyants.
Mieux vaudrait qu'il errât parmi les mendiants,
Serrant la corde autour de ses reins faméliques,
Avec les chiens galeux sur les places publiques?
Car sa page est finie! Et le frère assassin
Dormira cette nuit, un poignard dans le sein! »
Un homme alors bondit du platane : - « Mensonge!
Cria-t-il; ta science est vaine! Dans un songe
Ridicule tu vis! Et c'est toi qui mourras
A l'instant, toi qui fus le conseil de mon bras! »
- « Il se peut, dit le sage à la calme paupière,
Que la fronde qui tourne entraîne une autre pierre;
Il se peut qu'un oracle entendu par hasard,
Ou surprise, au devin soit funeste. Un vieillard
Peut mouvoir dans le vent des lèvres qu'on épie.
La volonté d'Allah n'est jamais assoupie;
Tu fus l'oreille ouverte ainsi qu'il le voulait,
Et si tu veux ma mort, c'est que ma mort lui plaît.
Nul n'évite ici-bas son destin, quoi qu'il fasse!
Frappe donc! Il vaut mieux le regarder en face!
Le tien est prononcé. Tu le connais. Agis
Comme il te semblera! Tes doigts encor rougis
N'arrêteront bientôt ni la main ni la lame!
Que me fait l'existence, à moi, qui n'eus dans l'âme
Jamais un seul espoir non plus qu'un seul désir,
Ni crainte, ni regret, ni remords, ni plaisir,
Et qui n'ai jamais eu trois sequins dans ma bourse?
- Eh quoi? Tu lis mon sort dans ces astres en course?
- Tout aussi nettement qu'au même endroit j'ai lu
Ton fratricide à peine annoncé résolu.
- Cette nuit? Je mourrai? - Cette nuit! Je l'atteste!
Le poignard est choisi, la main sûre. Le reste
Est le secret d'Allah qu'il garde avarement!
- Un aspect peut tromper, vieillard! Peut-être il ment,
Cet astre auquel tu vois ma fortune enchaînée!
- Que tu le veuilles croire ou non, ta destinée
N'en sera pas moins telle, ou plus long ton sursis!
- Souvent, répondit l'autre en fronçant les sourcils,
Un condamné conjure un arrêt, s'il le brave,
Ou s'il le fuit. Il est souvent plus d'une entrave
Aux oracles, et tous ne sont pas satisfaits.
A quelques-uns, du moins, manquent les prompts effets;
Et tout n'arrive pas juste à l'heure indiquée!
Le jeûne, la prière au fond d'une mosquée,
Le repentir, un philtre, un prix, un crime encor,
Que sais-je? N'est-il rien que tu saches, ni l'or,
Ni le fer, ni les mots, ni l'impur maléfice,
Pour détourner le coup mortel? Quoi? Rien qui puisse
Seulement reculer l'instant prédit par toi?
Ton art te laisse-t-il sans prestige et sans foi,
Que tu restes ainsi plus muet qu'un derviche?
Parle, et je te fais grâce! Et de pauvre sois riche
A pouvoir t'acheter le harem d'un vizir!
- Je te l'ai dit, je n'ai sur terre aucun désir,
O lumière d'Allah! Flambeau qui va s'éteindre!
Quant à l'ordre d'en haut, rien ne saurait l'enfreindre.
Cette nuit, sur mon âme, est ta dernière nuit!
- Mais ce traître qui doit m'attendre, ou me poursuit,
Quel est-il? Et d'où vient la soif qui le dévore?
Tu sais au moins cela? Dis-le donc! - Je l'ignore!
Que t'importe par qui tu vas mourir? Bien fou
Qui demande comment, et qui veut savoir où,
Et qui cherche pourquoi, quand l'inflexible aigrette
De la mort se hérisse et paraît sur sa tête!
- Il suffit! Ta demeure, ô sage! est à mon gré.
Quoi qu'il puisse advenir, cette nuit j'attendrai
Chez toi ce qui doit être et sera! - Ma demeure
A toi, comme aux passants, est ouverte à toute heure.
- C'est bon! Pour cette nuit ferme-la bien sur nous! »
I
Nour-Eddour, le voyant de l'avenir, un soir,
Comme il avait coutume, était venu s'asseoir
Au seuil de son logis, en face du Bosphore.
Tout au fond d'une extase où l'esprit s'évapore,
Dans l'ombre, sur un tertre accroupi, fixement
Il regardait un astre au fond du firmament,
Et parlait haut. - La nuit gravissait les terrasses
Des jardins de Stamboul qui confondaient leurs masses.
- « Heureux qui dans la vie, et fort du lait qu'il but,
Marche à grands pas, la main prête à toucher un but,
Sans se laisser jamais arrêter ni distraire
Par le songe flatteur ou le songe contraire!
Heureux qui devant lui marche tout droit, sachant
Ce qu'il veut, fût-ce un trône ou fût-ce un maigre champ!
Moi, j'ai sucé le rêve aux pointes des mamelles
Que m'offraient au désert les pensives chamelles,
Et, les regards errants et les pas incertains,
Pour les autres je lis au ciel de grands destins,
Ou devine sous eux le prochain précipice.
Or, pour l'homme qui sait agir, l'heure est propice.
Où qu'il soit, qu'il se lève et se hâte, il est temps!
Car la sourde rumeur du gouffre, je l'entends.
Quand le grenier fermente, un grain ardent l'embrase;
Et tout l'islam est las de l'impôt qui l'écrase!
Qu'un seul se dresse, et tous, du scheick au marabout,
Seront à l'instant même à ses côtés debout!
Au fond de la mosquée, au coin de chaque rue,
Une imprécation monte, sans cesse accrue;
Et dans le sérail clos en vain d'un triple mur
La tête du sultan est pareille au fruit mûr! »
Pendant que Nour-Eddour parlait, contre un platane
Qui s'élevait tout près, ombrageant la cabane,
Un homme était penché pour entendre. -la nuit,
Une forme aisément glisse et s'évanouit.
Le lendemain, devant le ciel rouge, à sa porte
Nour-Eddour se tenait assis de même sorte,
Sans mouvement, les yeux pleins de pourpre et d'éclairs.
« Les signes, disait-il, où seul je lis, sont clairs.
Le meurtrier triomphe, acclamé par la foule;
Mais sur le bras qui frappe et la tête qui roule
La colère d'Allah s'allume également;
Et tel se croit élu qui n'est que l'instrument
De l'oeuvre, et qu'Allah brise aussitôt l'oeuvre faite.
Oui, l'escarboucle au front comme un fils du prophète,
C'est en vain qu'il se dit commandeur des croyants.
Mieux vaudrait qu'il errât parmi les mendiants,
Serrant la corde autour de ses reins faméliques,
Avec les chiens galeux sur les places publiques?
Car sa page est finie! Et le frère assassin
Dormira cette nuit, un poignard dans le sein! »
Un homme alors bondit du platane : - « Mensonge!
Cria-t-il; ta science est vaine! Dans un songe
Ridicule tu vis! Et c'est toi qui mourras
A l'instant, toi qui fus le conseil de mon bras! »
- « Il se peut, dit le sage à la calme paupière,
Que la fronde qui tourne entraîne une autre pierre;
Il se peut qu'un oracle entendu par hasard,
Ou surprise, au devin soit funeste. Un vieillard
Peut mouvoir dans le vent des lèvres qu'on épie.
La volonté d'Allah n'est jamais assoupie;
Tu fus l'oreille ouverte ainsi qu'il le voulait,
Et si tu veux ma mort, c'est que ma mort lui plaît.
Nul n'évite ici-bas son destin, quoi qu'il fasse!
Frappe donc! Il vaut mieux le regarder en face!
Le tien est prononcé. Tu le connais. Agis
Comme il te semblera! Tes doigts encor rougis
N'arrêteront bientôt ni la main ni la lame!
Que me fait l'existence, à moi, qui n'eus dans l'âme
Jamais un seul espoir non plus qu'un seul désir,
Ni crainte, ni regret, ni remords, ni plaisir,
Et qui n'ai jamais eu trois sequins dans ma bourse?
- Eh quoi? Tu lis mon sort dans ces astres en course?
- Tout aussi nettement qu'au même endroit j'ai lu
Ton fratricide à peine annoncé résolu.
- Cette nuit? Je mourrai? - Cette nuit! Je l'atteste!
Le poignard est choisi, la main sûre. Le reste
Est le secret d'Allah qu'il garde avarement!
- Un aspect peut tromper, vieillard! Peut-être il ment,
Cet astre auquel tu vois ma fortune enchaînée!
- Que tu le veuilles croire ou non, ta destinée
N'en sera pas moins telle, ou plus long ton sursis!
- Souvent, répondit l'autre en fronçant les sourcils,
Un condamné conjure un arrêt, s'il le brave,
Ou s'il le fuit. Il est souvent plus d'une entrave
Aux oracles, et tous ne sont pas satisfaits.
A quelques-uns, du moins, manquent les prompts effets;
Et tout n'arrive pas juste à l'heure indiquée!
Le jeûne, la prière au fond d'une mosquée,
Le repentir, un philtre, un prix, un crime encor,
Que sais-je? N'est-il rien que tu saches, ni l'or,
Ni le fer, ni les mots, ni l'impur maléfice,
Pour détourner le coup mortel? Quoi? Rien qui puisse
Seulement reculer l'instant prédit par toi?
Ton art te laisse-t-il sans prestige et sans foi,
Que tu restes ainsi plus muet qu'un derviche?
Parle, et je te fais grâce! Et de pauvre sois riche
A pouvoir t'acheter le harem d'un vizir!
- Je te l'ai dit, je n'ai sur terre aucun désir,
O lumière d'Allah! Flambeau qui va s'éteindre!
Quant à l'ordre d'en haut, rien ne saurait l'enfreindre.
Cette nuit, sur mon âme, est ta dernière nuit!
- Mais ce traître qui doit m'attendre, ou me poursuit,
Quel est-il? Et d'où vient la soif qui le dévore?
Tu sais au moins cela? Dis-le donc! - Je l'ignore!
Que t'importe par qui tu vas mourir? Bien fou
Qui demande comment, et qui veut savoir où,
Et qui cherche pourquoi, quand l'inflexible aigrette
De la mort se hérisse et paraît sur sa tête!
- Il suffit! Ta demeure, ô sage! est à mon gré.
Quoi qu'il puisse advenir, cette nuit j'attendrai
Chez toi ce qui doit être et sera! - Ma demeure
A toi, comme aux passants, est ouverte à toute heure.
- C'est bon! Pour cette nuit ferme-la bien sur nous! »
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La Prophétie
II
Le vieillard dans un coin dormait sur son burnous.
Et blême, à la lueur d'un lampion de terre,
Son front dans une main, l'autre à son cimeterre,
L'hôte fatal, assis sur un grêle escabeau,
Songeait combien le ciel du matin pâle est beau.
Il se dressa, fiévreux, marcha de long en large,
Secouant sa terreur comme on fait d'une charge,
Et sondant de ses poings la dureté des murs.
« Quoi! Les secrets divins qui pour tous sont obscurs,
Cet homme les connaît et n'y voit nul refuge!
Ignorant quel sera l'exécuteur, lui, juge,
Tout près du condamné qui le surveille, il dort,
Paisible, certain d'être obéi par la mort?
Lui, vil esclave, il dort, ayant marqué son maître!
Ce crime monstrueux, qui pourra le commettre?
Nous sommes seuls ici, dans ces quatre murs clos;
Rien n'y saurait tenter les écumeurs de flots,
Ni les rôdeurs de nuit qui rampent sur la grève!
Cette porte est solide. Il dort! Et moi, je rêve!
S longues soient la nuit et l'angoisse, il viendra,
Le jour, devant qui tout, peur, ténèbres, fuira!
Oui, l'aurore, demain, la houri verte et rose,
Viendra m'illuminer pour une apothéose,
Et dans toute sa pompe aussi je saluerai
La sultane sublime et serai délivré!
Délivré! Suis-je donc tel qu'un chien à l'attache?
Je rêve! Ou je suis fou de trembler comme un lâche!
Cet homme divaguait! Qu'ai-je à craindre ici? Rien!
Un poignard, disait-il; quel autre que le mien,
Moi debout et dardant ma prunelle éclaircie,
Peut luire entre ces murs selon la prophétie,
Entre cet insensé plus faible qu'un enfant,
Et moi, qu'un bras robuste et bien libre défend?
Moi, dormir cette nuit, sans souffle, à cette place?
Sur le livre éternel certes, rien ne s'efface!
Mais la folie encore est trop loin de mon front,
Si pour m'abattre aux pieds de l'archange aussi prompt,
Il faut que cette lame homicide soit celle
Dont la riche poignée à mon flanc étincelle,
Et que la main qui doit la sortir du fourreau
Soit la mienne! Victime, être en plus le bourreau!
Cela se pourra-t-il, que le veuille Allah même?
Moi, fort de ma raison et du pouvoir suprême,
Moi, sans remords, étant sacré par le succès,
Moi, qui viens de fermer au meurtre tout accès,
Je serais fou déjà d'y penser davantage!
Non, ce vieil astrologue est aveuglé par l'âge,
S'il est vrai que l'on puisse au ciel rien percevoir.
Pourtant il a prédit mon crime l'autre soir!
Ah! Quel spectre ai-je vu, levant sa main armée?
Mais non; c'est un reflet sous un peu de fumée!
La vaine illusion se détruit. - Je la vois
Par là qui se reforme et disparaît. - Des voix
Au dehors ont parlé! - Des pas frappent la route!
- Plus rien! - C'était le vent dans les feuilles, sans doute!
C'étaient mes propres pas dans ce silence affreux!
C'est la nuit qui m'oppresse et qui trouble mes yeux!
C'est la flamme qui va mourir et qui vacille!
C'est ce vieillard maudit qui sommeille immobile!
C'est l'aube que j'attends avec la liberté!
C'est l'univers entier sur son axe arrêté!
C'est la prédiction qui veut être accomplie!
Allah! Vais-je vraiment sombrer dans la folie!
Ces armes, ce poignard, s'agitent sous mes mains,
Ils me parlent de mort avec des mots humains!
Ma raison se débat, leur démence est plus forte!
Cela ne sera pas! » Il courut vers la porte,
L'ouvrit grande, et jeta ses armes dans la nuit.
Ce fut une lumière éteinte dans un bruit.
Il regarda, debout au seuil de la masure,
Sombre dans la clarté passant par l'embrasure :
« Le ciel, dit-il, est noir encore à l'orient.
Mais ce poignard jeté, je puis en souriant
Attendre le matin, le pardon et la gloire! »
Sa poitrine s'emplit d'un orgueil de victoire.
Comme il se retournait, une main brusquement
S'appuya sur sa bouche et sur son hurlement.
Le matin, Nour-Eddour se réveilla, tranquille,
Et le vit étendu tout droit devant l'asile,
Qui dormait, dépouillé par l'obscur assassin,
Comme il était écrit, un poignard dans le sein.
Le vieillard dans un coin dormait sur son burnous.
Et blême, à la lueur d'un lampion de terre,
Son front dans une main, l'autre à son cimeterre,
L'hôte fatal, assis sur un grêle escabeau,
Songeait combien le ciel du matin pâle est beau.
Il se dressa, fiévreux, marcha de long en large,
Secouant sa terreur comme on fait d'une charge,
Et sondant de ses poings la dureté des murs.
« Quoi! Les secrets divins qui pour tous sont obscurs,
Cet homme les connaît et n'y voit nul refuge!
Ignorant quel sera l'exécuteur, lui, juge,
Tout près du condamné qui le surveille, il dort,
Paisible, certain d'être obéi par la mort?
Lui, vil esclave, il dort, ayant marqué son maître!
Ce crime monstrueux, qui pourra le commettre?
Nous sommes seuls ici, dans ces quatre murs clos;
Rien n'y saurait tenter les écumeurs de flots,
Ni les rôdeurs de nuit qui rampent sur la grève!
Cette porte est solide. Il dort! Et moi, je rêve!
S longues soient la nuit et l'angoisse, il viendra,
Le jour, devant qui tout, peur, ténèbres, fuira!
Oui, l'aurore, demain, la houri verte et rose,
Viendra m'illuminer pour une apothéose,
Et dans toute sa pompe aussi je saluerai
La sultane sublime et serai délivré!
Délivré! Suis-je donc tel qu'un chien à l'attache?
Je rêve! Ou je suis fou de trembler comme un lâche!
Cet homme divaguait! Qu'ai-je à craindre ici? Rien!
Un poignard, disait-il; quel autre que le mien,
Moi debout et dardant ma prunelle éclaircie,
Peut luire entre ces murs selon la prophétie,
Entre cet insensé plus faible qu'un enfant,
Et moi, qu'un bras robuste et bien libre défend?
Moi, dormir cette nuit, sans souffle, à cette place?
Sur le livre éternel certes, rien ne s'efface!
Mais la folie encore est trop loin de mon front,
Si pour m'abattre aux pieds de l'archange aussi prompt,
Il faut que cette lame homicide soit celle
Dont la riche poignée à mon flanc étincelle,
Et que la main qui doit la sortir du fourreau
Soit la mienne! Victime, être en plus le bourreau!
Cela se pourra-t-il, que le veuille Allah même?
Moi, fort de ma raison et du pouvoir suprême,
Moi, sans remords, étant sacré par le succès,
Moi, qui viens de fermer au meurtre tout accès,
Je serais fou déjà d'y penser davantage!
Non, ce vieil astrologue est aveuglé par l'âge,
S'il est vrai que l'on puisse au ciel rien percevoir.
Pourtant il a prédit mon crime l'autre soir!
Ah! Quel spectre ai-je vu, levant sa main armée?
Mais non; c'est un reflet sous un peu de fumée!
La vaine illusion se détruit. - Je la vois
Par là qui se reforme et disparaît. - Des voix
Au dehors ont parlé! - Des pas frappent la route!
- Plus rien! - C'était le vent dans les feuilles, sans doute!
C'étaient mes propres pas dans ce silence affreux!
C'est la nuit qui m'oppresse et qui trouble mes yeux!
C'est la flamme qui va mourir et qui vacille!
C'est ce vieillard maudit qui sommeille immobile!
C'est l'aube que j'attends avec la liberté!
C'est l'univers entier sur son axe arrêté!
C'est la prédiction qui veut être accomplie!
Allah! Vais-je vraiment sombrer dans la folie!
Ces armes, ce poignard, s'agitent sous mes mains,
Ils me parlent de mort avec des mots humains!
Ma raison se débat, leur démence est plus forte!
Cela ne sera pas! » Il courut vers la porte,
L'ouvrit grande, et jeta ses armes dans la nuit.
Ce fut une lumière éteinte dans un bruit.
Il regarda, debout au seuil de la masure,
Sombre dans la clarté passant par l'embrasure :
« Le ciel, dit-il, est noir encore à l'orient.
Mais ce poignard jeté, je puis en souriant
Attendre le matin, le pardon et la gloire! »
Sa poitrine s'emplit d'un orgueil de victoire.
Comme il se retournait, une main brusquement
S'appuya sur sa bouche et sur son hurlement.
Le matin, Nour-Eddour se réveilla, tranquille,
Et le vit étendu tout droit devant l'asile,
Qui dormait, dépouillé par l'obscur assassin,
Comme il était écrit, un poignard dans le sein.
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Les Cygnes
Les Cygnes
Sous des massifs touffus, au fond désert du parc,
La colonnade antique arrondissant son arc,
Dans une eau sombre encore à moitié se profile;
Et la fleur que le pampre ou que le lierre exile
Parfois brille furtive aux creux des chapiteaux.
L'eau sommeille; une mousse y fait de sourds cristaux.
A peine un coin du ciel en éclaircit la moire,
De sa lueur mourante où survit la mémoire
Des regards clairs tournés vers des cieux éclatants.
L'eau profonde ressemble à nos yeux, ces étangs
Où haque siècle ajoute, avec d'obscurs mirages,
Au poids de sa lourdeur l'ombre de ses ombrages.
Elle dort, enfermant près du pur souvenir
Le pan du bleu manteau qu'elle veut retenir;
Mais sur le ténébreux miroir qui les encadre
Des cygnes familiers, éblouissante escadre,
Suivent le long des bords un gracieux circuit,
Et glissent lentement, en bel ordre et sans bruit,
Nobles vaisseaux croisant devant un propylée,
Comme un reste orgueilleux de gloire immaculée.
Sous des massifs touffus, au fond désert du parc,
La colonnade antique arrondissant son arc,
Dans une eau sombre encore à moitié se profile;
Et la fleur que le pampre ou que le lierre exile
Parfois brille furtive aux creux des chapiteaux.
L'eau sommeille; une mousse y fait de sourds cristaux.
A peine un coin du ciel en éclaircit la moire,
De sa lueur mourante où survit la mémoire
Des regards clairs tournés vers des cieux éclatants.
L'eau profonde ressemble à nos yeux, ces étangs
Où haque siècle ajoute, avec d'obscurs mirages,
Au poids de sa lourdeur l'ombre de ses ombrages.
Elle dort, enfermant près du pur souvenir
Le pan du bleu manteau qu'elle veut retenir;
Mais sur le ténébreux miroir qui les encadre
Des cygnes familiers, éblouissante escadre,
Suivent le long des bords un gracieux circuit,
Et glissent lentement, en bel ordre et sans bruit,
Nobles vaisseaux croisant devant un propylée,
Comme un reste orgueilleux de gloire immaculée.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Stella Vespera
Stella Vespera
I
L'image de Florence en moi s'était dressée
Ce soir-là. De nouveau, j'y suivais en pensée
Les pas silencieux de Stella Vespera.
Soeur des merveilles d'art qu'un beau siècle inspira,
Elle m'avait charmé comme un pur marbre antique,
Et me hantait depuis, fantôme énigmatique.
On disait sa famille oubliée. Un secret
Cachait sa vie à tous. On ne la rencontrait
Que dans quelque musée illustre. Sur sa trace,
Comme un témoin souffert dont l'amour embarrasse,
Une vieille toujours traînait à quelques pas,
Les yeux fixés sur elle, et ne lui parlant pas,
Duègne ou mère, à la fois gardienne et protectrice,
Et tout en murmurant, soumise à son caprice.
Tous les jours, environ une heure avant le soir,
On la voyait venir du plus désert couloir
Faire choix d'un portrait de madone ou de dame
En lequel un vieux maître avait mis sa grande âme.
Elle restait alors, les bras croisés, couvrant
Le tableau d'un regard de défi, pénétrant
Et large, d'où partait vers la tête sans vie
Je ne sais quel éclair de dédain et d'envie.
Certe, avec ces chefs-d'oeuvre au renom magistral
Elle aurait, sans pâlir, pu lutter d'idéal;
Et moi-même, j'avais, au fond des galeries,
Dans quelque coin, derrière un pan des draperies,
Maintes fois contemplé cet entretien muet,
Antagonisme étrange où nul ne remuait
Du type impérissable et du type éphémère.
Chacun s'écartait d'elle ainsi que de sa mère.
On lui donnait vingt ans à peine. Une clarté
Comme un rayonnement entourait sa beauté
Qui, splendide, éclatait en floraison entière,
Mais se sculptait aussi, comme en un bloc de pierre,
Dans une incomparable et mortelle froideur.
Ceux que vers elle avait attirés trop d'ardeur
S'étaient sentis vaincus et terrassés sur place
Par une pesanteur de mépris et de glace
Qui tombait de ses yeux sans pareils. Son vrai nom,
Nul n'avait jamais pu l'apprendre, disait-on.
Comme elle apparaissait vers une heure tardive
Dans les palais, sans bruit, solennelle et pensive,
On lui trouva bientôt ce nom mystérieux
De Stella Vespera. Personne, jeune ou vieux,
Par prière ou présent, n'avait obtenu d'elle
Qu'elle posât jamais devant lui pour modèle.
Elle n'aimait que l'art d'autrefois, et semblait
Fuir le peintre au travail devant un chevalet.
Les curieux, lassés d'un effort inutile,
La laissaient disparaître au bas d'un péristyle
Dans l'ombre et dans la foule. On s'était contenté
D'une légende autour de sa sévérité.
On disait qu'autrefois, Stella, sans aucun voile,
Avait brillé, bijou d'un palais, sur la toile,
Conception d'un prince inconnu du pinceau,
Sans rivale, parmi les plus dignes du sceau
Des maîtres plus heureux dont la gloire se nomme.
Pour ce corps insensible, on disait qu'un jeune homme,
Un peintre florentin, plus tard s'était épris
D'un amour insensé mais fervent, et pour prix
Sut animer aussi cette autre Galatée.
Un soir qu'il l'appelait dans la salle écartée,
Il la sentit tomber dans ses bras doucement.
Quand il mourut, Stella, fidèle à son amant,
Fut pise du dégoût de sa métamorphose;
Et pour se rendormir dans sa première pose
Comme autrefois, au ciel d'un art patricien,
Voulut chercher son cadre et son palais ancien;
Mais soit qu'elle eût perdu la mémoire à cette heure,
Soit que le feu peut-être eût détruit la demeure,
Elle ne put jamais les trouver. C'est ainsi
Que Stella, sous l'élan d'un unique souci,
Errait désespérée, et jalouse de celles
Qui dans l'orgueil serein des formes immortelles
De musée en musée insultaient son destin.
D'autres disaient encore et tenaient pour certain
Que l'art avait en elle un malfaisant génie,
Dont le regard, tombé sur une oeuvre finie,
Changeait la toile exquise en rebut d'atelier.
Tel était à Paris le conte familier
Qui depuis mon retour m'obsédait, plus encore
Ce soir-là; car octobre, agitateur sonore,
Semait dans l'air les voix des souvenirs perdus.
Et ceux-là revenaient en moi plus assidus,
Tandis qu'avec Centi, sur la berge isolée,
Je suivais pas à pas quelque lointaine allée.
Je l'avoue, en tout temps je me suis abreuvé
Des choses d'outre-vie, et n'ai que trop rêvé.
Mais Centi, le grand peintre, avait poussé mon âme
Vers les mondes obscurs dont il trouait la trame;
Et dans ses mots, parfois, filtrait subtilement
Le dangereux levain d'un bizarre aliment
Qui, bien loin du réel, comme un corps qu'on délie,
Me roulait aux confins troublants de la folie.
Ce soir, en regardant sous la fraîcheur des eaux,
Où les arbres en feu renversaient leurs arceaux,
Le brouillard s'épaissir dans ce autres portiques,
Je sentais que l'esprit des songes fantastiques
Dormait autour de nous. Par instinct, j'arrêtai
Le récit sur les bords de mes lèvres monté,
Pour ne pas réveiller ce tentateur tranquille.
Nous nous taisions, laissant derrière nous la ville.
Le peintre s'arrêtait; il murmura vers moi :
« Qu'est-ce que le génie, après tout? C'est ma foi
Qu'il est évocateur, aussi bien que prophète;
Que ce qu'il croit créer est l'image parfaite
D'un être que retient l'avenir ou la mort,
Ou qui, peut-être aussi, se cache à son effort,
Bien loin ou près de lui, mais dans son heure même,
Réalité vivante égale à l'art suprême,
Mais qu'un cercle défend, redoutable au désir,
Fatal à qui la cherche, et la voudrait saisir!
- Et selon vous, lui dis-je, il faudrait ainsi croire
La réalité fille ou soeur de l'illusoire? »
Il se tut quelque temps, et, plus calme, reprit :
« L'art est un miroir clair pour un puissant esprit!
L'ancêtre, dont le nom m'est un âpre héritage,
Eut, dit-on, la folie et la gloire en partage.
Mais c'est un fait, célèbre à Florence, jadis,
Que cinquante ans après sa mort, sous Léon Dix,
Dans cette ville même, on ne sait d'où venue,
Vivait aux yeux de tous une femme inconnue,
Laquelle était l'exact et merveilleux portrait
De son chef-d'oeuvre à lui, qu'un grand prince montrait,
Et que tous renommaient à l'égal d'un prodige.
- Et qui donc le possède aujourd'hui? Répondis-je.
- Quelque vingt ans après son palais s'écroula
Dans la flamme avec lui. Mais laissons tout cela;
Venez bientôt me voir et parler de Florence.
Je sens pour cette ville une étrange attirance;
Et pour m'en délivrer il faudra bien qu'un jour
Dans la noble cité je m'éveille à mon tour. »
I
L'image de Florence en moi s'était dressée
Ce soir-là. De nouveau, j'y suivais en pensée
Les pas silencieux de Stella Vespera.
Soeur des merveilles d'art qu'un beau siècle inspira,
Elle m'avait charmé comme un pur marbre antique,
Et me hantait depuis, fantôme énigmatique.
On disait sa famille oubliée. Un secret
Cachait sa vie à tous. On ne la rencontrait
Que dans quelque musée illustre. Sur sa trace,
Comme un témoin souffert dont l'amour embarrasse,
Une vieille toujours traînait à quelques pas,
Les yeux fixés sur elle, et ne lui parlant pas,
Duègne ou mère, à la fois gardienne et protectrice,
Et tout en murmurant, soumise à son caprice.
Tous les jours, environ une heure avant le soir,
On la voyait venir du plus désert couloir
Faire choix d'un portrait de madone ou de dame
En lequel un vieux maître avait mis sa grande âme.
Elle restait alors, les bras croisés, couvrant
Le tableau d'un regard de défi, pénétrant
Et large, d'où partait vers la tête sans vie
Je ne sais quel éclair de dédain et d'envie.
Certe, avec ces chefs-d'oeuvre au renom magistral
Elle aurait, sans pâlir, pu lutter d'idéal;
Et moi-même, j'avais, au fond des galeries,
Dans quelque coin, derrière un pan des draperies,
Maintes fois contemplé cet entretien muet,
Antagonisme étrange où nul ne remuait
Du type impérissable et du type éphémère.
Chacun s'écartait d'elle ainsi que de sa mère.
On lui donnait vingt ans à peine. Une clarté
Comme un rayonnement entourait sa beauté
Qui, splendide, éclatait en floraison entière,
Mais se sculptait aussi, comme en un bloc de pierre,
Dans une incomparable et mortelle froideur.
Ceux que vers elle avait attirés trop d'ardeur
S'étaient sentis vaincus et terrassés sur place
Par une pesanteur de mépris et de glace
Qui tombait de ses yeux sans pareils. Son vrai nom,
Nul n'avait jamais pu l'apprendre, disait-on.
Comme elle apparaissait vers une heure tardive
Dans les palais, sans bruit, solennelle et pensive,
On lui trouva bientôt ce nom mystérieux
De Stella Vespera. Personne, jeune ou vieux,
Par prière ou présent, n'avait obtenu d'elle
Qu'elle posât jamais devant lui pour modèle.
Elle n'aimait que l'art d'autrefois, et semblait
Fuir le peintre au travail devant un chevalet.
Les curieux, lassés d'un effort inutile,
La laissaient disparaître au bas d'un péristyle
Dans l'ombre et dans la foule. On s'était contenté
D'une légende autour de sa sévérité.
On disait qu'autrefois, Stella, sans aucun voile,
Avait brillé, bijou d'un palais, sur la toile,
Conception d'un prince inconnu du pinceau,
Sans rivale, parmi les plus dignes du sceau
Des maîtres plus heureux dont la gloire se nomme.
Pour ce corps insensible, on disait qu'un jeune homme,
Un peintre florentin, plus tard s'était épris
D'un amour insensé mais fervent, et pour prix
Sut animer aussi cette autre Galatée.
Un soir qu'il l'appelait dans la salle écartée,
Il la sentit tomber dans ses bras doucement.
Quand il mourut, Stella, fidèle à son amant,
Fut pise du dégoût de sa métamorphose;
Et pour se rendormir dans sa première pose
Comme autrefois, au ciel d'un art patricien,
Voulut chercher son cadre et son palais ancien;
Mais soit qu'elle eût perdu la mémoire à cette heure,
Soit que le feu peut-être eût détruit la demeure,
Elle ne put jamais les trouver. C'est ainsi
Que Stella, sous l'élan d'un unique souci,
Errait désespérée, et jalouse de celles
Qui dans l'orgueil serein des formes immortelles
De musée en musée insultaient son destin.
D'autres disaient encore et tenaient pour certain
Que l'art avait en elle un malfaisant génie,
Dont le regard, tombé sur une oeuvre finie,
Changeait la toile exquise en rebut d'atelier.
Tel était à Paris le conte familier
Qui depuis mon retour m'obsédait, plus encore
Ce soir-là; car octobre, agitateur sonore,
Semait dans l'air les voix des souvenirs perdus.
Et ceux-là revenaient en moi plus assidus,
Tandis qu'avec Centi, sur la berge isolée,
Je suivais pas à pas quelque lointaine allée.
Je l'avoue, en tout temps je me suis abreuvé
Des choses d'outre-vie, et n'ai que trop rêvé.
Mais Centi, le grand peintre, avait poussé mon âme
Vers les mondes obscurs dont il trouait la trame;
Et dans ses mots, parfois, filtrait subtilement
Le dangereux levain d'un bizarre aliment
Qui, bien loin du réel, comme un corps qu'on délie,
Me roulait aux confins troublants de la folie.
Ce soir, en regardant sous la fraîcheur des eaux,
Où les arbres en feu renversaient leurs arceaux,
Le brouillard s'épaissir dans ce autres portiques,
Je sentais que l'esprit des songes fantastiques
Dormait autour de nous. Par instinct, j'arrêtai
Le récit sur les bords de mes lèvres monté,
Pour ne pas réveiller ce tentateur tranquille.
Nous nous taisions, laissant derrière nous la ville.
Le peintre s'arrêtait; il murmura vers moi :
« Qu'est-ce que le génie, après tout? C'est ma foi
Qu'il est évocateur, aussi bien que prophète;
Que ce qu'il croit créer est l'image parfaite
D'un être que retient l'avenir ou la mort,
Ou qui, peut-être aussi, se cache à son effort,
Bien loin ou près de lui, mais dans son heure même,
Réalité vivante égale à l'art suprême,
Mais qu'un cercle défend, redoutable au désir,
Fatal à qui la cherche, et la voudrait saisir!
- Et selon vous, lui dis-je, il faudrait ainsi croire
La réalité fille ou soeur de l'illusoire? »
Il se tut quelque temps, et, plus calme, reprit :
« L'art est un miroir clair pour un puissant esprit!
L'ancêtre, dont le nom m'est un âpre héritage,
Eut, dit-on, la folie et la gloire en partage.
Mais c'est un fait, célèbre à Florence, jadis,
Que cinquante ans après sa mort, sous Léon Dix,
Dans cette ville même, on ne sait d'où venue,
Vivait aux yeux de tous une femme inconnue,
Laquelle était l'exact et merveilleux portrait
De son chef-d'oeuvre à lui, qu'un grand prince montrait,
Et que tous renommaient à l'égal d'un prodige.
- Et qui donc le possède aujourd'hui? Répondis-je.
- Quelque vingt ans après son palais s'écroula
Dans la flamme avec lui. Mais laissons tout cela;
Venez bientôt me voir et parler de Florence.
Je sens pour cette ville une étrange attirance;
Et pour m'en délivrer il faudra bien qu'un jour
Dans la noble cité je m'éveille à mon tour. »
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Stella Vespera
II
En entrant, j'admirais à loisir, d'habitude,
Le riche encombrement du cabinet d'étude;
Comme de vieux amis, je les connaissais bien,
Tous ces dressoirs à jours de style italien;
Ces ivoires jaunis, ces coupes, ces épées
Aux médailles d'acier par Cellini frappées;
Ces bronzes florentins; dans leurs cadres toscans
Ces bustes de seigneurs aux grands airs provocants,
Qui tous à leurs pourpoints portaient la même date.
Cette fois, je passai devant eux à la hâte,
Mais non sans me sentir brusquement traversé
Par la sensation d'un glorieux passé;
Et les mots de Centi sur Florence, la veille,
Me semblèrent encor tinter à mon oreille.
L'atelier m'attirait; et du premier coup d'oeil
Je demeurai cloué de stupeur sur le seuil,
Comme un halluciné devant l'esprit qui passe.
Sur cinq grands chevalets qui tous me faisaient face,
Dans leurs cadres égaux, j'avais vu cinq portraits
éternisant cinq fois d'un coup les mêmes traits.
Du plafond, tout autour, tombait en masses lourdes
La tenture au sujet païen, aux couleurs sourdes;
Et magnétiquement je reportai les yeux
Vers les tableaux, travail d'un art prestigieux,
Sur lesquels un jour vif affluant dans la salle
Versait à pleins carreaux sa nappe triomphale.
Chacun semblait le but d'un vouloir différent.
L'on eût dit du premier quelque tout neuf Rembrandt.
C'étaient les mêmes fonds d'épaisses atmosphères
Et d'obscurité chaude aux attrayants mystères;
Mais jamais le pinceau du maître hollandais
N'avait si loin poussé les ténèbres; jamais
Si merveilleusement il n'en creusa les ondes
Sous une transparence aux caresses profondes.
Quant au visage même, à peine il paraissait
Sur les bords de la nuit qui l'ensevelissait.
Mais en me rapprochant, contemplateur avide,
Quelque baigné qu'il fût par une ombre fluide
Avare des blancheurs qu'elle dérobe au jour;
Quelque indécis que fût l'harmonieux contour
Du col à la poitrine où le sein vient de naître;
Il me fallait aussi sur-le-champ reconnaître
Une noblesse éparse au sommet de ce front,
Dans les vagues lueurs qui plus bas se fondront;
Une suavité dans cette chevelure
Onduleuse; une grâce enfantine et si pure
Sur ces lèvres; partout, pour chaque ligne enfin,
Une virginité de calme séraphin,
Une fleur de jeunesse, une aristocratie
De rêve, s'unissant dans sa gloire adoucie
A la solennité d'une apparition
Dont Rembrandt n'a jamais cherché l'impression.
Concevez à présent cette confuse image
S'avançant de degrés en degrés, d'âge en âge,
De toile en toile, vers la lumière et vers vous;
Du fond de ces vapeurs au rayonnement roux,
Voyez-la s'imprégner chaque fois d'une vie
Plus intense, toujours à l'ombre plus ravie,
Virginale toujours, mais femme cependant
De plus en plus, plus fière aussi vous regardant,
Et des limbes premiers de son adolescence
Arrivant, sous l'essor de sa jeune puissance,
Jusqu'à l'éclosion enfin d'une beauté
Sûre d'avoir conquis son immortalité.
Tels j'admirais, plongé dans de longues extases,
Ces portraits successifs, insaisissables phases
De la forme endormie encor dans sa candeur
A la forme éveillée en sa riche splendeur,
Qui se connaît et qui s'impose, de la vierge
Qu'un songe inconscient et sans amour submerge
A celle qui se sent aimée, et dont les yeux
Ne réfléchissent rien d'un coeur silencieux.
Et maintenant, tout près de moi, la pâle tête
Qui dans le dernier cadre, illusion complète,
Respirait, échappée aux baisers de la nuit;
Dardait vers moi l'éclair d'un regard qui poursuit;
S'enveloppait de vie et d'éclat, palpitante
Des vivaces espoirs d'une héroïque attente,
Et magnifiquement, comme un matin d'été,
épanouie au sein de sa propre clarté;
Ainsi qu'en un miroir un reflet qui s'obstine,
C'était bien cette fois la tête florentine
De Stella Vespera, telle que bien souvent
Naguère je l'avais contemplée en rêvant.
Jamais l'art ne fixa d'une main plus fidèle
Dans son panthéon chaste un glorieux modèle;
Jamais aussi, devant le génie et l'amour,
Plus belle vérité ne se fit voir au jour.
Ainsi, mon souvenir, dans sa forme absolue,
Triomphant, tout à coup se dressait à ma vue,
M'enchaînait de nouveau, si loin! Et se parait
D'un charme plus profond fait d'un nouveau secret,
Sacrant tout l'atelier du silence des temples!
Et moi, je m'abîmais dans ses prunelles amples.
Bien des heures, j'avais jusqu'ici médité,
En pensant à ses yeux, sur leur étrangeté;
Ce jour-là, tout à coup, sur l'image imprévue
J'en surpris la raison restée inaperçue.
« Oui, me dis-je, en effet, l'un de ses yeux est noir
Et luisant comme l'encre, et l'autre, comme un soir
Sans lune, est d'un bleu sombre étoilé de lumières;
Et leurs disques rivaux emplissent les paupières! »
Enfin, un dernier cadre, isolé dans un coin
De l'atelier, forçait ma vue un peu plus loin.
Ce n'était qu'une ébauche, une esquisse légère,
Mais toujours de Stella, l'obsédante étrangère.
Quel nimbe reluirait sur ce front renaissant?
Centi voulait-il donc, d'un désir tout récent,
Artiste inassouvi, surpasser la nature,
Et jusqu'au surhumain tenter une aventure?
Ou bien, comme il avait, magicien de l'art,
Suivi cette beauté d'un scrupuleux regard
Dans son progrès, depuis l'aube crépusculaire
Jusqu'à l'heure qu'un ciel d'apothéose éclaire,
Allait-il la poursuivre, artiste sans pitié,
Dans son déclin aussi chaque jour épié?
Et le temps s'écoulait. Mes yeux enthousiastes
Toujours interrogeaient ce visage en ses fastes;
Et, comme sur les bords d'un puits vertigineux,
Je me sentais sans fin pris dans les mille noeuds
D'une énigme enlacée à l'énigme contraire;
Et nul raisonnement ne pouvait m'y soustraire;
Et, dans la vaste salle où je demeurais seul,
Il me semblait parfois que l'esprit de l'aïeul
Derrière moi veillait au fond des angles sombres;
Car vers les murs déjà s'amoncelaient les ombres.
Le soir vint. éperdu d'extase, stupéfait,
Je regardais toujours. Le génie, en effet,
Ne laisse pas en vain sur ses oeuvres l'empreinte
D'une forte pensée. Une énergique étreinte
Sort toujours de la toile abandonnée, et tient
Dans son réseau subtil le profane qui vient
Troubler impudemment l'atelier solitaire.
La nuit s'épaississait au fond du sanctuaire,
Noyant tout, chevalets, cadres et cheveux blonds.
Alors, et malgré moi, furtif, à reculons,
Je partis lentement, chassé par ces fronts pâles
Qui, lumineux, pareils à de larges opales,
Paraissaient, sous le flux des ténèbres montant,
M'enfoncer un regard de foule inquiétant.
Le malheur s'abattit sur moi cette nuit même,
Et pour longtemps crispa sur mon coeur sa main blême.
Au fond d'une retraite, au loin, et dans l'oubli
De Stella, je vécus un temps enseveli.
En entrant, j'admirais à loisir, d'habitude,
Le riche encombrement du cabinet d'étude;
Comme de vieux amis, je les connaissais bien,
Tous ces dressoirs à jours de style italien;
Ces ivoires jaunis, ces coupes, ces épées
Aux médailles d'acier par Cellini frappées;
Ces bronzes florentins; dans leurs cadres toscans
Ces bustes de seigneurs aux grands airs provocants,
Qui tous à leurs pourpoints portaient la même date.
Cette fois, je passai devant eux à la hâte,
Mais non sans me sentir brusquement traversé
Par la sensation d'un glorieux passé;
Et les mots de Centi sur Florence, la veille,
Me semblèrent encor tinter à mon oreille.
L'atelier m'attirait; et du premier coup d'oeil
Je demeurai cloué de stupeur sur le seuil,
Comme un halluciné devant l'esprit qui passe.
Sur cinq grands chevalets qui tous me faisaient face,
Dans leurs cadres égaux, j'avais vu cinq portraits
éternisant cinq fois d'un coup les mêmes traits.
Du plafond, tout autour, tombait en masses lourdes
La tenture au sujet païen, aux couleurs sourdes;
Et magnétiquement je reportai les yeux
Vers les tableaux, travail d'un art prestigieux,
Sur lesquels un jour vif affluant dans la salle
Versait à pleins carreaux sa nappe triomphale.
Chacun semblait le but d'un vouloir différent.
L'on eût dit du premier quelque tout neuf Rembrandt.
C'étaient les mêmes fonds d'épaisses atmosphères
Et d'obscurité chaude aux attrayants mystères;
Mais jamais le pinceau du maître hollandais
N'avait si loin poussé les ténèbres; jamais
Si merveilleusement il n'en creusa les ondes
Sous une transparence aux caresses profondes.
Quant au visage même, à peine il paraissait
Sur les bords de la nuit qui l'ensevelissait.
Mais en me rapprochant, contemplateur avide,
Quelque baigné qu'il fût par une ombre fluide
Avare des blancheurs qu'elle dérobe au jour;
Quelque indécis que fût l'harmonieux contour
Du col à la poitrine où le sein vient de naître;
Il me fallait aussi sur-le-champ reconnaître
Une noblesse éparse au sommet de ce front,
Dans les vagues lueurs qui plus bas se fondront;
Une suavité dans cette chevelure
Onduleuse; une grâce enfantine et si pure
Sur ces lèvres; partout, pour chaque ligne enfin,
Une virginité de calme séraphin,
Une fleur de jeunesse, une aristocratie
De rêve, s'unissant dans sa gloire adoucie
A la solennité d'une apparition
Dont Rembrandt n'a jamais cherché l'impression.
Concevez à présent cette confuse image
S'avançant de degrés en degrés, d'âge en âge,
De toile en toile, vers la lumière et vers vous;
Du fond de ces vapeurs au rayonnement roux,
Voyez-la s'imprégner chaque fois d'une vie
Plus intense, toujours à l'ombre plus ravie,
Virginale toujours, mais femme cependant
De plus en plus, plus fière aussi vous regardant,
Et des limbes premiers de son adolescence
Arrivant, sous l'essor de sa jeune puissance,
Jusqu'à l'éclosion enfin d'une beauté
Sûre d'avoir conquis son immortalité.
Tels j'admirais, plongé dans de longues extases,
Ces portraits successifs, insaisissables phases
De la forme endormie encor dans sa candeur
A la forme éveillée en sa riche splendeur,
Qui se connaît et qui s'impose, de la vierge
Qu'un songe inconscient et sans amour submerge
A celle qui se sent aimée, et dont les yeux
Ne réfléchissent rien d'un coeur silencieux.
Et maintenant, tout près de moi, la pâle tête
Qui dans le dernier cadre, illusion complète,
Respirait, échappée aux baisers de la nuit;
Dardait vers moi l'éclair d'un regard qui poursuit;
S'enveloppait de vie et d'éclat, palpitante
Des vivaces espoirs d'une héroïque attente,
Et magnifiquement, comme un matin d'été,
épanouie au sein de sa propre clarté;
Ainsi qu'en un miroir un reflet qui s'obstine,
C'était bien cette fois la tête florentine
De Stella Vespera, telle que bien souvent
Naguère je l'avais contemplée en rêvant.
Jamais l'art ne fixa d'une main plus fidèle
Dans son panthéon chaste un glorieux modèle;
Jamais aussi, devant le génie et l'amour,
Plus belle vérité ne se fit voir au jour.
Ainsi, mon souvenir, dans sa forme absolue,
Triomphant, tout à coup se dressait à ma vue,
M'enchaînait de nouveau, si loin! Et se parait
D'un charme plus profond fait d'un nouveau secret,
Sacrant tout l'atelier du silence des temples!
Et moi, je m'abîmais dans ses prunelles amples.
Bien des heures, j'avais jusqu'ici médité,
En pensant à ses yeux, sur leur étrangeté;
Ce jour-là, tout à coup, sur l'image imprévue
J'en surpris la raison restée inaperçue.
« Oui, me dis-je, en effet, l'un de ses yeux est noir
Et luisant comme l'encre, et l'autre, comme un soir
Sans lune, est d'un bleu sombre étoilé de lumières;
Et leurs disques rivaux emplissent les paupières! »
Enfin, un dernier cadre, isolé dans un coin
De l'atelier, forçait ma vue un peu plus loin.
Ce n'était qu'une ébauche, une esquisse légère,
Mais toujours de Stella, l'obsédante étrangère.
Quel nimbe reluirait sur ce front renaissant?
Centi voulait-il donc, d'un désir tout récent,
Artiste inassouvi, surpasser la nature,
Et jusqu'au surhumain tenter une aventure?
Ou bien, comme il avait, magicien de l'art,
Suivi cette beauté d'un scrupuleux regard
Dans son progrès, depuis l'aube crépusculaire
Jusqu'à l'heure qu'un ciel d'apothéose éclaire,
Allait-il la poursuivre, artiste sans pitié,
Dans son déclin aussi chaque jour épié?
Et le temps s'écoulait. Mes yeux enthousiastes
Toujours interrogeaient ce visage en ses fastes;
Et, comme sur les bords d'un puits vertigineux,
Je me sentais sans fin pris dans les mille noeuds
D'une énigme enlacée à l'énigme contraire;
Et nul raisonnement ne pouvait m'y soustraire;
Et, dans la vaste salle où je demeurais seul,
Il me semblait parfois que l'esprit de l'aïeul
Derrière moi veillait au fond des angles sombres;
Car vers les murs déjà s'amoncelaient les ombres.
Le soir vint. éperdu d'extase, stupéfait,
Je regardais toujours. Le génie, en effet,
Ne laisse pas en vain sur ses oeuvres l'empreinte
D'une forte pensée. Une énergique étreinte
Sort toujours de la toile abandonnée, et tient
Dans son réseau subtil le profane qui vient
Troubler impudemment l'atelier solitaire.
La nuit s'épaississait au fond du sanctuaire,
Noyant tout, chevalets, cadres et cheveux blonds.
Alors, et malgré moi, furtif, à reculons,
Je partis lentement, chassé par ces fronts pâles
Qui, lumineux, pareils à de larges opales,
Paraissaient, sous le flux des ténèbres montant,
M'enfoncer un regard de foule inquiétant.
Le malheur s'abattit sur moi cette nuit même,
Et pour longtemps crispa sur mon coeur sa main blême.
Au fond d'une retraite, au loin, et dans l'oubli
De Stella, je vécus un temps enseveli.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Stella Vespera
III
Je revins. Quelques jours plus tard, dans un musée,
Je promenais sans but ma tristesse apaisée,
Quand je vis disparaître, au bas d'un escalier,
Une vieille en costume au style singulier,
Qui me remémora la vierge d'Italie
Qu'à ses portraits lointains une énigme relie.
Je voulus pénétrer ce secret jusqu'au bout,
Et courus chez Centi. Je le trouvai debout
Devant sa dernière oeuvre; et ses yeux, dans l'ivresse
Du triomphe, élevaient leur brûlante caresse
Sur la toile achevée, et seule cette fois.
Lui-même s'agitai, parlant à haute voix,
Artiste émerveillé devant son propre ouvrage.
Dès l'abord, une joie éclaira son visage;
Il s'élança, me prit le bras, et, m'entraînant
En face du tableau, s'écria : « Maintenant,
Regardez! ... répondez! N'est-ce pas, qu'elle est belle?
N'est-ce pas, qu'elle arrive à l'amour qui l'appelle? »
Et moi, je regardais déjà, me demandant
Comment il avait pu, d'un effort ascendant,
Faire plus resplendir la tête sans rivale,
Et, par plus de magie, en un plus pur ovale
Vivifier ces traits sous un ciel ébloui.
Comme autrefois, toujours, c'était bien aujourd'hui
Le beau front lumineux et chargé de pensées;
Mais son éclat, vainqueur des ombres dispersées,
Brillait plus éloquent encore; il se gonflait,
Flamboyant, agrandi sous le double reflet
D'un éternel bonheur et d'une paix conquise.
C'était, sous la lueur changeante qui l'irise,
La même chevelure aux anneaux blonds et bruns,
Libres et déroulés sans fin, dont quelques-uns,
Voluptueux flocons qu'un sein grec illumine,
Flottaient confusément aux bords de la poitrine.
Mais, plus souple auréole et plus suave encor,
S'épandait sur le cou leur opulent trésor.
Les yeux étaient toujours aussi pleins, aussi chastes,
Aussi profonds, l'un bleu comme les nuits néfastes
Sans lune, l'autre, noir comme l'encre, et tous deux
Limpides; mais le large éclair qui sortait d'eux
N'était plus la clarté de l'orgueil ni du rêve;
C'était l'ardent rayon de l'amour qui se lève;
Et la lèvre, plus rouge encor, plus finement
Découpée aujourd'hui, comme pour le serment
Et pour l'aveu, s'ouvrait au baiser qui l'attire.
On entait à travers ce superbe sourire
La victoire éclater dans la soumission,
Comme aussi dans ces yeux, avec la passion,
Passer l'enivrement d'une beauté céleste.
Et comme refoulant derrière elle, d'un geste,
Et pour jamais, bien loin, les brumes d'autrefois,
Par un miracle d'art qui renverse les lois,
Dans la pleine lumière où chaque trait s'anime
Elle avançait vers nous son visage sublime.
Et c'était l'idéal, pensais-je, que là-bas,
Malgré tout, l'autre encor ne réalisait pas.
« Enfin! S'écria-t-il, cette fois, c'est bien elle!
N'est-ce pas, qu'elle vit? N'est-ce pas, qu'elle est belle?
Une âme plane aussi sur ma création,
Et ton coeur bat en moi, divin Pygmalion!
Qui donc a pu railler ton amour ineffable?
Ta Galatée, ô grec! N'était point une fable!
Ce n'est pas ta statue au marbre radieux
Qui s'anima pour toi sous le souffle des dieux.
Non. Mais ils t'ont permis, ton oeuvre terminée,
De rencontrer alors la femme devinée!
- Celle-là, quant à moi, j'en reste convaincu,
Lui dis-je, n'est qu'un songe, et n'a jamais vécu.
Mais les autres, Centi! Vous avez, je le jure,
Sous le soleil de tous vu passer leur figure!
- Où donc l'aurais-je pu? dit-il. Mais que me font
Ces ébauches, d'ailleurs! Dans leur néant profond
Qu'elles rentrent! Voici la seule qui soit faite
Pour moi, l'évocateur, ou pour moi, le prophète!
Et maudits soient-ils tous, les pinceaux! Je suis né
Trop tard, ou bien trop tôt. L'amour est condamné!
Car l'amour est au fond du royaume des rêves,
Dans les bosquets perdus qu'on remplacés les grèves,
Dans les mondes encor sans voix et sans écho,
Dans le silencieux amas des vieux chaos,
Dans la poussière d'or des mirages splendides,
Ou dans les paradis noyés des Atlantides!
Oui, je vous dis qu'un jour elle vivra, sinon
Qu'elle est morte à jamais sans avoir su mon nom! »
Et pendant qu'il parlait, je voyais sur sa lèvre
Trembler le désespoir furieux et la fièvre.
« Regardez, reprit-il, elle a chassé la nuit
Qui jadis l'entourait, jalouse, et qui s'enfuit!
Elle apparaît, semblable à l'étoile dernière,
Sur mon coeur épanchant tout un ciel de lumière!
Et je l'aime! Et jamais l'éclair d'un oeil vivant,
Je le sais, ici-bas n'a frappé plus avant,
Ni fait plus tressaillir les profondeurs d'une âme!
Dans l'amour infini d'un amant, jamais femme,
Comme une reine au fond d'un palais, n'a marché,
De salle en salle, aux chants d'un orchestre caché,
Vers un trône plus beau, d'un pas plus sûr! Je l'aime,
Celle-ci dont ma main a retracé l'emblème,
La morte, ou l'invisible encor, l'être innomé
Qui, si j'avais vécu plus tôt, m'aurait aimé,
Qui m'aimerait plus tard, si je pouvais revivre!
La femme qui peut-être à l'heure même enivre
Quelque part d'autres yeux, ô rage! Que mes yeux,
Et qui doit, loin de moi, mourir sous d'autres cieux!
Ah! Si vraiment tu vis, si je pouvais le croire,
Périssent d'un seul coup mon génie et ma gloire!
Et vienne aussi la mort! Je l'accepte, content,
Pourvu que je te voie une heure, un seul instant,
Et te parle, et t'entende, et t'admire, et t'adore,
O toi qui m'aimeras! ô femme dont j'ignore
La pâtre et le nom! Toi qui prends mon destin,
Et souris comme au ciel l'étoile du matin! »
Je frémissais ainsi qu'un blessé que l'on touche,
Et mon secret déjà s'échappait de ma bouche;
Derrière nous un bruit de pas, en ce moment,
Nous fit nous retourner tous les deux brusquement
Vers le vaste rideau qui recouvrait l'entrée.
Dans un angle une main, vive lueur montrée,
Avec un geste prompt l'écarta tout entier,
Repliant les anneaux sur la tringle d'acier.
Et debout sur le seuil, grande et noble statue,
Une femme était là, royalement vêtue,
Comme en un autre cadre, immobile, ses traits
Recouverts d'un long voile aux attirants secrets,
Pareille aux visions des nuits surnaturelles,
Qui, dilatant d'effroi les yeux fixés sur elles,
Fascinent les vivants par leur solennité.
Une femme était là, sûre de sa beauté,
Au maintien qu'aussitôt j'avais cru reconnaître,
Et vers qui, jaillissant de la haute fenêtre,
Comme pour un salut, ruisselèrent d'un bond
Les feux enorgueillis du soleil moribond.
A peine elle aperçut la peinture immortelle,
Que l'ombre étincela sous la riche dentelle;
Alors, d'une voix lente, au timbre musical
Comme le clair écho d'un sonore métal,
Elle laissa tomber ces mots dans le silence :
« Au beau siècle de l'art, autrefois, dans Florence,
Grand parmi les plus grands fut l'un de vos aïeux,
Dont le chef-d'oeuvre était le portrait merveilleux
De mon aïeule à moi, qu'on nomma par la ville
L'étoile du matin. Dans un siècle infertile
Votre nom seul rayonne. En vous je reconnais
Le plus digne héritier des anciens; je venais
Demander au Centi revivant de renaître
Sous le divin pinceau qu'il tient de son ancêtre,
Moi, dont le nom, là-bas, est l'étoile du soir! »
Et moi, je frissonnais plus fort, car je pus voir,
Son voile ôté, Stella vers l'oeuvre prophétique
Marcher, reflet palpable et modèle identique;
Je sentais mes cheveux se hérisser d'effroi,
Car Centi tout à coup s'était rué sur moi,
Car ses ongles m'entraient dans la chair leurs tenailles,
Et j'entendais courir, en rayant les murailles,
Le rire aigu qui glace et qui pénètre en nous,
Le rire intarissable où se tordent les fous!
Je revins. Quelques jours plus tard, dans un musée,
Je promenais sans but ma tristesse apaisée,
Quand je vis disparaître, au bas d'un escalier,
Une vieille en costume au style singulier,
Qui me remémora la vierge d'Italie
Qu'à ses portraits lointains une énigme relie.
Je voulus pénétrer ce secret jusqu'au bout,
Et courus chez Centi. Je le trouvai debout
Devant sa dernière oeuvre; et ses yeux, dans l'ivresse
Du triomphe, élevaient leur brûlante caresse
Sur la toile achevée, et seule cette fois.
Lui-même s'agitai, parlant à haute voix,
Artiste émerveillé devant son propre ouvrage.
Dès l'abord, une joie éclaira son visage;
Il s'élança, me prit le bras, et, m'entraînant
En face du tableau, s'écria : « Maintenant,
Regardez! ... répondez! N'est-ce pas, qu'elle est belle?
N'est-ce pas, qu'elle arrive à l'amour qui l'appelle? »
Et moi, je regardais déjà, me demandant
Comment il avait pu, d'un effort ascendant,
Faire plus resplendir la tête sans rivale,
Et, par plus de magie, en un plus pur ovale
Vivifier ces traits sous un ciel ébloui.
Comme autrefois, toujours, c'était bien aujourd'hui
Le beau front lumineux et chargé de pensées;
Mais son éclat, vainqueur des ombres dispersées,
Brillait plus éloquent encore; il se gonflait,
Flamboyant, agrandi sous le double reflet
D'un éternel bonheur et d'une paix conquise.
C'était, sous la lueur changeante qui l'irise,
La même chevelure aux anneaux blonds et bruns,
Libres et déroulés sans fin, dont quelques-uns,
Voluptueux flocons qu'un sein grec illumine,
Flottaient confusément aux bords de la poitrine.
Mais, plus souple auréole et plus suave encor,
S'épandait sur le cou leur opulent trésor.
Les yeux étaient toujours aussi pleins, aussi chastes,
Aussi profonds, l'un bleu comme les nuits néfastes
Sans lune, l'autre, noir comme l'encre, et tous deux
Limpides; mais le large éclair qui sortait d'eux
N'était plus la clarté de l'orgueil ni du rêve;
C'était l'ardent rayon de l'amour qui se lève;
Et la lèvre, plus rouge encor, plus finement
Découpée aujourd'hui, comme pour le serment
Et pour l'aveu, s'ouvrait au baiser qui l'attire.
On entait à travers ce superbe sourire
La victoire éclater dans la soumission,
Comme aussi dans ces yeux, avec la passion,
Passer l'enivrement d'une beauté céleste.
Et comme refoulant derrière elle, d'un geste,
Et pour jamais, bien loin, les brumes d'autrefois,
Par un miracle d'art qui renverse les lois,
Dans la pleine lumière où chaque trait s'anime
Elle avançait vers nous son visage sublime.
Et c'était l'idéal, pensais-je, que là-bas,
Malgré tout, l'autre encor ne réalisait pas.
« Enfin! S'écria-t-il, cette fois, c'est bien elle!
N'est-ce pas, qu'elle vit? N'est-ce pas, qu'elle est belle?
Une âme plane aussi sur ma création,
Et ton coeur bat en moi, divin Pygmalion!
Qui donc a pu railler ton amour ineffable?
Ta Galatée, ô grec! N'était point une fable!
Ce n'est pas ta statue au marbre radieux
Qui s'anima pour toi sous le souffle des dieux.
Non. Mais ils t'ont permis, ton oeuvre terminée,
De rencontrer alors la femme devinée!
- Celle-là, quant à moi, j'en reste convaincu,
Lui dis-je, n'est qu'un songe, et n'a jamais vécu.
Mais les autres, Centi! Vous avez, je le jure,
Sous le soleil de tous vu passer leur figure!
- Où donc l'aurais-je pu? dit-il. Mais que me font
Ces ébauches, d'ailleurs! Dans leur néant profond
Qu'elles rentrent! Voici la seule qui soit faite
Pour moi, l'évocateur, ou pour moi, le prophète!
Et maudits soient-ils tous, les pinceaux! Je suis né
Trop tard, ou bien trop tôt. L'amour est condamné!
Car l'amour est au fond du royaume des rêves,
Dans les bosquets perdus qu'on remplacés les grèves,
Dans les mondes encor sans voix et sans écho,
Dans le silencieux amas des vieux chaos,
Dans la poussière d'or des mirages splendides,
Ou dans les paradis noyés des Atlantides!
Oui, je vous dis qu'un jour elle vivra, sinon
Qu'elle est morte à jamais sans avoir su mon nom! »
Et pendant qu'il parlait, je voyais sur sa lèvre
Trembler le désespoir furieux et la fièvre.
« Regardez, reprit-il, elle a chassé la nuit
Qui jadis l'entourait, jalouse, et qui s'enfuit!
Elle apparaît, semblable à l'étoile dernière,
Sur mon coeur épanchant tout un ciel de lumière!
Et je l'aime! Et jamais l'éclair d'un oeil vivant,
Je le sais, ici-bas n'a frappé plus avant,
Ni fait plus tressaillir les profondeurs d'une âme!
Dans l'amour infini d'un amant, jamais femme,
Comme une reine au fond d'un palais, n'a marché,
De salle en salle, aux chants d'un orchestre caché,
Vers un trône plus beau, d'un pas plus sûr! Je l'aime,
Celle-ci dont ma main a retracé l'emblème,
La morte, ou l'invisible encor, l'être innomé
Qui, si j'avais vécu plus tôt, m'aurait aimé,
Qui m'aimerait plus tard, si je pouvais revivre!
La femme qui peut-être à l'heure même enivre
Quelque part d'autres yeux, ô rage! Que mes yeux,
Et qui doit, loin de moi, mourir sous d'autres cieux!
Ah! Si vraiment tu vis, si je pouvais le croire,
Périssent d'un seul coup mon génie et ma gloire!
Et vienne aussi la mort! Je l'accepte, content,
Pourvu que je te voie une heure, un seul instant,
Et te parle, et t'entende, et t'admire, et t'adore,
O toi qui m'aimeras! ô femme dont j'ignore
La pâtre et le nom! Toi qui prends mon destin,
Et souris comme au ciel l'étoile du matin! »
Je frémissais ainsi qu'un blessé que l'on touche,
Et mon secret déjà s'échappait de ma bouche;
Derrière nous un bruit de pas, en ce moment,
Nous fit nous retourner tous les deux brusquement
Vers le vaste rideau qui recouvrait l'entrée.
Dans un angle une main, vive lueur montrée,
Avec un geste prompt l'écarta tout entier,
Repliant les anneaux sur la tringle d'acier.
Et debout sur le seuil, grande et noble statue,
Une femme était là, royalement vêtue,
Comme en un autre cadre, immobile, ses traits
Recouverts d'un long voile aux attirants secrets,
Pareille aux visions des nuits surnaturelles,
Qui, dilatant d'effroi les yeux fixés sur elles,
Fascinent les vivants par leur solennité.
Une femme était là, sûre de sa beauté,
Au maintien qu'aussitôt j'avais cru reconnaître,
Et vers qui, jaillissant de la haute fenêtre,
Comme pour un salut, ruisselèrent d'un bond
Les feux enorgueillis du soleil moribond.
A peine elle aperçut la peinture immortelle,
Que l'ombre étincela sous la riche dentelle;
Alors, d'une voix lente, au timbre musical
Comme le clair écho d'un sonore métal,
Elle laissa tomber ces mots dans le silence :
« Au beau siècle de l'art, autrefois, dans Florence,
Grand parmi les plus grands fut l'un de vos aïeux,
Dont le chef-d'oeuvre était le portrait merveilleux
De mon aïeule à moi, qu'on nomma par la ville
L'étoile du matin. Dans un siècle infertile
Votre nom seul rayonne. En vous je reconnais
Le plus digne héritier des anciens; je venais
Demander au Centi revivant de renaître
Sous le divin pinceau qu'il tient de son ancêtre,
Moi, dont le nom, là-bas, est l'étoile du soir! »
Et moi, je frissonnais plus fort, car je pus voir,
Son voile ôté, Stella vers l'oeuvre prophétique
Marcher, reflet palpable et modèle identique;
Je sentais mes cheveux se hérisser d'effroi,
Car Centi tout à coup s'était rué sur moi,
Car ses ongles m'entraient dans la chair leurs tenailles,
Et j'entendais courir, en rayant les murailles,
Le rire aigu qui glace et qui pénètre en nous,
Le rire intarissable où se tordent les fous!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Révolte
Révolte
Car les bois ont aussi leurs jours d'ennui hautain;
Et, las de tordre au vent leurs grands bras séculaires;
S'enveloppent alors d'immobiles colères;
Et leur mépris muet insulte leur destin.
Ni chevreuils, ni ramiers chanteurs, ni sources claires.
La forêt ne veut plus sourire au vieux matin,
Et, refoulant la vie aux plaines du lointain,
Semble arborer l'orgueil des douleurs sans salaires.
- Ô bois! Premiers enfants de la terre, grands bois!
Moi, dont l'âme en votre âme habite et vous contemple,
Je sens les piliers prêts à maudire le temple.
Un jour, demain peut-être, arbres aux longs abois!
Quand le banal printemps ramènera nos fêtes,
Tous, vous resterez noirs, des racines aux faîtes!
Car les bois ont aussi leurs jours d'ennui hautain;
Et, las de tordre au vent leurs grands bras séculaires;
S'enveloppent alors d'immobiles colères;
Et leur mépris muet insulte leur destin.
Ni chevreuils, ni ramiers chanteurs, ni sources claires.
La forêt ne veut plus sourire au vieux matin,
Et, refoulant la vie aux plaines du lointain,
Semble arborer l'orgueil des douleurs sans salaires.
- Ô bois! Premiers enfants de la terre, grands bois!
Moi, dont l'âme en votre âme habite et vous contemple,
Je sens les piliers prêts à maudire le temple.
Un jour, demain peut-être, arbres aux longs abois!
Quand le banal printemps ramènera nos fêtes,
Tous, vous resterez noirs, des racines aux faîtes!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Hemrick, le Veuf
Hemrick, le Veuf
I
Un amas orageux charge les horizons
Des gorges de Carnac aux sauvages gazons;
Aux vieux troncs crevassés de profondes gerçures;
Aux grands dolmens rangés dans la brume, tout droits;
Aux flaques rougissant sur les bords par endroits,
Où, comme un assassin couvert d'éclaboussures,
Avant de disparaître au revers du plateau,
Le soleil vient laver sa face et son manteau.
Un grondement lointain comme un signal s'approche.
Et de l'est assombri, par bonds, de roche en roche,
Sur le sol où se traîne un reflet en lambeaux,
La voix plus menaçante après un court silence,
Le souffle bref, la nuit se déploie et s'élance,
Pleine d'éclairs subits qu'on croirait des flambeaux
Allumés à la hâte, éteints à l'improviste,
Promenés par des bras tendus vers une piste.
Par les âpres sentiers qui tournent dans le val,
Laissant à chaque pas trébucher son cheval,
Hemrick, le veuf, encor ferme et haut sur la selle,
Pâle, et les yeux là-bas fixés sur l'occident,
Regagne sans valet sa demeure; et pendant
Que tout près d'éclater l'orage s'amoncelle
Sur sa tête, il écoute en lui, profondément,
Retentir les échos d'un vaste ébranlement.
Car dans son âme, ainsi qu'un mineur dans la mine
Entre d'étroits couloirs rampe, creuse et chemine,
Et depuis très longtemps, la lampe sourde au poing
Ou le pic dur levé, se dévoue à sa tâche,
S'acharne sur le roc, frappe, écarte et détache
Quelque bloc descellé qu'on ne remplace point,
Dans son âme dardant des lumières livides,
Un soupçon a creusé de lamentables vides.
Ah! Que de jours maudits et que de nuits bien plus
Maudites l'ont étreint dans un flux et reflux
De doutes, de stupeurs, de luttes, d'agonies,
Depuis le premier coup mystérieux porté
Dans sa douleur pieuse et dans sa loyauté!
Depuis que, pour blêmir au glas des insomnies,
Il suivait l'invisible et fatal promeneur
Sapant tout ce qui fut sa gloire et son bonheur!
Sa confiance était comme un sol granitique
Où ses pensers, hautains ainsi qu'un bois antique,
Pleins d'une sève auguste, et les rameaux unis,
En défiant l'acier des haches assassines,
Puissamment agrafés, enfonçaient leurs racines;
Visités par la mort, et désormais sans nids;
Saignant de tous côtés comme des troncs d'érables;
Tristes, mais beaux toujours, brisés, mais vénérables.
L'odieux travailleur aux efforts grandissants
Avait si bien repris son oeuvre en tous les sens;
Il avait tant rongé, tant fouillé sans relâche
Les précieux filons du trésor souterrain;
Tant perforé la voûte avec son bec d'airain;
Tant crié vers le jour d'une voix rauque et lâche,
Que le jour s'était fait dans un énorme puits,
Et que tout un passé s'abîmait sans appuis.
Avec un grand fracas de ramures penchées
Qui s'effondrent, froissant leurs feuilles desséchées,
Tout croulait à la fois dans l'espace béant,
Et l'honneur, et l'amour, et l'amitié, - chimères!
Tout, tout, jusqu'à l'espoir des vindictes amères,
Tout avait disparu dans l'antre du néant;
Et la foudre pouvait choisir Hemrick pour cible :
Il n'était déjà plus qu'un sépulcre insensible.
I
Un amas orageux charge les horizons
Des gorges de Carnac aux sauvages gazons;
Aux vieux troncs crevassés de profondes gerçures;
Aux grands dolmens rangés dans la brume, tout droits;
Aux flaques rougissant sur les bords par endroits,
Où, comme un assassin couvert d'éclaboussures,
Avant de disparaître au revers du plateau,
Le soleil vient laver sa face et son manteau.
Un grondement lointain comme un signal s'approche.
Et de l'est assombri, par bonds, de roche en roche,
Sur le sol où se traîne un reflet en lambeaux,
La voix plus menaçante après un court silence,
Le souffle bref, la nuit se déploie et s'élance,
Pleine d'éclairs subits qu'on croirait des flambeaux
Allumés à la hâte, éteints à l'improviste,
Promenés par des bras tendus vers une piste.
Par les âpres sentiers qui tournent dans le val,
Laissant à chaque pas trébucher son cheval,
Hemrick, le veuf, encor ferme et haut sur la selle,
Pâle, et les yeux là-bas fixés sur l'occident,
Regagne sans valet sa demeure; et pendant
Que tout près d'éclater l'orage s'amoncelle
Sur sa tête, il écoute en lui, profondément,
Retentir les échos d'un vaste ébranlement.
Car dans son âme, ainsi qu'un mineur dans la mine
Entre d'étroits couloirs rampe, creuse et chemine,
Et depuis très longtemps, la lampe sourde au poing
Ou le pic dur levé, se dévoue à sa tâche,
S'acharne sur le roc, frappe, écarte et détache
Quelque bloc descellé qu'on ne remplace point,
Dans son âme dardant des lumières livides,
Un soupçon a creusé de lamentables vides.
Ah! Que de jours maudits et que de nuits bien plus
Maudites l'ont étreint dans un flux et reflux
De doutes, de stupeurs, de luttes, d'agonies,
Depuis le premier coup mystérieux porté
Dans sa douleur pieuse et dans sa loyauté!
Depuis que, pour blêmir au glas des insomnies,
Il suivait l'invisible et fatal promeneur
Sapant tout ce qui fut sa gloire et son bonheur!
Sa confiance était comme un sol granitique
Où ses pensers, hautains ainsi qu'un bois antique,
Pleins d'une sève auguste, et les rameaux unis,
En défiant l'acier des haches assassines,
Puissamment agrafés, enfonçaient leurs racines;
Visités par la mort, et désormais sans nids;
Saignant de tous côtés comme des troncs d'érables;
Tristes, mais beaux toujours, brisés, mais vénérables.
L'odieux travailleur aux efforts grandissants
Avait si bien repris son oeuvre en tous les sens;
Il avait tant rongé, tant fouillé sans relâche
Les précieux filons du trésor souterrain;
Tant perforé la voûte avec son bec d'airain;
Tant crié vers le jour d'une voix rauque et lâche,
Que le jour s'était fait dans un énorme puits,
Et que tout un passé s'abîmait sans appuis.
Avec un grand fracas de ramures penchées
Qui s'effondrent, froissant leurs feuilles desséchées,
Tout croulait à la fois dans l'espace béant,
Et l'honneur, et l'amour, et l'amitié, - chimères!
Tout, tout, jusqu'à l'espoir des vindictes amères,
Tout avait disparu dans l'antre du néant;
Et la foudre pouvait choisir Hemrick pour cible :
Il n'était déjà plus qu'un sépulcre insensible.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Hemrick, le Veuf
II
Partout où se croisant pour les muets combats
Les regards dans les coeurs se plongent ici-bas;
Dans tous les temps, sous tout climat, sur tout rivage,
C'est la loi qu'à son tour, éperdu, terrassé
Par le voluptueux désir qui l'a blessé,
L'orgueil d'un front viril, enivré d'esclavage,
S'est laissé choir aux pieds d'une fille aux beaux yeux
Qui l'écrase en jouant, sphinx alerte et joyeux.
Ais si jamais amour fut l'aurore d'un songe
Immortel, un serment sembla moins un mensonge;
Si jamais un regard, un sourire, une voix,
Furent clarté, reflet divin, son angélique;
Si jamais, comme au fond d'un temple une relique,
Une vierge adorée eut un riche pavois,
Ce furent ton amour, ton serment, ton visage,
Ce fut toi, Myriann, idole au faux présage!
Et de tous ceux enfin domptés par le tourment
Qui fait d'un homme libre un misérable amant,
Tel qu'un vaincu qui tombe à genoux sans cuirasse,
Lui-même devant tous prompt à se désarmer,
De ceux-là dont le mal est de croire et d'aimer,
Qui donc, portant plus haut la fierté de sa race,
L'humilia plus bas que Hemrick, devant toi,
Myriann! Plus docile et courbé sous ta loi?
Lui, le breton épris des hasards, dont l'épée
Sans cesse étincelait à quelque oeuvre occupée;
Lui, l'altier successeur d'aïeux vindicatifs,
Qui méprisait l'amour et haïssait les chaînes,
On le vit, oubliant sa superbe et ses haines,
N'avoir d'autres soucis que tes désirs furtifs,
Que l'ombre de ton front chassée, ou d'autre ivresse
Que de faire à ta vie un rempart de tendresse!
Dix ans, tu lui souris, sans que ta douce main,
Comme pour lui cacher l'anneau d'or de l'hymen,
Ait une fois tremblé de crainte dans la sienne!
Sans qu'à ta lèvre rose ou qu'à ta joue en fleur
Résidât le silence ou courût la pâleur
D'un remords né la veille ou d'une faute ancienne;
Et les lacs bleus des bois entre les joncs luisants
Sont moins clairs que tes yeux ne furent clairs, dix ans!
Et quelle âme, elle-même à ce point avilie,
A ce point se traînant dans l'écume et la lie
Des mystères impurs de ce monde pervers,
Aurait pu, même une heure, un seul instant jalouse,
Pour y lire les mots qu'enfouit une épouse,
Regarder par delà ton front lisse, à travers
Le limpide cristal de ton amour, ô femme!
Sans reculer bien vite et se sentir infâme?
Loin des villes, d'ailleurs, hérissant ses trois tours,
Le manoir de Hemrick, ancien nid de vautours,
Avait le vieux renom de se fermer aux fêtes;
Et tous deux, le front ceint de rayons, coutumiers
De solitude et d'ombre, et de paix, vous aimiez,
Couple heureux, à sentir vos âmes satisfaites,
Au murmure tranquille et sacré des forêts,
Se confondre au réveil des calices plus frais.
Mais non, Hemrick! Ton âme ardente était de celles
Où le même foyer fait deux parts d'étincelles,
Qui brûlantes d'amour, sont chaudes d'amitié;
Ton âme était le champ dont le sillon immense
Pour les doubles moissons se trace et s'ensemence;
Et chaque jour ainsi tu donnais la moitié
De toi-même à l'ami loyal, au frère d'armes,
Mort aussi, pour rouvrir la source de tes larmes!
O morts! Couchés là-bas sous le plomb bien scellé,
Dans votre lit bien clos, sans serrure t sans clé,
Dormez l'un après l'autre à la garde des anges,
Complices embaumés d'un fraternel regret!
Car avec vous descend dans la fosse un secret
Dont les vers vont nourrir leurs discrètes phalanges;
Et celui qui là-haut n'en avait rien compris
N'en connaîtra jamais l'inexigible prix.
Lui, survit, foudroyé par deux fois, solitaire,
Inerte, inconsolable; et toujours vers la terre,
Du matin morne au soir lugubre, l'oeil baissé,
Il reprend le chemin du cher pèlerinage;
Et sa double douleur augmente avec son âge;
Et vos traits qu'il évoque émergent du passé
Plus glorieux, plus beaux, plus purs, ineffaçables,
O morts! Qu'il a lui-même étendus sous les sables!
Morts bénis, allongeant vos membres décharnés!
Si pour la trahison vous êtes jadis nés,
Vous avez savamment vécu la tête haute;
Et n'ayant point monté les cavales sans mors
Des passions sans crainte et sans pudeur, ô morts!
Ayant vaincu la vie, oubliez votre faute,
Confiants tous les deux, abrités, n'est-ce pas?
Dans l'ombre impénétrable et lourde du trépas!
Hemrick! C'est trop longtemps te complaire au supplice
Des pleurs sur les tombeaux, du blasphème qui plisse
Ton front qu'un orgueilleux bonheur avait sculpté!
Viens! Penche-toi; souris vers la blonde auréole
De ce frêle orphelin qui t'implore, symbole
De l'amour renaissant de sa fragilité,
Consolateur suprême, adorable héritage,
Où ton désir s'obstine à revoir une image!
Mais il marche, l'enfant qui jouait au berceau
Quand la mère en tes bras se roidit, sous le sceau
De la mort étendant sa main séparatrice;
Et tu cherches toujours, d'un regard jamais las,
Dans son jeune regard l'ancien azur, hélas!
Chaque jour, ravivant ta large cicatrice,
Tu cherches sur sa lèvre un écho d'autrefois,
Tu tressailles d'entendre, hélas! Une autre voix!
Hélas! Ceux qui sont nés sous de sombres auspices
Ne se rendront jamais les étoiles propices!
Et pour toi l'avenir a de plus durs arrêts;
Et tu la fermeras, ta bouche palpitante
Dans la longue prière et l'inféconde attente!
Car il était écrit que tu ne vieillirais,
Père aux espoirs frustrés, aux caresses déçues,
Que pour le choc plus fort des célestes massues!
Il grandit; et voilà que déjà dans ses jeux
S'allume en son oeil fixe un éclair courageux;
Que sa fierté s'essaie à des accents plus mâles;
Et, tout à coup, plus prompt que la flèche qui part,
Le reflet d'un visage, un jour, de part en part,
A traversé ta moelle et figé tes chairs pâles,
Frémissantes, après, d'avoir bien entendu
Le son d'une autre voix dont le souffle est perdu!
Tu pâlis, tu frémis par instinct; tout ton être,
Au bord d'un précipice insondable, peut-être
A tremblé d'accueillir l'affreux pressentiment;
Mais pour chasser bien loin cette pensée obscure,
Basse comme un affront fait à la sépulture
D'un ami pour jamais sans voix, fébrilement,
Sans qu'il lui fût permis de germer ni d'éclore,
Tu l'arrachas, confuse à tes tempes encore!
Va! Tu la rejetais de tes tempes en vain!
Car il est entre tous un infernal levain
De martyres sans nom, sans pitié ni remède,
Un philtre qui bouillonne et dévore les coeurs,
Surpassant le venin des terribles liqueurs
Que la hutte sauvage en avare possède;
Et, pour empoisonner un homme, un seul instant
Lui suffit, et c'est trop d'un symptôme flottant.
Tu t'indignes en vain; en vain tu te récries
Et demandes pardon à leurs cendres chéries!
Car un appel de jour en jour plus triomphant
T'attire et te retourne anxieux, et te cloue,
Muet, tordu d'angoisse et la glace à la joue,
éloigné de ton fils, du fatidique enfant
De la morte, et te force à saisir au passage
On ne sait quel vivace et plus sûr témoignage!
Est-ce bien là ton fils, l'innocent qui grandit
Dans tes salles? Celui que toi, père maudit,
Tu contemples, hagard de voir que dans son geste
Se trace d'heure en heure un vivant souvenir,
Que sur sa lèvre un pli connu va revenir,
Que le feu d'un regard inoubliable reste
Sous son front, et qu'enfin, dans l'étrange héritier,
Un mort semble vouloir revivre tout entier!
Loyal, certe, et fidèle, et brave, et magnanime,
Soit parmi les clameurs du combat qu'il ranime,
Soit pacifique, au seuil de l'hôte hospitalier,
Serein, et la main ferme entre ta main qu'il serre,
Jeune et beau, fort et doux, et pour chacun sincère,
Il l'était autrefois, avant de sommeiller
Sous les cyprès aussi, là-bas, rigide et grave,
Loué par l'épitaphe où a douleur se grave!
S'ils souffrent en damnés, les jaloux, quel que fût
L'indice qui les tient embusqués à l'affût;
Tous ceux qui de cléments deviennent sanguinaires,
Pareils aux sectateurs des molochs altérés,
Aux tigres bondissants hors des épais fourrés,
Que souffrent-ils donc, ceux qui, pleins de sourds tonnerres,
Affamés de carnage et masquant leur flambeau,
heurtent leurs poings crispés aux pierres d'un tombeau!
Ah! Crispés sont tes poings! Et sous ton crâne chauve
Effrayants sont tes yeux dans leur cavité fauve,
Chaque fois qu'éperdu de ton lâche dessein,
Compulsant ta mémoire aux fidèles archives,
Suscitant un par un dans tes marches pensives
Les fantômes du mort, du compagnon serein,
Tu les vois s 4 ajuster sur le fils qui t'embrasse!
Et t'apparaître tous incarnés dans ta race!
Sous ton toit qu'ont quitté tes anciens serviteurs,
Où tu dardes, blanchi, tes yeux inquisiteurs,
Elle éclate à la fin, l'atroce ressemblance
Dont mille fois, la nuit, comme un vil espion,
Tu surpris, lampe en main, la lente éclosion,
Labourant sous tes doigts ta poitrine en silence,
Pour ne pas réveiller l'inconscient témoin
D'un crime enseveli sous les ombres au loin!
Elle éclate à la fin, et t'obsède et te brave,
En ce jeune homme fier, et magnanime, et brave,
Et loyal, et sincère, à qui tu n'accordas
Depuis longtemps déjà qu'un amour fait de haine;
Et s'il parle, ton sang bout et gonfle ta veine;
Et s'il veut t'embrasser, tu crois revoir Judas;
Et dès qu'il te sourit, tu dresses vers les tombes
Un bras impatient de doubles hécatombes!
Vastes ou non, polis ou froids, bleus, gris ou noirs,
Si les yeux contemplés sont vraiment des miroirs,
C'est que seul il s'y voit, celui qui les regarde;
Et dans ceux de l'épouse et dans ceux de l'ami
Si jamais tu n'as vu le reptile ennemi,
C'est qu'autour de ton âme il faisait bonne garde,
L'ange qu'à sa défense avait placé l'orgueil,
Et que nul sifflement n'en franchissait le seuil.
Dans la coupe où jadis débordait l'ambroisie,
Tu le sais, à présent, combien l'hypocrisie,
Sans défaillir peut-être et dès les premiers jours,
Savait mêler pour toi l'invisible ciguë;
Et combien peut la honte être aisément vaincue,
Et le plus long mensonge être sans remords lourds,
Et l'étreinte dernière être encor calculée,
Pour ceux-là dont l'extase était l'heure volée!
Et cependant, - telle est notre nature, tel
Son besoin d'une idole et son besoin d'autel, -
Malgré la ressemblance où ta stupeur s'abreuve,
Tu te reprends quand même à douter par moment,
A t'écrier parfois dans ta ferveur : « Il ment!
Le jeune homme pervers, l'accusateur sans preuve,
Le fils dénaturé qui souille à lui tout seul
Sa mère au front sans tache à travers un linceul! »
Mais quand alors, ainsi qu'un justicier farouche,
La narine renflée, et l'écume à la bouche,
Prêt à bondir devant ce jeune homme étonné,
Et ton choix déjà fait sur quelque panoplie,
Tu ramènes ton bras avant l'oeuvre accomplie,
Qui pourrait lire au fond de l'élan refréné,
Si c'est l'accusateur de la morte, ou lui-même,
L'autre mort, que tu veux frapper dans son emblème!
La preuve irrécusable, elle est là, devant toi!
Celle qui déserta ton honneur et sa foi,
Aurait-elle avoué sa faute et sa traîtrise
Au prêtre murmurant son bréviaire banal;
Ce prêtre, sans respect pour le saint tribunal,
T'aurait-il tout redit par peur ou par surprise,
Ah! De quel poids nouveau pèseraient ses aveux,
Et quel frisson plus grand courrait dans tes cheveux?
Des témoins? Il en est qu'on menace ou soudoie!
Un imposteur, afin que bien mieux on le croie,
Peut dans un coffret d'or habilement caché
Flétrir sur le vélin la plus chaste mémoire,
Et trouver le moment, le mur creux ou l'armoire;
Au spectre qu'en sa couche un remords a touché
Et qui parle aux vivants d'une oeuvre expiatoire,
On peut crier : je rêve une impossible histoire!
Mais lui, le propre fruit du ténébreux forfait,
Bien plus haut mille fois que jamais n'eussent fait
Témoin, coffre qu'on brise, éphémère statue,
Ce revenant réel, fait de chair et de sang,
Nuit et jour il raconte un amour si puissant,
Que l'amant dans sa forme en lui se perpétue
Et témoigne, et t'accable, et t'insulte, et se rit
Du vertige où tournoie et sombre ton esprit.
Oui, c'était bien le fils du compagnon coupable,
C'était le compagnon lui-même - horreur palpable! -
Qui s'était devant toi redressé, trait pour trait,
Comme un ressuscité qu'a rajeuni la bière,
Ce matin-là, debout, calme dans la lumière,
Cynique dans son crime au châtiment soustrait!
Et pour ne pas céder aux démences soudaines,
Tu t'es enfui livide, au hasard, par les plaines.
Tout le jour, à travers landes, vallons et bois,
Plein de larmes, ainsi qu'un vieux cerf aux abois,
Poursuivi par la meute ardente et découplée
Des jours heureux chantant dans ton long désespoir,
La soif inextinguible au gosier, jusqu'au soir,
A travers la campagne ironique et peuplée
De visions d'amants qui rapprochent leurs fronts,
Tu passas, tu rougis tes fiévreux éperons!
-vengeance! Cri féroce et stupide espérance,
Qui dans l'affolement d'une horrible souffrance
Sors partout et toujours d'un coeur d'homme jaloux!
A quel rêve jamais as-tu rendu la vie?
Et qui donc, ta rancune une fois assouvie,
Dans un sein ruisselant toujours par mille trous
N'enfonce point encor ses dix ongles avides,
Conseillère sanglante aux promesses perfides?
Tout le jour, dans ses yeux au brouillard épaissi,
Dans sa cervelle en proie aux griffes sans merci,
Tu t'élanças du fond des soupirs et des râles;
Tu rugis dans sa voix qui frappa sans repos
Au loin sur la nature en paix et sans échos,
Vengeance! Toi qu'on montre aux murs des cathédrales,
Inutile transport des hommes furieux!
Divine volupté, qui mens, comme les dieux!
Ils dorment tous les deux, là-bas, au cimetière!
Pour la noble victime et pour sa soif entière
Ils n'ont plus de frayeur, ni de sang, ni de chairs!
Et l'outragé ne peut que reboire sa honte!
Et quand un flot de pourpre à sa face remonte,
Il doit laisser tomber son poignard sans éclairs,
Et laisser faire à Dieu, qui pèse, compte et juge,
Et contre qui les morts n'auront pas de refuge!
S'ils étaient là, tout près, les voleurs de son nom,
Les bourreaux souriants, que ferait-il? Sinon
Les écraser ensemble et d'un seul coup, sur l'heure,
Ainsi que deux serpents sur le bord du chemin.
Que pourrait-il de plus demander à sa main,
Que de fermer leurs yeux où la lâcheté pleure
Avec la grande nuit qui déjà les a faits,
Peut-être pour toujours, unis et satisfaits?
Mais qu'importe qu'un couple épié prie et meure,
Si l'angoisse pour l'autre est pareille, et demeure
A jamais, si l'amour trahi hurle à jamais!
Voilà pourquoi, murée en sa rage impuissante,
L'âme du veuf, au soir, errait, morne passante,
Irréparablement déserte désormais,
Sans rien voir, sans entendre autour d'elle autre chose
Que son effondrement dans la nuit vaste et close.
Partout où se croisant pour les muets combats
Les regards dans les coeurs se plongent ici-bas;
Dans tous les temps, sous tout climat, sur tout rivage,
C'est la loi qu'à son tour, éperdu, terrassé
Par le voluptueux désir qui l'a blessé,
L'orgueil d'un front viril, enivré d'esclavage,
S'est laissé choir aux pieds d'une fille aux beaux yeux
Qui l'écrase en jouant, sphinx alerte et joyeux.
Ais si jamais amour fut l'aurore d'un songe
Immortel, un serment sembla moins un mensonge;
Si jamais un regard, un sourire, une voix,
Furent clarté, reflet divin, son angélique;
Si jamais, comme au fond d'un temple une relique,
Une vierge adorée eut un riche pavois,
Ce furent ton amour, ton serment, ton visage,
Ce fut toi, Myriann, idole au faux présage!
Et de tous ceux enfin domptés par le tourment
Qui fait d'un homme libre un misérable amant,
Tel qu'un vaincu qui tombe à genoux sans cuirasse,
Lui-même devant tous prompt à se désarmer,
De ceux-là dont le mal est de croire et d'aimer,
Qui donc, portant plus haut la fierté de sa race,
L'humilia plus bas que Hemrick, devant toi,
Myriann! Plus docile et courbé sous ta loi?
Lui, le breton épris des hasards, dont l'épée
Sans cesse étincelait à quelque oeuvre occupée;
Lui, l'altier successeur d'aïeux vindicatifs,
Qui méprisait l'amour et haïssait les chaînes,
On le vit, oubliant sa superbe et ses haines,
N'avoir d'autres soucis que tes désirs furtifs,
Que l'ombre de ton front chassée, ou d'autre ivresse
Que de faire à ta vie un rempart de tendresse!
Dix ans, tu lui souris, sans que ta douce main,
Comme pour lui cacher l'anneau d'or de l'hymen,
Ait une fois tremblé de crainte dans la sienne!
Sans qu'à ta lèvre rose ou qu'à ta joue en fleur
Résidât le silence ou courût la pâleur
D'un remords né la veille ou d'une faute ancienne;
Et les lacs bleus des bois entre les joncs luisants
Sont moins clairs que tes yeux ne furent clairs, dix ans!
Et quelle âme, elle-même à ce point avilie,
A ce point se traînant dans l'écume et la lie
Des mystères impurs de ce monde pervers,
Aurait pu, même une heure, un seul instant jalouse,
Pour y lire les mots qu'enfouit une épouse,
Regarder par delà ton front lisse, à travers
Le limpide cristal de ton amour, ô femme!
Sans reculer bien vite et se sentir infâme?
Loin des villes, d'ailleurs, hérissant ses trois tours,
Le manoir de Hemrick, ancien nid de vautours,
Avait le vieux renom de se fermer aux fêtes;
Et tous deux, le front ceint de rayons, coutumiers
De solitude et d'ombre, et de paix, vous aimiez,
Couple heureux, à sentir vos âmes satisfaites,
Au murmure tranquille et sacré des forêts,
Se confondre au réveil des calices plus frais.
Mais non, Hemrick! Ton âme ardente était de celles
Où le même foyer fait deux parts d'étincelles,
Qui brûlantes d'amour, sont chaudes d'amitié;
Ton âme était le champ dont le sillon immense
Pour les doubles moissons se trace et s'ensemence;
Et chaque jour ainsi tu donnais la moitié
De toi-même à l'ami loyal, au frère d'armes,
Mort aussi, pour rouvrir la source de tes larmes!
O morts! Couchés là-bas sous le plomb bien scellé,
Dans votre lit bien clos, sans serrure t sans clé,
Dormez l'un après l'autre à la garde des anges,
Complices embaumés d'un fraternel regret!
Car avec vous descend dans la fosse un secret
Dont les vers vont nourrir leurs discrètes phalanges;
Et celui qui là-haut n'en avait rien compris
N'en connaîtra jamais l'inexigible prix.
Lui, survit, foudroyé par deux fois, solitaire,
Inerte, inconsolable; et toujours vers la terre,
Du matin morne au soir lugubre, l'oeil baissé,
Il reprend le chemin du cher pèlerinage;
Et sa double douleur augmente avec son âge;
Et vos traits qu'il évoque émergent du passé
Plus glorieux, plus beaux, plus purs, ineffaçables,
O morts! Qu'il a lui-même étendus sous les sables!
Morts bénis, allongeant vos membres décharnés!
Si pour la trahison vous êtes jadis nés,
Vous avez savamment vécu la tête haute;
Et n'ayant point monté les cavales sans mors
Des passions sans crainte et sans pudeur, ô morts!
Ayant vaincu la vie, oubliez votre faute,
Confiants tous les deux, abrités, n'est-ce pas?
Dans l'ombre impénétrable et lourde du trépas!
Hemrick! C'est trop longtemps te complaire au supplice
Des pleurs sur les tombeaux, du blasphème qui plisse
Ton front qu'un orgueilleux bonheur avait sculpté!
Viens! Penche-toi; souris vers la blonde auréole
De ce frêle orphelin qui t'implore, symbole
De l'amour renaissant de sa fragilité,
Consolateur suprême, adorable héritage,
Où ton désir s'obstine à revoir une image!
Mais il marche, l'enfant qui jouait au berceau
Quand la mère en tes bras se roidit, sous le sceau
De la mort étendant sa main séparatrice;
Et tu cherches toujours, d'un regard jamais las,
Dans son jeune regard l'ancien azur, hélas!
Chaque jour, ravivant ta large cicatrice,
Tu cherches sur sa lèvre un écho d'autrefois,
Tu tressailles d'entendre, hélas! Une autre voix!
Hélas! Ceux qui sont nés sous de sombres auspices
Ne se rendront jamais les étoiles propices!
Et pour toi l'avenir a de plus durs arrêts;
Et tu la fermeras, ta bouche palpitante
Dans la longue prière et l'inféconde attente!
Car il était écrit que tu ne vieillirais,
Père aux espoirs frustrés, aux caresses déçues,
Que pour le choc plus fort des célestes massues!
Il grandit; et voilà que déjà dans ses jeux
S'allume en son oeil fixe un éclair courageux;
Que sa fierté s'essaie à des accents plus mâles;
Et, tout à coup, plus prompt que la flèche qui part,
Le reflet d'un visage, un jour, de part en part,
A traversé ta moelle et figé tes chairs pâles,
Frémissantes, après, d'avoir bien entendu
Le son d'une autre voix dont le souffle est perdu!
Tu pâlis, tu frémis par instinct; tout ton être,
Au bord d'un précipice insondable, peut-être
A tremblé d'accueillir l'affreux pressentiment;
Mais pour chasser bien loin cette pensée obscure,
Basse comme un affront fait à la sépulture
D'un ami pour jamais sans voix, fébrilement,
Sans qu'il lui fût permis de germer ni d'éclore,
Tu l'arrachas, confuse à tes tempes encore!
Va! Tu la rejetais de tes tempes en vain!
Car il est entre tous un infernal levain
De martyres sans nom, sans pitié ni remède,
Un philtre qui bouillonne et dévore les coeurs,
Surpassant le venin des terribles liqueurs
Que la hutte sauvage en avare possède;
Et, pour empoisonner un homme, un seul instant
Lui suffit, et c'est trop d'un symptôme flottant.
Tu t'indignes en vain; en vain tu te récries
Et demandes pardon à leurs cendres chéries!
Car un appel de jour en jour plus triomphant
T'attire et te retourne anxieux, et te cloue,
Muet, tordu d'angoisse et la glace à la joue,
éloigné de ton fils, du fatidique enfant
De la morte, et te force à saisir au passage
On ne sait quel vivace et plus sûr témoignage!
Est-ce bien là ton fils, l'innocent qui grandit
Dans tes salles? Celui que toi, père maudit,
Tu contemples, hagard de voir que dans son geste
Se trace d'heure en heure un vivant souvenir,
Que sur sa lèvre un pli connu va revenir,
Que le feu d'un regard inoubliable reste
Sous son front, et qu'enfin, dans l'étrange héritier,
Un mort semble vouloir revivre tout entier!
Loyal, certe, et fidèle, et brave, et magnanime,
Soit parmi les clameurs du combat qu'il ranime,
Soit pacifique, au seuil de l'hôte hospitalier,
Serein, et la main ferme entre ta main qu'il serre,
Jeune et beau, fort et doux, et pour chacun sincère,
Il l'était autrefois, avant de sommeiller
Sous les cyprès aussi, là-bas, rigide et grave,
Loué par l'épitaphe où a douleur se grave!
S'ils souffrent en damnés, les jaloux, quel que fût
L'indice qui les tient embusqués à l'affût;
Tous ceux qui de cléments deviennent sanguinaires,
Pareils aux sectateurs des molochs altérés,
Aux tigres bondissants hors des épais fourrés,
Que souffrent-ils donc, ceux qui, pleins de sourds tonnerres,
Affamés de carnage et masquant leur flambeau,
heurtent leurs poings crispés aux pierres d'un tombeau!
Ah! Crispés sont tes poings! Et sous ton crâne chauve
Effrayants sont tes yeux dans leur cavité fauve,
Chaque fois qu'éperdu de ton lâche dessein,
Compulsant ta mémoire aux fidèles archives,
Suscitant un par un dans tes marches pensives
Les fantômes du mort, du compagnon serein,
Tu les vois s 4 ajuster sur le fils qui t'embrasse!
Et t'apparaître tous incarnés dans ta race!
Sous ton toit qu'ont quitté tes anciens serviteurs,
Où tu dardes, blanchi, tes yeux inquisiteurs,
Elle éclate à la fin, l'atroce ressemblance
Dont mille fois, la nuit, comme un vil espion,
Tu surpris, lampe en main, la lente éclosion,
Labourant sous tes doigts ta poitrine en silence,
Pour ne pas réveiller l'inconscient témoin
D'un crime enseveli sous les ombres au loin!
Elle éclate à la fin, et t'obsède et te brave,
En ce jeune homme fier, et magnanime, et brave,
Et loyal, et sincère, à qui tu n'accordas
Depuis longtemps déjà qu'un amour fait de haine;
Et s'il parle, ton sang bout et gonfle ta veine;
Et s'il veut t'embrasser, tu crois revoir Judas;
Et dès qu'il te sourit, tu dresses vers les tombes
Un bras impatient de doubles hécatombes!
Vastes ou non, polis ou froids, bleus, gris ou noirs,
Si les yeux contemplés sont vraiment des miroirs,
C'est que seul il s'y voit, celui qui les regarde;
Et dans ceux de l'épouse et dans ceux de l'ami
Si jamais tu n'as vu le reptile ennemi,
C'est qu'autour de ton âme il faisait bonne garde,
L'ange qu'à sa défense avait placé l'orgueil,
Et que nul sifflement n'en franchissait le seuil.
Dans la coupe où jadis débordait l'ambroisie,
Tu le sais, à présent, combien l'hypocrisie,
Sans défaillir peut-être et dès les premiers jours,
Savait mêler pour toi l'invisible ciguë;
Et combien peut la honte être aisément vaincue,
Et le plus long mensonge être sans remords lourds,
Et l'étreinte dernière être encor calculée,
Pour ceux-là dont l'extase était l'heure volée!
Et cependant, - telle est notre nature, tel
Son besoin d'une idole et son besoin d'autel, -
Malgré la ressemblance où ta stupeur s'abreuve,
Tu te reprends quand même à douter par moment,
A t'écrier parfois dans ta ferveur : « Il ment!
Le jeune homme pervers, l'accusateur sans preuve,
Le fils dénaturé qui souille à lui tout seul
Sa mère au front sans tache à travers un linceul! »
Mais quand alors, ainsi qu'un justicier farouche,
La narine renflée, et l'écume à la bouche,
Prêt à bondir devant ce jeune homme étonné,
Et ton choix déjà fait sur quelque panoplie,
Tu ramènes ton bras avant l'oeuvre accomplie,
Qui pourrait lire au fond de l'élan refréné,
Si c'est l'accusateur de la morte, ou lui-même,
L'autre mort, que tu veux frapper dans son emblème!
La preuve irrécusable, elle est là, devant toi!
Celle qui déserta ton honneur et sa foi,
Aurait-elle avoué sa faute et sa traîtrise
Au prêtre murmurant son bréviaire banal;
Ce prêtre, sans respect pour le saint tribunal,
T'aurait-il tout redit par peur ou par surprise,
Ah! De quel poids nouveau pèseraient ses aveux,
Et quel frisson plus grand courrait dans tes cheveux?
Des témoins? Il en est qu'on menace ou soudoie!
Un imposteur, afin que bien mieux on le croie,
Peut dans un coffret d'or habilement caché
Flétrir sur le vélin la plus chaste mémoire,
Et trouver le moment, le mur creux ou l'armoire;
Au spectre qu'en sa couche un remords a touché
Et qui parle aux vivants d'une oeuvre expiatoire,
On peut crier : je rêve une impossible histoire!
Mais lui, le propre fruit du ténébreux forfait,
Bien plus haut mille fois que jamais n'eussent fait
Témoin, coffre qu'on brise, éphémère statue,
Ce revenant réel, fait de chair et de sang,
Nuit et jour il raconte un amour si puissant,
Que l'amant dans sa forme en lui se perpétue
Et témoigne, et t'accable, et t'insulte, et se rit
Du vertige où tournoie et sombre ton esprit.
Oui, c'était bien le fils du compagnon coupable,
C'était le compagnon lui-même - horreur palpable! -
Qui s'était devant toi redressé, trait pour trait,
Comme un ressuscité qu'a rajeuni la bière,
Ce matin-là, debout, calme dans la lumière,
Cynique dans son crime au châtiment soustrait!
Et pour ne pas céder aux démences soudaines,
Tu t'es enfui livide, au hasard, par les plaines.
Tout le jour, à travers landes, vallons et bois,
Plein de larmes, ainsi qu'un vieux cerf aux abois,
Poursuivi par la meute ardente et découplée
Des jours heureux chantant dans ton long désespoir,
La soif inextinguible au gosier, jusqu'au soir,
A travers la campagne ironique et peuplée
De visions d'amants qui rapprochent leurs fronts,
Tu passas, tu rougis tes fiévreux éperons!
-vengeance! Cri féroce et stupide espérance,
Qui dans l'affolement d'une horrible souffrance
Sors partout et toujours d'un coeur d'homme jaloux!
A quel rêve jamais as-tu rendu la vie?
Et qui donc, ta rancune une fois assouvie,
Dans un sein ruisselant toujours par mille trous
N'enfonce point encor ses dix ongles avides,
Conseillère sanglante aux promesses perfides?
Tout le jour, dans ses yeux au brouillard épaissi,
Dans sa cervelle en proie aux griffes sans merci,
Tu t'élanças du fond des soupirs et des râles;
Tu rugis dans sa voix qui frappa sans repos
Au loin sur la nature en paix et sans échos,
Vengeance! Toi qu'on montre aux murs des cathédrales,
Inutile transport des hommes furieux!
Divine volupté, qui mens, comme les dieux!
Ils dorment tous les deux, là-bas, au cimetière!
Pour la noble victime et pour sa soif entière
Ils n'ont plus de frayeur, ni de sang, ni de chairs!
Et l'outragé ne peut que reboire sa honte!
Et quand un flot de pourpre à sa face remonte,
Il doit laisser tomber son poignard sans éclairs,
Et laisser faire à Dieu, qui pèse, compte et juge,
Et contre qui les morts n'auront pas de refuge!
S'ils étaient là, tout près, les voleurs de son nom,
Les bourreaux souriants, que ferait-il? Sinon
Les écraser ensemble et d'un seul coup, sur l'heure,
Ainsi que deux serpents sur le bord du chemin.
Que pourrait-il de plus demander à sa main,
Que de fermer leurs yeux où la lâcheté pleure
Avec la grande nuit qui déjà les a faits,
Peut-être pour toujours, unis et satisfaits?
Mais qu'importe qu'un couple épié prie et meure,
Si l'angoisse pour l'autre est pareille, et demeure
A jamais, si l'amour trahi hurle à jamais!
Voilà pourquoi, murée en sa rage impuissante,
L'âme du veuf, au soir, errait, morne passante,
Irréparablement déserte désormais,
Sans rien voir, sans entendre autour d'elle autre chose
Que son effondrement dans la nuit vaste et close.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Hemrick, le Veuf
III
Et l'orage est prochain sur tous les horizons
Des gorges de Carnac aux sauvages gazons;
Aux vieux troncs caverneux se montrant leurs blessures;
Aux grands dolmens rangés dans la brume, tout droits;
Aux flaques de sang vif qui fume par endroits,
Où, comme un assassin couvert d'éclaboussures,
Le soleil, au sortir du tragique plateau,
Jette derrière lui son criminel manteau.
Semblables à des bras tendus, pleins de colère,
Rétrécissant leur vol rapide et circulaire,
Des nuages armés de feux, très bas et noirs,
Accourent; de partout la foudre furibonde
éclate et rebondit de seconde en seconde;
Et la nuit violente ouvrant ses réservoirs,
Verse avec tous les bruits convulsifs des tempêtes
La terreur aux bergers et la folie aux bêtes.
Et comme un endormi flagellé tout à coup,
Hemrick sur l'étrier se releva debout,
Blafard, la droite haute, et le buste en arrière;
Et tandis qu'emporté par son vieil étalon,
Il passait, l'oeil sanglant, à travers un vallon
Qu'étoilaient, sous le ciel fendu, des croix de pierre,
Un sanglot surhumain, un cri désespéré,
Vers les morts s'exhala de son coeur déchiré :
« Non! Malgré les six pieds de terre sur vos restes,
Malgré vos ossements en poudre, ô morts funestes!
Cria-t-il; dût ma voix implacable, plus haut
Que le tonnerre, ici rouler sans fin! Dussé-je
User à votre porte un poignet sacrilège,
Vous ne dormirez point ce soir, traîtres! Il faut
Que vous vous réveilliez! Il faut que vos oreilles
S'emplissent pour toujours de l'horreur de mes veilles!
« Ah! Vous ne dormez pas! Et le long des cyprès,
Vos corps inassouvis approchés de plus près,
Comme ils m'apparaissaient dans mes lentes tortures
Errent au souvenir des printemps amoureux;
Et cette nuit terrible est sans effroi pour eux;
Et vous trompez aussi l'ange des sépultures!
Enlacés dans la pluie et la foudre et les vents,
Insensibles tous deux aux douleurs des vivants!
« Vous flottez devant moi, plus loin, lâches fantômes!
Amants parés de fleurs aux sinistres arômes!
Et pendant qu'à leur seuil d'herbe épaisse ou d'airain,
Sur les dalles qu'un pas insolite a heurtées,
Mille formes de morts se lèvent irritées;
Pendant qu'il vous poursuit, cet étalon sans frein,
Et que mon bras pour vous anéantir se dresse,
Vous ne daignez rien voir que votre propre ivresse!
« Eh! Bien! Puisque la vie enferme ma fureur,
Cette pointe impuissante entrera dans mon coeur!
Et que tout mon enfer s'éteigne, ou bien consume
Mon âme libre aussi de ses liens charnels;
Et que je sache enfin si les affreux appels
Des jaloux se tairont dans le sommeil posthume;
Si vous m'échapperez toujours! Et si jamais
Tu ne m'aimeras plus, Myriann, que j'aimais! »
- Et comme un bloc, Hemrick roula hors de la selle,
Une plaie à grands flots ruisselant sous l'aisselle,
Au bas d'un mausolée où son blason paraît;
Et la porte de bronze a dans la nuit fatale
Retenti sous son poing d'une voix sépulcrale;
Et le vieil étalon brusquement en arrêt,
Frappa d'un dur sabot sur le marbre sonore,
Blanc d'écume, le cou tendu, jusqu'à l'aurore!
Et l'orage est prochain sur tous les horizons
Des gorges de Carnac aux sauvages gazons;
Aux vieux troncs caverneux se montrant leurs blessures;
Aux grands dolmens rangés dans la brume, tout droits;
Aux flaques de sang vif qui fume par endroits,
Où, comme un assassin couvert d'éclaboussures,
Le soleil, au sortir du tragique plateau,
Jette derrière lui son criminel manteau.
Semblables à des bras tendus, pleins de colère,
Rétrécissant leur vol rapide et circulaire,
Des nuages armés de feux, très bas et noirs,
Accourent; de partout la foudre furibonde
éclate et rebondit de seconde en seconde;
Et la nuit violente ouvrant ses réservoirs,
Verse avec tous les bruits convulsifs des tempêtes
La terreur aux bergers et la folie aux bêtes.
Et comme un endormi flagellé tout à coup,
Hemrick sur l'étrier se releva debout,
Blafard, la droite haute, et le buste en arrière;
Et tandis qu'emporté par son vieil étalon,
Il passait, l'oeil sanglant, à travers un vallon
Qu'étoilaient, sous le ciel fendu, des croix de pierre,
Un sanglot surhumain, un cri désespéré,
Vers les morts s'exhala de son coeur déchiré :
« Non! Malgré les six pieds de terre sur vos restes,
Malgré vos ossements en poudre, ô morts funestes!
Cria-t-il; dût ma voix implacable, plus haut
Que le tonnerre, ici rouler sans fin! Dussé-je
User à votre porte un poignet sacrilège,
Vous ne dormirez point ce soir, traîtres! Il faut
Que vous vous réveilliez! Il faut que vos oreilles
S'emplissent pour toujours de l'horreur de mes veilles!
« Ah! Vous ne dormez pas! Et le long des cyprès,
Vos corps inassouvis approchés de plus près,
Comme ils m'apparaissaient dans mes lentes tortures
Errent au souvenir des printemps amoureux;
Et cette nuit terrible est sans effroi pour eux;
Et vous trompez aussi l'ange des sépultures!
Enlacés dans la pluie et la foudre et les vents,
Insensibles tous deux aux douleurs des vivants!
« Vous flottez devant moi, plus loin, lâches fantômes!
Amants parés de fleurs aux sinistres arômes!
Et pendant qu'à leur seuil d'herbe épaisse ou d'airain,
Sur les dalles qu'un pas insolite a heurtées,
Mille formes de morts se lèvent irritées;
Pendant qu'il vous poursuit, cet étalon sans frein,
Et que mon bras pour vous anéantir se dresse,
Vous ne daignez rien voir que votre propre ivresse!
« Eh! Bien! Puisque la vie enferme ma fureur,
Cette pointe impuissante entrera dans mon coeur!
Et que tout mon enfer s'éteigne, ou bien consume
Mon âme libre aussi de ses liens charnels;
Et que je sache enfin si les affreux appels
Des jaloux se tairont dans le sommeil posthume;
Si vous m'échapperez toujours! Et si jamais
Tu ne m'aimeras plus, Myriann, que j'aimais! »
- Et comme un bloc, Hemrick roula hors de la selle,
Une plaie à grands flots ruisselant sous l'aisselle,
Au bas d'un mausolée où son blason paraît;
Et la porte de bronze a dans la nuit fatale
Retenti sous son poing d'une voix sépulcrale;
Et le vieil étalon brusquement en arrêt,
Frappa d'un dur sabot sur le marbre sonore,
Blanc d'écume, le cou tendu, jusqu'à l'aurore!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
In Extremis
In Extremis
Son nom? - Tu veux savoir s'il fut illustre ou non?
Eh bien, je ne sais pas! Que peut te faire un nom!
Personne sur son front n'inscrit le nom qu'il porte!
C'était un homme, avec un nom. Mais que t'importe?
- Sa race? - Laissons là, crois-moi, tous ses aïeux!
L'âme de bien des morts tressaillait dans ses yeux;
Mais la sienne, à coup sûr, l'obsédait davantage.
C'était un homme, avec un très riche héritage
De désirs obstinés dans leur espoir têtu,
D'âmes vieilles pesant sur son âme, entends-tu!
Quant à l'autre blason qu'une race confère,
Il ne le montrait pas, et tu n'en as que faire.
- Sa patrie? - Insensé! Quelle est-elle ici-bas?
Lequel nous appartient le plus, des deux grabats
Où la vie ouvre et ferme à son gré sa spirale,
Du premier où l'on crie, et de l'autre où l'on râle?
La patrie! Est-ce un champ? Une île? Un astre entier?
Né dans un large lit, ou né dans un sentier,
C'était un homme avec la terre pour patrie,
Ou pour exil; un homme avec l'âme meurtrie!
- Son âge? - En sauras-tu plus long, si je le dis?
Ah! Le vieillard traînant ses membres engourdis,
Souvent, plus que le corps, a le coeur lourd d'années,
Et l'esprit éperdu sous les heures damnées
Plus encor que le coeur! Vois! Cherche son regard,
Et lis, si tu le peux, dans un rayon hagard,
Sous le double fardeau de l'angoisse amassée
Laquelle a plus vieilli, la chair ou la pensée!
Et quand le corps enfin a fait son dernier pas,
Il aspire au repos éternel, mais non pas
L'âme encor préparée aux étreintes futures!
C'était un homme, avec d'innombrables tortures
Dans la poitrine, et qui se couchait gravement,
Pour mourir, sous un ciel au louche flamboiement.
- Où donc? Dans quel pays? Dans quel siècle? - Tu railles!
As-tu peur de mourir loin de quatre murailles,
Sans amis, sans parents, sans pleurs, abandonné?
Et quand ton heure à toi de même aura sonné,
Me demanderas-tu, réponds, quelle frontière
Creusera ton sépulcre, et dans quel cimetière?
Dans quel siècle, as-tu dit? Va! Le malheur est vieux!
Et comme hier, demain, l'invisible envieux,
Toujours multipliant ses noires fantaisies,
Saura fouiller les flancs des victimes choisies.
Tant qu'il lui restera quelque hochet vivant,
Va! Le malheur toujours sera jeune et savant!
C'était un homme, avec ses luttes infinies,
Jouet depuis longtemps des lentes agonies,
Et qui, seul, une nuit, sur le dos renversé,
Râlait au coin d'un bois, au bord d'un dur fossé,
Sans prière, sans plainte aussi, les membres roides,
Et les yeux grands ouverts au fond des brumes froides!
Il suffit. Et la mort dans ses veines filtrait.
Mais avant d'expirer, voilà que, tout d'un trait,
Il revit devant lui passer l'horrible drame
De ses jours dont l'enfer avait tissé la trame.
Alors il dit : « Soyez demain plus odieux;
« J'ai le rêve et l'orgueil; je vous pardonne, ô dieux! »
Son nom? - Tu veux savoir s'il fut illustre ou non?
Eh bien, je ne sais pas! Que peut te faire un nom!
Personne sur son front n'inscrit le nom qu'il porte!
C'était un homme, avec un nom. Mais que t'importe?
- Sa race? - Laissons là, crois-moi, tous ses aïeux!
L'âme de bien des morts tressaillait dans ses yeux;
Mais la sienne, à coup sûr, l'obsédait davantage.
C'était un homme, avec un très riche héritage
De désirs obstinés dans leur espoir têtu,
D'âmes vieilles pesant sur son âme, entends-tu!
Quant à l'autre blason qu'une race confère,
Il ne le montrait pas, et tu n'en as que faire.
- Sa patrie? - Insensé! Quelle est-elle ici-bas?
Lequel nous appartient le plus, des deux grabats
Où la vie ouvre et ferme à son gré sa spirale,
Du premier où l'on crie, et de l'autre où l'on râle?
La patrie! Est-ce un champ? Une île? Un astre entier?
Né dans un large lit, ou né dans un sentier,
C'était un homme avec la terre pour patrie,
Ou pour exil; un homme avec l'âme meurtrie!
- Son âge? - En sauras-tu plus long, si je le dis?
Ah! Le vieillard traînant ses membres engourdis,
Souvent, plus que le corps, a le coeur lourd d'années,
Et l'esprit éperdu sous les heures damnées
Plus encor que le coeur! Vois! Cherche son regard,
Et lis, si tu le peux, dans un rayon hagard,
Sous le double fardeau de l'angoisse amassée
Laquelle a plus vieilli, la chair ou la pensée!
Et quand le corps enfin a fait son dernier pas,
Il aspire au repos éternel, mais non pas
L'âme encor préparée aux étreintes futures!
C'était un homme, avec d'innombrables tortures
Dans la poitrine, et qui se couchait gravement,
Pour mourir, sous un ciel au louche flamboiement.
- Où donc? Dans quel pays? Dans quel siècle? - Tu railles!
As-tu peur de mourir loin de quatre murailles,
Sans amis, sans parents, sans pleurs, abandonné?
Et quand ton heure à toi de même aura sonné,
Me demanderas-tu, réponds, quelle frontière
Creusera ton sépulcre, et dans quel cimetière?
Dans quel siècle, as-tu dit? Va! Le malheur est vieux!
Et comme hier, demain, l'invisible envieux,
Toujours multipliant ses noires fantaisies,
Saura fouiller les flancs des victimes choisies.
Tant qu'il lui restera quelque hochet vivant,
Va! Le malheur toujours sera jeune et savant!
C'était un homme, avec ses luttes infinies,
Jouet depuis longtemps des lentes agonies,
Et qui, seul, une nuit, sur le dos renversé,
Râlait au coin d'un bois, au bord d'un dur fossé,
Sans prière, sans plainte aussi, les membres roides,
Et les yeux grands ouverts au fond des brumes froides!
Il suffit. Et la mort dans ses veines filtrait.
Mais avant d'expirer, voilà que, tout d'un trait,
Il revit devant lui passer l'horrible drame
De ses jours dont l'enfer avait tissé la trame.
Alors il dit : « Soyez demain plus odieux;
« J'ai le rêve et l'orgueil; je vous pardonne, ô dieux! »
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
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L’Exemple
L’Exemple
Sous le fécond soleil des nations antiques,
L'homme était riche en dieux dont il savait les noms;
Et des images d'or encombraient les portiques,
Ou, géantes, gardaient le seuil des Parthénons.
Et pourtant, jamais las d'encens ni de prières,
L'homme des jours sereins où riaient les dieux nus,
Entre le ciel et lui rêvant plus de lumières,
Sacrifiait encore à des dieux inconnus!
Nos coeurs ne vibrent plus aux naissances prochaines
De ceux que conviait le large coeur païen;
Et ce n'est plus afin de ressaisir des chaînes
Que nous fouillons la foi de l'univers ancien.
Aux stériles éclairs d'un soleil qui s'épuise,
Sur le poudreux amas des autels d'autrefois,
Nous regardons crouler les fûts noirs de l'église,
Sans que la mort d'un dieu fasse gémir les bois.
Tous les dieux sont-ils morts? Ou, vaincus par l'exemple,
Ceux qui nous voient de loin livrés au sombre mal,
Renoncent-ils d'avance à la gloire du temple,
Par horreur du calvaire et du sang baptismal?
Sous le fécond soleil des nations antiques,
L'homme était riche en dieux dont il savait les noms;
Et des images d'or encombraient les portiques,
Ou, géantes, gardaient le seuil des Parthénons.
Et pourtant, jamais las d'encens ni de prières,
L'homme des jours sereins où riaient les dieux nus,
Entre le ciel et lui rêvant plus de lumières,
Sacrifiait encore à des dieux inconnus!
Nos coeurs ne vibrent plus aux naissances prochaines
De ceux que conviait le large coeur païen;
Et ce n'est plus afin de ressaisir des chaînes
Que nous fouillons la foi de l'univers ancien.
Aux stériles éclairs d'un soleil qui s'épuise,
Sur le poudreux amas des autels d'autrefois,
Nous regardons crouler les fûts noirs de l'église,
Sans que la mort d'un dieu fasse gémir les bois.
Tous les dieux sont-ils morts? Ou, vaincus par l'exemple,
Ceux qui nous voient de loin livrés au sombre mal,
Renoncent-ils d'avance à la gloire du temple,
Par horreur du calvaire et du sang baptismal?
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
L’Épreuve
L’Épreuve
L'Invisible, celui qui règne dans les cieux,
Assembla ses enfants pour lui chanter sa gloire;
Et Satan était là, qui se dressait près d'eux.
Et le Très-haut lui dit : « D'où viens-tu? - mon histoire
Est vieille, répondit l'adversaire : j'ai fait
Tout le tour de ton oeuvre avec mon aile noire.
« J'ai délié l'esprit que ta règle étouffait;
J'ai pourri le bon grain, j'ai récolté l'ivraie;
Tes anges ont raison de chanter, en effet!
« Leur louange est mensonge et ma parole est vraie :
L'esprit de l'homme est plein d'aversion pour toi.
Nu ne t'aime, hors ceux que ta rancune effraie.
- « Tu n'as considéré que l'incomplète foi,
Dit l'éternel, de ceux que l'épreuve terrasse.
Les coeurs simples et purs sont heureux sous ma loi.
- « Sur un fumier, couvert d'une lèpre vorace,
Un être, dit Satan, sans amis, sans espoir,
Survivait, en opprobre à tous ceux de sa race.
« C'était un homme. Nu, gisant, horrible à voir,
Avec un caillou plat il grattait ses ulcères,
Le jour durant sans pain, et sans sommeil le soir.
« Si pour te réjouir les maux sont nécessaires,
Il avait en cela cent fois bien mérité;
Car ce juste n'avait point d'égal en misères.
« Loin de tous, en dehors des murs d'une cité,
Dans le pays de Hus où le péché domine,
Il maudissait la vie et ton iniquité.
« Oui, tordu par son mal, mangé par la vermine,
Vile forme sans nom parmi les animaux,
Il ouvrait ce regard que la haine illumine. »
Le Très-fort dit : « Qu'importe une chair en lambeaux?
Le juste est celui seul qui lui-même s'oublie,
Et ne contemple pas uniquement ses maux.
- « Celui-ci n'avait point une âme ensevelie
Dans son propre tourment, si monstrueux qu'il fût :
Les pleurs universels l'avaient toute remplie.
« Moi, le rôdeur sournois et qui veille à l'affût,
Le fomenteur subtil des mauvaises pensées,
Je pris ce malheureux effroyable pour but.
« Et ses chairs tout d'abord furent cicatrisées;
Je le guéris sur l'heure, et le soutins debout
N'ayant plus souvenir de ses hontes passées.
« Il regarda la cuve où s'amoncelle et bout
L'épais fourmillement des hommes, et qui fume;
Puis l'horizon qui n'a commencement ni bout;
« Et je vis qu'il restait dévoré d'amertume
En songeant à l'angoisse où ton peuple croupit
Sous ton oeil clos au fond d'une insondable brume.
« Je rendis la jeunesse à son corps décrépit;
Je dressai l'arc noueux et brisé de son torse;
Après, j'enveloppai ses membres d'un habit.
« La ville flamboyait comme une immense amorce.
Je lui dis : « Va! La vie est bonne; sois heureux! »
Et je fis resplendir la beauté sur sa force.
« Il y marcha, parmi des mendiants poudreux;
Et je vis, le suivant pas à pas à la piste,
Qu'il se sentait imbu du fiel de leurs yeux creux.
- « Eh bien! Dit l'être unique à Satan : qu'il assiste
Son frère, celui-là qui voit l'appel d'autrui!
Cet homme s'en ira joyeux, s'il était triste.
- « L'aumône, il se peut bien, fait sourire celui
Qui donnant un denier se dit qu'il te le prête,
Et ne place un secours qu'au taux de ton appui.
« Je connais la prudence entre toutes secrète!
Lui, supputait, au fond de lui-même, combien
Sont là, pour qui jamais table ou moisson n'est prête.
« Morne, il allait, disant : « Je ne possède rien! »
Je l'avais rendu jeune et fort; je le fis riche
A ne pouvoir compter ses troupeaux ni son bien.
« Quiconque errait, sordide, et tel qu'un chien sans niche,
Vendangea dans sa vigne et glana dans son champ.
Mais l'ortie est tenace au coeur que l'on défriche!
« Si prodige fût-il, l'avare et le méchant
Pullulent sur la terre; et lui, voyait sans cesse
De maigres doigts nouveaux à ses mains s'accrochant.
« Comprenant que pour un à qui l'on fait largesse
Mille crieront, vers toi les bras en vain dressés,
Généreux, il faisait l'aumône avec tristesse.
- « Ils ont l'amour, les fils de ceux que j'ai chassés!
Et la femme a des yeux où j'ai mis ma lumière.
Pour aimer le très-bon, qu'ils s'aiment! C'est assez!
- « Parfois un astre brille au fond d'une paupière;
Et l'amour est vraiment le reflet de l'Eden!
A qui veut l'entrevoir, un ange crie : « Arrière! »
« Comme un ressouvenir du souriant jardin,
Il la chercha, l'ivresse ineffablement pure.
Mais la beauté qui charme a le cruel dédain.
« Il était beau. Toujours il vivait la torture
De ceux que la laideur a marqués en naissant
Pour servir à l'amour d'éternelle pâture.
« Il aima. Sa révolte encore allait croissant;
Car, doué d'un esprit que la justice affame,
Les fureurs des jaloux le tenaient frémissant.
« C'est le suprême don que l'amour d'une femme.
Mais tout coeur qui se donne est pour d'autres perdu,
Et seul en est joyeux l'égoïste ou l'infâme.
« Il fut aimé. Mais lui, s'assombrissait, mordu
Par tous les désespoirs que la beauté méprise,
Par le cri furieux de l'amour entendu.
« Si grand qu'un bonheur soit, pour l'homme sans traîtrise,
S'il est fait du malheur d'un autre, n'est-ce pas
La coupe de poison que la main ivre a prise?
« Et je riais de voir que tout fruit mûr, là-bas,
Est sûrement percé par un ver invisible;
Et qu'il revomissait les plus puissants appâts.
« Et je prenais toujours ce coeur simple pour cible.
J'élargissais encor la part de son bonheur,
Sans qu'un remercîment pour toi lui fût possible.
- « Mon oeuvre est bon ainsi qu'il est! dit le seigneur.
- Et les routes du ciel aux hommes sont fermées!
Je sais cela, reprit le parfait raisonneur.
« Les rêves les plus chers aux foules affamées,
Lui, les réalisait. Il fut roi sur les rois
Qui se disent choisis par le dieu des armées.
« le meurtre est le plaisir où tes fils sont adroits,
C'est la gloire de ceux qui portent la couronne;
Mais la sienne chargeait son front, si tu m'en crois.
« O créateur d'Adam! Quel concert t'environne!
De tous les avortons du couple rejeté,
Qui donc plus que ce roi se lamenta? Personne!
« Léguant l'arrêt divin à leur postérité,
Tous ont gémi, les forts, les lâches, les victimes.
Nul n'a vécu plus pâle et plus épouvanté,
« Que ce puissant, par moi sorti des noirs abîmes
Pour être sur la terre, et plus qu'eux, revêtu
Du glacial frisson pris à toutes les cimes!
« le plus affreux supplice est l'extrême vertu.
Son grand sanglot déborde, et monte dans les âges
Vers celui qui toujours dans son ombre s'est tu.
« Ecoute ce qu'il dit, le sage entre les sages :
« Tout n'est que vanité, cendre, fumée ou vent!
« Et rien ne sert, travaux, fortune, apprentissages!
« Tout passe et meurt, le fou, l'inepte et le savant!
« Il n'est rien de nouveau; tout vient par aventure!
« L'état d'un mort vaut mieux que l'état d'un vivant!
« Toutes sortes de maux rongent la créature,
« Et de tous la pensée est le pire tourment;
« Et l'amour est amer plus que la sépulture! »
« Voilà ton oeuvre! Il est risible assurément
De te voir pour cela convoquer tes phalanges
A t'appeler Très-haut, Très-fort et Très-clément!
« Dis-leur donc devant moi de chanter tes louanges! »
- Mais celui dont le trône est au fond des sept cieux,
Ne répondit plus rien au corrupteur des anges;
L'invisible resta là-haut silencieux!
L'Invisible, celui qui règne dans les cieux,
Assembla ses enfants pour lui chanter sa gloire;
Et Satan était là, qui se dressait près d'eux.
Et le Très-haut lui dit : « D'où viens-tu? - mon histoire
Est vieille, répondit l'adversaire : j'ai fait
Tout le tour de ton oeuvre avec mon aile noire.
« J'ai délié l'esprit que ta règle étouffait;
J'ai pourri le bon grain, j'ai récolté l'ivraie;
Tes anges ont raison de chanter, en effet!
« Leur louange est mensonge et ma parole est vraie :
L'esprit de l'homme est plein d'aversion pour toi.
Nu ne t'aime, hors ceux que ta rancune effraie.
- « Tu n'as considéré que l'incomplète foi,
Dit l'éternel, de ceux que l'épreuve terrasse.
Les coeurs simples et purs sont heureux sous ma loi.
- « Sur un fumier, couvert d'une lèpre vorace,
Un être, dit Satan, sans amis, sans espoir,
Survivait, en opprobre à tous ceux de sa race.
« C'était un homme. Nu, gisant, horrible à voir,
Avec un caillou plat il grattait ses ulcères,
Le jour durant sans pain, et sans sommeil le soir.
« Si pour te réjouir les maux sont nécessaires,
Il avait en cela cent fois bien mérité;
Car ce juste n'avait point d'égal en misères.
« Loin de tous, en dehors des murs d'une cité,
Dans le pays de Hus où le péché domine,
Il maudissait la vie et ton iniquité.
« Oui, tordu par son mal, mangé par la vermine,
Vile forme sans nom parmi les animaux,
Il ouvrait ce regard que la haine illumine. »
Le Très-fort dit : « Qu'importe une chair en lambeaux?
Le juste est celui seul qui lui-même s'oublie,
Et ne contemple pas uniquement ses maux.
- « Celui-ci n'avait point une âme ensevelie
Dans son propre tourment, si monstrueux qu'il fût :
Les pleurs universels l'avaient toute remplie.
« Moi, le rôdeur sournois et qui veille à l'affût,
Le fomenteur subtil des mauvaises pensées,
Je pris ce malheureux effroyable pour but.
« Et ses chairs tout d'abord furent cicatrisées;
Je le guéris sur l'heure, et le soutins debout
N'ayant plus souvenir de ses hontes passées.
« Il regarda la cuve où s'amoncelle et bout
L'épais fourmillement des hommes, et qui fume;
Puis l'horizon qui n'a commencement ni bout;
« Et je vis qu'il restait dévoré d'amertume
En songeant à l'angoisse où ton peuple croupit
Sous ton oeil clos au fond d'une insondable brume.
« Je rendis la jeunesse à son corps décrépit;
Je dressai l'arc noueux et brisé de son torse;
Après, j'enveloppai ses membres d'un habit.
« La ville flamboyait comme une immense amorce.
Je lui dis : « Va! La vie est bonne; sois heureux! »
Et je fis resplendir la beauté sur sa force.
« Il y marcha, parmi des mendiants poudreux;
Et je vis, le suivant pas à pas à la piste,
Qu'il se sentait imbu du fiel de leurs yeux creux.
- « Eh bien! Dit l'être unique à Satan : qu'il assiste
Son frère, celui-là qui voit l'appel d'autrui!
Cet homme s'en ira joyeux, s'il était triste.
- « L'aumône, il se peut bien, fait sourire celui
Qui donnant un denier se dit qu'il te le prête,
Et ne place un secours qu'au taux de ton appui.
« Je connais la prudence entre toutes secrète!
Lui, supputait, au fond de lui-même, combien
Sont là, pour qui jamais table ou moisson n'est prête.
« Morne, il allait, disant : « Je ne possède rien! »
Je l'avais rendu jeune et fort; je le fis riche
A ne pouvoir compter ses troupeaux ni son bien.
« Quiconque errait, sordide, et tel qu'un chien sans niche,
Vendangea dans sa vigne et glana dans son champ.
Mais l'ortie est tenace au coeur que l'on défriche!
« Si prodige fût-il, l'avare et le méchant
Pullulent sur la terre; et lui, voyait sans cesse
De maigres doigts nouveaux à ses mains s'accrochant.
« Comprenant que pour un à qui l'on fait largesse
Mille crieront, vers toi les bras en vain dressés,
Généreux, il faisait l'aumône avec tristesse.
- « Ils ont l'amour, les fils de ceux que j'ai chassés!
Et la femme a des yeux où j'ai mis ma lumière.
Pour aimer le très-bon, qu'ils s'aiment! C'est assez!
- « Parfois un astre brille au fond d'une paupière;
Et l'amour est vraiment le reflet de l'Eden!
A qui veut l'entrevoir, un ange crie : « Arrière! »
« Comme un ressouvenir du souriant jardin,
Il la chercha, l'ivresse ineffablement pure.
Mais la beauté qui charme a le cruel dédain.
« Il était beau. Toujours il vivait la torture
De ceux que la laideur a marqués en naissant
Pour servir à l'amour d'éternelle pâture.
« Il aima. Sa révolte encore allait croissant;
Car, doué d'un esprit que la justice affame,
Les fureurs des jaloux le tenaient frémissant.
« C'est le suprême don que l'amour d'une femme.
Mais tout coeur qui se donne est pour d'autres perdu,
Et seul en est joyeux l'égoïste ou l'infâme.
« Il fut aimé. Mais lui, s'assombrissait, mordu
Par tous les désespoirs que la beauté méprise,
Par le cri furieux de l'amour entendu.
« Si grand qu'un bonheur soit, pour l'homme sans traîtrise,
S'il est fait du malheur d'un autre, n'est-ce pas
La coupe de poison que la main ivre a prise?
« Et je riais de voir que tout fruit mûr, là-bas,
Est sûrement percé par un ver invisible;
Et qu'il revomissait les plus puissants appâts.
« Et je prenais toujours ce coeur simple pour cible.
J'élargissais encor la part de son bonheur,
Sans qu'un remercîment pour toi lui fût possible.
- « Mon oeuvre est bon ainsi qu'il est! dit le seigneur.
- Et les routes du ciel aux hommes sont fermées!
Je sais cela, reprit le parfait raisonneur.
« Les rêves les plus chers aux foules affamées,
Lui, les réalisait. Il fut roi sur les rois
Qui se disent choisis par le dieu des armées.
« le meurtre est le plaisir où tes fils sont adroits,
C'est la gloire de ceux qui portent la couronne;
Mais la sienne chargeait son front, si tu m'en crois.
« O créateur d'Adam! Quel concert t'environne!
De tous les avortons du couple rejeté,
Qui donc plus que ce roi se lamenta? Personne!
« Léguant l'arrêt divin à leur postérité,
Tous ont gémi, les forts, les lâches, les victimes.
Nul n'a vécu plus pâle et plus épouvanté,
« Que ce puissant, par moi sorti des noirs abîmes
Pour être sur la terre, et plus qu'eux, revêtu
Du glacial frisson pris à toutes les cimes!
« le plus affreux supplice est l'extrême vertu.
Son grand sanglot déborde, et monte dans les âges
Vers celui qui toujours dans son ombre s'est tu.
« Ecoute ce qu'il dit, le sage entre les sages :
« Tout n'est que vanité, cendre, fumée ou vent!
« Et rien ne sert, travaux, fortune, apprentissages!
« Tout passe et meurt, le fou, l'inepte et le savant!
« Il n'est rien de nouveau; tout vient par aventure!
« L'état d'un mort vaut mieux que l'état d'un vivant!
« Toutes sortes de maux rongent la créature,
« Et de tous la pensée est le pire tourment;
« Et l'amour est amer plus que la sépulture! »
« Voilà ton oeuvre! Il est risible assurément
De te voir pour cela convoquer tes phalanges
A t'appeler Très-haut, Très-fort et Très-clément!
« Dis-leur donc devant moi de chanter tes louanges! »
- Mais celui dont le trône est au fond des sept cieux,
Ne répondit plus rien au corrupteur des anges;
L'invisible resta là-haut silencieux!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
La Vierge
La Vierge
Quand l'oeil fit autrefois éclosion sur terre
Dans un frêle organisme encor rudimentaire;
Quand le premier regard de l'atome vivant,
D'un seul coup jusqu'au fond du ciel vide arrivant,
Découvrit le soleil plus vite qu'il n'éclaire,
Et depuis lors gardant comme un feu similaire,
énigme clairvoyante au bord d'un embryon,
ébloui, se tourna vers la formation;
Quand ce rayon qu'un souffle intérieur active,
Perçant l'énormité de la nuit primitive,
Se promena, reflet conscient, à travers
Le secret d'un aveugle et splendide univers;
O pics échelonnés! ô forêts monstrueuses!
O fleuves! lacs! vallons! ô mers tumultueuses!
Formes qui sous l'éclat des couleurs palpitez!
Vous tous, oeuvres des temps et des affinités,
Plaines en fleurs, déserts, plages ou promontoires,
Spectacles merveilleux! Qui dans vos propres gloires,
Et transmués sans fin par un désir obscur,
Rouliez, tels que dans l'ombre opaque, sous l'azur!
Membres de la déesse unique et sans apôtre,
Avez-vous tressailli d'un hémisphère à l'autre?
O nature! Miracle à toi-même caché,
As-tu senti le bas de ton manteau touché
Par quelque avant-coureur d'un dieu qui va paraître,
A la fois ton amant, ton chantre et ton vrai maître?
Et quand l'homme apparut, plein d'extase, emplissant
Avec ses yeux son âme et son crâne puissant,
O fille du mystère où le mystère émerge!
N'as-tu pas tout entière alors, sublime vierge!
Frémi profondément d'angoisse et de fierté,
Sentant tomber ton voile et briller ta beauté?
Non! L'éternelle horreur d'être sans but ni causes
Fait seule tes frissons dans tes métempsycoses!
Tes images, tes bruits, tes parfums, tes saveurs,
Tout cet enchantement de nos esprits rêveurs,
Production des sens, n'est qu'un songe qui passe,
Et qui mourra comme eux, emportant dans l'espace
Ou rendant à te sourds, noirs et muets travaux
La chimère des coeurs et l'effort des cerveaux!
Non! Ton voile est tombé, tu restas l'insensible,
L'inerte fiancée, et la vierge invincible
Que le profanateur s'épuise à violer!
Non! Non! Tu resplendis, sans lui rien révéler
Que la stérilité de ta force infinie
Et le néant d'ouvrir même en toi son génie!
Source: http://www.poesies.net
Quand l'oeil fit autrefois éclosion sur terre
Dans un frêle organisme encor rudimentaire;
Quand le premier regard de l'atome vivant,
D'un seul coup jusqu'au fond du ciel vide arrivant,
Découvrit le soleil plus vite qu'il n'éclaire,
Et depuis lors gardant comme un feu similaire,
énigme clairvoyante au bord d'un embryon,
ébloui, se tourna vers la formation;
Quand ce rayon qu'un souffle intérieur active,
Perçant l'énormité de la nuit primitive,
Se promena, reflet conscient, à travers
Le secret d'un aveugle et splendide univers;
O pics échelonnés! ô forêts monstrueuses!
O fleuves! lacs! vallons! ô mers tumultueuses!
Formes qui sous l'éclat des couleurs palpitez!
Vous tous, oeuvres des temps et des affinités,
Plaines en fleurs, déserts, plages ou promontoires,
Spectacles merveilleux! Qui dans vos propres gloires,
Et transmués sans fin par un désir obscur,
Rouliez, tels que dans l'ombre opaque, sous l'azur!
Membres de la déesse unique et sans apôtre,
Avez-vous tressailli d'un hémisphère à l'autre?
O nature! Miracle à toi-même caché,
As-tu senti le bas de ton manteau touché
Par quelque avant-coureur d'un dieu qui va paraître,
A la fois ton amant, ton chantre et ton vrai maître?
Et quand l'homme apparut, plein d'extase, emplissant
Avec ses yeux son âme et son crâne puissant,
O fille du mystère où le mystère émerge!
N'as-tu pas tout entière alors, sublime vierge!
Frémi profondément d'angoisse et de fierté,
Sentant tomber ton voile et briller ta beauté?
Non! L'éternelle horreur d'être sans but ni causes
Fait seule tes frissons dans tes métempsycoses!
Tes images, tes bruits, tes parfums, tes saveurs,
Tout cet enchantement de nos esprits rêveurs,
Production des sens, n'est qu'un songe qui passe,
Et qui mourra comme eux, emportant dans l'espace
Ou rendant à te sourds, noirs et muets travaux
La chimère des coeurs et l'effort des cerveaux!
Non! Ton voile est tombé, tu restas l'insensible,
L'inerte fiancée, et la vierge invincible
Que le profanateur s'épuise à violer!
Non! Non! Tu resplendis, sans lui rien révéler
Que la stérilité de ta force infinie
Et le néant d'ouvrir même en toi son génie!
Source: http://www.poesies.net
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
L’ARMISTICE
L’ARMISTICE
QUELLE nuit, ô mon âme! et quel silence! Écoute!
La diane héroïque hier encor battait!
Voilà donc la rançon que le pain blanc nous coûte!
Contemple Paris qui se tait!
Superbe, aux longs échos de ses vingt citadelles,
Hier encor Paris, debout sur ses remparts,
Caressait des canons fidèles.
O stupeur, qu’après eux laissent les grands départs!
Le camp sublime, hier plein de veuves sans larmes,
Se roidissant dans sa fierté,
Il se tait, noir désert plein de soldats sans armes,
Prison morne sur qui pèse un rêve hébété!
O nuit faite pour les fantômes!
Ressuscite les vieux Français! Ah! cache-nous,
Nous vers qui rayonnaient ces flèches et ces dômes,
Nous, les vivants muets de Paris à genoux!
O nuit! qui donc s’en va ? Qui nous quitte ? - O silence!
Qui donc râle ? Qui donc est mort ?
Liberté, gloire, orgueil du drapeau sur sa lance,
Qu’êtes-vous devenus aux rafales du Nord ?
Inextinguible amour! Aïeule! idolâtrie
Des morts fameux! O France! héritage sacré!
Berceau! Terre sainte! ô patrie!
O Christ des nations par vingt Judas livré!
QUELLE nuit, ô mon âme! et quel silence! Écoute!
La diane héroïque hier encor battait!
Voilà donc la rançon que le pain blanc nous coûte!
Contemple Paris qui se tait!
Superbe, aux longs échos de ses vingt citadelles,
Hier encor Paris, debout sur ses remparts,
Caressait des canons fidèles.
O stupeur, qu’après eux laissent les grands départs!
Le camp sublime, hier plein de veuves sans larmes,
Se roidissant dans sa fierté,
Il se tait, noir désert plein de soldats sans armes,
Prison morne sur qui pèse un rêve hébété!
O nuit faite pour les fantômes!
Ressuscite les vieux Français! Ah! cache-nous,
Nous vers qui rayonnaient ces flèches et ces dômes,
Nous, les vivants muets de Paris à genoux!
O nuit! qui donc s’en va ? Qui nous quitte ? - O silence!
Qui donc râle ? Qui donc est mort ?
Liberté, gloire, orgueil du drapeau sur sa lance,
Qu’êtes-vous devenus aux rafales du Nord ?
Inextinguible amour! Aïeule! idolâtrie
Des morts fameux! O France! héritage sacré!
Berceau! Terre sainte! ô patrie!
O Christ des nations par vingt Judas livré!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
LES PAROLES DU VAINCU
LES PAROLES DU VAINCU
I
Tu rêvais paix universelle!
Tu disais : « Qu’importe un ruisseau ?
Pourquoi le globe qu’on morcelle ?
La terre immense est mon berceau! »
A présent, tu dis : « Hors la gaîne,
Le glaive à deux mains des aïeux!
Hors des coeurs le sang furieux!
Et vous, autour de notre haine,
Rangez-vous, impassibles Dieux! »
II
Ils tombèrent, enfin, ces braves!
Par blocs massifs, aux trous béants.
Le soir vint grandir ces géants,
Ces vaincus effrayants et graves!
L’un surtout, son buste d’acier
Droit sur l’arçon, semblait attendre!
La nuit, on peut croire, à l’entendre,
Que la mort n’a point osé prendre
Son âme, à ce grand cuirassier!
III
Ceux de l’Argonne et de Valmy
Sont vêtus de pourpre éclatante.
Ils souriaient fiers, dans l’attente,
Nous criant : « Sus à l’ennemi! »
Mais toujours passaient les Barbares!
Et les vieux sonneurs de fanfares
Criaient en vain : « Debout, les Morts!
Redonnez-nous, ô dieux avares!
Du sang qui coule dans des corps! »
I
Tu rêvais paix universelle!
Tu disais : « Qu’importe un ruisseau ?
Pourquoi le globe qu’on morcelle ?
La terre immense est mon berceau! »
A présent, tu dis : « Hors la gaîne,
Le glaive à deux mains des aïeux!
Hors des coeurs le sang furieux!
Et vous, autour de notre haine,
Rangez-vous, impassibles Dieux! »
II
Ils tombèrent, enfin, ces braves!
Par blocs massifs, aux trous béants.
Le soir vint grandir ces géants,
Ces vaincus effrayants et graves!
L’un surtout, son buste d’acier
Droit sur l’arçon, semblait attendre!
La nuit, on peut croire, à l’entendre,
Que la mort n’a point osé prendre
Son âme, à ce grand cuirassier!
III
Ceux de l’Argonne et de Valmy
Sont vêtus de pourpre éclatante.
Ils souriaient fiers, dans l’attente,
Nous criant : « Sus à l’ennemi! »
Mais toujours passaient les Barbares!
Et les vieux sonneurs de fanfares
Criaient en vain : « Debout, les Morts!
Redonnez-nous, ô dieux avares!
Du sang qui coule dans des corps! »
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Re: poésies: Léon Dierx
IV
Dans les soleils couchants je vois
Des ruines au nom sonore,
Dont la gloire sur nous encore
Flambe et croule, comme autrefois!
Dans les soleils fondants j’admire,
O Paris! les reines d’orgueil.
J’ouvre, éperdu, longtemps, mon oeil.
Et je vais, criant, l’âme en deuil :
Ninive! Ecbatane! Palmyre!
V
Plus d’une fois ta noble épée,
O Patrie! a, de son revers,
Quelque part fait tomber leurs fers!
Par ton sang fraternel trempée,
Plus d’une plaine était en fleur,
Où l’on riait de ton malheur!
Ah! pour que rien ne te flétrisse,
Toi, l’unique Libératrice,
Oublie aussi ; pardonnons-leur!
VI
Vous, enfants, conçus dans l’année
Aux ciels éclaboussés de sang!
Fils des veuves au lait puissant!
O vous, dont l’âme est condamnée
A rêver de meurtre en naissant!
Irritez nos soifs éphémères!
Répétez-nous les cris perdus
Que dans le ventre de vos mères
Vous jetaient les mourants vaincus!
Dans les soleils couchants je vois
Des ruines au nom sonore,
Dont la gloire sur nous encore
Flambe et croule, comme autrefois!
Dans les soleils fondants j’admire,
O Paris! les reines d’orgueil.
J’ouvre, éperdu, longtemps, mon oeil.
Et je vais, criant, l’âme en deuil :
Ninive! Ecbatane! Palmyre!
V
Plus d’une fois ta noble épée,
O Patrie! a, de son revers,
Quelque part fait tomber leurs fers!
Par ton sang fraternel trempée,
Plus d’une plaine était en fleur,
Où l’on riait de ton malheur!
Ah! pour que rien ne te flétrisse,
Toi, l’unique Libératrice,
Oublie aussi ; pardonnons-leur!
VI
Vous, enfants, conçus dans l’année
Aux ciels éclaboussés de sang!
Fils des veuves au lait puissant!
O vous, dont l’âme est condamnée
A rêver de meurtre en naissant!
Irritez nos soifs éphémères!
Répétez-nous les cris perdus
Que dans le ventre de vos mères
Vous jetaient les mourants vaincus!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Re: poésies: Léon Dierx
VIl
Un long fantôme avec la nuit
Revient, angoisse inévitable!
Un spectre illustre, à chaque table,
S’assied muet, son sang reluit!
Un grand linceul, au coin des bornes,
Barre la route au citoyen!
Dans chaque rue un être ancien,
L’aïeule auguste aux grands yeux mornes,
Nous suit dans l’ombre et ne dit rien!
VIII
Qu’ils sont gras, les corbeaux, mon frère!
Les corbeaux de notre pays!
Ah! la chair des héros trahis
Alourdit leur vol funéraire!
Quand ils regagnent, vers le soir,
Leurs bois déserts, hantés dès goules,
Frère, aux clochers on peut les voir,
Claquant du bec, par bandes soûles,
Flotter comme un lourd drapeau noir.
IX
Dévore la honte et l’outrage!
Ne dis plus, toi, le fils des preux :
« Ces renards étaient trop nombreux. »
Tais-toi! Couve en ton coeur ta rage!
Attends! prépare un jour, pour eux,
Sans répit, l’heure expiatoire.
Laisse-les nous voler l’histoire,
Ces porteurs d’étendards affreux
Déshonorés par la victoire!
Un long fantôme avec la nuit
Revient, angoisse inévitable!
Un spectre illustre, à chaque table,
S’assied muet, son sang reluit!
Un grand linceul, au coin des bornes,
Barre la route au citoyen!
Dans chaque rue un être ancien,
L’aïeule auguste aux grands yeux mornes,
Nous suit dans l’ombre et ne dit rien!
VIII
Qu’ils sont gras, les corbeaux, mon frère!
Les corbeaux de notre pays!
Ah! la chair des héros trahis
Alourdit leur vol funéraire!
Quand ils regagnent, vers le soir,
Leurs bois déserts, hantés dès goules,
Frère, aux clochers on peut les voir,
Claquant du bec, par bandes soûles,
Flotter comme un lourd drapeau noir.
IX
Dévore la honte et l’outrage!
Ne dis plus, toi, le fils des preux :
« Ces renards étaient trop nombreux. »
Tais-toi! Couve en ton coeur ta rage!
Attends! prépare un jour, pour eux,
Sans répit, l’heure expiatoire.
Laisse-les nous voler l’histoire,
Ces porteurs d’étendards affreux
Déshonorés par la victoire!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Re: poésies: Léon Dierx
X
Sous la lune au sanglant brouillard
Court la nature ensorcelée.
- Tu regardes dans la vallée ;
Que vois-tu, dis-le-nous, vieillard!
Le vétéran dit : « Je regarde
Ces peupliers rangés là-bas!
Je crois revoir la vieille garde,
Haute et droite, avec la cocarde,
Courant au nord, pour les combats! »
XI
Battez le fer, ô forgerons!
Pour percer un jour leurs entrailles!
Fondez le plomb pour les mitrailles,
Quand, un jour, nous les chasserons!
L’odeur des morts emplit la brume.
Dans la plaine et sur le coteau
Que l’espoir, feu sacré, s’allume,
Que la vengeance soit l’enclume,
Et la haine, le dur marteau!
XII
Le vent qui passe nous apporte
Un bruit de fifre et de tambour.
11 ne nous parle plus d’amour,
Le vent qui souffle à notre porte!
Le vent qui chante vient du Rhin
Où mange et boit l’aigle rapace!
Il poursuit en mer le marin,
Sous le ciel clair ou sous le grain,
Le rire affreux du vent qui passe!
Sous la lune au sanglant brouillard
Court la nature ensorcelée.
- Tu regardes dans la vallée ;
Que vois-tu, dis-le-nous, vieillard!
Le vétéran dit : « Je regarde
Ces peupliers rangés là-bas!
Je crois revoir la vieille garde,
Haute et droite, avec la cocarde,
Courant au nord, pour les combats! »
XI
Battez le fer, ô forgerons!
Pour percer un jour leurs entrailles!
Fondez le plomb pour les mitrailles,
Quand, un jour, nous les chasserons!
L’odeur des morts emplit la brume.
Dans la plaine et sur le coteau
Que l’espoir, feu sacré, s’allume,
Que la vengeance soit l’enclume,
Et la haine, le dur marteau!
XII
Le vent qui passe nous apporte
Un bruit de fifre et de tambour.
11 ne nous parle plus d’amour,
Le vent qui souffle à notre porte!
Le vent qui chante vient du Rhin
Où mange et boit l’aigle rapace!
Il poursuit en mer le marin,
Sous le ciel clair ou sous le grain,
Le rire affreux du vent qui passe!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Re: poésies: Léon Dierx
XIII
Car là-bas, en riant de nous,
Ils font sonner leurs lourdes crosses ;
Car là-bas, sous leurs mains atroces,
Ils ont mis nos soeurs à genoux!
Ah! l’honneur est un mort rebelle
Qui dort trop mal pour rester coi!
Il n’attend pas qu’un Dieu l’appelle.
N’entends-tu rien, mon frère, en toi,
Qui hurle : « Allons, réveille-moi! »
XIV
Dans les aurores, les vois-tu,
Montrant, l’une sa noire flèche,
L’autre ses murs toujours sans brèche,
Nos deux soeurs, ivres de vertu ?
Les vois-tu sortir dans l’aurore
Des bras dénoués du Germain,
L’une, allongeant sa maigre main,
L’autre, vierge farouche encore,
Nos soeurs, après l’horrible hymen ?
Car là-bas, en riant de nous,
Ils font sonner leurs lourdes crosses ;
Car là-bas, sous leurs mains atroces,
Ils ont mis nos soeurs à genoux!
Ah! l’honneur est un mort rebelle
Qui dort trop mal pour rester coi!
Il n’attend pas qu’un Dieu l’appelle.
N’entends-tu rien, mon frère, en toi,
Qui hurle : « Allons, réveille-moi! »
XIV
Dans les aurores, les vois-tu,
Montrant, l’une sa noire flèche,
L’autre ses murs toujours sans brèche,
Nos deux soeurs, ivres de vertu ?
Les vois-tu sortir dans l’aurore
Des bras dénoués du Germain,
L’une, allongeant sa maigre main,
L’autre, vierge farouche encore,
Nos soeurs, après l’horrible hymen ?
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Les Écussons.
Les Écussons.
Clorinde a des yeux clairs et froids comme l'acier,,
Qu'indignent les aveux, qu'allument les mains jointes.
Elle habite l'orgueil comme un donjon princier ;
Et son regard, pareil au fer d'un justicier,
Sait plus loin dans les coeurs enfoncer mille pointes.
Jane a les yeux profonds, obscurs comme les trous
Que sur les hauts remparts braquent les coulevrines.
Quand, lourds de voluptés, ils se fixent sur nous,
Entre leurs cils serrés flotte un nuage roux,
Et deux vides brûlants restent dans nos poitrines.
Alice a dans les yeux l'éclat des pièces d'or,
Et ce n'est point au coeur que sondent leurs silences.
Ils semblent soupeser quelque secret trésor,
Et sans cesse inquiets, ils oscillent encor
Comme font les plateaux des parfaites balances.
Les yeux pâles d'Hermine ont les vagues clartés
Des cierges dans le jour que le vitrail décalque.
Confesseurs des désirs benoîtement quêtes,
Ils leur versent le deuil et les lividités
Des lampes que l'on range autour d'un catafalque.
Les yeux de Julia sont les feux incertains
Des lanternes qu'on cache entre d'épais feuillages,
Sur le seuil d'une auberge aux buveurs clandestins,
Ou ressemblent encore à ces soleils éteints
Embourbés dans les joncs des fiévreux marécages.
Mais, Hélène! tes yeux sont comme deux gardiens,
De toi-même ignorés, fils des blancheurs premières.
Innocence! ô candeur des chastes entretiens!
Quels yeux déjà ternis pourraient percer les tiens,
Ces deux grands boucliers faits de pures lumières!
Clorinde a des yeux clairs et froids comme l'acier,,
Qu'indignent les aveux, qu'allument les mains jointes.
Elle habite l'orgueil comme un donjon princier ;
Et son regard, pareil au fer d'un justicier,
Sait plus loin dans les coeurs enfoncer mille pointes.
Jane a les yeux profonds, obscurs comme les trous
Que sur les hauts remparts braquent les coulevrines.
Quand, lourds de voluptés, ils se fixent sur nous,
Entre leurs cils serrés flotte un nuage roux,
Et deux vides brûlants restent dans nos poitrines.
Alice a dans les yeux l'éclat des pièces d'or,
Et ce n'est point au coeur que sondent leurs silences.
Ils semblent soupeser quelque secret trésor,
Et sans cesse inquiets, ils oscillent encor
Comme font les plateaux des parfaites balances.
Les yeux pâles d'Hermine ont les vagues clartés
Des cierges dans le jour que le vitrail décalque.
Confesseurs des désirs benoîtement quêtes,
Ils leur versent le deuil et les lividités
Des lampes que l'on range autour d'un catafalque.
Les yeux de Julia sont les feux incertains
Des lanternes qu'on cache entre d'épais feuillages,
Sur le seuil d'une auberge aux buveurs clandestins,
Ou ressemblent encore à ces soleils éteints
Embourbés dans les joncs des fiévreux marécages.
Mais, Hélène! tes yeux sont comme deux gardiens,
De toi-même ignorés, fils des blancheurs premières.
Innocence! ô candeur des chastes entretiens!
Quels yeux déjà ternis pourraient percer les tiens,
Ces deux grands boucliers faits de pures lumières!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Le Semeur.
Le Semeur.
Un large ruban d'or illumine la cime
Des coteaux dont la brume a noyé le versant.
L'horizon se déchire, et le soleil descend
Sous les nuages roux qui flottent dans l'abîme
Comme un riche archipel sur une mer de sang.
De confuses rumeurs s'éveillent par la plaine,
Et dans son champ, debout aux rebords des sillons,
Travailleur obstiné sous le!> derniers rayons,
Un semeur devant lui lance au loin sa main pleine,
Et chasse des oiseaux les criards tourbillons.
Et l'occident s'écroule où l'astre antique éclate,
Et le semeur, frappé d'un long et rouge adieu,
Par grands gestes, au loin, dans un sinistre jeu
Semble jeter au vent la poussière écarlate
De son coeur calciné dans sa poitrine en feu.
- Ton âme se déchire ; et voilà ta pensée
Qui sombre sous l'amas de tes rêves sanglants.
Ceint aussi d'un reflet de pourpre sur les flancs,
Aux dernières lueurs de ta gloire passée,
Homme! à travers tes jours tu marches à pas lents.
Tu fouleras bientôt l'herbe des sépultures!
Aux becs des vieux espoirs donne un dernier repas ;
Féconde encor le champ des douleurs ; ne crains pas
L'horrible hurlement dans les gerbes futures
Dont tu pressens déjà les échos sous tes pas!
Fouille en ton sein la cendre encor chaude et vivace ;
Aux vents froids de la vie ouvre ta large main ;
Et, dans la calme nuit qui couvre ton chemin,
Vengé, vers le tombeau tu peux tourner la face,
N'ayant plus rien au coeur pour y semer demain.
Un large ruban d'or illumine la cime
Des coteaux dont la brume a noyé le versant.
L'horizon se déchire, et le soleil descend
Sous les nuages roux qui flottent dans l'abîme
Comme un riche archipel sur une mer de sang.
De confuses rumeurs s'éveillent par la plaine,
Et dans son champ, debout aux rebords des sillons,
Travailleur obstiné sous le!> derniers rayons,
Un semeur devant lui lance au loin sa main pleine,
Et chasse des oiseaux les criards tourbillons.
Et l'occident s'écroule où l'astre antique éclate,
Et le semeur, frappé d'un long et rouge adieu,
Par grands gestes, au loin, dans un sinistre jeu
Semble jeter au vent la poussière écarlate
De son coeur calciné dans sa poitrine en feu.
- Ton âme se déchire ; et voilà ta pensée
Qui sombre sous l'amas de tes rêves sanglants.
Ceint aussi d'un reflet de pourpre sur les flancs,
Aux dernières lueurs de ta gloire passée,
Homme! à travers tes jours tu marches à pas lents.
Tu fouleras bientôt l'herbe des sépultures!
Aux becs des vieux espoirs donne un dernier repas ;
Féconde encor le champ des douleurs ; ne crains pas
L'horrible hurlement dans les gerbes futures
Dont tu pressens déjà les échos sous tes pas!
Fouille en ton sein la cendre encor chaude et vivace ;
Aux vents froids de la vie ouvre ta large main ;
Et, dans la calme nuit qui couvre ton chemin,
Vengé, vers le tombeau tu peux tourner la face,
N'ayant plus rien au coeur pour y semer demain.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
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