le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
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le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
en trois livres
par
LIVRE 1 ELEGIE 1
p3
Je chantais les combats : étranger au parnasse,
peut-être ma jeunesse excusait mon audace.
Sur deux lignes rangés, mes vers présomptueux
déployaient, en deux temps, six pieds majestueux.
De ces vers nombreux et sublimes
l' amour se riant à l' écart,
sur mon papier mit la main au hasard,
retrancha quelques pieds, brouilla toutes les rimes :
p4
de ce désordre heureux naquit un nouvel art.
" renonce, me dit-il, aux pénibles ouvrages ;
" cadence des mètres plus courts.
" jeune imprudent, fuis pour toujours
" cet Hélicon si fertile en orages.
" enfonce-toi sous ces ombrages ;
" prends ce luth paresseux, et chante les amours. "
comment voulez-vous que je chante
des plaisirs ou des maux que je ne connais pas ?
p5
Pour sujet de mes vers, nulle beauté touchante,
nulle vierge à mes voeux n' offre encor ses appas.
Je me plaignais : soudain, d' une main assurée,
l' amour sur son genou courbe son arc vainqueur,
choisit dans son carquois une flèche dorée,
l' ajuste, et, me perçant de sa pointe acérée,
" tu peux chanter, dit-il ; l' ouvrage est dans ton
coeur. "
je cède, enfant terrible, à votre ordre suprême.
Hélas ! D' un feu brûlant je me sens consumer.
Mais de rigueurs n' allez point vous armer.
Faites que dès ce soir on m' aime ;
ou, si c' est trop, du moins que l' on se laisse aimer.
par
LIVRE 1 ELEGIE 1
p3
Je chantais les combats : étranger au parnasse,
peut-être ma jeunesse excusait mon audace.
Sur deux lignes rangés, mes vers présomptueux
déployaient, en deux temps, six pieds majestueux.
De ces vers nombreux et sublimes
l' amour se riant à l' écart,
sur mon papier mit la main au hasard,
retrancha quelques pieds, brouilla toutes les rimes :
p4
de ce désordre heureux naquit un nouvel art.
" renonce, me dit-il, aux pénibles ouvrages ;
" cadence des mètres plus courts.
" jeune imprudent, fuis pour toujours
" cet Hélicon si fertile en orages.
" enfonce-toi sous ces ombrages ;
" prends ce luth paresseux, et chante les amours. "
comment voulez-vous que je chante
des plaisirs ou des maux que je ne connais pas ?
p5
Pour sujet de mes vers, nulle beauté touchante,
nulle vierge à mes voeux n' offre encor ses appas.
Je me plaignais : soudain, d' une main assurée,
l' amour sur son genou courbe son arc vainqueur,
choisit dans son carquois une flèche dorée,
l' ajuste, et, me perçant de sa pointe acérée,
" tu peux chanter, dit-il ; l' ouvrage est dans ton
coeur. "
je cède, enfant terrible, à votre ordre suprême.
Hélas ! D' un feu brûlant je me sens consumer.
Mais de rigueurs n' allez point vous armer.
Faites que dès ce soir on m' aime ;
ou, si c' est trop, du moins que l' on se laisse aimer.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 1 ELEGIE 2
p6
C' en est fait, et mon âme émue
ne peut plus oublier ses traits victorieux.
Dieux ! Quel objet ! Non, jamais sous les cieux
rien de si doux ne s' offrit à ma vue.
Dans ce jardin si renommé,
où l' amour vers le soir tient sa cour immortelle,
de cent jeunes beautés elle était la plus belle ;
elle effaçait l' éclat du couchant enflammé.
Un peuple adorateur, que ce spectacle appelle,
s' ouvrait à son approche interdit et charmé.
Elle marchait, traînant tous les coeurs après elle,
et laissait sur ses pas l' air au loin embaumé.
Je voulus l' aborder. ô funeste présage !
p7
Ma voix, mon coeur, mes yeux, parurent se troubler ;
la rougeur, malgré moi, colora mon visage ;
je sentis fuir mon âme, et mes genoux trembler.
Cependant, entraîné dans la lice éclatante
où toutes nos beautés, conduites par l' amour,
de parure et d' attraits disputent tour-à-tour,
mes regards dévoraient et sa taille élégante,
et de son cou poli la blancheur ravissante,
et, sous la gaze transparente,
d' un sein voluptueux la forme et le contour.
Au murmure flatteur de sa robe ondoyante,
je tressaillais ; et l' aile des zéphyrs,
en soulevant l' écharpe à son côté flottante,
au milieu des parfums m' apportait les désirs.
Que dis-je ? L' amour, l' amour même...
quel enfant ! Oui, j' ai cru le voir,
se mêlant dans la foule, à la faveur du soir,
m' exciter, me pousser par un pouvoir suprême,
remplir mon coeur ému d' un séduisant espoir,
secouer son flambeau sur la nymphe qu' il aime,
et sous l' ombrage épais, dans un désordre extrême,
à mes côtés enfin la forcer de s' asseoir.
ô plaisir ! ô transports ! ô moment plein de charmes !
Quel feu tendre animait ses yeux !
p8
Déjà d' un coeur timide, étonné de ses feux,
son silence expliquait les naïves alarmes ;
mais bientôt un soupir me les raconta mieux,
et je sentis mes doigts humectés de ses larmes.
Quel son de voix alors, touchant, délicieux,
sortit de ses lèvres de rose !
Et quels discours ! Zéphyre en retint quelque chose,
et le porta soudain à l' oreille des dieux.
Depuis ce temps je brûle : aucun pavot n' apaise
les douleurs d' un poison lent à me dévorer.
La nuit, sur le duvet, je me sens déchirer ;
le plus léger tapis m' importune et me pèse,
et mes yeux sont, hélas ! Toujours prêts à pleurer.
p6
C' en est fait, et mon âme émue
ne peut plus oublier ses traits victorieux.
Dieux ! Quel objet ! Non, jamais sous les cieux
rien de si doux ne s' offrit à ma vue.
Dans ce jardin si renommé,
où l' amour vers le soir tient sa cour immortelle,
de cent jeunes beautés elle était la plus belle ;
elle effaçait l' éclat du couchant enflammé.
Un peuple adorateur, que ce spectacle appelle,
s' ouvrait à son approche interdit et charmé.
Elle marchait, traînant tous les coeurs après elle,
et laissait sur ses pas l' air au loin embaumé.
Je voulus l' aborder. ô funeste présage !
p7
Ma voix, mon coeur, mes yeux, parurent se troubler ;
la rougeur, malgré moi, colora mon visage ;
je sentis fuir mon âme, et mes genoux trembler.
Cependant, entraîné dans la lice éclatante
où toutes nos beautés, conduites par l' amour,
de parure et d' attraits disputent tour-à-tour,
mes regards dévoraient et sa taille élégante,
et de son cou poli la blancheur ravissante,
et, sous la gaze transparente,
d' un sein voluptueux la forme et le contour.
Au murmure flatteur de sa robe ondoyante,
je tressaillais ; et l' aile des zéphyrs,
en soulevant l' écharpe à son côté flottante,
au milieu des parfums m' apportait les désirs.
Que dis-je ? L' amour, l' amour même...
quel enfant ! Oui, j' ai cru le voir,
se mêlant dans la foule, à la faveur du soir,
m' exciter, me pousser par un pouvoir suprême,
remplir mon coeur ému d' un séduisant espoir,
secouer son flambeau sur la nymphe qu' il aime,
et sous l' ombrage épais, dans un désordre extrême,
à mes côtés enfin la forcer de s' asseoir.
ô plaisir ! ô transports ! ô moment plein de charmes !
Quel feu tendre animait ses yeux !
p8
Déjà d' un coeur timide, étonné de ses feux,
son silence expliquait les naïves alarmes ;
mais bientôt un soupir me les raconta mieux,
et je sentis mes doigts humectés de ses larmes.
Quel son de voix alors, touchant, délicieux,
sortit de ses lèvres de rose !
Et quels discours ! Zéphyre en retint quelque chose,
et le porta soudain à l' oreille des dieux.
Depuis ce temps je brûle : aucun pavot n' apaise
les douleurs d' un poison lent à me dévorer.
La nuit, sur le duvet, je me sens déchirer ;
le plus léger tapis m' importune et me pèse,
et mes yeux sont, hélas ! Toujours prêts à pleurer.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 1 ELEGIE 3
p9
à Eucharis.
Deux fois, j' ai pressé votre sein,
et vous m' avez, deux fois, repoussé sans colère.
Vous avez rougi du larcin :
ne fait-on que rougir, lorsqu' il a pu déplaire ?
Ah ! C' est assez : oui, je lis dans vos yeux,
et ma victoire et votre trouble extrême.
Mortel, à vos genoux, je suis égal aux dieux.
Vous m' aimez, je le vois, autant que je vous aime ;
mais de vos bras laissez-moi m' arracher :
il n' est pas temps de combler mon ivresse.
Unis trop tôt, nos coeurs, ô ma belle maîtresse,
de leurs liens encor pourraient se détacher.
Faites que mon amour dure autant que ma vie.
Laissez-moi par des soins acheter vos faveurs ;
n' écoutez ni soupirs, ni prières, ni pleurs ;
combattez ma plus chère envie ;
à mon désespoir même opposez des rigueurs.
Les longs hivers font les printemps durables ;
p11
les noirs frimas épurent les beaux jours ;
et l' amant, asservi sous vos lois adorables,
doit espérer long-temps pour vous aimer toujours.
p9
à Eucharis.
Deux fois, j' ai pressé votre sein,
et vous m' avez, deux fois, repoussé sans colère.
Vous avez rougi du larcin :
ne fait-on que rougir, lorsqu' il a pu déplaire ?
Ah ! C' est assez : oui, je lis dans vos yeux,
et ma victoire et votre trouble extrême.
Mortel, à vos genoux, je suis égal aux dieux.
Vous m' aimez, je le vois, autant que je vous aime ;
mais de vos bras laissez-moi m' arracher :
il n' est pas temps de combler mon ivresse.
Unis trop tôt, nos coeurs, ô ma belle maîtresse,
de leurs liens encor pourraient se détacher.
Faites que mon amour dure autant que ma vie.
Laissez-moi par des soins acheter vos faveurs ;
n' écoutez ni soupirs, ni prières, ni pleurs ;
combattez ma plus chère envie ;
à mon désespoir même opposez des rigueurs.
Les longs hivers font les printemps durables ;
p11
les noirs frimas épurent les beaux jours ;
et l' amant, asservi sous vos lois adorables,
doit espérer long-temps pour vous aimer toujours.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 1 ELEGIE 4 Elle est à moi ! Divinités du Pinde, de vos lauriers ceignez mon front vainqueur. Elle est à moi ! Que les maîtres de l' Inde portent envie au maître de son coeur. Sous ses rideaux j' ai surpris mon amante. Quel fut mon trouble et mon ravissement ! Elle dormait ; et sa tête charmante sur ses deux mains reposait mollement. Pendant l' été, vous savez trop comment des feux d' amour le feu des nuits s' augmente. Pour reposer on cherche alors le frais ; la pudeur même, aux mouvemens discrets, p12 entre deux draps s' agite, se tourmente, et de leur voile affranchit ses attraits. Sans le savoir, ainsi ma jeune amie s' exposait nue aux yeux de son amant ; et moi, saisi d' un doux frémissement, p13 dans cet état la trouvant endormie, (je l' avouerai) j' oubliai mon serment. Oh ! Qui pourrait, dans ces instans d' ivresse, se refuser un si léger larcin ? Quel coeur glacé peut revoir sa maîtresse, ou la quitter, sans baiser son beau sein ? Non ! Je n' ai point ce courage barbare ; l' amant aimé doit donner des plaisirs ; l' enfer attend ce possesseur avare, toujours brûlé d' inutiles désirs. Puisse souvent la beauté que j' adore, nue à mes yeux imprudemment s' offrir ! Je veux encor de baisers la couvrir, quand je devrais la réveiller encore. Dieux ! Quel réveil ! Mon coeur bat d' y songer. Son oeil troublé n' avait rien de farouche ; elle semblait quelquefois s' affliger, et le reproche expirait sur sa bouche. p14 Déjà l' amour est prêt à nous unir : j' essaie encor de me détacher d' elle ; de ses deux bras je me sens retenir : on crie, on pleure, on me nomme infidèle. à ce seul mot, il fallut revenir. " ah ! Qu' as-tu fait, lui dis-je alors, mon âme ? " je meurs d' amour : cruelle, qu' as-tu fait ? " de tes beaux yeux, de ces yeux pleins de flamme, " voilà pourtant l' inévitable effet. " pourquoi poser ta tête languissante " contre ce coeur ému de tes accens ? " pourquoi cent fois, de ta main caressante, " au doux plaisir solliciter mes sens ? " un seul baiser-quand ta bouche vermeille " le poserait avec plus de douceur " que ne le donne et le frère à la soeur, p15 " et l' époux tendre à son fils qui sommeille- " un seul baiser de ta bouche vermeille " suffit hélas ! Pour troubler ma raison. " pourquoi mêler à son fatal poison " ce trait brûlant qui de mes sens dispose, " les fait renaître et mourir tour-à-tour ; " ce trait caché dans tes lèvres de rose, " et sur tes dents aiguisé par l' amour ? " oui, je succombe à ma langueur extrême ; " je suis contraint de hâter mon bonheur : " mais à tes pieds ton modeste vainqueur " veut t' obtenir aujourd' hui de toi-même. " viens, Eucharis ; au nom de tous nos dieux, " à ton amant livre-toi toute entière. " dans ton alcove un jour délicieux " répand sur nous et l' ombre et la lumière : " si tu rougis de céder la première, " dis... ne dis rien, et détourne les yeux. " p16 elle se tut : ô fortuné présage ! L' amour survint ; la pudeur s' envola. Elle se tut ; mais son regard parla. Du sentiment elle perdit l' usage ; ses yeux mourans s' attachèrent sur moi. " ah ! Me dit-elle, en couvrant son visage de ses deux mains, " Eucharis est à toi. "
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 1 ELEGIE 5
p17
à Eucharis.
Du nom qui pare mes écrits
ne soyez donc plus alarmée.
C' est vous que je nomme Eucharis,
ô vous, des beautés de Paris
la plus belle et la mieux aimée.
Sous ce voile mystérieux
cachons nos voluptés secrètes.
Dérobons-nous à tous les yeux :
vous me ferez trop d' envieux,
si l' on sait jamais qui vous êtes.
C' est vous que sous des noms divers
mes premiers chants ont célébrée ;
Eucharis dans mes derniers vers
restera seule consacrée.
Ah ! Puissent nos deux noms, tracés
sur l' agate blanche et polie,
par Vénus être un jour placés
sous les ombrages d' Idalie,
parmi les chiffres enlacés
et de Tibulle et de Délie !
p18
Dans l' art de plaire et d' être heureux,
ils nous ont servi de modèles :
soyons encor plus amoureux,
hélas ! Et surtout plus fidèles.
p17
à Eucharis.
Du nom qui pare mes écrits
ne soyez donc plus alarmée.
C' est vous que je nomme Eucharis,
ô vous, des beautés de Paris
la plus belle et la mieux aimée.
Sous ce voile mystérieux
cachons nos voluptés secrètes.
Dérobons-nous à tous les yeux :
vous me ferez trop d' envieux,
si l' on sait jamais qui vous êtes.
C' est vous que sous des noms divers
mes premiers chants ont célébrée ;
Eucharis dans mes derniers vers
restera seule consacrée.
Ah ! Puissent nos deux noms, tracés
sur l' agate blanche et polie,
par Vénus être un jour placés
sous les ombrages d' Idalie,
parmi les chiffres enlacés
et de Tibulle et de Délie !
p18
Dans l' art de plaire et d' être heureux,
ils nous ont servi de modèles :
soyons encor plus amoureux,
hélas ! Et surtout plus fidèles.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 1 ELEGIE 6
p19
Oui ! Que des dieux vengeurs l' implacable courroux
sur l' infernal rocher d' un noeud d' airain t' enchaîne,
ô toi qui, le premier, inventas les verroux,
et fis crier les gonds sous des portes de chêne !
On enferme Eucharis ; un injuste pouvoir
dérobe à mon amour sa beauté gémissante.
Nuit et jour vainement je demande à la voir :
lorsque j' entends ses pleurs, on dit qu' elle est
absente.
Vous pleurez, Eucharis ; vous attestez les dieux
(car les dieux à l' amante ont permis ce parjure) :
p20
vous pleurez, et peut-être un époux odieux
joint l' injure au reproche, et l' outrage à l' injure.
Eh ! Qui sait si l' ingrat, de son bras rigoureux
saisissant la beauté dont je suis idolâtre,
n' a pas d' un ongle impie arraché ses cheveux,
ou meurtri son beau sein plus poli que l' albâtre ?
Tombez, coupables murs ! Dieux immortels, tonnez !
Vengez-moi, vengez-vous de sa fureur extrême.
Quiconque a pu frapper la maîtresse que j' aime,
un jour, n' en doutez pas, à vos yeux étonnés,
sur vos autels détruits vous détruira vous-même.
ô ma chère Eucharis, ces dieux veillent sur nous :
ta beauté sur la terre est leur plus digne ouvrage.
Songe, songe du moins à tromper les jaloux :
il faut oser. Vénus seconde le courage ;
Vénus instruit l' amante, au milieu de la nuit,
à descendre en secret de sa couche paisible ;
p21
Vénus enseigne encor l' art de poser sans bruit
sur des parquets mouvans un pied sûr et flexible.
Te souvient-il d' un soir, où dans des flots de vin
tu pris soin d' endormir ta vigilante escorte ?
La déesse en sourit ; et son pouvoir divin
entr' ouvrit tout à coup un battant de la porte,
que ma juste colère injuriait en vain.
Tu parus, Eucharis, le front couvert d' un voile,
en long habit de lin, noué négligemment ;
mais plus belle à mes yeux sous la modeste toile,
que sous l' éclat trompeur du plus riche ornement.
Eh ! Qui sous cet habit ne t' aurait méconnue ?
Il semblait étranger à nos tristes climats.
De mon bras amoureux tu marchais soutenue,
et la terre fuyait sous tes pieds délicats.
p22
ô toit rustique et pauvre, atelier solitaire,
par les plus vils travaux long-temps deshonoré,
à des travaux plus doux aujourd' hui consacré,
tu couvris nos plaisirs des ombres du mystère !
Est-il d' horribles lieux pour le coeur d' un amant ?
Un lit étroit et dur, théâtre de ma gloire,
de ce temple nouveau formait l' ameublement :
eh bien ! J' étais encor dans ton boudoir charmant,
sous tes plafonds dorés et tes rideaux de moire.
Un feu pâle et tremblant, mourant à nos côtés,
par intervalle à peine éclaircissait les ombres.
Eh ! Que m' importe à moi, si les nuits les plus
sombres
invitent tous mes sens aux molles voluptés ?
Je craignais (tu le sais), ô ma belle maîtresse !
Que ce lit rigoureux ne blessât tes attraits :
j' oubliais que l' amour, propice à ma tendresse,
de ses heureuses mains l' aplatit tout exprès.
Oh ! Combien, croyez-moi, sur ces lits favorables,
l' amant ingénieux invente de combats !
Là naissent les fureurs, les plaintes, les débats,
les doux enlacemens et les plaisirs durables.
p23
Eucharis, par moi-même instruite à m' enflammer,
pour la première fois semblait encor se rendre ;
affectait des rigueurs pour mieux se faire aimer,
et disait toujours non , sans vouloir se défendre.
Le crépuscule seul interrompit nos jeux.
Le marteau sur l' airain avait frappé trois heures,
il fallut tristement regagner nos demeures.
La foudre alors grondait sous un ciel orageux.
Loin de moi ces amans que Jupiter arrête,
et qui courbent leurs fronts sous ses coups redoublés !
D' un oeil audacieux défiant la tempête,
je menais fièrement ma superbe conquête,
et j' aurais bravé seul tous les dieux assemblés.
J' avançais cependant sous cet immense ombrage,
p24
qui couronne en jardins nos remparts orgueilleux ;
la maison d' Eucharis frappa bientôt mes yeux.
Cet aspect, je l' avoue, abattit mon courage :
eh ! Qui peut se résoudre à ces derniers adieux ?
Vingt fois je m' éloignai, saisi d' un trouble extrême,
et vingt fois à ses pieds je revins malgré moi.
Je lui disais sans cesse : " ô moitié de moi-même,
" je veux mourir, avant de cesser d' être à toi ! "
après mille baisers, la matineuse aurore
nous surprit sous les murs de ce fatal séjour ;
mes baisers sur le seuil la retenaient encore,
et je ne la rendis qu' aux premiers feux du jour.
p19
Oui ! Que des dieux vengeurs l' implacable courroux
sur l' infernal rocher d' un noeud d' airain t' enchaîne,
ô toi qui, le premier, inventas les verroux,
et fis crier les gonds sous des portes de chêne !
On enferme Eucharis ; un injuste pouvoir
dérobe à mon amour sa beauté gémissante.
Nuit et jour vainement je demande à la voir :
lorsque j' entends ses pleurs, on dit qu' elle est
absente.
Vous pleurez, Eucharis ; vous attestez les dieux
(car les dieux à l' amante ont permis ce parjure) :
p20
vous pleurez, et peut-être un époux odieux
joint l' injure au reproche, et l' outrage à l' injure.
Eh ! Qui sait si l' ingrat, de son bras rigoureux
saisissant la beauté dont je suis idolâtre,
n' a pas d' un ongle impie arraché ses cheveux,
ou meurtri son beau sein plus poli que l' albâtre ?
Tombez, coupables murs ! Dieux immortels, tonnez !
Vengez-moi, vengez-vous de sa fureur extrême.
Quiconque a pu frapper la maîtresse que j' aime,
un jour, n' en doutez pas, à vos yeux étonnés,
sur vos autels détruits vous détruira vous-même.
ô ma chère Eucharis, ces dieux veillent sur nous :
ta beauté sur la terre est leur plus digne ouvrage.
Songe, songe du moins à tromper les jaloux :
il faut oser. Vénus seconde le courage ;
Vénus instruit l' amante, au milieu de la nuit,
à descendre en secret de sa couche paisible ;
p21
Vénus enseigne encor l' art de poser sans bruit
sur des parquets mouvans un pied sûr et flexible.
Te souvient-il d' un soir, où dans des flots de vin
tu pris soin d' endormir ta vigilante escorte ?
La déesse en sourit ; et son pouvoir divin
entr' ouvrit tout à coup un battant de la porte,
que ma juste colère injuriait en vain.
Tu parus, Eucharis, le front couvert d' un voile,
en long habit de lin, noué négligemment ;
mais plus belle à mes yeux sous la modeste toile,
que sous l' éclat trompeur du plus riche ornement.
Eh ! Qui sous cet habit ne t' aurait méconnue ?
Il semblait étranger à nos tristes climats.
De mon bras amoureux tu marchais soutenue,
et la terre fuyait sous tes pieds délicats.
p22
ô toit rustique et pauvre, atelier solitaire,
par les plus vils travaux long-temps deshonoré,
à des travaux plus doux aujourd' hui consacré,
tu couvris nos plaisirs des ombres du mystère !
Est-il d' horribles lieux pour le coeur d' un amant ?
Un lit étroit et dur, théâtre de ma gloire,
de ce temple nouveau formait l' ameublement :
eh bien ! J' étais encor dans ton boudoir charmant,
sous tes plafonds dorés et tes rideaux de moire.
Un feu pâle et tremblant, mourant à nos côtés,
par intervalle à peine éclaircissait les ombres.
Eh ! Que m' importe à moi, si les nuits les plus
sombres
invitent tous mes sens aux molles voluptés ?
Je craignais (tu le sais), ô ma belle maîtresse !
Que ce lit rigoureux ne blessât tes attraits :
j' oubliais que l' amour, propice à ma tendresse,
de ses heureuses mains l' aplatit tout exprès.
Oh ! Combien, croyez-moi, sur ces lits favorables,
l' amant ingénieux invente de combats !
Là naissent les fureurs, les plaintes, les débats,
les doux enlacemens et les plaisirs durables.
p23
Eucharis, par moi-même instruite à m' enflammer,
pour la première fois semblait encor se rendre ;
affectait des rigueurs pour mieux se faire aimer,
et disait toujours non , sans vouloir se défendre.
Le crépuscule seul interrompit nos jeux.
Le marteau sur l' airain avait frappé trois heures,
il fallut tristement regagner nos demeures.
La foudre alors grondait sous un ciel orageux.
Loin de moi ces amans que Jupiter arrête,
et qui courbent leurs fronts sous ses coups redoublés !
D' un oeil audacieux défiant la tempête,
je menais fièrement ma superbe conquête,
et j' aurais bravé seul tous les dieux assemblés.
J' avançais cependant sous cet immense ombrage,
p24
qui couronne en jardins nos remparts orgueilleux ;
la maison d' Eucharis frappa bientôt mes yeux.
Cet aspect, je l' avoue, abattit mon courage :
eh ! Qui peut se résoudre à ces derniers adieux ?
Vingt fois je m' éloignai, saisi d' un trouble extrême,
et vingt fois à ses pieds je revins malgré moi.
Je lui disais sans cesse : " ô moitié de moi-même,
" je veux mourir, avant de cesser d' être à toi ! "
après mille baisers, la matineuse aurore
nous surprit sous les murs de ce fatal séjour ;
mes baisers sur le seuil la retenaient encore,
et je ne la rendis qu' aux premiers feux du jour.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 1 ELEGIE 7
p25
à Eucharis.
Ne crains pas qu' à mes côtés
une autre affaisse ta couche,
ni que ma coupable bouche
caresse d' autres beautés.
Tu me plais seule, ô mon âme.
Oui ! J' en atteste les dieux,
ce Paris si glorieux,
après toi, n' a plus de femme
qui puisse tenter ma flamme,
et qui soit belle à mes yeux.
La foule en tous lieux te presse,
p26
et murmure autour de toi ;
chacun brigue ta tendresse,
et veut me ravir ta foi :
plût au ciel que ma maîtresse
ne parût belle qu' à moi !
Pour moi seul ta tresse blonde
devrait parer ces trésors
qu' elle embrasse de son onde.
Déplais au reste du monde :
je serai tranquille alors.
Eh ! Que m' importe, ô ma vie !
Le vulgaire et ses discours ?
Ai-je besoin qu' il m' envie
des plaisirs déjà trop courts ?
Que fait au bonheur suprême
la gloire et son vain éclat ?
Heureux l' amant délicat
qui le savoure en lui-même !
Dans un désert avec toi
p27
mes jours couleraient paisibles ;
je dormirais sans effroi
sur des rocs inaccessibles.
Eucharis dans mes ennuis
est le repos que j' implore ;
Eucharis est mon aurore
dans la sombre horreur des nuits ;
même dans la solitude,
où, libres d' inquiétude,
entre l' amour et l' étude
nous vivons seuls avec nous,
occupés du soin si doux
de nous aimer, de nous plaire,
Eucharis sur mes genoux
est pour moi toute la terre.
p25
à Eucharis.
Ne crains pas qu' à mes côtés
une autre affaisse ta couche,
ni que ma coupable bouche
caresse d' autres beautés.
Tu me plais seule, ô mon âme.
Oui ! J' en atteste les dieux,
ce Paris si glorieux,
après toi, n' a plus de femme
qui puisse tenter ma flamme,
et qui soit belle à mes yeux.
La foule en tous lieux te presse,
p26
et murmure autour de toi ;
chacun brigue ta tendresse,
et veut me ravir ta foi :
plût au ciel que ma maîtresse
ne parût belle qu' à moi !
Pour moi seul ta tresse blonde
devrait parer ces trésors
qu' elle embrasse de son onde.
Déplais au reste du monde :
je serai tranquille alors.
Eh ! Que m' importe, ô ma vie !
Le vulgaire et ses discours ?
Ai-je besoin qu' il m' envie
des plaisirs déjà trop courts ?
Que fait au bonheur suprême
la gloire et son vain éclat ?
Heureux l' amant délicat
qui le savoure en lui-même !
Dans un désert avec toi
p27
mes jours couleraient paisibles ;
je dormirais sans effroi
sur des rocs inaccessibles.
Eucharis dans mes ennuis
est le repos que j' implore ;
Eucharis est mon aurore
dans la sombre horreur des nuits ;
même dans la solitude,
où, libres d' inquiétude,
entre l' amour et l' étude
nous vivons seuls avec nous,
occupés du soin si doux
de nous aimer, de nous plaire,
Eucharis sur mes genoux
est pour moi toute la terre.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 1 ELEGIE 8
p28
Portrait d' Eucharis.
Regardez Eucharis, vous qui craignez d' aimer,
et vous voudrez mourir du feu qui me dévore.
Vous dont le coeur éteint ne peut plus s' enflammer,
regardez Eucharis : vous aimerez encore.
Il faut brûler, quand de ses flots mouvans
la plume ombrage en dais sa tête enorgueillie ;
il faut brûler, quand l' haleine des vents
disperse ses cheveux sur sa gorge embellie.
Un air de négligence, un air de volupté,
le sourire ingénu, la pudeur rougissante,
les diamans, les fleurs, l' hermine éblouissante,
et la pourpre et l' azur, tout sied à sa beauté.
Que j' aime à la presser, quand sa taille légère
p29
emprunte du sérail les magiques atours ;
ou, qu' à mes sens ravis sa tunique étrangère
d' un sein voluptueux dessine les contours !
L' amour même a poli sa main enchanteresse ;
ses bras semblent formés pour enlacer les dieux.
Soit qu' elle ferme ou qu' elle ouvre les yeux,
il faut mourir de langueur ou d' ivresse.
Il faut mourir, lorsqu' au milieu de nous,
Eucharis, vers le soir, nouvelle Terpsichore,
danse, ou, prenant sa harpe entre ses beaux genoux,
mêle à ce doux concert sa voix plus douce encore,
que de légèreté dans ses doigts délicats !
Tout l' instrument frémit sous ses deux mains
errantes ;
et le voile incertain des cordes transparentes,
même en les dérobant, embellit ses appas.
Tel brille un astre pur dans le mobile ombrage ;
telle est Diane aux bains, ou telle on peint
Cypris,
dans Amathonte, à ses peuples chéris
se laissant voir à travers un nuage.
p30
ô vous, qui disputez le prix,
le prix divin des talens et des charmes,
je n' ai qu' à montrer Eucharis,
vous rougirez, et vous rendrez les armes.
On parle de Théone ; on vante tour à tour
Euphrosyne et Zulmé, ces deux soeurs de l' amour,
Aglaure, Issé, Corinne, et Glycère, et Julie,
et mille autres beautés, ornemens de la cour :
Eucharis est plus belle et cent fois plus jolie.
Lorsqu' elle parut l' autre soir
dans le temple de Melpomène,
on lui battit des mains, on la prit pour la reine,
et tout Paris charmé se leva pour la voir.
L' aimer, lui plaire enfin, est mon unique envie ;
à posséder son coeur je borne tous mes voeux :
eh ! Qui voudrait donner un seul de ses cheveux
pour tous les trésors de l' Asie ?
p28
Portrait d' Eucharis.
Regardez Eucharis, vous qui craignez d' aimer,
et vous voudrez mourir du feu qui me dévore.
Vous dont le coeur éteint ne peut plus s' enflammer,
regardez Eucharis : vous aimerez encore.
Il faut brûler, quand de ses flots mouvans
la plume ombrage en dais sa tête enorgueillie ;
il faut brûler, quand l' haleine des vents
disperse ses cheveux sur sa gorge embellie.
Un air de négligence, un air de volupté,
le sourire ingénu, la pudeur rougissante,
les diamans, les fleurs, l' hermine éblouissante,
et la pourpre et l' azur, tout sied à sa beauté.
Que j' aime à la presser, quand sa taille légère
p29
emprunte du sérail les magiques atours ;
ou, qu' à mes sens ravis sa tunique étrangère
d' un sein voluptueux dessine les contours !
L' amour même a poli sa main enchanteresse ;
ses bras semblent formés pour enlacer les dieux.
Soit qu' elle ferme ou qu' elle ouvre les yeux,
il faut mourir de langueur ou d' ivresse.
Il faut mourir, lorsqu' au milieu de nous,
Eucharis, vers le soir, nouvelle Terpsichore,
danse, ou, prenant sa harpe entre ses beaux genoux,
mêle à ce doux concert sa voix plus douce encore,
que de légèreté dans ses doigts délicats !
Tout l' instrument frémit sous ses deux mains
errantes ;
et le voile incertain des cordes transparentes,
même en les dérobant, embellit ses appas.
Tel brille un astre pur dans le mobile ombrage ;
telle est Diane aux bains, ou telle on peint
Cypris,
dans Amathonte, à ses peuples chéris
se laissant voir à travers un nuage.
p30
ô vous, qui disputez le prix,
le prix divin des talens et des charmes,
je n' ai qu' à montrer Eucharis,
vous rougirez, et vous rendrez les armes.
On parle de Théone ; on vante tour à tour
Euphrosyne et Zulmé, ces deux soeurs de l' amour,
Aglaure, Issé, Corinne, et Glycère, et Julie,
et mille autres beautés, ornemens de la cour :
Eucharis est plus belle et cent fois plus jolie.
Lorsqu' elle parut l' autre soir
dans le temple de Melpomène,
on lui battit des mains, on la prit pour la reine,
et tout Paris charmé se leva pour la voir.
L' aimer, lui plaire enfin, est mon unique envie ;
à posséder son coeur je borne tous mes voeux :
eh ! Qui voudrait donner un seul de ses cheveux
pour tous les trésors de l' Asie ?
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 1 ELEGIE 9
p31
L' absence.
L' astre brillant des nuits a fini sa carrière.
Je n' entends plus de chars ni de sourdes clameurs ;
le calme règne au loin dans la nature entière ;
tout dort ; le jaloux même a fermé sa paupière :
et moi, je veille ; et moi, je verse encor des pleurs.
Voici l' heure paisible où l' esclave fidèle
au chevet d' Eucharis me guidait par la main ;
voici l' heure où, trompant un époux inhumain,
j' entrouvrais ses rideaux, et me glissais près d' elle.
En y songeant encore, immobile et tremblant
j' écoute : un rien accroît ma frayeur attentive ;
et, pressant dans mes bras un oreiller brûlant,
je crois encor presser mon amante craintive.
p32
Fantômes amoureux, pourquoi me trompez-vous ?
Eucharis est absente, Eucharis m' est ravie ;
Eucharis, loin de moi, vers un ciel en courroux
lève un front suppliant, et déteste la vie.
On dit qu' en s' éloignant, ses yeux pleins de
langueur
redemandaient aux dieux l' objet de sa tendresse.
Périsse le premier dont l' injuste rigueur
a séparé l' amant de sa jeune maîtresse !
L' onde caresse en paix ses rivages chéris ;
le lierre croît et meurt sur l' écorce du chêne ;
l' ormeau ne quitte point la vigne qui l' enchaîne :
pourquoi faut-il toujours qu' on m' enlève Eucharis ?
Cher et cruel objet de plaisirs et d' alarmes,
toi, qu' un père autrefois me défendit d' aimer,
rappelle-toi combien tu m' as coûté de larmes !
Ah ! Garde-moi ton coeur ; conserve-moi ces charmes
que l' amour pour moi seul se plaisait à former,
et qu' un barbare, hélas ! Retient en sa puissance.
L' art d' écrire est, dit-on, l' art de tromper
l' absence.
écris-moi : tu le peux à la faveur des nuits.
p33
Peins-moi ton désespoir et tes mortels ennuis.
Par le plus tendre amour que tes lignes tracées
arrêtent mes regards, de tes pleurs effacées.
Crains d' oublier, surtout, en pliant le feuillet,
ce cercle ingénieux qu' inventa ma tendresse,
ce cercle où mille fois ta bouche enchanteresse
déposa des baisers, qu' avec bien plus d' adresse,
tout entiers, loin de toi, la mienne recueillait.
Un jour, peut-être, un jour, ô ma tant douce amie !
Quand la fidèle Oenone ouvrira tes volets,
et qu' un songe amoureux, te présentant mes traits,
fera couler l' espoir dans ton âme attendrie,
j' entrerai tout d' un coup sans me faire annoncer ;
je paraîtrai tomber du céleste empyrée.
Du lit alors, pieds nus, légère à t' élancer,
si, les cheveux épars, incertaine, égarée,
tu cours, les bras tendus, à mon cou t' enlacer,
mes vers du monde entier t' assurent les hommages ;
Vénus aura perdu ses honneurs immortels ;
et les amans en foule, embrassant tes autels,
de lilas et de fleurs orneront tes images.
p31
L' absence.
L' astre brillant des nuits a fini sa carrière.
Je n' entends plus de chars ni de sourdes clameurs ;
le calme règne au loin dans la nature entière ;
tout dort ; le jaloux même a fermé sa paupière :
et moi, je veille ; et moi, je verse encor des pleurs.
Voici l' heure paisible où l' esclave fidèle
au chevet d' Eucharis me guidait par la main ;
voici l' heure où, trompant un époux inhumain,
j' entrouvrais ses rideaux, et me glissais près d' elle.
En y songeant encore, immobile et tremblant
j' écoute : un rien accroît ma frayeur attentive ;
et, pressant dans mes bras un oreiller brûlant,
je crois encor presser mon amante craintive.
p32
Fantômes amoureux, pourquoi me trompez-vous ?
Eucharis est absente, Eucharis m' est ravie ;
Eucharis, loin de moi, vers un ciel en courroux
lève un front suppliant, et déteste la vie.
On dit qu' en s' éloignant, ses yeux pleins de
langueur
redemandaient aux dieux l' objet de sa tendresse.
Périsse le premier dont l' injuste rigueur
a séparé l' amant de sa jeune maîtresse !
L' onde caresse en paix ses rivages chéris ;
le lierre croît et meurt sur l' écorce du chêne ;
l' ormeau ne quitte point la vigne qui l' enchaîne :
pourquoi faut-il toujours qu' on m' enlève Eucharis ?
Cher et cruel objet de plaisirs et d' alarmes,
toi, qu' un père autrefois me défendit d' aimer,
rappelle-toi combien tu m' as coûté de larmes !
Ah ! Garde-moi ton coeur ; conserve-moi ces charmes
que l' amour pour moi seul se plaisait à former,
et qu' un barbare, hélas ! Retient en sa puissance.
L' art d' écrire est, dit-on, l' art de tromper
l' absence.
écris-moi : tu le peux à la faveur des nuits.
p33
Peins-moi ton désespoir et tes mortels ennuis.
Par le plus tendre amour que tes lignes tracées
arrêtent mes regards, de tes pleurs effacées.
Crains d' oublier, surtout, en pliant le feuillet,
ce cercle ingénieux qu' inventa ma tendresse,
ce cercle où mille fois ta bouche enchanteresse
déposa des baisers, qu' avec bien plus d' adresse,
tout entiers, loin de toi, la mienne recueillait.
Un jour, peut-être, un jour, ô ma tant douce amie !
Quand la fidèle Oenone ouvrira tes volets,
et qu' un songe amoureux, te présentant mes traits,
fera couler l' espoir dans ton âme attendrie,
j' entrerai tout d' un coup sans me faire annoncer ;
je paraîtrai tomber du céleste empyrée.
Du lit alors, pieds nus, légère à t' élancer,
si, les cheveux épars, incertaine, égarée,
tu cours, les bras tendus, à mon cou t' enlacer,
mes vers du monde entier t' assurent les hommages ;
Vénus aura perdu ses honneurs immortels ;
et les amans en foule, embrassant tes autels,
de lilas et de fleurs orneront tes images.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 1 ELEGIE 10
p34
à Eucharis.
Il fut un temps où vos lettres fidèles
adoucissaient mon exil amoureux :
ce temps n' est plus. Un destin rigoureux,
dix jours entiers, m' a déjà privé d' elles.
épargnez-vous des détours superflus,
pour abuser ma crédule tendresse.
Je le vois trop : je n' ai plus de maîtresse ;
vous m' oubliez, et vous ne m' aimez plus.
Sans doute, hélas ! Un autre a su vous plaire.
En m' arrachant l' objet de mes désirs,
l' ingrat jouit de ma triste colère ;
mon désespoir augmente ses plaisirs.
ô bains de Spa, source impure et funeste,
p35
puissent les vents et la flamme céleste
vous engloutir sous vos marbres rompus !
Aux tendres coeurs vous causez trop d' alarmes.
Que d' amours vrais et de pudiques charmes,
dans leur saison, vos eaux ont corrompus !
Sans vous, hélas ! Ma colombe timide,
mon Eucharis n' eût point trahi sa foi.
Elle a touché votre rive perfide :
ah ! C' en est fait ; elle n' est plus à moi.
p34
à Eucharis.
Il fut un temps où vos lettres fidèles
adoucissaient mon exil amoureux :
ce temps n' est plus. Un destin rigoureux,
dix jours entiers, m' a déjà privé d' elles.
épargnez-vous des détours superflus,
pour abuser ma crédule tendresse.
Je le vois trop : je n' ai plus de maîtresse ;
vous m' oubliez, et vous ne m' aimez plus.
Sans doute, hélas ! Un autre a su vous plaire.
En m' arrachant l' objet de mes désirs,
l' ingrat jouit de ma triste colère ;
mon désespoir augmente ses plaisirs.
ô bains de Spa, source impure et funeste,
p35
puissent les vents et la flamme céleste
vous engloutir sous vos marbres rompus !
Aux tendres coeurs vous causez trop d' alarmes.
Que d' amours vrais et de pudiques charmes,
dans leur saison, vos eaux ont corrompus !
Sans vous, hélas ! Ma colombe timide,
mon Eucharis n' eût point trahi sa foi.
Elle a touché votre rive perfide :
ah ! C' en est fait ; elle n' est plus à moi.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 1 ELEGIE 11
p36
Ainsi, lorsque, plongé dans ma douleur mortelle,
hier, en soupirant, j' appelais Eucharis,
elle parut soudain : " la voici, me dit-elle,
" qui cherche son amant dans les murs de Paris. "
ô dieux ! Qu' à son aspect mon âme fut ravie !
Je courus me jeter dans ses bras amoureux ;
j' y demeurai long-temps ; et, plein d' un trouble
heureux,
je la nommais mon tout, ma lumière, ma vie.
Je ne me lassais point de contempler ses yeux.
Les ombres cependant enveloppaient les cieux ;
Eucharis, dans son char, me conduisit chez elle.
ô char propice, et toi, réduit délicieux,
p37
vous savez si son coeur alors paya mon zèle !
L' oeil humide de joie, et d' amour énivrés,
tête à tête à la fin tous les deux nous soupâmes,
je tenais ses genoux entre les miens serrés :
ce doux rapprochement semblait unir nos âmes.
Ciel ! Que le moment fuit ! Que les plaisirs sont
courts !
Déjà la lune errante, aux deux tiers de son cours,
sous des nuages noirs se perdait éclipsée :
p38
l' airain sonnait minuit : il fallut nous quitter.
Il fut un temps hélas ! Plus cher à ma pensée,
où, fascinant les yeux d' une foule insensée,
je pouvais jusqu' au jour impunément rester.
Aujourd' hui tout s' oppose à mon doux stratagème ;
un beau-père inquiet, prêt à rentrer soudain ;
de mes nouveaux argus la vigilance extrême ;
et ce portier rôdant de la cour au jardin.
Mais qui peut arrêter l' impétueuse ivresse
d' un coeur brûlant d' amour et que le plaisir presse ?
Trop certain des périls contre moi rassemblés,
je balançais encore ; et mes regards troublés
attendaient mon arrêt des yeux de mon amante.
Trois fois, d' un long baiser sillonnant ses appas,
je m' éloignai ; trois fois, je revins sur mes pas.
Enfin, les yeux remplis d' une fureur charmante,
la divine Eucharis, un mouchoir à la main,
dans l' alcôve, en riant, me poursuit et m' arrête,
et du bandeau nocturne environnant ma tête :
" le sort en est jeté, me dit-elle, et demain
" nous verrons quels détours Vénus, que je réclame,
" saura nous inspirer pour sortir d' embarras.
p39
" aujourd' hui, cher amant, je te tiens dans mes bras ;
" je n' examine rien, je suis toute à ma flamme.
" je brave et mes tyrans et leur affreux pouvoir ;
" j' ai trop long-temps langui dans mon lit solitaire.
" le ciel, après trois mois, me permet de te voir ;
" que l' on découvre, ou non, ce fortuné mystère,
" tu resteras. " ô dieux, que j' aimais son courroux !
Elle vole à la porte, et ferme les verroux,
à me déshabiller m' enhardit la première,
laisse tomber sa jupe et souffle la lumière.
Cependant le vieillard arrive à petit bruit.
De ma visite étrange aussitôt on l' instruit ;
il monte suffoqué de colère et de rage.
à ce moment fatal, rappelant mon courage,
j' invoquai tous les dieux en pareil cas surpris.
Il vient, il heurte, il frappe, il appelle Eucharis.
Eucharis dans mes bras feignait d' être endormie,
et n' osait respirer, et ne répondait rien :
pour moi, je l' avouerai, je goûtais quelque bien
à sentir battre ainsi le coeur de mon amie.
Sans doute le barbare, à ma perte obstiné,
feignant de prendre alors le parti le plus sage,
n' en défendit que mieux l' escalier détourné,
et crut plus sûrement me saisir au passage.
Il se trompait ; l' amour veillait sur mon destin.
p40
Quand la belle Eucharis, un peu vers le matin,
de l' excès des plaisirs eut lassé ma tendresse,
je lui dis : " lève-toi, mon aimable maîtresse.
" si l' on me voit sortir, ton malheur est certain.
" lève-toi ; l' heure fuit, et le jour va renaître.
" il faut tromper ton père et sauver ton amant.
" l' ombre nous sert encor : profitons du moment ;
" seconde mon audace " . Alors, tout doucement,
de mes discrètes mains j' entr' ouvre la fenêtre.
Deux draps encor brûlans de leur lit arrachés,
doux voiles réservés à des jeux plus paisibles,
l' un à l' autre liés par des noeuds invincibles,
pendent le long du mur, au balcon attachés.
Eucharis inquiète, en proie à ses alarmes,
refusait à ce prix de se justifier,
à ces liens douteux n' osait me confier,
et, les cousant encor, les trempait de ses larmes.
Enfin, le front couvert, un fer nu sous le bras,
rassurant mille fois mon amante éperdue,
je m' élance d' un saut, glisse le long des draps ;
le pavé retentit, et je suis dans la rue.
Amour, seul inventeur de ces heureux larcins,
tu dérobas ma fuite aux voleurs assassins,
aux passans indiscrets, à la garde sévère !
p42
Non, l' amant, quel qu' il soit, n' a rien à redouter ;
nul mortel à ses jours n' oserait attenter :
c' est un dieu, qu' à genoux le monde entier révère.
p36
Ainsi, lorsque, plongé dans ma douleur mortelle,
hier, en soupirant, j' appelais Eucharis,
elle parut soudain : " la voici, me dit-elle,
" qui cherche son amant dans les murs de Paris. "
ô dieux ! Qu' à son aspect mon âme fut ravie !
Je courus me jeter dans ses bras amoureux ;
j' y demeurai long-temps ; et, plein d' un trouble
heureux,
je la nommais mon tout, ma lumière, ma vie.
Je ne me lassais point de contempler ses yeux.
Les ombres cependant enveloppaient les cieux ;
Eucharis, dans son char, me conduisit chez elle.
ô char propice, et toi, réduit délicieux,
p37
vous savez si son coeur alors paya mon zèle !
L' oeil humide de joie, et d' amour énivrés,
tête à tête à la fin tous les deux nous soupâmes,
je tenais ses genoux entre les miens serrés :
ce doux rapprochement semblait unir nos âmes.
Ciel ! Que le moment fuit ! Que les plaisirs sont
courts !
Déjà la lune errante, aux deux tiers de son cours,
sous des nuages noirs se perdait éclipsée :
p38
l' airain sonnait minuit : il fallut nous quitter.
Il fut un temps hélas ! Plus cher à ma pensée,
où, fascinant les yeux d' une foule insensée,
je pouvais jusqu' au jour impunément rester.
Aujourd' hui tout s' oppose à mon doux stratagème ;
un beau-père inquiet, prêt à rentrer soudain ;
de mes nouveaux argus la vigilance extrême ;
et ce portier rôdant de la cour au jardin.
Mais qui peut arrêter l' impétueuse ivresse
d' un coeur brûlant d' amour et que le plaisir presse ?
Trop certain des périls contre moi rassemblés,
je balançais encore ; et mes regards troublés
attendaient mon arrêt des yeux de mon amante.
Trois fois, d' un long baiser sillonnant ses appas,
je m' éloignai ; trois fois, je revins sur mes pas.
Enfin, les yeux remplis d' une fureur charmante,
la divine Eucharis, un mouchoir à la main,
dans l' alcôve, en riant, me poursuit et m' arrête,
et du bandeau nocturne environnant ma tête :
" le sort en est jeté, me dit-elle, et demain
" nous verrons quels détours Vénus, que je réclame,
" saura nous inspirer pour sortir d' embarras.
p39
" aujourd' hui, cher amant, je te tiens dans mes bras ;
" je n' examine rien, je suis toute à ma flamme.
" je brave et mes tyrans et leur affreux pouvoir ;
" j' ai trop long-temps langui dans mon lit solitaire.
" le ciel, après trois mois, me permet de te voir ;
" que l' on découvre, ou non, ce fortuné mystère,
" tu resteras. " ô dieux, que j' aimais son courroux !
Elle vole à la porte, et ferme les verroux,
à me déshabiller m' enhardit la première,
laisse tomber sa jupe et souffle la lumière.
Cependant le vieillard arrive à petit bruit.
De ma visite étrange aussitôt on l' instruit ;
il monte suffoqué de colère et de rage.
à ce moment fatal, rappelant mon courage,
j' invoquai tous les dieux en pareil cas surpris.
Il vient, il heurte, il frappe, il appelle Eucharis.
Eucharis dans mes bras feignait d' être endormie,
et n' osait respirer, et ne répondait rien :
pour moi, je l' avouerai, je goûtais quelque bien
à sentir battre ainsi le coeur de mon amie.
Sans doute le barbare, à ma perte obstiné,
feignant de prendre alors le parti le plus sage,
n' en défendit que mieux l' escalier détourné,
et crut plus sûrement me saisir au passage.
Il se trompait ; l' amour veillait sur mon destin.
p40
Quand la belle Eucharis, un peu vers le matin,
de l' excès des plaisirs eut lassé ma tendresse,
je lui dis : " lève-toi, mon aimable maîtresse.
" si l' on me voit sortir, ton malheur est certain.
" lève-toi ; l' heure fuit, et le jour va renaître.
" il faut tromper ton père et sauver ton amant.
" l' ombre nous sert encor : profitons du moment ;
" seconde mon audace " . Alors, tout doucement,
de mes discrètes mains j' entr' ouvre la fenêtre.
Deux draps encor brûlans de leur lit arrachés,
doux voiles réservés à des jeux plus paisibles,
l' un à l' autre liés par des noeuds invincibles,
pendent le long du mur, au balcon attachés.
Eucharis inquiète, en proie à ses alarmes,
refusait à ce prix de se justifier,
à ces liens douteux n' osait me confier,
et, les cousant encor, les trempait de ses larmes.
Enfin, le front couvert, un fer nu sous le bras,
rassurant mille fois mon amante éperdue,
je m' élance d' un saut, glisse le long des draps ;
le pavé retentit, et je suis dans la rue.
Amour, seul inventeur de ces heureux larcins,
tu dérobas ma fuite aux voleurs assassins,
aux passans indiscrets, à la garde sévère !
p42
Non, l' amant, quel qu' il soit, n' a rien à redouter ;
nul mortel à ses jours n' oserait attenter :
c' est un dieu, qu' à genoux le monde entier révère.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 1 ELEGIE 12
à Eucharis.
Que peut demander aux dieux
l' amant qui baise tes yeux,
et qui t' a donné sa vie ?
Il ne voit rien sous les cieux
qu' il regrette où qu' il envie.
Qu' un autre amasse en paix les épis jaunissans
que la Beauce nourrit dans ses fertiles plaines ;
qu' il range sous ses lois vingt troupeaux mugissans,
que la pourpre de Tyr abreuve encor ses laines ;
long-temps, avant l' aube du jour,
p43
que l' avide marchand s' éveille,
et quitte sans pitié le maternel séjour,
amoureux des travaux qu' il détestait la veille ;
qu' il brave et les sables brûlans,
et les glaces hyperborées ;
qu' il fatigue les mers, qu' il enchaîne les vents,
pour boire le tokai dans des coupes dorées :
j' aime mieux du soleil éviter les chaleurs
sous l' humble coudrier soumis à ma puissance.
Périssent les trésors, plutôt que mon absence,
ô ma chère Eucharis, fasse couler tes pleurs !
Que me faut-il à moi ? Des routes incertaines
sous un ombrage frais, de limpides fontaines,
un gazon toujours vert, des parfums et des fleurs.
p44
Oui, ma divine maîtresse,
pourvu que sur mon coeur je presse tes appas,
qu' importe que la gloire, accusant ma paresse,
agite le laurier qui m' attend sur ses pas ?
Loin du tumulte et des alarmes,
je vivrais avec toi dans le fond des forêts.
Ce bras n' a jusqu' ici manié que des armes ;
mais disciple, avec toi, de la blonde Cérès,
je ne rougirais pas de dételer moi-même
des boeufs fumans sous l' aiguillon,
de reprendre, le soir, un pénible sillon,
et de suivre, à pas lents, le soc de Triptolème.
Je ne rougirais pas, sous mes doigts écumans,
p45
de presser avec toi le nectar des abeilles,
d' écarter les voleurs et les oiseaux gourmands,
ou de compter les fruits qui rompent tes corbeilles.
Avec toi, d' un front plus riant
j' accueillerais une aimable indigence,
que si des dieux, sans toi, la barbare indulgence
mettait à mes genoux l' Europe et l' orient.
Que m' importe l' Euphrate et son luxe superbe ?
Que m' importe Paris et son art dangereux,
si, tous deux enfoncés dans l' épaisseur de l' herbe,
ou dans ces blés flottans, dont l' or sur tes
cheveux,
ornement importun, vient se courber en gerbe,
je te trouve plus belle, et moi plus amoureux ?
Ah ! Loin des faux plaisirs dont la richesse abonde,
crois-moi, l' amant heureux, qui seul au fond du bois
te caresse au doux bruit et des vents et de l' onde,
p46
est au-dessus des rois qui gouvernent le monde,
est au-dessus des dieux qui gouvernent les rois.
à Eucharis.
Que peut demander aux dieux
l' amant qui baise tes yeux,
et qui t' a donné sa vie ?
Il ne voit rien sous les cieux
qu' il regrette où qu' il envie.
Qu' un autre amasse en paix les épis jaunissans
que la Beauce nourrit dans ses fertiles plaines ;
qu' il range sous ses lois vingt troupeaux mugissans,
que la pourpre de Tyr abreuve encor ses laines ;
long-temps, avant l' aube du jour,
p43
que l' avide marchand s' éveille,
et quitte sans pitié le maternel séjour,
amoureux des travaux qu' il détestait la veille ;
qu' il brave et les sables brûlans,
et les glaces hyperborées ;
qu' il fatigue les mers, qu' il enchaîne les vents,
pour boire le tokai dans des coupes dorées :
j' aime mieux du soleil éviter les chaleurs
sous l' humble coudrier soumis à ma puissance.
Périssent les trésors, plutôt que mon absence,
ô ma chère Eucharis, fasse couler tes pleurs !
Que me faut-il à moi ? Des routes incertaines
sous un ombrage frais, de limpides fontaines,
un gazon toujours vert, des parfums et des fleurs.
p44
Oui, ma divine maîtresse,
pourvu que sur mon coeur je presse tes appas,
qu' importe que la gloire, accusant ma paresse,
agite le laurier qui m' attend sur ses pas ?
Loin du tumulte et des alarmes,
je vivrais avec toi dans le fond des forêts.
Ce bras n' a jusqu' ici manié que des armes ;
mais disciple, avec toi, de la blonde Cérès,
je ne rougirais pas de dételer moi-même
des boeufs fumans sous l' aiguillon,
de reprendre, le soir, un pénible sillon,
et de suivre, à pas lents, le soc de Triptolème.
Je ne rougirais pas, sous mes doigts écumans,
p45
de presser avec toi le nectar des abeilles,
d' écarter les voleurs et les oiseaux gourmands,
ou de compter les fruits qui rompent tes corbeilles.
Avec toi, d' un front plus riant
j' accueillerais une aimable indigence,
que si des dieux, sans toi, la barbare indulgence
mettait à mes genoux l' Europe et l' orient.
Que m' importe l' Euphrate et son luxe superbe ?
Que m' importe Paris et son art dangereux,
si, tous deux enfoncés dans l' épaisseur de l' herbe,
ou dans ces blés flottans, dont l' or sur tes
cheveux,
ornement importun, vient se courber en gerbe,
je te trouve plus belle, et moi plus amoureux ?
Ah ! Loin des faux plaisirs dont la richesse abonde,
crois-moi, l' amant heureux, qui seul au fond du bois
te caresse au doux bruit et des vents et de l' onde,
p46
est au-dessus des rois qui gouvernent le monde,
est au-dessus des dieux qui gouvernent les rois.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 1 ELEGIE 13
p47
à Eucharis.
Si les vents, la pluie et la foudre,
la nuit, sous un ciel orageux,
menacent de réduire en poudre
nos toits ébranlés dans leurs jeux,
tu te rapproches, tu me presses ;
je sens tes membres agités :
et, triste au sein des voluptés,
" de nos innombrables caresses,
" les dieux, dis-tu, sont irrités. "
eh ! Qu' importe à ces dieux paisibles ;
nourris d' encens sur leurs autels,
l' amour de deux faibles mortels,
qu' eux même ils ont créés sensibles ?
Quel mal leur fait ce doux plaisir,
chef-d' oeuvre heureux de leur puissance.
Cet éclair de la jouissance
p48
que l' on peut à peine saisir ?
Les dieux ne sont point en colère.
Va, cesse enfin de t' alarmer ;
rejette une erreur populaire ;
crois-moi, dans la saison de plaire
le ciel ne défend point d' aimer.
Aimons, ô ma belle maîtresse ;
buvons nos vins délicieux ;
et que dans cette double ivresse,
la mort, au sein de la paresse,
vienne demain fermer nos yeux.
L' amour, par une pente aisée,
la tête ceinte encor de fleurs,
loin du triste séjour des pleurs
te conduira dans l' élysée.
Là, sous des berceaux toujours verts,
au murmure de cent fontaines,
on voit les ombres incertaines
danser, former des pas divers ;
et l' écho des roches lointaines
p49
redit les plus aimables vers.
C' est là que vont régner les belles
qui n' ont point trahi leurs sermens ;
c' est là qu' on place à côté d' elles
le nombre élu des vrais amans.
L' enfer est pour les infidèles
et pour les coeurs indifférens.
p47
à Eucharis.
Si les vents, la pluie et la foudre,
la nuit, sous un ciel orageux,
menacent de réduire en poudre
nos toits ébranlés dans leurs jeux,
tu te rapproches, tu me presses ;
je sens tes membres agités :
et, triste au sein des voluptés,
" de nos innombrables caresses,
" les dieux, dis-tu, sont irrités. "
eh ! Qu' importe à ces dieux paisibles ;
nourris d' encens sur leurs autels,
l' amour de deux faibles mortels,
qu' eux même ils ont créés sensibles ?
Quel mal leur fait ce doux plaisir,
chef-d' oeuvre heureux de leur puissance.
Cet éclair de la jouissance
p48
que l' on peut à peine saisir ?
Les dieux ne sont point en colère.
Va, cesse enfin de t' alarmer ;
rejette une erreur populaire ;
crois-moi, dans la saison de plaire
le ciel ne défend point d' aimer.
Aimons, ô ma belle maîtresse ;
buvons nos vins délicieux ;
et que dans cette double ivresse,
la mort, au sein de la paresse,
vienne demain fermer nos yeux.
L' amour, par une pente aisée,
la tête ceinte encor de fleurs,
loin du triste séjour des pleurs
te conduira dans l' élysée.
Là, sous des berceaux toujours verts,
au murmure de cent fontaines,
on voit les ombres incertaines
danser, former des pas divers ;
et l' écho des roches lointaines
p49
redit les plus aimables vers.
C' est là que vont régner les belles
qui n' ont point trahi leurs sermens ;
c' est là qu' on place à côté d' elles
le nombre élu des vrais amans.
L' enfer est pour les infidèles
et pour les coeurs indifférens.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 1 ELEGIE 14
p50
à un ami.
Ah ! C' en est trop : crois-moi, l' affreuse envie
se hâte en vain de nommer mon vainqueur.
Le doux objet qui m' a repris son coeur
me l' a rendu : c' est pour toute la vie.
Je défierais et les rois et les dieux
de m' enlever désormais sa tendresse ;
l' éclat des rangs importune ses yeux ;
l' olympe entier n' a rien qui l' intéresse ;
mon Eucharis aux titres orgueilleux,
préfère encor le nom de ma maîtresse.
Elle aime mieux, quand la rigueur du froid,
durant la nuit, attriste la nature,
s' arranger même au bord d' un lit étroit,
et partager mon humble couverture,
que de régner sur cent peuples divers,
ou d' étaler aux rives de la Seine
plus de palais et de jardins ouverts,
que n' en eut Rhode, et Corinthe, et Mycène.
Son coeur enfin ne saurait me tromper.
C' est pour moi seul qu' elle veut être belle ;
p51
c' est toujours moi que l' on garde à souper.
Mes fiers rivaux alors ont beau frapper,
heurter, gémir, et la nommer cruelle ;
on n' ouvre point : je suis seul avec elle,
mourant d' amour, et d' orgueil enivré.
ô mes amis, dans son temple sacré
courons en foule adorer la déesse
qui des amans me décerne le prix !
Oui, c' en est fait ; ma dernière vieillesse
s' écoulera dans le sein d' Eucharis.
Mon Eucharis est à moi dès l' aurore,
elle est à moi lorsque le jour s' enfuit ;
au crépuscule, et dans la vaste nuit,
mon Eucharis est à moi seul encore.
p50
à un ami.
Ah ! C' en est trop : crois-moi, l' affreuse envie
se hâte en vain de nommer mon vainqueur.
Le doux objet qui m' a repris son coeur
me l' a rendu : c' est pour toute la vie.
Je défierais et les rois et les dieux
de m' enlever désormais sa tendresse ;
l' éclat des rangs importune ses yeux ;
l' olympe entier n' a rien qui l' intéresse ;
mon Eucharis aux titres orgueilleux,
préfère encor le nom de ma maîtresse.
Elle aime mieux, quand la rigueur du froid,
durant la nuit, attriste la nature,
s' arranger même au bord d' un lit étroit,
et partager mon humble couverture,
que de régner sur cent peuples divers,
ou d' étaler aux rives de la Seine
plus de palais et de jardins ouverts,
que n' en eut Rhode, et Corinthe, et Mycène.
Son coeur enfin ne saurait me tromper.
C' est pour moi seul qu' elle veut être belle ;
p51
c' est toujours moi que l' on garde à souper.
Mes fiers rivaux alors ont beau frapper,
heurter, gémir, et la nommer cruelle ;
on n' ouvre point : je suis seul avec elle,
mourant d' amour, et d' orgueil enivré.
ô mes amis, dans son temple sacré
courons en foule adorer la déesse
qui des amans me décerne le prix !
Oui, c' en est fait ; ma dernière vieillesse
s' écoulera dans le sein d' Eucharis.
Mon Eucharis est à moi dès l' aurore,
elle est à moi lorsque le jour s' enfuit ;
au crépuscule, et dans la vaste nuit,
mon Eucharis est à moi seul encore.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 1 ELEGIE 15
p52
à Eucharis.
Qui ? Moi ! J' ai pu d' un air farouche
te repousser dans mon emportement ?
J' ai pu meurtrir tes bras, noircir ton cou charmant,
et blesser sans pitié les roses de ta bouche ?
Punis ces dents qui font couler tes pleurs.
Je m' offre, sans défense, à ta juste colère ;
n' épargne pas mes yeux, imite mes fureurs.
Je conduirai tes coups, si ta main délibère.
Mais pourquoi donc ce rival odieux
rôde-t-il sans cesse à ta porte ?
Pourquoi ces billets qu' on t' apporte
avec un soin mystérieux ?
Que veut cette foule idolâtre
de papillons dorés, d' insectes orgueilleux,
p53
qui bourdonne à ta suite, et t' annonce en tous
lieux ?
Que fais-tu la dernière au sortir du théâtre ?
Que fais-tu la première au temple de nos dieux ?
Pardonne, ô ma jeune maîtresse :
mon coeur s' inquiète aisément.
Je l' avouerai : dans ma fougueuse ivresse
je ne sais point aimer paisiblement.
L' oiseau, qui dans ton sein repose mollement,
et mord en se jouant ta langue enchanteresse,
d' un enfant au berceau l' innocente caresse,
p54
un baiser de ta soeur alarme ma tendresse,
et désespère ton amant.
Je suis jaloux de l' ouvrier habile
qui de ton corps mesure les contours ;
je suis jaloux de ce marbre immobile,
qui tous les soirs te voit changer d' atours ;
je suis jaloux de toute la nature ;
et malheureux, jour et nuit tourmenté,
je crois voir un rival caché dans ta ceinture,
et sous le tissu fin qui voile ta beauté.
Revenez, revenez, doux enfans de Cythère ;
ramenez-nous la paix et les aimables jeux ;
cachez à mes rivaux mon crime involontaire ;
couvrez ces vils combats des ombres du mystère :
Eucharis me sourit, ma grâce est dans ses yeux.
p52
à Eucharis.
Qui ? Moi ! J' ai pu d' un air farouche
te repousser dans mon emportement ?
J' ai pu meurtrir tes bras, noircir ton cou charmant,
et blesser sans pitié les roses de ta bouche ?
Punis ces dents qui font couler tes pleurs.
Je m' offre, sans défense, à ta juste colère ;
n' épargne pas mes yeux, imite mes fureurs.
Je conduirai tes coups, si ta main délibère.
Mais pourquoi donc ce rival odieux
rôde-t-il sans cesse à ta porte ?
Pourquoi ces billets qu' on t' apporte
avec un soin mystérieux ?
Que veut cette foule idolâtre
de papillons dorés, d' insectes orgueilleux,
p53
qui bourdonne à ta suite, et t' annonce en tous
lieux ?
Que fais-tu la dernière au sortir du théâtre ?
Que fais-tu la première au temple de nos dieux ?
Pardonne, ô ma jeune maîtresse :
mon coeur s' inquiète aisément.
Je l' avouerai : dans ma fougueuse ivresse
je ne sais point aimer paisiblement.
L' oiseau, qui dans ton sein repose mollement,
et mord en se jouant ta langue enchanteresse,
d' un enfant au berceau l' innocente caresse,
p54
un baiser de ta soeur alarme ma tendresse,
et désespère ton amant.
Je suis jaloux de l' ouvrier habile
qui de ton corps mesure les contours ;
je suis jaloux de ce marbre immobile,
qui tous les soirs te voit changer d' atours ;
je suis jaloux de toute la nature ;
et malheureux, jour et nuit tourmenté,
je crois voir un rival caché dans ta ceinture,
et sous le tissu fin qui voile ta beauté.
Revenez, revenez, doux enfans de Cythère ;
ramenez-nous la paix et les aimables jeux ;
cachez à mes rivaux mon crime involontaire ;
couvrez ces vils combats des ombres du mystère :
Eucharis me sourit, ma grâce est dans ses yeux.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 1 ELEGIE 16
p55
Pourquoi reprocher à ma lyre
de préluder toujours sur des tons amoureux ?
Je ne saurais former dans mon faible délire
de plus mâles accords, ni des chants plus heureux.
Laissons, laissons d' un vol agile
l' ambitieux vaisseau fendre les flots amers ;
d' un timide aviron ma nacelle fragile
doit raser humblement le rivage des mers.
Dans nos jours trop féconds en discordes rebelles,
qu' un autre en vers pompeux célèbre les combats ;
qu' il chante les héros : moi je chante les belles,
de plus tendres fureurs et de plus doux ébats.
Enfant gâté de la paresse,
p56
c' est assez que Vénus me couronne de fleurs ;
c' est assez que l' amant me lise à sa maîtresse,
qu' ils m' accordent ensemble un sourire ou des pleurs.
Ah ! Si d' un tendre amour la fille un jour éprise
me consulte en secret sur son trouble naissant,
et, vingt fois en sursaut par sa mère surprise,
dans son sein entr' ouvert me cache en rougissant,
je ne veux point d' autre gloire.
Chez nos neveux indulgens
on chérira ma mémoire :
Dieu fêté des jeunes gens,
dans mes amours négligens
ils trouveront leur histoire ;
et si l' Europe aux immortels écrits
ne mêle point mes chansons périssables,
on daignera peut-être dans Paris
me mettre au rang des poëtes aimables.
p55
Pourquoi reprocher à ma lyre
de préluder toujours sur des tons amoureux ?
Je ne saurais former dans mon faible délire
de plus mâles accords, ni des chants plus heureux.
Laissons, laissons d' un vol agile
l' ambitieux vaisseau fendre les flots amers ;
d' un timide aviron ma nacelle fragile
doit raser humblement le rivage des mers.
Dans nos jours trop féconds en discordes rebelles,
qu' un autre en vers pompeux célèbre les combats ;
qu' il chante les héros : moi je chante les belles,
de plus tendres fureurs et de plus doux ébats.
Enfant gâté de la paresse,
p56
c' est assez que Vénus me couronne de fleurs ;
c' est assez que l' amant me lise à sa maîtresse,
qu' ils m' accordent ensemble un sourire ou des pleurs.
Ah ! Si d' un tendre amour la fille un jour éprise
me consulte en secret sur son trouble naissant,
et, vingt fois en sursaut par sa mère surprise,
dans son sein entr' ouvert me cache en rougissant,
je ne veux point d' autre gloire.
Chez nos neveux indulgens
on chérira ma mémoire :
Dieu fêté des jeunes gens,
dans mes amours négligens
ils trouveront leur histoire ;
et si l' Europe aux immortels écrits
ne mêle point mes chansons périssables,
on daignera peut-être dans Paris
me mettre au rang des poëtes aimables.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 2 ELEGIE 1
p57
Quand je perdais les plus beaux de mes jours
si doucement aux pieds de ma maîtresse,
j' imaginais dans ma crédule ivresse,
qu' un tel bonheur devait durer toujours.
" qu' importe, hélas ! Me disais-je à moi-même,
" que le temps vole ? Il doit peu m' alarmer.
" après mille ans peut-on cesser d' aimer
" ce qu' une fois éperdument on aime ?
" quand j' aurai vu, moins bouillant dans mes voeux,
" s' évanouir les erreurs du bel âge,
" et que mon front, dégarni de cheveux,
" m' avertira qu' il est temps d' être sage,
" rendu pour lors à mes premiers penchans,
p58
" j' irai, j' irai, loin du monde volage,
" de mes aïeux cultiver l' héritage,
" tondre ma vigne, et labourer mes champs.
" dans mon foyer ma compagne fidèle,
" mon Eucharis, viendra donner des lois ;
" le doux ramier reconnaîtra sa voix,
" et mes agneaux bondiront autour d' elle.
" elle saura, dans la saison nouvelle,
" porter des fleurs au jeune dieu des bois :
" elle saura, puissant fils de Sémèle,
" t' offrir les dons du plus riche des mois,
" et surcharger ta couronne immortelle
" d' un raisin mûr qui rougira ses doigts.
" mon Eucharis fermera ma paupière :
p59
" oui ! Je mourrai dans ses embrassemens ;
" et là, sans pompe, un jour la même pierre
" sous des cyprès unira deux amans. "
je le disais. Quelle erreur insensée,
quel fol espoir enivrait ma pensée !
Les vents hélas ! En tourbillons fougueux
sur l' océan ont emporté mes voeux.
Mon Eucharis est trompeuse et parjure.
Qu' ai-je donc fait ? Et quelle est son injure ?
Ai-je un seul jour, négligeant ses attraits,
à ses beaux yeux coûté de tristes larmes ?
Ai-je, la nuit, dans des festins secrets,
par mes clameurs ou mes chants indiscrets,
en l' éveillant, excité ses alarmes ?
Dans mon malheur si j' ai pu l' offenser,
je cours m' offrir à sa main vengeresse :
de tout mon sang je suis près d' effacer
les pleurs jaloux qu' a versés sa tendresse.
Mais tremble, ô toi qui ris de mon tourment ;
tremble : l' amour t' en réserve un terrible.
p60
Censeur malin, crains cet arc invincible,
qui d' un seul coup frappe et venge un amant.
Pour avoir ri des maux de la jeunesse,
à ses chagrins pour avoir insulté,
que d' imprudens j' ai vus, dans leur vieillesse,
tendre leurs mains aux fers de la beauté,
balbutier un aveu ridicule,
se parfumer, parer leurs cheveux blancs,
et, tout transis au pied d' un vestibule,
de leur martyre amuser les passans !
Ah ! Si je puis, revoyant l' inhumaine,
seule un instant du moins l' entretenir,
à ses genoux si le sort me ramène,
peut-être hélas ! Mes tourmens vont finir.
Mon Eucharis connaîtra ma tendresse ;
p61
elle craindra de me désespérer.
Heureux l' amant, quitté de sa maîtresse,
qui la rencontre, et qu' elle voit pleurer !
p57
Quand je perdais les plus beaux de mes jours
si doucement aux pieds de ma maîtresse,
j' imaginais dans ma crédule ivresse,
qu' un tel bonheur devait durer toujours.
" qu' importe, hélas ! Me disais-je à moi-même,
" que le temps vole ? Il doit peu m' alarmer.
" après mille ans peut-on cesser d' aimer
" ce qu' une fois éperdument on aime ?
" quand j' aurai vu, moins bouillant dans mes voeux,
" s' évanouir les erreurs du bel âge,
" et que mon front, dégarni de cheveux,
" m' avertira qu' il est temps d' être sage,
" rendu pour lors à mes premiers penchans,
p58
" j' irai, j' irai, loin du monde volage,
" de mes aïeux cultiver l' héritage,
" tondre ma vigne, et labourer mes champs.
" dans mon foyer ma compagne fidèle,
" mon Eucharis, viendra donner des lois ;
" le doux ramier reconnaîtra sa voix,
" et mes agneaux bondiront autour d' elle.
" elle saura, dans la saison nouvelle,
" porter des fleurs au jeune dieu des bois :
" elle saura, puissant fils de Sémèle,
" t' offrir les dons du plus riche des mois,
" et surcharger ta couronne immortelle
" d' un raisin mûr qui rougira ses doigts.
" mon Eucharis fermera ma paupière :
p59
" oui ! Je mourrai dans ses embrassemens ;
" et là, sans pompe, un jour la même pierre
" sous des cyprès unira deux amans. "
je le disais. Quelle erreur insensée,
quel fol espoir enivrait ma pensée !
Les vents hélas ! En tourbillons fougueux
sur l' océan ont emporté mes voeux.
Mon Eucharis est trompeuse et parjure.
Qu' ai-je donc fait ? Et quelle est son injure ?
Ai-je un seul jour, négligeant ses attraits,
à ses beaux yeux coûté de tristes larmes ?
Ai-je, la nuit, dans des festins secrets,
par mes clameurs ou mes chants indiscrets,
en l' éveillant, excité ses alarmes ?
Dans mon malheur si j' ai pu l' offenser,
je cours m' offrir à sa main vengeresse :
de tout mon sang je suis près d' effacer
les pleurs jaloux qu' a versés sa tendresse.
Mais tremble, ô toi qui ris de mon tourment ;
tremble : l' amour t' en réserve un terrible.
p60
Censeur malin, crains cet arc invincible,
qui d' un seul coup frappe et venge un amant.
Pour avoir ri des maux de la jeunesse,
à ses chagrins pour avoir insulté,
que d' imprudens j' ai vus, dans leur vieillesse,
tendre leurs mains aux fers de la beauté,
balbutier un aveu ridicule,
se parfumer, parer leurs cheveux blancs,
et, tout transis au pied d' un vestibule,
de leur martyre amuser les passans !
Ah ! Si je puis, revoyant l' inhumaine,
seule un instant du moins l' entretenir,
à ses genoux si le sort me ramène,
peut-être hélas ! Mes tourmens vont finir.
Mon Eucharis connaîtra ma tendresse ;
p61
elle craindra de me désespérer.
Heureux l' amant, quitté de sa maîtresse,
qui la rencontre, et qu' elle voit pleurer !
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 2 ELEGIE 2
p62
Je n' ai plus d' Eucharis ! Que m' importe la vie ?
ô nuit, viens dans ton ombre ensevelir mes yeux.
Je n' ai plus d' Eucharis ! Après sa perfidie,
je ne veux plus revoir la lumière des cieux.
Moi qui, près d' elle assis dans son char radieux,
marchais environné de la publique envie ;
moi qui, paisible roi, dans son âme asservie
éclipsais l' univers et balançais les dieux,
de sa haine aujourd' hui monument déplorable,
dans la foule importune esclave confondu,
triste, et mouillant de pleurs sa porte inexorable,
p63
hélas ! J' exhale en vain ma plainte misérable,
au milieu des frimas, sur la pierre étendu.
Le voilà donc le prix de ma longue tendresse !
Qui croira désormais à ses attraits menteurs ?
Après sept ans entiers de bonheur et d' ivresse,
il faut me détacher de ses bras enchanteurs.
Je vais donc maintenant, tel qu' un ramier sauvage,
qui, sur le rocher nu, lamente ses ennuis,
seul, dans un lit désert déplorant mon veuvage,
mesurer tristement le cercle entier des nuits !
Du moins, l' amant trahi d' une beauté cruelle,
qui, ne pouvant fléchir ses injustes mépris,
se venge en l' imitant, forme une amour nouvelle,
d' un regret moins amer voit ses beaux jours flétris :
p65
mon sort à moi, mon sort, en perdant Eucharis,
est de ne pouvoir plus aimer une autre qu' elle.
Employez l' artifice, étalez mille atours :
non, vous ne m' aurez point, orgueilleuses
maîtresses !
Eucharis a reçu mes premières caresses ;
Eucharis obtiendra mes dernières amours.
p62
Je n' ai plus d' Eucharis ! Que m' importe la vie ?
ô nuit, viens dans ton ombre ensevelir mes yeux.
Je n' ai plus d' Eucharis ! Après sa perfidie,
je ne veux plus revoir la lumière des cieux.
Moi qui, près d' elle assis dans son char radieux,
marchais environné de la publique envie ;
moi qui, paisible roi, dans son âme asservie
éclipsais l' univers et balançais les dieux,
de sa haine aujourd' hui monument déplorable,
dans la foule importune esclave confondu,
triste, et mouillant de pleurs sa porte inexorable,
p63
hélas ! J' exhale en vain ma plainte misérable,
au milieu des frimas, sur la pierre étendu.
Le voilà donc le prix de ma longue tendresse !
Qui croira désormais à ses attraits menteurs ?
Après sept ans entiers de bonheur et d' ivresse,
il faut me détacher de ses bras enchanteurs.
Je vais donc maintenant, tel qu' un ramier sauvage,
qui, sur le rocher nu, lamente ses ennuis,
seul, dans un lit désert déplorant mon veuvage,
mesurer tristement le cercle entier des nuits !
Du moins, l' amant trahi d' une beauté cruelle,
qui, ne pouvant fléchir ses injustes mépris,
se venge en l' imitant, forme une amour nouvelle,
d' un regret moins amer voit ses beaux jours flétris :
p65
mon sort à moi, mon sort, en perdant Eucharis,
est de ne pouvoir plus aimer une autre qu' elle.
Employez l' artifice, étalez mille atours :
non, vous ne m' aurez point, orgueilleuses
maîtresses !
Eucharis a reçu mes premières caresses ;
Eucharis obtiendra mes dernières amours.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 2 ELEGIE 3
à Eucharis.
Oui, tout Paris sait ta noirceur ;
tout Paris sait ta perfidie.
Va chercher maintenant, impie,
quelque stupide adorateur
pour exercer ta dure tyrannie !
Je romps mes fers ; ingrate, je t' oublie ;
le désespoir t' arrache de mon coeur.
Une autre au rang de ma maîtresse
va monter, le front ceint d' un immortel feston ;
une autre jouira du glorieux renom
que t' avait promis ma tendresse.
Pour elle, sur des tons divers
montant ma voix, dans mon juste délire
je veux des cordes de ma lyre
tirer les plus aimables airs,
et la célébrer dans des vers
si doux, qu' après soixante hivers
l' amant se plaise à les relire.
p66
Pour tracer son portrait brillant,
je suivrai, s' il le faut, ma douce fantaisie :
l' aurore, au bord de l' orient,
aura paru moins belle aux peuples de l' Asie.
Tu pâliras, en le voyant,
de fureur et de jalousie.
Pardonne, pardonne, Eucharis ;
n' en crois pas mes dédains ; n' en crois pas ma colère.
Nulle autre n' entrera dans mon lit solitaire ;
nulle autre ne vivra dans mes derniers écrits.
Avant que ta beauté sorte de ma mémoire,
on verra l' eau suspendre et rebrousser son cours ;
le soleil oubliera de dispenser les jours,
et le peuple français de voler à la gloire.
Sois plus coupable encor, je t' aimerai toujours ;
je t' aimerai : voilà ma destinée.
Oui, malgré ton crime odieux,
je ne saurais haïr tes yeux,
ces yeux encor si chers à mon âme étonnée,
p67
ces yeux, mes souverains, mes astres et mes dieux.
Cent fois par eux (il m' en souvient, cruelle ! )
tu m' as juré de me garder ta foi,
jusqu' au tombeau d' être toujours à moi,
et de mourir amoureuse et fidèle.
Tu voulais que ces yeux charmans,
tout d' un coup détachés de leur double paupière,
punissent ton erreur, si jamais la première
on te voyait changer, et trahir tes sermens :
et tu peux les lever encore
vers ce ciel outragé qu' indignent tes rigueurs !
Et tu ne frémis pas d' armer ces dieux vengeurs
que ton impunité trop long-temps déshonore !
Dis-moi : qui te forçait d' imiter la pâleur,
et de meurtrir ton sein de tes ongles barbares ?
Dis-moi : qui te forçait, dans ta feinte douleur,
de répandre à regret quelques larmes avares ?
Fiez-vous donc, tristes amans,
aux soupirs, aux faveurs, aux transports de vos
belles.
Ah ! Croyez-moi : saisissez les instans
qui vous sont accordés par elles :
p69
il n' est point d' amours éternelles ;
il n' est point de plaisirs constans.
à Eucharis.
Oui, tout Paris sait ta noirceur ;
tout Paris sait ta perfidie.
Va chercher maintenant, impie,
quelque stupide adorateur
pour exercer ta dure tyrannie !
Je romps mes fers ; ingrate, je t' oublie ;
le désespoir t' arrache de mon coeur.
Une autre au rang de ma maîtresse
va monter, le front ceint d' un immortel feston ;
une autre jouira du glorieux renom
que t' avait promis ma tendresse.
Pour elle, sur des tons divers
montant ma voix, dans mon juste délire
je veux des cordes de ma lyre
tirer les plus aimables airs,
et la célébrer dans des vers
si doux, qu' après soixante hivers
l' amant se plaise à les relire.
p66
Pour tracer son portrait brillant,
je suivrai, s' il le faut, ma douce fantaisie :
l' aurore, au bord de l' orient,
aura paru moins belle aux peuples de l' Asie.
Tu pâliras, en le voyant,
de fureur et de jalousie.
Pardonne, pardonne, Eucharis ;
n' en crois pas mes dédains ; n' en crois pas ma colère.
Nulle autre n' entrera dans mon lit solitaire ;
nulle autre ne vivra dans mes derniers écrits.
Avant que ta beauté sorte de ma mémoire,
on verra l' eau suspendre et rebrousser son cours ;
le soleil oubliera de dispenser les jours,
et le peuple français de voler à la gloire.
Sois plus coupable encor, je t' aimerai toujours ;
je t' aimerai : voilà ma destinée.
Oui, malgré ton crime odieux,
je ne saurais haïr tes yeux,
ces yeux encor si chers à mon âme étonnée,
p67
ces yeux, mes souverains, mes astres et mes dieux.
Cent fois par eux (il m' en souvient, cruelle ! )
tu m' as juré de me garder ta foi,
jusqu' au tombeau d' être toujours à moi,
et de mourir amoureuse et fidèle.
Tu voulais que ces yeux charmans,
tout d' un coup détachés de leur double paupière,
punissent ton erreur, si jamais la première
on te voyait changer, et trahir tes sermens :
et tu peux les lever encore
vers ce ciel outragé qu' indignent tes rigueurs !
Et tu ne frémis pas d' armer ces dieux vengeurs
que ton impunité trop long-temps déshonore !
Dis-moi : qui te forçait d' imiter la pâleur,
et de meurtrir ton sein de tes ongles barbares ?
Dis-moi : qui te forçait, dans ta feinte douleur,
de répandre à regret quelques larmes avares ?
Fiez-vous donc, tristes amans,
aux soupirs, aux faveurs, aux transports de vos
belles.
Ah ! Croyez-moi : saisissez les instans
qui vous sont accordés par elles :
p69
il n' est point d' amours éternelles ;
il n' est point de plaisirs constans.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 2 ELEGIE 4
à Eucharis.
Que me sert aujourd' hui, dans des nuits plus
heureuses,
d' avoir su te former aux combats de Vénus ?
Que me sert, en pressant tes lèvres amoureuses,
de t' avoir révélé des secrets inconnus ?
Je suis victime hélas ! De ma propre science :
moi-même, à me trahir, j' instruisis ta beauté.
Que je dois regretter ton aimable ignorance,
ta craintive pudeur, et ta simplicité !
Quand ton coeur autrefois couronna ma tendresse,
tes mains savaient à peine agiter des verroux :
p70
je t' appris, le premier, par quelle heureuse adresse
on peut, en les tournant, échapper aux jaloux ;
je t' appris l' art, si cher à la jeune maîtresse,
d' écarter de son lit un odieux époux ;
malheureux ! En un mot, je t' appris comme on aime.
Ton orgueil s' enrichit de mes rares secrets.
Du suc brillant des fleurs j' embellis tes attraits,
et remis dans tes mains le fard de Vénus même.
Nulle amante bientôt ne sut mieux effacer
le bleuâtre sillon, que sur un cou d' albâtre
imprime de ses dents un amant idolâtre,
et ces doux souvenirs qu' on se plaît à tracer.
Quel prix de tant de soins a donc reçu ton maître ?
Un autre impunément jouit de mes leçons.
Le laboureur du moins recueille ses moissons,
et goûte en paix les fruits que ses mains ont fait
naître.
Un autre, un autre... ô ciel ! Conçois-tu mes
soupçons ?
p71
Conçois-tu les fureurs de mon âme offensée ?
Oui, je te vois, ingrate ; et ma triste pensée
se figure déjà de combien de façons
le barbare te tient, sans pudeur, embrassée.
Peux-tu me préférer ce rival orgueilleux,
vil suivant de Plutus que l' intérêt dévore,
et dont l' instinct grossier préfère à tes beaux yeux
ces trésors criminels qu' aux bornes de l' aurore
a cachés vainement la prudence des dieux ?
Oses-tu bien presser de tes mains caressantes
ce coeur inexorable, aux travaux endurci,
qui trois et quatre fois, sous un ciel obscurci,
n' a pas craint d' affronter les deux mers frémissantes,
et des chiens de Scylla les clameurs gémissantes,
et ces gouffres profonds tournoyans sous ses pas ?
Penses-tu qu' amoureux de son doux esclavage,
désormais il renonce à quitter le rivage ?
On dit que l' inhumain, méprisant tes appas,
déjà prêt à partir sur la foi d' une étoile,
p72
redemande des vents, fait déployer la voile,
et de ton lit oiseux veut courir au trépas.
Que je plains ta douleur ! Amante infortunée,
combien tu pleureras ton fol égarement !
Malgré ton crime, hélas ! De plaisirs couronnée,
puisses-tu ne jamais connaître le tourment
d' aimer comme je t' aime, et d' être abandonnée !
à Eucharis.
Que me sert aujourd' hui, dans des nuits plus
heureuses,
d' avoir su te former aux combats de Vénus ?
Que me sert, en pressant tes lèvres amoureuses,
de t' avoir révélé des secrets inconnus ?
Je suis victime hélas ! De ma propre science :
moi-même, à me trahir, j' instruisis ta beauté.
Que je dois regretter ton aimable ignorance,
ta craintive pudeur, et ta simplicité !
Quand ton coeur autrefois couronna ma tendresse,
tes mains savaient à peine agiter des verroux :
p70
je t' appris, le premier, par quelle heureuse adresse
on peut, en les tournant, échapper aux jaloux ;
je t' appris l' art, si cher à la jeune maîtresse,
d' écarter de son lit un odieux époux ;
malheureux ! En un mot, je t' appris comme on aime.
Ton orgueil s' enrichit de mes rares secrets.
Du suc brillant des fleurs j' embellis tes attraits,
et remis dans tes mains le fard de Vénus même.
Nulle amante bientôt ne sut mieux effacer
le bleuâtre sillon, que sur un cou d' albâtre
imprime de ses dents un amant idolâtre,
et ces doux souvenirs qu' on se plaît à tracer.
Quel prix de tant de soins a donc reçu ton maître ?
Un autre impunément jouit de mes leçons.
Le laboureur du moins recueille ses moissons,
et goûte en paix les fruits que ses mains ont fait
naître.
Un autre, un autre... ô ciel ! Conçois-tu mes
soupçons ?
p71
Conçois-tu les fureurs de mon âme offensée ?
Oui, je te vois, ingrate ; et ma triste pensée
se figure déjà de combien de façons
le barbare te tient, sans pudeur, embrassée.
Peux-tu me préférer ce rival orgueilleux,
vil suivant de Plutus que l' intérêt dévore,
et dont l' instinct grossier préfère à tes beaux yeux
ces trésors criminels qu' aux bornes de l' aurore
a cachés vainement la prudence des dieux ?
Oses-tu bien presser de tes mains caressantes
ce coeur inexorable, aux travaux endurci,
qui trois et quatre fois, sous un ciel obscurci,
n' a pas craint d' affronter les deux mers frémissantes,
et des chiens de Scylla les clameurs gémissantes,
et ces gouffres profonds tournoyans sous ses pas ?
Penses-tu qu' amoureux de son doux esclavage,
désormais il renonce à quitter le rivage ?
On dit que l' inhumain, méprisant tes appas,
déjà prêt à partir sur la foi d' une étoile,
p72
redemande des vents, fait déployer la voile,
et de ton lit oiseux veut courir au trépas.
Que je plains ta douleur ! Amante infortunée,
combien tu pleureras ton fol égarement !
Malgré ton crime, hélas ! De plaisirs couronnée,
puisses-tu ne jamais connaître le tourment
d' aimer comme je t' aime, et d' être abandonnée !
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 2 ELEGIE 5
p73
Je vous revois, ombrage solitaire,
lit de verdure impénétrable au jour,
de mes plaisirs discret dépositaire,
temple charmant où j' ai connu l' amour.
ô souvenir trop cher à ma tendresse !
J' entends l' écho des rochers d' alentour
redire encor le nom de ma maîtresse.
Je vous revois, délicieux séjour.
Mais ces momens de bonheur et d' ivresse,
ces doux momens sont perdus sans retour.
C' est là, c' est là qu' au printemps de ma vie,
en la voyant je me sentis brûler
d' un feu soudain : je ne pus lui parler ;
et la lumière à mes yeux fut ravie.
C' est là qu' un soir j' osai prendre sa main,
et la baiser d' un air timide et sage ;
c' est là qu' un soir j' osai bien davantage :
rapidement je fis battre son sein,
p74
et la rougeur colora son visage ;
c' est là qu' un soir je la surpris au bain.
Je vois plus loin la grotte fortunée,
où dans mes bras soumise, abandonnée,
les noeuds défaits et les cheveux épars,
de son vainqueur évitant les regards,
mon Eucharis, heureuse et confondue,
pleura long-temps sa liberté perdue.
Le lendemain, de ses doigts délicats
elle pinçait les cordes de sa lyre,
et, l' oeil en feu, dans son nouveau délire,
elle chantait l' amour et ses combats.
à ses genoux, j' accompagnais tout bas
ces airs touchans que l' amour même inspire,
que malgré soi l' on se plaît à redire
l' instant d' après. Alors plus enflammé
je m' écriais : " non ! Corine et Thémire,
" Céphise, Aglaure, et la brune Zulmé,
" qu' on vante tant, ne sont rien auprès d' elle !
" mon Eucharis est surtout plus fidèle :
" je suis bien sûr d' être toujours aimé ! "
la nuit survint : asile humble et champêtre,
long corridor interdit aux jaloux,
tu protégeas mes larcins les plus doux.
Combien de fois j' entrai par la fenêtre
p75
quand sa pudeur m' opposait des verroux !
Combien de fois dans l' enceinte profonde
de ces ruisseaux en fuyant retenus,
au jour baissant, je vis ces charmes nus
en se plongeant embrassés de leur onde,
et sur les flots quelque temps soutenus !
Je croyais voir ou Diane, ou Vénus,
sortant des mers pour embellir le monde.
Combien de fois, au sein même des eaux,
qu' elle entr' ouvrait, me plongeant après elle,
et la pressant sur un lit de roseaux,
je découvris une source nouvelle
de voluptés dans ces antres nouveaux !
ô voluptés ! Délices du bel âge,
plaisirs, amours, qu' êtes-vous devenus ?
Je crois errer sur des bords inconnus,
et ne retrouve ici que votre image.
Dans ce bois sombre, en cyprès transformé,
je n' entends plus qu' un triste et long murmure ;
ce vallon frais, par les monts renfermé,
n' offre à mes yeux qu' une aride verdure ;
l' oiseau se tait ; l' air est moins parfumé,
et ce ruisseau roule une onde moins pure :
tout est changé pour moi dans la nature ;
tout m' y déplaît : je ne suis plus aimé.
p73
Je vous revois, ombrage solitaire,
lit de verdure impénétrable au jour,
de mes plaisirs discret dépositaire,
temple charmant où j' ai connu l' amour.
ô souvenir trop cher à ma tendresse !
J' entends l' écho des rochers d' alentour
redire encor le nom de ma maîtresse.
Je vous revois, délicieux séjour.
Mais ces momens de bonheur et d' ivresse,
ces doux momens sont perdus sans retour.
C' est là, c' est là qu' au printemps de ma vie,
en la voyant je me sentis brûler
d' un feu soudain : je ne pus lui parler ;
et la lumière à mes yeux fut ravie.
C' est là qu' un soir j' osai prendre sa main,
et la baiser d' un air timide et sage ;
c' est là qu' un soir j' osai bien davantage :
rapidement je fis battre son sein,
p74
et la rougeur colora son visage ;
c' est là qu' un soir je la surpris au bain.
Je vois plus loin la grotte fortunée,
où dans mes bras soumise, abandonnée,
les noeuds défaits et les cheveux épars,
de son vainqueur évitant les regards,
mon Eucharis, heureuse et confondue,
pleura long-temps sa liberté perdue.
Le lendemain, de ses doigts délicats
elle pinçait les cordes de sa lyre,
et, l' oeil en feu, dans son nouveau délire,
elle chantait l' amour et ses combats.
à ses genoux, j' accompagnais tout bas
ces airs touchans que l' amour même inspire,
que malgré soi l' on se plaît à redire
l' instant d' après. Alors plus enflammé
je m' écriais : " non ! Corine et Thémire,
" Céphise, Aglaure, et la brune Zulmé,
" qu' on vante tant, ne sont rien auprès d' elle !
" mon Eucharis est surtout plus fidèle :
" je suis bien sûr d' être toujours aimé ! "
la nuit survint : asile humble et champêtre,
long corridor interdit aux jaloux,
tu protégeas mes larcins les plus doux.
Combien de fois j' entrai par la fenêtre
p75
quand sa pudeur m' opposait des verroux !
Combien de fois dans l' enceinte profonde
de ces ruisseaux en fuyant retenus,
au jour baissant, je vis ces charmes nus
en se plongeant embrassés de leur onde,
et sur les flots quelque temps soutenus !
Je croyais voir ou Diane, ou Vénus,
sortant des mers pour embellir le monde.
Combien de fois, au sein même des eaux,
qu' elle entr' ouvrait, me plongeant après elle,
et la pressant sur un lit de roseaux,
je découvris une source nouvelle
de voluptés dans ces antres nouveaux !
ô voluptés ! Délices du bel âge,
plaisirs, amours, qu' êtes-vous devenus ?
Je crois errer sur des bords inconnus,
et ne retrouve ici que votre image.
Dans ce bois sombre, en cyprès transformé,
je n' entends plus qu' un triste et long murmure ;
ce vallon frais, par les monts renfermé,
n' offre à mes yeux qu' une aride verdure ;
l' oiseau se tait ; l' air est moins parfumé,
et ce ruisseau roule une onde moins pure :
tout est changé pour moi dans la nature ;
tout m' y déplaît : je ne suis plus aimé.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 2 ELEGIE 6
p76
à un rival.
Tu ris, dans ta barbare ivresse,
des maux qu' endure mon amour :
objet des caprices d' un jour,
triomphe, insulte à ma détresse ;
triomphe, crois-moi : le temps presse ;
demain ta crédule tendresse
gémira peut-être à son tour.
Crois-tu déjà que l' infidèle
pour toi parfume ses cheveux ?
On sait quel jeune ambitieux
est en secret préféré d' elle.
Tu n' es plus rien : c' est à ses yeux
que l' ingrate veut être belle.
p77
Tu ne connais pas les dédains
de cette amante impérieuse,
et sa colère impétueuse,
et ses caprices inhumains.
La paille errante et passagère,
qui dans l' air tourne en s' élevant,
la laine éparse au gré du vent,
la feuille du tremble mouvant
est moins inconstante et légère :
cent fois plus terrible en ses jeux
que la cascade vagabonde,
qui des Apennins orageux
se précipite, écume, gronde,
et roule dans les champs fangeux ;
ou que la mer adriatique,
quand des bords d' Europe et d' Afrique
deux vents déchaînés dans les airs,
jusque dans le sein de Venise,
sur le dos de Neptune assise,
font bouillonner les flots amers.
p76
à un rival.
Tu ris, dans ta barbare ivresse,
des maux qu' endure mon amour :
objet des caprices d' un jour,
triomphe, insulte à ma détresse ;
triomphe, crois-moi : le temps presse ;
demain ta crédule tendresse
gémira peut-être à son tour.
Crois-tu déjà que l' infidèle
pour toi parfume ses cheveux ?
On sait quel jeune ambitieux
est en secret préféré d' elle.
Tu n' es plus rien : c' est à ses yeux
que l' ingrate veut être belle.
p77
Tu ne connais pas les dédains
de cette amante impérieuse,
et sa colère impétueuse,
et ses caprices inhumains.
La paille errante et passagère,
qui dans l' air tourne en s' élevant,
la laine éparse au gré du vent,
la feuille du tremble mouvant
est moins inconstante et légère :
cent fois plus terrible en ses jeux
que la cascade vagabonde,
qui des Apennins orageux
se précipite, écume, gronde,
et roule dans les champs fangeux ;
ou que la mer adriatique,
quand des bords d' Europe et d' Afrique
deux vents déchaînés dans les airs,
jusque dans le sein de Venise,
sur le dos de Neptune assise,
font bouillonner les flots amers.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 2 ELEGIE 7
p78
à Eucharis.
Qui t' aimera jamais comme je t' aime ?
Dans tes yeux seuls qui mettra son bonheur ?
Reviens, ô mon bien suprême ;
entre mes bras abjure ton erreur ;
reviens, crois-moi : mon visage
n' est point si changé du temps.
Vois sur mon front ces cheveux bruns flottans :
de la vieillesse ont-ils senti l' outrage ?
Ne rougis point de mon âge ;
je compte à peine un lustre après vingt ans.
Je suis cher à Vénus, cher au dieu de la Thrace ;
au milieu des festins je bois le vin mousseux ;
émule de Chapelle, et disciple d' Horace,
parfois son luth, avec grâce,
a retenti sous mes doigts paresseux.
Qui sait mieux, à pas lents, dans une nuit obscure,
chercher furtivement l' objet de ses désirs,
p79
déposer des baisers sans le moindre murmure,
et varier, suspendre, ou hâter les plaisirs ?
Tu pleureras un jour ta rigueur imprudente ;
de mon amour, trop tard, tu connaîtras le prix.
Dès demain, dès ce soir, mon âme indépendante
peut châtier tes superbes mépris.
Déjà, déjà vingt beautés dans Paris
m' offrent leur coeur, et briguent ma tendresse.
J' en sais même une, ô ma belle maîtresse,
qui se vante tout haut d' être mon Eucharis.
Reviens, avant qu' une étrangère,
près de moi, vers minuit, se glisse entre deux draps,
et sur mon lit défait, en chemise légère,
le lendemain matin repose dans mes bras.
Oui, reviens : à ce prix, ma compagne adorable,
ton ami se soumet à la plus dure loi ;
et si jamais il ose devant toi
p80
louer, regarder même un seul objet aimable,
puissent, le jour entier, dans tes yeux menaçans
ses yeux chercher en vain le pardon qu' il implore,
et ta porte, insensible à ses cris gémissans,
ne point s' ouvrir avant l' aurore !
Songes-y bien, la coupable beauté
que nul amant n' a pu trouver constante,
dans son automne expiant sa fierté,
seule en un coin, plaintive et gémissante,
à la lueur d' une lampe mourante,
conduit l' aiguille, ou d' une main tremblante
tourne un fuseau de ses pleurs humecté.
En la voyant, la maligne jeunesse
triomphe, et rit de sa douleur.
L' amour, armé d' un fouet vengeur,
de désirs impuissans tourmente sa vieillesse :
elle implore Vénus ; mais la fière déesse
détourne ses regards, et lui répond sans cesse,
qu' elle a mérité son malheur.
p78
à Eucharis.
Qui t' aimera jamais comme je t' aime ?
Dans tes yeux seuls qui mettra son bonheur ?
Reviens, ô mon bien suprême ;
entre mes bras abjure ton erreur ;
reviens, crois-moi : mon visage
n' est point si changé du temps.
Vois sur mon front ces cheveux bruns flottans :
de la vieillesse ont-ils senti l' outrage ?
Ne rougis point de mon âge ;
je compte à peine un lustre après vingt ans.
Je suis cher à Vénus, cher au dieu de la Thrace ;
au milieu des festins je bois le vin mousseux ;
émule de Chapelle, et disciple d' Horace,
parfois son luth, avec grâce,
a retenti sous mes doigts paresseux.
Qui sait mieux, à pas lents, dans une nuit obscure,
chercher furtivement l' objet de ses désirs,
p79
déposer des baisers sans le moindre murmure,
et varier, suspendre, ou hâter les plaisirs ?
Tu pleureras un jour ta rigueur imprudente ;
de mon amour, trop tard, tu connaîtras le prix.
Dès demain, dès ce soir, mon âme indépendante
peut châtier tes superbes mépris.
Déjà, déjà vingt beautés dans Paris
m' offrent leur coeur, et briguent ma tendresse.
J' en sais même une, ô ma belle maîtresse,
qui se vante tout haut d' être mon Eucharis.
Reviens, avant qu' une étrangère,
près de moi, vers minuit, se glisse entre deux draps,
et sur mon lit défait, en chemise légère,
le lendemain matin repose dans mes bras.
Oui, reviens : à ce prix, ma compagne adorable,
ton ami se soumet à la plus dure loi ;
et si jamais il ose devant toi
p80
louer, regarder même un seul objet aimable,
puissent, le jour entier, dans tes yeux menaçans
ses yeux chercher en vain le pardon qu' il implore,
et ta porte, insensible à ses cris gémissans,
ne point s' ouvrir avant l' aurore !
Songes-y bien, la coupable beauté
que nul amant n' a pu trouver constante,
dans son automne expiant sa fierté,
seule en un coin, plaintive et gémissante,
à la lueur d' une lampe mourante,
conduit l' aiguille, ou d' une main tremblante
tourne un fuseau de ses pleurs humecté.
En la voyant, la maligne jeunesse
triomphe, et rit de sa douleur.
L' amour, armé d' un fouet vengeur,
de désirs impuissans tourmente sa vieillesse :
elle implore Vénus ; mais la fière déesse
détourne ses regards, et lui répond sans cesse,
qu' elle a mérité son malheur.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 2 ELEGIE 8
p81
à m le comte de P.
Tout s' anime dans la nature.
Doux avril, tu descends des airs :
Vénus détache sa ceinture ;
les fleurs émaillent la verdure,
et l' oiseau reprend ses concerts.
Quittez le brouillard de la ville
et ses embarras indiscrets ;
paisible habitant du marais,
courez, dans ce vallon fertile
qu' ont embelli Flore et Cérès,
de la campagne renaissante
respirer les douces odeurs,
p82
et sur l' épine blanchissante
cueillir ses premières faveurs.
Aux champs le printemps vous appelle :
ah ! Profitez de ses beaux jours.
Heureux favori des amours,
c' est pour vous qu' il se renouvelle :
pour moi la peine est éternelle,
et l' hiver durera toujours.
p81
à m le comte de P.
Tout s' anime dans la nature.
Doux avril, tu descends des airs :
Vénus détache sa ceinture ;
les fleurs émaillent la verdure,
et l' oiseau reprend ses concerts.
Quittez le brouillard de la ville
et ses embarras indiscrets ;
paisible habitant du marais,
courez, dans ce vallon fertile
qu' ont embelli Flore et Cérès,
de la campagne renaissante
respirer les douces odeurs,
p82
et sur l' épine blanchissante
cueillir ses premières faveurs.
Aux champs le printemps vous appelle :
ah ! Profitez de ses beaux jours.
Heureux favori des amours,
c' est pour vous qu' il se renouvelle :
pour moi la peine est éternelle,
et l' hiver durera toujours.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
Re: le chevalier A. de Bertin:Les amours élégies
LIVRE 2 ELEGIE 9
p83
à m le chevalier de P.
Je perds la moitié de moi-même,
et tu me défends de pleurer !
Ami, qui pourrait endurer
mon infortune et ma douleur extrême ?
Un autre, ô ciel ! De plaisir éperdu,
contre son coeur pressera l' infidèle !
Un autre dormira près d' elle,
jusqu' au milieu du jour, à ma place étendu !
Et moi, pour prix de mes ardeurs sincères,
p85
trahi, quitté dans l' âge des amours,
hélas ! Je verrai pour toujours,
comme des ombres mensongères,
s' évanouir mes heures les plus chères,
les plaisirs séduisans, les voluptés légères,
sans verser des larmes amères,
et sans tourner les yeux vers mes premiers beaux
jours !
Non ; de ce courage suprême
mon coeur est bien loin de s' armer.
Quiconque, en perdant ce qu' il aime,
peut se résoudre à vivre, est indigne d' aimer.
Ne me reproche plus ma honteuse faiblesse :
Tibulle a tant pleuré sa chère Nééra !
Nous savons tous par coeur ces vers pleins de
mollesse,
que loin de ses amours Pétrarque soupira.
Toi-même enfin, quand ta belle maîtresse,
celle que tu chéris cent fois plus que tes yeux,
premier objet de ta vive tendresse,
p86
t' exila sans pitié de son lit amoureux,
souillé d' une indigne poussière,
tremblant, égaré, furieux,
de tes deux mains arrachant tes cheveux,
je t' ai vu dans mes bras abhorrer la lumière,
et te plaindre à la fois des mortels et des dieux.
Eh ! Qui dans l' univers ignore tes alarmes ?
Quel coeur à tes chagrins n' a point donné de larmes ?
Du Pinde et de Paphos tous les antres émus
ont retenti cent fois du nom d' éléonore :
dans les vallons d' Hybla, sur le sommet d' Hémus,
les rochers attendris le répètent encore.
p83
à m le chevalier de P.
Je perds la moitié de moi-même,
et tu me défends de pleurer !
Ami, qui pourrait endurer
mon infortune et ma douleur extrême ?
Un autre, ô ciel ! De plaisir éperdu,
contre son coeur pressera l' infidèle !
Un autre dormira près d' elle,
jusqu' au milieu du jour, à ma place étendu !
Et moi, pour prix de mes ardeurs sincères,
p85
trahi, quitté dans l' âge des amours,
hélas ! Je verrai pour toujours,
comme des ombres mensongères,
s' évanouir mes heures les plus chères,
les plaisirs séduisans, les voluptés légères,
sans verser des larmes amères,
et sans tourner les yeux vers mes premiers beaux
jours !
Non ; de ce courage suprême
mon coeur est bien loin de s' armer.
Quiconque, en perdant ce qu' il aime,
peut se résoudre à vivre, est indigne d' aimer.
Ne me reproche plus ma honteuse faiblesse :
Tibulle a tant pleuré sa chère Nééra !
Nous savons tous par coeur ces vers pleins de
mollesse,
que loin de ses amours Pétrarque soupira.
Toi-même enfin, quand ta belle maîtresse,
celle que tu chéris cent fois plus que tes yeux,
premier objet de ta vive tendresse,
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t' exila sans pitié de son lit amoureux,
souillé d' une indigne poussière,
tremblant, égaré, furieux,
de tes deux mains arrachant tes cheveux,
je t' ai vu dans mes bras abhorrer la lumière,
et te plaindre à la fois des mortels et des dieux.
Eh ! Qui dans l' univers ignore tes alarmes ?
Quel coeur à tes chagrins n' a point donné de larmes ?
Du Pinde et de Paphos tous les antres émus
ont retenti cent fois du nom d' éléonore :
dans les vallons d' Hybla, sur le sommet d' Hémus,
les rochers attendris le répètent encore.
magda- Nombre de messages : 1253
Date d'inscription : 28/03/2010
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