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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo

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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo - Page 3 Empty Poésie: Jean Joseph Rabearivelo

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:31

Rappel du premier message :

Traduit De La Nuit. (1935)

Par Jean Joseph Rabearivelo
. (1901-1937
IN MEMORIAM

FAGUS, Marcel ORMOY et Robert-Jules ALLAIN,
interrogateurs désormais d’une nuit qui ne peut se traduire que
par l’étonnement et l’angoisse de notre douleur
J.-J. R.


Pour avoir mis le pied
Sur le coeur de la nuit
Je suis un homme pris
Dans les rets étoilés.

Jules SUPERVIELLE


Une étoile pourpre
Évolue dans la profondeur du ciel-
Quelle fleur de sang éclose en la prairie de la nuit

Évolue, évolue,
Puis devient comme un cerf-volant lâché par un enfant endormi.

Paraît s’approcher et s’éloigner à la fois,
Perd sa couleur comme une fleur près de tomber,
Devient nuage, devient blanc, se réduit:
N’est plus qu’une pointe de diamant
Striant le miroir bleu du zénith
Où l’on voit déjà le leurre
Glorieux du matin nubile.
Quel rat invisible,
Venu des murs de la nuit,
Grignote le gâteau lacté de la lune?
Demain matin,
Quand il se sera enfui,
Il y aura là des traces de dents sanglantes.

Demain matin,
Ceux qui se seront enivrés toute la nuit
Et ceux qui sortiront du jeu,
En regardant la lune,
Balbutieront ainsi:
« À qui est cette pièce de quat’sous
Qui roule sur la table verte? »
« Ah! ajoutera l’un d’eux,
L’ami avait tout perdu
Et s’est tué! »

Et tous ricaneront
Et, titubant, tomberont.
La lune, elle, ne sera plus là:
Le rat l’aura emportée dans son trou.
La peau de la vache noire est tendue,
Tendue sans être mise à sécher,
Tendue dans l’ombre septuple.

Mais qui a abattu la vache noire,
Morte sans avoir mugi, morte sans avoir beuglé,
Morte sans avoir été poursuivie
Sur cette prairie fleurie d’étoiles?
La voici qui gît dans la moitié du ciel.

Tendue est la peau
Sur la boîte de résonance du vent
Que sculptent les esprits du sommeil.

Et le tambour est prêt
Lorsque se couronnent de glaïeuls
Les cornes du veau délivré
Qui bondit
Et broute les herbes des collines.

Il y résonnera,
Et ses incantations deviendront rêves
Jusqu’au moment où la vache noire ressuscitera,
Blanche et rose,
Devant un fleuve de lumière.
Ce qui se passe sous la terre,
Au nadir lointain?
Penche-toi près d’une fontaine,
Près d’un fleuve
Ou d’une source:
Tu y verras la lune
Tombée dans un trou,
Et tu t’y verras toi-même,
Lumineux et silencieux,
Parmi des arbres sans racines,
Et où viennent des oiseaux muets.
Tu dors, ma bien-aimée;
tu dors dans ses bras, ô ma dernière née.
Je ne vois pas vos yeux lourds de nuit
qui d’ordinaire s’irisent comme des perles authentiques
ou des raisins mûrs.

Une bouffée de bon vent entr’ouvre notre porte,
fait gonfler vos robes légères
et trembler vos cheveux,
puis emporte un papier de sur ma table
que je rattrape près du seuil.

Je lève ma tête,
le poème commencé dans la main:
vos yeux clignotent dans l’azur,
et je les appelle: étoiles.
Un oiseau sans couleur et sans nom
a replié les ailes
et blessé le seul oeil du ciel.

Il se pose sur un arbre sans tronc,
tout en feuilles
que nul vent ne fait frémir
et dont on ne cueille pas les fruits, les yeux ouverts.

Que couve-t-il?
Quand il reprendra son vol,
ce sont des coqs qui en sortiront:
les coqs de tous les villages
qui auront vaincu et dispersé
ceux qui chantent dans les rêves
et qui se nourrissent d’astres.
Reflux de la lumière océane.
Des poulpes, dans leur fuite,
noircissent le sable
avec leur bave épaisse;
mais d’innombrables petits poissons
qui ressemblent à des coquillages d’argent,
ne pouvant échapper,
s’y débattent:
ils sont pris dans les rets
tendus par des algues ténébreuses
qui deviennent des lianes
et envahissent la falaise du ciel.
La dévote a fini ses versets quotidiens
et vient écouter ses enfants qui apprennent à haute voix
leurs leçons bibliques
sur la vérandah.
On dirait une cascade lointaine
sautant quelque rocher moussu,
là-bas, derrière les collines,
ou des chrétiens surpris par l’ombre
récitant des surates musulmanes
sous le ciel pacifique.

Moi,
par les interstices des feuilles qui en retombent
comme des larmes noires qui ne cessent de couler,
je ne puis rien discerner
et n’entends que des bribes de paroles
où reviennent souvent les mots: Égypte
et Israël.

Je me hausse sur une motte de terre
fleurant l’herbe foulée,
et j’écarte la verdure qui me gêne les yeux;
un petit oiseau migrateur sanglote près de la cime;
et je lève la tête;
mais ce sont les étoiles que je vois:
bulbeuses comme les aulx,
mouchetées comme les cailles,
elles me rappellent les prières que je viens de confondre,
et, dans le désert de l’azur imérinien
où il me semble que l’exode
refuit les Pharaons,
voilà que les Religions se rencontrent -
et toi aussi, ô mienne, ô Poésie!
Les ruches secrètes sont alignées
près des lianes du ciel,
parmi des nids lumineux.

Butinez-y, abeilles de mes pensées,
petites abeilles ailées de son
dans la nue enceinte de silence;
chargez-vous de propolis
parfumée d’astres et de vent:
nous en calfeutrerons toute fente
communiquant au tumulte de la vie.

Chargez-vous aussi de pollen stellaire
pour les prairies de la terre;
et demain, lorsque s’y noueront
les roses sauvages de mes poèmes,
nous aurons des cynorrhôdons aériens
et des semences sidérales.
Te voilà,
debout et nu!
Limon tu es et t’en souviens;
mais tu es en vérité l’enfant de cette ombre parturiante
qui se repaît de lactogène lunaire,
puis tu prends lentement la forme d’un fût
sur ce mur bas que franchissent les songes des fleurs
et le parfum de l’été en relâche.

Sentir, croire que des racines te poussent aux pieds
et courent et se tordent comme des serpents assoiffés
vers quelque source souterraine,
ou se rivent dans le sable
et déjà t’unissent à lui, toi, ô vivant,
arbre inconnu, arbre non identifié,
Qui élabores des fruits que tu cueilleras toi-même.

Ta cime,
dans tes cheveux que le vent secoue,
cèle un nid d’oiseaux immatériels;
et lorsque tu viendras coucher dans mon lit
et que je te reconnaîtrai, ô mon frère errant,
ton contact, ton haleine et l’odeur de ta peau
susciteront des bruits d’ailes mystérieuses
jusqu’aux frontières du sommeil.
Combien de jumeaux sont-ils, les vents?
Ils sont tous espiègles,
ils se poursuivent en sortant de l’herbe,
escaladent les murs devenus doubles,
sautent par-dessus les toits où se recueillera la rosée,
se voûtent sur les collines
et y secouent de hauts arbres immatériels
d’où se dispersent des oiseaux
aux yeux de verre
qui n’ont de nids nulle part,
et des baies rondes comme des blocs de quartz
qui ne se peuvent reproduire sur terre,
et se dissolvent en étoiles filantes.
Pour les pauvres dévorés de punaises aussi grosses que le ciel,
pour les exilés qui errent,
venant de la cité du jour,
et pour les rebelles et pour les déserteurs
de l’armée ombreuse montant de la terre,
que veulent faire ces élans de palmiers sans nombre
reluisant comme autant de manches de sagaies enduits de graisse végétale,
qui s’élancent immobiles
et dépassent toutes les maisons
jusqu’à ce que leurs cimes,
résonnant de songes de ramiers,
parviennent au toit du monde?

Ils y ondulent, s’écrasent, puis s’effeuillent,
mais ne reviennent pas parmi les vivants,
et s’entassent dans le désert des étoiles,
et deviennent des huttes innombrables
pour les mendiants sans litière,
pour les captifs vêtus de leur seule peau puant la poussière,
et pour tous les oiseaux sans nid
qui seront délivrés ensemble.
Toutes les saisons sont abolies
dans ces zones inexplorées,
qui occupent la moitié du monde
et la parent de floraisons inconnues
et de nul climat.

Poussée de sang végétal provisoire
dans un enchevêtrement de lianes ténébreuses
où est captif tout élan de branches vives.
Déroute d’oiseaux devenus étrangers
et ne reconnaissant plus leur nid,
puis heurts d’ailes- éclairs-
contre des rochers de brume
surgis du sol
qui n’est ni chaud ni froid
comme la peau de ceux qui s’étendent
loin de la vie et de la mort.
Voici
celle dont les yeux sont des prismes de sommeil
et dont les paupières sont lourdes de rêves,
celle dont les pieds sont enfoncés dans la mer
et dont les mains gluantes en sortent
pleines de coraux et de blocs de sel étincelants.

Elle les mettra en petits tas près d’un golfe de brouillard
et les débitera à des marins nus
auxquels on a coupé la langue,
jusqu’à ce que tombe la pluie.

Elle ne sera plus alors visible,
et l’on ne verra plus
que sa chevelure dispersée par le vent;
comme une pelote d’algues qui se dévide
et peut-être aussi des grains de sel insipide.
Tu te leurres,
toi qui as l’air d’un petit oiseau
égaré dans la forêt neigeuse qui va
jusqu’à la poitrine de Tagore,
de Whitman et de Jammes
qui remplacent le Christ sur ta couche,
puisque ce n’est pas la vieillesse du monde
ni celle du jour plusieurs fois millénaire
qui caresse ici sa barbe blanche
et épaisse comme l’oubli,
comme l’espoir et comme la brume des matins torrides,
là-bas, sur toutes les montagnes,
astrologue interrogeant les étoiles
et fumant une pipe en terre,
c’est sa jeunesse, ô mon enfant,
sa jeunesse éternelle:
métamorphosée
(peut-être grâce au chant des poètes que tu préfères
et qui créent pour toi une religion
dans ce silence sans fond
peuplé de colonnes et de fleuves,
de vivants et de morts)
elle n’est plus que l’ombre de tout le passé
et n’écoute que le seul présent.
Il est des mains rouillées sans nombre,
-ondes, ombres, fumées -
qui sarclent et marcottent
dans un buisson de framboisiers,
envahi d’herbes à hauteur de géant
d’où ne sortent que des oiseaux aveugles.

Que récoltent-elles, une fois lasses?
Qu’y aura-t-il entre leurs doigts de vent?
Des molles baies noires à force d’être rouges
sont déjà devenues d’innombrables champignons
au bord de ce fleuve sans piroguiers
pour embarquer tous ces paniers de fruits nocturnes.
Le vitrier nègre
dont nul n’a jamais vu les prunelles sans nombre
et jusqu’aux épaules de qui personne ne s’est encore haussé,
cet esclave tout paré de perles de verroterie,
qui est robuste comme Atlas
et qui porte les sept ciels sur sa tête,
on dirait que le fleuve multiple des nuages va l’emporter,
le fleuve où son pagne s’est déjà mouillé.

Mille et mille morceaux de vitre
tombent de ses mains
mais rebondissent vers son front
meurtri par les montagnes
où naissent les vents.

Et tu assistes à son supplice quotidien
et à son labeur sans fin;
tu assistes à son agonie de foudroyé
dès que retentissent aux murailles de l’Est
les conques marines-
mais tu n’éprouves plus de pitié pour lui
et ne te souviens même plus qu’il recommence à souffrir
chaque fois que chavire le soleil.
Tu viens de relire Virgile,
tu viens aussi d’écouter les enfants
qui saluent la néoménie,
et les contes et les fables de ceux qui ne sont plus.

Est-ce l’heure bucolique,
ô coeur aspirant au repos,
coeur aussi hâlé que les roches?

Les pâtres? Ils ne sont pas ici;
leurs troupeaux? Regarde ces chèvres sauvages
aux cornes remplies de brume.
Leurs houlettes? voici que les arbres unissent leurs cimes.

Les pâtres sont là-bas, ils escaladent le ciel.
Il y a des herbes nouvelles sous leurs pas,
Il y a des fruits irréels autour d’eux,
et des sources cachées qu’ils cherchent.

Et toi, et toi, tu crois être Corydon
tandis que, devant toi, apparaît comme un Alexis
qui souffle dans les flûtes
que sont devenues toutes les branches.
Il y aura, un jour, un jeune poète
qui réalisera ton voeu impossible
pour avoir connu tes livres
rares comme les fleurs souterraines,
tes livres écrits pour cent amis,
et non pour un, et non pour mille.

Sur le golfe d’ombre où il te relira
à la seule lueur de son coeur où rebattra le tien,
il ne te croira pas
dans les houles pacifiques
dont s’empliront toujours les abysses sans soleil,
ni dans le sable, ni dans la terre rouge,
ni sous les rochers dévorés de lichens
qui s’étendront derrière lui
jusqu’au pays des vivants
aveugles et sourds depuis la Genèse.
Il lèvera la tête
et sera sûr que c’est dans l’azur,
parmi les étoiles et les vents,
que ton tombeau aura été érigé.
Que de fois relayés
et que de fois les mêmes,
dans la lumière ruisselante,
les laboureurs de l’azur?

Ont semé quelles graines,
ont planté quelles tiges
au royaume du vent,
et sur les monts arasés?

Sont en quel inconnu,
derrière quel feuillage
et sur quelle herbe haute,
près des rives du soir?

-Boivent à une source noire,
arrachent cressons et menthes,
puis, couchés sur le dos,
regardent les astres croître

jusqu’à votre éclosion,
ô glaïeuls rouges et noirs,
et jusqu’au saccage par le jour
de leurs aires aériennes.
Celle qui naquit avant la lumière,
est-ce aujourd’hui son septième jour,
aujourd’hui comme hier et comme en l’éternité
sans passé ni futur?

Elle renaît pourtant
avec le sommeil des oiseaux
et tandis que se cachent les pierres blanches
sur les sentiers qu’ont désertés les chèvres
comme sur les routes où court le silence.

Mais tu ne vois d’elle que ses myriades d’yeux,
ses yeux reptiliens et triangulaires
qui s’ouvrent un à un
entre les lianes célestes.
Au bord des ombres qui stagnent,
sur des digues
dures et nues comme les roches,
mais où croissent des herbes précoces,
des pêcheurs sans nombre s’alignent
et jettent la ligne.

Des cimes qui s’arrondissent
comme des fruits qui mûrissent,
aux vallons qui s’allongent et deviennent plus humides
que les melons,
se suscitent des fuites d’oiseaux furtifs
et des dérives de clarté aveugle
qui effraient pareillement
et empêchent de mordre.

Maîtres du destin
et ne s’inquiétant de rien,
les pêcheurs s’interpellent de leur voix d’ombre
pour tendre les filets
dans lesquels ils rendront à la mer
ces poissons d’argent et de pourpre
qui se faufilent, insaisissables, à travers l’azur.
Lente
comme une vache boiteuse
ou comme un taureau puissant
aux quatre jarrets coupés,
une grosse araignée noire sort de la terre
et grimpe sur les murs
puis s’arc-boute péniblement au-dessus des arbres,

Jette des fils qu’emporte le vent,
tisse une toile qui touche au ciel,
et tend des rets à travers l’azur.

Où sont les oiseaux multicolores?
Où sont les chantres du soleil?
-Les lueurs jaillies de leurs yeux morts de sommeil
dans leurs escarpolettes de lianes,
font revivre leurs songes et leurs résonances
en cette évanescence de lucioles
qui devient une cohorte d’étoiles
pour déjouer l’arachnéenne embûche
que déchireront les cornes d’un veau bondissant.
Pour quels fruits, pour quelles grappes
tombés dans l’herbe
et cachés par les ramilles?

Pour quelles gemmes taillées
confondues avec les cailloux
couverts de brume épaisse?

Entre des mains calleuses
et rudes comme du pain
dévoré par le soleil,
des mains faites de doigts palmés
sans couleurs,
voici des myriades de torches
à la recherche de ce qui fut perdu
sur la terre
et qui germe au milieu de la prairie de chiendents
qu’est devenu tout ce que peut embrasser le regard.
Lames d’eau, verres étincelants
-lunettes pour myope ou pour presbyte?-
velours de prunelles
lisse comme le cuir blanc des lis
et plus fragile qu’ongle d’enfant.

Les vents naissent au-delà des montagnes
et glissent jusqu’ici où dorment les plantes
qu’ils saccagent puis abandonnent.

Élan de lumière à leur poursuite
jusqu’au désert sidéral
jonché de lames d’eau, de verres
et de velours de prunelles
luisant silencieusement
et indiquant une route herbeuse
entrecoupée de fleuves caillouteux,
à cette lune borgne
qui y chancelle
et qu’égarerait le moindre tremblement de ses cils.
Tu t’es construit une tour sous le vent
puis tu t’es accroupie sur l’eau,
ô reine sans visage
dont la pointe de la couronne
défie ce-qui-deviendra-pluies,
et dont les diamants embués
sont faits d’astres, et rien que d’astres.

Ô belle âme de ce-qui-change;
ô soeur et fille, tour à tour,
de cette lune qui vient de naître
à l’orée d’un verger,
tu as bâti sous le vent
et tu habites sur l’eau
comme mes rêves de sagesse!

Que nous fera la chute brusque
de ce qui est notre royaume?

Comme ta tour, comme la mienne,
comme la perfide que foulent nos pieds,
cette joie dont pétillent nos yeux,
si elle doit bientôt s’éteindre,
ne nous reviendra-t-elle pas autre et nouvelle?
Soeurs du silence en la tristesse,
les fleurs qui n’ont que leur beauté
et leur solitude,
les fleurs- morceaux de coeur terrien
palpitant à l’unisson des nids-
dorment-elles ici, font-elles des rêves
sur la fin de leur destinée?

Les doigts
qui ne voulaient d’elles que leur jeunesse,
les doigts se sont tous joints
dans la chaude blancheur des draps-
sauf les miens qui sont si frêles
et qui savent tant choyer
les choses délicates.

Mes lèvres aussi frôlent les fleurs,
les fleurs devenues plus mystérieuses,
et plus belles, et brusquement hardies.

Et j’entends,
mêlées à la respiration des herbes,
leurs dernières confidences.
Ah! comme elles seraient douloureuses
sans ces parfums pacifiques, Seigneur,
qui s’évadent avec leur vie!
Écoute les filles de la pluie
qui se poursuivent en chantant
et glissent
sur les radeaux d’argile
ou d’herbes de glaïeuls
qui couvrent les maisons des vivants.

Elles chantent,
et leurs chants sont si passionnés
qu’ils deviennent des sanglots
et se réduisent en confidences. . .
Peut-être pour mieux faire entendre
cet appel d’oiseau qui t’émeut.

Un oiseau seul au coeur de la nuit,
et il ne craint pas d’être ravi par les ondines?
Ô miracle! ô don inattendu!
Pourquoi rentres-tu si tard?
Un autre a-t-il pris ton nid
tandis que tu étais en quête d’un rêve au bout du monde?
Il est une eau vive
qui jaillit dans l’inconnu
mais qui mouille le vent
que tu bois,
et tu aspires à sa découverte
derrière ce roc massif
détaché de quelque astre sans nom.

Tu te penches,
et tes doigts caressent le sable.
Soudain tu repenses à ton enfance
et aux images qui l’ont charmée-
surtout à celle où ces mots naïfs mais étonnants se trouvaient:
« La Vierge Aux Sept Douleurs. »

Et voici une autre eau vive
qui ne cesse de sourdre sous tes yeux,
mais qui attise ta soif:
ton ombre
-l’ombre de tes rêves-
devient septuple
et, émergeant de toi,
alourdit la nuit déjà dense.
Vaines, toutes ces anticipations
qui veulent nous donner des ailes
et qui promettent
que nous séduirons un jour quelque Martienne?

Vain aussi, le rêve
qui perdit Icare
plus que le soleil
qui but la cire merveilleuse?

Mais quel triomphe certain
m’annoncent déjà tous ces signaux
que terre et ciel s’envoient
à l’orée du sommeil:

dans nos cités de vivants
jusqu’aux plus humbles huttes
répondent aux appels de feu
jaillis des étoiles naissantes.


Dernière édition par Rita-kazem le Ven 30 Avr - 20:40, édité 1 fois
Rita-kazem
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Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 21:04

MANGUIER

A qui goûte ta pulpe où le soleil austral,
suscitant de la sève une douce saveur,
s'est tant de fois penché dans toute sa splendeur,
ô gardien du village ancestral,

ou, passant éphémère, enchantant sa langueur
loin des bruits d'Iarive, au pied du mont royal,
à qui va pénétrant le palais végétal
qu'ouvre au soir majestueux ton coeur,

dis, oh ! dis, beau manguier, qu'en tes rameaux puissants,
il est d'autres attraits que tes fruits mûrissants
ou que l'ombre où vibre la lumière !

Entr'ouvre-les parmi les pâleurs de l'azur
et que se montre aux yeux le mausolée obscur
sous lequel dort la race première !

Rita-kazem

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Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 21:04

BOUGAINVILLEA

Je te vois au tourment de l'azur bleu livrée,
liane arborescente, ardente bongainville
qui couronnes le coeur et le front de la Ville
de ta flore empourprée.

Tu résistes au temps : l'ardeur de la froidure
ni celle des soleils ne tarit ton essence,
et les ans successifs rencontrent ta puissance
où la sève perdure.

Puisse ta splendeur sombre, apparemment éteinte
quand de l'automne austral tu subis les atteintes,
aviver dans mon coeur

la piété qu'on doit aux morts que l'on oublie
et mon ferme désir de vivre en le génie
de l'Emyrne qui meurt !
Rita-kazem
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Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 21:04

AUX ARBRES

Arbres sur la colline où reposent nos morts
dont l'histoire n'est plus, pour ma race oublieuse,
que fable, et toi, vent né des zones soleilleuses
qui ranimes leur sein d'ombre humide et le mords,

ce soir, je vous contemple et mon coeur vous écoute :
votre rumeur me dit l'âme de mes aïeux
tandis que l'horizon tragique et radieux
annonce d'un beau jour la gloire et la déroute.

L'insidieuse nuit qui vient anéantir
le navire paisible et bleu de vos ramures
riche d'un chargement de quelles pulpes mûres
et de quels beaux palmiers qui pourraient reverdir,

ainsi que le silence, esclave des ténèbres,
qui prêtera son aide à son oeuvre pervers :
ah ! tout m'incitera qu'à vos mystères verts
j'offre des chants ardents, et tristes et funèbres !


Car, déjà, vous attend la cognée ou le feu,
vous qui n'avez jamais connu la grise automne
et qui ceignez encor d'admirables couronnes
le front des monts royaux, frères de l'azur bleu !
Rita-kazem
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Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 21:05

HORLOGE

Absence pure, ô l'insoupçonnée
serve soeur des ténébreuses Parques,
tous les jeux de notre destinée,
jalons sur ta route et nos coeurs, tu les marques.

Mais loin de faire de toi l'augure
inviolé, notre suffisance
veut exercer quelle dictature
sur le temps où s'oublie un peu ta présence !

Et ce n'est que lorsque le Narcisse
qui s'ignore au fond de nous encore
voit au bord d'un sombre précipice
- source vive autrefois - l'infernale aurore

parer de fleurs sa jeunesse morte,
que nous entendons se fermer une porte !
Rita-kazem
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Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 21:05

LYS

Fils de la terre et des vivants,
des morts et de la Nature,
je te préfère au parfum qui dure,
ô lys que balancent les vents.

Comme mes jours passe ta gerbe,
fille étrange de la nuit,
qui répand son éclat inouï
jusques à sa chute sur l'herbe ;

héritière sans lendemain
du royaume de la lune
elle dépense en paix sa fortune
pour le plaisir des yeux humains,

ta gerbe sans lendemain
qu'a tressée en silence la lune
Rita-kazem
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Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 21:06

CLAIR DE LUNE

Sans rossignol autre que des songes
effeuillés au coeur de la nuit bleue,
ta tristesse de reine exilée,
clair de lune qui mon front inondes,

enchantera de quelles musiques
sa nostalgie et ses sourdes peines,
soeurs en l'ennui, soeurs adultérines
de mes insidieuses fatigues ?

A ton intention sont ouvertes
mes fenêtres où bruit encore
le choeur du soir pacifique et rose
élevé dans le calme des herbes

comme à la rupture de tes charmes
le triomphe obscur de l'aube dans les palmes.
Rita-kazem
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