La Cité Des Eaux:Henri De Régnier
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier
Rappel du premier message :
LA CITÉ DES EAUX
Versailles, Cité des Eaux.
MICHELET.
SALUT A VERSAILLES
Celui dont l'âme est triste et qui porte à l'automne
Son coeur brûlant encor des cendres de l'été,
Est le Prince sans sceptre et le Roi sans couronne
De votre solitude et de votre beauté.
Car ce qu'il cherche en vous, ô jardins de silence,
Sous votre ombrage grave où le bruit de ses pas
Poursuit en vain l'écho qui toujours le devance,
Ce qu'il cherche en votre ombre, ô jardins, ce n'est pas
Le murmure secret de la rumeur illustre,
Dont le siècle a rempli vos bosquets toujours beaux,
Ni quelque vaine gloire accoudée au balustre,
Ni quelque jeune grâce au bord des fraîches eaux;
Il ne demande pas qu'y passe ou qu'y revienne
Le héros immortel ou le vivant fameux
Dont la vie orgueilleuse, éclatante et hautaine
Fut l'astre et le soleil de ces augustes lieux.
Ce qu'il veut, c'est le calme et c'est la solitude,
La perspective avec l'allée et l'escalier,
Et le rond-point, et le parterre, et l'attitude
De l'if pyramidal auprès du buis taillé;
La grandeur taciturne et la paix monotone
De ce mélancolique et suprême séjour;
Et ce parfum de soir et cette odeur d'automne
Qui s'exhalent de l'ombre avec la fin du jour.
O toi que l'aube effraie, ô toi qui crains l'aurore,
Et que ne tentent plus la route et le chemin,
Quitte la ville vaine, arrogante et sonore
Qui parle avec des voix de soleil ou d'airain.
C'est là que l'homme fait sa boue et sa poussière
Pour élever son mur autour de l'horizon;
Mais toi, dont le désir n'apporte plus sa pierre
Au travail en commun qui bâtit la maison,
Laisse ceux dont le bloc charge, sans qu'elle plie,
L'épaule et dont les bras sont propres aux fardeaux,
Se construire sans toi les demeures de vie
Et va vivre ton songe en la Cité des Eaux.
L'onde ne chante plus en tes mille fontaines,
O Versailles, Cité des Eaux, Jardin des Rois!
Ta couronne ne porte plus, ô souveraine,
Les clairs lys de cristal qui l'ornaient autrefois!
La nymphe qui parlait par ta bouche s'est tue
Et le temps a terni sous le souffle des jours
Les fluides miroirs où tu t'es jadis vue
Royale et souriante en tes jeunes atours.
Tes bassins endormis à l'ombre des grands arbres
Verdissent en silence au milieu de l'oubli,
Et leur tain qui s'encadre aux bordures de marbre
Ne reconnaîtrait plus ta face d'aujourd'hui.
Qu'importe! ce n'est pas ta splendeur et ta gloire
Que visitent mes pas et que veulent mes yeux;
Et je ne monte pas les marches de l'histoire
Au-devant du Héros qui survit en tes Dieux.
Il suffit que tes eaux égales et sans fête
Reposent dans leur ordre et leur tranquillité,
Sans que demeure rien en leur noble défaite
De ce qui fut jadis un spectacle enchanté.
Que m'importent le jet, la gerbe et la cascade
Et que Neptune à sec ait brisé son trident,
Ni qu'en son bronze aride un farouche Encelade
Se soulève, une feuille morte entre les dents,
Pourvu que faible, basse, et dans l'ombre incertaine,
Du fond d'un vert bosquet qu'elle a pris pour tombeau,
J'entende longuement ta dernière fontaine,
O Versailles, pleurer sur toi, Cité des Eaux!
LA CITÉ DES EAUX
Versailles, Cité des Eaux.
MICHELET.
SALUT A VERSAILLES
Celui dont l'âme est triste et qui porte à l'automne
Son coeur brûlant encor des cendres de l'été,
Est le Prince sans sceptre et le Roi sans couronne
De votre solitude et de votre beauté.
Car ce qu'il cherche en vous, ô jardins de silence,
Sous votre ombrage grave où le bruit de ses pas
Poursuit en vain l'écho qui toujours le devance,
Ce qu'il cherche en votre ombre, ô jardins, ce n'est pas
Le murmure secret de la rumeur illustre,
Dont le siècle a rempli vos bosquets toujours beaux,
Ni quelque vaine gloire accoudée au balustre,
Ni quelque jeune grâce au bord des fraîches eaux;
Il ne demande pas qu'y passe ou qu'y revienne
Le héros immortel ou le vivant fameux
Dont la vie orgueilleuse, éclatante et hautaine
Fut l'astre et le soleil de ces augustes lieux.
Ce qu'il veut, c'est le calme et c'est la solitude,
La perspective avec l'allée et l'escalier,
Et le rond-point, et le parterre, et l'attitude
De l'if pyramidal auprès du buis taillé;
La grandeur taciturne et la paix monotone
De ce mélancolique et suprême séjour;
Et ce parfum de soir et cette odeur d'automne
Qui s'exhalent de l'ombre avec la fin du jour.
O toi que l'aube effraie, ô toi qui crains l'aurore,
Et que ne tentent plus la route et le chemin,
Quitte la ville vaine, arrogante et sonore
Qui parle avec des voix de soleil ou d'airain.
C'est là que l'homme fait sa boue et sa poussière
Pour élever son mur autour de l'horizon;
Mais toi, dont le désir n'apporte plus sa pierre
Au travail en commun qui bâtit la maison,
Laisse ceux dont le bloc charge, sans qu'elle plie,
L'épaule et dont les bras sont propres aux fardeaux,
Se construire sans toi les demeures de vie
Et va vivre ton songe en la Cité des Eaux.
L'onde ne chante plus en tes mille fontaines,
O Versailles, Cité des Eaux, Jardin des Rois!
Ta couronne ne porte plus, ô souveraine,
Les clairs lys de cristal qui l'ornaient autrefois!
La nymphe qui parlait par ta bouche s'est tue
Et le temps a terni sous le souffle des jours
Les fluides miroirs où tu t'es jadis vue
Royale et souriante en tes jeunes atours.
Tes bassins endormis à l'ombre des grands arbres
Verdissent en silence au milieu de l'oubli,
Et leur tain qui s'encadre aux bordures de marbre
Ne reconnaîtrait plus ta face d'aujourd'hui.
Qu'importe! ce n'est pas ta splendeur et ta gloire
Que visitent mes pas et que veulent mes yeux;
Et je ne monte pas les marches de l'histoire
Au-devant du Héros qui survit en tes Dieux.
Il suffit que tes eaux égales et sans fête
Reposent dans leur ordre et leur tranquillité,
Sans que demeure rien en leur noble défaite
De ce qui fut jadis un spectacle enchanté.
Que m'importent le jet, la gerbe et la cascade
Et que Neptune à sec ait brisé son trident,
Ni qu'en son bronze aride un farouche Encelade
Se soulève, une feuille morte entre les dents,
Pourvu que faible, basse, et dans l'ombre incertaine,
Du fond d'un vert bosquet qu'elle a pris pour tombeau,
J'entende longuement ta dernière fontaine,
O Versailles, pleurer sur toi, Cité des Eaux!
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
FOND DE JARDIN
FOND DE JARDIN
Le noir lierre aux douces roses enlacé
Décore le portique et son treillage vert,
Et l'on voit s'entr'ouvrir le pétale de chair
Près du feuillage en coeur qui vers lui s'est glissé;
Une amoureuse odeur de soir et de passé
Se mêle au dur parfum terrestrement amer;
La fleur de sang sourit à la feuille de fer,
Car de leur double poids son orgueil s'est lassé.
Un bassin, à l'écart, où rôde, ombre d'or grave,
Un cyprin, ça et là, qu'une herbe glauque entrave,
S'engourdit, et sa moire à jamais léthargique
Mire un dauphin de saxe arqué sur son piédouche
Et, seule, la plus haute au faîte du portique,
L'image, inverse en l'eau, d'une rose à sa bouche.
Le noir lierre aux douces roses enlacé
Décore le portique et son treillage vert,
Et l'on voit s'entr'ouvrir le pétale de chair
Près du feuillage en coeur qui vers lui s'est glissé;
Une amoureuse odeur de soir et de passé
Se mêle au dur parfum terrestrement amer;
La fleur de sang sourit à la feuille de fer,
Car de leur double poids son orgueil s'est lassé.
Un bassin, à l'écart, où rôde, ombre d'or grave,
Un cyprin, ça et là, qu'une herbe glauque entrave,
S'engourdit, et sa moire à jamais léthargique
Mire un dauphin de saxe arqué sur son piédouche
Et, seule, la plus haute au faîte du portique,
L'image, inverse en l'eau, d'une rose à sa bouche.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
HOMMAGE
HOMMAGE
Décembre a noirci l'if et gelé le bassin,
Le buis silencieux est saupoudré de givre,
L'aurore est d'acier clair et le couchant de cuivre,
Le vent, qui rôde, hurle et mord l'Amour au sein.
La Déesse frissonne et le lierre assassin
Étouffe la statue à la gorge. Un Faune ivre
Voit l'outre se durcir, et son pas qui veut suivre
La Nymphe, sent monter la gaine qui l'étreint.
La fête est morte avec sa musique et sa joie!
L'Hiver fait un vieillard de l'Été qu'il coudoie
Et le parc semble mort qui fut jadis vivant.
Mais, immortelle encor par la gamme et l'arpège,
J'écoute, à travers l'ombre et la mort et le vent,
Une flûte à mi-voix qui chante dans la neige.
Décembre a noirci l'if et gelé le bassin,
Le buis silencieux est saupoudré de givre,
L'aurore est d'acier clair et le couchant de cuivre,
Le vent, qui rôde, hurle et mord l'Amour au sein.
La Déesse frissonne et le lierre assassin
Étouffe la statue à la gorge. Un Faune ivre
Voit l'outre se durcir, et son pas qui veut suivre
La Nymphe, sent monter la gaine qui l'étreint.
La fête est morte avec sa musique et sa joie!
L'Hiver fait un vieillard de l'Été qu'il coudoie
Et le parc semble mort qui fut jadis vivant.
Mais, immortelle encor par la gamme et l'arpège,
J'écoute, à travers l'ombre et la mort et le vent,
Une flûte à mi-voix qui chante dans la neige.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
LA NEIGE
LA NEIGE
La neige astucieuse et le silence adroit
Ont immobilisé au bout de l'avenue
Vulcain jaloux et Mars surpris et Vénus nue.
La Déesse est couchée et l'Amant se tient droit.
Les blancs flocons qui emmaillent le marbre froid
Ont assourdi le guet, le pas et la venue
Et semé des poils blancs dans la barbe chenue
De l'Époux outragé de sa honte qu'il voit;
Et tous deux à jamais pris aux ruses du piège
Dans l'enchevêtrement du filet de la neige
Restent, couple captif autour de qui Vulcain,
Farouche et les bras nus sous le gel et le givre,
A l'enclume de bronze et d'un ciseau d'airain,
Martèle un parc d'argent et forge un ciel de cuivre.
La neige astucieuse et le silence adroit
Ont immobilisé au bout de l'avenue
Vulcain jaloux et Mars surpris et Vénus nue.
La Déesse est couchée et l'Amant se tient droit.
Les blancs flocons qui emmaillent le marbre froid
Ont assourdi le guet, le pas et la venue
Et semé des poils blancs dans la barbe chenue
De l'Époux outragé de sa honte qu'il voit;
Et tous deux à jamais pris aux ruses du piège
Dans l'enchevêtrement du filet de la neige
Restent, couple captif autour de qui Vulcain,
Farouche et les bras nus sous le gel et le givre,
A l'enclume de bronze et d'un ciseau d'airain,
Martèle un parc d'argent et forge un ciel de cuivre.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
LA LOUANGE DES EAUX, DES ARBRES ET DES DIEUX
LA LOUANGE DES EAUX, DES ARBRES ET DES DIEUX
Plus même un cygne errant aux herbes qu'il remue
Dans l'eau silencieuse et déserte aujourd'hui,
De l'ombre de son aile en marquant l'heure aiguë
Ne trouble les bassins où rôde son ennui.
La source souterraine où le flot pur abonde
Confond son frais cristal à leur tiède torpeur,
Et son onde secrète au lieu que vagabonde
Se disperse, s'ajoute et se mêle à la leur;
Plutôt que d'arroser les roses riveraines,
De sourdre en les roseaux et, du soir au matin,
De chanter et de rire aux gorges des fontaines,
Elle entre au lourd sommeil des antiques bassins.
Je sais bien que, parfois, pour un faste suprême,
Le parc silencieux peut ranimer ses eaux
Et d'un fluide, clair et mouvant diadème,
Couronner sa tristesse et sacrer son repos;
Alors s'épanouit, monte, bifurque et fuse
Le jet qui joue au ciel un clair bouquet vivant
Et, bruine, pluie éparse et poussière confuse,
S'irise aux feux du prisme et se disperse au vent.
Ce qui fut neige, éclairs, cristal et pierreries
Retombe et flotte encor sur le bassin troublé
Et bave et rôde autour des bêtes accroupies,
Béantes de l'effort où leur col s'est enflé.
Car l'eau, pour qu'elle darde, étincelle et jaillisse,
A passé par leur gorge en hoquets lumineux,
Lavant le bronze rauque et mouillant le plomb lisse
Où rampe un ventre mou près d'un dos épineux.
Je sais que pour dompter la horde fabuleuse
Qui aboie en silence et qui hurle sans voix
Et jette à leurs pieds nus sa colère écumeuse,
Il est toujours des dieux debout et l'arc aux doigts.
J'en ai vu qui dressaient sous la pluie irisée
Le sceptre, le trident, la massue et la faux
Et, divins moissonneurs de la gerbe brisée,
Cassaient d'un geste dur la tige des jets d'eaux;
D'autres, le pied au socle ou serrés dans la gaîne
Qui porte leur stature ou qui leur monte au flanc,
Et l'un d'eux dont la course éternellement vaine
Précipitait encor son immobile élan.
Aucun n'a plus besoin, pour réduire au silence
Les Dauphins de la vasque et les Dragons du bord,
De lever le trident ou de brandir la lance
Sur le mufle d'airain ou sur la gueule d'or.
Tout s'est tu. Le soleil aux jointures des dalles
Chauffe la mousse droite et, tournant autour d'eux,
Allonge doublement les ombres inégales
Des buis pyramidaux et des ifs anguleux;
Mais toi, las des jardins somnolents et superbes
Où le bronze verdit à l'abri du cyprès,
Laisse l'allée aride et marche dans les herbes
Loin du parc mort taillé au milieu des forêts;
Si ta bouche désire une eau qui désaltère
Et non l'onde croupie aux feuilles des bassins,
Couche-toi sur le ventre et pose contre terre
Ton oreille attentive aux appels souterrains;
Car toute la forêt chante de sources vives
Dont le murmure épars circule au sol vivant,
Et leur sombre fraîcheur, nourricière et furtive,
En elle s'insinue et partout se répand.
Ce sont elles qui font du tissu des racines
Surgir le hêtre droit et le chêne aux durs noeuds,
Et c'est vers leur attrait que se penche et s'incline
Le bouleau jaune et blanc parmi les saules bleus.
Ce sont elles qui font, sur les mousses des sentes,
Errer les mêmes dieux à longs traits enivrés
D'avoir rebu la vie aux eaux adolescentes
Où se sont rajeunis leurs corps régénérés.
Salut, ô vous, amis des sources forestières!
Nul ne vous a sculpté des visages d'airain,
Ni des torses de bronze ou des hanches de pierre;
Aucun marbre immortel ne vous a faits divins.
Le chêne vous ébauche en son tronc énergique.
Vous êtes à la fois partout où la forêt
Pousse des profondeurs de la terre magique
Son aspect surhumain où le vôtre apparaît.
Elle vous a prêté ses formes et ses forces;
Votre souffle est en elle et le sien vous émeut,
Et par vos muscles sourds qui bombent les écorces,
Chaque arbre porte en lui la stature d'un dieu.
Janvier-Mars 1896.
Plus même un cygne errant aux herbes qu'il remue
Dans l'eau silencieuse et déserte aujourd'hui,
De l'ombre de son aile en marquant l'heure aiguë
Ne trouble les bassins où rôde son ennui.
La source souterraine où le flot pur abonde
Confond son frais cristal à leur tiède torpeur,
Et son onde secrète au lieu que vagabonde
Se disperse, s'ajoute et se mêle à la leur;
Plutôt que d'arroser les roses riveraines,
De sourdre en les roseaux et, du soir au matin,
De chanter et de rire aux gorges des fontaines,
Elle entre au lourd sommeil des antiques bassins.
Je sais bien que, parfois, pour un faste suprême,
Le parc silencieux peut ranimer ses eaux
Et d'un fluide, clair et mouvant diadème,
Couronner sa tristesse et sacrer son repos;
Alors s'épanouit, monte, bifurque et fuse
Le jet qui joue au ciel un clair bouquet vivant
Et, bruine, pluie éparse et poussière confuse,
S'irise aux feux du prisme et se disperse au vent.
Ce qui fut neige, éclairs, cristal et pierreries
Retombe et flotte encor sur le bassin troublé
Et bave et rôde autour des bêtes accroupies,
Béantes de l'effort où leur col s'est enflé.
Car l'eau, pour qu'elle darde, étincelle et jaillisse,
A passé par leur gorge en hoquets lumineux,
Lavant le bronze rauque et mouillant le plomb lisse
Où rampe un ventre mou près d'un dos épineux.
Je sais que pour dompter la horde fabuleuse
Qui aboie en silence et qui hurle sans voix
Et jette à leurs pieds nus sa colère écumeuse,
Il est toujours des dieux debout et l'arc aux doigts.
J'en ai vu qui dressaient sous la pluie irisée
Le sceptre, le trident, la massue et la faux
Et, divins moissonneurs de la gerbe brisée,
Cassaient d'un geste dur la tige des jets d'eaux;
D'autres, le pied au socle ou serrés dans la gaîne
Qui porte leur stature ou qui leur monte au flanc,
Et l'un d'eux dont la course éternellement vaine
Précipitait encor son immobile élan.
Aucun n'a plus besoin, pour réduire au silence
Les Dauphins de la vasque et les Dragons du bord,
De lever le trident ou de brandir la lance
Sur le mufle d'airain ou sur la gueule d'or.
Tout s'est tu. Le soleil aux jointures des dalles
Chauffe la mousse droite et, tournant autour d'eux,
Allonge doublement les ombres inégales
Des buis pyramidaux et des ifs anguleux;
Mais toi, las des jardins somnolents et superbes
Où le bronze verdit à l'abri du cyprès,
Laisse l'allée aride et marche dans les herbes
Loin du parc mort taillé au milieu des forêts;
Si ta bouche désire une eau qui désaltère
Et non l'onde croupie aux feuilles des bassins,
Couche-toi sur le ventre et pose contre terre
Ton oreille attentive aux appels souterrains;
Car toute la forêt chante de sources vives
Dont le murmure épars circule au sol vivant,
Et leur sombre fraîcheur, nourricière et furtive,
En elle s'insinue et partout se répand.
Ce sont elles qui font du tissu des racines
Surgir le hêtre droit et le chêne aux durs noeuds,
Et c'est vers leur attrait que se penche et s'incline
Le bouleau jaune et blanc parmi les saules bleus.
Ce sont elles qui font, sur les mousses des sentes,
Errer les mêmes dieux à longs traits enivrés
D'avoir rebu la vie aux eaux adolescentes
Où se sont rajeunis leurs corps régénérés.
Salut, ô vous, amis des sources forestières!
Nul ne vous a sculpté des visages d'airain,
Ni des torses de bronze ou des hanches de pierre;
Aucun marbre immortel ne vous a faits divins.
Le chêne vous ébauche en son tronc énergique.
Vous êtes à la fois partout où la forêt
Pousse des profondeurs de la terre magique
Son aspect surhumain où le vôtre apparaît.
Elle vous a prêté ses formes et ses forces;
Votre souffle est en elle et le sien vous émeut,
Et par vos muscles sourds qui bombent les écorces,
Chaque arbre porte en lui la stature d'un dieu.
Janvier-Mars 1896.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
L'HEURE
L'HEURE
L'invariable buis et le cyprès constant
Bordent l'allée égale et le parterre où songe
Dans le bassin carré l'eau qui reflète et ronge
Un Triton fatigué de sa conque qu'il tend;
En sa gaîne de pierre aussi l'hermès attend
Que tourne autour de lui son socle qui s'allonge;
Un Pégase cabré, le pied pris dans sa longe,
Lève un sabot de bronze et gonfle un crin flottant.
L'heure est longue pour ceux qui, figés en statues,
Vol brisé, saut captif, dont les voix se sont tues,
Demeurent au jardin vaste et monumental;
Et le Temps qui s'en va, hibou noir ou colombe,
Dessine au vieux cadran de pierre et de métal
Une aile d'ombre oblique où fuit le jour qui tombe.
L'invariable buis et le cyprès constant
Bordent l'allée égale et le parterre où songe
Dans le bassin carré l'eau qui reflète et ronge
Un Triton fatigué de sa conque qu'il tend;
En sa gaîne de pierre aussi l'hermès attend
Que tourne autour de lui son socle qui s'allonge;
Un Pégase cabré, le pied pris dans sa longe,
Lève un sabot de bronze et gonfle un crin flottant.
L'heure est longue pour ceux qui, figés en statues,
Vol brisé, saut captif, dont les voix se sont tues,
Demeurent au jardin vaste et monumental;
Et le Temps qui s'en va, hibou noir ou colombe,
Dessine au vieux cadran de pierre et de métal
Une aile d'ombre oblique où fuit le jour qui tombe.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
LE SANG DE MARSYAS
LE SANG DE MARSYAS
A la Mémoire de Stéphane Mallarmé.
DÉDICACE
1842-1898.
Ceux-ci, las dès l'aurore et que tenta la vie,
S'arrêtent pour jamais sous l'arbre qui leur tend
Sa fleur délicieuse et son fruit éclatant
Et cueillent leur destin à la branche mûrie.
Ceux-là, dans l'onyx dur et que la veine strie,
Après s'être penchés sur l'eau la reflétant
Dans la pierre vivante et qui déjà l'attend
Gravent le profil vu de leur propre effigie.
D'autres n'ont rien cueilli et ricanent dans l'ombre
En arrachant la ronce aux pentes du décombre,
Et la haine est le fruit de leur obscurité.
Mais vous, Maître, certain que toute gloire est nue,
Vous marchiez dans la vie et dans la vérité
Vers l'invisible étoile en vous-même apparue.
LE SANG DE MARSYAS
Les arbres pleins de vent ne sont pas oublieux.
VICTOR HUGO. Le Satyre.
Chaque arbre a dans le vent sa voix, humble ou hautaine,
Comme l'eau différente est diverse aux fontaines.
Écoute-les. Chaque arbre a sa voix dans le vent.
Le tronc muet confie au feuillage vivant
Le secret souterrain de ses sourdes racines.
La forêt tout entière est une voix divine;
Écoute-la. Le chêne gronde et le bouleau
Chuchote, puis se tait quand le hêtre, plus haut,
Murmure; l'orme gémit; le frisson du saule,
Incertain et léger, est presque une parole,
Et, fort d'un âpre bruit et d'un souffle marin,
Mystérieusement se lamente le pin
De qui l'écorce à vif et le tronc écorché
Semblent rouges du sang d'un satyre attaché......
Marsyas!
Je l'ai connu
Marsyas
Dont la flûte hardie a confondu la lyre;
Je l'ai vu nu,
Lié par les pieds et les mains
Au tronc du pin;
Je puis vous dire
Ce qui advint
Du Dieu jaloux et du Satyre,
Car je l'ai vu,
Sanglant et nu,
Lié au pin.
Il était doux, , secret et taciturne;
Petit et robuste sur ses jambes,
L'oreille longue, pointue et grande;
La barbe brune
Avec des poils d'argent;
Ses dents
Étaient blanches, égales, et son rire
Rare et bref lui montait aux yeux
En une clarté triste et soudaine,
Silencieux...
Il marchait d'un pas sec, brusque et dansant
Comme quelqu'un qui porte en soi-même
Quelque joie éclatante et pourtant taciturne,
Car s'il souriait rarement il parlait peu
Et toujours en caressant sa barbe brune
A poils d'argent.
Aux jours d'automne
Où les satyres fêtent le vin
Et boivent à l'outre en chantant le fruit divin,
Où gronde et tonne
Le tambourin;
Aux jours d'automne,
Où ils dansent d'un pied sur l'autre
Autour du pressoir rouge et de l'amphore haute,
Le pampre aux cornes,
La torche aux mains;
Aux jours d'automne,
Où ils sont ivres,
On voyait Marsyas en leur troupe les suivre
A petits pas
Légers, et ne se mêlant pas
A leur orgie.
Le vin ne coulait point sur sa barbe rougie
A pourpre claire.
Il cueillait une grappe et, grave, assis à terre,
La mangeait délicatement, grain à grain,
Et dans sa main
Jusqu'au bout, une à une, il crachait les peaux vides.
Il vivait à l'écart auprès d'un bois de pins.
Sa grotte était creuse et basse,
Ouverte au flanc d'un rocher, près d'une source,
On y voyait un lit de mousse,
Une coupe
D'argile,
Une tasse
De hêtre,
Un escabeau
Et dans un coin une gerbe de roseaux.
Dehors, à l'abri du vent,
Il avait construit, étant habile
Dans l'art de tresser la paille
Et gourmand
De miel nouveau, des ruches pleines dont l'essaim
Mêlait un bruit d'abeille au murmure des pins.
C'est ainsi que vivait Marsyas le satyre.
Le jour,
Il s'en allait à travers champs partout où sourd
L'eau mystérieuse et souterraine;
Il connaissait toutes les fontaines:
Celles qui filtrent du rocher goutte à goutte,
Toutes,
Celles qui naissent du sable ou jaillissent dans l'herbe,
Celles qui perlent
Ou qui bouillonnent,
Brusques ou faibles,
Celles d'où sort un fleuve et d'où part un ruisseau,
Celles des bois et de la plaine,
Sources rustiques ou sacrées,
Il connaissait toutes les eaux
De la contrée.
Marsyas était habile au métier
Roseaux!
De vous tailler:
A chaque bout de la tige, il coupait juste
Au bon endroit
Ce qu'il fallait pour qu'elle devînt,
Syrinx ou flûte;
Il y perçait des trous pour y poser les doigts
Et un autre plus grand
Par où l'on souffle
Avec la bouche
L'humble haleine qui, tout à coup, au bois divin
Chante mystérieuse, inattendue et pure,
S'enfle, rit, se lamente ou s'irrite ou murmure.
Marsyas était habile et patient.
Il travaillait parfois à l'aube ou sous la lune
En caressant
Sa barbe brune
A poils d'argent.
Il savait mille choses sur les façons
De tailler les roseaux courts ou longs
Et sur les sons
Et comment il fallait unir les lèvres et faire
Jaillir la note aiguë et claire
Ou grave, ou douce, ou brève, ou basse,
Et ménager son souffle afin qu'il ne se lasse,
Et comment il faut tenir son corps,
Tenir ses bras,
Le coude en bas,
Que sais-je encor?...
Il n'aimait pas chanter quand on pouvait l'entendre.
De sa grotte jamais on ne le vit descendre,
Et, comme le faisaient les satyres souvent,
Défier les bergers à des luttes de chant.
Mais le soir, quand partout les hommes et les bêtes
Dormaient, il se glissait sans bruit dans l'herbe fraîche
Et, seul, il s'en allait, parfois, jusqu'au matin,
Sur la pente du mont s'asseoir parmi les pins,
En face de la nuit, du silence et de l'ombre.
La chanson de sa flûte emplissait le bois sombre.
O merveille, on eût dit que chaque arbre eût chanté!
Et c'est ainsi, enfant, que je l'ai écouté....
C'était vaste, charmant, mystérieux et beau
Cette forêt vivante en ce petit roseau,
Avec son âme, et ses feuilles, et ses fontaines,
Avec le ciel, avec la terre, avec le vent...
Mais ceux qui l'avaient entendu
Raillaient disant:
«Ce Marsyas est un peu fou
Son chant rit puis pleure tout à coup,
Se tait, reprend,
Sans qu'on sache pourquoi
Et cesse et pleure encor.»
«--Il ne sait pas jouer selon les lois
Et fait bien de chanter pour les arbres des bois.»
Ainsi parlait Agès, le faune,
Chanteur fameux et rival non sans envie.
Il était vieux et n'avait qu'une corne.
Il n'aimait pas
Marsyas.
Ce fut alors
Qu'Apollon, traversant le pays d'Arcadie,
S'arrêta quelque temps chez les gens de Cellène.
La moisson faite, la vendange était prochaine,
Et, comme les grappes étaient lourdes
Et que les granges étaient pleines
Et qu'on était heureux,
On accueillit gaîment le Dieu
Porteur de lyre.
Il était beau à voir debout dans le soleil,
Touchant sa lyre d'or d'un grand geste vermeil,
, hautain, solennel et content,
Auguste; il s'essuyait le front de temps en temps.
Les cordes de métal vibraient, fortes et douces,
Et l'écaille ronflait et sonnait sous son pouce,
Et l'hymne s'élevait sur un mode sacré,
En cadence, dans l'air pacifique et pourpré,
Égale, harmonieuse et large; et, comme en feu,
La lyre d'or chantait sous le geste du Dieu.
Nous étions tous autour de lui,
Pasteurs, pâtres, bergers, pêcheurs et bûcherons,
Assis en rond
Autour de lui;
Et moi seul, qui suis vieux, vis encore aujourd'hui
De ceux qui, jadis, entendirent
La grande Lyre.
Et les faunes, et les sylvains, et les satyres
Des bois, de la plaine et du mont
Étaient venus au-devant d'Apollon.
Marsyas seul était resté
Là-haut,
Dans sa grotte,
Couché,
A écouter les pins, les abeilles, le vent...
O Marsyas! c'est là qu'ils te vinrent chercher.
La lyre s'étant tue, ils voulurent aussi
Faire entendre au Chanteur notre chanson d'ici.
Chacun sur sa syrinx, sa flûte ou son pipeau
A leurs diverses voix fit retentir l'écho.
Chacun avait son tour et faisait de son mieux,
Et ces airs arrivaient à l'oreille du Dieu,
Rauques, gauches, naïfs, maladroits ou rustiques.
Deux des joueurs parfois se donnaient la réplique,
Et leurs chants alternés, tour à tour, et rivaux
Se succédaient boiteux parfois et souvent faux.
Apollon écoutait ces gens avec bonté,
Silencieux, toujours debout dans la clarté,
Attentif aux bergers ainsi qu'aux aegypans,
Sans fatigue, impassible et toujours indulgent
Jusqu'à ce que parût enfin Agès, le faune.
Il était vieux, ridé, poussif et presque aphone.
Il avait bien été, dit-on, jadis adroit
A la flûte, mais l'âge avait lassé ses doigts,
Et, quand il y souffla d'une bouche édentée,
Un son rauque sortit de sa flûte vantée,
Tellement suraigu et strident qu'Apollon,
A cette abeille ainsi transformée en frelon,
En feignant d'arranger une corde à sa lyre,
Et malgré lui, ne put s'empêcher de sourire
D'Agès qui achevait le rythme commencé.
Le vieil Agès vit ce sourire et fut vexé.
«Puisqu'il sourit de moi, il rirait sûrement
De Marsyas», se dit Agès, et doucement
Au Dieu qui l'écoutait il parla du satyre...
Comme le goût du miel fait oublier la cire
On oublierait que le Chanteur avait souri
D'Agès, quand il rirait du pauvre Marsyas.
Il vint.
On s'écartait sur son chemin.
Il marchait vite
De son petit pas sec et prompt,
Comme quelqu'un qui veut en avoir fini vite.
Il avait apporté sa flûte
La plus petite
Et la plus juste,
Faite d'un seul roseau
Egal et rond,
Puis il s'assit en face d'Apollon,
Modeste et les yeux clignés
Devant le Dieu magnifique et vermeil
Avec sa lyre d'or debout dans le soleil.
Marsyas chanta.
Ce fut d'abord un chant léger
Comme la brise éparse aux feuilles d'un verger,
Comme l'eau sur le sable et l'onde sous les herbes.
Puis on eût dit l'ondée et la pluie et l'averse,
Puis on eût dit le vent, puis on eût dit la mer.
Puis il se tut, et sa flûte reprit plus clair
Et nous entendions vibrer à nos oreilles
Le murmure des pins et le bruit des abeilles,
Et, pendant qu'il chantait vers le soleil tourné,
L'astre plus bas avait peu à peu décliné;
Maintenant Apollon était debout dans l'ombre,
Et dédoré, et d'éclatant devenu sombre,
Il semblait être entré tout à coup dans la nuit,
Tandis que Marsyas à son tour, devant lui,
Caressé maintenant d'un suprême rayon
Qui lui pourprait la face et brûlait sa toison,
Marsyas ébloui et qui chantait encor
A ses lèvres semblait unir un roseau d'or.
Tous écoutaient chanter Marsyas le satyre;
Et tous, la bouche ouverte, ils attendaient le rire
Du Dieu et regardaient le visage divin
Qui semblait à présent une face d'airain.
Quand, ses yeux clairs fixés sur lui, Marsyas le fou
Brisa sa flûte en deux morceaux sur son genou.
Alors ce fut, immense, âpre et continuée,
Une clameur brusque de joie, une huée
De plaisir trépignant et battant des talons.
Puis tout, soudainement, se tut, car Apollon,
Farouche et seul, parmi les rires et les cris,
Silencieux, ne riait pas, ayant compris.
MARSYAS PARLE:
Tant pis! Si j'ai vaincu le Dieu. Il l'a voulu!
Salut, terre où longtemps Marsyas a vécu,
Et vous, bois paternels, et vous, ô jeunes eaux,
Près de qui je cueillais la tige du roseau
Où mon haleine tremble, pleure, s'enfle ou court,
Forte ou paisible, aiguë ou rauque, tour à tour,
Telle un sanglot de source ou le bruit du feuillage!
Vous ne reverrez plus se pencher mon visage
Sur votre onde limpide ou se lever mes jeux
Vers la cime au ciel pur de l'arbre harmonieux:
Car le Dieu redoutable a puni le Satyre.
Ma peau velue et douce, au fer qui la déchire,
Va saigner; Marsyas mourra, mais c'est en vain
Que l'Envieux céleste et le Rival divin
Essaiera sur ma flûte inutile à ses doigts
De retrouver mon souffle et d'apprendre ma voix;
Et maintenant liez mon corps et, nu, qu'il sorte
De sa peau écorchée et vide, car, qu'importe
Que Marsyas soit mort, puisqu'il sera vivant
Si le pin rouge et vert chante encor dans le vent!
A la Mémoire de Stéphane Mallarmé.
DÉDICACE
1842-1898.
Ceux-ci, las dès l'aurore et que tenta la vie,
S'arrêtent pour jamais sous l'arbre qui leur tend
Sa fleur délicieuse et son fruit éclatant
Et cueillent leur destin à la branche mûrie.
Ceux-là, dans l'onyx dur et que la veine strie,
Après s'être penchés sur l'eau la reflétant
Dans la pierre vivante et qui déjà l'attend
Gravent le profil vu de leur propre effigie.
D'autres n'ont rien cueilli et ricanent dans l'ombre
En arrachant la ronce aux pentes du décombre,
Et la haine est le fruit de leur obscurité.
Mais vous, Maître, certain que toute gloire est nue,
Vous marchiez dans la vie et dans la vérité
Vers l'invisible étoile en vous-même apparue.
LE SANG DE MARSYAS
Les arbres pleins de vent ne sont pas oublieux.
VICTOR HUGO. Le Satyre.
Chaque arbre a dans le vent sa voix, humble ou hautaine,
Comme l'eau différente est diverse aux fontaines.
Écoute-les. Chaque arbre a sa voix dans le vent.
Le tronc muet confie au feuillage vivant
Le secret souterrain de ses sourdes racines.
La forêt tout entière est une voix divine;
Écoute-la. Le chêne gronde et le bouleau
Chuchote, puis se tait quand le hêtre, plus haut,
Murmure; l'orme gémit; le frisson du saule,
Incertain et léger, est presque une parole,
Et, fort d'un âpre bruit et d'un souffle marin,
Mystérieusement se lamente le pin
De qui l'écorce à vif et le tronc écorché
Semblent rouges du sang d'un satyre attaché......
Marsyas!
Je l'ai connu
Marsyas
Dont la flûte hardie a confondu la lyre;
Je l'ai vu nu,
Lié par les pieds et les mains
Au tronc du pin;
Je puis vous dire
Ce qui advint
Du Dieu jaloux et du Satyre,
Car je l'ai vu,
Sanglant et nu,
Lié au pin.
Il était doux, , secret et taciturne;
Petit et robuste sur ses jambes,
L'oreille longue, pointue et grande;
La barbe brune
Avec des poils d'argent;
Ses dents
Étaient blanches, égales, et son rire
Rare et bref lui montait aux yeux
En une clarté triste et soudaine,
Silencieux...
Il marchait d'un pas sec, brusque et dansant
Comme quelqu'un qui porte en soi-même
Quelque joie éclatante et pourtant taciturne,
Car s'il souriait rarement il parlait peu
Et toujours en caressant sa barbe brune
A poils d'argent.
Aux jours d'automne
Où les satyres fêtent le vin
Et boivent à l'outre en chantant le fruit divin,
Où gronde et tonne
Le tambourin;
Aux jours d'automne,
Où ils dansent d'un pied sur l'autre
Autour du pressoir rouge et de l'amphore haute,
Le pampre aux cornes,
La torche aux mains;
Aux jours d'automne,
Où ils sont ivres,
On voyait Marsyas en leur troupe les suivre
A petits pas
Légers, et ne se mêlant pas
A leur orgie.
Le vin ne coulait point sur sa barbe rougie
A pourpre claire.
Il cueillait une grappe et, grave, assis à terre,
La mangeait délicatement, grain à grain,
Et dans sa main
Jusqu'au bout, une à une, il crachait les peaux vides.
Il vivait à l'écart auprès d'un bois de pins.
Sa grotte était creuse et basse,
Ouverte au flanc d'un rocher, près d'une source,
On y voyait un lit de mousse,
Une coupe
D'argile,
Une tasse
De hêtre,
Un escabeau
Et dans un coin une gerbe de roseaux.
Dehors, à l'abri du vent,
Il avait construit, étant habile
Dans l'art de tresser la paille
Et gourmand
De miel nouveau, des ruches pleines dont l'essaim
Mêlait un bruit d'abeille au murmure des pins.
C'est ainsi que vivait Marsyas le satyre.
Le jour,
Il s'en allait à travers champs partout où sourd
L'eau mystérieuse et souterraine;
Il connaissait toutes les fontaines:
Celles qui filtrent du rocher goutte à goutte,
Toutes,
Celles qui naissent du sable ou jaillissent dans l'herbe,
Celles qui perlent
Ou qui bouillonnent,
Brusques ou faibles,
Celles d'où sort un fleuve et d'où part un ruisseau,
Celles des bois et de la plaine,
Sources rustiques ou sacrées,
Il connaissait toutes les eaux
De la contrée.
Marsyas était habile au métier
Roseaux!
De vous tailler:
A chaque bout de la tige, il coupait juste
Au bon endroit
Ce qu'il fallait pour qu'elle devînt,
Syrinx ou flûte;
Il y perçait des trous pour y poser les doigts
Et un autre plus grand
Par où l'on souffle
Avec la bouche
L'humble haleine qui, tout à coup, au bois divin
Chante mystérieuse, inattendue et pure,
S'enfle, rit, se lamente ou s'irrite ou murmure.
Marsyas était habile et patient.
Il travaillait parfois à l'aube ou sous la lune
En caressant
Sa barbe brune
A poils d'argent.
Il savait mille choses sur les façons
De tailler les roseaux courts ou longs
Et sur les sons
Et comment il fallait unir les lèvres et faire
Jaillir la note aiguë et claire
Ou grave, ou douce, ou brève, ou basse,
Et ménager son souffle afin qu'il ne se lasse,
Et comment il faut tenir son corps,
Tenir ses bras,
Le coude en bas,
Que sais-je encor?...
Il n'aimait pas chanter quand on pouvait l'entendre.
De sa grotte jamais on ne le vit descendre,
Et, comme le faisaient les satyres souvent,
Défier les bergers à des luttes de chant.
Mais le soir, quand partout les hommes et les bêtes
Dormaient, il se glissait sans bruit dans l'herbe fraîche
Et, seul, il s'en allait, parfois, jusqu'au matin,
Sur la pente du mont s'asseoir parmi les pins,
En face de la nuit, du silence et de l'ombre.
La chanson de sa flûte emplissait le bois sombre.
O merveille, on eût dit que chaque arbre eût chanté!
Et c'est ainsi, enfant, que je l'ai écouté....
C'était vaste, charmant, mystérieux et beau
Cette forêt vivante en ce petit roseau,
Avec son âme, et ses feuilles, et ses fontaines,
Avec le ciel, avec la terre, avec le vent...
Mais ceux qui l'avaient entendu
Raillaient disant:
«Ce Marsyas est un peu fou
Son chant rit puis pleure tout à coup,
Se tait, reprend,
Sans qu'on sache pourquoi
Et cesse et pleure encor.»
«--Il ne sait pas jouer selon les lois
Et fait bien de chanter pour les arbres des bois.»
Ainsi parlait Agès, le faune,
Chanteur fameux et rival non sans envie.
Il était vieux et n'avait qu'une corne.
Il n'aimait pas
Marsyas.
Ce fut alors
Qu'Apollon, traversant le pays d'Arcadie,
S'arrêta quelque temps chez les gens de Cellène.
La moisson faite, la vendange était prochaine,
Et, comme les grappes étaient lourdes
Et que les granges étaient pleines
Et qu'on était heureux,
On accueillit gaîment le Dieu
Porteur de lyre.
Il était beau à voir debout dans le soleil,
Touchant sa lyre d'or d'un grand geste vermeil,
, hautain, solennel et content,
Auguste; il s'essuyait le front de temps en temps.
Les cordes de métal vibraient, fortes et douces,
Et l'écaille ronflait et sonnait sous son pouce,
Et l'hymne s'élevait sur un mode sacré,
En cadence, dans l'air pacifique et pourpré,
Égale, harmonieuse et large; et, comme en feu,
La lyre d'or chantait sous le geste du Dieu.
Nous étions tous autour de lui,
Pasteurs, pâtres, bergers, pêcheurs et bûcherons,
Assis en rond
Autour de lui;
Et moi seul, qui suis vieux, vis encore aujourd'hui
De ceux qui, jadis, entendirent
La grande Lyre.
Et les faunes, et les sylvains, et les satyres
Des bois, de la plaine et du mont
Étaient venus au-devant d'Apollon.
Marsyas seul était resté
Là-haut,
Dans sa grotte,
Couché,
A écouter les pins, les abeilles, le vent...
O Marsyas! c'est là qu'ils te vinrent chercher.
La lyre s'étant tue, ils voulurent aussi
Faire entendre au Chanteur notre chanson d'ici.
Chacun sur sa syrinx, sa flûte ou son pipeau
A leurs diverses voix fit retentir l'écho.
Chacun avait son tour et faisait de son mieux,
Et ces airs arrivaient à l'oreille du Dieu,
Rauques, gauches, naïfs, maladroits ou rustiques.
Deux des joueurs parfois se donnaient la réplique,
Et leurs chants alternés, tour à tour, et rivaux
Se succédaient boiteux parfois et souvent faux.
Apollon écoutait ces gens avec bonté,
Silencieux, toujours debout dans la clarté,
Attentif aux bergers ainsi qu'aux aegypans,
Sans fatigue, impassible et toujours indulgent
Jusqu'à ce que parût enfin Agès, le faune.
Il était vieux, ridé, poussif et presque aphone.
Il avait bien été, dit-on, jadis adroit
A la flûte, mais l'âge avait lassé ses doigts,
Et, quand il y souffla d'une bouche édentée,
Un son rauque sortit de sa flûte vantée,
Tellement suraigu et strident qu'Apollon,
A cette abeille ainsi transformée en frelon,
En feignant d'arranger une corde à sa lyre,
Et malgré lui, ne put s'empêcher de sourire
D'Agès qui achevait le rythme commencé.
Le vieil Agès vit ce sourire et fut vexé.
«Puisqu'il sourit de moi, il rirait sûrement
De Marsyas», se dit Agès, et doucement
Au Dieu qui l'écoutait il parla du satyre...
Comme le goût du miel fait oublier la cire
On oublierait que le Chanteur avait souri
D'Agès, quand il rirait du pauvre Marsyas.
Il vint.
On s'écartait sur son chemin.
Il marchait vite
De son petit pas sec et prompt,
Comme quelqu'un qui veut en avoir fini vite.
Il avait apporté sa flûte
La plus petite
Et la plus juste,
Faite d'un seul roseau
Egal et rond,
Puis il s'assit en face d'Apollon,
Modeste et les yeux clignés
Devant le Dieu magnifique et vermeil
Avec sa lyre d'or debout dans le soleil.
Marsyas chanta.
Ce fut d'abord un chant léger
Comme la brise éparse aux feuilles d'un verger,
Comme l'eau sur le sable et l'onde sous les herbes.
Puis on eût dit l'ondée et la pluie et l'averse,
Puis on eût dit le vent, puis on eût dit la mer.
Puis il se tut, et sa flûte reprit plus clair
Et nous entendions vibrer à nos oreilles
Le murmure des pins et le bruit des abeilles,
Et, pendant qu'il chantait vers le soleil tourné,
L'astre plus bas avait peu à peu décliné;
Maintenant Apollon était debout dans l'ombre,
Et dédoré, et d'éclatant devenu sombre,
Il semblait être entré tout à coup dans la nuit,
Tandis que Marsyas à son tour, devant lui,
Caressé maintenant d'un suprême rayon
Qui lui pourprait la face et brûlait sa toison,
Marsyas ébloui et qui chantait encor
A ses lèvres semblait unir un roseau d'or.
Tous écoutaient chanter Marsyas le satyre;
Et tous, la bouche ouverte, ils attendaient le rire
Du Dieu et regardaient le visage divin
Qui semblait à présent une face d'airain.
Quand, ses yeux clairs fixés sur lui, Marsyas le fou
Brisa sa flûte en deux morceaux sur son genou.
Alors ce fut, immense, âpre et continuée,
Une clameur brusque de joie, une huée
De plaisir trépignant et battant des talons.
Puis tout, soudainement, se tut, car Apollon,
Farouche et seul, parmi les rires et les cris,
Silencieux, ne riait pas, ayant compris.
MARSYAS PARLE:
Tant pis! Si j'ai vaincu le Dieu. Il l'a voulu!
Salut, terre où longtemps Marsyas a vécu,
Et vous, bois paternels, et vous, ô jeunes eaux,
Près de qui je cueillais la tige du roseau
Où mon haleine tremble, pleure, s'enfle ou court,
Forte ou paisible, aiguë ou rauque, tour à tour,
Telle un sanglot de source ou le bruit du feuillage!
Vous ne reverrez plus se pencher mon visage
Sur votre onde limpide ou se lever mes jeux
Vers la cime au ciel pur de l'arbre harmonieux:
Car le Dieu redoutable a puni le Satyre.
Ma peau velue et douce, au fer qui la déchire,
Va saigner; Marsyas mourra, mais c'est en vain
Que l'Envieux céleste et le Rival divin
Essaiera sur ma flûte inutile à ses doigts
De retrouver mon souffle et d'apprendre ma voix;
Et maintenant liez mon corps et, nu, qu'il sorte
De sa peau écorchée et vide, car, qu'importe
Que Marsyas soit mort, puisqu'il sera vivant
Si le pin rouge et vert chante encor dans le vent!
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
QUATRE POÈMES D'ITALIE
QUATRE POÈMES D'ITALIE
URBS
Sois nombreux par le Verbe et fort par la Parole,
Actif comme la ruche et comme la cité;
Imite tour à tour avec fécondité
La foule qui demeure et l'essaim qui s'envole.
Travaille, croîs, grandis! que ta hauteur t'isole,
Et dresse dans le ciel sur le monde dompté
Ta rumeur obéie et ton bruit écouté;
Vis. Entasse la pierre et creuse l'alvéole.
Ce soir, Rome debout chante dans ta pensée
Le chant d'or et d'airain de sa gloire passée,
Et la Louve dans l'ombre allaite les Jumeaux.
N'as-tu pas bu comme eux aux sources de la vie
Le désir d'être seul qui les rendit rivaux
Jusques au sang versé sur la terre rougie?
URBS
Sois nombreux par le Verbe et fort par la Parole,
Actif comme la ruche et comme la cité;
Imite tour à tour avec fécondité
La foule qui demeure et l'essaim qui s'envole.
Travaille, croîs, grandis! que ta hauteur t'isole,
Et dresse dans le ciel sur le monde dompté
Ta rumeur obéie et ton bruit écouté;
Vis. Entasse la pierre et creuse l'alvéole.
Ce soir, Rome debout chante dans ta pensée
Le chant d'or et d'airain de sa gloire passée,
Et la Louve dans l'ombre allaite les Jumeaux.
N'as-tu pas bu comme eux aux sources de la vie
Le désir d'être seul qui les rendit rivaux
Jusques au sang versé sur la terre rougie?
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
QUATRE POÈMES D'ITALIE
QUATRE POÈMES D'ITALIE
VÉRONE
O Vérone! cité de vengeance et d'amour,
Ton Adige verdi coule une onde fielleuse
Sous ton pont empourpré, dont l'arche qui se creuse
Fait l'eau de bile amère et de sang tour à tour!
Le dôme, le créneau, la muraille, la tour,
Le cyprès dur jailli de la fente argileuse,
Et tes tombeaux guerriers et ta tombe amoureuse
Te parent orgueilleusement d'un noble atour.
C'est en vain que plus tard ta Soeur adriatique,
Dans la rouge paroi de ton palais de brique,
Incrusta son lion de pierre comme un sceau;
Son grondement ailé s'est tu dans l'air sonore
Où roucoule toujours et se lamente encore
La colombe plaintive et chère à Roméo.
VÉRONE
O Vérone! cité de vengeance et d'amour,
Ton Adige verdi coule une onde fielleuse
Sous ton pont empourpré, dont l'arche qui se creuse
Fait l'eau de bile amère et de sang tour à tour!
Le dôme, le créneau, la muraille, la tour,
Le cyprès dur jailli de la fente argileuse,
Et tes tombeaux guerriers et ta tombe amoureuse
Te parent orgueilleusement d'un noble atour.
C'est en vain que plus tard ta Soeur adriatique,
Dans la rouge paroi de ton palais de brique,
Incrusta son lion de pierre comme un sceau;
Son grondement ailé s'est tu dans l'air sonore
Où roucoule toujours et se lamente encore
La colombe plaintive et chère à Roméo.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
QUATRE POÈMES D'ITALIE
QUATRE POÈMES D'ITALIE
LES SCALIGER
Ils dorment dans l'armure et couchés sur le dos,
Leurs mains jointes, pourtant, ont l'air prêtes encore
A l'épée, et leurs yeux que l'ombre eut peine à clore
Goûtent sournoisement un sommeil sans repos.
Et celui-là, debout, équestre, tout en haut
Du pinacle ouvragé que son bronze décore,
Semble guetter au loin quelque tragique aurore
Que l'Adige au pont rouge annonce dans ses eaux.
La vie a si longtemps, furieuse et farouche,
Menacé par leur geste et crié par leur bouche
Que l'écho vibre encor du nom des Scaliger;
Et, pour que de la mort ils ne reviennent plus
Fouler tes dalles, ô Vérone, il a fallu
Entourer leurs tombeaux d'une grille de fer.
LES SCALIGER
Ils dorment dans l'armure et couchés sur le dos,
Leurs mains jointes, pourtant, ont l'air prêtes encore
A l'épée, et leurs yeux que l'ombre eut peine à clore
Goûtent sournoisement un sommeil sans repos.
Et celui-là, debout, équestre, tout en haut
Du pinacle ouvragé que son bronze décore,
Semble guetter au loin quelque tragique aurore
Que l'Adige au pont rouge annonce dans ses eaux.
La vie a si longtemps, furieuse et farouche,
Menacé par leur geste et crié par leur bouche
Que l'écho vibre encor du nom des Scaliger;
Et, pour que de la mort ils ne reviennent plus
Fouler tes dalles, ô Vérone, il a fallu
Entourer leurs tombeaux d'une grille de fer.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
QUATRE POÈMES D'ITALIE
QUATRE POÈMES D'ITALIE
PROMENADE
Sur l'eau verte, bleue ou grise,
Des canaux et du canal,
Nous avons couru Venise
De Saint-Marc à l'Arsenal.
Au vent vif de la lagune
Qui l'oriente à son gré
J'ai vu tourner ta Fortune,
O Dogana di Mare!
Souffle de l'Adriatique,
Brise molle ou sirocco,
Tant pis, si son doigt m'indique
La Cà d'Or ou San Rocco!
La gondole nous balance
Sous le felze, et, de sa main,
Le fer coupe le silence
Qui dormait dans l'air marin.
Le soleil chauffe les dalles
Sur le quai des Esclavons;
Tes détours et tes dédales,
Venise, nous les savons!
L'eau luit; le marbre s'ébrèche;
Les rames se font écho
Quand on passe à l'ombre fraîche
Du Palais Rezzonico.
PROMENADE
Sur l'eau verte, bleue ou grise,
Des canaux et du canal,
Nous avons couru Venise
De Saint-Marc à l'Arsenal.
Au vent vif de la lagune
Qui l'oriente à son gré
J'ai vu tourner ta Fortune,
O Dogana di Mare!
Souffle de l'Adriatique,
Brise molle ou sirocco,
Tant pis, si son doigt m'indique
La Cà d'Or ou San Rocco!
La gondole nous balance
Sous le felze, et, de sa main,
Le fer coupe le silence
Qui dormait dans l'air marin.
Le soleil chauffe les dalles
Sur le quai des Esclavons;
Tes détours et tes dédales,
Venise, nous les savons!
L'eau luit; le marbre s'ébrèche;
Les rames se font écho
Quand on passe à l'ombre fraîche
Du Palais Rezzonico.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
FUNÉRAILLES
FUNÉRAILLES
Oh! quel farouche bruit font dans le crépuscule
Les chênes qu'on abat pour le bûcher d'Hercule!
VICTOR HUGO.
FUNÉRAILLES
Le bûcher dressé là pour ce nouvel Hercule,
Emplit l'horizon et le ciel empourpré;
Et la nuit s'illumine et tout entière brûle
A l'ardente splendeur de ce couchant sacré.
Au brasier fraternel où se tordent ensemble
Le laurier odorant et le chêne fumeux,
Une foule sans cris se hâte et se rassemble
Afin d'en emporter le reflet en ses yeux;
Et quelques-uns, penchés sur la flamme féconde,
Y viennent allumer leur torche et leur flambeau,
Pour éclairer encor les ténèbres du monde
Quand le bûcher noirci ne sera qu'un tombeau.
Et c'est ainsi qu'ayant emprunté l'étincelle
A l'énorme incendie en sa gloire écroulé
Ils s'en repasseront la clarté mutuelle,
Et l'une brillera quand l'autre aura brûlé,
Jusqu'à l'heure où ce feu vacillant et débile
Ne soit plus au regard du passant incertain
Que le dernier rayon de la lampe d'argile
Que ménage le pas et que couvre la main.
Qu'il éblouisse l'ombre ou couve sous la cendre,
Au geste de l'Amour comme aux doigts de Psyché,
Qu'il monte la montagne ou qu'il la redescende,
Qu'il soit lampe, foyer, flambeau, torche ou bûcher,
Sa flamme inextinguible, éternelle et divine,
Ira jusques au fond des siècles à venir.
Que le souffle la courbe ou que le vent l'incline,
Car elle est immortelle et ne peut pas finir;
Puisque l'âme de l'homme en elle se consume
Et qu'elle est née en lui de ce jour enchanté
Où, sereine et debout devant son amertume,
Apparut à ses yeux ton image, ô Beauté!
Ton doigt blanc s'est posé sur son coeur qui palpite
Et qui bat à jamais et qui brûle en son sein,
Et depuis lors un Dieu mystérieux l'habite,
Et l'éclair a jailli qui ne s'est plus éteint.
Et maintenant bûcher, gronde, rougeoie, éclate.
Change la feuille en flamme et la branche en tison
Et dresse les cent noeuds de ton hydre écarlate
Dont les langues d'or clair dévorent l'horizon!
Celui qui rassembla ta masse formidable
A détourné le fleuve à travers la forêt
Et, comme au seuil des temps son frère de la Fable,
Une course éternelle a tendu son jarret.
Le lion a rugi sous sa massue ardente;
Il empoigna le noir sanglier par son crin
Et, du fauve farouche à la bête fumante,
Ses pieds nus ont rejoint la biche aux pieds d'airain;
Mais, au lieu de percer de sa flèche intrépide
L'engeance aux rauques cris du lac aux noires eaux
Et de saisir, fougueux, l'étalon par la bride,
Il a forcé les Sons, il a dompté les Mots.
Ils ont autour de lui dansé comme des Faunes.
Les Nymphes ont souri de sa témérité
Et, grave, il a tressé d'immortelles couronnes
Et des guirlandes d'or au front de la Beauté.
Sa main forte a cueilli les pommes à la branche
Du jardin bleu gardé par le Dragon rampant.
La neige de l'hiver fleurit sa barbe blanche,
Et sa lyre d'ivoire a des cordes d'argent.
Plutôt que de dormir sous le marbre et sous l'herbe,
O flamme, prends sa chair et consume ses os;
Donne à cet autre Hercule et qui dompta le Verbe
Le bûcher mérité par ses Mille Travaux!
Oh! quel farouche bruit font dans le crépuscule
Les chênes qu'on abat pour le bûcher d'Hercule!
VICTOR HUGO.
FUNÉRAILLES
Le bûcher dressé là pour ce nouvel Hercule,
Emplit l'horizon et le ciel empourpré;
Et la nuit s'illumine et tout entière brûle
A l'ardente splendeur de ce couchant sacré.
Au brasier fraternel où se tordent ensemble
Le laurier odorant et le chêne fumeux,
Une foule sans cris se hâte et se rassemble
Afin d'en emporter le reflet en ses yeux;
Et quelques-uns, penchés sur la flamme féconde,
Y viennent allumer leur torche et leur flambeau,
Pour éclairer encor les ténèbres du monde
Quand le bûcher noirci ne sera qu'un tombeau.
Et c'est ainsi qu'ayant emprunté l'étincelle
A l'énorme incendie en sa gloire écroulé
Ils s'en repasseront la clarté mutuelle,
Et l'une brillera quand l'autre aura brûlé,
Jusqu'à l'heure où ce feu vacillant et débile
Ne soit plus au regard du passant incertain
Que le dernier rayon de la lampe d'argile
Que ménage le pas et que couvre la main.
Qu'il éblouisse l'ombre ou couve sous la cendre,
Au geste de l'Amour comme aux doigts de Psyché,
Qu'il monte la montagne ou qu'il la redescende,
Qu'il soit lampe, foyer, flambeau, torche ou bûcher,
Sa flamme inextinguible, éternelle et divine,
Ira jusques au fond des siècles à venir.
Que le souffle la courbe ou que le vent l'incline,
Car elle est immortelle et ne peut pas finir;
Puisque l'âme de l'homme en elle se consume
Et qu'elle est née en lui de ce jour enchanté
Où, sereine et debout devant son amertume,
Apparut à ses yeux ton image, ô Beauté!
Ton doigt blanc s'est posé sur son coeur qui palpite
Et qui bat à jamais et qui brûle en son sein,
Et depuis lors un Dieu mystérieux l'habite,
Et l'éclair a jailli qui ne s'est plus éteint.
Et maintenant bûcher, gronde, rougeoie, éclate.
Change la feuille en flamme et la branche en tison
Et dresse les cent noeuds de ton hydre écarlate
Dont les langues d'or clair dévorent l'horizon!
Celui qui rassembla ta masse formidable
A détourné le fleuve à travers la forêt
Et, comme au seuil des temps son frère de la Fable,
Une course éternelle a tendu son jarret.
Le lion a rugi sous sa massue ardente;
Il empoigna le noir sanglier par son crin
Et, du fauve farouche à la bête fumante,
Ses pieds nus ont rejoint la biche aux pieds d'airain;
Mais, au lieu de percer de sa flèche intrépide
L'engeance aux rauques cris du lac aux noires eaux
Et de saisir, fougueux, l'étalon par la bride,
Il a forcé les Sons, il a dompté les Mots.
Ils ont autour de lui dansé comme des Faunes.
Les Nymphes ont souri de sa témérité
Et, grave, il a tressé d'immortelles couronnes
Et des guirlandes d'or au front de la Beauté.
Sa main forte a cueilli les pommes à la branche
Du jardin bleu gardé par le Dragon rampant.
La neige de l'hiver fleurit sa barbe blanche,
Et sa lyre d'ivoire a des cordes d'argent.
Plutôt que de dormir sous le marbre et sous l'herbe,
O flamme, prends sa chair et consume ses os;
Donne à cet autre Hercule et qui dompta le Verbe
Le bûcher mérité par ses Mille Travaux!
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
ODE
ODE
O vous que j'ai aimée aux jours de ma jeunesse
D'un sombre amour,
O Forêt, vous étiez la soeur de ma tristesse
Et son séjour!
Lorsque le renouveau de vos feuilles naissantes
Chantait au vent,
Que l'Automne parait vos cimes bruissantes
D'un or mouvant,
Quand, fraîche d'espérance et lourde encor de gloire,
Votre beauté
Paraissait tour à tour l'annonce ou la mémoire,
De votre Eté,
Au lieu d'unir mon coeur à votre âme profonde
Mêlée en lui,
Je vous portais mes pleurs et ma peine inféconde
Et mon ennui.
Je ne respirais pas votre odeur saine et forte,
A plein poumon;
Il me semblait partout traîner des feuilles mortes
A mon talon.
Vous étiez patiente au bruit sous la ramée
De mon pas lourd;
Pardon de vous avoir, ô ma Forêt, aimée
D'un sombre amour!
Ce n'est plus celui-là maintenant que j'éprouve,
Ce n'est plus lui,
Et, lorsque dans votre ombre encor je me retrouve,
Comme aujourd'hui,
Je sens votre vigueur, vos baumes et vos forces
Entrer en moi,
Et le Dieu qui l'habite entr'ouvre votre écorce
Avec son doigt.
Comme vous, chêne dur, je garde dans la terre
Qui la nourrit
Ma racine secrète, obscure et nécessaire;
Mais mon esprit,
Au-dessus de mon corps qui pousse son tronc rude,
Balance au vent
Sa ramure déjà que l'automne dénude...
Arbre vivant,
Qu'importe que le temps ou l'hiver ou la hache,
Par son milieu,
L'attaque, si déjà sous l'écorce se cache,
En l'homme, un Dieu!
O vous que j'ai aimée aux jours de ma jeunesse
D'un sombre amour,
O Forêt, vous étiez la soeur de ma tristesse
Et son séjour!
Lorsque le renouveau de vos feuilles naissantes
Chantait au vent,
Que l'Automne parait vos cimes bruissantes
D'un or mouvant,
Quand, fraîche d'espérance et lourde encor de gloire,
Votre beauté
Paraissait tour à tour l'annonce ou la mémoire,
De votre Eté,
Au lieu d'unir mon coeur à votre âme profonde
Mêlée en lui,
Je vous portais mes pleurs et ma peine inféconde
Et mon ennui.
Je ne respirais pas votre odeur saine et forte,
A plein poumon;
Il me semblait partout traîner des feuilles mortes
A mon talon.
Vous étiez patiente au bruit sous la ramée
De mon pas lourd;
Pardon de vous avoir, ô ma Forêt, aimée
D'un sombre amour!
Ce n'est plus celui-là maintenant que j'éprouve,
Ce n'est plus lui,
Et, lorsque dans votre ombre encor je me retrouve,
Comme aujourd'hui,
Je sens votre vigueur, vos baumes et vos forces
Entrer en moi,
Et le Dieu qui l'habite entr'ouvre votre écorce
Avec son doigt.
Comme vous, chêne dur, je garde dans la terre
Qui la nourrit
Ma racine secrète, obscure et nécessaire;
Mais mon esprit,
Au-dessus de mon corps qui pousse son tronc rude,
Balance au vent
Sa ramure déjà que l'automne dénude...
Arbre vivant,
Qu'importe que le temps ou l'hiver ou la hache,
Par son milieu,
L'attaque, si déjà sous l'écorce se cache,
En l'homme, un Dieu!
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
LA LUNE JAUNE
LA LUNE JAUNE
Ce long jour a fini par une lune jaune
Qui monte mollement entre les peupliers,
Tandis que se répand parmi l'air qu'elle embaume
L'odeur de l'eau qui dort entre les joncs mouillés.
Savions-nous, quand, tous deux, sous le soleil torride
Foulions la terre rouge et le chaume blessant,
Savions-nous, quand nos pieds sur les sables arides
Laissaient leurs pas empreints comme des pas de sang,
Savions-nous, quand l'amour brûlait sa haute flamme
En nos coeurs déchirés d'un tourment sans espoir,
Savions-nous, quand mourait le feu dont nous brûlâmes
Que sa cendre serait si douce à notre soir,
Et que cet âpre jour qui s'achève et qu'embaume
Une odeur d'eau qui songe entre les joncs mouillés
Finirait mollement par cette lune jaune
Qui monte et s'arrondit entre les peupliers?
Ce long jour a fini par une lune jaune
Qui monte mollement entre les peupliers,
Tandis que se répand parmi l'air qu'elle embaume
L'odeur de l'eau qui dort entre les joncs mouillés.
Savions-nous, quand, tous deux, sous le soleil torride
Foulions la terre rouge et le chaume blessant,
Savions-nous, quand nos pieds sur les sables arides
Laissaient leurs pas empreints comme des pas de sang,
Savions-nous, quand l'amour brûlait sa haute flamme
En nos coeurs déchirés d'un tourment sans espoir,
Savions-nous, quand mourait le feu dont nous brûlâmes
Que sa cendre serait si douce à notre soir,
Et que cet âpre jour qui s'achève et qu'embaume
Une odeur d'eau qui songe entre les joncs mouillés
Finirait mollement par cette lune jaune
Qui monte et s'arrondit entre les peupliers?
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
LE BONHEUR
LE BONHEUR
Sois heureuse! qu'importe à tes yeux l'horizon
Et l'aurore et la nuit et l'heure et la saison,
Que ta fenêtre tremble aux souffles de l'hiver
Ou que, l'été, le vent du val ou de la mer
Semble quelqu'un qui veut entrer et qu'on accueille.
Sois heureuse. La source murmure. Une feuille
Déjà jaunie un peu tombe sur le sentier;
Une abeille s'est prise aux fils de ton métier,
Car le lin qu'il emploie est roux comme du miel;
Un nuage charmant est seul dans tout le ciel;
La pluie est douce; l'ombre est moite. Sois heureuse.
Le chemin est boueux et l'ornière se creuse,
Que t'importe la terre où mènent les chemins!
Sois heureuse d'hier et sûre de demain;
N'as-tu pas, par ta chair divine et parfumée,
L'ineffable pouvoir de pouvoir être aimée?
Sois heureuse! qu'importe à tes yeux l'horizon
Et l'aurore et la nuit et l'heure et la saison,
Que ta fenêtre tremble aux souffles de l'hiver
Ou que, l'été, le vent du val ou de la mer
Semble quelqu'un qui veut entrer et qu'on accueille.
Sois heureuse. La source murmure. Une feuille
Déjà jaunie un peu tombe sur le sentier;
Une abeille s'est prise aux fils de ton métier,
Car le lin qu'il emploie est roux comme du miel;
Un nuage charmant est seul dans tout le ciel;
La pluie est douce; l'ombre est moite. Sois heureuse.
Le chemin est boueux et l'ornière se creuse,
Que t'importe la terre où mènent les chemins!
Sois heureuse d'hier et sûre de demain;
N'as-tu pas, par ta chair divine et parfumée,
L'ineffable pouvoir de pouvoir être aimée?
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
LE CYPRÈS
LE CYPRÈS
Ce haut cyprès! c'est là qu'un soir est mort l'Amour,
Dans l'ombre chaude encor de sa rouge journée,
C'est là que, contre lui sa pointe retournée,
Il est tombé, percé de sa flèche à son tour.
O lieu cher et cruel et triste, où, de ce jour,
Mystérieuse et qui ne s'est jamais fanée,
De son sang a fleuri une rose obstinée
Dont semble encor la pourpre attendre son retour.
Et quelquefois, la main dans la main, ma Tristesse
Et moi, qui ne veux plus, hélas! qu'elle me laisse,
Nous montons jusqu'ici, son pas auprès du mien.
Elle aime cette rose et moi le cyprès sombre:
Elle espère peut-être encor, mais je sais bien
Qu'où l'Amour est tombé ne revient pas son Ombre!
Ce haut cyprès! c'est là qu'un soir est mort l'Amour,
Dans l'ombre chaude encor de sa rouge journée,
C'est là que, contre lui sa pointe retournée,
Il est tombé, percé de sa flèche à son tour.
O lieu cher et cruel et triste, où, de ce jour,
Mystérieuse et qui ne s'est jamais fanée,
De son sang a fleuri une rose obstinée
Dont semble encor la pourpre attendre son retour.
Et quelquefois, la main dans la main, ma Tristesse
Et moi, qui ne veux plus, hélas! qu'elle me laisse,
Nous montons jusqu'ici, son pas auprès du mien.
Elle aime cette rose et moi le cyprès sombre:
Elle espère peut-être encor, mais je sais bien
Qu'où l'Amour est tombé ne revient pas son Ombre!
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
LA COLLINE
LA COLLINE
Cette colline est belle, inclinée et pensive;
Sa ligne sur le ciel est pure à l'horizon.
Elle est un de ces lieux où la vie indécise
Voudrait planter sa vigne et bâtir sa maison.
Nul pourtant n'a choisi sa pente solitaire
Pour y vivre ses jours, un à un, au penchant
De ce souple coteau doucement tutélaire
Vers qui monte la plaine et se hausse le champ.
Aucun toit n'y fait luire, au soleil qui l'irise
Ou l'empourpre, dans l'air du soir ou du matin,
Sa tuile rougeoyante ou son ardoise grise...
Et personne jamais n'y fixa son destin
De tous ceux qui, passant, un jour, devant la grâce
De ce site charmant et qu'ils auraient aimé,
En ont senti renaître en leur mémoire lasse
La forme pacifique et le songe embaumé.
C'est ainsi que chacun rapporte du voyage
Au fond de son coeur triste et de ses yeux en pleurs
Quelque vaine, éternelle et fugitive image
De silence, de paix, de rêve et de bonheur.
Mais, sur la pente verte et lentement déclive,
Qui donc plante sa vigne et bâtit sa maison?
Hélas! et la colline inclinée et pensive
Avec le souvenir demeure à l'horizon!
Cette colline est belle, inclinée et pensive;
Sa ligne sur le ciel est pure à l'horizon.
Elle est un de ces lieux où la vie indécise
Voudrait planter sa vigne et bâtir sa maison.
Nul pourtant n'a choisi sa pente solitaire
Pour y vivre ses jours, un à un, au penchant
De ce souple coteau doucement tutélaire
Vers qui monte la plaine et se hausse le champ.
Aucun toit n'y fait luire, au soleil qui l'irise
Ou l'empourpre, dans l'air du soir ou du matin,
Sa tuile rougeoyante ou son ardoise grise...
Et personne jamais n'y fixa son destin
De tous ceux qui, passant, un jour, devant la grâce
De ce site charmant et qu'ils auraient aimé,
En ont senti renaître en leur mémoire lasse
La forme pacifique et le songe embaumé.
C'est ainsi que chacun rapporte du voyage
Au fond de son coeur triste et de ses yeux en pleurs
Quelque vaine, éternelle et fugitive image
De silence, de paix, de rêve et de bonheur.
Mais, sur la pente verte et lentement déclive,
Qui donc plante sa vigne et bâtit sa maison?
Hélas! et la colline inclinée et pensive
Avec le souvenir demeure à l'horizon!
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
L'OMBRE NUE
L'OMBRE NUE
J'ai fait de mon Amour cette blanche statue.
Regarde-la. Elle est debout, pensive et nue,
Au milieu du bassin où la mire son eau
Qui l'entoure d'un double et symbolique anneau
De pierre invariable et de cristal fidèle.
La colombe en passant la frôle de son aile,
Car l'Amour est vivant en ce marbre veiné
Qui de son long regard que rien n'a détourné,
Contemple, autour de lui dans l'eau proche apparue,
La fraîcheur de son ombre humide, vaine et nue.
J'ai fait de mon Amour cette blanche statue.
Regarde-la. Elle est debout, pensive et nue,
Au milieu du bassin où la mire son eau
Qui l'entoure d'un double et symbolique anneau
De pierre invariable et de cristal fidèle.
La colombe en passant la frôle de son aile,
Car l'Amour est vivant en ce marbre veiné
Qui de son long regard que rien n'a détourné,
Contemple, autour de lui dans l'eau proche apparue,
La fraîcheur de son ombre humide, vaine et nue.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
L'HEURE
L'HEURE
Rapide, aiguë et furtive,
L'aiguille sur le cadran
Perce l'heure où elle arrive
De son dard indifférent.
La rose, de ses pétales,
Compte l'instant qui se suit
En minutes inégales
Qui s'effeuillent sans un bruit.
Le temps pour toi se divise
Selon que tu l'as pensé!
Qu'il s'abrège ou s'éternise
Il deviendra ton passé.
Et, lorsqu'un jour de ta cendre
Les roses refleuriront,
Tu ne pourras plus entendre
Les aiguilles qui feront,
Sur le cadran à demeure,
Leur travail minutieux
De percer encore l'heure
Que ne verront plus tes yeux.
Rapide, aiguë et furtive,
L'aiguille sur le cadran
Perce l'heure où elle arrive
De son dard indifférent.
La rose, de ses pétales,
Compte l'instant qui se suit
En minutes inégales
Qui s'effeuillent sans un bruit.
Le temps pour toi se divise
Selon que tu l'as pensé!
Qu'il s'abrège ou s'éternise
Il deviendra ton passé.
Et, lorsqu'un jour de ta cendre
Les roses refleuriront,
Tu ne pourras plus entendre
Les aiguilles qui feront,
Sur le cadran à demeure,
Leur travail minutieux
De percer encore l'heure
Que ne verront plus tes yeux.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
STANCES
STANCES
Si je vous dis, ce soir, en respirant ces roses
Qui ressemblent au sang que l'on répand pour lui:
L'Amour est là dans l'ombre et son pied nu se pose
Sur le rivage obscur du fleuve de la nuit.
Si je vous dis: l'Amour est ivre et taciturne
Et son geste ambigu nous trompe, car souvent
Il écrase une grappe au bord rougi de l'urne
Dont il verse la cendre aux corbeilles du vent.
Successif ouvrier de bonheur et de peine,
Il ourdit tour à tour sur le même fuseau
Les deux fils alternés de l'une et l'autre laine
Qu'il emmêle, débrouille et confond de nouveau.
Prenez garde, l'Amour est vain et n'est qu'une ombre,
Qu'il soit nu de lumière ou soit drapé de nuit,
Et redoutez sa vue étincelante ou sombre
Lorsque sur le chemin vous passez près de lui.
Fermez vos yeux prudents, si vous croyez l'entendre
Marcher sur l'herbe douce ou sur le sable amer,
Pour écouter en vous gronder et se répandre
Le bruit de la forêt et le bruit de la mer.
Si je vous dis, ce soir, en respirant ces roses
Qui ressemblent au sang que l'on répand pour lui:
L'Amour est là dans l'ombre et son pied nu se pose
Sur le rivage obscur du fleuve de la nuit.
Si je vous dis: l'Amour est ivre et taciturne
Et son geste ambigu nous trompe, car souvent
Il écrase une grappe au bord rougi de l'urne
Dont il verse la cendre aux corbeilles du vent.
Successif ouvrier de bonheur et de peine,
Il ourdit tour à tour sur le même fuseau
Les deux fils alternés de l'une et l'autre laine
Qu'il emmêle, débrouille et confond de nouveau.
Prenez garde, l'Amour est vain et n'est qu'une ombre,
Qu'il soit nu de lumière ou soit drapé de nuit,
Et redoutez sa vue étincelante ou sombre
Lorsque sur le chemin vous passez près de lui.
Fermez vos yeux prudents, si vous croyez l'entendre
Marcher sur l'herbe douce ou sur le sable amer,
Pour écouter en vous gronder et se répandre
Le bruit de la forêt et le bruit de la mer.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
ÉPIGRAMME
ÉPIGRAMME
Pour que ton rire pur, jeune, tendre et léger,
S'épanouisse en fleur sonore,
Il faut qu'avril verdisse aux pousses du verger,
Plus vertes d'aurore en aurore,
Il faut que l'air égal annonce le printemps
Et que la première hirondelle
Rase d'un vol aigu les roseaux de l'étang
Qui mire son retour fidèle!
Mais, quoique l'écho rie à ton rire avec toi,
Goutte à goutte et d'une eau lointaine,
N'entends-tu pas gémir et répondre à ta voix
La plainte faible des fontaines?
Pour que ton rire pur, jeune, tendre et léger,
S'épanouisse en fleur sonore,
Il faut qu'avril verdisse aux pousses du verger,
Plus vertes d'aurore en aurore,
Il faut que l'air égal annonce le printemps
Et que la première hirondelle
Rase d'un vol aigu les roseaux de l'étang
Qui mire son retour fidèle!
Mais, quoique l'écho rie à ton rire avec toi,
Goutte à goutte et d'une eau lointaine,
N'entends-tu pas gémir et répondre à ta voix
La plainte faible des fontaines?
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
L'IMAGE
L'IMAGE
Que pour d'autres l'amour rende triste l'aurore
Du regret frissonnant d'avoir hier aimé!
Pour nous, dans l'air palpite et se répand encore
La ténébreuse odeur dont tu l'as parfumé.
N'as-tu pas vu, en nous, se lever de l'étreinte
Un dieu né de notre âme et fait de notre chair,
Et qui, debout au seuil de la maison éteinte,
En la jeune clarté sourit au matin clair?
Amour, prends aujourd'hui nos formes dans la tienne,
Prête-nous pour marcher dans l'herbe tes pieds nus
Et que, ce soir, tes pas par les nôtres reviennent
Au seuil mystérieux où nous t'aurons connu;
Et laisse-nous, durant ce jour que tu nous donnes,
Sentir en lui ton feu, ta force et ta beauté
Et mirer dans les eaux qui reflètent l'automne
L'image en un seul corps de notre double été.
Que pour d'autres l'amour rende triste l'aurore
Du regret frissonnant d'avoir hier aimé!
Pour nous, dans l'air palpite et se répand encore
La ténébreuse odeur dont tu l'as parfumé.
N'as-tu pas vu, en nous, se lever de l'étreinte
Un dieu né de notre âme et fait de notre chair,
Et qui, debout au seuil de la maison éteinte,
En la jeune clarté sourit au matin clair?
Amour, prends aujourd'hui nos formes dans la tienne,
Prête-nous pour marcher dans l'herbe tes pieds nus
Et que, ce soir, tes pas par les nôtres reviennent
Au seuil mystérieux où nous t'aurons connu;
Et laisse-nous, durant ce jour que tu nous donnes,
Sentir en lui ton feu, ta force et ta beauté
Et mirer dans les eaux qui reflètent l'automne
L'image en un seul corps de notre double été.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
LE VOEU
LE VOEU
«N'avez-vous pas tenu en vos mains souveraines
La souplesse de l'eau et la force du vent?
Le nombreux univers en vous fut plus vivant
Qu'en ses fleuves, ses flots, ses fleurs et ses fontaines.»
C'est vrai. Ma bouche a bu aux sources souterraines;
La sève s'est mêlée à la fleur de mon sang
Et, d'un cours régulier, naturel et puissant,
Toute l'âme terrestre a coulé dans mes veines.
Aussi, riche et joyeux du fruit de ma moisson
Et du quadruple soir de mes quatre saisons,
Je te donne ma cendre, ô terre maternelle,
Pour renaître plus vif, plus vaste et plus vivant
Et vivre de nouveau la Vie universelle,
Dans la fuite de l'Eau et la force du Vent.
«N'avez-vous pas tenu en vos mains souveraines
La souplesse de l'eau et la force du vent?
Le nombreux univers en vous fut plus vivant
Qu'en ses fleuves, ses flots, ses fleurs et ses fontaines.»
C'est vrai. Ma bouche a bu aux sources souterraines;
La sève s'est mêlée à la fleur de mon sang
Et, d'un cours régulier, naturel et puissant,
Toute l'âme terrestre a coulé dans mes veines.
Aussi, riche et joyeux du fruit de ma moisson
Et du quadruple soir de mes quatre saisons,
Je te donne ma cendre, ô terre maternelle,
Pour renaître plus vif, plus vaste et plus vivant
Et vivre de nouveau la Vie universelle,
Dans la fuite de l'Eau et la force du Vent.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
ÉLÉGIE
ÉLÉGIE
Je ne vous parlerai que lorsqu'en l'eau profonde
Votre visage pur se sera reflété
Et lorsque la fraîcheur fugitive de l'onde
Vous aura dit le peu que dure la beauté.
Il faudra que vos mains pour en être odorantes,
Aient cueilli le bouquet des heures et, tout bas,
Qu'en ayant respiré les âmes différentes
Vous soupiriez encore et ne souriiez pas;
Il faudra que le bruit des divines abeilles
Qui volent dans l'air tiède et pèsent sur les fleurs
Ait longuement vibré au fond de vos oreilles
Son rustique murmure et sa chaude rumeur;
Je ne vous parlerai que quand l'odeur des roses
Fera frémir un peu votre bras sur le mien
Et lorsque la douceur qu'épand le soir des choses
Sera entrée en vous avec l'ombre qui vient;
Et vous ne saurez plus, tant l'heure sera tendre
Des baumes de la nuit et des senteurs du jour,
Si c'est le vent qui rôde ou la feuille qui tremble,
Ma voix ou votre voix ou la voix de l'Amour...
Je ne vous parlerai que lorsqu'en l'eau profonde
Votre visage pur se sera reflété
Et lorsque la fraîcheur fugitive de l'onde
Vous aura dit le peu que dure la beauté.
Il faudra que vos mains pour en être odorantes,
Aient cueilli le bouquet des heures et, tout bas,
Qu'en ayant respiré les âmes différentes
Vous soupiriez encore et ne souriiez pas;
Il faudra que le bruit des divines abeilles
Qui volent dans l'air tiède et pèsent sur les fleurs
Ait longuement vibré au fond de vos oreilles
Son rustique murmure et sa chaude rumeur;
Je ne vous parlerai que quand l'odeur des roses
Fera frémir un peu votre bras sur le mien
Et lorsque la douceur qu'épand le soir des choses
Sera entrée en vous avec l'ombre qui vient;
Et vous ne saurez plus, tant l'heure sera tendre
Des baumes de la nuit et des senteurs du jour,
Si c'est le vent qui rôde ou la feuille qui tremble,
Ma voix ou votre voix ou la voix de l'Amour...
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
OMBRE D'EAU
OMBRE D'EAU
Cette statue est charmante
De la femme qu'elle fut
Avant que cette eau dormante
Reflétât son marbre nu;
Mais dans l'eau qui la reflète
Au bassin ovale et clair
Son ombre me semble faite
Du souvenir de sa chair;
Et la pensée incertaine
Est telle ou telle, suivant
Que la voix de la fontaine
Se mêle à la voix du vent...
Cette statue est charmante
De la femme qu'elle fut
Avant que cette eau dormante
Reflétât son marbre nu;
Mais dans l'eau qui la reflète
Au bassin ovale et clair
Son ombre me semble faite
Du souvenir de sa chair;
Et la pensée incertaine
Est telle ou telle, suivant
Que la voix de la fontaine
Se mêle à la voix du vent...
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
INVOCATION
INVOCATION
Ombres de mes sept Soeurs et de mes sept Pensées!
Toi, par la flèche, et toi, par la pierre lancée
Au travers de la haie et par-dessus le mur;
Toi, par la fleur tendue, et toi, par le fruit mûr
Offerts l'un à ma bouche et l'autre à mon sourire;
Toi que la nuit endort, toi que l'aurore étire,
Toi qui ruisselles d'eau, toi qui coules de sang,
Vous toutes qui parlez, passantes, au passant,
Assises dans le soir ou debout dans l'aurore,
Le long du fleuve calme ou de la mer sonore,
Le pied sur l'herbe haute ou sur le rocher nu,
Sur la lande déserte où danse un bouc cornu
Ou dans le verger clair où chante une colombe
Tandis que l'heure, hélas! marque d'un fruit qui tombe
Son invisible fuite et son muet retour;
Vous qui êtes la Mort, vous qui êtes l'Amour
O flamboyantes, ô légères, ô glacées,
En vous voyant marcher dans mon âme, Pensées
Qui descendez en moi les pentes de l'oubli,
Pour que vous les miriez en son lac d'or pâli
J'ai fait à vos sept fronts à jamais sept couronnes
Avec des fleurs d'été, avec des fleurs d'automne,
Avec l'algue du fleuve et l'algue de la mer
Et des feuillages durs immortellement verts
Et des feuilles de lierre et des feuilles d'orties,
Avec des cailloux noirs et des gemmes polies;
Et, pour qu'en ma mémoire il se revive encor,
J'ai couronné en vous mon Rêve sept fois mort.
Ombres de mes sept Soeurs et de mes sept Pensées!
Toi, par la flèche, et toi, par la pierre lancée
Au travers de la haie et par-dessus le mur;
Toi, par la fleur tendue, et toi, par le fruit mûr
Offerts l'un à ma bouche et l'autre à mon sourire;
Toi que la nuit endort, toi que l'aurore étire,
Toi qui ruisselles d'eau, toi qui coules de sang,
Vous toutes qui parlez, passantes, au passant,
Assises dans le soir ou debout dans l'aurore,
Le long du fleuve calme ou de la mer sonore,
Le pied sur l'herbe haute ou sur le rocher nu,
Sur la lande déserte où danse un bouc cornu
Ou dans le verger clair où chante une colombe
Tandis que l'heure, hélas! marque d'un fruit qui tombe
Son invisible fuite et son muet retour;
Vous qui êtes la Mort, vous qui êtes l'Amour
O flamboyantes, ô légères, ô glacées,
En vous voyant marcher dans mon âme, Pensées
Qui descendez en moi les pentes de l'oubli,
Pour que vous les miriez en son lac d'or pâli
J'ai fait à vos sept fronts à jamais sept couronnes
Avec des fleurs d'été, avec des fleurs d'automne,
Avec l'algue du fleuve et l'algue de la mer
Et des feuillages durs immortellement verts
Et des feuilles de lierre et des feuilles d'orties,
Avec des cailloux noirs et des gemmes polies;
Et, pour qu'en ma mémoire il se revive encor,
J'ai couronné en vous mon Rêve sept fois mort.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
LES CLOCHES
Ce matin est si clair, si pur et si limpide
Que les cloches, qui l'ont à l'aurore éveillé
En sa douceur soyeuse et en sa fraîcheur vive,
Semblent tinter au ciel, où longtemps elle vibre,
Une gamme d'argent et de cristal mouillé.
Midi. Le fort soleil accable la ramure
Et verse ses rayons sur les choses et pleut
Sa lumière éclatante, impitoyable et dure;
Et les cloches, dans l'air qui brûle leur murmure,
Semblent fondre les gouttes d'or de l'heure en feu.
Les cloches de ce soir ont des rumeurs de bronze
Comme si se heurtaient entre eux des fruits d'airain
Et, mûres maintenant pour la nuit et pour l'ombre,
Elles sonnent au fond d'un ciel d'où filtre et tombe
La cendre qui succède au crépuscule éteint.
Le jour renaîtra-t-il de la nuit taciturne?
La vie est-elle morte avec lui sourdement?
Vous entendrai-je encore, ô cloches, une à une,
Recommencer--Espoir, Amour, Regret--chacune
Votre bruit tour à tour d'or, de bronze et d'argent?
Que les cloches, qui l'ont à l'aurore éveillé
En sa douceur soyeuse et en sa fraîcheur vive,
Semblent tinter au ciel, où longtemps elle vibre,
Une gamme d'argent et de cristal mouillé.
Midi. Le fort soleil accable la ramure
Et verse ses rayons sur les choses et pleut
Sa lumière éclatante, impitoyable et dure;
Et les cloches, dans l'air qui brûle leur murmure,
Semblent fondre les gouttes d'or de l'heure en feu.
Les cloches de ce soir ont des rumeurs de bronze
Comme si se heurtaient entre eux des fruits d'airain
Et, mûres maintenant pour la nuit et pour l'ombre,
Elles sonnent au fond d'un ciel d'où filtre et tombe
La cendre qui succède au crépuscule éteint.
Le jour renaîtra-t-il de la nuit taciturne?
La vie est-elle morte avec lui sourdement?
Vous entendrai-je encore, ô cloches, une à une,
Recommencer--Espoir, Amour, Regret--chacune
Votre bruit tour à tour d'or, de bronze et d'argent?
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
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