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poésies: Léon Dierx

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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty poésies: Léon Dierx

Message par Rita-kazem Jeu 22 Avr - 14:24

Rappel du premier message :

Les poésies écrites par Léon Dierx, auteur du 19 ième siècle éxtrait du recueil Les lèvres closes

Rêve de la mort




La nuit filtrait en moi, fraîche comme un breuvage.
Mes pores la buvaient délicieusement
Je roulais enivré dans un doux tournoiement;
Et toujours j'approchais du ténébreux rivage
Où l'ombre dans les corps filtre comme un breuvage.



Le Léthé de la Nuit délicieusement
M'emplissait d'un silence ineffable...
Et maintenant au bord de l'Erèbe immobile,
Sous l'oeil démesuré d'un fixe et noir soleil,
Je reposais dissous dans l'éternel sommeil...
Et je comptais sans fin, ainsi que des secondes,
Les siècles un par un tombés des mornes cieux,
Les siècles morts tombés de l'amas des vieux mondes,
Tombés dans le néant noir et silencieux.
Rita-kazem
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty Re: poésies: Léon Dierx

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 8:53

LE REMOUS

Tout se tait maintenant dans la ville. Les rues
Ne retentissent plus sous les lourds tombereaux.
Le gain du jour compté, victimes et bourreaux
S' endorment en rêvant aux richesses accrues;
Plus de lampe qui luise à travers les carreaux.
Tous dorment en rêvant aux richesses lointaines.
On n' entend plus tinter le métal des comptoirs;
Parfois, dans le silence, un pas sur les trottoirs

Sonne, et se perd au sein des rumeurs incertaines.
Tout est désert: marchés, théâtres, abattoirs.
Tout bruit se perd au fond d' une rumeur qui roule.
Seul, aux abords vivants des gares, par moment,
Hurle en déchirant l' air un aigu sifflement.
La nuit règne. Son ombre étreint comme une foule.
-oh! Ces millions d' yeux sous le noir firmament.

La nuit règne. Son ombre étreint comme un mystère;
Sous les cieux déployant son crêpe avec lenteur,
Elle éteint le sanglot de l' éternel labeur;
Elle incline et remplit le front du solitaire;
Et la vierge qui dort la laisse ouvrir son coeur.
Voici l' heure où le front du poète s' incline;
Où, comme un tourbillon d' abeilles, par milliers
Volent autour de lui les rêves réveillés
Dont l' essaim bourdonnant quelquefois s' illumine;
Où dans l' air il surprend des frissons singuliers.
L' insaisissable essaim des rêves qui bourdonne
L' entoure; et dans son âme où l' angoisse descend
S' agite et s' enfle, avec un reflux incessant,
La houle des désirs que l' espoir abandonne:
Amour, foi, liberté, mal toujours renaissant.
Comme une houle épaisse où fermente la haine
De la vie, en son coeur plus caché qu' un cercueil,
S' élève et vient mourir contre un sinistre écueil
L' incurable dégoût de la clameur humaine
Dont la nuit au néant traîne le vain orgueil!

Rita-kazem

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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty LES RYTHMES

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 8:54

LES RYTHMES

Rythme des robes fascinantes,
Qui vont traînantes,
Balayant les parfums au vent,
Ou qu' au-dessus des jupes blanches
Un pas savant
Balance et gonfle autour des hanches!
Arbres bercés d' un souffle frais
Dans les forêts,
Où, ruisselant des palmes lisses,
Tombent des pleurs cristallisés
Dans les calices
Roses encor de longs baisers!
Soupir des mers impérissable,
Qui sur le sable,
Dans l' écume et dans les flots bleus
Pousses l' amas des coquillages;
Flux onduleux
Des lourdes lames vers les plages!

Air plaintif d' instruments en choeur
Qui prends le coeur,
Et, traversant la symphonie,
Viens ou pars, sonore ou noyé
Dans l' harmonie,
Et renais sourd ou déployé!
Hivers, printemps, étés, automnes,
Jours monotones,
Souvenirs toujours rajeunis;
Mêmes rêves à tire d' ailes,
Loin de leurs nids
Tourmentés de douleurs fidèles!
Vous m' emplissez de désirs fous,
Je bois en vous
La soif ardente des mirages,
Reflets d' un monde harmonieux!
Et vos images
Se mêlent toutes en mes yeux:
Rythme lent des robes flottantes,
Forêts chantantes,
Houles des mers, lointaines voix,
Airs obsédants des symphonies,
Jours d' autrefois,
Ô vous, extases infinies!
Rita-kazem
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty IMPERIA

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 8:54

IMPERIA


A mon ami A Maingard.
Sur le divan, pareille à la noire panthère
Qui se caresse aux feux du soleil tropical,
Dans un fauve rayon enveloppant le bal,
Elle emplit de parfums le boudoir solitaire.
Elle rêve affaissée au milieu des coussins;
Et sa narine s' enfle, et se gonflent ses seins
Au rythme langoureux de la valse lointaine.
Les rires étouffés, les longs chuchotements
Qui voltigent là-bas à l' entour des amants,
Rehaussent le dédain de sa lèvre hautaine.
Paisible, dans la nuit où se plonge son coeur,
Sphinx cruel, elle attend son Oedipe vainqueur.
Elle hait les aveux et les fades paroles,
Les serments, les soupirs connus, les soins d' amour.
Reine muette, elle a pour ces flatteurs d' un jour
Le mépris sans pitié des superbes idoles.
Dardant ses larges cils sous un front olympien,
Elle cherche un regard qui devine le sien.

Car elle saura lire au fond de ce silence
Chargé des mêmes mots qui dorment dans ses yeux,
Et confondra sa flamme aux feux mystérieux
Qui sauront pénétrer sa sinistre indolence.
Sans répondre, elle écoute aux aguets, sous son fard,
Les vulgaires don juan au manège bavard.
Dans les plis fastueux du velours elle ondule;
Et son soulier lascif agaçant le désir
Mêle avec le refus ou l' offre du plaisir
La pourpre de la honte au sourire crédule.
Aux profondes senteurs qui baignent tout son corps,
Elle enivre les sots asservis sans efforts;
Et de ses noirs cheveux, de sa gorge animée,
De ses jupons parfois savamment découverts,
Sortent les espoirs fous les mécomptes pervers
De l' alcôve entrevue aussitôt refermée.
Telle, exerçant sa force, au coeur des imprudents
Elle aiguise à ces jeux ses ongles et ses dents.
Mais quand elle verra d' une encoignure sombre
Se prolonger l' éclair de l' ardeur qui lui plaît,
Et, dès le premier choc, tressaillir le reflet
D' une âme tout entière émergeant vers son ombre,
Ses paupières longtemps se lèveront vers lui;
Et lorsqu' en l' autre jet l' épouvante aura lui,
Sans rien dire, gardant le secret de sa joie,
Se repaissant déjà de sa férocité,
Souple, la fascinant de sa tranquillité,
Calme, à pas lents, alors elle ira vers sa proie.
Rita-kazem
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty CE SOIR

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 8:55

CE SOIR

Comme à travers un triple et magique bandeau,
-ô nuit! ô solitude! ô silence! -mon âme
À travers vous, ce soir, près du foyer sans flamme,
Regarde par delà les portes du tombeau.
Ce soir, plein de l' horreur d' un vaincu qu' on assaille,
Je sens les morts chéris surgir autour de moi.
Leurs yeux, comme pour lire au fond de mon effroi,
Luisent distinctement dans l' ombre qui tressaille.
Derrière moi, ce soir, quelqu' un est là, tout près.
Je sais qu' il me regarde, et je sens qu' il me frôle.
Quelle angoisse! Il est là, derrière mon épaule.
Si je me retournais, à coup sûr je mourrais!
Du fond d' une autre vie, une voix très lointaine
Ce soir a dit mon nom, ô terreur! Et ce bruit
Que j' écoute-ô silence! ô solitude! ô nuit! -
Semble être né jadis, avec la race humaine!
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty OBSESSION

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 8:55

OBSESSION

Beaux yeux, charmeurs savants, flambeaux de notre vie,
Parfum, grâce, front pur, bouche toujours ravie,
Ô vous, tout ce qu' on aime! ô vous, tout ce qui part!
Non, rien ne meurt de vous pour l' âme inassouvie
Quand vous laissez la nuit refermer son rempart
Sur l'idéal perdu qui va luire autre part.
Beaux yeux, charmeurs savants, clairs flambeaux! Dans nos veines,
Pour nous brûler toujours du mal des larmes vaines,
Vous versez à coup sûr tous vos philtres amers.
Nous puisons aux clartés des prunelles sereines,
Comme au bleu des beaux soirs, comme à l' azur des mers,
Le vertige du vide ou des gouffres ouverts.
Front pur, grâce, parfum, rire! En nous tout se grave,
Plus enivrant, plus doux, plus ravi, plus suave.
Des flots noirs du passé le désir éternel
Les évoque; et sur nous, comme autour d' une épave
Les monstres de l' écume et les rôdeurs du ciel,
S' acharnent tous les fils du souvenir cruel.

Tout ce qu' on aime et qui s' enfuit! Mensonges, rêves,
Tout cela vit, palpite, et nous ronge sans trêves.
Vous creusez dans nos coeurs, extases d' autrefois,
D' incurables remords hurlant comme les grèves.
Dites, dans quel Léthé peut-on boire une fois
L' oubli, l' immense oubli? Répondez cieux et bois!
Non, rien ne peut mourir pour l' âme insatiable;
Mais dans quel paradis, dans quel monde ineffable,
La chimère jamais dira-t-elle à son tour:
"c' est moi que tu poursuis, et c' est moi l'impalpable;
Regarde! J' ai le rythme et le divin contour;
C' est moi qui suis le beau, c' est moi qui suis l'amour?"
Quand vous laissez la nuit se refermer plus noire
Sur nos sens, quel gardien au fond de la mémoire
Rallume les flambeaux, et, joyeux tourmenteur,
Nous montre les trésors oubliés dans leur gloire?
Quand nous donnerez-vous le repos contempteur,
Astres toujours brillant d' un feu toujours menteur?
Cet idéal perdu que le hasard promène,
Un jour, là-haut, bien loin de la douleur humaine,
L' étreindrons-nous enfin de nos bras, dans la paix
Du bonheur, dans l' oubli du doute et de la haine?
Ou, comme ici, fuyant dans le brouillard épais,
Nous crîra-t-il encor: plus loin! Plus tard! Jamais!

Oui, nous brûlant toujours d' une flamme inféconde,
Rire enivré, doux front, parfum, grâce profonde,
Tout cela vit, palpite et nous ronge de pleurs.
Mais dans quelle oasis, en quels cieux, sur quel monde,
Au fond de la mémoire éclorez-vous? ô fleurs
Du rêve où s' éteindra l' écho de nos douleurs!
Rita-kazem
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty LA REVELATION DE JUBAL

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 8:56

LA REVELATION DE JUBAL

A mon ami émile Bellier.

I
Hommes des jours tardifs en germe dans le temps!
Sous l' amoncellement des siècles, dont l' écume
Vous rongera plus tard aux froideurs de la brume
Où vont s' évanouir les peuples haletants,
Ô vous, qui trouverez ceci! Races futures!
Hommes des jours lointains, mais promis aux tortures
Anciennes! ô mortels! ô martyrs comme nous
Du mal de vivre accru par l' amas des années!
Vous tous qui, las aussi de plier les genoux,
Traînerez au hasard vos lentes destinées,
Mais non plus rayonnants de notre jeune orgueil!
Quand ce long avenir qui roule dans mon oeil
S' effacera pour vous dans le confus mirage
Du passé radieux, fils d' Adam, fils du mal,
Écoutez! -car voici, dans le premier naufrage
Du monde, ce que seul j' aurai su, moi, Jubal!
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty LA REVELATION DE JUBA

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 8:57

LA REVELATION DE JUBAL

A mon ami émile Bellier

II
Moi, Jubal, le dernier de ceux qui par les villes,
Fiers et tristes, en proie aux rires envieux,
Sur la harpe chantaient la valeur des aïeux;
Qui dans l' abjection des multitudes viles,
Comme un fleuve sonore épanchant leur mépris,
Se renvoyaient l' écho des hymnes désappris.
Moi, maudit avec eux par la foule en ce monde,
Et pour avoir vécu, dans l' autre plus maudit,
Comme vous, héritiers d' une race féconde,
Espoir du vaisseau lâche à nous tous interdit;
Moi, le dernier chanteur, moi, le dernier prophète
Des premiers temps, qui vais mourir là, sur le faîte,
De l' Ararat, seul pic oublié par les eaux;
À vous, hommes des jours qui sont encore en rêve,
Par delà les fumiers où pourriront mes os,
Je parle; écoutez-moi, race d' Adam et d' ève!
Rita-kazem
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty Re: poésies: Léon Dierx

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 8:58

LA REVELATION DE JUBAL

A mon ami émile Bellier.

III
Race d' Adam et d' ève! Ici, sur ce roc noir,
J' ai vu le dernier flux, la dernière rafale,
Offrant ensemble à Dieu leur clameur triomphale,
Étouffer dans les tours d' un rapide entonnoir
Le dernier des vivants qui fuyaient le déluge.
Mais je ne cherchais pas sur ce cap un refuge
Contre l' irrévocable arrêt du créateur;
Non, je n' étais venu si haut, je le proclame,
Que pour mieux admirer, tranquille spectateur,
La rage débordante et sans fin de la lame,
Vers les oeuvres de l' homme et l' éclat des cités
Plus large s' étalant sur leurs iniquités.
Tout embrasser, tout voir, telle était mon envie,
Avant de prévenir mon destin, d' un seul coup.
Dans son inepte essor je connaissais la vie;
J' en avais écarté mes yeux lourds de dégoût.
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty Re: poésies: Léon Dierx

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 8:59

LA REVELATION DE JUBAL

A mon ami émile Bellier.


IV
Lourds de dégoût, mes yeux promenaient sur la terre
Le terne désespoir du cercle parcouru.
Les hôtes de mon coeur avaient tous disparu,
Desséchés sur le seuil au souffle délétère
Qui corrompait partout les esprits hasardeux;
Dans ses temples bondés le mal était hideux;
Il restait la grandeur d' attendre sans prière.
Donc, sitôt que l' azur, le jour étant venu,
Comme un oeil refermant son immense paupière,
Se voila d' un rideau jusqu' à nous inconnu;
Sitôt que celui-là qui nous créa sans pactes,
Rompit les réservoirs des sombres cataractes,
Comprenant qu' il voulait noyer tout l' univers,
J' ai gravi devant l' eau la montagne sublime,
Et victime en extase, et jusqu' au bout pervers,
Je regardai rentrer les choses dans l' abîme.
Rita-kazem
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Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 8:59

V
Dans l' abîme à la fin, pêle-mêle et bien mort,
Gisait l' amas impur des races primitives.
Les torrents épuisés des vengeances hâtives
S' apaisaient, n' ayant plus de récif ni de bord.
Je ne voyais plus rien de mon observatoire,
Rien que la vaste mer et sa funèbre gloire,
Où les courts traits de feux aussitôt s' éteignaient.
Je n' apercevais plus ni murs, ni tours, ni dômes,
Ni temples de porphyre et de marbre, où régnaient
Les idoles, soutien des tragiques royaumes.
Sur les monts les géants qui s' appelaient entre eux,
Nulle part n' agitaient dehors leurs crins affreux;
Aux lueurs de la foudre, effrayants, dans les nues
Ils ne souffletaient plus l' orage avec leurs bras;
Aucun râle coupé sous leurs mamelles nues
Ne grondait. Ils flottaient insensibles, là-bas.
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Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:00

VI
Insensibles, là-bas, dans les varechs énormes,
Avec les éléphants pareils à des îlots,
Avec les monstrueux reptiles, sur les flots
Ils surnageaient roidis, confondus et difformes.
Et les fils de la femme, innombrables, jadis
À l' image de Dieu rêvés au paradis,
Au milieu de la bave et des débris du monde,
Entre-choquant sans bruit tous leurs cadavres mous,
Parmi tous ces rebuts étaient le plus immonde.
Ils tournoyaient au gré d' impétueux remous,
Ces rois, ces prêtres fiers, maintenant formes vaines,
Et le prodigieux gonflement de leurs veines
Était terrible à voir aux clartés de l' éclair.
Mais rien n' y subsistait, nul sanglot, nul blasphème.
Soudain, le vent se tut; sur l' océan, dans l' air,
Un lugubre silence emplit la voûte blême.
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Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:01

VII
La voûte blême et fixe en son opacité,
Irradiant vers moi comme vers une cible,
M' étreignit tout entier d' une horreur indicible.
Oh! Qu' étaient le fracas et la férocité
Des vagues à l' assaut des remparts tutélaires,
Et la continuelle averse, et les colères
De la foudre, et les cris des faibles ou des forts,
Devant l' épouvantable effroi de ce silence
Où planait l' écoeurante exhalaison des morts?
La honte dans mon crâne entra comme une lance
De ne sentir ici que pour moi seul clément
L' universel niveau du fatal élément;
Toute la vision des quarante journées
M' ébranla comme eût fait un vertige odieux;
Le ciel de plomb, mon âme et les eaux déchaînées
Tournèrent sur ma tête, et je fermai les yeux.

VIII
Fermant les yeux, j' allais dans la nappe livide
M' élancer vers le sort qui seul me refusait,
Quand j' entendis quelqu' un qui de très haut disait:
" jusqu' au plafond du ciel la mer remplit le vide;
Ce qui fut l' homme est à jamais enseveli;
Et maintenant, seigneur, ton ordre est accompli! "
Et je vis un grand trou d' azur, large prunelle
Ouverte sur la nuit où la voix se perdait;
Et par cette embrasure où s' appuyait son aile,
Un ange qui passait la tête et regardait;
Et sa main sur les eaux étendit une palme.
Alors, au même instant, vers ce messager calme,
Derrière moi courut avec son sifflement,
Un triple éclat de rire, effroyable dans l' ombre,
Plein de haine et de joie, et tel, qu' horriblement
S' ouvrirent les yeux blancs de tous les morts sans nombre.
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Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:02

IX
Sans nombre, tous les morts, sur la mer accoudés,
Les cheveux hérissés de terreur, écoutèrent.
Les rideaux de la nuit près de moi s' écartèrent,
Et je vis, le front pâle, et les yeux corrodés
Par l' infinie angoisse et l' incurable haine,
Un être qui dressait sa taille surhumaine.
Debout, sur le sommet du monde, au plus profond
Du brouillard il fouilla d' un regard dur et rouge;
Et, sinistre, il cria sous le ciel bas et rond:
" ah! Tout est donc fini, mon maître! Et rien ne bouge!
Et rien ne revivra, puisque Dieu se repent!
Le conseil était bon de l' antique serpent,
Et je triomphe enfin! Sur les muets désastres
De ta création, et sur sa vanité,
Je relève la face et je rapporte aux astres
Mon foudroiement plus beau que ta stupidité!

X
Par ton stupide essai ma défaite est vengée,
Puisqu' il s' anéantit, le travail de six jours;
Avec ses dieux, avec ses palais, ses amours,
Puisque la race humaine est maintenant plongée
Sous ta propre fureur, sans possibles abris,
Moi debout, je contemple, et consolé, je ris.
Tu te repens; et moi, je ris! Et l' ombre noire
Où je pousse du pied tes splendeurs d' un moment,
Retentira toujours sous ton ciel dérisoire
Du formidable éclat de mon ricanement! "
-l' ange avait écouté dans les plis du nuage;
Une pitié candide altéra son visage;
Mais au loin, de son doigt d' où jaillit un rayon,
Lui désignant un point comme une tour en marche:
" regarde! Lui dit-il, et vois à l' horizon
L' avenir reconquis s' avancer dans cette arche! "

XI
-vers cette arche Satan rugit. Et dans sa voix
Tout un tonnerre alors de hautaine pensée,
De défis impuissants, de rancune amassée,
S' échappa de son sein prophétique, à la fois.
" puisque tu te repens aussi de ta justice,
Et qu' un monde nouveau, pour qu' il croisse et grandisse,
Émerge, arsenal plein des formes du péché;
Puisque tu redeviens, destructeur de ton oeuvre,
Sur ton oeuvre déjà l' artisan repenché,
Et qu' un plus vaste essaim, promis à la couleuvre
Du mal indestructible, est dans ce creux berceau!
Puisque tout va renaître avec le vermisseau
Que l' aïeul a marqué par sa première tache;
C' est bien! Je recommence un combat sans merci,
Et mon ardeur redouble et partout se rattache,
Puisque tout va revivre et blasphémer ici!
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Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:03

XII
" ici tout va revivre et blasphémer encore!
Moi, l' esprit prescient, l' archange inassouvi,
Qui ne puis ni ne veux aimer, je suis ravi,
Maître, par l' avenir de la nouvelle aurore.
Bien autrement vengé, je retourne à l' enfer!
Le mal industrieux, par la flamme et le fer,
Par l' envie, et par l' or, et par l' amour qui brûle,
Dans un bourbier plus grand demain rejettera
Tous les peuples éclos de cet oeuf ridicule.
Un air maudit toujours sur eux tous pèsera.
Leur instinct, c' est le vice ou le meurtre; et toi-même
Tu vas refaire aux cieux flamboyer l' anathème
Sur l' importun concert de leurs corruptions.
C' est une impureté, mon maître, qu' un nom d' homme!
Et le nouvel arrêt des malédictions
S' allumera bientôt sur Gomorrhe et Sodome.

XIII
" dans Sodome et Gomorrhe en flamme, après Babel,
J' entends vociférer sous le courroux céleste;
Et le viol, la folie, et la guerre, et la peste,
Attesteront partout le frère aîné d' Abel
Toujours jeune et toujours puni par Dieu qui passe.
Le sol va reverdir et parfumer l' espace
De ses vertes senteurs comme au premier matin;
Le sol va refleurir sous tes brillants fluides,
Ô soleil! Mais aussi, pour mon but clandestin,
L' homme aux sens dévorés de passions sordides,
Par-dessus les déserts de l' Ararat vermeil
Te renverra l' odeur des charniers, ô soleil!
Et tous les fils d' Abram, plus nombreux dans le crime,
Plus aveuglés au cours de chaque âge sanglant,
Vers mon avide empire, en un plus sûr abîme
Engloutis, vomiront leurs âmes en hurlant!
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Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:03

XIV
" les hommes en hurlant, dans mes fosses cachées,
Sauf quelques-uns, ô père éperdu sous l' affront!
D' heure en heure, de siècle en siècle, tomberont
Par files, par troupeaux, par grappes, par brochées.
Alors, las à la fin de brandir nuit et jour
Sur eux et sur l' idole adorée à son tour,
Épouvantail vieilli, l' effroi nu de ton glaive,
Tu voudras, sous l' aspect de l' un d' eux incarné,
Leur révéler toi-même une part de ton rêve.
Mais, contre le passant divin plus acharné,
Ton peuple raillera le poteau du calvaire;
Et le doux rédempteur, pleurant sa larme amère,
Mourra désespéré sur sa croix, n' ayant fait
Que rendre désormais les hommes plus coupables.
Le mal ira toujours sur la terre, en effet,
Aiguisant d' autant plus ses griffes innombrables.

XV
" innombrables, au fond des esprits ou des coeurs,
Par mille trous nouveaux il glissera ses griffes;
Et tes propres croyants conduits par leurs pontifes,
Plus louches au massacre ou plus fous de terreurs,
Se tordront plus courbés sous le faix de leurs âmes.
Pour en finir avec les hommes et les femmes
Dont le gémissement s' allonge sous tes lois,
Peut-être un jour, après des millions d' années,
Tu diras: " que la nuit se fasse! " et cette fois,
Dans la flamme ou dans l' eau, pour jamais condamnées,
Les générations périront sans appel.
Mais le chemin, ô maître! Est ardu de ton ciel.
Peu d' élus près de toi siégeront sous leurs nimbes,
Tandis que mes états seront pleins jusqu' aux bords;
Et l' éternel sanglot des enfers et des limbes,
Montant vers toi, sera ton éternel remords! "
Rita-kazem
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Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:04

XVI
-son éternel remords! à ce jaloux augure
L' ange a-t-il répondu? Je ne sais. Dans la nuit
Un coup d' aile fouetta les airs avec grand bruit,
Et dans les flots le vent de l' immense envergure
Me lança. Pour mourir j' y fis de vains efforts.
La mer ici toujours a refoulé mon corps;
Et toujours mon stylet contre ma chair s' arrête.
Abandonné, depuis bien des soleils j' attends,
Sur les étroits revers de cette sombre arête.
Pour vous, hommes des jours qui sortiront du temps,
Ô frères douloureux des époques futures,
Moi, Jubal, qui savais les sciences obscures,
J' ai gravé ces mots-là que j' ai seul entendus,
Sur les seize parois de ce pic hors de l' onde;
Plus tard, si leurs secrets ne sont alors perdus,
Si jamais l' un de vous les trouve, qu' il réponde!
Rita-kazem
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty LES FILAOS

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:04

LES FILAOS

A Théodore De Banville.

Là-bas, au flanc d' un mont couronné par la brume,
Entre deux noirs ravins roulant leurs frais échos,
Sous l' ondulation de l' air chaud qui s' allume
Monte un bois toujours vert de sombres filaos.
Pareil au bruit lointain de la mer sur les sables,
Là-bas, dressant d' un jet ses troncs roides et roux,
Cette étrange forêt aux douleurs ineffables
Pousse un gémissement lugubre, immense et doux.
Là-bas, bien loin d' ici, dans l' épaisseur de l' ombre,
Et tous pris d' un frisson extatique, à jamais,
Ces filaos songeurs croisent leurs nefs sans nombre,
Et dardent vers le ciel leurs flexibles sommets.
Le vent frémit sans cesse à travers leurs branchages,
Et prolonge en glissant sur leurs cheveux froissés,
Pareil au bruit lointain de la mer sur les plages,
Un chant grave et houleux dans les taillis bercés.
Des profondeurs du bois, des rampes sur la plaine,
Du matin jusqu' au soir, sans relâche, on entend
Sous la ramure frêle une sonore haleine,
Qui naît, accourt, s' emplit, se déroule et s' étend
Sourde ou retentissante, et d' arcade en arcade
Va se perdre aux confins noyés de brouillards froids,
Comme le bruit lointain de la mer dans la rade
S' allonge sous les nuits pleines de longs effrois.
Et derrière les fûts pointant leurs grêles branches
Au rebord de la gorge où pendent les mouffias,
Par place, on aperçoit, semés de taches blanches,
Sous les nappes de feu qui pétillent en bas,
Les champs jaunes et verts descendus aux rivages,
Puis l' océan qui brille et monte vers le ciel.
Nulle rumeur humaine à ces hauteurs sauvages
N' arrive. Et ce soupir, ce murmure immortel,
Pareil au bruit lointain de la mer sur les côtes,
Épand seul le respect et l' horreur à la fois
Dans l' air religieux des solitudes hautes.
C' est ton âme qui souffre, ô forêt! C' est ta voix
Qui gémit sans repos dans ces mornes savanes.
Et dans l' effarement de ton propre secret,
Exhalant ton arome aux éthers diaphanes,
Sur l' homme, ou sur l' enfant vierge encor de regret,
Sur tous ses vils soucis, sur ses gaîtés naïves,
Tu fais chanter ton rêve, ô bois! Et sur son front,
Pareil au bruit lointain de la mer sur les rives,
Plane ton froissement solennel et profond.
Bien des jours sont passés et perdus dans l' abîme
Où tombent tour à tour désir, joie, et sanglot;
Bien des foyers éteints qu' aucun vent ne ranime,
Gisent ensevelis dans nos coeurs, sous le flot
Sans pitié ni reflux de la cendre fatale;
Depuis qu' au vol joyeux de mes espoirs j' errais,
Ô bois éolien! Sous ta voûte natale,
Seul, écoutant venir de tes obscurs retraits,
Pareille au bruit lointain de la mer sur les grèves,
Ta respiration onduleuse et sans fin.
Dans le sévère ennui de nos vanités brèves,
Fatidiques chanteurs au douloureux destin,
Vous épanchiez sur moi votre austère pensée;
Et tu versais en moi, fils craintif et pieux,
Ta grande âme, ô nature! éternelle offensée!
Là-bas, bien loin d' ici, dans l' azur, près des cieux,
Vous bruissez toujours au revers des ravines;
Et par delà les flots, du fond des jours brûlants,
Vous m' emplissez encor de vos plaintes divines,
Filaos chevelus, bercés de souffles lents!
Et plus haut que les cris des villes périssables,
J' entends votre soupir immense et continu,
Pareil au bruit lointain de la mer sur les sables,
Qui passe sur ma tête et meurt dans l' inconnu!
Rita-kazem
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty LA NUIT DE JUIN

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:04

LA NUIT DE JUIN

A J-M De Heredia.
La nuit glisse à pas lents sous les feuillages lourds;
Sur les nappes d' eau morte aux reflets métalliques,
Ce soir traîne là-bas sa robe de velours;
Et du riche tapis des fleurs mélancoliques,
Vers les massifs baignés d' une fine vapeur,
Partent de chauds parfums dans l' air pris de torpeur.
Avec l' obsession rythmique de la houle,
Tout chargés de vertige, ils passent, emportés
Dans l' indolent soupir qui les berce et les roule.
Les gazons bleus sont pleins de féeriques clartés;
Sur la forêt au loin pèse un sommeil étrange;
On voit chaque rameau pendre comme une frange,
Et l' on n' entend monter au ciel pur aucun bruit.
Mais une âme dans l' air flotte sur toutes choses,
Et, docile au désir sans fin qui la poursuit,
D' elle-même s' essaye à ses métempsycoses.
Elle palpite et tremble, et comme un papillon,
À chaque instant, l' on voit naître dans un rayon
Une forme inconnue et faite de lumière,
Qui luit, s' évanouit, revient et disparaît.
Des appels étouffés traversent la clairière
Et meurent longuement comme expire un regret.

Une langueur morbide étreint partout les sèves;
Tout repose immobile, et s' endort; mais les rêves
Qui dans l' illusion tournent désespérés,
Voltigent par essaims sur les corps léthargiques
Et s' en vont bourdonnant par les bois, par les prés,
Et rayant l' air du bout de leurs ailes magiques.
-droite, grande, le front hautain et rayonnant,
Majestueuse ainsi qu' une reine, traînant
Le somptueux manteau de ses cheveux sur l' herbe,
Sous les arbres, là-bas, une femme à pas lents
Glisse. Rigidement, comme une sombre gerbe,
Sa robe en plis serrés tombe autour de ses flancs.
C' est la nuit! Elle étend la main sur les feuillages,
Et tranquille, poursuit, sans valets et sans pages,
Son chemin tout jonché de fleurs et de parfums.
Comme sort du satin une épaule charnue,
La lune à l' horizon sort des nuages bruns,
Et plus languissamment s' élève large et nue.
Sa lueur filtre et joue à travers le treillis
Des feuilles; et, par jets de rosée aux taillis,
Caresse, en la sculptant dans sa beauté splendide,
Cette femme aux yeux noirs qui se tourne vers moi.
Enveloppée alors d' une auréole humide,
Elle approche, elle arrive: et, plein d' un vague effroi,
Je sens dans ces grands yeux, dans ces orbes sans flamme,
Avec des sanglots sourds aller toute mon âme.

Doucement sur mon coeur elle pose la main.
Son immobilité me fascine et m' obsède,
Et roidit tous mes nerfs d' un effort surhumain.
Moi qui ne sais rien d' elle, elle qui me possède,
Tous deux nous restons là, spectres silencieux,
Et nous nous contemplons fixement dans les yeux.
Rita-kazem
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty DOLOROSA MATER

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:05

DOLOROSA MATER

A Octave Mirbeau.

Quand le rêveur en proie aux chagrins qu' il ravive,
Pour fuir l' homme et la vie, et lui-même à la fois,
Rafraîchissant sa tempe au bruit des cours d' eau vive,
S' en va par les prés verts, par les monts, par les bois;
Il refoule bien loin la pensée ulcérée,
Cependant qu' un désir de suprême repos
Profond comme le soir, lent comme la marée,
L' assaille, et l' enveloppe, et l' étreint jusqu' aux os.
Il aspire d' un trait l' air de la solitude;
Il se couche dans l' herbe ainsi qu' en un cercueil,
Et lève ses regards chargés de lassitude
Vers le ciel où s' éteint l' éclair de son orgueil.
Il promène son rêve engourdi dans l' espace,
Errant des pics aigus aux cimes des forêts,
Suit l' oiseau, dont le vol paisible les dépasse,
Et s' exhale en ce cri plein de ses longs regrets:
-" ô silence éternel! ô force aveugle et sourde!
Rocs noirs, prêtres géants de l' immobilité!
Bois sombres dont s' allonge au loin la masse lourde,
Geôliers qu' implore en vain la vieille humanité!
" c' est un levain fatal qui fermente en nos veines!
Le coeur trop ardemment dans la poitrine bat.
Espoirs, doutes, amours, désirs, passions vaines,
Tout meurtris de la lutte et lassés du combat!
" tout ce qui fait, hélas! La vie et son supplice,
Nature, absorbe-le dans ton sommeil divin!
Que ta sérénité souveraine m' emplisse!
Disperse-moi, nature insensible, en ton sein! "
-il laisse alors couler sa dernière amertume,
Les bras en croix dans l' herbe inventive à l' enfouir,
Comme un vaincu qui perd tout son sang s' accoutume
À l' oubli dont la mort commence à le couvrir.
Telle qu' un essaim fou d' invisibles phalènes,
Son âme en voltigeant s' éparpille dans l' air,
Plane sur les coteaux, et descend dans les plaines,
Plonge dans l' ombre et brille avec le rayon clair.
Elle est rocher, forêt, torrent, fleur et nuage.
Tout à la fois vapeur, parfum, bruit, mouvement,
Vibration confuse, inerte bloc sauvage;
Elle est fondue en toi, nature, entièrement.

Mais partout elle voit la vie universelle
Affluer, tressaillir sous la forme; elle entend,
Sous l' ombre ou sous la flamme auguste qui ruisselle,
Le labeur continu du globe palpitant.
Un principe énergique entre les foins circule;
Son corps nage au milieu d' une molle clarté.
Dans la brume odorante et dans le crépuscule,
Avec l' astre qui tombe il se croit emporté.
La nuit fait resplendir des globes innombrables.
Il sent rouler la terre, et vers l' obscur destin
Il l' entend, par-dessus nos clameurs misérables,
Elle-même pousser un hurlement sans fin,
Qui s' élève, grandit, et monte, et tourbillonne,
Fait de chants, de sanglots, et d' appels incertains,
Et, dans l' abîme où l' oeil des vieux soleils rayonne,
Se mêle aux grandes voix des univers lointains.
Ces mondes suspendus à jamais dans le vide,
Il les voit tournoyer, il les entend gémir;
Il entre en leur pensée, et sous sa chair livide
Sent le mortel frisson de l' infini courir.
Il se dresse, enivré d' un vertige effroyable
Sous cette angoisse immense, et sous la vision
De la vie infligée, ardente, impitoyable,
À l' amas effaré des corps en fusion.

-fausse silencieuse! ô nature! ô vivante!
Malheur à qui surprend ta détresse! éperdu,
Vers la ville il rapporte et garde l' épouvante
Du soupir infernal en ton sein entendu!
Rita-kazem
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty LE GOUFFRE

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:05

LE GOUFFRE

Il est des gouffres noirs dont les bords sont charmants.
La liane à l' entour qui tapisse la lande
Se balance aux parois et s' enroule en guirlande.
Fleuri d' une couronne aux mille chatoîments,
Je sais un gouffre noir sur la verte colline.
Des arbres de senteur l' ombragent en entier,
Et l' on y vient joyeux par le plus gai sentier.
Parfois un souffle frais et qui caresse incline
Le feuillage agité d' un rapide frisson,
Et sous un vol épars d' amoureuses paroles
Penchant les cloches d' or et les blanches corolles,
Verse à l' abîme, ainsi qu' un fidèle échanson,
Avec l' esprit des fleurs les gouttes de rosée.
Dans ce sinistre puits, ô perles! ô parfums!
Comme des espoirs morts ou des rêves défunts,
Pour qui donc tombez-vous? De quelle urne brisée?
De quel fleuve divin grossissez-vous le cours?
Qui vous recueillera pour la source épurée,
Vous inutile encens, larme toujours filtrée?

Un matin, -qu' ils sont loin déjà, ces temps trop courts! -
Un matin, j' admirais, l' âme neuve et ravie,
Tout cet enchantement de verdure et de fleurs
Suspendu sur le vide et mêlant leurs couleurs.
Je m' enivrais de joie et d' arome et de vie.
Hors des bruits de la plaine et du banal regard,
Je laissais ma pensée indolente et distraite,
Sur les recoins ombreux de la douce retraite,
Avec les oisillons voltiger au hasard.
Le soleil à travers les branches pacifiques
Criblait de diamants ces émaux sur ce noir;
Si bien que l' on eût dit sous la terre entrevoir
L' autre image du ciel dans les nuits magnifiques.
Et pour sonder le creux du soupirail profond,
Pour réveiller l' écho qui dormait sous ces plantes,
J' y fis tomber caillou, pierre et roches branlantes;
Mais comme au néant même en qui rien ne répond,
Tout s' abîmait. Nul bruit ne monta des ténèbres.
Un horrible frisson de pâleur et de froid
M' envahit tout à coup. Et je m' enfuis tout droit,
Souffleté par le vent des mystères funèbres.
Rita-kazem
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty L'ORGUEIL

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:06

L'ORGUEIL

Monts superbes, dressez vos pics inaccessibles
Sur le cirque brumeux où plongent vos flancs verts!
Métaux, dans le regret des chaleurs impossibles,
Durcissez-vous au fond des volcans entr' ouverts!
-hérisse, amer orgueil, ta muraille rigide
Sur le coeur que des yeux de femme ont perforé!
Désirs inassouvis, sous cette fière égide,
Mornes, endormez-vous dans le sommeil sacré!
-l' antique orage habite, ô monts! Dans vos abîmes,
Et prolonge sans fin sous les cèdres vibrants
Les sonores échos de ses éclats sublimes,
Et des troncs fracassés qu' emportent les torrents.
-orgueil, derrière toi l' amour est là, qui gronde
Toujours, et fait crier l' ombre des rêves morts,
Aux lugubres appels de l' angoisse inféconde
Et des vieux désespoirs perdus dans les remords.
-sur les ébranlements, les éclairs, les écumes,
Pics songeurs, vous gardez votre sérénité.
Du côté de la plaine, ô monts! Vierges de brumes,
Vos sommets radieux baignent dans la clarté.
-sur les déchirements, les sanglots, les rancunes,
Fermez, orgueil, fierté, votre ceinture d' or.
Du côté de la vie aux rumeurs importunes
Reluisez au soleil, et souriez encor!
Rita-kazem
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty SOIR D'OCTOBRE

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:06

SOIR D'OCTOBRE

A Catulle Mendès.

Un long frisson descend des coteaux aux vallées;
Des coteaux et des bois, dans la plaine et les champs,
Le frisson de la nuit passe vers les allées.
-oh! L' angelus du soir dans les soleils couchants! -
Sous une haleine froide au loin meurent les chants,
Les rires et les chants dans les brumes épaisses.
Dans la brume qui monte ondule un souffle lent;
Un souffle lent répand ses dernières caresses,
Sa caresse attristée au fond du bois tremblant;
Les bois tremblent; la feuille en flocon sec tournoie,
Tournoie et tombe au bord des sentiers désertés.
Sur la route déserte un brouillard qui la noie,
Un brouillard jaune étend ses blafardes clartés;
Vers l' occident blafard traîne une rose trace,
Et les bleus horizons roulent comme des flots,
Roulent comme une mer dont le flot nous embrasse,
Nous enlace, et remplit la gorge de sanglots.
Plein du pressentiment des saisons pluviales,
Le premier vent d' octobre épanche ses adieux,
Ses adieux frémissants sous les feuillages pâles,
Nostalgiques enfants des soleils radieux.
Les jours frileux et courts arrivent. C' est l' automne.
-comme elle vibre en nous, la cloche qui bourdonne! -
L' automne, avec la pluie et les neiges, demain
Versera les regrets et l' ennui monotone;
Le monotone ennui de vivre est en chemin!
Plus de joyeux appels sous les voûtes ombreuses;
Plus d' hymnes à l' aurore, ou de voix dans le soir
Peuplant l' air embaumé de chansons amoureuses!
Voici l' automne! Adieu, le splendide encensoir
Des prés en fleurs fumant dans le chaud crépuscule.
Dans l' or du crépuscule, adieu, les yeux baissés,
Les couples chuchotants dont le coeur bat et brûle,
Qui vont la joue en feu, les bras entrelacés,
Les bras entrelacés quand le soleil décline.
-la cloche lentement tinte sur la colline. -
Adieu, la ronde ardente, et les rires d' enfants,
Et les vierges, le long du sentier qui chemine,
Rêvant d' amour tout bas sous les cieux étouffants!
-âme de l' homme, écoute en frémissant comme elle
L' âme immense du monde autour de toi frémir!
Ensemble frémissez d' une douleur jumelle.
Vois les pâles reflets des bois qui vont jaunir;
Savoure leur tristesse et leurs senteurs dernières,
Les dernières senteurs de l' été disparu;
-et le son de la cloche au milieu des chaumières! -
L' été meurt; son soupir glisse dans les lisières.

Sous le dôme éclairci des chênes a couru
Leur râle entre-choquant les ramures livides.
Elle est flétrie aussi, ta riche floraison,
L' orgueil de ta jeunesse! Et bien des nids sont vides,
Âme humaine, où chantaient dans ta jeune saison
Les désirs gazouillants de tes aurores brèves.
Âme crédule! écoute en toi frémir encor,
Avec ces tintements douloureux et sans trêves,
Frémir depuis longtemps l' automne dans tes rêves,
Dans tes rêves tombés dès leur premier essor.
Tandis que l' homme va, le front bas, toi, son âme,
Écoute le passé qui gémit dans les bois!
Écoute, écoute en toi, sous leur cendre et sans flamme,
Tous tes chers souvenirs tressaillir à la fois
Avec le glas mourant de la cloche lointaine!
Une autre maintenant lui répond à voix pleine.
Écoute à travers l' ombre, entends avec langueur
Ces cloches tristement qui sonnent dans la plaine,
Qui vibrent tristement, longuement, dans ton coeur!
Rita-kazem
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty LA RUINE

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:07

LA RUINE

A Auguste Villiers De L' Isle-Adam.

L' esprit mystérieux au vague ou bref chemin
Qui par moments nous prête un regard surhumain,
Le rêve, m' a montré ce que n' a vu personne:
C' était, sous un air lourd qui jamais ne frissonne,
Un continent couvert d' arbres pétrifiés,
Si puissants, que jadis lorsque vous triomphiez,
Vieux chênes! Auprès d' eux vos chefs les plus robustes
Et les plus hauts à peine auraient fait des arbustes.
D' énormes ossements perçaient de tous côtés,
Pareils à de grands rocs affreux qu' auraient sculptés
De durs géants jaloux du féroce prodige
De la création à son premier vertige;
Et c' était quelque part, aux confins ignorés
De la terre, ou peut-être au fond des flots sacrés;
Et le plus effrayant de ce monde effroyable
C' était, au centre et hors des épaisseurs du sable,
Un temple ruiné, mais colossal encor
Mille fois plus que ceux de Karnak et d' Angkor!

Des escaliers sans fin, portant des avenues
De monstres, s' étageaient, s' écroulaient dans les nues
Dont ils semblaient former le lit torrentiel;
Des arches d' un seul bloc aux largeurs d' arc-en-ciel
Se croisaient, unissant des porches, des colonnes,
Tels que n' en ont jamais conçu les Babylones,
Et s' élevaient toujours, toujours, sous des monceaux
Démesurés de tours, de portiques, d' arceaux,
De chapiteaux massifs où des bêtes hybrides
Sur leurs trompes en l' air tenaient des pyramides.
Des frontons d' une lieue allaient se prolongeant;
Des portes toutes d' or dans des murs tout d' argent
Étincelaient parmi des Alpes de décombres;
Des abîmes de nuit s' engouffraient sous les ombres;
Et partout, jusqu' au faîte, un million de dieux
Enveloppés ou nus, aveugles ou pleins d' yeux,
Noirs et ramifiés comme des madrépores,
Ou sans bras, éclatants comme des météores,
Debout, assis en cercle, accroupis ou rampants,
Enfouis jusqu' au ventre ou restés en suspens,
Horribles, couronnés de forêts en spirales,
Ou de mitres ayant l' ampleur des cathédrales,
Pullulaient, remplissant de leurs difformités
Les quatre sections des cieux épouvantés.
Et bien avant Babel, bien avant l' Atlantide,
C' était l' oeuvre fameuse et la cariatide
D' un orgueil qui bouillonne avec le globe entier,
Bâtie avec le sang des vaincus pour mortier;
La merveille des jours plus lointains que cet âge
Dont la fable cherchait le confus héritage;
Et des siècles de vie où la douleur hurla,
Toute une formidable histoire dormait là,
Du haut en bas gravée en langue originelle
Sur le bronze inusable et la pierre éternelle,
Au fond de l' invisible et du silence, au fond
De l' oubli, derniers dieux en qui tout se confond.
Rita-kazem
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty JOURNEE D'HIVER

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:07

JOURNEE D'HIVER

Nul rayon, ce matin, n' a pénétré la brume,
Et le lâche soleil est monté sans rien voir.
Aujourd' hui dans mes yeux nul désir ne s' allume;
Songe au présent, mon âme, et cesse de vouloir.
Le vieil astre s' éteint comme un bloc sur l' enclume,
Et rien n' a rejailli sur les rideaux du soir.
Je sombre tout entier dans ma propre amertume;
Songe au passé, mon âme, et vois comme il est noir!
Les anges de la nuit traînent leurs lourds suaires;
Ils ne suspendront pas leurs lampes au plafond;
Mon âme, songe à ceux qui sans pleurer s' en vont!
Songe aux échos muets des anciens sanctuaires.
Sépulcre aussi, rempli de cendres jusqu' aux bords,
Mon âme, songe à l' ombre, au sommeil, songe aux morts!
Rita-kazem
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty LE REVE DE LA MORT

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:07

LE REVE DE LA MORT

I
Un ange sur mon front déploya sa grande aile;
Une ombre lentement descendit vers mes yeux;
Et sur chaque paupière un doigt impérieux
Vint alourdir la nuit plus épaisse autour d' elle.
Un ange lentement déploya sa grande aile,
Et sous ses doigts de plomb s' enfoncèrent mes yeux.
Puis tout s' évanouit, douleur, efforts, mémoire;
Et je sentais flotter ma forme devant moi,
Et mes pensers de même, ou de honte ou de gloire,
S' échappaient de mon corps pêle-mêle, et sans loi.

II
Une forme flottait, qui semblait mon image.
L' ai-je suivie une heure ou cent ans? Je ne sais.
Mais j' ai gardé l' effroi des lieux où je passais.
La sueur me glaça de l' orteil au visage
Derrière cette forme où vivait mon image.
Pendant combien de jours terrestres? Je ne sais.
Mais sous des horizons tout d' encre ou tout de flamme,
Pour toujours je sentais quelque chose en mon coeur
Voler vers cet éclat pour se perdre en sa trame,
Quelque chose de moi qui faisait ma vigueur.

III
Et voilà devant nous qu' une forêt géante
Brusquement balança dans l' espace embrasé
Son manteau par un sang vif et tiède arrosé.
Comme un rouge flocon d' une neige brûlante,
Un âpre vent, du haut de la forêt géante
Jusqu' au sol par les feux du soleil embrasé,
Secouait chaque feuille à travers les ramures.
Et de mon front aussi chaque rêve tombait,
Et dans mon spectre, avec de très lointains murmures,
Chaque rêve tombé de mon front s' absorbait.
Rita-kazem
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poésies: Léon Dierx - Page 2 Empty le rêve de la mort

Message par Rita-kazem Mar 4 Mai - 9:08

IV
Sur ma tête sifflaient de lugubres rafales;
Et le gémissement surhumain de ce bois
Semblait l' appel perdu de millions de voix.
C' était le long sanglot des morts, par intervalles,
Qui de tous les confins passait dans ces rafales.
Un lac de sang luisait au milieu de ce bois,
Épanché d' un soleil aux ondes écarlates.
Et mes anciens désirs ruisselaient au dehors;
Vers mon fantôme clair, avec leurs tristes dates,
Mes désirs ruisselaient et désertaient mon corps.

V
Et ce lac grandit, tel qu' une mer sans rivage;
Et ce globe penché sur l' horizon semblait
Un coeur énorme au loin dardant son vif reflet.
C' était le vaste coeur des peuples d' âge en âge,
Saignant sur cette mer étrange et sans rivage.
Et ce qui s' écoulait de cet astre semblait
Le sang, le propre sang de l' humanité morte;
Et nous voguions tous deux sur ce flot abhorré.
Mon image brillait plus distincte et plus forte
Et j' y sentais partout mon esprit aspiré.

VI
Sous la nappe sans bord de cette pourpre horrible
Le soleil s' éclipsa d' un coup brusque, et le ciel
À sa place creusait son azur solennel,
Par delà le regard, par delà l' invisible.
Et dans l' éther profond, sous cette pourpre horrible,
Des astres inconnus s' enfonçaient dans le ciel,
Toujours, toujours plus loin, au fond de l' insondable.
L' éclair de chacun d' eux m' emplissait comme un son;
Et tous mes sens, vers l' être à mon reflet semblable,
Abandonnaient mon corps dans un dernier frisson.
Rita-kazem
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