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François Coppée:Le Poète Des Sentiments

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François Coppée:Le Poète Des Sentiments Empty François Coppée:Le Poète Des Sentiments

Message par chayma Lun 10 Mai - 18:36

François Coppée


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Le Poète Des Sentiments

1842-1908

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François Coppée est né en 1842 à Paris et mort à Paris en 1908.
Il ètait un des poètes les plus populaires de la seconde moitié du 19ème siècle.
Son talent très varié s'est étendu dans tous les genres. C'est pourtant le poète
de la vie familière avant tout et son originalité s'est surtout manifesté
dans les recueils intitulés Promenades et Intérieurs Les Humbles,
et le Cahier rouge. C'est un poète qui brille par sa sentimentalité
et son lyrisme particulièrement bien illustré dans "Intimités", "Olivier",
"les Mois", "Jeunes filles", "le Reliquaire", "Arrière-Saison", et "l'Exilée".
François Coppée est aussi le poète de l'amour et du drame. Mais son talent
ne s'est pas arreté la. En effet il brille comme conteur, auteur satirique
et religieux. Avec ses paroles sincères, son patriotisme, il est le poète de
la prière et de la lutte. Ses poémes les plus célèbres sont "le Passant"
mais surtout Le "luthier de Crémone", "Le Trésor" et "le Pater" ce dernier
d'inspiration chrétienne qui constitue trois incroyable chefs-d'œuvre.
Nous lui devons de plus trois remarquables drames sentimentaux de théâtre:
"les Jacobites", "Severo Torelli" et "Pour la couronne", des contes et nouvelles,
un roman "Le Coupable", des articles de journaux réunis dans un ouvrage
"Mon Franc-Parler" et une autobiographie la "Bonne souffrance" où il raconte
son amour des humbles.

On ne peut s'empêcher de comparer François Coppée à Victor Hugo par l'étendu
de son talent quant bien même son style fut très différent.
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François Coppée:Le Poète Des Sentiments Empty Promenades Et Intérieurs

Message par chayma Lun 10 Mai - 18:38

Promenades Et Intérieurs.

Par François Coppée (1842-1908)

I Lecteur. . .
Lecteur, à toi ces vers, graves historiens
De ce que la plupart appelleraient des riens.
Spectateur indulgent qui vis ainsi qu'on rêve,
Qui laisses s'écouler le temps et trouves brève
Cette succession de printemps et d'hivers,
Lecteur mélancolique et doux, à toi ces vers!
Ce sont des souvenirs, des éclairs, des boutades,
Trouvés au coin de l'âtre ou dans mes promenades,
Que je te veux conter par le droit bien permis
Qu'ont de causer entre eux deux paisibles amis.



Prisonnier d'un bureau, je connais le plaisir
De goûter, tous les soirs, un moment de loisir.
Je rentre lentement chez moi, je me délasse
Aux cris des écoliers qui sortent de la classe;
Je traverse un jardin, où j'écoute, en marchant,
Les adieux que les nids font au soleil couchant,
Bruit pareil à celui d'une immense friture.
Content comme un enfant qu'on promène en voiture,
Je regarde, j'admire, et sens avec bonheur
Que j'ai toujours la foi naïve du flâneur.
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François Coppée:Le Poète Des Sentiments Empty Re: François Coppée:Le Poète Des Sentiments

Message par chayma Lun 10 Mai - 18:38

C'est vrai, j'aime Paris d'une amitié malsaine;
J'ai partout le regret des vieux bords de la Seine.
Devant la vaste mer, devant les pics neigeux,
Je rêve d'un faubourg plein d'enfance et de jeux,
D'un coteau tout pelé d'où ma Muse s'applique
À noter les tons fins d'un ciel mélancolique,
D'un bout de Bièvre, avec quelques champs oubliés,
Où l'on tend une corde aux troncs des peupliers
Pour y faire sécher la toile et la flanelle,
Ou d'un coin pour pêcher dans l'île de Grenelle.



J'adore la banlieue avec ses champs en friche
Et ses vieux murs lépreux, où quelque ancienne affiche
Me parle de quartiers dès longtemps démolis.
Ô vanité! Le nom du marchand que j'y lis
Doit orner un tombeau dans le Père-Lachaise.
Je m'attarde. Il n'est rien ici qui ne me plaise,
Même les pissenlits frissonnant dans un coin.
Et puis, pour regagner les maisons déjà loin,
Dont le couchant vermeil fait flamboyer les vitres,
Je prends un chemin noir semé d'écailles d'huîtres.
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:38

Le soir, au coin du feu, j'ai pensé bien des fois
À la mort d'un oiseau, quelque part, dans les bois.
Pendant les tristes jours de l'hiver monotone,
Les pauvres nids déserts, les nids qu'on abandonne,
Se balancent au vent sur un ciel gris de fer.
Oh! comme les oiseaux doivent mourir l'hiver!
Pourtant, lorsque viendra le temps des violettes,
Nous ne trouverons pas leurs délicats squelettes
Dans le gazon d'avril, où nous irons courir.
Est-ce que les oiseaux se cachent pour mourir?



N'êtes-vous pas jaloux en voyant attablés,
Dans un gai cabaret entre deux champs de blés,
Les soirs d'été, des gens du peuple sous la treille?
Moi, devant ces amants se parlant à l'oreille
Et que ne gêne pas le père, tout entier
À l'offre d'un lapin que fait le gargotier,
Devant tous ces dîneurs, gais de la nappe mise,
Ces joueurs de bouchon en manches de chemise,
Coeurs satisfaits pour qui les dimanches sont courts,
J'ai regret de porter du drap noir tous les jours.
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:38

Vous en rirez. Mais j'ai toujours trouvé touchants
Ces couples de pioupious qui s'en vont par les champs,
Côte à côte, épluchant l'écorce de baguettes
Qu'ils prirent aux bosquets des prochaines guinguettes.
Je vois le sous-préfet présidant le bureau,
Le paysan qui tire un mauvais numéro,
Les rubans au chapeau, le sac sur les épaules,
Et les adieux naïfs, le soir, auprès des saules,
À celle qui promet de ne pas oublier
En s'essuyant les yeux avec son tablier.



Un rêve de bonheur qui souvent m'accompagne,
C'est d'avoir un logis donnant sur la campagne,
Près des toits, tout au bout du faubourg prolongé,
Où je vivrais ainsi qu'un ouvrier rangé.
C'est là, me semble-t-il, qu'on ferait un bon livre.
En hiver, l'horizon des coteaux blancs de givre;
En été, le grand ciel et l'air qui sent les bois;
Et les rares amis, qui viendraient quelquefois
Pour me voir, de très loin, pourraient me reconnaître,
Jouant du flageolet, assis à ma fenêtre.
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:39

Quand sont finis le feu d'artifice et la fête,
Morne comme une armée après une défaite,
La foule se disperse. Avez-vous remarqué
Comme est silencieux ce peuple fatigué?
Ils s'en vont tous, portant de lourds enfants qui geignent,
Tandis qu'en infectant des lampions s'éteignent.
On n'entend que le rythme inquiétant des pas;
Le ciel est rouge; et c'est sinistre, n'est-ce pas?
Ce fourmillement noir dans ces étroites rues
Qu'assombrit le regret des splendeurs disparues!



C'est un boudoir meublé dans le goût de l'Empire,
Jaune, tout en velours d'Utrecht. On y respire
Le charme un peu vieillot de l'Abbaye-aux-Bois:
Croix d'honneur sous un verre et petits meubles droits,
Deux portraits, - une dame en turban qui regarde
Un pompeux colonel des lanciers de la garde
En grand costume, peint par le baron Gérard, -
Plus une harpe auprès d'un piano d'Érard,
Qui dut accompagner bien souvent, j'imagine,
Ce qu'Alonzo disait à la tendre Imogine.
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:39

Champêtres et lointains quartiers, je vous préfère
Sans doute par les nuits d'été, quand l'atmosphère
S'emplit de l'odeur forte et tiède des jardins;
Mais j'aime aussi vos bals en plein vent d'où, soudains,
S'échappent les éclats de rire à pleine bouche,
Les polkas, le hochet des cruchons qu'on débouche,
Les gros verres trinquant sur les tables de bois,
Et, parmi le chaos des rires et des voix
Et du vent fugitif dans les ramures noires,
Le grincement rythmé des lourdes balançoires.



Le Grand-Montrouge est loin, et le dur charretier
A mené sa voiture à Paris, au chantier,
Pleine de lourds moellons, par les chemins de boue;
Et voici que, marchant à côté de la roue,
Il revient, écoutant, de fatigue abreuvé,
Le pas de son cheval qui frappe le pavé.
Et moi, j'envie, au fond de mon coeur, ce pauvre homme;
Car lui, du moins, il a bon appétit, bon somme,
Il vit sa rude vie ainsi qu'un animal,
Et l'automne qui vient ne lui fait pas de mal.
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:39

J'écris près de la lampe. Il fait bon. Rien ne bouge.
Toute petite, en noir, dans le grand fauteuil rouge,
Tranquille auprès du feu, ma vieille mère est là;
Elle songe sans doute au mal qui m'exila
Loin d'elle, l'autre hiver, mais sans trop d'épouvante,
Car je suis sage et reste au logis, quand il vente.
Et puis, se souvenant qu'en octobre la nuit
Peut fraîchir, vivement et sans faire de bruit,
Elle met une bûche au foyer plein de flammes.
Ma mère, sois bénie entre toutes les femmes!



Volupté des parfums! - Oui, toute odeur est fée.
Si j'épluche, le soir, une orange échauffée,
Je rêve de théâtre et de profonds décors;
Si je brûle un fagot, je vois, sonnant leurs cors,
Dans la forêt d'hiver les chasseurs faire halte;
Si je traverse enfin ce brouillard que l'asphalte
Répand, infect et noir, autour de son chaudron,
Je me crois sur un quai parfumé de goudron,
Regardant s'avancer, blanche, une goélette
Parmi les diamants de la mer violette.
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:40

Noces du samedi! noces où l'on s'amuse,
Je vous rencontre au bois où ma flâneuse Muse
Entend venir de loin les cris facétieux
Des femmes en bonnet et des gars en messieurs
Qui leur donnent le bras en fumant un cigare,
Tandis qu'en un bosquet le marié s'égare,
Souvent imberbe et jeune, ou parfois mûr et veuf,
Et tout fier de sentir sur sa manche en drap neuf,
Chef-d'oeuvre d'un tailleur-concierge de Montrouge,
Sa femme, en robe blanche, étaler sa main rouge.



L'école. Des murs blancs, des gradins noirs, et puis
Un christ en bois orné de deux rameaux de buis.
La soeur de charité, rose sous sa cornette,
Fait la classe, tenant sous son regard honnête
Vingt fillettes du peuple en simple bonnet rond.
La bonne soeur! Jamais on ne lit sur son front
L'ennui de répéter les choses cent fois dites!
Et, sur les premiers bancs, où sont les plus petites,
Elle ne veut pas voir tous les yeux épier
Un hanneton captif marchant sur du papier.
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:40

Depuis que son garçon est parti pour la guerre,
La veuve met les deux couverts comme naguère,
Sert la soupe, remplit un grand verre de vin,
Puis, sur le seuil, attend qu'un envoyé divin,
Un pauvre, passe là pour qu'elle le convie.
Il en vient tous les jours. Donc son fils est en vie,
Et la vieille maman prend sa peine en douceur.
Mais l'épicier d'en face est un libre penseur
Et songe: - « Peut-on croire à de telles grimaces?
Les superstitions abrutissent les masses. »



Il a neigé la veille et, tout le jour, il gèle.
Le toit, les ornements de fer et la margelle
Du puits, le haut des murs, les balcons, le vieux banc,
Sont comme ouatés, et, dans le jardin, tout est blanc.
Le grésil a figé la nature, et les branches
Sur un doux ciel perlé dressent leurs gerbes blanches.
Mais regardez. Voici le coucher de soleil.
À l'occident plus clair court un sillon vermeil.
Sa soudaine lueur féerique nous arrose,
Et les arbres d'hiver semblent de corail rose.
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:40

De la rue on entend sa plaintive chanson.
Pâle et rousse, le teint plein de taches de son,
Elle coud, de profil, assise à sa fenêtre.
Très sage et sachant bien qu'elle est laide peut-être,
Elle a son dé d'argent pour unique bijou.
Sa chambre est nue, avec des meubles d'acajou.
Elle gagne deux francs, fait de la lingerie
Et jette un sou quand vient l'orgue de Barbarie.
Tous les voisins lui font leur bonjour le plus gai
Qui leur vaut son petit sourire fatigué.



Dans ces bals qu'en hiver les mères de famille
Donnent à des bourgeois pour marier leur fille,
En faisant circuler assez souvent, pas trop,
Les petits-fours avec les verres de sirop,
Presque toujours la plus jolie et la mieux mise,
Celle qui plaît et montre une grâce permise,
Est sans dot, - voulez-vous en tenir le pari? -
Et ne trouvera pas, pauvre enfant, un mari.
Et son père, officier en retraite, pas riche,
Dans un coin, fait son whist à quatre sous la fiche.
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:41

Comme à cinq ans on est une grande personne,
On lui disait parfois: « Prends ton frère, mignonne, »
Et, fière, elle portait dans ses bras le bébé,
Quels soins alors! L'enfant n'était jamais tombé.
Très grave, elle jouait à la petite mère.
Hélas! le nouveau-né fut un ange éphémère.
On prit sur son berceau mesure d'un cercueil;
Et la soeur de cinq ans a des habits de deuil,
Ne parle ni ne joue et, très préoccupée,
Se dit: « Je n'aime plus maintenant ma poupée. »



Je rêve, tant Paris m'est parfois un enfer,
D'une ville très calme et sans chemin de fer,
Où, chez le sous-préfet, en vieux garçon affable,
Je lirais, au dessert, mon épître ou ma fable.
On se dirait tout bas, comme un mignon péché,
Un quatrain très mordant que j'aurais décoché.
Là, je conserverais de vagues hypothèques.
On voudrait mon avis pour les bibliothèques;
Et j'y rétablirais, disciple consolé,
Nos maîtres, Esménard, Lebrun, Chênedollé.
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:43

Assis, les pieds pendants, sous l'arche du vieux pont,
Et sourd aux bruits lointains à qui l'écho répond,
Le pêcheur suit des yeux le petit flotteur rouge.
L'eau du fleuve pétille au soleil. Rien ne bouge.
Le liège soudain fait un plongeon trompeur,
La ligne saute. - Avec un hoquet de vapeur
Passe un joyeux bateau tout pavoisé d'ombrelles;
Et, tandis que les flots apaisent leurs querelles,
L'homme, un instant tiré de son rêve engourdi,
Met une amorce neuve et songe: - Il est midi.



Malgré ses soixante ans, le joyeux invalide
Sur sa jambe de bois est encore solide.
Quand il touche l'argent de sa croix, un beau soir,
Il s'en va, son repas serré dans un mouchoir,
Et, vers le Champ de Mars, entraîne à la barrière,
Un conscrit, le bonnet de police en arrière;
Et là, plein d'abandon, vers le pousse-café,
Son bâton à la main, le bonhomme échauffé
Conte au jeune soldat et lui rend saisissable
La bataille d'Isly qu'il trace sur le sable.
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:43

De même que Rousseau jadis fondait en pleurs
À ces seuls mots: « Voilà de la pervenche en fleurs, »
Je sais tout le plaisir qu'un souvenir peut faire.
Un rien, l'heure qu'il est, l'état de l'atmosphère,
Un battement de coeur, un parfum retrouvé,
Me rendent un bonheur autrefois éprouvé.
C'est fugitif, pourtant la minute est exquise.
Et c'est pourquoi je suis très heureux à ma guise
Lorsque, dans le quartier que je sais, je puis voir
Un calme ciel d'octobre, à cinq heures du soir.



Le printemps est charmant dans le Jardin des Plantes.
Les cris des animaux, les odeurs violentes
Des arbres et des fleurs exotiques dans l'air,
Cette création, sous un ciel pur et clair,
Tout cela fait penser au paradis terrestre;
Et tout en écoutant, sous un sapin alpestre,
Le grondement profond des lions en courroux,
On regarde, devant les naïfs tourlourous,
Tendant la trompe, avec ses airs de gros espiègle,
L'éléphant engloutir les nombreux pains de seigle.
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:44

En plein soleil, le long du chemin de halage,
Quatre percherons blancs, vigoureux attelage,
Tirent péniblement, en butant du sabot,
Le lourd bateau qui fend l'onde de l'étambot;
Près d'eux, un charretier marche dans la poussière.
La main au gouvernail, sur le pont, à l'arrière,
N'écoutant pas claquer le brutal fouet de cuir,
Et regardant la rive et les nuages fuir,
Fume le marinier, sans se fouler la rate.
- « Le peuple et le tyran! » me dit un démocrate.



Près du rail, où souvent passe comme un éclair
Le convoi furieux et son cheval de fer,
Tranquille, l'aiguilleur vit dans sa maisonnette.
Par la fenêtre, on voit l'intérieur honnête,
Tel que le voyageur fiévreux doit l'envier.
C'est la femme parfois qui se tient au levier,
Portant sur un seul bras son enfant qui l'embrasse.
Jetant un sifflement atroce, le train passe
Devant l'humble logis qui tressaille au fracas.
Et le petit enfant ne se dérange pas.
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:44

L'allée est droite et longue, et sur le ciel d'hiver
Se dressent hardiment les grands arbres de fer,
Vieux ormes dépouillés dont le sommet se touche.
Tout au bout, le soleil, large et rouge, se couche.
À l'horizon il va plonger dans un moment.
Pas un oiseau. Parfois un léger craquement
Dans les taillis déserts de la forêt muette;
Et là-bas, cheminant, la noire silhouette,
Sur le globe empourpré qui fond comme un lingot,
D'une vieille à bâton, ployant sous son fagot.



Hier, sur la grand'route où j'ai passé près d'eux,
Les jeunes sourds-muets s'en allaient deux par deux,
Sérieux, se montrant leurs mains toujours actives.
Un instant j'observai leurs mines attentives
Et j'écoutai le bruit que faisaient leurs souliers.
Je restai seul. La brise en haut des peupliers
Murmurait doucement un long frisson de fête;
Chaque buisson jetait un trille de fauvette,
Et les grillons joyeux chantaient dans les bleuets.
Je penserai souvent aux pauvres sourds-muets.
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François Coppée:Le Poète Des Sentiments Empty Re: François Coppée:Le Poète Des Sentiments

Message par chayma Lun 10 Mai - 18:44

Comme le champ de foire est désert, la baraque
N'est pas ouverte, et sur son perchoir, le macaque
Cligne ses yeux méchants et grignote une noix
Entre la grosse caisse et le chapeau chinois;
Et deux bons paysans sont là, bouche béante,
Devant la toile peinte où l'on voit la géante,
Telle qu'elle a paru jadis devant les cours,
Soulevant décemment ses jupons un peu courts
Pour qu'on ne puisse pas supposer qu'elle triche,
Et montrant son mollet à l'empereur d'Autriche.



J'écris ces vers, ainsi qu'on fait des cigarettes,
Pour moi, pour le plaisir; et ce sont des fleurettes
Que peut-être il valait bien mieux ne pas cueillir;
Car cette impression qui m'a fait tressaillir,
Ce tableau d'un instant rencontré sur ma route,
Ont-ils un charme enfin pour celui qui m'écoute?
Je ne le connais pas. Pour se plaire à ceci,
Est-il comme moi-même un rêveur endurci?
Ne peut-il se fâcher qu'on lui prête ce rôle?
- Fi donc! lecteur, tu lis par-dessus mon épaule.
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François Coppée:Le Poète Des Sentiments Empty II Mon Père.

Message par chayma Lun 10 Mai - 18:45

II Mon Père.

Tenez, lecteur! - souvent, tout seul, je me promène
Au lieu qui fut jadis la barrière du Maine.
C'est laid, surtout depuis le siège de Paris.
On a planté d'affreux arbustes rabougris
Sur ces longs boulevards où naguère des ormes
De deux cents ans croisaient leurs ramures énormes.
Le mur d'octroi n'est plus; le quartier se bâtit.
Mais c'est là que jadis, quand j'étais tout petit,
Mon père me menait, enfant faible et malade,
Par les couchants d'été faire une promenade.
C'est sur ces boulevards déserts, c'est dans ce lieu
Que cet homme de bien, pur, simple et craignant Dieu,
Qui fut bon comme un saint, naïf comme un poète,
Et qui, bien que très pauvre, eut toujours l'âme en fête,
Au fond d'un bureau sombre après avoir passé
Tout le jour, se croyant assez récompensé
Par la douce chaleur qu'au coeur nous communique
La main d'un dernier-né, la main d'un fils unique,
C'est là qu'il me menait. Tous deux nous allions voir
Les longs troupeaux de boeufs marchant vers l'abattoir,
Et quand mes petits pieds étaient assez solides,
Nous poussions quelquefois jusques aux Invalides,
Où, mêlés aux badauds descendus des faubourgs,
Nous suivions la retraite et les petits tambours.
Et puis enfin, à l'heure où la lune se lève,
Nous prenions pour rentrer la route la plus brève;
On montait au cinquième étage, lentement;
Et j'embrassais alors mes trois soeurs et maman,
Assises et cousant auprès d'une bougie.
- Eh bien, quand m'abandonne un instant l'énergie,
Quand m'accable par trop le spleen décourageant,
Je retourne, tout seul, à l'heure du couchant,
Dans ce quartier paisible où me menait mon père;
Et du cher souvenir toujours le charme opère.
Je songe à ce qu'il fit, cet homme de devoir,
Ce pauvre fier et pur, à ce qu'il dut avoir
De résignation patiente et chrétienne
Pour gagner notre pain, tâche quotidienne,
Et se priver de tout, sans se plaindre jamais.
- Au chagrin qui me frappe alors je me soumets,
Et je sens remonter à mes lèvres surprises
Les prières qu'il m'a dans mon enfance apprises.
Compliment
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François Coppée:Le Poète Des Sentiments Empty II Mon Père.

Message par chayma Lun 10 Mai - 18:45

Tous ces jours-ci, mes chers lecteurs, je désirais,
Tel un petit garçon qui, frisé tout exprès,
Présente son rouleau noué d'un ruban rose,
Vous offrir un joli compliment - vers ou prose -
Pour l'an qui, cette nuit, naquit et commença.
Mais, quand j'étais enfant - oh! pas plus haut que ça! -
Dans ce genre déjà je n'ai pas fait merveille.
Le texte qu'à l'école on nous donnait, la veille,
Et qu'il fallait, le soir, au logis copier,
M'effrayait. J'ai noirci, depuis, bien du papier;
Mais c'étaient mes débuts dans la littérature.
Ces phrases, réclamant ma plus belle écriture,
Étaient alors, pour moi, pleines de « mots d'auteur ».
Sur mon grand tabouret, pour être à la hauteur
Du pupitre, j'avais un Boiste en deux volumes;
Devant moi, sur la table, un encrier, des plumes,
Plus un bristol orné d'un beau feston doré
Et fleuri d'un petit bouquet peinturluré.
Devant ce grand travail, que j'étais mal à l'aise!
Fallait-il adopter la bâtarde ou l'anglaise?
Que faire? Je mouillais ma plume avec effroi;
Je songeais au tableau du passage Jouffroy,
Où monsieur Favarger mit trois ans de sa vie,
Chef-d'oeuvre et dernier mot de la calligraphie,
Qui montre aux gens, par un tel art humiliés,
Le « Lion d'Androclès » en « pleins » et « déliés »;
Et, le dos rond, roulant les yeux, tirant la langue,
Je transcrivais alors ma petite harangue.
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:46

Pas mal le « Chers parents, à qui je dois le jour ».
Mais, lorsque j'arrivais au « coeur rempli d'amour »,
Comment écrire « coeur »? « Coeur », un mot difficile!…
Je m'agitais et, comme un petit imbécile,
Je me mettais, avec des gestes consternés,
De l'encre au bout des doigts, de l'encre au bout du nez.
Alors, j'étais perdu. Les fautes d'orthographe
Pleuvaient. Je signais mal et ratais mon paraphe,
Et sur mes beaux souhaits de joie et de santé
Je laissais choir enfin un monstrueux pâté.

C'était affreux!

Pourtant, plein d'une angoisse énorme,
Le lendemain, avec ce manuscrit informe,
Quand je me présentais devant mes bons parents,
Ils prenaient le papier, ouvraient les yeux tout grands,
S'écriaient: « C'est superbe! » et, sans dédains ni moues,
Embrassaient tendrement leur fils sur les deux joues.
Oui, ma page illisible, ils semblaient l'admirer.

Et l'on ouvrait l'armoire, et j'en voyais tirer
Des trésors, un tambour, un fusil à capsules!
Et je m'en emparais, joyeux et sans scrupules,
Ne sachant pas alors - pour l'enfant tout est beau -
Pourquoi mon père avait toujours un vieux chapeau
Et pourquoi la maman, sainte parmi les saintes,
Portait des gants flétris et des jupes reteintes.
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:46

Aux humbles, comme moi nés dans la pauvreté,
Je souhaite d'abord avec sincérité,
Quand la nouvelle année entreprend sa carrière,
Le pain quotidien de la vieille prière;
Et puis, pour qu'ils ne soient jamais trop malheureux,
Je leur souhaite encor de bien s'aimer entre eux.
Du pain et de l'amour! Tout est là. Le pauvre homme
N'a vraiment pas le droit de trop se plaindre, en somme,
Si, du berceau d'osier au cercueil de sapin,
Toute sa vie, il a de l'amour et du pain.
Mes honnêtes parents n'eurent pas davantage;
Mais la bonté régnait dans leur coeur sans partage.
Des sentiments profonds ils ont connu le prix,
Et, si je sais aimer, c'est qu'ils me l'ont appris.
Et tel riche, donnant de splendides étrennes,
N'éprouve pas leur joie en ces heures sereines,
Quand ils payaient, ayant épargné quelques sous,
Mon mauvais compliment par de pauvres joujoux.
Mes amis, en ce jour qui groupe la famille,
Si cher que soit le pain, si peu que le feu brille,
Épanouissez-vous, ne devenez pas durs.
Quand les enfants viendront vous tendre leurs fronts purs,
À défaut de cadeaux, comblez-les de caresses.
Entretenez en eux le foyer des tendresses,
Comme, en soufflant dessus, on rallume un charbon.
Le méchant souffre, et presque aucun homme n'est bon
Que grâce aux souvenirs de son enfance aimée,
Dont son âme demeure à jamais parfumée.
Morceau à quatre mains
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Message par chayma Lun 10 Mai - 18:47

Le salon s'ouvre sur le parc
Où les grands arbres, d'un vert sombre,
Unissent leurs rameaux en arc
Sur les gazons qu'ils baignent d'ombre.

Si je me retourne soudain
Dans le fauteuil où j'ai pris place,
Je revois encor le jardin
Qui se reflète dans la glace;

Et je goûte l'amusement
D'avoir, à gauche comme à droite,
Deux parcs, pareils absolument,
Dans la porte et la glace étroite.

Par un jeu charmant du hasard,
Les deux jeunes soeurs, très exquises,
Pour jouer un peu de Mozart,
Au piano se sont assises.

Comme les deux parcs du décor,
Elles sont tout à fait pareilles;
Les quatre mêmes bijoux d'or
Scintillent à leurs quatre oreilles.

J'examine autant que je veux,
Grâce aux yeux baissés sur les touches,
La même fleur sur leurs cheveux,
La même fleur sur leurs deux bouches;

Et parfois, pour mieux regarder,
Beaucoup plus que pour mieux entendre,
Je me lève et viens m'accouder
Au piano de palissandre.
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François Coppée:Le Poète Des Sentiments Empty Re: François Coppée:Le Poète Des Sentiments

Message par chayma Lun 10 Mai - 18:47

Adagio

La rue était déserte et donnait sur les champs.
Quand j'allais voir l'été les beaux soleils couchants
Avec le rêve aimé qui partout m'accompagne,
Je la suivais toujours pour gagner la campagne,
Et j'avais remarqué que, dans une maison
Qui fait l'angle et qui tient, ainsi qu'une prison,
Fermée au vent du soir son étroite persienne,
Toujours à la même heure, une musicienne
Mystérieuse, et qui sans doute habitait là,
Jouait l'adagio de la sonate en la.
Le ciel se nuançait de vert tendre et de rose.
La rue était déserte; et le flâneur morose
Et triste, comme sont souvent les amoureux,
Qui passait, l'oeil fixé sur les gazons poudreux,
Toujours à la même heure, avait pris l'habitude
D'entendre ce vieil air dans cette solitude.
Le piano chantait sourd, doux, attendrissant,
Rempli du souvenir douloureux de l'absent
Et reprochant tout bas les anciennes extases.
Et moi, je devinais des fleurs dans de grands vases,
Des parfums, un profond et funèbre miroir,
Un portrait d'homme à l'oeil fier, magnétique et noir,
Des plis majestueux dans les tentures sombres,
Une lampe d'argent, discrète, sous les ombres,
Le vieux clavier s'offrant dans sa froide pâleur,
Et, dans cette atmosphère émue, une douleur
Épanouie au charme ineffable et physique
Du silence, de la fraîcheur, de la musique.
Le piano chantait toujours plus bas, plus bas.
Puis, un certain soir d'août, je ne l'entendis pas.
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François Coppée:Le Poète Des Sentiments Empty Re: François Coppée:Le Poète Des Sentiments

Message par chayma Lun 10 Mai - 18:47

Depuis, je mène ailleurs mes promenades lentes.
Moi qui hais et qui fuis les foules turbulentes,
Je regrette parfois ce vieux coin négligé.
Mais la vieille ruelle a, dit-on, bien changé:
Les enfants d'alentour y vont jouer aux billes,
Et d'autres pianos l'emplissent de quadrilles.
L'amazone

Devant le frais cottage au gracieux perron,
Sous la porte que timbre un tortil de baron,
Debout entre les deux gros vases de faïence,
L'amazone, déjà pleine d'impatience,
Apparaît, svelte et blonde, et portant sous son bras
Sa lourde jupe, avec un charmant embarras.
Le fin drap noir étreint son corsage, et le moule;
Le mignon chapeau d'homme, autour duquel s'enroule
Un voile blanc, lui jette une ombre sur les yeux.
La badine de jonc au pommeau précieux
Frémit entre les doigts de la jeune élégante,
Qui s'arrête un moment sur le seuil et se gante.
Agitant les lilas en fleur, un vent léger
Passe dans ses cheveux et les fait voltiger,
Blonde auréole autour de son front envolée:
Et, gros comme le poing, au milieu de l'allée
De sable roux semé de tout petits galets,
Le groom attend et tient les deux chevaux anglais.
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François Coppée:Le Poète Des Sentiments Empty Re: François Coppée:Le Poète Des Sentiments

Message par chayma Lun 10 Mai - 18:48

Et moi, flâneur qui passe et jette par la grille
Un regard enchanté sur cette jeune fille,
Et m'en vais sans avoir même arrêté le sien,
J'imagine un bonheur calme et patricien,
Où cette noble enfant me serait fiancée;
Et déjà je m'enivre à la seule pensée
Des clairs matins d'avril où je galoperais,
Sur un cheval très vif et par un vent très frais,
À ses côtés, lancé sous la frondaison verte.
Nous irions, par le bois, seuls, à la découverte;
Et, voulant une image au contraste troublant
Du long vêtement noir et du long voile blanc,
Je la comparerais, dans ma course auprès d'elle,
À quelque fugitive et sauvage hirondelle.
Ritournelle

Dans la plaine blonde et sous les allées,
Pour mieux faire accueil au doux messidor,
Nous irons chasser les choses ailées,
Moi, la strophe, et toi, les papillons d'or.

Et nous choisirons les routes tentantes,
Sous les saules gris et près des roseaux,
Pour mieux écouter les choses chantantes,
Moi, le rythme, et toi, le choeur des oiseaux.
chayma
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