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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo

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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Poésie: Jean Joseph Rabearivelo

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:31

Traduit De La Nuit. (1935)

Par Jean Joseph Rabearivelo
. (1901-1937
IN MEMORIAM

FAGUS, Marcel ORMOY et Robert-Jules ALLAIN,
interrogateurs désormais d’une nuit qui ne peut se traduire que
par l’étonnement et l’angoisse de notre douleur
J.-J. R.


Pour avoir mis le pied
Sur le coeur de la nuit
Je suis un homme pris
Dans les rets étoilés.

Jules SUPERVIELLE


Une étoile pourpre
Évolue dans la profondeur du ciel-
Quelle fleur de sang éclose en la prairie de la nuit

Évolue, évolue,
Puis devient comme un cerf-volant lâché par un enfant endormi.

Paraît s’approcher et s’éloigner à la fois,
Perd sa couleur comme une fleur près de tomber,
Devient nuage, devient blanc, se réduit:
N’est plus qu’une pointe de diamant
Striant le miroir bleu du zénith
Où l’on voit déjà le leurre
Glorieux du matin nubile.
Quel rat invisible,
Venu des murs de la nuit,
Grignote le gâteau lacté de la lune?
Demain matin,
Quand il se sera enfui,
Il y aura là des traces de dents sanglantes.

Demain matin,
Ceux qui se seront enivrés toute la nuit
Et ceux qui sortiront du jeu,
En regardant la lune,
Balbutieront ainsi:
« À qui est cette pièce de quat’sous
Qui roule sur la table verte? »
« Ah! ajoutera l’un d’eux,
L’ami avait tout perdu
Et s’est tué! »

Et tous ricaneront
Et, titubant, tomberont.
La lune, elle, ne sera plus là:
Le rat l’aura emportée dans son trou.
La peau de la vache noire est tendue,
Tendue sans être mise à sécher,
Tendue dans l’ombre septuple.

Mais qui a abattu la vache noire,
Morte sans avoir mugi, morte sans avoir beuglé,
Morte sans avoir été poursuivie
Sur cette prairie fleurie d’étoiles?
La voici qui gît dans la moitié du ciel.

Tendue est la peau
Sur la boîte de résonance du vent
Que sculptent les esprits du sommeil.

Et le tambour est prêt
Lorsque se couronnent de glaïeuls
Les cornes du veau délivré
Qui bondit
Et broute les herbes des collines.

Il y résonnera,
Et ses incantations deviendront rêves
Jusqu’au moment où la vache noire ressuscitera,
Blanche et rose,
Devant un fleuve de lumière.
Ce qui se passe sous la terre,
Au nadir lointain?
Penche-toi près d’une fontaine,
Près d’un fleuve
Ou d’une source:
Tu y verras la lune
Tombée dans un trou,
Et tu t’y verras toi-même,
Lumineux et silencieux,
Parmi des arbres sans racines,
Et où viennent des oiseaux muets.
Tu dors, ma bien-aimée;
tu dors dans ses bras, ô ma dernière née.
Je ne vois pas vos yeux lourds de nuit
qui d’ordinaire s’irisent comme des perles authentiques
ou des raisins mûrs.

Une bouffée de bon vent entr’ouvre notre porte,
fait gonfler vos robes légères
et trembler vos cheveux,
puis emporte un papier de sur ma table
que je rattrape près du seuil.

Je lève ma tête,
le poème commencé dans la main:
vos yeux clignotent dans l’azur,
et je les appelle: étoiles.
Un oiseau sans couleur et sans nom
a replié les ailes
et blessé le seul oeil du ciel.

Il se pose sur un arbre sans tronc,
tout en feuilles
que nul vent ne fait frémir
et dont on ne cueille pas les fruits, les yeux ouverts.

Que couve-t-il?
Quand il reprendra son vol,
ce sont des coqs qui en sortiront:
les coqs de tous les villages
qui auront vaincu et dispersé
ceux qui chantent dans les rêves
et qui se nourrissent d’astres.
Reflux de la lumière océane.
Des poulpes, dans leur fuite,
noircissent le sable
avec leur bave épaisse;
mais d’innombrables petits poissons
qui ressemblent à des coquillages d’argent,
ne pouvant échapper,
s’y débattent:
ils sont pris dans les rets
tendus par des algues ténébreuses
qui deviennent des lianes
et envahissent la falaise du ciel.
La dévote a fini ses versets quotidiens
et vient écouter ses enfants qui apprennent à haute voix
leurs leçons bibliques
sur la vérandah.
On dirait une cascade lointaine
sautant quelque rocher moussu,
là-bas, derrière les collines,
ou des chrétiens surpris par l’ombre
récitant des surates musulmanes
sous le ciel pacifique.

Moi,
par les interstices des feuilles qui en retombent
comme des larmes noires qui ne cessent de couler,
je ne puis rien discerner
et n’entends que des bribes de paroles
où reviennent souvent les mots: Égypte
et Israël.

Je me hausse sur une motte de terre
fleurant l’herbe foulée,
et j’écarte la verdure qui me gêne les yeux;
un petit oiseau migrateur sanglote près de la cime;
et je lève la tête;
mais ce sont les étoiles que je vois:
bulbeuses comme les aulx,
mouchetées comme les cailles,
elles me rappellent les prières que je viens de confondre,
et, dans le désert de l’azur imérinien
où il me semble que l’exode
refuit les Pharaons,
voilà que les Religions se rencontrent -
et toi aussi, ô mienne, ô Poésie!
Les ruches secrètes sont alignées
près des lianes du ciel,
parmi des nids lumineux.

Butinez-y, abeilles de mes pensées,
petites abeilles ailées de son
dans la nue enceinte de silence;
chargez-vous de propolis
parfumée d’astres et de vent:
nous en calfeutrerons toute fente
communiquant au tumulte de la vie.

Chargez-vous aussi de pollen stellaire
pour les prairies de la terre;
et demain, lorsque s’y noueront
les roses sauvages de mes poèmes,
nous aurons des cynorrhôdons aériens
et des semences sidérales.
Te voilà,
debout et nu!
Limon tu es et t’en souviens;
mais tu es en vérité l’enfant de cette ombre parturiante
qui se repaît de lactogène lunaire,
puis tu prends lentement la forme d’un fût
sur ce mur bas que franchissent les songes des fleurs
et le parfum de l’été en relâche.

Sentir, croire que des racines te poussent aux pieds
et courent et se tordent comme des serpents assoiffés
vers quelque source souterraine,
ou se rivent dans le sable
et déjà t’unissent à lui, toi, ô vivant,
arbre inconnu, arbre non identifié,
Qui élabores des fruits que tu cueilleras toi-même.

Ta cime,
dans tes cheveux que le vent secoue,
cèle un nid d’oiseaux immatériels;
et lorsque tu viendras coucher dans mon lit
et que je te reconnaîtrai, ô mon frère errant,
ton contact, ton haleine et l’odeur de ta peau
susciteront des bruits d’ailes mystérieuses
jusqu’aux frontières du sommeil.
Combien de jumeaux sont-ils, les vents?
Ils sont tous espiègles,
ils se poursuivent en sortant de l’herbe,
escaladent les murs devenus doubles,
sautent par-dessus les toits où se recueillera la rosée,
se voûtent sur les collines
et y secouent de hauts arbres immatériels
d’où se dispersent des oiseaux
aux yeux de verre
qui n’ont de nids nulle part,
et des baies rondes comme des blocs de quartz
qui ne se peuvent reproduire sur terre,
et se dissolvent en étoiles filantes.
Pour les pauvres dévorés de punaises aussi grosses que le ciel,
pour les exilés qui errent,
venant de la cité du jour,
et pour les rebelles et pour les déserteurs
de l’armée ombreuse montant de la terre,
que veulent faire ces élans de palmiers sans nombre
reluisant comme autant de manches de sagaies enduits de graisse végétale,
qui s’élancent immobiles
et dépassent toutes les maisons
jusqu’à ce que leurs cimes,
résonnant de songes de ramiers,
parviennent au toit du monde?

Ils y ondulent, s’écrasent, puis s’effeuillent,
mais ne reviennent pas parmi les vivants,
et s’entassent dans le désert des étoiles,
et deviennent des huttes innombrables
pour les mendiants sans litière,
pour les captifs vêtus de leur seule peau puant la poussière,
et pour tous les oiseaux sans nid
qui seront délivrés ensemble.
Toutes les saisons sont abolies
dans ces zones inexplorées,
qui occupent la moitié du monde
et la parent de floraisons inconnues
et de nul climat.

Poussée de sang végétal provisoire
dans un enchevêtrement de lianes ténébreuses
où est captif tout élan de branches vives.
Déroute d’oiseaux devenus étrangers
et ne reconnaissant plus leur nid,
puis heurts d’ailes- éclairs-
contre des rochers de brume
surgis du sol
qui n’est ni chaud ni froid
comme la peau de ceux qui s’étendent
loin de la vie et de la mort.
Voici
celle dont les yeux sont des prismes de sommeil
et dont les paupières sont lourdes de rêves,
celle dont les pieds sont enfoncés dans la mer
et dont les mains gluantes en sortent
pleines de coraux et de blocs de sel étincelants.

Elle les mettra en petits tas près d’un golfe de brouillard
et les débitera à des marins nus
auxquels on a coupé la langue,
jusqu’à ce que tombe la pluie.

Elle ne sera plus alors visible,
et l’on ne verra plus
que sa chevelure dispersée par le vent;
comme une pelote d’algues qui se dévide
et peut-être aussi des grains de sel insipide.
Tu te leurres,
toi qui as l’air d’un petit oiseau
égaré dans la forêt neigeuse qui va
jusqu’à la poitrine de Tagore,
de Whitman et de Jammes
qui remplacent le Christ sur ta couche,
puisque ce n’est pas la vieillesse du monde
ni celle du jour plusieurs fois millénaire
qui caresse ici sa barbe blanche
et épaisse comme l’oubli,
comme l’espoir et comme la brume des matins torrides,
là-bas, sur toutes les montagnes,
astrologue interrogeant les étoiles
et fumant une pipe en terre,
c’est sa jeunesse, ô mon enfant,
sa jeunesse éternelle:
métamorphosée
(peut-être grâce au chant des poètes que tu préfères
et qui créent pour toi une religion
dans ce silence sans fond
peuplé de colonnes et de fleuves,
de vivants et de morts)
elle n’est plus que l’ombre de tout le passé
et n’écoute que le seul présent.
Il est des mains rouillées sans nombre,
-ondes, ombres, fumées -
qui sarclent et marcottent
dans un buisson de framboisiers,
envahi d’herbes à hauteur de géant
d’où ne sortent que des oiseaux aveugles.

Que récoltent-elles, une fois lasses?
Qu’y aura-t-il entre leurs doigts de vent?
Des molles baies noires à force d’être rouges
sont déjà devenues d’innombrables champignons
au bord de ce fleuve sans piroguiers
pour embarquer tous ces paniers de fruits nocturnes.
Le vitrier nègre
dont nul n’a jamais vu les prunelles sans nombre
et jusqu’aux épaules de qui personne ne s’est encore haussé,
cet esclave tout paré de perles de verroterie,
qui est robuste comme Atlas
et qui porte les sept ciels sur sa tête,
on dirait que le fleuve multiple des nuages va l’emporter,
le fleuve où son pagne s’est déjà mouillé.

Mille et mille morceaux de vitre
tombent de ses mains
mais rebondissent vers son front
meurtri par les montagnes
où naissent les vents.

Et tu assistes à son supplice quotidien
et à son labeur sans fin;
tu assistes à son agonie de foudroyé
dès que retentissent aux murailles de l’Est
les conques marines-
mais tu n’éprouves plus de pitié pour lui
et ne te souviens même plus qu’il recommence à souffrir
chaque fois que chavire le soleil.
Tu viens de relire Virgile,
tu viens aussi d’écouter les enfants
qui saluent la néoménie,
et les contes et les fables de ceux qui ne sont plus.

Est-ce l’heure bucolique,
ô coeur aspirant au repos,
coeur aussi hâlé que les roches?

Les pâtres? Ils ne sont pas ici;
leurs troupeaux? Regarde ces chèvres sauvages
aux cornes remplies de brume.
Leurs houlettes? voici que les arbres unissent leurs cimes.

Les pâtres sont là-bas, ils escaladent le ciel.
Il y a des herbes nouvelles sous leurs pas,
Il y a des fruits irréels autour d’eux,
et des sources cachées qu’ils cherchent.

Et toi, et toi, tu crois être Corydon
tandis que, devant toi, apparaît comme un Alexis
qui souffle dans les flûtes
que sont devenues toutes les branches.
Il y aura, un jour, un jeune poète
qui réalisera ton voeu impossible
pour avoir connu tes livres
rares comme les fleurs souterraines,
tes livres écrits pour cent amis,
et non pour un, et non pour mille.

Sur le golfe d’ombre où il te relira
à la seule lueur de son coeur où rebattra le tien,
il ne te croira pas
dans les houles pacifiques
dont s’empliront toujours les abysses sans soleil,
ni dans le sable, ni dans la terre rouge,
ni sous les rochers dévorés de lichens
qui s’étendront derrière lui
jusqu’au pays des vivants
aveugles et sourds depuis la Genèse.
Il lèvera la tête
et sera sûr que c’est dans l’azur,
parmi les étoiles et les vents,
que ton tombeau aura été érigé.
Que de fois relayés
et que de fois les mêmes,
dans la lumière ruisselante,
les laboureurs de l’azur?

Ont semé quelles graines,
ont planté quelles tiges
au royaume du vent,
et sur les monts arasés?

Sont en quel inconnu,
derrière quel feuillage
et sur quelle herbe haute,
près des rives du soir?

-Boivent à une source noire,
arrachent cressons et menthes,
puis, couchés sur le dos,
regardent les astres croître

jusqu’à votre éclosion,
ô glaïeuls rouges et noirs,
et jusqu’au saccage par le jour
de leurs aires aériennes.
Celle qui naquit avant la lumière,
est-ce aujourd’hui son septième jour,
aujourd’hui comme hier et comme en l’éternité
sans passé ni futur?

Elle renaît pourtant
avec le sommeil des oiseaux
et tandis que se cachent les pierres blanches
sur les sentiers qu’ont désertés les chèvres
comme sur les routes où court le silence.

Mais tu ne vois d’elle que ses myriades d’yeux,
ses yeux reptiliens et triangulaires
qui s’ouvrent un à un
entre les lianes célestes.
Au bord des ombres qui stagnent,
sur des digues
dures et nues comme les roches,
mais où croissent des herbes précoces,
des pêcheurs sans nombre s’alignent
et jettent la ligne.

Des cimes qui s’arrondissent
comme des fruits qui mûrissent,
aux vallons qui s’allongent et deviennent plus humides
que les melons,
se suscitent des fuites d’oiseaux furtifs
et des dérives de clarté aveugle
qui effraient pareillement
et empêchent de mordre.

Maîtres du destin
et ne s’inquiétant de rien,
les pêcheurs s’interpellent de leur voix d’ombre
pour tendre les filets
dans lesquels ils rendront à la mer
ces poissons d’argent et de pourpre
qui se faufilent, insaisissables, à travers l’azur.
Lente
comme une vache boiteuse
ou comme un taureau puissant
aux quatre jarrets coupés,
une grosse araignée noire sort de la terre
et grimpe sur les murs
puis s’arc-boute péniblement au-dessus des arbres,

Jette des fils qu’emporte le vent,
tisse une toile qui touche au ciel,
et tend des rets à travers l’azur.

Où sont les oiseaux multicolores?
Où sont les chantres du soleil?
-Les lueurs jaillies de leurs yeux morts de sommeil
dans leurs escarpolettes de lianes,
font revivre leurs songes et leurs résonances
en cette évanescence de lucioles
qui devient une cohorte d’étoiles
pour déjouer l’arachnéenne embûche
que déchireront les cornes d’un veau bondissant.
Pour quels fruits, pour quelles grappes
tombés dans l’herbe
et cachés par les ramilles?

Pour quelles gemmes taillées
confondues avec les cailloux
couverts de brume épaisse?

Entre des mains calleuses
et rudes comme du pain
dévoré par le soleil,
des mains faites de doigts palmés
sans couleurs,
voici des myriades de torches
à la recherche de ce qui fut perdu
sur la terre
et qui germe au milieu de la prairie de chiendents
qu’est devenu tout ce que peut embrasser le regard.
Lames d’eau, verres étincelants
-lunettes pour myope ou pour presbyte?-
velours de prunelles
lisse comme le cuir blanc des lis
et plus fragile qu’ongle d’enfant.

Les vents naissent au-delà des montagnes
et glissent jusqu’ici où dorment les plantes
qu’ils saccagent puis abandonnent.

Élan de lumière à leur poursuite
jusqu’au désert sidéral
jonché de lames d’eau, de verres
et de velours de prunelles
luisant silencieusement
et indiquant une route herbeuse
entrecoupée de fleuves caillouteux,
à cette lune borgne
qui y chancelle
et qu’égarerait le moindre tremblement de ses cils.
Tu t’es construit une tour sous le vent
puis tu t’es accroupie sur l’eau,
ô reine sans visage
dont la pointe de la couronne
défie ce-qui-deviendra-pluies,
et dont les diamants embués
sont faits d’astres, et rien que d’astres.

Ô belle âme de ce-qui-change;
ô soeur et fille, tour à tour,
de cette lune qui vient de naître
à l’orée d’un verger,
tu as bâti sous le vent
et tu habites sur l’eau
comme mes rêves de sagesse!

Que nous fera la chute brusque
de ce qui est notre royaume?

Comme ta tour, comme la mienne,
comme la perfide que foulent nos pieds,
cette joie dont pétillent nos yeux,
si elle doit bientôt s’éteindre,
ne nous reviendra-t-elle pas autre et nouvelle?
Soeurs du silence en la tristesse,
les fleurs qui n’ont que leur beauté
et leur solitude,
les fleurs- morceaux de coeur terrien
palpitant à l’unisson des nids-
dorment-elles ici, font-elles des rêves
sur la fin de leur destinée?

Les doigts
qui ne voulaient d’elles que leur jeunesse,
les doigts se sont tous joints
dans la chaude blancheur des draps-
sauf les miens qui sont si frêles
et qui savent tant choyer
les choses délicates.

Mes lèvres aussi frôlent les fleurs,
les fleurs devenues plus mystérieuses,
et plus belles, et brusquement hardies.

Et j’entends,
mêlées à la respiration des herbes,
leurs dernières confidences.
Ah! comme elles seraient douloureuses
sans ces parfums pacifiques, Seigneur,
qui s’évadent avec leur vie!
Écoute les filles de la pluie
qui se poursuivent en chantant
et glissent
sur les radeaux d’argile
ou d’herbes de glaïeuls
qui couvrent les maisons des vivants.

Elles chantent,
et leurs chants sont si passionnés
qu’ils deviennent des sanglots
et se réduisent en confidences. . .
Peut-être pour mieux faire entendre
cet appel d’oiseau qui t’émeut.

Un oiseau seul au coeur de la nuit,
et il ne craint pas d’être ravi par les ondines?
Ô miracle! ô don inattendu!
Pourquoi rentres-tu si tard?
Un autre a-t-il pris ton nid
tandis que tu étais en quête d’un rêve au bout du monde?
Il est une eau vive
qui jaillit dans l’inconnu
mais qui mouille le vent
que tu bois,
et tu aspires à sa découverte
derrière ce roc massif
détaché de quelque astre sans nom.

Tu te penches,
et tes doigts caressent le sable.
Soudain tu repenses à ton enfance
et aux images qui l’ont charmée-
surtout à celle où ces mots naïfs mais étonnants se trouvaient:
« La Vierge Aux Sept Douleurs. »

Et voici une autre eau vive
qui ne cesse de sourdre sous tes yeux,
mais qui attise ta soif:
ton ombre
-l’ombre de tes rêves-
devient septuple
et, émergeant de toi,
alourdit la nuit déjà dense.
Vaines, toutes ces anticipations
qui veulent nous donner des ailes
et qui promettent
que nous séduirons un jour quelque Martienne?

Vain aussi, le rêve
qui perdit Icare
plus que le soleil
qui but la cire merveilleuse?

Mais quel triomphe certain
m’annoncent déjà tous ces signaux
que terre et ciel s’envoient
à l’orée du sommeil:

dans nos cités de vivants
jusqu’aux plus humbles huttes
répondent aux appels de feu
jaillis des étoiles naissantes.


Dernière édition par Rita-kazem le Ven 30 Avr - 20:40, édité 1 fois
Rita-kazem
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Presque-Songes: Jean Joseph Rabearivelo

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:32

Presque-Songes. (1934)Par Jean Joseph Rabearivelo. (1901-1937)

Lire.
Ne faites pas de bruit, ne parlez pas:
vont explorer une forêt les yeux, le coeur,
l’esprit, les songes. . .

Forêt secrète bien que palpable:
forêt.

Forêt bruissant de silence,
Forêt où s’est évadé l’oiseau à prendre au piège,
l’oiseau à prendre au piège qu’on fera chanter
ou qu’on fera pleurer.

À qui l’on fera chanter, à qui l’on fera pleurer
le lieu de son éclosion.

Forêt. Oiseau.
Forêt secrète, oiseau caché
dans vos mains.
Rita-kazem
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Été.

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:33

Été.
Sème, sème l’été,
sème des grains d’eau lumineux.
Plante, plante l’été,
plante des tiges d’eau frêles.
Sème, sème, plante, plante,
sème et plante dans le crépuscule.
Qui ou quoi moissonnera les épis?
Qui ou quoi cueillera les fruits?
Est-ce le petit oiseau brûlé de soif
venu des sylves gorgées de cours d’eau pure
celée, celée sous des ronces?
Ou l’abeille qui est comme ivre de soleil
et qui titube au coeur des branches?
Ou la femme-enfant qui vient de dénouer sa chevelure
et qui a lavé des effets au bord du fleuve?
Ou bien une source, quelque part, s’est-elle tarie
au point que son jaillissement éteint regrette les fleuves?

Mais n’est-ce pas plutôt qu’un fleuve bruissant,
ici ou là, n’arrive plus jusqu’au golfe,
et n’arrive plus à grossir la mer?
Ou que la plantation de ceux qui sont sous la terre
devient deux fois ombre dans les ténèbres?
Je crois, moi, que ce sont les plantes
qui brûlent d’offrir à mes yeux parfois bleus,
et brûlent d’offrir au jour frais éclos
qui fermera ses ailes au seuil de la nuit,
des épis et des fruits fécondés par l’été.
Rita-kazem
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Les Trois Oiseaux.

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:33

Les Trois Oiseaux.
L’oiseau de fer, l’oiseau d’acier,
après avoir lacéré les nuages du matin
et voulu picorer des étoiles
au-delà du jour,
descend comme à regret
dans une grotte artificielle.

L’oiseau de chair, l’oiseau de plumes
qui creuse un tunnel dans le vent
pour parvenir jusqu’à la lune qu’il a vue en rêve
dans les branches,
tombe en même temps que le soir
dans un dédale de feuillage.
Celui qui est immatériel, lui,
charme le gardien du crâne
avec son chant balbutiant,
puis ouvre des ailes résonnantes
et va pacifier l’espace
pour n’en revenir qu’une fois éternel.
Rita-kazem
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Le Bien Vieux.

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:34

Le Bien Vieux.
J’avais bien vu des vieux et des vieux
avant de placer mes deux mains
dans celles de celui qui sait lire le Sort
dans les paumes,
avant de les lui offrir
pour qu’il y cherchât les monts et les plaines
cultivés par mon étoile.

J’avais vu des vieux et des vieux,
mais pas un comme celui-là.

La Nuit De Ses Cheveux D’Antan
était remplacée par la pleine lune de sa calvitie,
entourée d’un mince buisson blanc;
et sa bouche qui ne savait plus parler
qu’aux ancêtres qui l’attendaient,
balbutiait comme celle d’un enfant,
bien qu’elle révélât l’Inconnu.

Que pouvaient encore voir ses yeux lourds des jours vécus?
Captive y était sa jeunesse!
Captive sans espoir d’évasion!

Et quand il me regarda, quand il explora les monts et les plaines
dans le creux de mes mains,
quand son regard éteint croisa le mien
et y devina une flamme pacifique,
je crois encore que sa jeunesse s’y débattait,
s’y débattait en pure perte!

Mais non! la captive put briser ses liens
et fut délivrée:
elle était réincarnée dans la mienne,
selon la croyance du bien vieux
qui se mirait en moi.
Rita-kazem
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Fièvre Des Iles.

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:34

Fièvre Des Iles.
Le soleil s’est-il brisé sur ta tête
pour que tu sentes ses éclats s’enfoncer
dans l’arbre qui soutient ton dos,
puis vriller à sec dans les branches de ton corps?
Ton crâne est un énorme fruit vert que mûrit
la canicule de tous les Tropiques-
de tous les Tropiques, mais sans la fraîcheur
de leurs palmiers ni de leur brise marine!

Ta gorge est sèche, tes yeux s’enflamment;
et voici que tu vois, au-delà de ce que voient les hommes,
tous les Tropiques:
voici des makis parés comme des mariés;
leurs quatre mains sont chargées de régimes de bananes,
et chargées de fleurs jamais vues par ceux qui ne sont pas des gens
de forêts;
et, parmi leur voix heureuse de se baigner au soleil,
voici tout le tumulte des cascades.

Mais, simultanément,
est-ce la glace de la terre qui t’appelle
qui déjà t’enveloppe tout entier,
pour que tu sentes ce frisson à travers tout ton être,
et pour que tu sembles vouloir te cacher sous les nuages du ciel,
et sous toutes les feuilles des sylves insulaires,
et sous toutes leurs lourdes brumes,
et sous les dernières pluies au parfum de lait brûlé.

Scelle fortement tes lèvres afin que n’en sorte
aucune des choses que tu vois,
mais que ne voient pas les autres!
Que te berce cet écho qui s’amplifie
dans tes oreilles,
lesquelles sont devenues deux coquillages jumeaux
où palpite la mer qui t’entoure,
ô jeune enfant des îles!
Rita-kazem
Rita-kazem

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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Fruits.

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:34

Fruits.
Tu peux choisir
entre les fruits de la saison parfumée;
mais voici ce que je te propose:
deux mangues dodues
où tu pourras téter le soleil qui s’y est fondu.
Que prendras-tu?
Est-ce celle-ci qui est aussi double et ferme
que des seins de jeune fille,
et qui est acide?
Ou celle-là qui est pulpeuse et douce comme un gâteau de miel?
L’une ne sera que violentes délices,
mais n’aura pas de postérité,
et sera étouffée par les herbes.
L’autre,
source jaillissant de rocher,
rafraîchira ta gorge
puis deviendra voûte bruissante dans ta cour,
et ceux qui y viendront y cueilleront des éclats de soleil.
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Images Lunaires.

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:35

Images Lunaires.
Clair de lune, clair de lune- et après?
Ne bois pas trop le lait qui fuit
du pis de cette chienne sauvage et borgne
qui aboie dans les ruines du ciel
comme pour appeler du fond du désert de la nuit
son innombrable progéniture
dont s’ouvrent les yeux en myriades d’étoiles.

Clair de lune, clair de lune- et après?
Le vent lui-même est laiteux
qui ébranle les ombres sculptées
sur le sol
et augmente le nombre des âmes
visibles de toutes les choses
qui semblent fuir l’aboiement silencieux
mais résonnant partout.

Clair de lune, clair de lune - et après?

Vois-tu ces oiseaux pacifiques
qui grandissent au coeur du paysage fantomatique?
Ils paissent l’ombre,
ils picorent la nuit.

De quoi donc leur jabot sera-t-il rempli
lorsque deviendront des chants dans le leur
les épis de riz et de maïs
ravis par les coqs?

Clair de lune, clair de lune- et après?

Moi, je ne suis plus assez jeune
pour chercher une soeur lunaire dehors
après les rondes enfantines:
je tiendrai mes enfants dans mes bras jusqu’à ce qu’ils s’endorment,
et il est des livres que je lirai avec ma femme
jusqu’à ce que la lune change
et devienne pour nous elle-même
en l’attente de l’aube
qui nous surprendra aux rives du sommeil.
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Le Boeuf-Blanc.

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:35

Le Boeuf-Blanc.
Cette constellation en forme de croix est-elle l’Étoile du Sud?
Je préfère l’appeler Boeuf-blanc, comme les Arabes.

Il vient d’un parc s’étendant au bord du soir
et s’engage entre deux voies lactées.

Le fleuve de la lumière ne l’a pas désaltéré,
et le voici qui boit avidement au golfe des nébuleuses.

Étant un éphèbe aveugle dans les régions du jour,
il n’a pu rien y caresser avec ses cornes;
mais, maintenant que des fleurs naissent aux prairies de la nuit
et que la lune les broute en bondissant comme une taure,
ses yeux recouvrent la vue, et il paraît plus fort que les boeufs bleus
et les boeufs sauvages qui dorment dans nos déserts.
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Re: Poésie: Jean Joseph Rabearivelo

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:36

Naissance Du Jour.
Avez-vous déjà vu l’aube aller en maraude
au verger de la nuit?
La voici qui en revient
par les sentes de l’Est
envahies des glaïeuls en fleurs:
elle est toute entière maculée de lait
comme ces enfants élevés jadis par des génisses;
ses mains qui portent une torche
sont noires et bleues comme des lèvres de fille
mâchant des mûres.

S’échappent un à un et la précèdent
les oiseaux qu’elle a pris au piège.
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Re: Poésie: Jean Joseph Rabearivelo

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:36

Autre Naissance Du Jour.
On ne sait si c’est de l’Est ou de l’Ouest
qu’est venu le premier appel;
mais maintenant,
dans leurs huttes transpercées par les étoiles
et les autres sagaies des ténèbres,
les coqs se dénombrent,
soufflent dans des conques marines
et se répondent de partout
jusqu’au retour de celui qui est allé dormir dans l’océan
et jusqu’à l’ascension de l’alouette
qui va à sa rencontre avec des chants
imbus de rosée.








Une Autre.
Fondues ensemble toutes les étoiles
dans le creuset du temps,
puis refroidies dans la mer
et sont devenues un bloc de pierre à facettes.
Lapidaire moribonde, la nuit,
y mettant tout son coeur
et tout le regret qu’elle a de ses meules
qui se désagrègent, se désagrègent
comme cendres au contact du vent,
taille amoureusement le prisme.

Mais c’est une stèle lumineuse
que l’artiste aura érigée sur sa tombe invisible.
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Flûtistes

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:37

Flûtistes.
Ta flûte,
tu l’as taillée dans un tibia de taureau puissant,
et tu l’as polie sur les collines arides
flagellées de soleil;

sa flûte,
il l’a taillée dans un roseau tremblotant de brise,
et il l’a perforée au bord d’une eau courante
ivre de songes lunaires.

Vous en jouez ensemble au fond du soir,
comme pour retenir la pirogue sphérique
qui chavire aux rives du ciel;
comme pour la délivrer
de son sort;
mais vos plaintives incantations
sont-elles entendues des dieux du vent,
et de la terre, et de la forêt,
et du sable?


Ta Flûte
tire un accent où se perçoit la marche d’un taureau furieux
qui court vers le désert
et en revient en courant,
brûlé de soif et de faim,
mais abattu par la fatigue
au pied d’un arbre sans ombre,
ni fruit, ni feuilles.

Sa Flûte
est comme un roseau qui se plie
sous le poids d’un oiseau de passage-
non d’un oiseau pris par un enfant
et dont les plumes se dressent,
mais d’un oiseau séparé des siens
qui regarde sa propre ombre, pour se consoler,
sur l’eau courante.

Ta flûte
et la sienne-
elles regrettent leurs origines
dans les chants de vos peines.
Rita-kazem
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Vers Le Bonheur.

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:42

Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Moz-screenshotPoésie: Jean Joseph Rabearivelo Moz-screenshot-1Vers Le Bonheur.
à G. Henri de Brugada.

Fuyons la plage d'Elseneur,
coeur las de rêve inachevé
et las de rêve non rêvé,
ô coeur avide de bonheur !

Débris épars et vain de palme :
le seul butin de l'aventure !
Pourquoi ce signe en la mâture
d'aucun voyage en golfe calme ?

J'ai découvert un nouveau port
où souffle un vent heureux et pur.
Une embellie est en l'azur
où ne s'annonce nulle mort.

Voici, des portes de l'aurore
natale, notre âme première :
inondons-nous de sa lumière
où notre entité s'élabore.-






C'est toi, regard de mon enfant,
c'est vous, mes livres, et c'est toi,
soleil qui danses sur mon toit,
guerrier de l'ombre triomphant.

Ah ! faut-il plus pour que j'aborde
en ton port, Bonheur, ô mirage,
sans qu'en chemin quelque naufrage
rompe mes voiles et les torde ?

N'importe ! Qu'un plus beau steamer
parte parmi l'or du matin !
Nous ferons plus riche butin
aux rives claires du Bonheur !

Fuyons la plage d'Elseneur.
Rita-kazem
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty MÉDITATIONS

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:42

MÉDITATIONS

I - D'UN MATIN


Ton coq rouge a troublé le sommeil de l'aurore
qui, jeune fille aux yeux lourds encore de songe,
verse l'or de son front, verse sa toison blonde
sur la toiture rose.

Belle ! et vous êtes seuls à demeurer au lit
où l'ombre atténuée estompe son ton bleu !
Est-ce pour mieux jouir de l'amour absolu,
est-ce la peur de voir votre rêve exilé ?

Sortez de la torpeur des sens, du sang, de l'âme
et venez avec moi résoudre le dilemme
du bonheur à choisir.

Lequel : ce vent de fleurs qui nous vient du coeur sombre
des bois et des vallons ? ou bien, sans s'interrompre,
la naissance et la mort du nuage en l'azur ?



II - D'UN SOIR

Salut, - qui sait ? adieu ! - front que le crépuscule
révèle dans son songe ardent à ma pensée,
lauré de fleurs en panicule
pour enchanter l'ennui de mon âme lassée !

Ou bien qu'il me dérobe, ombre sur ta lumière,
ô fierté de mon coeur ivre de ta jeunesse,
et me fait pour la fois dernière
entrevoir, sans jouir d'une ultime caresse !

Mais doublons la cloison qui nous tient séparés,
objet de mon bonheur sinon de mes regrets,
décevante apparition,


pour ne point disputer au soleil qui s'éteint
cette heure qui recèle en elle ton destin
et trouble ma décision.
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty CHANT PATERNEL

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:43

CHANT PATERNEL

Tu règles mon humeur à l'égal de mes livres,
ô regard défendu du Sort et de son leurre,
regard de mon enfant, noir ou bleu selon l'heure,
regard qui dans la paix encore te délivres !

Le rythme intérieur qui conduit ta musique
m'enchante, ô cher regard, à tel point, que j'oublie
de rechercher en toi la lumière abolie
que veut y retrouver mon âme nostalgique-

Et j'ai vécu cet âge aussi !.. Mais les seuls charmes
que m'offre le Présent en ses minutes calmes
m'ont fait perdre jusqu'aux notions du Passé !

Je ne cherche pas même à t'entr'ouvrir, ô porte
close entre le Futur obscur et mon penser
couronné ce matin de nulle rose morte !
Rita-kazem
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty FÉTICHE

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:43

FÉTICHE

Débris de glace, ô regard absent
qui fixes la présence du monde
sur ce fétiche nègre au gros sein
détaché de quelque flore blonde,

ne dépendant jamais plus du sort,
à présent, tu règles, selon mainte
crédulité, la vie et la mort
de tes fidèles dans la tourmente ;

quel plaisir snob m'incita pourtant,
sans compter sur toi pour mon destin,
à t'ériger au sein de mes livres

alors que sur cet autel pollu,
regrettant ton règne révolu,
à jamais se sont closes tes lèvres ?
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty LIVRES

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:44

LIVRES

Nous n'avons nul vaisseau, mais vous y suppléez
pour passer l'océan de notre lassitude,
ô livres de partout sur ma table échoués,
golfe calme paré d'ombre et de solitude.

Cette claire embellie et cet espoir, c'est vrai-
Mais pour quel continent romprons-nous les amarres
sans qu'au terme du voyage quelque regret
ne détourne la proue et la poupe des phares ?

Et puis, voiliers partant, au rythme de l'esprit,
pour le pays de l'âme et par le coeur fleuri,
j'ai peur d'abandonner une part de moi-même

au souffle astucieux et perfide des flots
où le vent, le naufrage et la mort sont enclos,
menaçant d'engloutir ma charge de poème !
Rita-kazem
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty HERODIADE

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:44

HERODIADE

O beaux vers plus obscurs que les diamants noirs,
vous exercez sur moi la plus grande attirance
et savez m'enivrer avec votre fragrance
de rose épanouie au front ombreux des soirs !

Des soirs ! mais imprégnés de quelle aube future
ouverte sur mon coeur et promise à mes sens
que désole la mort des jours adolescents
sous un flot de lumière insinuante et dure !

Un rapport fugitif dans mon âme éveillé
du monde le plus feint au monde dépouillé,
envoûte mon esprit qu'il charme et déconcerte,

tandis que s'y prolonge un arrière-matin
dont je te vois languir, nourrice du Destin-
Et c'est pour moi, pour moi, que tu fleuris, déserte !
Rita-kazem
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty VILLE MORTE

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:44

VILLE MORTE

Plongeant éperdument mon vaste front de cuivre
dans ton immensité de silence et de sable,
ô paysage bleu, triste et doux, je m'enivre
mais, me sachant plus vain, me crois plus périssable !

Leçon d'humilité, leçon de modestie
ton néant surpeuplé d'autant d'oublis que d'ombres,
et jusqu'à ta ruine elle-même engloutie
sous un flot grandissant de sauvages concombres,

tout dit, en ta rechute au sein de la nature,
la destinée ancienne, et présente, et future
de l'oeuvre suscité par l'homme et son esprit !

Et le peu qui te fait survivre en ma pensée
n'est que ma piété pour ce qui a péri,
liane en fleur au ras d'une tombe enlacée !
Rita-kazem
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty SAGESSE

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:45

SAGESSE

Croy-moi, vivons au gré de nos désirs.
Maynard.

I. - Tâche de prendre garde à la douceur des choses,
jeune homme qui relis l'amer P.-J. Toulet
devant un vieux tombeau couvert d'ombre de roses,
et ne suis que le fil du rêve qui te plaît.

Ce rêve entretenu pour oublier la vie,
qui sait exorciser ta crainte de mourir
et te libère ainsi de la mélancolie
de penser à ta chair destinée à périr.

L'âme seule survit : le battement intense
de ton coeur qui te trouble au fond de ce silence
vibrant des chants éteints de nos oiseaux de feu,

ni l'éclat de ce ciel dont séduit la jeunesse,
n'offre d'être éternel l'assurante promesse,
et la vie, en ses fards et plaisirs, n'est qu'un jeu !






II. - Plaisirs, mes chers plaisirs, pâture pour l'Oubli
mais que dispute encor la volonté de vivre,
avant que votre règne ardent soit aboli
et, désertant mon coeur fougueux, me désenivre ;

avant que, décimant l'arbre de ma vigueur,
la force des ans souffle au coeur de ma jeunesse ;
avant de ne plus voir se nouer que le choeur
des Ombres dont le front est marqué de sagesse,

cueillons la fleur du temps pour l'offrir au Destin
- pureté de rosée immolée au matin -
et savourons les fruits mûrissants qui se cueillent.

qu'importe à Salomon l'atteinte de la mort ?
aux dépouilles du lys, les vents qui les effeuillent ?
puisqu'ils peuvent mourir heureux et sans remord !
Rita-kazem
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Re: Poésie: Jean Joseph Rabearivelo

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:46

La
Guirlande à l'Amitié

(envois de Sylves).

POUR UNE OMBRE

In memoriam Samuel Ratany

O toi qui l'aurais lu pour sa grande tendresse
et qui l'aurais aimé pour le noble dédain
qu'il a devant les fleurs motres de ma jeunesse
et les fanes couvrant le coeur de mon jardin ;

toi vers qui mon regard s'élance en pure perte,
interrogeant en vain l'espace élysien,
et revient égaré, chargé d'ombre et d'alerte,
nef ayant fait naufrage et perdu corps et bien ;

force, force, ce soir, la porte épouvantable
qui te garde captif d'un sort désenchantant !
Entretiens le silence et le deuil de ma table
où ce livre d'amour et de fierté t'attend !

Que ton ombre s'abreuve, en parcourant ses pages,
du sang jailli d'un rythme en commun cultivé
avant que fût ravi par les ombreux rivages,
ton coeur qui de musique neuve a tant rêvé.


Mais, si le sentiment, l'image et l'eurythmie
t'en decoivent s'ils portent le signe d'avoir
trahi de notre race éteinte le génie :
de ta voix souterraine, ami, daigne émouvoir

la promesse de chants dont vibre encor ma vie
et ce qui peut rester de ferveur en mon coeur !
Qu'aux tombeaux des aïeux ma voix se purifie
pour y puiser une autre et nouvelle vigueur !
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Re: Poésie: Jean Joseph Rabearivelo

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:46

A SAHONDRA

D'un âge ingrat fleuri par la belle amitié
et par une commune ardeur désabusée,
ni de leur scène au feu des couchants exposée :
je n'ai rien encore oublié.

Et ce livre où j'ai mis le meilleur de moi-même,
- âme, formes et coeur détachés de l'Oubli,
et piété vouée au temps hova aboli, -
ce sera mon plus beau poème

jusqu'aux jours dessillants et transfigurateurs
qui m'apprendront que rien ne dépasse les roses
en durée et beauté ! Que les Métamorphoses
peuvent aigrir aussi nos coeurs !

Mais qu'au moins, aujourd'hui, fier encor de ce livre,
je t'invite à nouer son orgueil à ton front,
et, sans appréhender les jours noirs qui viendront,
puisse souhaiter qu'il t'enivre.

Ainsi, Sahondra, ainsi, notre belle amitié,
l'ardeur qui l'anima, pure et désabusée,
ni leur scène aux splendeurs des couchants exposée :
tu n'auras pas tout oublié !
Rita-kazem
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Re: Poésie: Jean Joseph Rabearivelo

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:46

A PIERRE CAMO

Du signe de vieillir, du signe de la mort,
est-il marqué, ce livre où j'ai mis ma jeunesse ?
Et le son qu'il rendra, sera-t-il d'allégresse,
sera-t-il de remord ?

Ah ! laissez moi n'y point penser au propylée
du temple intérieur à présent déserté !
Et, vous offrant ces chants d'un accent emprunté,
et l'âme consolée,

oublier les périls par la ruine offerts
de la part éternelle et vive de moi-même :
périls que peut courir l'âme de mon poème
avant les lauriers verts !

Nulle mort n'est, d'ailleurs, le terme de la vie :
en sa métamorphose est rénové le sang ;
et la force qu'elle offre à son adolescent
est plus inassouvie !
Rita-kazem
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Re: Poésie: Jean Joseph Rabearivelo

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:47

A TRISTAN DEREME

Ce livre comment imprimé
renferme-t-il quelques poèmes
qu vous puissiez en France aimer,
cher poète Derème ?

- Mais, las des grands soleils de feu
qui brûlent les monts d'Iarive ;
las de nos lunes, or gris-bleu
dans la forge tardive

de notre azur de pourpre ; las
de voir le même paysage
fait de ficus et de lilas,
et de touffes sauvages, -

vers l'Occident j'ai fait voguer
mon âme ardente et nostalgique
ainsi que mon coeur fatigué
d'entendre la musique



toujours la même des aïeux,
pensant avoir ainsi plus belle
la voix dont enchanter les dieux,
et plus pure et nouvelle.

Insensé ! Les voici-t-ils pas
revenus ? Pour toute fortune,
ils ne m'offrent que le trépas
de leur force commune ?


Ah ! puissent-ils se retremper
dans l'air de la terre ancestrale
et recouvrer leur entité
sous la lumière australe !
Rita-kazem
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Poésie: Jean Joseph Rabearivelo Empty Re: Poésie: Jean Joseph Rabearivelo

Message par Rita-kazem Ven 30 Avr - 20:47

A MARCEL ORMOY

Un miracle trompeur m'amène aux carrefours,
comme vous, des visages,
et je suis étranger à tous les paysages
qui me proposent leurs amours.

Ah ! quand pourrai-je, Ormoy, me parant d'autres grâces,
dire les sentiments
que m'auront suscités mes éblouissements
par la voix seule de ma race,

afin d'être mieux digne et fier de l'amitié
que m'accorde votre âme ;
afin, surtout, afin d'entretenir la flamme
qui meurt dans mon âtre oublié ?

Qu'est-ce, sinon le sang qui coule dans mes veines,
et ma charte, et mon fonds,
et les morts qu'on oublie au siècle où nous vivons
dans leur déroute souterraine ?


Ah ! puisse tout cela briller à l'avenir
sur le front de ma muse !
Elle mériterait de vous, ma voix confuse,
laquelle aurait pu s'affermir
Rita-kazem
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