poésies: Léon Dierx
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poésies: Léon Dierx
Rappel du premier message :
Les poésies écrites par Léon Dierx, auteur du 19 ième siècle éxtrait du recueil Les lèvres closes
La nuit filtrait en moi, fraîche comme un breuvage.
Mes pores la buvaient délicieusement
Je roulais enivré dans un doux tournoiement;
Et toujours j'approchais du ténébreux rivage
Où l'ombre dans les corps filtre comme un breuvage.
Le Léthé de la Nuit délicieusement
M'emplissait d'un silence ineffable...
Et maintenant au bord de l'Erèbe immobile,
Sous l'oeil démesuré d'un fixe et noir soleil,
Je reposais dissous dans l'éternel sommeil...
Et je comptais sans fin, ainsi que des secondes,
Les siècles un par un tombés des mornes cieux,
Les siècles morts tombés de l'amas des vieux mondes,
Tombés dans le néant noir et silencieux.
Les poésies écrites par Léon Dierx, auteur du 19 ième siècle éxtrait du recueil Les lèvres closes
Rêve de la mort |
Mes pores la buvaient délicieusement
Je roulais enivré dans un doux tournoiement;
Et toujours j'approchais du ténébreux rivage
Où l'ombre dans les corps filtre comme un breuvage.
Le Léthé de la Nuit délicieusement
M'emplissait d'un silence ineffable...
Et maintenant au bord de l'Erèbe immobile,
Sous l'oeil démesuré d'un fixe et noir soleil,
Je reposais dissous dans l'éternel sommeil...
Et je comptais sans fin, ainsi que des secondes,
Les siècles un par un tombés des mornes cieux,
Les siècles morts tombés de l'amas des vieux mondes,
Tombés dans le néant noir et silencieux.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
le rêve de la mort
IV
Sur ma tête sifflaient de lugubres rafales;
Et le gémissement surhumain de ce bois
Semblait l' appel perdu de millions de voix.
C' était le long sanglot des morts, par intervalles,
Qui de tous les confins passait dans ces rafales.
Un lac de sang luisait au milieu de ce bois,
Épanché d' un soleil aux ondes écarlates.
Et mes anciens désirs ruisselaient au dehors;
Vers mon fantôme clair, avec leurs tristes dates,
Mes désirs ruisselaient et désertaient mon corps.
V
Et ce lac grandit, tel qu' une mer sans rivage;
Et ce globe penché sur l' horizon semblait
Un coeur énorme au loin dardant son vif reflet.
C' était le vaste coeur des peuples d' âge en âge,
Saignant sur cette mer étrange et sans rivage.
Et ce qui s' écoulait de cet astre semblait
Le sang, le propre sang de l' humanité morte;
Et nous voguions tous deux sur ce flot abhorré.
Mon image brillait plus distincte et plus forte
Et j' y sentais partout mon esprit aspiré.
VI
Sous la nappe sans bord de cette pourpre horrible
Le soleil s' éclipsa d' un coup brusque, et le ciel
À sa place creusait son azur solennel,
Par delà le regard, par delà l' invisible.
Et dans l' éther profond, sous cette pourpre horrible,
Des astres inconnus s' enfonçaient dans le ciel,
Toujours, toujours plus loin, au fond de l' insondable.
L' éclair de chacun d' eux m' emplissait comme un son;
Et tous mes sens, vers l' être à mon reflet semblable,
Abandonnaient mon corps dans un dernier frisson.
Sur ma tête sifflaient de lugubres rafales;
Et le gémissement surhumain de ce bois
Semblait l' appel perdu de millions de voix.
C' était le long sanglot des morts, par intervalles,
Qui de tous les confins passait dans ces rafales.
Un lac de sang luisait au milieu de ce bois,
Épanché d' un soleil aux ondes écarlates.
Et mes anciens désirs ruisselaient au dehors;
Vers mon fantôme clair, avec leurs tristes dates,
Mes désirs ruisselaient et désertaient mon corps.
V
Et ce lac grandit, tel qu' une mer sans rivage;
Et ce globe penché sur l' horizon semblait
Un coeur énorme au loin dardant son vif reflet.
C' était le vaste coeur des peuples d' âge en âge,
Saignant sur cette mer étrange et sans rivage.
Et ce qui s' écoulait de cet astre semblait
Le sang, le propre sang de l' humanité morte;
Et nous voguions tous deux sur ce flot abhorré.
Mon image brillait plus distincte et plus forte
Et j' y sentais partout mon esprit aspiré.
VI
Sous la nappe sans bord de cette pourpre horrible
Le soleil s' éclipsa d' un coup brusque, et le ciel
À sa place creusait son azur solennel,
Par delà le regard, par delà l' invisible.
Et dans l' éther profond, sous cette pourpre horrible,
Des astres inconnus s' enfonçaient dans le ciel,
Toujours, toujours plus loin, au fond de l' insondable.
L' éclair de chacun d' eux m' emplissait comme un son;
Et tous mes sens, vers l' être à mon reflet semblable,
Abandonnaient mon corps dans un dernier frisson.
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le rêve de la mort
VII
Comme un épais rideau fait d' un velours rigide,
Montait derrière nous l' ombre du dernier soir;
Le rouge de la mer se fondait dans le noir;
Maintenant rien de moi n' allait plus vers mon guide;
Et sur nous s' élevait comme un rideau rigide
Une éternelle nuit après le dernier soir.
Et là, tout près de moi, ce double de moi-même,
Qui me regardait, plein d' un dédain envieux,
C' était, je le compris, prête à l' adieu suprême,
Mon âme à tout jamais libre sous les grands cieux.
VIII
Comme un glaive éclatant hors d' une affreuse gaîne,
Elle était là debout avec son regard clair,
Dont je sentais l' acier pénétrer dans ma chair.
Elle était là visible, et désormais sans chaîne;
Telle qu' un glaive nu debout près de sa gaîne,
Elle m' enveloppait avec son regard clair.
Et tout me regardait, conscience, pensées,
Esprit, rêves, désirs, joie, espoirs et douleurs,
Qui reprenaient, au glas des souffrances passées,
Leurs formes, leurs parfums, leurs sons et leurs couleurs.
IX
Et voilà cette fois qu' une arche de lumière,
Jusqu' au ciel, par-dessus les étoiles, d' un jet,
Près de nous, comme un pont sans limite émergeait,
Un chemin idéal fait d' astres en poussière.
Mon âme alors me dit: " cette arche de lumière
Qui traverse les cieux révélés d' un seul jet,
Sort du temps, et tout droit vers l' éternité mène.
Boue inerte, matière, ô corps! Vieux ennemis,
Je vous repousse enfin, geôliers de l' âme humaine;
Retournez par la mort dans le néant promis! "
Comme un épais rideau fait d' un velours rigide,
Montait derrière nous l' ombre du dernier soir;
Le rouge de la mer se fondait dans le noir;
Maintenant rien de moi n' allait plus vers mon guide;
Et sur nous s' élevait comme un rideau rigide
Une éternelle nuit après le dernier soir.
Et là, tout près de moi, ce double de moi-même,
Qui me regardait, plein d' un dédain envieux,
C' était, je le compris, prête à l' adieu suprême,
Mon âme à tout jamais libre sous les grands cieux.
VIII
Comme un glaive éclatant hors d' une affreuse gaîne,
Elle était là debout avec son regard clair,
Dont je sentais l' acier pénétrer dans ma chair.
Elle était là visible, et désormais sans chaîne;
Telle qu' un glaive nu debout près de sa gaîne,
Elle m' enveloppait avec son regard clair.
Et tout me regardait, conscience, pensées,
Esprit, rêves, désirs, joie, espoirs et douleurs,
Qui reprenaient, au glas des souffrances passées,
Leurs formes, leurs parfums, leurs sons et leurs couleurs.
IX
Et voilà cette fois qu' une arche de lumière,
Jusqu' au ciel, par-dessus les étoiles, d' un jet,
Près de nous, comme un pont sans limite émergeait,
Un chemin idéal fait d' astres en poussière.
Mon âme alors me dit: " cette arche de lumière
Qui traverse les cieux révélés d' un seul jet,
Sort du temps, et tout droit vers l' éternité mène.
Boue inerte, matière, ô corps! Vieux ennemis,
Je vous repousse enfin, geôliers de l' âme humaine;
Retournez par la mort dans le néant promis! "
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LE REVE DE LA MORT
X
-" reste! Cria le corps, reste près de ton frère!
-faible et vil compagnon, je t' ai toujours haï.
-n' ai-je pas chaque jour à ton ordre obéi?
-tu mens, et ton désir était au mien contraire.
-reste, je me soumets, prends pitié de ton frère!
-meurs! Tu me hais autant que, moi, je t' ai haï.
-reste! Je t' aimerai, ton départ m' épouvante.
-mes remords sont tes fils, seule il m' en faut souffrir.
-moi, j' ai souffert aussi par toi, soeur décevante.
-l' oubli gît dans la terre où tes os vont pourrir.
XI
-" qui me consolera dans le vide où je sombre?
-en moi qui versera le repos et la paix?
-oh! Mourir; ne plus voir le clair soleil jamais!
-oh! Revivre, et jamais ne s' endormir dans l' ombre!
-le froid terrible règne en ce vide où je sombre!
-l' infini qui m' étreint ignore, hélas! La paix!
-la mort rit et m' attend! -un ange aussi m' appelle!
-je maudis ton orgueil! -et moi, ta lâcheté!
-ah! L' horreur du néant crispe ma chair mortelle!
-et moi, pleine d' horreur, j' entre en l' éternité! "
XII
Un choc intérieur traversa tout mon être.
Tout disparut. Mon corps était resté tout seul,
Et la nuit l' embrassa de son épais linceul,
Nuit telle qu' un vivant n' en peut jamais connaître.
Un frisson glacial courut dans tout mon être,
Et dans un puits sans fond je croyais choir tout seul.
L' angoisse de la chute était l' idée unique
Et nette survivante encore en mon cerveau;
Puis insensiblement la terreur tyrannique
S' enfuit pour me laisser jouir d' un sens nouveau.
-" reste! Cria le corps, reste près de ton frère!
-faible et vil compagnon, je t' ai toujours haï.
-n' ai-je pas chaque jour à ton ordre obéi?
-tu mens, et ton désir était au mien contraire.
-reste, je me soumets, prends pitié de ton frère!
-meurs! Tu me hais autant que, moi, je t' ai haï.
-reste! Je t' aimerai, ton départ m' épouvante.
-mes remords sont tes fils, seule il m' en faut souffrir.
-moi, j' ai souffert aussi par toi, soeur décevante.
-l' oubli gît dans la terre où tes os vont pourrir.
XI
-" qui me consolera dans le vide où je sombre?
-en moi qui versera le repos et la paix?
-oh! Mourir; ne plus voir le clair soleil jamais!
-oh! Revivre, et jamais ne s' endormir dans l' ombre!
-le froid terrible règne en ce vide où je sombre!
-l' infini qui m' étreint ignore, hélas! La paix!
-la mort rit et m' attend! -un ange aussi m' appelle!
-je maudis ton orgueil! -et moi, ta lâcheté!
-ah! L' horreur du néant crispe ma chair mortelle!
-et moi, pleine d' horreur, j' entre en l' éternité! "
XII
Un choc intérieur traversa tout mon être.
Tout disparut. Mon corps était resté tout seul,
Et la nuit l' embrassa de son épais linceul,
Nuit telle qu' un vivant n' en peut jamais connaître.
Un frisson glacial courut dans tout mon être,
Et dans un puits sans fond je croyais choir tout seul.
L' angoisse de la chute était l' idée unique
Et nette survivante encore en mon cerveau;
Puis insensiblement la terreur tyrannique
S' enfuit pour me laisser jouir d' un sens nouveau.
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LE REVE DE LA MORT
XIII
La nuit filtrait en moi, fraîche comme un breuvage;
Mes pores la buvaient délicieusement;
Je me sentais bercé par son enivrement;
Et toujours j' approchais du ténébreux rivage
Où l' ombre dans les corps filtre comme un breuvage.
Le Léthé de la nuit délicieusement
M' imprégnait d' un silence ineffable; et la vie
Ne comprendra jamais le silence et la nuit
Qui, de plus en plus doux pour la chair asservie,
Montaient comme le jour, croissaient comme le bruit.
XIV
Et maintenant au bord de l' érèbe immobile,
Sous l' oeil démesuré d' un fixe et noir soleil,
Je reposais dissous dans l' éternel sommeil,
Fécondant sans efforts les vaisseaux de l' argile.
Toujours plus obscurcis, dans l' érèbe immobile
Tombaient les longs rayons d' un fixe et noir soleil;
Et je comptais sans fin, ainsi que des secondes,
Les siècles un par un tombés des mornes cieux,
Les siècles morts tombés de l' amas des vieux mondes,
Tombés dans le néant noir et silencieux.
La nuit filtrait en moi, fraîche comme un breuvage;
Mes pores la buvaient délicieusement;
Je me sentais bercé par son enivrement;
Et toujours j' approchais du ténébreux rivage
Où l' ombre dans les corps filtre comme un breuvage.
Le Léthé de la nuit délicieusement
M' imprégnait d' un silence ineffable; et la vie
Ne comprendra jamais le silence et la nuit
Qui, de plus en plus doux pour la chair asservie,
Montaient comme le jour, croissaient comme le bruit.
XIV
Et maintenant au bord de l' érèbe immobile,
Sous l' oeil démesuré d' un fixe et noir soleil,
Je reposais dissous dans l' éternel sommeil,
Fécondant sans efforts les vaisseaux de l' argile.
Toujours plus obscurcis, dans l' érèbe immobile
Tombaient les longs rayons d' un fixe et noir soleil;
Et je comptais sans fin, ainsi que des secondes,
Les siècles un par un tombés des mornes cieux,
Les siècles morts tombés de l' amas des vieux mondes,
Tombés dans le néant noir et silencieux.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
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LA PRIERE D'ADAM
LA PRIERE D'ADAM
Songe horrible! -la foule innombrable des âmes
M' entourait. Immobile et muet, devant nous,
Beau comme un dieu, mais triste et pliant les genoux,
L' ancêtre restait loin des hommes et des femmes.
Et le rayonnement de sa mâle beauté,
Sa force, son orgueil, son remords, tout son être,
Forme du premier rêve où s' admira son maître,
S' illuminait du sceau de la virginité.
Tous écoutaient, penchés sur les espaces blêmes,
Monter du plus lointain de l' abîme des cieux
L' inextinguible écho des vivants vers les dieux,
Les rires fous, les cris de rage et les blasphèmes.
Et plus triste toujours, Adam, seul, prosterné,
Priait; et sa poitrine était rougie encore,
Chaque fois qu' éclatait dans la brume sonore
Ces mots sans trêve: " Adam, un nouvel homme est né! "
-" seigneur! Murmurait-il, qu' il est long, ce supplice!
Mes fils ont bien assez pullulé sous ta loi.
N' entendrai-je jamais la nuit crier vers moi:
" le dernier homme est mort! Et que tout s'accomplisse! "
Songe horrible! -la foule innombrable des âmes
M' entourait. Immobile et muet, devant nous,
Beau comme un dieu, mais triste et pliant les genoux,
L' ancêtre restait loin des hommes et des femmes.
Et le rayonnement de sa mâle beauté,
Sa force, son orgueil, son remords, tout son être,
Forme du premier rêve où s' admira son maître,
S' illuminait du sceau de la virginité.
Tous écoutaient, penchés sur les espaces blêmes,
Monter du plus lointain de l' abîme des cieux
L' inextinguible écho des vivants vers les dieux,
Les rires fous, les cris de rage et les blasphèmes.
Et plus triste toujours, Adam, seul, prosterné,
Priait; et sa poitrine était rougie encore,
Chaque fois qu' éclatait dans la brume sonore
Ces mots sans trêve: " Adam, un nouvel homme est né! "
-" seigneur! Murmurait-il, qu' il est long, ce supplice!
Mes fils ont bien assez pullulé sous ta loi.
N' entendrai-je jamais la nuit crier vers moi:
" le dernier homme est mort! Et que tout s'accomplisse! "
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
LE RENDEZ-VOUS À Michel Baronnet.
LE RENDEZ-VOUS
À Michel Baronnet.
Bâti par des mains inconnues,
Un féerique palais, longtemps,
Ouvre au vent frais des avenues
Ses fenêtres à deux battants.
À chaque porte, en grand costume,
Sonnant du cor sur l' escalier,
Un page, selon la coutume,
Vante le seuil hospitalier.
Le suzerain de ce domaine,
Dans les salles de son palais,
En riche apparat se promène,
Comptant son or et ses valets.
D' heure en heure, son oeil avide
Interroge les horizons.
L' écheveau du temps se dévide;
Les jours passent et les saisons.
Il attend toujours ses convives.
Malgré les vents, malgré les froids,
Il croit entendre leurs voix vives,
Et le galop des palefrois.
Sa table pour eux est dressée
Chaque jour, et tout prêt son vin.
Il les fête dans sa pensée;
Et les pages sonnent en vain!
Maintes brillantes cavalcades
Passent là-bas sur les chemins,
Comme fuyant les embuscades
D' un manoir aux durs lendemains.
Noble, il se fie à la noblesse
Des invités de haut renom.
Honteux du doute qui le blesse,
Aux pages las il répond: " non!
" non! Redorez toutes mes salles!
Rallumez ce soir les flambeaux!
Allez dans mes plaines vassales;
Apportez-moi des fruits plus beaux!
" changez les fleurs sur ces balustres!
Resablez les routes du bois!
Ils viendront, mes hôtes illustres!
C' est en leur honneur que je bois! "
Et nul ne vient; nul équipage
Ne piaffe aux portes du château;
Et sur son perron chaque page,
Épuisé, dort dans son manteau.
Tandis que le temps ronge et mine
Au dehors les murs récrépis,
Le palais toujours s' illumine,
Partout plein d' échos assoupis.
Un soir d' orage, les rafales,
Au bruit des volets rabattus,
Soufflent les torches triomphales
Dans la main des hérauts têtus.
Et voilà dans la nuit sonore
Des pas nombreux sur le parquet:
" salut, dit l' hôte, à qui m' honore!
Et mon coeur vous revendiquait!
-" allons! Comme nous, tiens parole!
Lui répondent les arrivants;
Mets à ton seuil ta banderole,
Malgré la nuit, malgré les vents.
" nous venions tous en compagnie
À nos chevaux livrant les mors.
Le souffle d' un mauvais génie
Nous a bientôt fait tomber morts.
" morts, nous tenons notre promesse;
Et pour tombe nous choisissons,
Défunts sans cercueil et sans messe,
Ton palais aux mille échansons!
" châtelain! Qu' on nous rassasie;
Mais de nous surtout n' attends pas
Discrétion ou courtoisie.
Il sera long, notre repas!
" nous avons tué sur tes portes
Tes sonneurs de cor endormis.
Voyons comment tu te comportes,
Châtelain, avec tes amis!
" nos noms étaient: joie, espérance,
Amour, gloire, bonheur, repos.
On lisait écrit: délivrance,
En lettres d' or sur nos drapeaux.
" on nous nomme aujourd' hui tristesse,
Solitude, soucis, douleur,
Et désespoirs. La sombre altesse
Qui nous commande est le malheur! "
Et lui, pour fêter ces vampires,
Leur sert dans l' ombre, en frémissant,
Son coeur fier de ses longs martyres,
Son coeur loyal, riche de sang.
Et depuis, dans le noir domaine
Dure encor l' horrible festin.
On lit sur le porche: âme humaine
Qui tient sa parole au destin!
À Michel Baronnet.
Bâti par des mains inconnues,
Un féerique palais, longtemps,
Ouvre au vent frais des avenues
Ses fenêtres à deux battants.
À chaque porte, en grand costume,
Sonnant du cor sur l' escalier,
Un page, selon la coutume,
Vante le seuil hospitalier.
Le suzerain de ce domaine,
Dans les salles de son palais,
En riche apparat se promène,
Comptant son or et ses valets.
D' heure en heure, son oeil avide
Interroge les horizons.
L' écheveau du temps se dévide;
Les jours passent et les saisons.
Il attend toujours ses convives.
Malgré les vents, malgré les froids,
Il croit entendre leurs voix vives,
Et le galop des palefrois.
Sa table pour eux est dressée
Chaque jour, et tout prêt son vin.
Il les fête dans sa pensée;
Et les pages sonnent en vain!
Maintes brillantes cavalcades
Passent là-bas sur les chemins,
Comme fuyant les embuscades
D' un manoir aux durs lendemains.
Noble, il se fie à la noblesse
Des invités de haut renom.
Honteux du doute qui le blesse,
Aux pages las il répond: " non!
" non! Redorez toutes mes salles!
Rallumez ce soir les flambeaux!
Allez dans mes plaines vassales;
Apportez-moi des fruits plus beaux!
" changez les fleurs sur ces balustres!
Resablez les routes du bois!
Ils viendront, mes hôtes illustres!
C' est en leur honneur que je bois! "
Et nul ne vient; nul équipage
Ne piaffe aux portes du château;
Et sur son perron chaque page,
Épuisé, dort dans son manteau.
Tandis que le temps ronge et mine
Au dehors les murs récrépis,
Le palais toujours s' illumine,
Partout plein d' échos assoupis.
Un soir d' orage, les rafales,
Au bruit des volets rabattus,
Soufflent les torches triomphales
Dans la main des hérauts têtus.
Et voilà dans la nuit sonore
Des pas nombreux sur le parquet:
" salut, dit l' hôte, à qui m' honore!
Et mon coeur vous revendiquait!
-" allons! Comme nous, tiens parole!
Lui répondent les arrivants;
Mets à ton seuil ta banderole,
Malgré la nuit, malgré les vents.
" nous venions tous en compagnie
À nos chevaux livrant les mors.
Le souffle d' un mauvais génie
Nous a bientôt fait tomber morts.
" morts, nous tenons notre promesse;
Et pour tombe nous choisissons,
Défunts sans cercueil et sans messe,
Ton palais aux mille échansons!
" châtelain! Qu' on nous rassasie;
Mais de nous surtout n' attends pas
Discrétion ou courtoisie.
Il sera long, notre repas!
" nous avons tué sur tes portes
Tes sonneurs de cor endormis.
Voyons comment tu te comportes,
Châtelain, avec tes amis!
" nos noms étaient: joie, espérance,
Amour, gloire, bonheur, repos.
On lisait écrit: délivrance,
En lettres d' or sur nos drapeaux.
" on nous nomme aujourd' hui tristesse,
Solitude, soucis, douleur,
Et désespoirs. La sombre altesse
Qui nous commande est le malheur! "
Et lui, pour fêter ces vampires,
Leur sert dans l' ombre, en frémissant,
Son coeur fier de ses longs martyres,
Son coeur loyal, riche de sang.
Et depuis, dans le noir domaine
Dure encor l' horrible festin.
On lit sur le porche: âme humaine
Qui tient sa parole au destin!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
LE SURVIVANT
LE SURVIVANT
Je sors des bois. Je rentre en ma vie. ô prisons
De nos songes! Combats ou pleurs que nous taisons!
Le jour tombe. Le bleu du ciel pâlit. C' est l' heure
Tranquille. -un souffle; un seul. -souffle étrange! -il m' effleure
Et s' éteint. -je soupire et pense à lui. C' était
Un toucher! -le soleil s' engouffre. Tout se tait.
L' ombre augmente. La route est longue; la nuit, proche.
Elle arrive. Elle monte en nous, comme un reproche.
Il venait de très loin, ce souffle! J' en frémis.
Il semblait expirer en moi. Je l' ai transmis;
Où donc? Vers qui? -mon coeur bat avec violence.
Je n' entends que mes pas. -quel désert! Quel silence!
Ce souffle était si faible! Et si doux! -la forêt
Ne l' a point arrêté pourtant. Il se mourait.
C' est en moi qu' il est mort. Vivait-il? -des lumières
S' allument. -durs travaux des champs! Pauvres chaumières!
-ce souffle! On aurait dit une aile; un être errant!
Il est tant de secrets! Hélas! Qui les comprend?
Peut-être toi! Vieil arbre immobile! Murmure!
Enseigne-moi! Notre âme est une autre ramure.
Elle flotte. Elle s' ouvre, immense, à la merci
De vents mystérieux. Tout entière elle aussi
Vibre parfois. Des mots obscurs l' ont traversée!
Ce souffle en était plein. -qui dit qu' une pensée
N' est pas comme un parfum: un corps aérien?
Tout voyage. Tout vit. Tout se transforme. Rien
Ne périt. Tout renaît. Tout souffre. Tout se mêle.
Et tout cherche ailleurs. Quoi? L' anxiété jumelle,
Sans doute; en vos fumiers, désirs! En votre exil,
Regrets! Au plus profond des coeurs; au plus subtil
Des choses. -le couchant à l' infini recule.
Une étoile! Vénus! Qui passe au crépuscule!
-il était triste autant, ce souffle! Et si léger!
Qu' apportait-il? -moi seul l' ai senti voltiger.
J' en suis sûr: il voulait depuis longtemps renaître.
Est-ce en quelqu' un? -le froid de la mort me pénètre.
C' était comme un dernier effort vers moi; si lent!
Si las! Comme un suprême effluve s' exhalant.
Comme un adieu resté muet; comme une haleine;
Comme une voix défunte! -oh! La brume! Elle est pleine
De fantômes. Je marche à travers eux. Qui sait?
S' il s' était échappé d' une tombe! Il poussait
Un souvenir de plainte; un rappel de caresse;
Quelque message au but. -je frissonne. Serait-ce
L' envoi que j' ai longtemps espéré? -nos douleurs
S' apaisent. Puis les jours nouveaux portent les leurs.
L' on doute. L' on oublie. -est-ce possible? On croit
Oublier! Mais en nous le cyprès planté croît.
Il est là; bien plus haut que la nuit! Sur les fastes
De ma vie il s' étend toujours. Ombres néfastes!
Un souffle; et je vous sens immortelles! Couvrez
Mes yeux, palmes sans fin! Lourds rameaux enivrés
De ce souffle! C' est vous qu' il cherchait. -le ciel brille;
Vainement! -dans ma chair fouille, racine! Vrille
Aux cent pointes! C' est toi qu' il réveille; et venu
De là-bas! -mon soupir? Qu' avais-je reconnu?
Cette odeur d' autrefois! Cette tendresse amie? ...
Était-ce un rêve en peine? Un rêve d' endormie?
Le rêve d' abandon d' une poussière? -oh! Oui,
Dors en moi! Rêve en moi! Jeune amour enfoui!
Je sors des bois. Je rentre en ma vie. ô prisons
De nos songes! Combats ou pleurs que nous taisons!
Le jour tombe. Le bleu du ciel pâlit. C' est l' heure
Tranquille. -un souffle; un seul. -souffle étrange! -il m' effleure
Et s' éteint. -je soupire et pense à lui. C' était
Un toucher! -le soleil s' engouffre. Tout se tait.
L' ombre augmente. La route est longue; la nuit, proche.
Elle arrive. Elle monte en nous, comme un reproche.
Il venait de très loin, ce souffle! J' en frémis.
Il semblait expirer en moi. Je l' ai transmis;
Où donc? Vers qui? -mon coeur bat avec violence.
Je n' entends que mes pas. -quel désert! Quel silence!
Ce souffle était si faible! Et si doux! -la forêt
Ne l' a point arrêté pourtant. Il se mourait.
C' est en moi qu' il est mort. Vivait-il? -des lumières
S' allument. -durs travaux des champs! Pauvres chaumières!
-ce souffle! On aurait dit une aile; un être errant!
Il est tant de secrets! Hélas! Qui les comprend?
Peut-être toi! Vieil arbre immobile! Murmure!
Enseigne-moi! Notre âme est une autre ramure.
Elle flotte. Elle s' ouvre, immense, à la merci
De vents mystérieux. Tout entière elle aussi
Vibre parfois. Des mots obscurs l' ont traversée!
Ce souffle en était plein. -qui dit qu' une pensée
N' est pas comme un parfum: un corps aérien?
Tout voyage. Tout vit. Tout se transforme. Rien
Ne périt. Tout renaît. Tout souffre. Tout se mêle.
Et tout cherche ailleurs. Quoi? L' anxiété jumelle,
Sans doute; en vos fumiers, désirs! En votre exil,
Regrets! Au plus profond des coeurs; au plus subtil
Des choses. -le couchant à l' infini recule.
Une étoile! Vénus! Qui passe au crépuscule!
-il était triste autant, ce souffle! Et si léger!
Qu' apportait-il? -moi seul l' ai senti voltiger.
J' en suis sûr: il voulait depuis longtemps renaître.
Est-ce en quelqu' un? -le froid de la mort me pénètre.
C' était comme un dernier effort vers moi; si lent!
Si las! Comme un suprême effluve s' exhalant.
Comme un adieu resté muet; comme une haleine;
Comme une voix défunte! -oh! La brume! Elle est pleine
De fantômes. Je marche à travers eux. Qui sait?
S' il s' était échappé d' une tombe! Il poussait
Un souvenir de plainte; un rappel de caresse;
Quelque message au but. -je frissonne. Serait-ce
L' envoi que j' ai longtemps espéré? -nos douleurs
S' apaisent. Puis les jours nouveaux portent les leurs.
L' on doute. L' on oublie. -est-ce possible? On croit
Oublier! Mais en nous le cyprès planté croît.
Il est là; bien plus haut que la nuit! Sur les fastes
De ma vie il s' étend toujours. Ombres néfastes!
Un souffle; et je vous sens immortelles! Couvrez
Mes yeux, palmes sans fin! Lourds rameaux enivrés
De ce souffle! C' est vous qu' il cherchait. -le ciel brille;
Vainement! -dans ma chair fouille, racine! Vrille
Aux cent pointes! C' est toi qu' il réveille; et venu
De là-bas! -mon soupir? Qu' avais-je reconnu?
Cette odeur d' autrefois! Cette tendresse amie? ...
Était-ce un rêve en peine? Un rêve d' endormie?
Le rêve d' abandon d' une poussière? -oh! Oui,
Dors en moi! Rêve en moi! Jeune amour enfoui!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
LE MANCENILLIER
LE MANCENILLIER
La jeunesse est un arbre aux larges frondaisons,
Mancenillier vivace aux fruits inaccessibles;
Notre âme et notre coeur sont les vibrantes cibles
De ces rameaux aigus d' où suintent les poisons.
Ô feuilles, dont la sève est notre sang! Mirage
Masquant le ciel menteur des jours qui ne sont plus!
Ironiques espoirs qui croissez plus touffus!
Tous nos désirs vers vous sont dardés avec rage.
Nulle bouche n' a ri, nul oiseau n' a chanté,
Nulle fleur n' est éclose aux grappes jamais mûres.
D' où viennent ces parfums, ces rires, ces murmures,
Vains regrets de ce qui n' a jamais existé?
Arbre vert du passé, mancenillier sonore,
Je plante avec effroi la hache dans ton flanc,
Bûcheron altéré d' azur, vengeur tremblant,
Qui crains de ne plus voir le ciel mentir encore!
La jeunesse est un arbre aux larges frondaisons,
Mancenillier vivace aux fruits inaccessibles;
Notre âme et notre coeur sont les vibrantes cibles
De ces rameaux aigus d' où suintent les poisons.
Ô feuilles, dont la sève est notre sang! Mirage
Masquant le ciel menteur des jours qui ne sont plus!
Ironiques espoirs qui croissez plus touffus!
Tous nos désirs vers vous sont dardés avec rage.
Nulle bouche n' a ri, nul oiseau n' a chanté,
Nulle fleur n' est éclose aux grappes jamais mûres.
D' où viennent ces parfums, ces rires, ces murmures,
Vains regrets de ce qui n' a jamais existé?
Arbre vert du passé, mancenillier sonore,
Je plante avec effroi la hache dans ton flanc,
Bûcheron altéré d' azur, vengeur tremblant,
Qui crains de ne plus voir le ciel mentir encore!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
LA CHANSON DE MAHALL
LA CHANSON DE MAHALL
C' est un soir calme; un souffle aux aromes subtils
Vanne de fleurs en fleurs, et du parc aux collines,
Le pollen qu' il dépose aux pointes des pistils;
Un soir d' été serein, aux étoiles câlines.
La lune magnétique arrose les halliers;
Et dans l' herbe, pareils à deux grands boucliers
Chus d' un duel gigantesque en preuve pour l' histoire,
Dorment deux lacs jaloux, d' acier blanc criblé d' or.
À la tour du château s' éclaire l' oratoire
De Gemma. -par accès, le long du corridor,
Comme l' appel lointain d' un blessé qu' on emporte,
Se répète un soupir traînant de porte en porte.
Hors la fenêtre rouge aux deux barres en croix,
Tout reste abandonné dans l' antique demeure;
Hors la plainte du vent, rien n' élève la voix.
C' est qu' une femme est là, qui souffre, prie, et pleure!
Sur d' étroites cloisons pèse le dôme obscur;
Mais un haut lampadaire est dressé près du mur,
Et vers un portrait d' homme au noir sourcil projette
Les tremblantes lueurs d' une lampe d' argent.
L' âme du mort revit sur l' image inquiète,
Sans cesse du front blême aux lèvres voltigeant.
Au dossier blasonné de sa chaise ducale,
Croisant les doigts, se tient Gemma, muette et pâle,
Immobile, debout, jeune et belle, en grand deuil.
Son bras luit à travers le crêpe qui le voile;
Et l' on voit un foyer de tristesse et d' orgueil
En ses yeux maintenus fixement vers la toile.
Dans son cadre d' ébène un très large miroir
Réfléchit le portrait de l' homme au sourcil noir,
La veuve comme un spectre, et les sombres tentures
Qui viennent s' écraser partout sur le tapis;
Des filets de lumière alternent aux sculptures.
Assise à la fenêtre et les sens assoupis,
Une vieille marmonne entre ses dents branlantes
Des mots qui troublent seuls le vol des heures lentes.
Tout au fond saigne un christ d' ivoire, et devant lui
Repose un beau missel incrusté d' armoiries,
Sur le prie-Dieu de chêne, auprès de son étui.
Un mystère s' amasse au bas des draperies.
Et, tout à coup, crispant ses deux mains sur son coeur
Où bouillonnait le flot grossi de sa douleur,
Gemma se tord, la tête et le buste en arrière.
Elle arrache ses yeux, à la longue taris,
De ce regard jamais éteint sous la paupière,
Et, la gorge entr' ouverte à d' impossibles cris,
Marche en se roidissant dans la chambre, suivie
Par ce regard dardé du fond d' une autre vie.
Elle s' arrête enfin, sans geste, à l' angle clair
De la creuse embrasure où, dans l' ombre baignée,
La vieille à l' autre coin chante sur un vieux air,
Et près de son rouet s' endort, lasse araignée.
Tout le passé renaît en Gemma, jours par jours;
Et flottant sur le parc au hasard des détours,
La transporte et la roule ainsi dans son supplice:
" ciel tranquille! Ciel vaste et profond! Dont la paix
Semble s' éterniser sous les nappes d' eau lisse,
Et lointaine descend dans les taillis épais!
Regard multiplié des nuits, qui nous surveilles!
Où sont-ils, ces matins aux si fraîches merveilles,
Que, comme vous limpide et pure, j' ai vécus!
Où le métal uni de mes jeunes prunelles
À sa clarté brisait tous les désirs aigus!
Où j' allais promenant mes candeurs fraternelles
Dans le vert paradis des bois pleins de soleil;
Où nul visage encor ne hantait mon sommeil!
Ah! Tu gisais inerte en mon sein, comme un lâche,
Mon coeur! Rien ne pouvait t' émouvoir! Un vautour,
De son bec implacable, aujourd' hui, sans relâche,
En te criant: " trop tard! " te déchire à ton tour! "
Et tandis que Gemma, d' une étreinte qui broie,
Tourmente sa poitrine au repentir en proie,
La vieille chante, ainsi qu' en un rêve, tout bas:
" la pluie aux grains froids là-haut tombe à verse.
Mon cher enfant dort, et moi je le berce,
Dans son berceau fait de chêne et de plomb.
J' entends un bruit sec qui gratte et qui perce.
Tu dors, mon enfant, d' un sommeil bien long!
-mon enfant s' agite en ses draps de plomb.
" un lourd cauchemar, mon enfant, t' agite.
Ton berceau de chêne est un mauvais gîte.
-mon âme est partie, et vide est mon corps! ... "
Gemma sait que Mâhall est une pauvre folle
Qui l' aime, voilà tout, mais qu' on ne comprend pas.
Le malheur, dont blêmit sur son front l' auréole
Sinistre, la rend sourde aux vains mots. -elle entend
Son remords qui plus haut gronde, lui répétant:
" trop tard! Il est trop tard! Rappelle-toi! Déroule
Ce chapelet maudit de tes loisirs ingrats,
Quand les appels vers toi se succédaient en foule,
Quand sous tes seins, figés alors entre tes bras,
S' élargissait un vide aux voûtes taciturnes;
Quand plaintes et parfums, débordant de leurs urnes,
Ne faisaient rien vibrer en toi, n' embaumaient rien!
À jamais à présent dans la nuit vengeresse,
Dans l' oubli de ta forme et du martyre ancien,
Il dort. Nul souvenir assidu ne l' oppresse.
Il a tout rejeté de la vie; il est mort!
Eh bien! Apprends l' amour! Sous la dent qui te mord,
Regarde ruisseler tes pleurs expiatoires!
Vierge, tu souriais aux fièvres de l' amant;
Fière de ta beauté, n' ayant pas d' autres gloires,
Tu ne savais répondre à l' ardeur d' un serment.
Mais femme, ta beauté de marbre encor s' est tue;
Et tu ne sentais pas à tes pieds de statue
Retomber la prière et se fendre le coeur
De l' époux dont tu fus la cruelle pensée;
Voilà que son image a vaincu ta torpeur,
Et qu' à son souvenir tu l' aimas, insensée! "
Elle songe. En dormant Mâhall chante tout bas:
" un lourd cauchemar, mon enfant, t' agite.
Ton berceau de chêne est un mauvais gîte.
-depuis que mon âme a laissé mon corps,
Comme un vieux logis que le vent visite,
J' appartiens entière aux âmes des morts;
Mon enfant, ton âme agite mon corps.
" dans l' oeil des enfants lisent leurs nourrices.
Les morts ont aussi parfois leurs caprices. "
-lorsque chante Mâhall on ne l' écoute pas.
Gemma songe. " bonheur, plaisir, joie, espérance!
Quand l' angoisse nous tient et nous courbe impuissants,
Ces mots qu' on récusait sous leur vague apparence
Dans leur immensité sont tous éblouissants!
Oui, le regret, bien plus que l' espoir, aux musiques
Divines sait mêler des visions magiques!
Certe, il m' aimait jadis d' un amour effréné,
Usant sur moi l' effort des facultés mortelles,
L' homme qui vers l' espace aveugle s' est tourné,
Consumé par l' attente au froid de mes prunelles.
Si je n' ai rien compris alors, ni cet amour,
Ni ce vivace espoir de m' animer un jour,
Ni cette volonté, ni sa morne agonie,
D' où vient qu' à peine seul, mon coeur s' est éveillé,
Lentement, par degrés, de sa longue atonie?
D' où vient qu' en mon désert un calice a brillé?
Que l' idole aussitôt s' est changée en victime,
Et lit profondément dans l' infini sublime
De ce culte perdu qui l' embrase aujourd' hui? "
Et Gemma vers la chambre où le portrait l' attire
Se retourne, et revient s' arrêter devant lui.
Sur ses noirs vêtements pendent ses bras de cire.
-Mâhall reprend son rêve et sa chanson tout bas:
" dans l' oeil des enfants lisent leurs nourrices.
Les morts ont aussi parfois leurs caprices.
Lorsque tu souffrais, je sais une fleur
Que je te donnais pour que tu guérisses;
Son baiser rendait ton sommeil meilleur.
-mon enfant demande une étrange fleur!
" il sait des secrets plus vieux que la tombe!
-la pluie aux grains froids sur mes membres tombe... "
Les yeux sur le portrait, Gemma ne l' entend pas;
Son corps est immobile et sa lèvre est muette,
Mais sa détresse ainsi toujours gonfle son sein:
-" ah! Dans ces yeux ouverts une âme se reflète!
Et j' y vois clairement tourbillonner l' essaim
Des voeux et des mépris qui maintenant me rongent!
Tyranniques regards! Comme en les miens ils plongent!
Beaucoup plus haut en moi que les yeux d' un vivant,
Ils parlent nuit et jour et m' ont enfin soumise;
Et j' y revois au jeu d' un reflet décevant
Tous les édens murés de la terre promise!
Mais les inassouvis s' endorment-ils jamais?
Leur donnes-tu l' oubli, toi qui nous le promets,
Ô mort? -lui, voudra-t-il m' oublier dans ta fosse?
Il n' aimait point alors! Seule, je sais aimer,
Moi qui sens que ta voix comme toute autre est fausse,
Et qu' à l' heure où sur moi le plomb va se fermer,
Mon amour éternel, martyrisant délice,
M' écrasera les seins de son royal cilice!
Mais non! S' il était vrai que pour l' éternité
Rien ne survît, ô mort! De l' humaine amertume;
Si malgré toi là-bas il n' a rien emporté,
Qui donc met dans ses yeux comme un appel posthume? "
Et Gemma se rapproche et touche le portrait,
Dont une clarté douce anime chaque trait
Et la bouche qui luit plus pourpre et semble humide.
-Mâhall sur l' escabeau recommence tout bas:
" il sait des secrets plus vieux que la tombe!
-la pluie aux grains froids sur mes membres tombe.
Oh! Rouge est la fleur! Mortel son poison!
Pourquoi la veut-il? Pour quelle hécatombe?
Moi, dans la forêt, je cours sans raison! ...
Un mort veut baiser, ô fleur! Ton poison!
" hier, j' ai frotté de poison sa bouche.
Dans son cadre il dort: que nul ne le touche!
-le désir des morts dompte les vivants... "
-" non, non! -pense Gemma, -quelque obstiné fluide
Jaillit de ces yeux noirs qui ne me quittent pas.
La mort a des secrets plus anciens que la tombe!
L' éclat qui m' enveloppe et sous qui je succombe,
Quel peintre aurait donc su le fixer dans ces yeux?
Non! N' est-ce pas plutôt qu' un être toujours triste
Me poursuit par delà son exil soucieux?
Qu' un amour idéal auquel rien ne résiste
Triomphe enfin après que les sens sont glacés?
Ah! S' il en est ainsi, chère ombre! C' est assez!
Cesse de t' agiter! Ou vengeance ou victoire,
Vois, je t' aime aujourd' hui plus que tu ne m' aimais!
Apaise-toi! Tu peux me sourire et me croire!
Plus que ne fit le tien, mon coeur saigne à jamais;
Et j' expie! Et j' attends l' heure du dernier râle,
Où je m' envolerai vers ta poitrine pâle,
Plus riche de baisers et de larmes de sang,
Que toi du désespoir de tes élans stériles! "
-une flamme qui tremble et qui va faiblissant
Fait courir sur les murs les ombres plus fébriles;
Et la vieille Mâhall chante encore tout bas:
" à travers un cadre il tendait la bouche.
J' ai frotté la fleur. Que nul ne le touche!
-le désir des morts dompte les vivants.
Dans mon vieux corps vide et qui branle aux vents,
Les âmes des morts veillent les vivants!
-ainsi qu' un portrait, dans un cadre il couche! "
Gemma vers le tableau n' a plus à faire un pas:
Elle se penche et joint sa lèvre chaude à celle
Du portrait, qui lui semble avoir alors souri;
Puis recule, frissonne un court moment, chancelle,
Et tombe empoisonnée, et morte, sans un cri!
C' est un soir calme; un souffle aux aromes subtils
Vanne de fleurs en fleurs, et du parc aux collines,
Le pollen qu' il dépose aux pointes des pistils;
Un soir d' été serein, aux étoiles câlines.
La lune magnétique arrose les halliers;
Et dans l' herbe, pareils à deux grands boucliers
Chus d' un duel gigantesque en preuve pour l' histoire,
Dorment deux lacs jaloux, d' acier blanc criblé d' or.
À la tour du château s' éclaire l' oratoire
De Gemma. -par accès, le long du corridor,
Comme l' appel lointain d' un blessé qu' on emporte,
Se répète un soupir traînant de porte en porte.
Hors la fenêtre rouge aux deux barres en croix,
Tout reste abandonné dans l' antique demeure;
Hors la plainte du vent, rien n' élève la voix.
C' est qu' une femme est là, qui souffre, prie, et pleure!
Sur d' étroites cloisons pèse le dôme obscur;
Mais un haut lampadaire est dressé près du mur,
Et vers un portrait d' homme au noir sourcil projette
Les tremblantes lueurs d' une lampe d' argent.
L' âme du mort revit sur l' image inquiète,
Sans cesse du front blême aux lèvres voltigeant.
Au dossier blasonné de sa chaise ducale,
Croisant les doigts, se tient Gemma, muette et pâle,
Immobile, debout, jeune et belle, en grand deuil.
Son bras luit à travers le crêpe qui le voile;
Et l' on voit un foyer de tristesse et d' orgueil
En ses yeux maintenus fixement vers la toile.
Dans son cadre d' ébène un très large miroir
Réfléchit le portrait de l' homme au sourcil noir,
La veuve comme un spectre, et les sombres tentures
Qui viennent s' écraser partout sur le tapis;
Des filets de lumière alternent aux sculptures.
Assise à la fenêtre et les sens assoupis,
Une vieille marmonne entre ses dents branlantes
Des mots qui troublent seuls le vol des heures lentes.
Tout au fond saigne un christ d' ivoire, et devant lui
Repose un beau missel incrusté d' armoiries,
Sur le prie-Dieu de chêne, auprès de son étui.
Un mystère s' amasse au bas des draperies.
Et, tout à coup, crispant ses deux mains sur son coeur
Où bouillonnait le flot grossi de sa douleur,
Gemma se tord, la tête et le buste en arrière.
Elle arrache ses yeux, à la longue taris,
De ce regard jamais éteint sous la paupière,
Et, la gorge entr' ouverte à d' impossibles cris,
Marche en se roidissant dans la chambre, suivie
Par ce regard dardé du fond d' une autre vie.
Elle s' arrête enfin, sans geste, à l' angle clair
De la creuse embrasure où, dans l' ombre baignée,
La vieille à l' autre coin chante sur un vieux air,
Et près de son rouet s' endort, lasse araignée.
Tout le passé renaît en Gemma, jours par jours;
Et flottant sur le parc au hasard des détours,
La transporte et la roule ainsi dans son supplice:
" ciel tranquille! Ciel vaste et profond! Dont la paix
Semble s' éterniser sous les nappes d' eau lisse,
Et lointaine descend dans les taillis épais!
Regard multiplié des nuits, qui nous surveilles!
Où sont-ils, ces matins aux si fraîches merveilles,
Que, comme vous limpide et pure, j' ai vécus!
Où le métal uni de mes jeunes prunelles
À sa clarté brisait tous les désirs aigus!
Où j' allais promenant mes candeurs fraternelles
Dans le vert paradis des bois pleins de soleil;
Où nul visage encor ne hantait mon sommeil!
Ah! Tu gisais inerte en mon sein, comme un lâche,
Mon coeur! Rien ne pouvait t' émouvoir! Un vautour,
De son bec implacable, aujourd' hui, sans relâche,
En te criant: " trop tard! " te déchire à ton tour! "
Et tandis que Gemma, d' une étreinte qui broie,
Tourmente sa poitrine au repentir en proie,
La vieille chante, ainsi qu' en un rêve, tout bas:
" la pluie aux grains froids là-haut tombe à verse.
Mon cher enfant dort, et moi je le berce,
Dans son berceau fait de chêne et de plomb.
J' entends un bruit sec qui gratte et qui perce.
Tu dors, mon enfant, d' un sommeil bien long!
-mon enfant s' agite en ses draps de plomb.
" un lourd cauchemar, mon enfant, t' agite.
Ton berceau de chêne est un mauvais gîte.
-mon âme est partie, et vide est mon corps! ... "
Gemma sait que Mâhall est une pauvre folle
Qui l' aime, voilà tout, mais qu' on ne comprend pas.
Le malheur, dont blêmit sur son front l' auréole
Sinistre, la rend sourde aux vains mots. -elle entend
Son remords qui plus haut gronde, lui répétant:
" trop tard! Il est trop tard! Rappelle-toi! Déroule
Ce chapelet maudit de tes loisirs ingrats,
Quand les appels vers toi se succédaient en foule,
Quand sous tes seins, figés alors entre tes bras,
S' élargissait un vide aux voûtes taciturnes;
Quand plaintes et parfums, débordant de leurs urnes,
Ne faisaient rien vibrer en toi, n' embaumaient rien!
À jamais à présent dans la nuit vengeresse,
Dans l' oubli de ta forme et du martyre ancien,
Il dort. Nul souvenir assidu ne l' oppresse.
Il a tout rejeté de la vie; il est mort!
Eh bien! Apprends l' amour! Sous la dent qui te mord,
Regarde ruisseler tes pleurs expiatoires!
Vierge, tu souriais aux fièvres de l' amant;
Fière de ta beauté, n' ayant pas d' autres gloires,
Tu ne savais répondre à l' ardeur d' un serment.
Mais femme, ta beauté de marbre encor s' est tue;
Et tu ne sentais pas à tes pieds de statue
Retomber la prière et se fendre le coeur
De l' époux dont tu fus la cruelle pensée;
Voilà que son image a vaincu ta torpeur,
Et qu' à son souvenir tu l' aimas, insensée! "
Elle songe. En dormant Mâhall chante tout bas:
" un lourd cauchemar, mon enfant, t' agite.
Ton berceau de chêne est un mauvais gîte.
-depuis que mon âme a laissé mon corps,
Comme un vieux logis que le vent visite,
J' appartiens entière aux âmes des morts;
Mon enfant, ton âme agite mon corps.
" dans l' oeil des enfants lisent leurs nourrices.
Les morts ont aussi parfois leurs caprices. "
-lorsque chante Mâhall on ne l' écoute pas.
Gemma songe. " bonheur, plaisir, joie, espérance!
Quand l' angoisse nous tient et nous courbe impuissants,
Ces mots qu' on récusait sous leur vague apparence
Dans leur immensité sont tous éblouissants!
Oui, le regret, bien plus que l' espoir, aux musiques
Divines sait mêler des visions magiques!
Certe, il m' aimait jadis d' un amour effréné,
Usant sur moi l' effort des facultés mortelles,
L' homme qui vers l' espace aveugle s' est tourné,
Consumé par l' attente au froid de mes prunelles.
Si je n' ai rien compris alors, ni cet amour,
Ni ce vivace espoir de m' animer un jour,
Ni cette volonté, ni sa morne agonie,
D' où vient qu' à peine seul, mon coeur s' est éveillé,
Lentement, par degrés, de sa longue atonie?
D' où vient qu' en mon désert un calice a brillé?
Que l' idole aussitôt s' est changée en victime,
Et lit profondément dans l' infini sublime
De ce culte perdu qui l' embrase aujourd' hui? "
Et Gemma vers la chambre où le portrait l' attire
Se retourne, et revient s' arrêter devant lui.
Sur ses noirs vêtements pendent ses bras de cire.
-Mâhall reprend son rêve et sa chanson tout bas:
" dans l' oeil des enfants lisent leurs nourrices.
Les morts ont aussi parfois leurs caprices.
Lorsque tu souffrais, je sais une fleur
Que je te donnais pour que tu guérisses;
Son baiser rendait ton sommeil meilleur.
-mon enfant demande une étrange fleur!
" il sait des secrets plus vieux que la tombe!
-la pluie aux grains froids sur mes membres tombe... "
Les yeux sur le portrait, Gemma ne l' entend pas;
Son corps est immobile et sa lèvre est muette,
Mais sa détresse ainsi toujours gonfle son sein:
-" ah! Dans ces yeux ouverts une âme se reflète!
Et j' y vois clairement tourbillonner l' essaim
Des voeux et des mépris qui maintenant me rongent!
Tyranniques regards! Comme en les miens ils plongent!
Beaucoup plus haut en moi que les yeux d' un vivant,
Ils parlent nuit et jour et m' ont enfin soumise;
Et j' y revois au jeu d' un reflet décevant
Tous les édens murés de la terre promise!
Mais les inassouvis s' endorment-ils jamais?
Leur donnes-tu l' oubli, toi qui nous le promets,
Ô mort? -lui, voudra-t-il m' oublier dans ta fosse?
Il n' aimait point alors! Seule, je sais aimer,
Moi qui sens que ta voix comme toute autre est fausse,
Et qu' à l' heure où sur moi le plomb va se fermer,
Mon amour éternel, martyrisant délice,
M' écrasera les seins de son royal cilice!
Mais non! S' il était vrai que pour l' éternité
Rien ne survît, ô mort! De l' humaine amertume;
Si malgré toi là-bas il n' a rien emporté,
Qui donc met dans ses yeux comme un appel posthume? "
Et Gemma se rapproche et touche le portrait,
Dont une clarté douce anime chaque trait
Et la bouche qui luit plus pourpre et semble humide.
-Mâhall sur l' escabeau recommence tout bas:
" il sait des secrets plus vieux que la tombe!
-la pluie aux grains froids sur mes membres tombe.
Oh! Rouge est la fleur! Mortel son poison!
Pourquoi la veut-il? Pour quelle hécatombe?
Moi, dans la forêt, je cours sans raison! ...
Un mort veut baiser, ô fleur! Ton poison!
" hier, j' ai frotté de poison sa bouche.
Dans son cadre il dort: que nul ne le touche!
-le désir des morts dompte les vivants... "
-" non, non! -pense Gemma, -quelque obstiné fluide
Jaillit de ces yeux noirs qui ne me quittent pas.
La mort a des secrets plus anciens que la tombe!
L' éclat qui m' enveloppe et sous qui je succombe,
Quel peintre aurait donc su le fixer dans ces yeux?
Non! N' est-ce pas plutôt qu' un être toujours triste
Me poursuit par delà son exil soucieux?
Qu' un amour idéal auquel rien ne résiste
Triomphe enfin après que les sens sont glacés?
Ah! S' il en est ainsi, chère ombre! C' est assez!
Cesse de t' agiter! Ou vengeance ou victoire,
Vois, je t' aime aujourd' hui plus que tu ne m' aimais!
Apaise-toi! Tu peux me sourire et me croire!
Plus que ne fit le tien, mon coeur saigne à jamais;
Et j' expie! Et j' attends l' heure du dernier râle,
Où je m' envolerai vers ta poitrine pâle,
Plus riche de baisers et de larmes de sang,
Que toi du désespoir de tes élans stériles! "
-une flamme qui tremble et qui va faiblissant
Fait courir sur les murs les ombres plus fébriles;
Et la vieille Mâhall chante encore tout bas:
" à travers un cadre il tendait la bouche.
J' ai frotté la fleur. Que nul ne le touche!
-le désir des morts dompte les vivants.
Dans mon vieux corps vide et qui branle aux vents,
Les âmes des morts veillent les vivants!
-ainsi qu' un portrait, dans un cadre il couche! "
Gemma vers le tableau n' a plus à faire un pas:
Elle se penche et joint sa lèvre chaude à celle
Du portrait, qui lui semble avoir alors souri;
Puis recule, frissonne un court moment, chancelle,
Et tombe empoisonnée, et morte, sans un cri!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
JAMAIS
JAMAIS
A Frédéric Plessis.
Amour! Dans tous les temps des hommes t' ont chanté!
Inventeurs d' un mensonge, ils auront tous porté
Le cercle ardent qui reste aux martyrs, et la gloire
D' avoir su faire un dieu de toi, forme illusoire! "
Comme en son souterrain, tel, encor ce jour-là,
Le démon qui l' habite en mon esprit parla.
Et depuis bien des mois il désolait ma vie;
Et les anges joyeux que chaque amant convie
À rallumer le temple et l' autel, tout confus
S' arrêtaient devant l' hôte aux méprisants refus.
Et lorsque vint le soir, ce fossoyeur fidèle
De nos virilités qu' il abat d' un coup d' aile,
Suivant la passion qu' insulta le dédain,
Comme un voleur j' ouvris la grille du jardin;
Et tremblant à mes pas sur le sable qui crie,
L' oreille au moindre choc dans la branche flétrie,
Plus lourd encor, plus lâche encor, plus lentement
Encor, je m' avançai près des murs, comprimant
Avec force à la fois la révolte et la honte
Du souvenir navré qui dans le fiel remonte.
-ah! Ce jour-là, plutôt qu' un autre, quel espoir
Avait comme un parfum embaumé l' air du soir?
Quand le soleil fondit dans sa vapeur cuivrée,
Quel écho, m' imposant l' illusion qu' il crée,
M' avait dit: c' est l' aurore! On t' appelle! Suis-moi!
Quel nuage avait pris, pour raffermir ma foi,
L' incarnat féminin qu' un sourire illumine?
Quelle heure de jadis aux fleuraisons d' hermine
Résonna plus vibrante en mon amer passé?
Quelle ivresse m' avait jusque là-bas poussé?
Et quand je fus au bout de la trop chère allée
Pleine encor des senteurs de ses cheveux, peuplée
De blancs spectres de robe aux détours des chemins;
Quand, appuyant ma face à la vitre et mes mains,
Je regardai la salle où mon âme était née
Sous les yeux violets qui l' avaient condamnée,
Qu' espérais-je y revoir, sinon le dur éclair
D' un implacable arrêt qu' on regrave en ma chair;
Sinon la joie unique et toujours bien formelle
De vivre et d' être jeune, et de se savoir belle,
Et de rire en pensant au mal qu' ont fait ses yeux?
Certes, les nefs n' ont pas l' aspect religieux
Que me montrait la chambre aux lueurs amorties;
Et sans doute, entr' ouvrant ses griffes pressenties,
L' ange des maux subits, tout proche, et sans pitié,
Attentif, épiait l' oeuvre faite à moitié.
Au milieu des coussins elle était là, couchée;
Et par instants sa main, de l' ombre détachée,
Chassait on ne sait quel péril d' un geste prompt;
Mais sous un autre vol se retournait son front;
Et des bouches que rien n' arrête ou ne déjoue
Marquaient un baiser rouge au milieu de sa joue.
Sa main gauche dormait dans celles du vieillard,
Qui tout auprès, debout, la couvrant d' un regard
Sec et morne, semblait chercher dans sa mémoire
Les couleurs d' un visage auquel il ne peut croire.
Mais le sang de la vie avait seul déserté
Ce visage. Jamais l' éclat de la beauté
N' auréola plus fière et plus pâle figure.
Elle était là, les cils levés, sans un murmure,
Et paraissait attendre et provoquer sans peur
Les doigts de l' invisible et lugubre sculpteur
Qui sur les corps quittés se délecte et s' obstine.
Celle qui, m' opposant l' allégresse enfantine,
Par ses yeux où mourait mon plus charmé désir
M' apprit l' horreur de voir les étoiles s' enfuir;
Celle-là dont l' empreinte au fond de ma pensée,
Le jour où je jurai de l' avoir effacée,
S' installa plus riante et défiant l' oubli;
Celle-là n' était rien que le songe aboli
Dans l' éparse vapeur de larmes bien taries.
Mais le fleuve est plus large, amour, où tu charries
Aujourd' hui mon trésor plus splendide au néant!
Et des cyprès sans fin au feuillage géant
Bordent tous les sentiers dont je parcours la trace.
Ce n' est plus son sourire adorable ou sa grâce
Qui de loin me traverse en creusant mon regret;
Ma raison, aujourd' hui, sans trouble évoquerait
Les boucles, les regards et la bouche ravie
Où j' avais cru noués tous les fils de ma vie.
Fantôme d' autrefois, à jamais détrôné,
Je souris à mon tour, et je t' ai pardonné.
Cheveux que les parfums choisissaient pour image,
Prunelles, dont jadis je m' étais cru le mage,
Lèvres qui m' emplissiez de chants intérieurs,
Anciennes visions qui revivez ailleurs!
Non, je n' ai jamais vu ni pleuré vos reliques;
Mon destin n' avait pas, ô contours chimériques!
Sondé les profondeurs blêmes du désespoir,
Et, corbeau funéraire au fond d' un vieux manoir,
Sinistre suzerain des demeures désertes,
Dans les cendres traîné ses ailerons inertes.
Vous m' aviez abusé, mes pleurs avaient menti;
Je n' avais pas souffert; je n' avais pas senti
Tes ongles sous ma peau, tes flammes dans mes veines,
Amour, dieu languissant, couronné de verveines!
Seulement ce soir-là j' ai compris, et j' ai bu
Les philtres abhorrés d' un hanap inconnu.
En un instant, ce soir, des siècles d' amertume
Ont en moi refoulé leur dévorante écume;
Et je sais à présent, et pour l' éternité,
Ce que c' est que le poids d' un coeur épouvanté
Où tu trônes, muet, tendant tes sombres ailes,
Amour, dieu frémissant, couronné d' immortelles!
Oui, devant ce visage au teint de marbre, aux yeux
Sublimes, obscurcis de secrets orgueilleux;
Devant le solennel silence de ces lèvres
Qu' agitait le travail accéléré des fièvres;
Devant cette victime offerte sans combats
Au messager divin dont elle entend les pas,
Un sanglot me remplit pour l' existence entière;
Et sur mon passé mort, c' est la mourante altière
Et sans rivale en moi qui régna, dans sa paix,
Et dans sa mer d' ébène, immuable à jamais.
-ah! Dans des yeux profonds si nos yeux savent lire,
En ce moment, les siens révélaient le martyre
De la vierge que brûle un indicible amour,
Que l' angoisse a déjà consumée à son tour,
Et qui dans sa noblesse et sa pudeur s' exile,
Tandis qu' en sa fierté périt son corps tranquille.
Et si, pendant le cours d' un dernier entretien,
Ce soir-là son regard eût plongé dans le mien,
Certe, elle eût tressailli d' y voir jaillir vers elle
Un feu lui renvoyant par la même étincelle
Ma douleur infinie en son mal infini.
Et si la mort qui plane autour d' un front terni
Laisse parfois le sang y refluer peut-être,
Comme au sommet brumeux la rougeur vient renaître,
Qui donc pourrait la faire obéir à sa loi?
Qui donc peut commander aux dieux, si ce n' est toi,
Amour, dieu tout puissant, roi des métamorphoses?
Dans la bise du moins tu m' as dicté ces choses.
L' impossible, c' était d' être là. Je t' ai cru.
Sous les arbres, alors, sans penser j' ai couru.
Il m' en souvient, quelqu' un avait ouvert la grille;
Des voix avaient parlé du père et de la fille;
Deux hommes noirs venaient; sur leurs pas ténébreux
Je m' élançai sans bruit, et j' entrai derrière eux.
Le père à ses côtés les laissa prendre place;
Ils chuchotaient, tenant la pauvre main si lasse,
Secouèrent la tête, et leur art fut à bout.
Lui, toujours, regardait sa fille, voilà tout.
Puis j' entendis rouvrir derrière moi la porte;
L' un d' eux disait: " demain cette enfant sera morte. "
Le corridor avait glissé des souffles froids,
Et nous restâmes seuls dans la chambre, tous trois.
Qu' ai-je dit au vieillard, alors? Quelle croyance
Eut-il en moi, celui dont la vaste science
Se reniait, vaincue, et qui ne priait pas?
Sur quoi me jugea-t-il enchanteur du trépas?
Je l' ignore. Insensé! Savais-je aussi moi-même
Ce que je murmurais, dans cette nuit suprême,
Sur la tempe où posait le bout d' un doigt mortel?
Je sais que je parlais; qu' un sacrilège appel,
S' exaltant à mesure au remords qui l' enivre,
La suppliait de croire à l' amour, et de vivre;
De se reprendre au seuil de ce ciel qui nous ment;
De ressaisir enfin la force à mon serment,
Et de ressusciter d' un bond, dans la fanfare
Qu' un bonheur triomphal ici-bas lui prépare!
-mourir! Non, si des yeux pareils se sont fermés
Jamais, c' est que des yeux ne les ont point aimés!
Si pareille beauté s' est pour toujours éteinte,
C' est que deux bras plus forts ne l' avaient pas étreinte!
C' est qu' un amour fervent, aux longues volontés,
N' avait pas repoli ces yeux désenchantés,
Ni rappelé l' instinct dans la fibre dissoute!
Ou bien, c' est qu' ils voulaient mourir, ces yeux, sans doute,
C' est qu' il voulait dormir sous l' herbe, ce beau corps!
Éloquence et prière, impérieux efforts,
Tout se brisa devant son entêté silence.
Rien un instant n' a pu troubler la somnolence
Du funeste brouillard qui submergeait déjà
Ces grands lacs dilatés où mon malheur plongea.
Elle entendait pourtant. De ses lèvres hautaines,
Par trois fois, à la fin, deux syllabes lointaines
Vinrent frapper en moi, tranchantes comme un fer.
Le mot que vont hurlant les damnés dans l' enfer:
Jamais! Jamais! Jamais! Par trois fois dans mon âme
J' en ai senti le coup qui glaçait toute flamme.
Et la nuit, d' heure en heure, opprimait son beau sein;
Et plus terrifié qu' un nocturne assassin,
Plus muet que son père au désespoir stérile,
Jusqu' au jour, avec lui, sur son sommeil fébrile
Je veillai, dans mes poings pressant ses doigts roidis.
Et la lampe trembla sous l' aube; et j' entendis
Dans le jardin chanter les oiseaux sur les branches.
La croisée allongea vers nous ses lignes blanches;
Alors un long soupir nous prévint d' un réveil;
Et, comme en saluant l' approche du soleil,
Elle sourit, tournée un peu vers la fenêtre.
Un frisson de plaisir courut dans tout son être;
Et, se dressant debout dans ses vêtements blancs,
Aux rayons du matin elle ouvrit ses bras lents.
Un flot d' or ruissela sur elle, et la lumière
Qui l' éblouit, fermant pour toujours sa paupière,
La renversa rigide et morte sur les draps.
Et vous nous entouriez, funèbres apparats!
Et l' âcre odeur flottait de l' encens et des cierges;
Et sur son lit couvert des symboles des vierges,
Ses traits inanimés s' ennoblissaient plus purs;
Et le jour s' embrunit; et rapide, à pas sûrs,
La nuit montait partout, poussant par intervalles
Des adieux prolongés sous les portes des salles;
Et le vieillard, sans voix, sans pleurs, sans mouvement,
Vers la morte toujours regardait fixement;
Et moi, je m' enfonçais dans l' affreuse inertie
D' un corps vide sur qui pèse une ombre épaissie.
Et tout à coup, voilà qu' au fond de la noirceur
Où je sombrais, surgit une étrange lueur,
Qui s' accrut, m' inondant de sa clarté divine,
Et qu' un frais hosanna chanta dans ma poitrine.
Dans un vertigineux élan qui m' enlevait
Je bondis, et penché sur le fatal chevet,
Je criai comme un fou ces paroles avides:
-" l' aurore vient nous prendre au bas des cieux livides!
Toi qui fus inflexible alors que tu vivais,
Qui mourus en vouant ma vie aux dieux mauvais,
Métella! N' est-ce pas, tu ne m' es plus rebelle?
Tu vois tout, et ton âme en liberté m' appelle.
Elle m' aime à la fin! Je le sais. Je la sens
Qui vante en moi le ciel des amours renaissants.
Eh bien! Du seuil certain de la patrie ouverte
Pour toi! Sous mon pardon de l' injure soufferte
Jadis; au nom sacré de cet amour promis;
Si cette âme erre encore en tes nerfs endormis,
Enfreins l' ordre odieux! Revis une seconde!
Je t' adjure! Qu' un mot, qu' un signe au moins réponde!
Est-ce toi qui passas dans mon rêve éperdu?
Métella! Métella! Cette fois, m' aimes-tu? "
Et j' achevais à peine un geste qui l' implore,
Que je vis remuer cette bouche incolore;
Et dans le monde atroce où je me rabîmais,
Une voix sans nom dit: jamais! Jamais! Jamais!
A Frédéric Plessis.
Amour! Dans tous les temps des hommes t' ont chanté!
Inventeurs d' un mensonge, ils auront tous porté
Le cercle ardent qui reste aux martyrs, et la gloire
D' avoir su faire un dieu de toi, forme illusoire! "
Comme en son souterrain, tel, encor ce jour-là,
Le démon qui l' habite en mon esprit parla.
Et depuis bien des mois il désolait ma vie;
Et les anges joyeux que chaque amant convie
À rallumer le temple et l' autel, tout confus
S' arrêtaient devant l' hôte aux méprisants refus.
Et lorsque vint le soir, ce fossoyeur fidèle
De nos virilités qu' il abat d' un coup d' aile,
Suivant la passion qu' insulta le dédain,
Comme un voleur j' ouvris la grille du jardin;
Et tremblant à mes pas sur le sable qui crie,
L' oreille au moindre choc dans la branche flétrie,
Plus lourd encor, plus lâche encor, plus lentement
Encor, je m' avançai près des murs, comprimant
Avec force à la fois la révolte et la honte
Du souvenir navré qui dans le fiel remonte.
-ah! Ce jour-là, plutôt qu' un autre, quel espoir
Avait comme un parfum embaumé l' air du soir?
Quand le soleil fondit dans sa vapeur cuivrée,
Quel écho, m' imposant l' illusion qu' il crée,
M' avait dit: c' est l' aurore! On t' appelle! Suis-moi!
Quel nuage avait pris, pour raffermir ma foi,
L' incarnat féminin qu' un sourire illumine?
Quelle heure de jadis aux fleuraisons d' hermine
Résonna plus vibrante en mon amer passé?
Quelle ivresse m' avait jusque là-bas poussé?
Et quand je fus au bout de la trop chère allée
Pleine encor des senteurs de ses cheveux, peuplée
De blancs spectres de robe aux détours des chemins;
Quand, appuyant ma face à la vitre et mes mains,
Je regardai la salle où mon âme était née
Sous les yeux violets qui l' avaient condamnée,
Qu' espérais-je y revoir, sinon le dur éclair
D' un implacable arrêt qu' on regrave en ma chair;
Sinon la joie unique et toujours bien formelle
De vivre et d' être jeune, et de se savoir belle,
Et de rire en pensant au mal qu' ont fait ses yeux?
Certes, les nefs n' ont pas l' aspect religieux
Que me montrait la chambre aux lueurs amorties;
Et sans doute, entr' ouvrant ses griffes pressenties,
L' ange des maux subits, tout proche, et sans pitié,
Attentif, épiait l' oeuvre faite à moitié.
Au milieu des coussins elle était là, couchée;
Et par instants sa main, de l' ombre détachée,
Chassait on ne sait quel péril d' un geste prompt;
Mais sous un autre vol se retournait son front;
Et des bouches que rien n' arrête ou ne déjoue
Marquaient un baiser rouge au milieu de sa joue.
Sa main gauche dormait dans celles du vieillard,
Qui tout auprès, debout, la couvrant d' un regard
Sec et morne, semblait chercher dans sa mémoire
Les couleurs d' un visage auquel il ne peut croire.
Mais le sang de la vie avait seul déserté
Ce visage. Jamais l' éclat de la beauté
N' auréola plus fière et plus pâle figure.
Elle était là, les cils levés, sans un murmure,
Et paraissait attendre et provoquer sans peur
Les doigts de l' invisible et lugubre sculpteur
Qui sur les corps quittés se délecte et s' obstine.
Celle qui, m' opposant l' allégresse enfantine,
Par ses yeux où mourait mon plus charmé désir
M' apprit l' horreur de voir les étoiles s' enfuir;
Celle-là dont l' empreinte au fond de ma pensée,
Le jour où je jurai de l' avoir effacée,
S' installa plus riante et défiant l' oubli;
Celle-là n' était rien que le songe aboli
Dans l' éparse vapeur de larmes bien taries.
Mais le fleuve est plus large, amour, où tu charries
Aujourd' hui mon trésor plus splendide au néant!
Et des cyprès sans fin au feuillage géant
Bordent tous les sentiers dont je parcours la trace.
Ce n' est plus son sourire adorable ou sa grâce
Qui de loin me traverse en creusant mon regret;
Ma raison, aujourd' hui, sans trouble évoquerait
Les boucles, les regards et la bouche ravie
Où j' avais cru noués tous les fils de ma vie.
Fantôme d' autrefois, à jamais détrôné,
Je souris à mon tour, et je t' ai pardonné.
Cheveux que les parfums choisissaient pour image,
Prunelles, dont jadis je m' étais cru le mage,
Lèvres qui m' emplissiez de chants intérieurs,
Anciennes visions qui revivez ailleurs!
Non, je n' ai jamais vu ni pleuré vos reliques;
Mon destin n' avait pas, ô contours chimériques!
Sondé les profondeurs blêmes du désespoir,
Et, corbeau funéraire au fond d' un vieux manoir,
Sinistre suzerain des demeures désertes,
Dans les cendres traîné ses ailerons inertes.
Vous m' aviez abusé, mes pleurs avaient menti;
Je n' avais pas souffert; je n' avais pas senti
Tes ongles sous ma peau, tes flammes dans mes veines,
Amour, dieu languissant, couronné de verveines!
Seulement ce soir-là j' ai compris, et j' ai bu
Les philtres abhorrés d' un hanap inconnu.
En un instant, ce soir, des siècles d' amertume
Ont en moi refoulé leur dévorante écume;
Et je sais à présent, et pour l' éternité,
Ce que c' est que le poids d' un coeur épouvanté
Où tu trônes, muet, tendant tes sombres ailes,
Amour, dieu frémissant, couronné d' immortelles!
Oui, devant ce visage au teint de marbre, aux yeux
Sublimes, obscurcis de secrets orgueilleux;
Devant le solennel silence de ces lèvres
Qu' agitait le travail accéléré des fièvres;
Devant cette victime offerte sans combats
Au messager divin dont elle entend les pas,
Un sanglot me remplit pour l' existence entière;
Et sur mon passé mort, c' est la mourante altière
Et sans rivale en moi qui régna, dans sa paix,
Et dans sa mer d' ébène, immuable à jamais.
-ah! Dans des yeux profonds si nos yeux savent lire,
En ce moment, les siens révélaient le martyre
De la vierge que brûle un indicible amour,
Que l' angoisse a déjà consumée à son tour,
Et qui dans sa noblesse et sa pudeur s' exile,
Tandis qu' en sa fierté périt son corps tranquille.
Et si, pendant le cours d' un dernier entretien,
Ce soir-là son regard eût plongé dans le mien,
Certe, elle eût tressailli d' y voir jaillir vers elle
Un feu lui renvoyant par la même étincelle
Ma douleur infinie en son mal infini.
Et si la mort qui plane autour d' un front terni
Laisse parfois le sang y refluer peut-être,
Comme au sommet brumeux la rougeur vient renaître,
Qui donc pourrait la faire obéir à sa loi?
Qui donc peut commander aux dieux, si ce n' est toi,
Amour, dieu tout puissant, roi des métamorphoses?
Dans la bise du moins tu m' as dicté ces choses.
L' impossible, c' était d' être là. Je t' ai cru.
Sous les arbres, alors, sans penser j' ai couru.
Il m' en souvient, quelqu' un avait ouvert la grille;
Des voix avaient parlé du père et de la fille;
Deux hommes noirs venaient; sur leurs pas ténébreux
Je m' élançai sans bruit, et j' entrai derrière eux.
Le père à ses côtés les laissa prendre place;
Ils chuchotaient, tenant la pauvre main si lasse,
Secouèrent la tête, et leur art fut à bout.
Lui, toujours, regardait sa fille, voilà tout.
Puis j' entendis rouvrir derrière moi la porte;
L' un d' eux disait: " demain cette enfant sera morte. "
Le corridor avait glissé des souffles froids,
Et nous restâmes seuls dans la chambre, tous trois.
Qu' ai-je dit au vieillard, alors? Quelle croyance
Eut-il en moi, celui dont la vaste science
Se reniait, vaincue, et qui ne priait pas?
Sur quoi me jugea-t-il enchanteur du trépas?
Je l' ignore. Insensé! Savais-je aussi moi-même
Ce que je murmurais, dans cette nuit suprême,
Sur la tempe où posait le bout d' un doigt mortel?
Je sais que je parlais; qu' un sacrilège appel,
S' exaltant à mesure au remords qui l' enivre,
La suppliait de croire à l' amour, et de vivre;
De se reprendre au seuil de ce ciel qui nous ment;
De ressaisir enfin la force à mon serment,
Et de ressusciter d' un bond, dans la fanfare
Qu' un bonheur triomphal ici-bas lui prépare!
-mourir! Non, si des yeux pareils se sont fermés
Jamais, c' est que des yeux ne les ont point aimés!
Si pareille beauté s' est pour toujours éteinte,
C' est que deux bras plus forts ne l' avaient pas étreinte!
C' est qu' un amour fervent, aux longues volontés,
N' avait pas repoli ces yeux désenchantés,
Ni rappelé l' instinct dans la fibre dissoute!
Ou bien, c' est qu' ils voulaient mourir, ces yeux, sans doute,
C' est qu' il voulait dormir sous l' herbe, ce beau corps!
Éloquence et prière, impérieux efforts,
Tout se brisa devant son entêté silence.
Rien un instant n' a pu troubler la somnolence
Du funeste brouillard qui submergeait déjà
Ces grands lacs dilatés où mon malheur plongea.
Elle entendait pourtant. De ses lèvres hautaines,
Par trois fois, à la fin, deux syllabes lointaines
Vinrent frapper en moi, tranchantes comme un fer.
Le mot que vont hurlant les damnés dans l' enfer:
Jamais! Jamais! Jamais! Par trois fois dans mon âme
J' en ai senti le coup qui glaçait toute flamme.
Et la nuit, d' heure en heure, opprimait son beau sein;
Et plus terrifié qu' un nocturne assassin,
Plus muet que son père au désespoir stérile,
Jusqu' au jour, avec lui, sur son sommeil fébrile
Je veillai, dans mes poings pressant ses doigts roidis.
Et la lampe trembla sous l' aube; et j' entendis
Dans le jardin chanter les oiseaux sur les branches.
La croisée allongea vers nous ses lignes blanches;
Alors un long soupir nous prévint d' un réveil;
Et, comme en saluant l' approche du soleil,
Elle sourit, tournée un peu vers la fenêtre.
Un frisson de plaisir courut dans tout son être;
Et, se dressant debout dans ses vêtements blancs,
Aux rayons du matin elle ouvrit ses bras lents.
Un flot d' or ruissela sur elle, et la lumière
Qui l' éblouit, fermant pour toujours sa paupière,
La renversa rigide et morte sur les draps.
Et vous nous entouriez, funèbres apparats!
Et l' âcre odeur flottait de l' encens et des cierges;
Et sur son lit couvert des symboles des vierges,
Ses traits inanimés s' ennoblissaient plus purs;
Et le jour s' embrunit; et rapide, à pas sûrs,
La nuit montait partout, poussant par intervalles
Des adieux prolongés sous les portes des salles;
Et le vieillard, sans voix, sans pleurs, sans mouvement,
Vers la morte toujours regardait fixement;
Et moi, je m' enfonçais dans l' affreuse inertie
D' un corps vide sur qui pèse une ombre épaissie.
Et tout à coup, voilà qu' au fond de la noirceur
Où je sombrais, surgit une étrange lueur,
Qui s' accrut, m' inondant de sa clarté divine,
Et qu' un frais hosanna chanta dans ma poitrine.
Dans un vertigineux élan qui m' enlevait
Je bondis, et penché sur le fatal chevet,
Je criai comme un fou ces paroles avides:
-" l' aurore vient nous prendre au bas des cieux livides!
Toi qui fus inflexible alors que tu vivais,
Qui mourus en vouant ma vie aux dieux mauvais,
Métella! N' est-ce pas, tu ne m' es plus rebelle?
Tu vois tout, et ton âme en liberté m' appelle.
Elle m' aime à la fin! Je le sais. Je la sens
Qui vante en moi le ciel des amours renaissants.
Eh bien! Du seuil certain de la patrie ouverte
Pour toi! Sous mon pardon de l' injure soufferte
Jadis; au nom sacré de cet amour promis;
Si cette âme erre encore en tes nerfs endormis,
Enfreins l' ordre odieux! Revis une seconde!
Je t' adjure! Qu' un mot, qu' un signe au moins réponde!
Est-ce toi qui passas dans mon rêve éperdu?
Métella! Métella! Cette fois, m' aimes-tu? "
Et j' achevais à peine un geste qui l' implore,
Que je vis remuer cette bouche incolore;
Et dans le monde atroce où je me rabîmais,
Une voix sans nom dit: jamais! Jamais! Jamais!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
MARCHE FUNEBRE
MARCHE FUNEBRE
Choeur Des Derniers Hommes.
Les temps sont arrivés, des vieilles prophéties!
Ils sont venus, les jours d' universelle horreur!
Les ombres du néant, d' heure en heure épaissies,
S' allongent sur nos fronts écrasés de terreur.
Nous les vivons, les jours d' agonie et de râle!
À l' orient, jamais plus de matins nouveaux!
Comme le bronze noir qui ferme les caveaux,
Le sol frappé résonne en rumeur sépulcrale.
Les ténèbres sur nous amassent leurs replis.
Là-haut, rien désormais qui regarde ou réponde.
Derniers fils de Caïn! Les temps sont accomplis.
Pour toujours, cette fois, la mort est dans le monde.
Sous les astres éteints, sous le terne soleil,
La nuit funèbre étend ses suaires immenses.
Le sein froid de la terre a gardé les semences.
C' est à son tour d' entrer dans l' éternel sommeil.
Les derniers dieux sont morts, et morte est la prière.
Nous avons renié nos héros et leurs lois.
Nul espoir ne reluit devant nous; et, derrière,
Ils ne renaîtront plus, les rêves d' autrefois!
Sur l' univers entier la mort ouvre son aile
Lugubre. Sous nos pas le sol dur sonne creux.
N' y cherchons plus le pain des jours aventureux.
Dans nos veines la sève est morte comme en elle.
Hommes! Contemplons-nous dans toutes nos laideurs.
Ô rayons qui brilliez aux yeux clairs des ancêtres!
Nos yeux caves, chargés d' ennuis et de lourdeurs,
Se tournent hébétés des choses vers les êtres.
Spectre charmant, amour, qui consolais du ciel,
Amour, toi qu' ont chanté les aïeux incrédules,
Nul de nous ne t' a vu dans nos froids crépuscules.
Meurs, vieux spectre gonflé de mensonge et de fiel.
Notre oeil n' a plus de pleurs, plus de sang notre artère.
Nos rires ont bavé sur ton fatal flambeau.
Si jamais tu fis battre un coeur d' homme sur terre,
Amour, notre âme vide est ton affreux tombeau.
Le repentir est mort dans nos églises sourdes.
Après l' amour, est morte aussi la volupté.
Nul espoir devant nous; au ciel, nulle clarté.
Rions affreusement dans les ténèbres lourdes.
L' ancien orgueil n' est plus, ô peuples endormis!
Qui flamboyait encor sur votre front naguère.
L' orgueil a terrassé les dieux, ses ennemis;
Il est mort de sa gloire en regrettant la guerre.
Aux dernières clartés de nos feux, en troupeau,
Mêlés au vil bétail que courbe l' épouvante,
Attendons les yeux bas, n' ayant plus de vivante
En nous que la terreur qui court sous notre peau.
Quelqu' un sent-il vers l' or frémir ses doigts inertes,
Et le honteux prurit crisper encor sa chair?
Non, tout désir s' éteint dans nos âmes désertes.
Plus rien qui dans nos cils allume un seul éclair.
Soif du sang fraternel, fièvre chaude du crime,
Vous attestiez la vie au moins par le combat.
Le mal qui vous leurrait de son sinistre appât,
Par deux vertus peut-être ennoblissait l' abîme.
Force et courage en nous sont morts avec le mal.
Les vices n' ont plus rien en nos coeurs qui fermente.
Sur l' esprit avili triomphe l' animal
Qui vers un imminent inconnu se lamente.
Qui d' entre nous jamais t' a pris pour guide,honneur?
A senti ton levain soulever sa colère?
Il gît sous nos fumiers, ton dogme tutélaire.
Tu dors depuis longtemps, fantôme raisonneur.
Sur les cercueils fermés plus un seul glas qui sonne.
Dans l' insondable oubli sombrent les noms fameux.
Qui de nous s' en souvient? Qui les pleure? Personne.
Ô gloire! Nul de nous en toi n' a cru comme eux!
Soleil, qui mûrissais beauté, forme et jeunesse,
Faisais chanter les bois et rire les remords,
Nous n' avons, nous, connu, soleil des siècles morts!
Que ta lueur fumeuse et ta triste caresse.
Toute une mer d' effrois, femmes, remonte en vous,
Devant l' abjection cynique de nos faces.
Quand nous avons cherché vos corps, nous avons tous
Abhorré le désir dompteur des jeunes races.
La haine est morte. Seul a survécu l' ennui,
L' insurmontable ennui de nos hideurs jumelles,
Qui tarit pour toujours le lait dans vos mamelles,
Et nous roule au néant moins noir encor que lui.
Et toi, dont la beauté ravissait les aurores,
Fille de la lumière, amante des grandeurs,
Dont les hautes forêts vibraient, manteaux sonores,
Et parfumaient le ciel de leurs vertes splendeurs;
Terre, toi-même au bout du destin qui nous lie,
Comme un crâne vidé, nue, horrible et sans voix,
Retourne à ton soleil! Une seconde fois,
S' il brûle encor, renais à sa flamme pâlie!
Mais au globe épuisé heurtant ton globe impur,
Puisses-tu revomir nos os sans nombre, ô terre!
Dans le vide où ne germe aucun monde futur
Tous à jamais lancés par le même cratère!
Source: http://www.poesies.net
Choeur Des Derniers Hommes.
Les temps sont arrivés, des vieilles prophéties!
Ils sont venus, les jours d' universelle horreur!
Les ombres du néant, d' heure en heure épaissies,
S' allongent sur nos fronts écrasés de terreur.
Nous les vivons, les jours d' agonie et de râle!
À l' orient, jamais plus de matins nouveaux!
Comme le bronze noir qui ferme les caveaux,
Le sol frappé résonne en rumeur sépulcrale.
Les ténèbres sur nous amassent leurs replis.
Là-haut, rien désormais qui regarde ou réponde.
Derniers fils de Caïn! Les temps sont accomplis.
Pour toujours, cette fois, la mort est dans le monde.
Sous les astres éteints, sous le terne soleil,
La nuit funèbre étend ses suaires immenses.
Le sein froid de la terre a gardé les semences.
C' est à son tour d' entrer dans l' éternel sommeil.
Les derniers dieux sont morts, et morte est la prière.
Nous avons renié nos héros et leurs lois.
Nul espoir ne reluit devant nous; et, derrière,
Ils ne renaîtront plus, les rêves d' autrefois!
Sur l' univers entier la mort ouvre son aile
Lugubre. Sous nos pas le sol dur sonne creux.
N' y cherchons plus le pain des jours aventureux.
Dans nos veines la sève est morte comme en elle.
Hommes! Contemplons-nous dans toutes nos laideurs.
Ô rayons qui brilliez aux yeux clairs des ancêtres!
Nos yeux caves, chargés d' ennuis et de lourdeurs,
Se tournent hébétés des choses vers les êtres.
Spectre charmant, amour, qui consolais du ciel,
Amour, toi qu' ont chanté les aïeux incrédules,
Nul de nous ne t' a vu dans nos froids crépuscules.
Meurs, vieux spectre gonflé de mensonge et de fiel.
Notre oeil n' a plus de pleurs, plus de sang notre artère.
Nos rires ont bavé sur ton fatal flambeau.
Si jamais tu fis battre un coeur d' homme sur terre,
Amour, notre âme vide est ton affreux tombeau.
Le repentir est mort dans nos églises sourdes.
Après l' amour, est morte aussi la volupté.
Nul espoir devant nous; au ciel, nulle clarté.
Rions affreusement dans les ténèbres lourdes.
L' ancien orgueil n' est plus, ô peuples endormis!
Qui flamboyait encor sur votre front naguère.
L' orgueil a terrassé les dieux, ses ennemis;
Il est mort de sa gloire en regrettant la guerre.
Aux dernières clartés de nos feux, en troupeau,
Mêlés au vil bétail que courbe l' épouvante,
Attendons les yeux bas, n' ayant plus de vivante
En nous que la terreur qui court sous notre peau.
Quelqu' un sent-il vers l' or frémir ses doigts inertes,
Et le honteux prurit crisper encor sa chair?
Non, tout désir s' éteint dans nos âmes désertes.
Plus rien qui dans nos cils allume un seul éclair.
Soif du sang fraternel, fièvre chaude du crime,
Vous attestiez la vie au moins par le combat.
Le mal qui vous leurrait de son sinistre appât,
Par deux vertus peut-être ennoblissait l' abîme.
Force et courage en nous sont morts avec le mal.
Les vices n' ont plus rien en nos coeurs qui fermente.
Sur l' esprit avili triomphe l' animal
Qui vers un imminent inconnu se lamente.
Qui d' entre nous jamais t' a pris pour guide,honneur?
A senti ton levain soulever sa colère?
Il gît sous nos fumiers, ton dogme tutélaire.
Tu dors depuis longtemps, fantôme raisonneur.
Sur les cercueils fermés plus un seul glas qui sonne.
Dans l' insondable oubli sombrent les noms fameux.
Qui de nous s' en souvient? Qui les pleure? Personne.
Ô gloire! Nul de nous en toi n' a cru comme eux!
Soleil, qui mûrissais beauté, forme et jeunesse,
Faisais chanter les bois et rire les remords,
Nous n' avons, nous, connu, soleil des siècles morts!
Que ta lueur fumeuse et ta triste caresse.
Toute une mer d' effrois, femmes, remonte en vous,
Devant l' abjection cynique de nos faces.
Quand nous avons cherché vos corps, nous avons tous
Abhorré le désir dompteur des jeunes races.
La haine est morte. Seul a survécu l' ennui,
L' insurmontable ennui de nos hideurs jumelles,
Qui tarit pour toujours le lait dans vos mamelles,
Et nous roule au néant moins noir encor que lui.
Et toi, dont la beauté ravissait les aurores,
Fille de la lumière, amante des grandeurs,
Dont les hautes forêts vibraient, manteaux sonores,
Et parfumaient le ciel de leurs vertes splendeurs;
Terre, toi-même au bout du destin qui nous lie,
Comme un crâne vidé, nue, horrible et sans voix,
Retourne à ton soleil! Une seconde fois,
S' il brûle encor, renais à sa flamme pâlie!
Mais au globe épuisé heurtant ton globe impur,
Puisses-tu revomir nos os sans nombre, ô terre!
Dans le vide où ne germe aucun monde futur
Tous à jamais lancés par le même cratère!
Source: http://www.poesies.net
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
La Vision d’Ève
La Vision d’Ève
I
C'était trois ans après le péché dans l'Eden.
Adam sous les grands bois chassait, fier et superbe,
Luttant contre le tigre et poursuivant le daim.
Tranquille, il aspirait l'âcre senteur de l'herbe.
Eve, sereine aussi, corps vêtu de clartés,
Assise aux bords ombreux d'une vierge fontaine,
Regardait deux enfants s'ébattre à ses côtés,
Attentive aux échos de la chasse lointaine.
Adam sous la forêt parlait d'Eve aux oiseaux,
Et leur disait : « Chantez! Elle est belle, et je l'aime! »
Eve disait : « Répands, source, tes fraîches eaux!
Mon âme vibre en lui, mais en eux, ma chair même! »
II
Eve pensait : « Seigneur! Vous nous avez chassés
Du paradis; l'archange a fait luire son glaive.
Mordus par la douleur, et par la faim pressés,
Il nous faut haleter dès que le jour se lève
« Nous n'avons plus, errants dans ces mornes ravins,
Maître! Comme autrefois, la candeur ni l'extase;
Et nous n'entendons plus dans les buissons divins
L'hymne des anges blancs que votre gloire embrase.
« Mais qu'importent l'embûche et la nuit sous nos pas,
Si toujours dans la nuit un flambeau nous éclaire?
Ah! Si l'amour nous reste et nous guide ici-bas,
Soyez béni! Dieu fort! Dieu bon! Dieu tutélaire!
« Adam a la vigueur et moi j'ai la beauté.
Un contraste à jamais nous lie et nous console;
Ivres, lui de ma grâce et moi de sa fierté,
Pour nous chaque fardeau se change en auréole.
« Et maintenant, voici grandir auprès de nous
Deux êtres, notre espoir, notre orgueil, notre joie;
Quand je les tiens tous deux groupés sur mes genoux,
Je sens dans ma poitrine un soleil qui rougeoie!
« Vivant encore e nous qui revivons en eux,
Encor pleins de mystère, ils sont la loi nouvelle.
Nés de nous, sous leurs doigts ils resserrent nos noeuds;
Un autre amour en nous, aussi grand, se révèle.
« Leurs yeux, astres plus clairs que ceux du firmament,
Ont un étrange attrait; et notre âme attirée,
Qui s'étonne et s'abîme en leur regard charmant,
y cherche le secret d'une enfance ignorée.
« L'amour qui les créa sommeille en eux. Le ciel
Peut gronder; comme nous, dans le vent, sous l'orage,
Ils se tendront la main, et l'éclair d'Azraël
Ne pourra faire alors chanceler leur courage.
« Gloire et louange à toi, seigneur! à toi merci!
Le châtiment est doux, si malgré l'anathème
Le baiser de l'éden se perpétue ici.
Frappe! Regarde croître une race qui t'aime! »
III
Ainsi, le front baigné des parfums du matin,
Son beau sein rayonnant de chaleurs maternelles,
Eve, les yeux fixés sur Abel et Caïn,
Sentait l'infini bleu noyé dans ses prunelles.
I
C'était trois ans après le péché dans l'Eden.
Adam sous les grands bois chassait, fier et superbe,
Luttant contre le tigre et poursuivant le daim.
Tranquille, il aspirait l'âcre senteur de l'herbe.
Eve, sereine aussi, corps vêtu de clartés,
Assise aux bords ombreux d'une vierge fontaine,
Regardait deux enfants s'ébattre à ses côtés,
Attentive aux échos de la chasse lointaine.
Adam sous la forêt parlait d'Eve aux oiseaux,
Et leur disait : « Chantez! Elle est belle, et je l'aime! »
Eve disait : « Répands, source, tes fraîches eaux!
Mon âme vibre en lui, mais en eux, ma chair même! »
II
Eve pensait : « Seigneur! Vous nous avez chassés
Du paradis; l'archange a fait luire son glaive.
Mordus par la douleur, et par la faim pressés,
Il nous faut haleter dès que le jour se lève
« Nous n'avons plus, errants dans ces mornes ravins,
Maître! Comme autrefois, la candeur ni l'extase;
Et nous n'entendons plus dans les buissons divins
L'hymne des anges blancs que votre gloire embrase.
« Mais qu'importent l'embûche et la nuit sous nos pas,
Si toujours dans la nuit un flambeau nous éclaire?
Ah! Si l'amour nous reste et nous guide ici-bas,
Soyez béni! Dieu fort! Dieu bon! Dieu tutélaire!
« Adam a la vigueur et moi j'ai la beauté.
Un contraste à jamais nous lie et nous console;
Ivres, lui de ma grâce et moi de sa fierté,
Pour nous chaque fardeau se change en auréole.
« Et maintenant, voici grandir auprès de nous
Deux êtres, notre espoir, notre orgueil, notre joie;
Quand je les tiens tous deux groupés sur mes genoux,
Je sens dans ma poitrine un soleil qui rougeoie!
« Vivant encore e nous qui revivons en eux,
Encor pleins de mystère, ils sont la loi nouvelle.
Nés de nous, sous leurs doigts ils resserrent nos noeuds;
Un autre amour en nous, aussi grand, se révèle.
« Leurs yeux, astres plus clairs que ceux du firmament,
Ont un étrange attrait; et notre âme attirée,
Qui s'étonne et s'abîme en leur regard charmant,
y cherche le secret d'une enfance ignorée.
« L'amour qui les créa sommeille en eux. Le ciel
Peut gronder; comme nous, dans le vent, sous l'orage,
Ils se tendront la main, et l'éclair d'Azraël
Ne pourra faire alors chanceler leur courage.
« Gloire et louange à toi, seigneur! à toi merci!
Le châtiment est doux, si malgré l'anathème
Le baiser de l'éden se perpétue ici.
Frappe! Regarde croître une race qui t'aime! »
III
Ainsi, le front baigné des parfums du matin,
Son beau sein rayonnant de chaleurs maternelles,
Eve, les yeux fixés sur Abel et Caïn,
Sentait l'infini bleu noyé dans ses prunelles.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
la vsision d'eve
IV
Or les enfants jouaient. Soudain, le premier-né,
Debout, l'oeil plein de fauve ardeur, la lèvre amère,
Frappa l'autre éperdu sous un poing forcené
Et qui cria, tendant les deux mains vers la mère.
Eve accourut tremblante et pâle de stupeur,
Et fermant autour d'eux ses bras, les prit sur elle;
Et comme en un berceau les couchant sur son coeur,
Les couvrit de baisers pour calmer leur querelle.
Bientôt tout s'apaisa, fureur, plainte, baisers;
Ils dormaient tous les deux enlacés, et la femme,
Immobile, ses doigts sous un genou croisés,
Sentit les jours futurs monter noirs dans son âme!
V
Soleil du jardin chaste! Eve aux longs cheveux d'or!
Toi qui fus le péché, toi qui feras la gloire!
Toi, l'éternel soupir que nous poussons encor!
Ineffable calice où la douleur vient boire!
O femme! Qui sachant porter un ciel en toi,
A celui qui perdait l'autre ciel, en échange
Offris tout, ta splendeur, ta tendresse et ta foi,
Plus belle sous le geste enflammé de l'archange!
O mère aux flancs féconds! Par quelle brusque horreur,
Endormeuse sans voix, étais-tu possédée?
Quel si livide éclair t'en fut le précurseur?
A quoi songeais-tu donc, la paupière inondée?
Ah! Dans le poing crispé de Caïn endormi
Lisais-tu la réponse à ton rêve sublime?
Devinais-tu déjà le farouche ennemi
Sur Abel faible et nu s'essayant à son crime?
Du fond de l'avenir, Azraël, menaçant,
Te montrait-il ce fils, ayant fait l'oeuvre humaine,
Qui s'enfuyait sinistre et marqué par le sang,
Un soir, loin d'un cadavre étendu dans la plaine?
Le voyais-tu mourir longuement dans Enoch,
Rempart poussé d'un jet sous le puissant blasphème
Des maudits qui gravaient leur défi sur le roc,
Et dont la race immense est maudite elle-même?
Ah! Voyais-tu l'envie armant les désaccords,
Et se glissant partout comme un chacal qui rôde?
Le fer s'ouvrant sans cesse un chemin dans les corps,
Le sol toujours fumant sous une pourpre chaude?
Et les peuples Caïns sur les peuples Abels
Se ruant sans pitié, les déchirant sans trêves;
Les sanglots éclatant de toutes les Babels,
Les râles étouffés par la clameur des grèves?
Sous l'insoluble brume où l'homme en vils troupeaux
S'amoncelle, effrayé de son propre héritage,
Entendais-tu monter dans les airs, sans repos,
Le hurlement jaloux des foules, d'âge en âge?
Compris-tu que le mal était né? Qu'il serait
Immortel? Que l'instinct terrestre, c'est la haine
Qui, dévouant tes fils à Satan toujours prêt,
Lui fera sans relâche agrandir la géhenne?
Compris-tu que la vie était le don cruel?
Que l'amour périrait avec l'aïeule blonde?
Et qu'un fleuve infini de larmes et de fiel
Né du premier sourire abreuverait le monde?
Or les enfants jouaient. Soudain, le premier-né,
Debout, l'oeil plein de fauve ardeur, la lèvre amère,
Frappa l'autre éperdu sous un poing forcené
Et qui cria, tendant les deux mains vers la mère.
Eve accourut tremblante et pâle de stupeur,
Et fermant autour d'eux ses bras, les prit sur elle;
Et comme en un berceau les couchant sur son coeur,
Les couvrit de baisers pour calmer leur querelle.
Bientôt tout s'apaisa, fureur, plainte, baisers;
Ils dormaient tous les deux enlacés, et la femme,
Immobile, ses doigts sous un genou croisés,
Sentit les jours futurs monter noirs dans son âme!
V
Soleil du jardin chaste! Eve aux longs cheveux d'or!
Toi qui fus le péché, toi qui feras la gloire!
Toi, l'éternel soupir que nous poussons encor!
Ineffable calice où la douleur vient boire!
O femme! Qui sachant porter un ciel en toi,
A celui qui perdait l'autre ciel, en échange
Offris tout, ta splendeur, ta tendresse et ta foi,
Plus belle sous le geste enflammé de l'archange!
O mère aux flancs féconds! Par quelle brusque horreur,
Endormeuse sans voix, étais-tu possédée?
Quel si livide éclair t'en fut le précurseur?
A quoi songeais-tu donc, la paupière inondée?
Ah! Dans le poing crispé de Caïn endormi
Lisais-tu la réponse à ton rêve sublime?
Devinais-tu déjà le farouche ennemi
Sur Abel faible et nu s'essayant à son crime?
Du fond de l'avenir, Azraël, menaçant,
Te montrait-il ce fils, ayant fait l'oeuvre humaine,
Qui s'enfuyait sinistre et marqué par le sang,
Un soir, loin d'un cadavre étendu dans la plaine?
Le voyais-tu mourir longuement dans Enoch,
Rempart poussé d'un jet sous le puissant blasphème
Des maudits qui gravaient leur défi sur le roc,
Et dont la race immense est maudite elle-même?
Ah! Voyais-tu l'envie armant les désaccords,
Et se glissant partout comme un chacal qui rôde?
Le fer s'ouvrant sans cesse un chemin dans les corps,
Le sol toujours fumant sous une pourpre chaude?
Et les peuples Caïns sur les peuples Abels
Se ruant sans pitié, les déchirant sans trêves;
Les sanglots éclatant de toutes les Babels,
Les râles étouffés par la clameur des grèves?
Sous l'insoluble brume où l'homme en vils troupeaux
S'amoncelle, effrayé de son propre héritage,
Entendais-tu monter dans les airs, sans repos,
Le hurlement jaloux des foules, d'âge en âge?
Compris-tu que le mal était né? Qu'il serait
Immortel? Que l'instinct terrestre, c'est la haine
Qui, dévouant tes fils à Satan toujours prêt,
Lui fera sans relâche agrandir la géhenne?
Compris-tu que la vie était le don cruel?
Que l'amour périrait avec l'aïeule blonde?
Et qu'un fleuve infini de larmes et de fiel
Né du premier sourire abreuverait le monde?
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
La vision d'Ève
VI
Dieu l'a su! - Jusqu'au soir ainsi tu demeuras
Contemplant ces fronts purs où le soleil se joue;
Et tandis qu'ils dormaient oublieux, en tes bras,
Deux longs ruisseaux brûlants descendaient sur ta joue.
Dieu l'a su! - Jusqu'au soir ainsi tu demeuras
Contemplant ces fronts purs où le soleil se joue;
Et tandis qu'ils dormaient oublieux, en tes bras,
Deux longs ruisseaux brûlants descendaient sur ta joue.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
La Fée Hamonde
La Fée Hamonde
Près du Gange ou du Nil, de la Seine ou du Rhin,
La fée Hamonde habite un palais souterrain
Creusé dans les trésors d'une insondable mine,
Et que leur seul éclat de tout temps illumine.
Le regard de la fée a poli les parois
Qui sont des métaux purs à rendre fous les rois,
Des feux cristallisés tels que reine ou tzarine
N'en a jamais paré son front ni sa poitrine,
Et les perçant aussi de ses propres clartés,
Rencontre leurs reflets de partout reflétés;
Et, toujours, au milieu des parfaites magies
De miroirs alternés sans fin, les effigies
De toute sa personne adorable lui font,
Auprès d'elle ou très loin dans un vide sans fond,
Une cour innombrable, et de soeurs coutumières
Qui n'osent nulle part se mouvoir les premières.
La fée Hamonde ainsi va d'un pas hésitant,
Comme isolée en l'air splendide, et méditant
Sur un secret jadis transmis aux bons génies.
De salle en salle, et plus vivantes, plus unies,
Ses images qui vont s'alignant par milliers
Retracent tout à coup ses gestes familiers;
Si bien, qu'il est des jours où dans les perspectives
D'un peuple aérien aux foules sensitives
Elle s'arrête, et croit, le coeur évanoui,
Que son rêve et son corps de fée ensemble ont fui,
Et tourne lentement, pour chercher autour d'elle
L'être si radieux qui lui sert de modèle.
Mais elle se réveille, et tressaille, et sourit;
Elle reprend, d'après chaque rite prescrit,
Les incantations qu'à la même seconde
Son cortège idéal en l'imitant seconde,
Puis, quand elle a rappris les mots sacramentels
Qu'elle oublie à la longue au contact des mortels,
S'évapore à travers la grotte héréditaire.
La fée Hamonde alors remonte sur la terre;
De même qu'autrefois, par le chemin plus court,
De village en cité célèbre la parcourt;
Invisible, la nuit, dans les berceaux regarde;
Et quelquefois l'enfant qui sommeillait sans garde,
Enveloppé d'un songe aux éclats miroitants,
Ouvre tout pleins des yeux qu'elle charme longtemps.
Et c'est pourquoi, malgré tant de ternes spectacles,
Il est au monde encor de brillants réceptacles
Où l'âme qui s'y cache en vain semble ne voir
Que l'éblouissement dont elle a le pouvoir;
C'est pourquoi parmi nous quelques femmes plus belles,
Pour enseigner la gloire à nos torpeurs rebelles,
Montrent ces grands joyaux, ces palais d'éthers bleus
Si lointains, si peuplés, leurs yeux miraculeux.
Près du Gange ou du Nil, de la Seine ou du Rhin,
La fée Hamonde habite un palais souterrain
Creusé dans les trésors d'une insondable mine,
Et que leur seul éclat de tout temps illumine.
Le regard de la fée a poli les parois
Qui sont des métaux purs à rendre fous les rois,
Des feux cristallisés tels que reine ou tzarine
N'en a jamais paré son front ni sa poitrine,
Et les perçant aussi de ses propres clartés,
Rencontre leurs reflets de partout reflétés;
Et, toujours, au milieu des parfaites magies
De miroirs alternés sans fin, les effigies
De toute sa personne adorable lui font,
Auprès d'elle ou très loin dans un vide sans fond,
Une cour innombrable, et de soeurs coutumières
Qui n'osent nulle part se mouvoir les premières.
La fée Hamonde ainsi va d'un pas hésitant,
Comme isolée en l'air splendide, et méditant
Sur un secret jadis transmis aux bons génies.
De salle en salle, et plus vivantes, plus unies,
Ses images qui vont s'alignant par milliers
Retracent tout à coup ses gestes familiers;
Si bien, qu'il est des jours où dans les perspectives
D'un peuple aérien aux foules sensitives
Elle s'arrête, et croit, le coeur évanoui,
Que son rêve et son corps de fée ensemble ont fui,
Et tourne lentement, pour chercher autour d'elle
L'être si radieux qui lui sert de modèle.
Mais elle se réveille, et tressaille, et sourit;
Elle reprend, d'après chaque rite prescrit,
Les incantations qu'à la même seconde
Son cortège idéal en l'imitant seconde,
Puis, quand elle a rappris les mots sacramentels
Qu'elle oublie à la longue au contact des mortels,
S'évapore à travers la grotte héréditaire.
La fée Hamonde alors remonte sur la terre;
De même qu'autrefois, par le chemin plus court,
De village en cité célèbre la parcourt;
Invisible, la nuit, dans les berceaux regarde;
Et quelquefois l'enfant qui sommeillait sans garde,
Enveloppé d'un songe aux éclats miroitants,
Ouvre tout pleins des yeux qu'elle charme longtemps.
Et c'est pourquoi, malgré tant de ternes spectacles,
Il est au monde encor de brillants réceptacles
Où l'âme qui s'y cache en vain semble ne voir
Que l'éblouissement dont elle a le pouvoir;
C'est pourquoi parmi nous quelques femmes plus belles,
Pour enseigner la gloire à nos torpeurs rebelles,
Montrent ces grands joyaux, ces palais d'éthers bleus
Si lointains, si peuplés, leurs yeux miraculeux.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Crépuscule
Crépuscule
C'était le soir, à l'heure où, s'étirant les bras,
Le laboureur se dit : « Ma journée est finie! »
Une ombre sur les champs roulait son harmonie.
Les chansons se mêlaient aux jurements ingrats.
L'hirondelle penchée effleurait l'herbe grise;
La cigale dormait dans les blés mûrissants,
Et, le long des chemins aux nocturnes passants,
Les peupliers rangés chuchotaient dans la brise.
Assis dans un sentier, je regardais le ciel
S'étoiler, ou vers lui les vapeurs de la plaine
Avec les bruits confus dont la terre était pleine
Monter comme un encens sur un immense autel.
Je pensais : « La nuit vient; tout va bientôt se taire;
C'est l'instant de l'amour, et Vénus a brillé. »
Et je laissais s'ouvrir mon être émerveillé,
Tandis qu'au loin cornait un pâtre solitaire.
Tout à coup, près de moi défila lentement
Un long troupeau de boeufs descendus des collines.
Leurs fanons tout souillés battaient sur leurs poitrines;
Leurs têtes s'abaissaient dans un balancement.
Ils allaient. à pas lourds, comme ceux d'un homme ivre,
Ils foulaient la broussaille aux murmures légers,
Et faisaient en leur marche à l'appel des bergers
Tinter sous leurs cous bruns leurs clochettes de cuivre.
Comme on écoute en rêve un chant de timbres d'or,
J'écoutais, seul, perdu sur le plateau qui fume.
Depuis longtemps déjà, submergés par la brume,
Ils avaient disparu, que j'écoutais encor.
A votre aspect, ô boeufs si puissants et si mornes!
Qui, sans vouloir, sonniez votre servage en choeur,
Une amère tristesse avait serré mon coeur,
Boeufs résignés, songeurs oublieux de vos cornes!
Vos grelots me parlaient; et, comme un criminel,
Il me sembla, prêtant l'oreille aux rumeurs saintes
Du soir, entendre en moi se fondre aussi les plaintes
Que tous les opprimés poussaient vers l'éternel.
D'autres troupeaux venaient les rejoindre aux vallées;
Et l'horizon s'emplit de ces clairs tintements
Qui se multipliaient comme les ralliements
Des douleurs d'ici-bas à la fois révélées.
Et j'entendais, autour d'un noir vallon, les voix
Innombrables de ceux que l'injustice accable
éclater, réveillant le juge irrévocable
Si longtemps sourd, aveugle et muet sur la croix.
Le mot qui t'échappa dans ton râle suprême,
Jésus, le monde entier toujours le jette au ciel!
Ah! Rêveur, tu doutas sous l'éponge de fiel!
Sans cela, ton sanglot n'eût été qu'un blasphème!
Les morts savent si Dieu tient ce qu'il promettait!
Mais partout où je vois l'homme en proie à la femme;
Un poète attelé dans un manège infâme;
Sous l'aiguillon vulgaire un malheur qui se tait;
La force sous le joug de l'inepte faiblesse;
L'éclair superbe éteint dont l'ombre épaisse a ri;
Un vaincu dont jamais on ne surprend un cri;
L'idéal aux abois que la faim mène en laisse;
Partout où je les vois en leur orgueil déçus,
Tous les forçats du beau que la laideur écrase,
Je crois entendre encor, pris d'une sombre extase,
Vos clochettes, ô boeufs dans la brume aperçus!
C'était le soir, à l'heure où, s'étirant les bras,
Le laboureur se dit : « Ma journée est finie! »
Une ombre sur les champs roulait son harmonie.
Les chansons se mêlaient aux jurements ingrats.
L'hirondelle penchée effleurait l'herbe grise;
La cigale dormait dans les blés mûrissants,
Et, le long des chemins aux nocturnes passants,
Les peupliers rangés chuchotaient dans la brise.
Assis dans un sentier, je regardais le ciel
S'étoiler, ou vers lui les vapeurs de la plaine
Avec les bruits confus dont la terre était pleine
Monter comme un encens sur un immense autel.
Je pensais : « La nuit vient; tout va bientôt se taire;
C'est l'instant de l'amour, et Vénus a brillé. »
Et je laissais s'ouvrir mon être émerveillé,
Tandis qu'au loin cornait un pâtre solitaire.
Tout à coup, près de moi défila lentement
Un long troupeau de boeufs descendus des collines.
Leurs fanons tout souillés battaient sur leurs poitrines;
Leurs têtes s'abaissaient dans un balancement.
Ils allaient. à pas lourds, comme ceux d'un homme ivre,
Ils foulaient la broussaille aux murmures légers,
Et faisaient en leur marche à l'appel des bergers
Tinter sous leurs cous bruns leurs clochettes de cuivre.
Comme on écoute en rêve un chant de timbres d'or,
J'écoutais, seul, perdu sur le plateau qui fume.
Depuis longtemps déjà, submergés par la brume,
Ils avaient disparu, que j'écoutais encor.
A votre aspect, ô boeufs si puissants et si mornes!
Qui, sans vouloir, sonniez votre servage en choeur,
Une amère tristesse avait serré mon coeur,
Boeufs résignés, songeurs oublieux de vos cornes!
Vos grelots me parlaient; et, comme un criminel,
Il me sembla, prêtant l'oreille aux rumeurs saintes
Du soir, entendre en moi se fondre aussi les plaintes
Que tous les opprimés poussaient vers l'éternel.
D'autres troupeaux venaient les rejoindre aux vallées;
Et l'horizon s'emplit de ces clairs tintements
Qui se multipliaient comme les ralliements
Des douleurs d'ici-bas à la fois révélées.
Et j'entendais, autour d'un noir vallon, les voix
Innombrables de ceux que l'injustice accable
éclater, réveillant le juge irrévocable
Si longtemps sourd, aveugle et muet sur la croix.
Le mot qui t'échappa dans ton râle suprême,
Jésus, le monde entier toujours le jette au ciel!
Ah! Rêveur, tu doutas sous l'éponge de fiel!
Sans cela, ton sanglot n'eût été qu'un blasphème!
Les morts savent si Dieu tient ce qu'il promettait!
Mais partout où je vois l'homme en proie à la femme;
Un poète attelé dans un manège infâme;
Sous l'aiguillon vulgaire un malheur qui se tait;
La force sous le joug de l'inepte faiblesse;
L'éclair superbe éteint dont l'ombre épaisse a ri;
Un vaincu dont jamais on ne surprend un cri;
L'idéal aux abois que la faim mène en laisse;
Partout où je les vois en leur orgueil déçus,
Tous les forçats du beau que la laideur écrase,
Je crois entendre encor, pris d'une sombre extase,
Vos clochettes, ô boeufs dans la brume aperçus!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
L’Image
L’Image
La terre dans le ciel promène
Sa face où vit l'humanité.
La terre va; la vie humaine
Ronge son crâne tourmenté.
Les hommes courent à leurs quêtes
Sur la terre, ardents et pressés;
Comme aux vieux masques des coquettes
S'obstinent les anciens pensers.
La terre est vieille et décrépite,
Et rêve encor, spectre blafard;
La terre croit qu'un coeur palpite
Entre ses os couverts de fard.
Chaque jour, de son front par masse
Tombent son plâtre et ses cheveux.
La vie imbécile grimace,
S'enivrant des plus doux aveux.
Et quand revient le crépuscule
Traînant la nuit, parfait miroir,
Jamais sous l'horreur ne recule
La terre qui ne veut pas voir!
- Le temps d'un bras robuste enserre
Ta carcasse, et la fait craquer!
Regarde enfin d'un oeil sincère
Là-haut ton corps se décalquer!
C'est trop longtemps te rendre hommage
Sous ton reflet morne et hideux.
Reconnais-toi dans ton image;
Confrontez-vous toutes les deux :
O terre lasse! ô lune inerte!
Foyer mourant! Cendre des morts!
Toi, que partout l'espoir déserte!
Toi, qui n'as plus même un remords!
La terre dans le ciel promène
Sa face où vit l'humanité.
La terre va; la vie humaine
Ronge son crâne tourmenté.
Les hommes courent à leurs quêtes
Sur la terre, ardents et pressés;
Comme aux vieux masques des coquettes
S'obstinent les anciens pensers.
La terre est vieille et décrépite,
Et rêve encor, spectre blafard;
La terre croit qu'un coeur palpite
Entre ses os couverts de fard.
Chaque jour, de son front par masse
Tombent son plâtre et ses cheveux.
La vie imbécile grimace,
S'enivrant des plus doux aveux.
Et quand revient le crépuscule
Traînant la nuit, parfait miroir,
Jamais sous l'horreur ne recule
La terre qui ne veut pas voir!
- Le temps d'un bras robuste enserre
Ta carcasse, et la fait craquer!
Regarde enfin d'un oeil sincère
Là-haut ton corps se décalquer!
C'est trop longtemps te rendre hommage
Sous ton reflet morne et hideux.
Reconnais-toi dans ton image;
Confrontez-vous toutes les deux :
O terre lasse! ô lune inerte!
Foyer mourant! Cendre des morts!
Toi, que partout l'espoir déserte!
Toi, qui n'as plus même un remords!
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Après le bain
Après le bain
Des perles encor mouillent son bras blanc.
Couchée en un lit de joncs verts et d'herbes,
Le sein ombragé d'un rameau tremblant,
Au bruissement des chênes superbes,
Aux molles rumeurs des halliers épais,
Non loin de la source elle rêve en paix.
Tandis qu'au revers des souples lianes,
Sur son reflet nu se figent pâmés
Les flots du bassin, lèvres diaphanes,
Sous les noirs treillis au ciel bleu fermés,
Les yeux demi-clos, chargés de paresse,
Elle se renverse, écoute, et caresse
D'un baiser brûlant et vague à la fois
Le souffle lointain qui monte et qui passe,
Immense soupir amoureux des bois.
Et tout souvenir en son coeur s'efface;
Et sous le réseau des parfums flottants,
Dans l'oubli des dieux, du monde et du temps,
Morte au vain souci du désir frivole,
En libres essaims de songes épars,
Son âme à travers les taillis s'envole.
Autour des buissons, sur les nénuphars,
Ne bourdonne plus l'abeille assouvie,
Et partout s'éloigne ou s'endort la vie.
Ils ne chantent plus, les oiseaux siffleurs;
Et vers ce beau corps teint de flammes roses,
De tous les côtés se penchent les fleurs,
Semblables aux yeux agrandis des choses.
Des perles encor mouillent son bras blanc.
Couchée en un lit de joncs verts et d'herbes,
Le sein ombragé d'un rameau tremblant,
Au bruissement des chênes superbes,
Aux molles rumeurs des halliers épais,
Non loin de la source elle rêve en paix.
Tandis qu'au revers des souples lianes,
Sur son reflet nu se figent pâmés
Les flots du bassin, lèvres diaphanes,
Sous les noirs treillis au ciel bleu fermés,
Les yeux demi-clos, chargés de paresse,
Elle se renverse, écoute, et caresse
D'un baiser brûlant et vague à la fois
Le souffle lointain qui monte et qui passe,
Immense soupir amoureux des bois.
Et tout souvenir en son coeur s'efface;
Et sous le réseau des parfums flottants,
Dans l'oubli des dieux, du monde et du temps,
Morte au vain souci du désir frivole,
En libres essaims de songes épars,
Son âme à travers les taillis s'envole.
Autour des buissons, sur les nénuphars,
Ne bourdonne plus l'abeille assouvie,
Et partout s'éloigne ou s'endort la vie.
Ils ne chantent plus, les oiseaux siffleurs;
Et vers ce beau corps teint de flammes roses,
De tous les côtés se penchent les fleurs,
Semblables aux yeux agrandis des choses.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Salvator Rosa
Salvator Rosa
Qu'avais-tu dans l'esprit, maître à la brosse ardente,
Pour que sous ton pinceau la nature en fureur
Semble jeter au ciel une insulte stridente,
Ou frémir dans l'effroi de sa sinistre horreur?
Pourquoi dédaignais-tu les calmes paysages
Dans la lumière au loin ourlant leurs horizons,
Les lacs d'azur limpide, et sur de frais visages
L'ombre du vert printemps qui fleurit les gazons?
Il te fallait à toi l'atmosphère d'orage;
Quelque ravin bien noir où mugisse un torrent
Qui boit et revomit l'écume de sa rage;
Quelque fauve bandit sur des rochers errant.
L'ouragan qui s'abat sur tes arbres d'automne
Rugisait, n'est-ce pas? Dans ton âme de fer.
Tu ne te laisais pas au bonheur monotone,
Mais aux transports fougueux déchaînés par l'enfer.
Ce sont tes passions qui hurlent sur tes toiles;
Toi-même, tu t'es peint dans ces lieux dévastés,
Dans ces chênes tordant, sous la nuit sans étoiles,
Sur l'abîme béant leurs troncs décapités.
Qu'avais-tu dans l'esprit, maître à la brosse ardente,
Pour que sous ton pinceau la nature en fureur
Semble jeter au ciel une insulte stridente,
Ou frémir dans l'effroi de sa sinistre horreur?
Pourquoi dédaignais-tu les calmes paysages
Dans la lumière au loin ourlant leurs horizons,
Les lacs d'azur limpide, et sur de frais visages
L'ombre du vert printemps qui fleurit les gazons?
Il te fallait à toi l'atmosphère d'orage;
Quelque ravin bien noir où mugisse un torrent
Qui boit et revomit l'écume de sa rage;
Quelque fauve bandit sur des rochers errant.
L'ouragan qui s'abat sur tes arbres d'automne
Rugisait, n'est-ce pas? Dans ton âme de fer.
Tu ne te laisais pas au bonheur monotone,
Mais aux transports fougueux déchaînés par l'enfer.
Ce sont tes passions qui hurlent sur tes toiles;
Toi-même, tu t'es peint dans ces lieux dévastés,
Dans ces chênes tordant, sous la nuit sans étoiles,
Sur l'abîme béant leurs troncs décapités.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Souré-Ha
Souré-Ha
I
Le dieu, source de vie et de chaleur féconde,
Qui déverse à flots d'or ses bienfaits sur le monde,
Le grand Phré, brûle. Il tend son disque au haut des cieux.
Le zénith embrasé s'environne de flamme.
Le Nil, père des eaux, reluit comme une lame,
épanchant son limon sur le berceau des dieux.
Partout le sable aveugle et le désert flamboie.
Pas un homme ne passe et pas un chien n'aboie
Dans les villes aux blocs d'édifices carrés.
Depuis le vert delta jusqu'à Thèbe aux cent portes
Dont les temples sous eux cachent des cités mortes,
Tout se tait et s'endort sous les rayons sacrés.
Comme une nécropole, elle aussi, dans la brume
Memphis là-bas s'étend près du désert qui fume,
Muette, et l'on dirait un silence éternel.
Sur les pylônes peints dressant sa silhouette,
L'ibis dans son jabot gonflé plonge la tête
Et sur un pied médite, en découpure au ciel.
Un plus lourd ennui plane, et tout travail fait trêve.
Les palmiers vers le sol d'où nul vent ne s'élève,
Penchent leurs longs cheveux dans l'air de diamant.
Les aiguilles de marbre en grêles colonnades
Jaillissent par milliers, et sur les esplanades
On peut voir s'avancer leurs ombres nettement.
Aux pourtours des palais, auprès des pyramides,
Ces monstrueux défis aux nations timides,
Les grands sphinx accroupis ouvrent leurs yeux sereins.
Trapus, le corps perlé d'une sueur divine,
S'enveloppant au loin d'une poussière fine,
Ils songent aux secrets qui font ployer leurs reins;
Et scellés à jamais dans leur morne posture,
Sentinelles du temps, regardent la nature
Sous le pschent de granit dont s'ombrage leur front.
Rien ne doit les sortir de leurs longues pensées;
Impassibles gardiens des croyances passées,
Ils sont les durs rêveurs qu'aucun bruit n'interrompt.
Ils contemplent l'Egypte avec leurs yeux énormes;
Frères de tous ses dieux aux impossibles formes,
Ils portent sur leur dos toute l'éternité.
Seuls, quelques caïmans se traînent dans la fange;
Et parfois flotte et glisse au cours droit d'une cange
Un chant marin qui meurt par le fleuve emporté.
I
Le dieu, source de vie et de chaleur féconde,
Qui déverse à flots d'or ses bienfaits sur le monde,
Le grand Phré, brûle. Il tend son disque au haut des cieux.
Le zénith embrasé s'environne de flamme.
Le Nil, père des eaux, reluit comme une lame,
épanchant son limon sur le berceau des dieux.
Partout le sable aveugle et le désert flamboie.
Pas un homme ne passe et pas un chien n'aboie
Dans les villes aux blocs d'édifices carrés.
Depuis le vert delta jusqu'à Thèbe aux cent portes
Dont les temples sous eux cachent des cités mortes,
Tout se tait et s'endort sous les rayons sacrés.
Comme une nécropole, elle aussi, dans la brume
Memphis là-bas s'étend près du désert qui fume,
Muette, et l'on dirait un silence éternel.
Sur les pylônes peints dressant sa silhouette,
L'ibis dans son jabot gonflé plonge la tête
Et sur un pied médite, en découpure au ciel.
Un plus lourd ennui plane, et tout travail fait trêve.
Les palmiers vers le sol d'où nul vent ne s'élève,
Penchent leurs longs cheveux dans l'air de diamant.
Les aiguilles de marbre en grêles colonnades
Jaillissent par milliers, et sur les esplanades
On peut voir s'avancer leurs ombres nettement.
Aux pourtours des palais, auprès des pyramides,
Ces monstrueux défis aux nations timides,
Les grands sphinx accroupis ouvrent leurs yeux sereins.
Trapus, le corps perlé d'une sueur divine,
S'enveloppant au loin d'une poussière fine,
Ils songent aux secrets qui font ployer leurs reins;
Et scellés à jamais dans leur morne posture,
Sentinelles du temps, regardent la nature
Sous le pschent de granit dont s'ombrage leur front.
Rien ne doit les sortir de leurs longues pensées;
Impassibles gardiens des croyances passées,
Ils sont les durs rêveurs qu'aucun bruit n'interrompt.
Ils contemplent l'Egypte avec leurs yeux énormes;
Frères de tous ses dieux aux impossibles formes,
Ils portent sur leur dos toute l'éternité.
Seuls, quelques caïmans se traînent dans la fange;
Et parfois flotte et glisse au cours droit d'une cange
Un chant marin qui meurt par le fleuve emporté.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Souré-Ha
II
Ah! Qui pourra sonder la tristesse qui noie
Un jeune et doux visage accompli pour la joie!
Qui pourra te comprendre, ô mystère des yeux,
Plus profond que la mer, plus vaste que les cieux?
Lorsqu'un soupir se mêle à la harpe plaintive;
Lorsqu'un de longs cils noirs une perle furtive
Brille comme une larme et tombe, et reparaît;
Lorsqu'un mal contenu soulève d'un seul trait,
Sous un gorgerin d'or, un sein vierge qui tremble
Au battement des sons et du coeur tout ensemble,
Et sur lequel remonte un nuage vermeil,
Aurore de l'amour, chaste et brûlant éveil!
La brune Souré-Ha comprit que la nature
N'avait pas de sanglot, pas de note assez pure
Dignes de terminer son hymne de douleurs,
Et s'arrêta, laissant couler en paix ses pleurs.
Goutte à goutte ils tombaient de leur source divine;
Et quelque boucle sombre errant sur sa poitrine,
Semblait vouloir chercher et boire avidement
Ces pleurs, ces pleurs d'amour, ignorés de l'amant!
Sur de nombreux coussins où se perd l'arabesque,
Les yeux distraits tournés vers les murs tout à fresque,
Samhisis, au teint clair, au beau bras délié,
S'abandonne, un jarret sous l'autre replié.
Son corps est sinueux comme une souple plante;
Et s'il vient à bouger, sa gorge étincelante
écarte des tissus le bout d'un globe dur.
Quelle caresse aurait sa prunelle d'azur!
Mais ce n'est pas l'amour qui pèse sur sa tête;
Ce qui fait s'abaisser, dans une heure inquiète,
Comme un long vol d'oiseaux au bord d'un lac, le soir,
Ses sourcils, ce n'est pas un secret désespoir.
Non; c'est l'ennui stagnant sur Memphis écrasée
Qui l'accable, et sa peau si fine est moins rosée,
Et son petit pied nu, dans l'ombre, par instant,
hors du pagne lamé s'éclaire en s'agitant.
Quand Souré-Ha se tut, ses mains encore errantes
Pour un dernier appel sur les cordes vibrantes,
D'une voix languissante elle lui dit : « Ma soeur,
Ne pense pas avoir dissipé ma torpeur :
Non; tu l'as alourdie. O Souré-Ha! Pardonne;
Pour m'égayer, plutôt, si tu veux être bonne,
Au lieu d'accords plaintifs pareils aux bruits que font
Les vents mortels, le soir, dans un arbre profond,
Tu chanterais, ma soeur, quelques chansons bien folles,
Ou quelques airs de danse aux légères paroles
Qui me rendent les nerfs avec l'esprit joyeux. »
Vers elle Souré-Ha ne leva pas les yeux.
Rien ne semblait pouvoir troubler sa rêverie.
L'insoucieuse fille alors, comme attendrie,
Regarda de nouveau cette soeur qui pleurait :
« Aurais-je deviné, fit-elle, son secret?
C'est l'amour qu'elle enferme et qui lui ronge l'âme.
L'amour seul dans les yeux sait mettre autant de flamme;
Pour l'embellir ainsi, l'amour seul dans la voix
Sait mêler la douleur et l'ivresse à la fois.
Je le saurai bien vite! » - Oh! Les charmantes poses
Que prit pour se lever l'enfant aux lèvres roses!
A côté de sa soeur elle s'en vint s'asseoir.
Souré-Ha demeurait pensive sans la voir,
Sans l'entendre, à son rêve intérieur fidèle.
La cadette sourit, se pencha plus près d'elle,
Et murmura tout bas ce seul mot : « Thaéri! »
Comme un chevreau peureux et qui cherche un abri,
Souré-Ha, tressaillant à ce nom tout entière,
En trouble, se tourna vers celle qui derrière
Plongeait dans son regard un regard curieux.
Rougissante de honte, elle baissa les yeux.
« Je m'en doutais déjà, dit Samhisis; tu l'aimes!
Et c'est assez longtemps vous cacher de vous-mêmes.
Tout à l'heure il viendra, comme il fait chaque jour,
Et je prétends sur toi détourner son amour.
- Tu te trompes, ma soeur, dit Souré-Ha, confuse;
Et je ne sais quel dieu t'a conseillé ta ruse.
- Tu l'aimes, j'en suis sûre; et s'il vient aujourd'hui,
Il saura quel bonheur était là, près de lui.
- C'est toi seule qu'il aime, et que seule il appelle;
Et quand donc à ses voeux te montras-tu rebelle?
A quoi bon ces discours, ma soeur? Toi-même, hier,
Ne me parlais-tu pas de son port libre et fier?
N'as-tu pas, l'autre jour, ôté pour lui ton voile?
Depuis qu'il t'aperçut, comme une blanche étoile,
Par un beau soir, portant l'amphore au puits sacré,
N'as-tu pas vu grandir l'amour qu'il t'a juré?
D'où vient que sans raison ta bouche le renie?
- Je m'amusais de lui, voilà tout. L'insomnie
N'a pas à mon chevet cloué son souvenir
Comme au tien. Tu pâlis quand tu l'entends venir.
J'y songe à peine; toi, tu pleures dans l'attente.
- Je te dis que c'est toi qu'il aime! Et sous sa tente
C'est pour toi qu'à genoux il invoque Rhéa.
Ce n'est pas pour aimer, moi, qu'Ammon me créa.
- Si tu ne l'aimes pas, alors pourquoi ton trouble?
Pourquoi cette rougeur si prompte qui redouble?
Ces membres affaissés, ce muet embarras,
Pourquoi pleures-tu donc, si tu ne l'aimes pas?
D'ailleurs, si tu dis vrai, si c'est moi qu'il adore,
Si c'est moi qu'aujourd'hui son désir cherche encore,
Moi, je ne l'aime pas; et peut-être demain
Dans l'ombre sous la sienne aura frémi ta main.
Espère, ô Souré-Ha! J'ai fait un autre rêve.
Ecoute! Dans la pourpre, hier, près de la grève,
Au milieu de soldats, et leurs chefs à ses flancs,
A son poing fort les traits de quatre chevaux blancs,
Rhamsès passait, debout sur son char qui rayonne.
Dans un flot de poussière autour qui tourbillonne,
Son front mâle brillait sous la tiare d'or.
Son regard souverain, en un splendide essor,
Sur la ville en rumeur et sur son peuple immense,
S'abaissait plein d'orgueil, et pourtant de clémence;
Il rencontra le mien; ô mystère inconnu!
Dans l'éclair à mon coeur subitement venu,
Je blêmis, et clouée à ma place, passive,
Je crus que s'avançait dans la lumière vive
Quelque fils de Rhéa, quelque dieu tout puissant!
En moi ce souvenir est toujours renaissant.
Le cortège passa; je l'admire sans cesse.
Depuis lors, Souré-Ha, je connais la tristesse.
Ah! Le beau sort serait de réunir sur moi
La puissance et l'amour de Rhamsès, le grand roi;
De régner sur celui qui règne sur la terre;
De l'asservir lui-même ainsi qu'un tributaire;
D'être reine et de voir les peuples assemblés
Se courber sous mon souffle ainsi qu'un champ de blés! »
Ah! Qui pourra sonder la tristesse qui noie
Un jeune et doux visage accompli pour la joie!
Qui pourra te comprendre, ô mystère des yeux,
Plus profond que la mer, plus vaste que les cieux?
Lorsqu'un soupir se mêle à la harpe plaintive;
Lorsqu'un de longs cils noirs une perle furtive
Brille comme une larme et tombe, et reparaît;
Lorsqu'un mal contenu soulève d'un seul trait,
Sous un gorgerin d'or, un sein vierge qui tremble
Au battement des sons et du coeur tout ensemble,
Et sur lequel remonte un nuage vermeil,
Aurore de l'amour, chaste et brûlant éveil!
La brune Souré-Ha comprit que la nature
N'avait pas de sanglot, pas de note assez pure
Dignes de terminer son hymne de douleurs,
Et s'arrêta, laissant couler en paix ses pleurs.
Goutte à goutte ils tombaient de leur source divine;
Et quelque boucle sombre errant sur sa poitrine,
Semblait vouloir chercher et boire avidement
Ces pleurs, ces pleurs d'amour, ignorés de l'amant!
Sur de nombreux coussins où se perd l'arabesque,
Les yeux distraits tournés vers les murs tout à fresque,
Samhisis, au teint clair, au beau bras délié,
S'abandonne, un jarret sous l'autre replié.
Son corps est sinueux comme une souple plante;
Et s'il vient à bouger, sa gorge étincelante
écarte des tissus le bout d'un globe dur.
Quelle caresse aurait sa prunelle d'azur!
Mais ce n'est pas l'amour qui pèse sur sa tête;
Ce qui fait s'abaisser, dans une heure inquiète,
Comme un long vol d'oiseaux au bord d'un lac, le soir,
Ses sourcils, ce n'est pas un secret désespoir.
Non; c'est l'ennui stagnant sur Memphis écrasée
Qui l'accable, et sa peau si fine est moins rosée,
Et son petit pied nu, dans l'ombre, par instant,
hors du pagne lamé s'éclaire en s'agitant.
Quand Souré-Ha se tut, ses mains encore errantes
Pour un dernier appel sur les cordes vibrantes,
D'une voix languissante elle lui dit : « Ma soeur,
Ne pense pas avoir dissipé ma torpeur :
Non; tu l'as alourdie. O Souré-Ha! Pardonne;
Pour m'égayer, plutôt, si tu veux être bonne,
Au lieu d'accords plaintifs pareils aux bruits que font
Les vents mortels, le soir, dans un arbre profond,
Tu chanterais, ma soeur, quelques chansons bien folles,
Ou quelques airs de danse aux légères paroles
Qui me rendent les nerfs avec l'esprit joyeux. »
Vers elle Souré-Ha ne leva pas les yeux.
Rien ne semblait pouvoir troubler sa rêverie.
L'insoucieuse fille alors, comme attendrie,
Regarda de nouveau cette soeur qui pleurait :
« Aurais-je deviné, fit-elle, son secret?
C'est l'amour qu'elle enferme et qui lui ronge l'âme.
L'amour seul dans les yeux sait mettre autant de flamme;
Pour l'embellir ainsi, l'amour seul dans la voix
Sait mêler la douleur et l'ivresse à la fois.
Je le saurai bien vite! » - Oh! Les charmantes poses
Que prit pour se lever l'enfant aux lèvres roses!
A côté de sa soeur elle s'en vint s'asseoir.
Souré-Ha demeurait pensive sans la voir,
Sans l'entendre, à son rêve intérieur fidèle.
La cadette sourit, se pencha plus près d'elle,
Et murmura tout bas ce seul mot : « Thaéri! »
Comme un chevreau peureux et qui cherche un abri,
Souré-Ha, tressaillant à ce nom tout entière,
En trouble, se tourna vers celle qui derrière
Plongeait dans son regard un regard curieux.
Rougissante de honte, elle baissa les yeux.
« Je m'en doutais déjà, dit Samhisis; tu l'aimes!
Et c'est assez longtemps vous cacher de vous-mêmes.
Tout à l'heure il viendra, comme il fait chaque jour,
Et je prétends sur toi détourner son amour.
- Tu te trompes, ma soeur, dit Souré-Ha, confuse;
Et je ne sais quel dieu t'a conseillé ta ruse.
- Tu l'aimes, j'en suis sûre; et s'il vient aujourd'hui,
Il saura quel bonheur était là, près de lui.
- C'est toi seule qu'il aime, et que seule il appelle;
Et quand donc à ses voeux te montras-tu rebelle?
A quoi bon ces discours, ma soeur? Toi-même, hier,
Ne me parlais-tu pas de son port libre et fier?
N'as-tu pas, l'autre jour, ôté pour lui ton voile?
Depuis qu'il t'aperçut, comme une blanche étoile,
Par un beau soir, portant l'amphore au puits sacré,
N'as-tu pas vu grandir l'amour qu'il t'a juré?
D'où vient que sans raison ta bouche le renie?
- Je m'amusais de lui, voilà tout. L'insomnie
N'a pas à mon chevet cloué son souvenir
Comme au tien. Tu pâlis quand tu l'entends venir.
J'y songe à peine; toi, tu pleures dans l'attente.
- Je te dis que c'est toi qu'il aime! Et sous sa tente
C'est pour toi qu'à genoux il invoque Rhéa.
Ce n'est pas pour aimer, moi, qu'Ammon me créa.
- Si tu ne l'aimes pas, alors pourquoi ton trouble?
Pourquoi cette rougeur si prompte qui redouble?
Ces membres affaissés, ce muet embarras,
Pourquoi pleures-tu donc, si tu ne l'aimes pas?
D'ailleurs, si tu dis vrai, si c'est moi qu'il adore,
Si c'est moi qu'aujourd'hui son désir cherche encore,
Moi, je ne l'aime pas; et peut-être demain
Dans l'ombre sous la sienne aura frémi ta main.
Espère, ô Souré-Ha! J'ai fait un autre rêve.
Ecoute! Dans la pourpre, hier, près de la grève,
Au milieu de soldats, et leurs chefs à ses flancs,
A son poing fort les traits de quatre chevaux blancs,
Rhamsès passait, debout sur son char qui rayonne.
Dans un flot de poussière autour qui tourbillonne,
Son front mâle brillait sous la tiare d'or.
Son regard souverain, en un splendide essor,
Sur la ville en rumeur et sur son peuple immense,
S'abaissait plein d'orgueil, et pourtant de clémence;
Il rencontra le mien; ô mystère inconnu!
Dans l'éclair à mon coeur subitement venu,
Je blêmis, et clouée à ma place, passive,
Je crus que s'avançait dans la lumière vive
Quelque fils de Rhéa, quelque dieu tout puissant!
En moi ce souvenir est toujours renaissant.
Le cortège passa; je l'admire sans cesse.
Depuis lors, Souré-Ha, je connais la tristesse.
Ah! Le beau sort serait de réunir sur moi
La puissance et l'amour de Rhamsès, le grand roi;
De régner sur celui qui règne sur la terre;
De l'asservir lui-même ainsi qu'un tributaire;
D'être reine et de voir les peuples assemblés
Se courber sous mon souffle ainsi qu'un champ de blés! »
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Souré-Ha
III
Le fils d'Aménophis, Rhamsès, que Phré protège,
Las d'encens, a chassé loin de lui son cortège,
Et, sombre, vient s'asseoir sur des gradins portés
Par des captifs d'argent, de bronze et d'or sculptés.
Son oeil terne s'emplit d'indicibles détresses;
Sa barbe est inflexible et pend en larges tresses.
Comme dans le granit ses traits semblent pétris.
Impassible, il est là, plus calme qu'Osiris.
Il songe et l'on dirait, à ses lèvres si pâles,
Typhon, le dieu commis aux vengeances fatales.
Quelque puissant qu'il soit, il a des jours mauvais
Qui par tous ses vouloirs assouvis lui sont faits.
Il est frère des dieux, maître des rois esclaves;
Son char lourd fait couler du sang par chaudes laves;
Mais il arrive une heure où les coupes en vain
Lui versent les cruels projets avec le vin.
Dans le néant il voit déjà fondre sa gloire;
L'abîme est sans échos, sans éclairs sa mémoire.
Il ne peut sans répit faire la guerre. Il a,
Sur les plans colossaux que l'orgueil assembla,
Vingt peuples pour bâtir son palais et sa tombe.
Il fait du doigt un signe. Alors un homme tombe
Dans la fosse où grommelle un lion favori.
Un jour, nul ne dit plus : « Le roi Rhamsès a ri! »
Il ne sait inventer de délices nouvelles,
Et connaît les plaisirs des femmes les plus belles;
Il émousse à la fin dans leurs yeux ses yeux froids;
Il les détourne aussi de tout, le roi des rois!
Sur l'univers conquis son char est la charrue;
L'humanité servile à son trône se rue,
Et contemple en tremblant ses sourcils épiés;
La beauté, l'or, la myrrhe, il les foule à ses pieds;
Il peut tout; il s'ennie, et le monde le raille;
Il est homme, et plus frêle ici-bas qu'une paille.
Vimupht, le serviteur qui veille à ses côtés,
Et qui d'avance tient ses ordres apprêtés,
Fit un geste; et l'eunuque à la face glacée
Frappa trois fois des mains devant le gynécée.
Une porte aussitôt sur les tapis moelleux
Roula sans bruit. Alors, entre des brouillards bleus,
Dans la salle envahie avec un frais murmure,
Comme des flancs ouverts de la grenade mûre
Ruissellent à l'envi la nacre et le carmin,
Cent femmes, se pressant par le même chemin,
Parurent, foule agile aux grâces ingénues.
Toutes devant Rhamsès, les unes demi-nues,
Les autres le corps ceint d'un voile transparent,
Vinrent, selon le rite, et leur âge, et leur rang,
Molle ondulation de poses provocantes,
écrin épanoui de lèvres éloquentes,
Chaîne adorable où tout chaînon vaut un trésor.
Et tout autour fumaient les cassolettes d'or;
Et les désirs flottaient dans l'air plein de spirales,
Aux chants voluptueux des harpes inégales;
Et les voix des castrats au fond montaient en choeur.
Mais le roi sur son trône était un dieu sans coeur.
Confuses, près de lui, ses quatre favorites,
Ta-Hé, Thméa, la blonde aux mains toutes petites,
Rhamel aux bras ambrés, et Marphris aux grands yeux,
S'assirent. Puis, le reste en cercle harmonieux
Se groupa loin du maître à la morte pensée,
Chacune par le fouet de l'eunuque cassée.
Celui-ci de nouveau frappa trois coups. Alors
S'élancèrent au rythme où s'enfièvrent leurs corps
Des esclaves dansant au son de la cithare,
La molle ibérienne et la svelte barbare,
La jeune fille aux dents si blanches, au cou noir,
Qui sourit de passer devant chaque miroir,
Et la circassienne indolente et massive,
Et d'autres qui faisaient dans leur gaîté lascive
Reluire l'éclat nu de leurs formes au jour,
Ou sonner les anneaux de leurs bras, tour à tour.
Le roi dédaigna tout; jusqu'à la plus aimée,
Jusqu'à Marphris, qui vint, rieuse et parfumée,
Lui tendre l'échiquier qui sait vaincre l'ennui.
Toutes sur un signal s'éloignèrent de lui,
Tête basse, et, frappant ensemble leurs poitrines,
Déchiraient sur leurs seins gonflés les gazes fines,
Pleuraient d'avoir perdu la faveur du grand roi,
Qui devant leurs beautés, nul ne savait pourquoi,
y restait insensible, et tel qu'un sphinx de pierre.
Quand il fut seul, Rhamsès releva sa paupière
En regardant Vimupht, qui, prosterné plus bas,
Presque à genoux, lui dit : « O roi! Dans les combats
Egal à Phré, le dieu qui brûle solitaire;
Roi, très chéri d'Ammon, tu domines la terre;
Commande à ton esclave! Entendre est obéir!
Si je manque à ton ordre, il me faudra mourir.
Roi, j'écoute. » - et Rhamsès lui dit : « Avant une heure,
Malgré tous ses refus et son père qui pleure,
Il me faut Samhisis, la fille du savant! »
Alors il se leva, puis sortit en rêvant.
Le fils d'Aménophis, Rhamsès, que Phré protège,
Las d'encens, a chassé loin de lui son cortège,
Et, sombre, vient s'asseoir sur des gradins portés
Par des captifs d'argent, de bronze et d'or sculptés.
Son oeil terne s'emplit d'indicibles détresses;
Sa barbe est inflexible et pend en larges tresses.
Comme dans le granit ses traits semblent pétris.
Impassible, il est là, plus calme qu'Osiris.
Il songe et l'on dirait, à ses lèvres si pâles,
Typhon, le dieu commis aux vengeances fatales.
Quelque puissant qu'il soit, il a des jours mauvais
Qui par tous ses vouloirs assouvis lui sont faits.
Il est frère des dieux, maître des rois esclaves;
Son char lourd fait couler du sang par chaudes laves;
Mais il arrive une heure où les coupes en vain
Lui versent les cruels projets avec le vin.
Dans le néant il voit déjà fondre sa gloire;
L'abîme est sans échos, sans éclairs sa mémoire.
Il ne peut sans répit faire la guerre. Il a,
Sur les plans colossaux que l'orgueil assembla,
Vingt peuples pour bâtir son palais et sa tombe.
Il fait du doigt un signe. Alors un homme tombe
Dans la fosse où grommelle un lion favori.
Un jour, nul ne dit plus : « Le roi Rhamsès a ri! »
Il ne sait inventer de délices nouvelles,
Et connaît les plaisirs des femmes les plus belles;
Il émousse à la fin dans leurs yeux ses yeux froids;
Il les détourne aussi de tout, le roi des rois!
Sur l'univers conquis son char est la charrue;
L'humanité servile à son trône se rue,
Et contemple en tremblant ses sourcils épiés;
La beauté, l'or, la myrrhe, il les foule à ses pieds;
Il peut tout; il s'ennie, et le monde le raille;
Il est homme, et plus frêle ici-bas qu'une paille.
Vimupht, le serviteur qui veille à ses côtés,
Et qui d'avance tient ses ordres apprêtés,
Fit un geste; et l'eunuque à la face glacée
Frappa trois fois des mains devant le gynécée.
Une porte aussitôt sur les tapis moelleux
Roula sans bruit. Alors, entre des brouillards bleus,
Dans la salle envahie avec un frais murmure,
Comme des flancs ouverts de la grenade mûre
Ruissellent à l'envi la nacre et le carmin,
Cent femmes, se pressant par le même chemin,
Parurent, foule agile aux grâces ingénues.
Toutes devant Rhamsès, les unes demi-nues,
Les autres le corps ceint d'un voile transparent,
Vinrent, selon le rite, et leur âge, et leur rang,
Molle ondulation de poses provocantes,
écrin épanoui de lèvres éloquentes,
Chaîne adorable où tout chaînon vaut un trésor.
Et tout autour fumaient les cassolettes d'or;
Et les désirs flottaient dans l'air plein de spirales,
Aux chants voluptueux des harpes inégales;
Et les voix des castrats au fond montaient en choeur.
Mais le roi sur son trône était un dieu sans coeur.
Confuses, près de lui, ses quatre favorites,
Ta-Hé, Thméa, la blonde aux mains toutes petites,
Rhamel aux bras ambrés, et Marphris aux grands yeux,
S'assirent. Puis, le reste en cercle harmonieux
Se groupa loin du maître à la morte pensée,
Chacune par le fouet de l'eunuque cassée.
Celui-ci de nouveau frappa trois coups. Alors
S'élancèrent au rythme où s'enfièvrent leurs corps
Des esclaves dansant au son de la cithare,
La molle ibérienne et la svelte barbare,
La jeune fille aux dents si blanches, au cou noir,
Qui sourit de passer devant chaque miroir,
Et la circassienne indolente et massive,
Et d'autres qui faisaient dans leur gaîté lascive
Reluire l'éclat nu de leurs formes au jour,
Ou sonner les anneaux de leurs bras, tour à tour.
Le roi dédaigna tout; jusqu'à la plus aimée,
Jusqu'à Marphris, qui vint, rieuse et parfumée,
Lui tendre l'échiquier qui sait vaincre l'ennui.
Toutes sur un signal s'éloignèrent de lui,
Tête basse, et, frappant ensemble leurs poitrines,
Déchiraient sur leurs seins gonflés les gazes fines,
Pleuraient d'avoir perdu la faveur du grand roi,
Qui devant leurs beautés, nul ne savait pourquoi,
y restait insensible, et tel qu'un sphinx de pierre.
Quand il fut seul, Rhamsès releva sa paupière
En regardant Vimupht, qui, prosterné plus bas,
Presque à genoux, lui dit : « O roi! Dans les combats
Egal à Phré, le dieu qui brûle solitaire;
Roi, très chéri d'Ammon, tu domines la terre;
Commande à ton esclave! Entendre est obéir!
Si je manque à ton ordre, il me faudra mourir.
Roi, j'écoute. » - et Rhamsès lui dit : « Avant une heure,
Malgré tous ses refus et son père qui pleure,
Il me faut Samhisis, la fille du savant! »
Alors il se leva, puis sortit en rêvant.
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Date d'inscription : 18/02/2010
Souré-Ha
IV
Au fond des corridors, dans sa grave retraite,
Memmaratkha toujours se renferme. Il s'arrête,
Comme en extase, auprès d'un cippe déterré,
Par les griffes du temps monolithe échancré;
Puis, sur des papyrus couverts d'hiéroglyphes,
Approfondit leur sens qui se cache aux pontifes,
Médite un autre arcane, héritage plus vieux,
Ou déchiffre un par un les cartouches des dieux.
Aussi jaune que l'est la peau d'une momie,
Sous la lampe jamais éteinte! Unique amie!
Son crâne large et ras se plisse abondamment.
Silencieux, perdu dans son recueillement,
Plein d'horreur, il épelle un livre fatidique
Dans les rites anciens qu'un prêtre mort indique,
Et tous les jours de feu, tous les soirs constellés,
Il sonde avec Hermès les siècles écoulés.
Sa robe aux bords salis serpente sur les dalles;
Et sur les bouts pointus de ses larges sandales
Un nombre s'illumine en traits mystérieux.
Que le Nil, débordé de son lit, furieux,
Menace d'engloutir Memphis sur son passage :
Il n'aurait aucun pli d'effroi sur le visage;
Sans entendre, sans voir, sans un geste, il mourrait;
Car il cherche l'obscur et terrible secret;
Car son regard perçant plonge à travers le vide,
Car son doigt décharné qu'il promène est avide
De soulever enfin le grand voile d'Isis.
Il vit tout seul au sein d'un rêve immense assis.
Déjà l'ombre au dehors croissait dans les savanes.
C'était, loin des faubourgs, l'heure où les caravanes
Vont replier la tente, et sur les sables blancs
Reprendre le chemin du désert, à pas lents.
Quelqu'un entré sans bruit souilla l'austère asile
Du vieux mage, et lui dit : « Sors du songe où s'exile
Ta vie! Ecoute-moi! Lève ton corps penché!
Et si dans quelque membre un muscle moins séché
Sous un reflet royal peut tressaillir de joie,
Sois content, car Rhamsès est celui qui m'envoie!
Le bien-aimé puissant d'Ammon-Ra, le soutien
Des cinq fils de Rhéa, mon roi, comme le tien,
Daigne, c'est un honneur suprême pour ta race,
Sur Samhisis, ta fille, ouvrir les yeux par grâce.
Demain dans son palais en reine elle vivra,
Et le peuple à ses pieds ainsi l'adorera.
Pour ton obéissance, ô vieux prêtre! Il te laisse
Souré-Ha, car il prend pitié de ta vieillesse,
Et te donne en surplus dans ces coffrets pesants,
Pour le prix qu'il te doit, ces précieux présents.
Réponds! » - Memmaratkha laissa l'homme tout dire,
Et sans qu'un poil frémît sur son masque de cire,
Lui dit : « Tu peux garder aussi bien mes deux parts!
Prends mes filles, et l'or avec elles. Mais pars!
Mais va-t'en! Car la vie est de courte durée,
Car la science est longue et cette heure est sacrée! »
L'envoyé disparut sur-le-champ; soucieux,
Le mage avait repris sa lutte avec les dieux.
Vimupht entra bientôt dans une salle étroite.
Là, tout près du jet d'eau qui bruit dans l'air moite,
Les deux soeurs caressaient leurs désirs opposés,
Songeant, l'une au bonheur modeste, aux longs baisers
Sur la grève, le soir, et l'autre, à la paresse
Du royal gynécée où l'orgueil la caresse,
Où chacune humilie à son tour sa beauté
Devant elle et lui paie un tribut mérité.
« Laquelle est Samhisis de vous deux? dit l'esclave;
Qu'en signe de bonheur, trois fois elle se lave
Le visage et les mains dans une eau d'oasis!
- Parle! Que lui veux-tu? C'est moi! Par l'oeil d'Isis!
N'étais-tu pas hier près du roi, quand la foule
Affluait devant lui comme une épaisse houle?
- Oui, femme! Il a daigné jeter les yeux sur toi.
Triste, depuis hier il t'aime; et c'est pourquoi
Je viens pour t'emmener. Durci par la science,
Memmaratkha, ton père, avec insouciance
Me permet, si je veux, de prendre aussi ta soeur,
Car tout lien terrestre est brisé dans son coeur.
- Souré-Ha! Tu l'entends! La déesse elle-même
A pris soin d'exaucer mon souhait. Rhamsès m'aime!
Son messager vers moi, sur un ordre pressant,
Accourt, et je le suis, et mon père y consent! »
Et la si triomphante et folle jeune fille,
Sans voir, en ses apprêts, cette larme qui brille
Aux yeux de Souré-Ha, lui dit : « Dans ton amour,
Dans ta simplicité sois heureuse à ton tour!
Puisque tu préférais un bonheur qu'on ignore,
Reste donc, et l'attends! Vers le palais sonore
Isis me pousse; adieu! -va donc! » dit Souré-Ha,
Qui pensait : « Quant à moi, ce jour décidera! »
Au fond des corridors, dans sa grave retraite,
Memmaratkha toujours se renferme. Il s'arrête,
Comme en extase, auprès d'un cippe déterré,
Par les griffes du temps monolithe échancré;
Puis, sur des papyrus couverts d'hiéroglyphes,
Approfondit leur sens qui se cache aux pontifes,
Médite un autre arcane, héritage plus vieux,
Ou déchiffre un par un les cartouches des dieux.
Aussi jaune que l'est la peau d'une momie,
Sous la lampe jamais éteinte! Unique amie!
Son crâne large et ras se plisse abondamment.
Silencieux, perdu dans son recueillement,
Plein d'horreur, il épelle un livre fatidique
Dans les rites anciens qu'un prêtre mort indique,
Et tous les jours de feu, tous les soirs constellés,
Il sonde avec Hermès les siècles écoulés.
Sa robe aux bords salis serpente sur les dalles;
Et sur les bouts pointus de ses larges sandales
Un nombre s'illumine en traits mystérieux.
Que le Nil, débordé de son lit, furieux,
Menace d'engloutir Memphis sur son passage :
Il n'aurait aucun pli d'effroi sur le visage;
Sans entendre, sans voir, sans un geste, il mourrait;
Car il cherche l'obscur et terrible secret;
Car son regard perçant plonge à travers le vide,
Car son doigt décharné qu'il promène est avide
De soulever enfin le grand voile d'Isis.
Il vit tout seul au sein d'un rêve immense assis.
Déjà l'ombre au dehors croissait dans les savanes.
C'était, loin des faubourgs, l'heure où les caravanes
Vont replier la tente, et sur les sables blancs
Reprendre le chemin du désert, à pas lents.
Quelqu'un entré sans bruit souilla l'austère asile
Du vieux mage, et lui dit : « Sors du songe où s'exile
Ta vie! Ecoute-moi! Lève ton corps penché!
Et si dans quelque membre un muscle moins séché
Sous un reflet royal peut tressaillir de joie,
Sois content, car Rhamsès est celui qui m'envoie!
Le bien-aimé puissant d'Ammon-Ra, le soutien
Des cinq fils de Rhéa, mon roi, comme le tien,
Daigne, c'est un honneur suprême pour ta race,
Sur Samhisis, ta fille, ouvrir les yeux par grâce.
Demain dans son palais en reine elle vivra,
Et le peuple à ses pieds ainsi l'adorera.
Pour ton obéissance, ô vieux prêtre! Il te laisse
Souré-Ha, car il prend pitié de ta vieillesse,
Et te donne en surplus dans ces coffrets pesants,
Pour le prix qu'il te doit, ces précieux présents.
Réponds! » - Memmaratkha laissa l'homme tout dire,
Et sans qu'un poil frémît sur son masque de cire,
Lui dit : « Tu peux garder aussi bien mes deux parts!
Prends mes filles, et l'or avec elles. Mais pars!
Mais va-t'en! Car la vie est de courte durée,
Car la science est longue et cette heure est sacrée! »
L'envoyé disparut sur-le-champ; soucieux,
Le mage avait repris sa lutte avec les dieux.
Vimupht entra bientôt dans une salle étroite.
Là, tout près du jet d'eau qui bruit dans l'air moite,
Les deux soeurs caressaient leurs désirs opposés,
Songeant, l'une au bonheur modeste, aux longs baisers
Sur la grève, le soir, et l'autre, à la paresse
Du royal gynécée où l'orgueil la caresse,
Où chacune humilie à son tour sa beauté
Devant elle et lui paie un tribut mérité.
« Laquelle est Samhisis de vous deux? dit l'esclave;
Qu'en signe de bonheur, trois fois elle se lave
Le visage et les mains dans une eau d'oasis!
- Parle! Que lui veux-tu? C'est moi! Par l'oeil d'Isis!
N'étais-tu pas hier près du roi, quand la foule
Affluait devant lui comme une épaisse houle?
- Oui, femme! Il a daigné jeter les yeux sur toi.
Triste, depuis hier il t'aime; et c'est pourquoi
Je viens pour t'emmener. Durci par la science,
Memmaratkha, ton père, avec insouciance
Me permet, si je veux, de prendre aussi ta soeur,
Car tout lien terrestre est brisé dans son coeur.
- Souré-Ha! Tu l'entends! La déesse elle-même
A pris soin d'exaucer mon souhait. Rhamsès m'aime!
Son messager vers moi, sur un ordre pressant,
Accourt, et je le suis, et mon père y consent! »
Et la si triomphante et folle jeune fille,
Sans voir, en ses apprêts, cette larme qui brille
Aux yeux de Souré-Ha, lui dit : « Dans ton amour,
Dans ta simplicité sois heureuse à ton tour!
Puisque tu préférais un bonheur qu'on ignore,
Reste donc, et l'attends! Vers le palais sonore
Isis me pousse; adieu! -va donc! » dit Souré-Ha,
Qui pensait : « Quant à moi, ce jour décidera! »
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Souré-Ha
V
L'horizon au dieu Phré rouvrait ses beaux portiques.
Cependant par le Nil qui court aux mers antiques,
Sans peur de l'amphibie au guet sous les roseaux,
Un homme nage et fend rapidement les eaux.
A travers les lotus de la berge il arrive
Et touche aux bords. à peine a-t-il franchi la rive,
Que sur ses membres nus, sur son torse bronzé,
Les rayons du soleil dans un air embrasé
Avaient bu l'eau du fleuve et guéri la fatigue.
Il est tout jeune et beau. La nature prodigue
Lui donna plus : la force; et l'on voit la fierté
Ennoblir sa démarche avec la volonté.
Il sait droit devant lui regarder un obstacle;
Il n'est pas de ceux-là qui traînent en spectacle
La blessure d'un coeur lâchement résigné;
Pour chérir un supplice atroce, il n'est pas né.
Il marchait au hasard, solitaire, et très calme;
Comme un dieu méprisant qui réserve sa palme,
Jusqu'ici pour la femme il n'avait qu'un dédain.
Nul sourire n'usait sa rigueur. Mais soudain
Il a vu Samhisis paraître, et dans son âme
Il a senti l'éclair, et le flot d'un cinname
épanoui l'emplir de langueurs; et l'espoir
A fait son pas moins sûr et son regard plus noir.
Il déplie à la hâte et sur son corps il jette
Ses vêtements portés hors de l'eau sur sa tête,
Et s'élance, tout plein d'une fièvre d'amour,
Vers le seuil fortuné qu'il revoit chaque jour.
« C'est gémir trop longtemps, pense-t-il, dans le doute;
Tout entière, à la fin, j'ai vidé goutte à goutte
La coupe des poisons que m'offre cette enfant.
C'est assez supplier; l'amour me le défend. »
Il entre. Souré-Ha, les paupières baissées,
Seule et triste, suivait le cours de ses pensées;
Quand tout près retentit le bruit d'un pas si cher,
On eût pu voir pâlir et frissonner sa chair.
La nuit venait de près, et des ombres voraces
Couvraient les hauts plafonds, les murs et les terrasses.
Il était arrivé; mais un pressentiment
Le retint sur le seuil, anxieux. Un moment,
Sans voix, il contempla cette vierge isolée,
Et qui pensait à lui, sous sa peine accablée.
Mais tout à Samhisis, l'absente, il ne lut pas
Le douloureux secret de si proches combats.
D'un seul mot il pouvait en ces yeux faire luire
Une flamme, en ces pleurs rayonner un sourire.
Mais il ne connaissait qu'un nom, et qu'un souci :
« Samhisis? cria-t-il; n'est-elle plus ici?
Vous vous taise! Parlez! Dites-moi qu'elle est morte,
Plutôt que pour un autre elle ait franchi la porte!
Je saurais me venger. - Hélas! dit Souré-Ha,
Dont le si pur visage à sa voix s'empourpra;
Rhamsès est plus qu'un homme, et loin de tous il siège;
Et ses aïeux divins le gardent de tout piège!
- Voilà donc le bonheur qu'elle préfère! Hé quoi!
Tous mes serments n'étaient, pour la fille sans foi,
Qu'un vain jeu, qu'un mensonge! Au long récit des rêves
Que je faisais pour nous, en ces heures trop brèves,
A genoux à ses pieds, et les yeux dans ses yeux,
Peut-être songeait-elle à ce sort glorieux!
O honte! Elle accepta pour elle un rang infâme!
C'est le fouet de l'eunuque insolent et sans âme
Qu'elle couru chercher sans horreur, sans regret
Pour le crédule amant qui vers elle accourait!
- Peut-être existe-t-il quelqu'une plus fidèle,
Dont l'amour deviné vous consoleait d'elle. »
Et pourpre, elle n'osa lui dire un mot de plus.
Le jeune homme, la voix et les traits résolus :
« Souré-Ha! Je ne sais si les autres oublient;
J'ignore si les coeurs ici-bas se délient;
Mais moi, je ne veux pas oublier, et je sens
Une soif de vengeance envahir tous mes sens;
La jalousie étreint et brûle tout mon être;
Par Typhon! Souré-Ha, je le saurai peut-être,
Si la mort peut aussi délivrer de l'amour! »
Et, repassant le seuil, il s'enfuit sans retour.
Comme un ramier blessé qui dans les airs tournoie
Poursuivi par le bec d'un sombre oiseau de proie,
Souré-Ha mesurait l'abîme de son sort.
« Comme il l'aime! Dit-elle. Eh bien! Mieux vaut la mort.
C'est moi qu'il frappera; moi, qui mourrai, contente
Si c'est lui qui me tue, en ses bras palpitante! »
La nuit dans le vieux Nil baignait son pied charmant,
Et, sereine, invitait l'homme au recueillement.
L'horizon au dieu Phré rouvrait ses beaux portiques.
Cependant par le Nil qui court aux mers antiques,
Sans peur de l'amphibie au guet sous les roseaux,
Un homme nage et fend rapidement les eaux.
A travers les lotus de la berge il arrive
Et touche aux bords. à peine a-t-il franchi la rive,
Que sur ses membres nus, sur son torse bronzé,
Les rayons du soleil dans un air embrasé
Avaient bu l'eau du fleuve et guéri la fatigue.
Il est tout jeune et beau. La nature prodigue
Lui donna plus : la force; et l'on voit la fierté
Ennoblir sa démarche avec la volonté.
Il sait droit devant lui regarder un obstacle;
Il n'est pas de ceux-là qui traînent en spectacle
La blessure d'un coeur lâchement résigné;
Pour chérir un supplice atroce, il n'est pas né.
Il marchait au hasard, solitaire, et très calme;
Comme un dieu méprisant qui réserve sa palme,
Jusqu'ici pour la femme il n'avait qu'un dédain.
Nul sourire n'usait sa rigueur. Mais soudain
Il a vu Samhisis paraître, et dans son âme
Il a senti l'éclair, et le flot d'un cinname
épanoui l'emplir de langueurs; et l'espoir
A fait son pas moins sûr et son regard plus noir.
Il déplie à la hâte et sur son corps il jette
Ses vêtements portés hors de l'eau sur sa tête,
Et s'élance, tout plein d'une fièvre d'amour,
Vers le seuil fortuné qu'il revoit chaque jour.
« C'est gémir trop longtemps, pense-t-il, dans le doute;
Tout entière, à la fin, j'ai vidé goutte à goutte
La coupe des poisons que m'offre cette enfant.
C'est assez supplier; l'amour me le défend. »
Il entre. Souré-Ha, les paupières baissées,
Seule et triste, suivait le cours de ses pensées;
Quand tout près retentit le bruit d'un pas si cher,
On eût pu voir pâlir et frissonner sa chair.
La nuit venait de près, et des ombres voraces
Couvraient les hauts plafonds, les murs et les terrasses.
Il était arrivé; mais un pressentiment
Le retint sur le seuil, anxieux. Un moment,
Sans voix, il contempla cette vierge isolée,
Et qui pensait à lui, sous sa peine accablée.
Mais tout à Samhisis, l'absente, il ne lut pas
Le douloureux secret de si proches combats.
D'un seul mot il pouvait en ces yeux faire luire
Une flamme, en ces pleurs rayonner un sourire.
Mais il ne connaissait qu'un nom, et qu'un souci :
« Samhisis? cria-t-il; n'est-elle plus ici?
Vous vous taise! Parlez! Dites-moi qu'elle est morte,
Plutôt que pour un autre elle ait franchi la porte!
Je saurais me venger. - Hélas! dit Souré-Ha,
Dont le si pur visage à sa voix s'empourpra;
Rhamsès est plus qu'un homme, et loin de tous il siège;
Et ses aïeux divins le gardent de tout piège!
- Voilà donc le bonheur qu'elle préfère! Hé quoi!
Tous mes serments n'étaient, pour la fille sans foi,
Qu'un vain jeu, qu'un mensonge! Au long récit des rêves
Que je faisais pour nous, en ces heures trop brèves,
A genoux à ses pieds, et les yeux dans ses yeux,
Peut-être songeait-elle à ce sort glorieux!
O honte! Elle accepta pour elle un rang infâme!
C'est le fouet de l'eunuque insolent et sans âme
Qu'elle couru chercher sans horreur, sans regret
Pour le crédule amant qui vers elle accourait!
- Peut-être existe-t-il quelqu'une plus fidèle,
Dont l'amour deviné vous consoleait d'elle. »
Et pourpre, elle n'osa lui dire un mot de plus.
Le jeune homme, la voix et les traits résolus :
« Souré-Ha! Je ne sais si les autres oublient;
J'ignore si les coeurs ici-bas se délient;
Mais moi, je ne veux pas oublier, et je sens
Une soif de vengeance envahir tous mes sens;
La jalousie étreint et brûle tout mon être;
Par Typhon! Souré-Ha, je le saurai peut-être,
Si la mort peut aussi délivrer de l'amour! »
Et, repassant le seuil, il s'enfuit sans retour.
Comme un ramier blessé qui dans les airs tournoie
Poursuivi par le bec d'un sombre oiseau de proie,
Souré-Ha mesurait l'abîme de son sort.
« Comme il l'aime! Dit-elle. Eh bien! Mieux vaut la mort.
C'est moi qu'il frappera; moi, qui mourrai, contente
Si c'est lui qui me tue, en ses bras palpitante! »
La nuit dans le vieux Nil baignait son pied charmant,
Et, sereine, invitait l'homme au recueillement.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Souré-Ha
VI
Rêves inassouvis des amours impossibles,
Rongerez-vous toujours de vos dents invincibles
Le misérable fou qui de vous s'est épris?
Quoi! Parce qu'aux éveils de la chair, et surpris
Par les vagues chaleurs montant d'une étincelle,
Il but l'amer venin qu'un azur faux recèle,
Serpents mélodieux, le mordrez-vous toujours?
Ne fuirez-vous jamais, charmes de ses beaux jours?
Est-ce un crime d'aimer? C'est donc un culte impie
Que l'amour? Jusqu'à quand faudra-t-il qu'on expie
Les parfums qu'on brûla sur l'ineffable autel?
Le songe des vingt ans doit-il être immortel?
L'homme est né pour souffrir, oublier et se taire;
C'est un homme, celui qui dans la route austère
Marche vite à son but, les deux bras en avant,
Et ne se tourne pas aux surprises du vent.
Qu'importe l'horizon? Sans rappels en arrière,
Le fort ne se résout jamais à la prière.
Que peut-il espérer, celui qu'un souvenir
étreint plus qu'un remords, et qui ne peut bannir
Le mirage infécond de sa jeunesse vaine;
Qui lui-même resserre autour de lui sa chaîne,
Dans sa prison factice est son propre geôlier,
Et, n'osant pas mourir, ne veut pas oublier?
Depuis trois jours et trois mortelles nuits, farouche,
Comme un fauve affamé qui roule son oeil louche,
Thaéri frémissant rôde autour du palais
Où Samhisis se mire aux feux des bracelets.
Prêt à frapper, dans l'ombre, attentif, il épie.
Depuis ces trois longs jours, dans son secret tapie,
Soué-Ha par des dons a gagné la faveur
Des gardiens, et gaîment veille auprès de sa soeur.
Mais peut-être bientôt viendra l'heure indécise
Où doit partir le trait que la vengeance aiguise,
Car cette nuit Rhamsès veut fêter Samhisis.
Il est aux bords du Nil une ronde oasis;
Et c'est là qu'il ira. - Courage! Voici l'heure
Où l'âme se roidit au fond du corps qui pleure.
Regarde si ton arc, jeune homme, est bien tendu;
Jeune fille, aguerris ton regard éperdu!
Depuis longtemps déjà sous les dunes de sable
Phré cachait le brasier de son disque implacable.
Déjà le fleuve au loin reflétait mille feux;
Tout un peuple attendait sur la grève, envieux
D'étaler son opprobre en concerts d'allégresse.
Le roi venait. Et belle et savourant l'ivresse,
Sous un dais fastueux, par vingt femmes porté,
Samhisis s'avançait heureuse à son côté,
Projetant ses lueurs d'en haut sur une foule
Qui lui semble un tapis vivant que son pied foule.
Aux hommages rendus pour la première fois,
Elle croyait, parmi les parfums et les voix,
Sentir comme un lotus divin dans sa prunelle.
Oh! Ce soir, le passé, qu'il était mort en elle!
Au milieu des flambeaux et des astres, au bruit
Du cortège pompeux qui la guide et la suit,
Qu'ils étaient loin, ses jours de paix et d'innocence,
Sous le toit paternel qu'un jeune amour encense!
Comme elle avait alors oublié Thaéri!
Souré-Ha, toujours prête à retenir un cri,
L'escortait, pâle, en proie à sa muette angoisse,
Et le sein soulevé sous la main qui le froisse.
Mais avec plus de hâte aussi, sur le parcours
Elle paraît chercher quelqu'un aux alentours.
Enfin, sorti de l'ombre, un homme noir se dresse
Derrière elle : « Ma tâche est faite. Avec adresse,
J'ai pu suivre celui que tu m'as indiqué;
Là-bas, dans les roseaux, il se tient embusqué,
L'arc en main, à l'endroit où le Nil fait un coude,
Sur la digue à laquelle une oasis se soude.
- C'est bien! dit Souré-Ha; tiens! Prends vite, et t'enfuis! »
Il disparut d'un bond. Le Nil flamboyait. Puis
Il emporta bientôt sur les canges royales
Le cortège et les chants des lyres triomphales.
« Que regardes-tu donc, ma soeur, autour de toi?
Dit Samhisis. Je veux que ce soir, près de moi,
Chacune ait sa chanson comme sa banderole.
Tous tes désirs, dis-les. N'as-tu pas ma parole?
Parle! » - Alors, Souré-Ha : « Si je te demandais
De m'asseoir à ta place un instant sous ton dais,
Et d'essayer un peu ta pose et ta parure?
J'en serais plus rieuse après, je te le jure! »
Ce caprice jaloux sut plaire à Samhisis.
Comme la conque d'or de la déesse Isis,
La cange suit le fleuve auguste en sa descente.
Souré-Ha sous le dais se tient, éblouissante;
Et tandis que son être est brisé de douleurs,
En s'efforçant de rire, elle arrête les pleurs,
Les derniers, que ramène une pensée amère.
Qu'elle était belle ainsi, dans sa gloire éphémère!
Belle comme l'étoile au ciel tout constellé
Qui surgit et qui meurt après avoir brillé!
Mais près des joncs mêlant sur les bords verts de l'île
Leurs rameaux plus touffus, la barque vient, tranquille.
Aussitôt Thaéri s'est levé dans la nuit.
Il croit voir Samhisis; - et la corde sans bruit
Sous ses doigts est tendue. - Il demeure immobile
Une seconde. Il vise avec un art habile.
Puis la corde a vibré... ce ne fut qu'un soupir.
L'âme de Souré-Ha qui rêvait de partir
S'envola. - Son beau corps roulait dans le sillage.
Ce soir, les caïmans qui rôdaient sur la plage
Se sont repus entre eux dans un double festin,
Car le flot ne rendit nul cadavre au matin.
Rêves inassouvis des amours impossibles,
Rongerez-vous toujours de vos dents invincibles
Le misérable fou qui de vous s'est épris?
Quoi! Parce qu'aux éveils de la chair, et surpris
Par les vagues chaleurs montant d'une étincelle,
Il but l'amer venin qu'un azur faux recèle,
Serpents mélodieux, le mordrez-vous toujours?
Ne fuirez-vous jamais, charmes de ses beaux jours?
Est-ce un crime d'aimer? C'est donc un culte impie
Que l'amour? Jusqu'à quand faudra-t-il qu'on expie
Les parfums qu'on brûla sur l'ineffable autel?
Le songe des vingt ans doit-il être immortel?
L'homme est né pour souffrir, oublier et se taire;
C'est un homme, celui qui dans la route austère
Marche vite à son but, les deux bras en avant,
Et ne se tourne pas aux surprises du vent.
Qu'importe l'horizon? Sans rappels en arrière,
Le fort ne se résout jamais à la prière.
Que peut-il espérer, celui qu'un souvenir
étreint plus qu'un remords, et qui ne peut bannir
Le mirage infécond de sa jeunesse vaine;
Qui lui-même resserre autour de lui sa chaîne,
Dans sa prison factice est son propre geôlier,
Et, n'osant pas mourir, ne veut pas oublier?
Depuis trois jours et trois mortelles nuits, farouche,
Comme un fauve affamé qui roule son oeil louche,
Thaéri frémissant rôde autour du palais
Où Samhisis se mire aux feux des bracelets.
Prêt à frapper, dans l'ombre, attentif, il épie.
Depuis ces trois longs jours, dans son secret tapie,
Soué-Ha par des dons a gagné la faveur
Des gardiens, et gaîment veille auprès de sa soeur.
Mais peut-être bientôt viendra l'heure indécise
Où doit partir le trait que la vengeance aiguise,
Car cette nuit Rhamsès veut fêter Samhisis.
Il est aux bords du Nil une ronde oasis;
Et c'est là qu'il ira. - Courage! Voici l'heure
Où l'âme se roidit au fond du corps qui pleure.
Regarde si ton arc, jeune homme, est bien tendu;
Jeune fille, aguerris ton regard éperdu!
Depuis longtemps déjà sous les dunes de sable
Phré cachait le brasier de son disque implacable.
Déjà le fleuve au loin reflétait mille feux;
Tout un peuple attendait sur la grève, envieux
D'étaler son opprobre en concerts d'allégresse.
Le roi venait. Et belle et savourant l'ivresse,
Sous un dais fastueux, par vingt femmes porté,
Samhisis s'avançait heureuse à son côté,
Projetant ses lueurs d'en haut sur une foule
Qui lui semble un tapis vivant que son pied foule.
Aux hommages rendus pour la première fois,
Elle croyait, parmi les parfums et les voix,
Sentir comme un lotus divin dans sa prunelle.
Oh! Ce soir, le passé, qu'il était mort en elle!
Au milieu des flambeaux et des astres, au bruit
Du cortège pompeux qui la guide et la suit,
Qu'ils étaient loin, ses jours de paix et d'innocence,
Sous le toit paternel qu'un jeune amour encense!
Comme elle avait alors oublié Thaéri!
Souré-Ha, toujours prête à retenir un cri,
L'escortait, pâle, en proie à sa muette angoisse,
Et le sein soulevé sous la main qui le froisse.
Mais avec plus de hâte aussi, sur le parcours
Elle paraît chercher quelqu'un aux alentours.
Enfin, sorti de l'ombre, un homme noir se dresse
Derrière elle : « Ma tâche est faite. Avec adresse,
J'ai pu suivre celui que tu m'as indiqué;
Là-bas, dans les roseaux, il se tient embusqué,
L'arc en main, à l'endroit où le Nil fait un coude,
Sur la digue à laquelle une oasis se soude.
- C'est bien! dit Souré-Ha; tiens! Prends vite, et t'enfuis! »
Il disparut d'un bond. Le Nil flamboyait. Puis
Il emporta bientôt sur les canges royales
Le cortège et les chants des lyres triomphales.
« Que regardes-tu donc, ma soeur, autour de toi?
Dit Samhisis. Je veux que ce soir, près de moi,
Chacune ait sa chanson comme sa banderole.
Tous tes désirs, dis-les. N'as-tu pas ma parole?
Parle! » - Alors, Souré-Ha : « Si je te demandais
De m'asseoir à ta place un instant sous ton dais,
Et d'essayer un peu ta pose et ta parure?
J'en serais plus rieuse après, je te le jure! »
Ce caprice jaloux sut plaire à Samhisis.
Comme la conque d'or de la déesse Isis,
La cange suit le fleuve auguste en sa descente.
Souré-Ha sous le dais se tient, éblouissante;
Et tandis que son être est brisé de douleurs,
En s'efforçant de rire, elle arrête les pleurs,
Les derniers, que ramène une pensée amère.
Qu'elle était belle ainsi, dans sa gloire éphémère!
Belle comme l'étoile au ciel tout constellé
Qui surgit et qui meurt après avoir brillé!
Mais près des joncs mêlant sur les bords verts de l'île
Leurs rameaux plus touffus, la barque vient, tranquille.
Aussitôt Thaéri s'est levé dans la nuit.
Il croit voir Samhisis; - et la corde sans bruit
Sous ses doigts est tendue. - Il demeure immobile
Une seconde. Il vise avec un art habile.
Puis la corde a vibré... ce ne fut qu'un soupir.
L'âme de Souré-Ha qui rêvait de partir
S'envola. - Son beau corps roulait dans le sillage.
Ce soir, les caïmans qui rôdaient sur la plage
Se sont repus entre eux dans un double festin,
Car le flot ne rendit nul cadavre au matin.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
En chemin
En chemin
Les dieux sont muets, et la vie est triste.
Pour nous mordre au coeur, les crocs hérissés,
Un noir lévrier nous suit à la piste.
Sur les fronts pâlis, sous les yeux baissés,
Dans les carrefours que la foule obstrue,
Parmi les chansons, les bruits de la rue,
Dans les yeux éteints, sur les fronts penchés,
Je cherche et je trouve une angoisse affreuse,
Un doute, un souci vainement cachés,
Un vieux souvenir qui monte et qui creuse;
Et je vais ainsi, trésorier des pleurs,
En chemin quêtant soupirs et douleurs.
Ô passants! vous tous qu'un regret harcèle,
Que ronge un tourment, remords ou désir,
Vous que brûle encor la chaude étincelle
Du songe enflammé qu'on n'a pu saisir;
Le destin commun avec vous m'emmène :
Inconnus, salut dans la vie humaine!
Vous tous qui passez près de moi sans fin,
Inquiets, furtifs, le long des murailles,
Ames, coeurs, esprits, corps, emplis de faim,
Quel que soit le mal qui tord vos entrailles,
Vous versez en moi, trésorier du fiel,
Un regard profond, dédaigné du ciel.
Au nom du poète ivre d'amertumes,
Confident discret qui de 1'oei1 vous suit;
Au nom du passé perdu dans les brumes;
Au nom du silence! au nom de la nuit!
Dans la vie humaine où je vous salue,
Au nom de tout rêve en qui l'ombre afflue,
Au nom de demain, au nom de toujours,
Je dis à chacun d'entre vous qui passe :
« Au revoir, ailleurs, plus loin, dans l'espace,
Sous un ciel muet peuplé de dieux sourds! »
Les dieux sont muets, et la vie est triste.
Pour nous mordre au coeur, les crocs hérissés,
Un noir lévrier nous suit à la piste.
Sur les fronts pâlis, sous les yeux baissés,
Dans les carrefours que la foule obstrue,
Parmi les chansons, les bruits de la rue,
Dans les yeux éteints, sur les fronts penchés,
Je cherche et je trouve une angoisse affreuse,
Un doute, un souci vainement cachés,
Un vieux souvenir qui monte et qui creuse;
Et je vais ainsi, trésorier des pleurs,
En chemin quêtant soupirs et douleurs.
Ô passants! vous tous qu'un regret harcèle,
Que ronge un tourment, remords ou désir,
Vous que brûle encor la chaude étincelle
Du songe enflammé qu'on n'a pu saisir;
Le destin commun avec vous m'emmène :
Inconnus, salut dans la vie humaine!
Vous tous qui passez près de moi sans fin,
Inquiets, furtifs, le long des murailles,
Ames, coeurs, esprits, corps, emplis de faim,
Quel que soit le mal qui tord vos entrailles,
Vous versez en moi, trésorier du fiel,
Un regard profond, dédaigné du ciel.
Au nom du poète ivre d'amertumes,
Confident discret qui de 1'oei1 vous suit;
Au nom du passé perdu dans les brumes;
Au nom du silence! au nom de la nuit!
Dans la vie humaine où je vous salue,
Au nom de tout rêve en qui l'ombre afflue,
Au nom de demain, au nom de toujours,
Je dis à chacun d'entre vous qui passe :
« Au revoir, ailleurs, plus loin, dans l'espace,
Sous un ciel muet peuplé de dieux sourds! »
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
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