Henry Murger
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Henry Murger
Rappel du premier message :
DEDICACE DE LA VIE DE BOHEME
Comme un enfant de bohème,
Marchant toujours au hasard,
Ami, je marche de même
Sur le grand chemin de l' art.
Et pour bâton de voyage,
Comme le bohémien,
J' ai l' espoir et le courage :
Sans cela je n' aurais rien.
Car cette route si belle
Quand je fis mes premiers pas,
Maintenant je la vois telle,
Telle qu' elle existe, hélas !
Je la vois étroite et sombre,
Et déjà j' entends les cris
De mes compagnons dans l' ombre
Qui marchent les pieds meurtris.
J' entends leur chant de misère,
J' entends la plainte de mort
De ceux qui restent derrière ;
Et pourtant j' avance encor.
Et debout sur le rivage,
Les pieds mouillés par le flot,
Ami, c' est d' après l' orage
Que j' ai tracé mon tableau.
DEDICACE DE LA VIE DE BOHEME
Comme un enfant de bohème,
Marchant toujours au hasard,
Ami, je marche de même
Sur le grand chemin de l' art.
Et pour bâton de voyage,
Comme le bohémien,
J' ai l' espoir et le courage :
Sans cela je n' aurais rien.
Car cette route si belle
Quand je fis mes premiers pas,
Maintenant je la vois telle,
Telle qu' elle existe, hélas !
Je la vois étroite et sombre,
Et déjà j' entends les cris
De mes compagnons dans l' ombre
Qui marchent les pieds meurtris.
J' entends leur chant de misère,
J' entends la plainte de mort
De ceux qui restent derrière ;
Et pourtant j' avance encor.
Et debout sur le rivage,
Les pieds mouillés par le flot,
Ami, c' est d' après l' orage
Que j' ai tracé mon tableau.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
LA ROSEE
Le sylphe matinal qui verse la rosée,
Trop amoureux du lîs, oublia ce matin
De baigner l' humble fleur demi-morte et brisée
Qu' une larme du ciel ranimerait soudain.
Comme fait un amant avec sa fiancée,
À quelque muse triste ayant donné la main,
Cherchant l' ombre et la paix, pied lent, tête baissée,
Un poëte le soir traversa le chemin.
Soit amour mal éteint, soit douleur mal fermée,
Il pleurait en marchant sous l' ombreuse ramée ;
Une larme tomba de ses yeux sur la fleur,
Sur la fleur demi-morte au pied du lis superbe,
Et qui reprit bientôt, parmi ses soeurs de l' herbe
Son arome champêtre et ses vives couleurs.
1844.
Trop amoureux du lîs, oublia ce matin
De baigner l' humble fleur demi-morte et brisée
Qu' une larme du ciel ranimerait soudain.
Comme fait un amant avec sa fiancée,
À quelque muse triste ayant donné la main,
Cherchant l' ombre et la paix, pied lent, tête baissée,
Un poëte le soir traversa le chemin.
Soit amour mal éteint, soit douleur mal fermée,
Il pleurait en marchant sous l' ombreuse ramée ;
Une larme tomba de ses yeux sur la fleur,
Sur la fleur demi-morte au pied du lis superbe,
Et qui reprit bientôt, parmi ses soeurs de l' herbe
Son arome champêtre et ses vives couleurs.
1844.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
A HELENE
Enveloppé d' épaisse prose,
Comme de flanelle un frileux,
Laisse parler l' esprit morose,
Qui s' est trop pressé d' être vieux.
Le chardon médit de la rose ;
C' est le péché des envieux.
Puisque la providence est bonne,
Et répand d' une même main
Le bluet qu' on tresse en couronne
Parmi le blé qui fait le pain,
Profitons des biens qu' elle donne :
Aujourd' hui vaut mieux que demain !
Pourrais-tu donc perdre sans peine
Ainsi ta plus belle saison ?
Lorsque Dieu, d' amour la main pleine,
Fait sa divine semaison,
Tu peux ouvrir ton coeur, Hélène,
Le semeur bénit sa moisson.
1854.
Comme de flanelle un frileux,
Laisse parler l' esprit morose,
Qui s' est trop pressé d' être vieux.
Le chardon médit de la rose ;
C' est le péché des envieux.
Puisque la providence est bonne,
Et répand d' une même main
Le bluet qu' on tresse en couronne
Parmi le blé qui fait le pain,
Profitons des biens qu' elle donne :
Aujourd' hui vaut mieux que demain !
Pourrais-tu donc perdre sans peine
Ainsi ta plus belle saison ?
Lorsque Dieu, d' amour la main pleine,
Fait sa divine semaison,
Tu peux ouvrir ton coeur, Hélène,
Le semeur bénit sa moisson.
1854.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
A UNE ETRANGERE
Au pays regretté par Mignon tu naquis,
Et, pareille à Mignon, tu regrettes et pleures,
Sous le ciel étranger, le ciel de ton pays.
Rien ne peut te distraire, et tu passes les heures
À regarder mourir un arbuste apporté
Du sol où l' oranger fleurit toute l' année.
Dans le jardin d' exil avec toi transplanté,
Vois : son feuillage est pâle et sa fleur est fanée ;
Tu n' as plus de sourire, il n' a plus de parfums.
Pour que l' arbre renaisse et de nouveau fleurisse
Sa moisson odorante et ses beaux cheveux bruns,
Pour que l' ennui s' efface à son front pur qu' il plisse,
Il vous faut à tous deux le soleil du pays,
Regretté par Mignon quand aux cieux elle aspire ;
Et l' arbre aura des fleurs, et ton front le sourire
Qu' un peintre au nom d' archange a tant cherché jadis.
Et, pareille à Mignon, tu regrettes et pleures,
Sous le ciel étranger, le ciel de ton pays.
Rien ne peut te distraire, et tu passes les heures
À regarder mourir un arbuste apporté
Du sol où l' oranger fleurit toute l' année.
Dans le jardin d' exil avec toi transplanté,
Vois : son feuillage est pâle et sa fleur est fanée ;
Tu n' as plus de sourire, il n' a plus de parfums.
Pour que l' arbre renaisse et de nouveau fleurisse
Sa moisson odorante et ses beaux cheveux bruns,
Pour que l' ennui s' efface à son front pur qu' il plisse,
Il vous faut à tous deux le soleil du pays,
Regretté par Mignon quand aux cieux elle aspire ;
Et l' arbre aura des fleurs, et ton front le sourire
Qu' un peintre au nom d' archange a tant cherché jadis.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Re: Henry Murger
TRAINANT. . .
Traînant, traînant ta chétive existence,
Dans les sentiers tu t' arrêtes souvent,
Regardant fuir l' ombre de l' espérance,
Spectre railleur qui va toujours devant ;
Voyant partout le vice ou la sottise,
L' hypocrisie au maintien indigné,
Sûr du destin que je te prophétise,
Marche ! Ton but n' est pas bien éloigné.
Quand du malheur tu sauras le martyre,
Lorsque ton coeur sera triste, ulcéré,
Ne pleure pas, tes larmes feraient rire :
Il est des gens qui n' ont jamais pleuré,
À ces heureux, loin de porter envie,
Jette en passant un regard de pitié,
Car, sans les pleurs, que sait-on de la vie ?
C' est un roman qu' on n' a lu qu' à moitié.
Septembre 1844.
Traînant, traînant ta chétive existence,
Dans les sentiers tu t' arrêtes souvent,
Regardant fuir l' ombre de l' espérance,
Spectre railleur qui va toujours devant ;
Voyant partout le vice ou la sottise,
L' hypocrisie au maintien indigné,
Sûr du destin que je te prophétise,
Marche ! Ton but n' est pas bien éloigné.
Quand du malheur tu sauras le martyre,
Lorsque ton coeur sera triste, ulcéré,
Ne pleure pas, tes larmes feraient rire :
Il est des gens qui n' ont jamais pleuré,
À ces heureux, loin de porter envie,
Jette en passant un regard de pitié,
Car, sans les pleurs, que sait-on de la vie ?
C' est un roman qu' on n' a lu qu' à moitié.
Septembre 1844.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Re: Henry Murger
A G. D.
Ami, -puisqu' à ton front l' art a mis deux étoiles,
Puisqu' un double rameau fleurit entre tes mains,
Du couple fraternel va soulever les voiles,
Et marche rayonnant dans les sentiers humains.
Ami, -puisque le temple a pour toi deux idoles,
Sur les autels jumeaux allume l' encensoir ;
Puisque sur ton blason Dieu grava deux symboles,
Prends le pinceau le jour, et la lyre le soir.
Ami, -puisque ta sphère est deux fois constellée,
Que de ton coeur sans cesse émane un double accord,
Par deux divinités, ton espérance ailée
Dans un ciel lumineux doit prendre un double essor.
Ami, -peintre et poëte, âme deux fois sacrée,
Partage ton amour entre les deux sillons ;
Palette harmonieuse et lyre colorée,
Répands tes deux parfums, jette tes deux rayons.
Novembre 1841.
Ami, -puisqu' à ton front l' art a mis deux étoiles,
Puisqu' un double rameau fleurit entre tes mains,
Du couple fraternel va soulever les voiles,
Et marche rayonnant dans les sentiers humains.
Ami, -puisque le temple a pour toi deux idoles,
Sur les autels jumeaux allume l' encensoir ;
Puisque sur ton blason Dieu grava deux symboles,
Prends le pinceau le jour, et la lyre le soir.
Ami, -puisque ta sphère est deux fois constellée,
Que de ton coeur sans cesse émane un double accord,
Par deux divinités, ton espérance ailée
Dans un ciel lumineux doit prendre un double essor.
Ami, -peintre et poëte, âme deux fois sacrée,
Partage ton amour entre les deux sillons ;
Palette harmonieuse et lyre colorée,
Répands tes deux parfums, jette tes deux rayons.
Novembre 1841.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
SI TU VEUX ETRE LA MADONE
Si tu veux être la madone,
Vierge comme elle, ô mes amours !
Dis un mot, et mon ciseau donne
Au marbre blanc tes purs contours.
Des saintes qu' à Rome on admire
Tu seras la plus belle encor,
Et les poëtes, pour le dire,
Vont préparer leur plume d' or.
À ton gré choisis, -marbre ou toile,
Statue ou tableau, -dès demain,
Pour mettre à ton front une étoile,
Mon coeur viendra guider ma main.
Si tu veux être la madone,
Dans une châsse de vermeil
On viendra t' offrir pour couronne
Le lis pur, à ton front pareil ;
Et, si tu veux, ô ma divine !
Bientôt ton image à l' autel
Rendra jalouse Fornarine,
La maîtresse de Raphaël.
Sous les piliers de ton église,
Des pèlerins, de loin venus,
Inclineront leur barbe grise
Sur la blancheur de tes pieds nus ;
Et ceux que le bourreau menace,
Guidés par un esprit sauveur,
Viendront chercher asile et grâce
À ton piédestal protecteur.
Puisque ton front toujours se voile
Quand je veux y mettre un baiser,
Sur ton image, -marbre ou toile,
Oh ! Du moins laisse-moi poser !
Laisse-moi poser, ô Marie !
Pour baiser, pour sceau radieux,
L' immortalité du génie ; -
C' est un manteau qu' ont mis les dieux.
Si tu veux être la madone,
Vierge comme elle, ô mes amours !
Dis un mot, et mon ciseau donne
Au marbre blanc tes purs contours.
Février 1843.
Vierge comme elle, ô mes amours !
Dis un mot, et mon ciseau donne
Au marbre blanc tes purs contours.
Des saintes qu' à Rome on admire
Tu seras la plus belle encor,
Et les poëtes, pour le dire,
Vont préparer leur plume d' or.
À ton gré choisis, -marbre ou toile,
Statue ou tableau, -dès demain,
Pour mettre à ton front une étoile,
Mon coeur viendra guider ma main.
Si tu veux être la madone,
Dans une châsse de vermeil
On viendra t' offrir pour couronne
Le lis pur, à ton front pareil ;
Et, si tu veux, ô ma divine !
Bientôt ton image à l' autel
Rendra jalouse Fornarine,
La maîtresse de Raphaël.
Sous les piliers de ton église,
Des pèlerins, de loin venus,
Inclineront leur barbe grise
Sur la blancheur de tes pieds nus ;
Et ceux que le bourreau menace,
Guidés par un esprit sauveur,
Viendront chercher asile et grâce
À ton piédestal protecteur.
Puisque ton front toujours se voile
Quand je veux y mettre un baiser,
Sur ton image, -marbre ou toile,
Oh ! Du moins laisse-moi poser !
Laisse-moi poser, ô Marie !
Pour baiser, pour sceau radieux,
L' immortalité du génie ; -
C' est un manteau qu' ont mis les dieux.
Si tu veux être la madone,
Vierge comme elle, ô mes amours !
Dis un mot, et mon ciseau donne
Au marbre blanc tes purs contours.
Février 1843.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
LE VIN BLEU
Au cabaret des bruyantes barrières,
Avec des gens qui n' ont ni feu ni lieu,
Et qui buvaient l' oubli de leurs misères
Dans les flots noirs du vin qui tache en bleu ;
Au fond d' un pot de faïence vernie,
Plein jusqu' au bord d' une épaisse liqueur,
Pour oublier ce qu' il faut que j' oublie,
J' ai, l' autre soir, été noyer mon coeur.
Ce n' était pas cette ivresse joyeuse
Qui fait sourire à travers les cristaux
Le sang pourpré de la vendange heureuse
Où la Bourgogne a manqué de tonneaux.
Amère au coeur aussi bien qu' à la bouche,
Triste à navrer, douloureux à mourir,
Dans cette ivresse inquiète et farouche,
Je n' ai pas pu noyer mon souvenir.
Avec des gens qui n' ont ni feu ni lieu,
Et qui buvaient l' oubli de leurs misères
Dans les flots noirs du vin qui tache en bleu ;
Au fond d' un pot de faïence vernie,
Plein jusqu' au bord d' une épaisse liqueur,
Pour oublier ce qu' il faut que j' oublie,
J' ai, l' autre soir, été noyer mon coeur.
Ce n' était pas cette ivresse joyeuse
Qui fait sourire à travers les cristaux
Le sang pourpré de la vendange heureuse
Où la Bourgogne a manqué de tonneaux.
Amère au coeur aussi bien qu' à la bouche,
Triste à navrer, douloureux à mourir,
Dans cette ivresse inquiète et farouche,
Je n' ai pas pu noyer mon souvenir.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
A UNE DAME INCONNUE
Demande d' audience
Madame, je n' ai pas l' honneur de vous connaître,
Mais supposez qu' on fait relâche à l' opéra,
Et qu' après son dîner, votre seigneur et maître
À son club est allé tailler le baccarat.
Si vous le permettez, -supposons qu' une dame,
Votre amie, auprès d' elle a retenu celui
Dont on parle tout bas quand on est femme à femme,
Celui qui vous nomme elle, et que vous nommez lui.
Vous voici toute seule au coin de l' âtre où pleure
Le lamentable vent d' un hiver pluvieux,
Et, regardant courir le pied léger de l' heure,
Déjà vous regrettez de ne pas être deux.
Tout Paris a la grippe et boit de la tisane ;
Votre griffon d' écosse est lui-même enrhumé ;
Les salons sont fermés, et le temps vous condamne
À la réclusion du boudoir parfumé.
Que ferez-vous ce soir ? Sur le clavier sonore
Allez-vous éveiller l' âme de Bellini ?
Ou ferez-vous rugir le cri fauve du More
Que Shakspeare a créé, pressentant Rossini ?
Mais votre érard, faussé par l' humide atmosphère,
Appelle en sons douteux les soins de l' accordeur.
Ne pouvant plus chanter, vous essaîrez de faire
Sur votre canevas naître encor une fleur.
Mais, si l' aiguille casse, ou, si dans votre laine
Vous retrouvez les jeux de la chatte ou du chien,
Sans être impatiente, êtes-vous bien certaine
De pouvoir renouer l' écheveau gordien ?
Ne pouvant plus broder, que ferez-vous, madame ?
J' en pourrais témoigner, la paresse a du bon ;
Mais le repos du corps, c' est le travail de l' âme,
Et la vôtre a besoin d' une distraction.
Si pour une heure ou deux vous vouliez le permettre
Je tiendrais compagnie à votre ennui naissant.
On peut me recevoir sans trop se compromettre,
Et ne m' a pas qui veut, vous soit dit en passant.
Madame, je n' ai pas l' honneur de vous connaître,
Mais supposez qu' on fait relâche à l' opéra,
Et qu' après son dîner, votre seigneur et maître
À son club est allé tailler le baccarat.
Si vous le permettez, -supposons qu' une dame,
Votre amie, auprès d' elle a retenu celui
Dont on parle tout bas quand on est femme à femme,
Celui qui vous nomme elle, et que vous nommez lui.
Vous voici toute seule au coin de l' âtre où pleure
Le lamentable vent d' un hiver pluvieux,
Et, regardant courir le pied léger de l' heure,
Déjà vous regrettez de ne pas être deux.
Tout Paris a la grippe et boit de la tisane ;
Votre griffon d' écosse est lui-même enrhumé ;
Les salons sont fermés, et le temps vous condamne
À la réclusion du boudoir parfumé.
Que ferez-vous ce soir ? Sur le clavier sonore
Allez-vous éveiller l' âme de Bellini ?
Ou ferez-vous rugir le cri fauve du More
Que Shakspeare a créé, pressentant Rossini ?
Mais votre érard, faussé par l' humide atmosphère,
Appelle en sons douteux les soins de l' accordeur.
Ne pouvant plus chanter, vous essaîrez de faire
Sur votre canevas naître encor une fleur.
Mais, si l' aiguille casse, ou, si dans votre laine
Vous retrouvez les jeux de la chatte ou du chien,
Sans être impatiente, êtes-vous bien certaine
De pouvoir renouer l' écheveau gordien ?
Ne pouvant plus broder, que ferez-vous, madame ?
J' en pourrais témoigner, la paresse a du bon ;
Mais le repos du corps, c' est le travail de l' âme,
Et la vôtre a besoin d' une distraction.
Si pour une heure ou deux vous vouliez le permettre
Je tiendrais compagnie à votre ennui naissant.
On peut me recevoir sans trop se compromettre,
Et ne m' a pas qui veut, vous soit dit en passant.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
CELUI-LA, DONT JE VEUX
Celui-là, dont je veux dire la triste fin,
Vivait dans notre siècle et dans son air malsain.
Isolé de bonne heure au milieu de la vie,
La solitude avait été sa seule amie.
Orphelin, il aimait à la nommer sa soeur ;
Et, seule, elle a connu les secrets de son coeur.
Tout ce qu' on sait de lui, chacun se le répète
Maintenant qu' il est mort : c' est qu' il était poëte,
Et que, s' abandonnant à la grâce du ciel,
En pleurant il quitta l' humble toit paternel,
Le jour même où ce toit, asile des ancêtres,
La mort étant venue, était resté sans maîtres.
Certes, -s' il est au monde un souvenir de deuil
Qui vive bien longtemps, c' est celui du cercueil
Qu' un jour, dans le chemin menant au cimetière,
On suivit à pas lents en s' écriant : " mon père ! "
Mais, si, le crêpe au bras, il faut reprendre encor
La route où le cyprès verse l' ombre à la mort ;
Pour la seconde fois, s' il faut que l' on assiste,
Indigente ou pompeuse, à cette scène triste ;
Quand, derrière ce corps qui vêtit le linceul,
À marcher en pleurant on se trouve tout seul,
Quand votre mère est morte et que sa fosse ouverte
Fait l' enfant orphelin et la maison déserte,
Dans les jours les plus beaux ou dans les pires jours,
De ce second voyage on se souvient toujours.
Or, celui dont je parle, et qui ne peut m' entendre,
Dans une seule année avait dû deux fois prendre
Le chemin des tombeaux, et, chaque fois, hélas !
Y conduire un de ceux qu' on ne ramène pas.
C' est ainsi qu' à quinze ans il resta seul au monde.
Mais, s' émouvant pour lui d' une pitié profonde,
Une femme, -une mère, ayant mis dans sa main
Quelque argent, -de Paris l' enfant prit le chemin.
Paris ! -pourquoi choisir cette ville entre toutes ?
Et pourquoi, se trouvant à la croix de deux routes,
Ne se trompa-t-il point, hélas ! -et n' a-t-il pris
Celle-là qui pouvait l' éloigner de Paris ?
C' est que dans un collége, -et malgré l' indigence,
Son père l' avait mis, croyant que la science
Était le seul trésor qui pouvait remplacer
Celui qu' en héritage il ne pouvait laisser.
Ainsi, durant l' époque à laquelle l' enfance
Mange ce pain du ciel appelé l' espérance,
Et, libre comme l' est un oiseau, peut courir
Des baisers de la mère aux baisers du plaisir,
Dans ces jours si fleuris et si courts, qu' on les nomme
Le printemps de la vie et le matin de l' homme,
Celui-là dont je veux dire la triste fin,
Grand affamé de jeux, dut mesurer sa faim ;
Épris de liberté, de grand air et d' espace,
Quitter le doux loisir pour l' ennui de sa classe,
Et, sous le regard froid d' un pédant maigre et noir,
Souvent boire un poison au vase du savoir.
Le poison, il le but, -et puis un autre ensuite.
S' il en est temps encore, ô père imprudent ! Vite
Retourne à ce collége, et, sans perdre un instant,
De ces bancs studieux enlève ton enfant ;
Arrache de ses mains, foule à tes pieds, déchire
Ce livre qu' il épèle, avant qu' il sache lire ;
Conserve-lui l' habit que tu n' as pas quitté,
Le pauvre vêtement qu' aima la liberté,
Le sarrau plébéien fait de bure grossière ;
Qu' il reste un paysan, comme est resté son père.
L' humilité d' esprit, c' est le savoir du coeur.
N' en fais pas un savant, fais-en un laboureur.
Mais le père fut sourd, car il croyait bien faire.
À l' heure de midi, quand la cloche libère
Par un signal connu les jeunes écoliers,
À son doux carillon, rudiments et cahiers,
Tout se ferme à la fois, et la cloche encore sonne,
Que déjà dans la classe on ne voit plus personne.
Ils sont tous au jardin, tous aux jeux, hors un seul.
Dans un coin, sur un banc qu' ombrage un vieux tilleul,
Il s' est assis, la tête entre ses mains posée ;
Il lit tout bas un livre à reliure dorée.
Depuis cinq ans bientôt qu' en soupirant il a
Pris l' habit lycéen, chaque jour il vient là,
S' asseoit avec son livre, et, dans la solitude,
De l' heure du plaisir fait une heure d' étude.
Quand il vint au collége, il savait ce qu' apprend
Un pauvre magister dans son cours ignorant,
C' est-à-dire épeler couramment l' évangile,
Compter selon barème, et, d' une main habile,
Aux fêtes de famille, ou bien au jour de l' an,
Écrire ses souhaits sur un beau feuillet blanc ;
Mais il sait maintenant bien des choses nouvelles,
Et, le soir, en filant, à la veillée, entre elles,
Les femmes du village à la mère ont souvent
Envié le bonheur d' avoir un fils savant.
Vivait dans notre siècle et dans son air malsain.
Isolé de bonne heure au milieu de la vie,
La solitude avait été sa seule amie.
Orphelin, il aimait à la nommer sa soeur ;
Et, seule, elle a connu les secrets de son coeur.
Tout ce qu' on sait de lui, chacun se le répète
Maintenant qu' il est mort : c' est qu' il était poëte,
Et que, s' abandonnant à la grâce du ciel,
En pleurant il quitta l' humble toit paternel,
Le jour même où ce toit, asile des ancêtres,
La mort étant venue, était resté sans maîtres.
Certes, -s' il est au monde un souvenir de deuil
Qui vive bien longtemps, c' est celui du cercueil
Qu' un jour, dans le chemin menant au cimetière,
On suivit à pas lents en s' écriant : " mon père ! "
Mais, si, le crêpe au bras, il faut reprendre encor
La route où le cyprès verse l' ombre à la mort ;
Pour la seconde fois, s' il faut que l' on assiste,
Indigente ou pompeuse, à cette scène triste ;
Quand, derrière ce corps qui vêtit le linceul,
À marcher en pleurant on se trouve tout seul,
Quand votre mère est morte et que sa fosse ouverte
Fait l' enfant orphelin et la maison déserte,
Dans les jours les plus beaux ou dans les pires jours,
De ce second voyage on se souvient toujours.
Or, celui dont je parle, et qui ne peut m' entendre,
Dans une seule année avait dû deux fois prendre
Le chemin des tombeaux, et, chaque fois, hélas !
Y conduire un de ceux qu' on ne ramène pas.
C' est ainsi qu' à quinze ans il resta seul au monde.
Mais, s' émouvant pour lui d' une pitié profonde,
Une femme, -une mère, ayant mis dans sa main
Quelque argent, -de Paris l' enfant prit le chemin.
Paris ! -pourquoi choisir cette ville entre toutes ?
Et pourquoi, se trouvant à la croix de deux routes,
Ne se trompa-t-il point, hélas ! -et n' a-t-il pris
Celle-là qui pouvait l' éloigner de Paris ?
C' est que dans un collége, -et malgré l' indigence,
Son père l' avait mis, croyant que la science
Était le seul trésor qui pouvait remplacer
Celui qu' en héritage il ne pouvait laisser.
Ainsi, durant l' époque à laquelle l' enfance
Mange ce pain du ciel appelé l' espérance,
Et, libre comme l' est un oiseau, peut courir
Des baisers de la mère aux baisers du plaisir,
Dans ces jours si fleuris et si courts, qu' on les nomme
Le printemps de la vie et le matin de l' homme,
Celui-là dont je veux dire la triste fin,
Grand affamé de jeux, dut mesurer sa faim ;
Épris de liberté, de grand air et d' espace,
Quitter le doux loisir pour l' ennui de sa classe,
Et, sous le regard froid d' un pédant maigre et noir,
Souvent boire un poison au vase du savoir.
Le poison, il le but, -et puis un autre ensuite.
S' il en est temps encore, ô père imprudent ! Vite
Retourne à ce collége, et, sans perdre un instant,
De ces bancs studieux enlève ton enfant ;
Arrache de ses mains, foule à tes pieds, déchire
Ce livre qu' il épèle, avant qu' il sache lire ;
Conserve-lui l' habit que tu n' as pas quitté,
Le pauvre vêtement qu' aima la liberté,
Le sarrau plébéien fait de bure grossière ;
Qu' il reste un paysan, comme est resté son père.
L' humilité d' esprit, c' est le savoir du coeur.
N' en fais pas un savant, fais-en un laboureur.
Mais le père fut sourd, car il croyait bien faire.
À l' heure de midi, quand la cloche libère
Par un signal connu les jeunes écoliers,
À son doux carillon, rudiments et cahiers,
Tout se ferme à la fois, et la cloche encore sonne,
Que déjà dans la classe on ne voit plus personne.
Ils sont tous au jardin, tous aux jeux, hors un seul.
Dans un coin, sur un banc qu' ombrage un vieux tilleul,
Il s' est assis, la tête entre ses mains posée ;
Il lit tout bas un livre à reliure dorée.
Depuis cinq ans bientôt qu' en soupirant il a
Pris l' habit lycéen, chaque jour il vient là,
S' asseoit avec son livre, et, dans la solitude,
De l' heure du plaisir fait une heure d' étude.
Quand il vint au collége, il savait ce qu' apprend
Un pauvre magister dans son cours ignorant,
C' est-à-dire épeler couramment l' évangile,
Compter selon barème, et, d' une main habile,
Aux fêtes de famille, ou bien au jour de l' an,
Écrire ses souhaits sur un beau feuillet blanc ;
Mais il sait maintenant bien des choses nouvelles,
Et, le soir, en filant, à la veillée, entre elles,
Les femmes du village à la mère ont souvent
Envié le bonheur d' avoir un fils savant.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
MAIS CHENIER N'EST PAS LE PREMIER. . .
Mais Chénier n' est pas le premier qu' il ait lu :
Sous des noms étrangers-il a déjà connu
Myrto la Tarentine, et la jeune Néère
Pour le beau Clinias abandonnant sa mère ;
Amymone et Lydé, Camille et Pannychis
Avec Néobulé, la soeur d' Amarillys,
Dans Horace et Virgile il vous a cent fois vues,
Quelquefois sous le voile-et souvent toutes nues ;
Toutes il vous connaît, et vous aussi, pasteurs,
Qui paissez vos troupeaux dans la prairie en fleurs,
Il vous comprend et lit vos chansons pastorales
Où dans les blés jaunis murmurent les cigales.
Dans l' idylle et l' églogue il vous a rencontrés,
Satyres et Sylvains, -nymphes qui vous mirez,
Tremblant qu' un indiscret, le soir, ne vous surprenne,
Toutes blanches, -sans voile, -au bord de la fontaine.
De Rome à Syracuse et d' Athène à Théos,
Chantres de tous les dieux et de tous les héros,
À l' arène, au forum, au théâtre, au portique,
Il a suivi vos pas sous le ciel de l' Attique.
Pèlerin curieux, il a tout visité,
Sur les plus hauts sommets-tout jeune il est monté,
Gravissant l' iliade aux cimes escarpées,
L' iliade géante entre les épopées,
De son faîte sublime, à l' entour il put voir
Toute l' antiquité devant lui se mouvoir.
Mais, en fouillant aussi l' époque fabuleuse,
Rêveur, il rencontra la déesse rêveuse
Sous la tunique blanche et le bandeau sacré,
Diadème éternel de son front inspiré.
Une lyre à la main, cette muse si belle,
Il la vit et fut pris d' un grand amour pour elle.
Et, depuis cette époque, à cet amour rêvant,
Aux pieds de la déesse, il s' enivre en buvant
Un miel de poésie à cette coupe antique
D' où s' élève un parfum de liqueur homérique.
Sous des noms étrangers-il a déjà connu
Myrto la Tarentine, et la jeune Néère
Pour le beau Clinias abandonnant sa mère ;
Amymone et Lydé, Camille et Pannychis
Avec Néobulé, la soeur d' Amarillys,
Dans Horace et Virgile il vous a cent fois vues,
Quelquefois sous le voile-et souvent toutes nues ;
Toutes il vous connaît, et vous aussi, pasteurs,
Qui paissez vos troupeaux dans la prairie en fleurs,
Il vous comprend et lit vos chansons pastorales
Où dans les blés jaunis murmurent les cigales.
Dans l' idylle et l' églogue il vous a rencontrés,
Satyres et Sylvains, -nymphes qui vous mirez,
Tremblant qu' un indiscret, le soir, ne vous surprenne,
Toutes blanches, -sans voile, -au bord de la fontaine.
De Rome à Syracuse et d' Athène à Théos,
Chantres de tous les dieux et de tous les héros,
À l' arène, au forum, au théâtre, au portique,
Il a suivi vos pas sous le ciel de l' Attique.
Pèlerin curieux, il a tout visité,
Sur les plus hauts sommets-tout jeune il est monté,
Gravissant l' iliade aux cimes escarpées,
L' iliade géante entre les épopées,
De son faîte sublime, à l' entour il put voir
Toute l' antiquité devant lui se mouvoir.
Mais, en fouillant aussi l' époque fabuleuse,
Rêveur, il rencontra la déesse rêveuse
Sous la tunique blanche et le bandeau sacré,
Diadème éternel de son front inspiré.
Une lyre à la main, cette muse si belle,
Il la vit et fut pris d' un grand amour pour elle.
Et, depuis cette époque, à cet amour rêvant,
Aux pieds de la déesse, il s' enivre en buvant
Un miel de poésie à cette coupe antique
D' où s' élève un parfum de liqueur homérique.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
LETTRE A UN MORT
À la mémoire de mon ami J D... statuaire
Depuis ce jour d' hiver où, par un ciel en deuil,
On creusa devant nous, pour coucher ton cercueil,
Un lit froid dans la terre humide,
Ton frère, me sachant sans pain et sans foyer,
M' a dit : " j' ai l' un et l' autre ; " et je suis héritier,
Pauvre ami, de ta place vide.
Dans cet isolement où tu nous a laissés,
Nous vivons tous les deux, nous vivons, et tu sais,
Toi qui vécus, de quelle vie ;
Et, lorsque nous pensons à toi qui dors là-bas,
Nous avons dit souvent : " faut-il le plaindre, hélas !
Faut-il le regret ou l' envie ? "
Mais alors il nous semble entendre auprès de nous
Une voix qui nous dit : " si le premier de vous
J' ai quitté mon oeuvre ébauchée,
Mon grand archange blanc, au sourire divin,
C' est que la mort m' a pris le ciseau dans la main ;
Mais je ne l' avais pas cherchée.
" luttez, souffrez, pleurez, -mais vivez tous les deux
Je souffre plus que vous dans mes repos affreux.
Hélas ! C' est moi qui vous envie :
Car vous pouvez encor, sans feu, sans toit, sans pain,
Formuler votre rêve, et d' un pas souverain
Laisser la trace dans la vie.
" luttez encor, luttez. -puis vous pourrez après
Venir dormir ici sous l' if ou le cyprès.
On dira : " c' est là qu' est leur tombe. "
Moi, je suis tout entier descendu dans la mort.
Au coeur de mes amis mon souvenir s' endort :
Après la terre, -l' oubli tombe. "
Et cette voix qui parle est la tienne ! Et pourtant,
Nous que la même voix jadis émouvait tant,
Nous qui sentions à ta parole
Couler dans notre sang l' enthousiasme fiévreux
Où l' on se bat les mains, où l' on se dit : " je veux
Mon laurier d' or au Capitole ! "
Parce que c' est ta voix, nous écoutons encor ;
Mais rien ne s' émeut plus en nous, car tout est mort.
Depuis longtemps nous sommes calmes ;
Nous n' avons plus d' orgueil et plus d' ambition,
Et nous ne rêvons plus cette acclamation
Qui poursuit le vainqueur des palmes.
Nous avons cru pouvoir, -nous l' avons cru souvent,
Formuler notre rêve, et le rendre vivant
Par la palette ou par la lyre ;
Mais le souffle manquait, et personne n' a pu
Deviner quel était le poëme inconnu
Que nous ne savions pas traduire.
Puisque nous ne pouvons rien créer, à quoi bon
Continuer notre oeuvre, et faire à notre nom
Ouvrir la bouche de l' insulte ?
Nous nous sommes trompés, nous le voyons trop tard.
Qu' importe ! -il faut laisser les instruments de l' art
Aux hommes choisis pour son culte.
Maintenant nous suivrons les vulgaires chemins,
Nous ferons au hasard oeuvre de nos deux mains
Pour vivre encor et pour attendre
L' heure où l' on creusera près du tien notre lit,
Et, comme sur ton nom, sur nos deux noms l' oubli
Le lendemain pourra descendre.
1843.
Depuis ce jour d' hiver où, par un ciel en deuil,
On creusa devant nous, pour coucher ton cercueil,
Un lit froid dans la terre humide,
Ton frère, me sachant sans pain et sans foyer,
M' a dit : " j' ai l' un et l' autre ; " et je suis héritier,
Pauvre ami, de ta place vide.
Dans cet isolement où tu nous a laissés,
Nous vivons tous les deux, nous vivons, et tu sais,
Toi qui vécus, de quelle vie ;
Et, lorsque nous pensons à toi qui dors là-bas,
Nous avons dit souvent : " faut-il le plaindre, hélas !
Faut-il le regret ou l' envie ? "
Mais alors il nous semble entendre auprès de nous
Une voix qui nous dit : " si le premier de vous
J' ai quitté mon oeuvre ébauchée,
Mon grand archange blanc, au sourire divin,
C' est que la mort m' a pris le ciseau dans la main ;
Mais je ne l' avais pas cherchée.
" luttez, souffrez, pleurez, -mais vivez tous les deux
Je souffre plus que vous dans mes repos affreux.
Hélas ! C' est moi qui vous envie :
Car vous pouvez encor, sans feu, sans toit, sans pain,
Formuler votre rêve, et d' un pas souverain
Laisser la trace dans la vie.
" luttez encor, luttez. -puis vous pourrez après
Venir dormir ici sous l' if ou le cyprès.
On dira : " c' est là qu' est leur tombe. "
Moi, je suis tout entier descendu dans la mort.
Au coeur de mes amis mon souvenir s' endort :
Après la terre, -l' oubli tombe. "
Et cette voix qui parle est la tienne ! Et pourtant,
Nous que la même voix jadis émouvait tant,
Nous qui sentions à ta parole
Couler dans notre sang l' enthousiasme fiévreux
Où l' on se bat les mains, où l' on se dit : " je veux
Mon laurier d' or au Capitole ! "
Parce que c' est ta voix, nous écoutons encor ;
Mais rien ne s' émeut plus en nous, car tout est mort.
Depuis longtemps nous sommes calmes ;
Nous n' avons plus d' orgueil et plus d' ambition,
Et nous ne rêvons plus cette acclamation
Qui poursuit le vainqueur des palmes.
Nous avons cru pouvoir, -nous l' avons cru souvent,
Formuler notre rêve, et le rendre vivant
Par la palette ou par la lyre ;
Mais le souffle manquait, et personne n' a pu
Deviner quel était le poëme inconnu
Que nous ne savions pas traduire.
Puisque nous ne pouvons rien créer, à quoi bon
Continuer notre oeuvre, et faire à notre nom
Ouvrir la bouche de l' insulte ?
Nous nous sommes trompés, nous le voyons trop tard.
Qu' importe ! -il faut laisser les instruments de l' art
Aux hommes choisis pour son culte.
Maintenant nous suivrons les vulgaires chemins,
Nous ferons au hasard oeuvre de nos deux mains
Pour vivre encor et pour attendre
L' heure où l' on creusera près du tien notre lit,
Et, comme sur ton nom, sur nos deux noms l' oubli
Le lendemain pourra descendre.
1843.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
A LA FONTAINE DE BLANDUSIE
Imitation d' Horace
Fontaine au flot plus clair que le cristal sacré
Où des libations le vin est préparé,
Demain, dans ce bassin où ton onde caresse
Un rivage de marbre apporté de la Grèce,
Je veux semer des fleurs et répandre le sang
D' un chevreau jeune encor, dans l' herbe bondissant.
C' est vainement déjà que son instinct devine
La chèvre en liberté, paissant sur la colline ;
Vainement qu' il s' apprête à la lutte, à l' amour :
Demain, je te l' immole à la chute du jour.
Victime dont les fleurs parfument l' agonie,
Ses derniers bêlements à la douce harmonie
Que la brise du Tibre éveille en tes roseaux
Se mêleront ainsi qu' à tes limpides eaux,
Miroir de la naïade amante des fontaines,
Se mêlera le sang échappé de ses veines.
Puis, sur le luth d' ivoire à mon bras suspendu,
Des siècles à venir pour qu' il soit entendu,
Je veux chanter ton nom, ô fraîche Blandusie !
Mais de mon sacrifice et de ma poésie,
En acceptant l' hommage, oh ! du moins quelquefois
Si ma voix te supplie, écoute alors ma voix,
Ma voix qui te dira, doucement amoureuse
N' attends-tu pas ce soir la craintive baigneuse,
Néobulé la blonde, aux regards ingénus,
Que, sur l' autel du temple, on prendrait pour Vénus ;
Néobulé que j' aime et qui fuit ma parole
Pour celle d' un enfant vainqueur au discobole,
Timide adolescent qui ne sait que rougir,
Et qu' un baiser d' amour ferait évanouir,
Mais qu' elle me préfère aujourd' hui, l' infidèle,
Car il est, cet enfant, aussi beau qu' elle est belle ?
Et depuis que trois fois, au milieu des bravos,
Son nom fut proclamé, même par ses rivaux,
Le jeune Hébrus, partout, à son pas attachée,
Trouve Néobulé, pour moi seule cachée.
Mais, puisque dans ton onde elle revient souvent
Baigner son pied d' albâtre et dénouer au vent
Ses cheveux, que, suivant les modes lesbiennes,
Ont tressés sur son front d' autres mains que les miennes ;
Puisque souvent encor, sur le sable doré,
L' un après l' autre elle a lentement retiré
Jusqu' à son dernier voile, et qu' alors elle mire
Son beau corps, caressé par l' amoureux Zéphyre, -
Dans tes flots transparents, de ma Néobulé,
Ce beau cygne inconstant de mon toit envolé,
Dans tes flots pour mes yeux conserve au moins l'image,
Miroir de Blandusie, et que sous ton bocage
Je rencontre toujours, flottant à mon côté,
Le mensonge aussi bien que la réalité.
1842.
Fontaine au flot plus clair que le cristal sacré
Où des libations le vin est préparé,
Demain, dans ce bassin où ton onde caresse
Un rivage de marbre apporté de la Grèce,
Je veux semer des fleurs et répandre le sang
D' un chevreau jeune encor, dans l' herbe bondissant.
C' est vainement déjà que son instinct devine
La chèvre en liberté, paissant sur la colline ;
Vainement qu' il s' apprête à la lutte, à l' amour :
Demain, je te l' immole à la chute du jour.
Victime dont les fleurs parfument l' agonie,
Ses derniers bêlements à la douce harmonie
Que la brise du Tibre éveille en tes roseaux
Se mêleront ainsi qu' à tes limpides eaux,
Miroir de la naïade amante des fontaines,
Se mêlera le sang échappé de ses veines.
Puis, sur le luth d' ivoire à mon bras suspendu,
Des siècles à venir pour qu' il soit entendu,
Je veux chanter ton nom, ô fraîche Blandusie !
Mais de mon sacrifice et de ma poésie,
En acceptant l' hommage, oh ! du moins quelquefois
Si ma voix te supplie, écoute alors ma voix,
Ma voix qui te dira, doucement amoureuse
N' attends-tu pas ce soir la craintive baigneuse,
Néobulé la blonde, aux regards ingénus,
Que, sur l' autel du temple, on prendrait pour Vénus ;
Néobulé que j' aime et qui fuit ma parole
Pour celle d' un enfant vainqueur au discobole,
Timide adolescent qui ne sait que rougir,
Et qu' un baiser d' amour ferait évanouir,
Mais qu' elle me préfère aujourd' hui, l' infidèle,
Car il est, cet enfant, aussi beau qu' elle est belle ?
Et depuis que trois fois, au milieu des bravos,
Son nom fut proclamé, même par ses rivaux,
Le jeune Hébrus, partout, à son pas attachée,
Trouve Néobulé, pour moi seule cachée.
Mais, puisque dans ton onde elle revient souvent
Baigner son pied d' albâtre et dénouer au vent
Ses cheveux, que, suivant les modes lesbiennes,
Ont tressés sur son front d' autres mains que les miennes ;
Puisque souvent encor, sur le sable doré,
L' un après l' autre elle a lentement retiré
Jusqu' à son dernier voile, et qu' alors elle mire
Son beau corps, caressé par l' amoureux Zéphyre, -
Dans tes flots transparents, de ma Néobulé,
Ce beau cygne inconstant de mon toit envolé,
Dans tes flots pour mes yeux conserve au moins l'image,
Miroir de Blandusie, et que sous ton bocage
Je rencontre toujours, flottant à mon côté,
Le mensonge aussi bien que la réalité.
1842.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
A UN ADOLESCENT
Vos yeux m' ont révélé ce que vous vouliez taire,
Enfant, et j' ai compris tout votre grand mystère.
Dans la saison fleurie où vous êtes entré,
À peine au premier pas, vous avez rencontré,
Et vous suivez déjà du regard et de l' âme
Un ange, une sirène, ou plutôt une femme !
Fantôme qui, je gage, est le portrait vivant
D' une apparition que vous vîtes souvent
Soulever vos rideaux au dortoir du collége ;
Et déjà, pour chanter la belle au front de neige,
Pour dire ses beaux yeux, son sourire enfantin,
Je vous vois dérober au parnasse latin
Toutes les fleurs d' amour dont le divin Virgile
Semait la pastorale et parfumait l' idylle.
Ai-je deviné juste enfin, et pensiez-vous
Me cacher un secret que vous dites à tous ?
Car il est dans vos yeux écrit pour qui sait lire,
Et vous l' avez trahi mille fois sans le dire.
Ainsi donc à quoi bon vouloir mentir encor
Et jouer à seize ans un rôle de Nestor ? ...
Dépouillez, dépouillez ce faux manteau de sage,
Trop lourd pour votre épaule et trop lourd pour votre âge ;
Laissez dormir en paix tous vos auteurs poudreux,
Qui, s' ils étaient vivants, discuteraient entre eux ;
Et, dans l' antiquité si vous voulez un guide,
Choisissez épicure, ou l' amoureux Ovide ;
Ils sont de bon conseil, et leurs folles chansons
Vous feront oublier les austères leçons
Des sages rassemblés au portique d' Athène.
Croyez-moi, la sagesse est une chose vaine ;
C' est le mal d' un autre âge, et plus tard vous l' aurez !
Mais maintenant, jeune homme, oh ! Sans attendre, ouvrez,
Ouvrez à vos désirs ailés d' impatience
Les portes de la vie où de vivre on commence ;
Et, si vos passions ont leur virginité,
Déflorez-les sans hâte, avec pudicité.
Mais d' abord, avant tout, allez rejoindre celle
Qui vous attend toujours et vous veut auprès d' elle,
Et pleure en écoutant l' heure du rendez-vous
Sonner sans vous avoir assis à ses genoux.
Partez ! Pour vous le ciel, dans l' ombre de ses urnes,
Étale la splendeur de ses écrins nocturnes ;
Partez ! Tous ces oiseaux qui chantent dans leurs nids
Font un épithalame à vos amours bénis,
Et l' air, tout embaumé des senteurs de la plaine,
Murmure aussi pour vous sa fraîche cantilène.
Partez ! Pour l' escalade elle a tout apprêté :
L' échelle est suspendue au vieux balcon sculpté,
Et, comme Julietta, l' amante véronaise,
Dans ses vêtements blancs, pensive sur sa chaise,
Votre maîtresse attend. Partez, mon Roméo !
Entre ses bras restez jusqu' au chant de l' oiseau,
Et, durant cette nuit, sur son beau front sans voiles,
Mettez plus de baisers qu' il n' est aux cieux d' étoiles.
Juillet 1844.
Enfant, et j' ai compris tout votre grand mystère.
Dans la saison fleurie où vous êtes entré,
À peine au premier pas, vous avez rencontré,
Et vous suivez déjà du regard et de l' âme
Un ange, une sirène, ou plutôt une femme !
Fantôme qui, je gage, est le portrait vivant
D' une apparition que vous vîtes souvent
Soulever vos rideaux au dortoir du collége ;
Et déjà, pour chanter la belle au front de neige,
Pour dire ses beaux yeux, son sourire enfantin,
Je vous vois dérober au parnasse latin
Toutes les fleurs d' amour dont le divin Virgile
Semait la pastorale et parfumait l' idylle.
Ai-je deviné juste enfin, et pensiez-vous
Me cacher un secret que vous dites à tous ?
Car il est dans vos yeux écrit pour qui sait lire,
Et vous l' avez trahi mille fois sans le dire.
Ainsi donc à quoi bon vouloir mentir encor
Et jouer à seize ans un rôle de Nestor ? ...
Dépouillez, dépouillez ce faux manteau de sage,
Trop lourd pour votre épaule et trop lourd pour votre âge ;
Laissez dormir en paix tous vos auteurs poudreux,
Qui, s' ils étaient vivants, discuteraient entre eux ;
Et, dans l' antiquité si vous voulez un guide,
Choisissez épicure, ou l' amoureux Ovide ;
Ils sont de bon conseil, et leurs folles chansons
Vous feront oublier les austères leçons
Des sages rassemblés au portique d' Athène.
Croyez-moi, la sagesse est une chose vaine ;
C' est le mal d' un autre âge, et plus tard vous l' aurez !
Mais maintenant, jeune homme, oh ! Sans attendre, ouvrez,
Ouvrez à vos désirs ailés d' impatience
Les portes de la vie où de vivre on commence ;
Et, si vos passions ont leur virginité,
Déflorez-les sans hâte, avec pudicité.
Mais d' abord, avant tout, allez rejoindre celle
Qui vous attend toujours et vous veut auprès d' elle,
Et pleure en écoutant l' heure du rendez-vous
Sonner sans vous avoir assis à ses genoux.
Partez ! Pour vous le ciel, dans l' ombre de ses urnes,
Étale la splendeur de ses écrins nocturnes ;
Partez ! Tous ces oiseaux qui chantent dans leurs nids
Font un épithalame à vos amours bénis,
Et l' air, tout embaumé des senteurs de la plaine,
Murmure aussi pour vous sa fraîche cantilène.
Partez ! Pour l' escalade elle a tout apprêté :
L' échelle est suspendue au vieux balcon sculpté,
Et, comme Julietta, l' amante véronaise,
Dans ses vêtements blancs, pensive sur sa chaise,
Votre maîtresse attend. Partez, mon Roméo !
Entre ses bras restez jusqu' au chant de l' oiseau,
Et, durant cette nuit, sur son beau front sans voiles,
Mettez plus de baisers qu' il n' est aux cieux d' étoiles.
Juillet 1844.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
LES EMIGRANTS
Nous sommes la pauvre famille
Émigrant vers d' autres climats ;
Nous n' emportons pour pacotille
Que notre courage et nos bras.
Des bonnettes à la grand' voile,
Jusqu' au dernier pouce on a mis
Tout ce qu' on peut tendre de toile
Sur le trois-mâts les deux-amis.
De sa proue en triton sculptée
Le navire entr' ouvre dans l' eau
Un sillon d' écume argentée.
-nous avons le vent et le flot.
Les falaises diminuées
Disparaissent dans le brouillard ;
On ne voit plus que les nuées
Et l' océan de toute part.
Isolé sur la mer immense,
Plus d' un qui s' embarqua joyeux
Sent la tristesse qui commence
À mettre de l' eau dans ses yeux.
La vieille Europe, notre mère,
A trop d' enfants pour les nourrir,
Et c' est aux champs d' une étrangère
Que notre moisson va mûrir.
-on nous a dit qu' au nouveau monde
Nous trouverons dans les déserts
Une terre jeune et féconde
Dont les flancs à tous sont ouverts.
Aux ouvriers de la patrie
Le labeur refuse le pain :
Car le progrès de l' industrie
Fait chômer l' outil dans sa main.
Dans l' atelier ou dans l' usine
Quand il vient pour offrir ses bras,
On montre à l' homme une machine
Qui travaille et ne mange pas.
Comme l' oiseau qui se rassemble
Par triangles ailés dans l' air,
Dès que son frileux duvet tremble
Au premier frisson de l' hiver,
Chaque jour par cent et par mille
Nous partons, la besace au dos,
Le bâton en main, pour la ville
Où nous embarquent les vaisseaux.
Pèlerins que les astres mènent,
Tous les âges sont dans nos rangs,
Ceux qui s' en vont et ceux qui viennent,
Les aïeules et les enfants.
Dans nos campagnes dépeuplées
Il ne reste que les perclus ;
Les colombes sont envolées
De nos toits qui ne fument plus.
Non pas sans regret, mais sans plainte,
Aux volontés du ciel soumis,
Nous quittons cette terre sainte
Que l' on appelle le pays.
Nos femmes ont tissé la tente
Que doit habiter notre exil,
-fragile abri, -maison errante !
Où Dieu nous arrêtera-t-il ?
Nous sommes la pauvre famille
Émigrant vers d' autres climats,
Nous n' emportons pour pacotille
Que notre courage et nos bras.
Émigrant vers d' autres climats ;
Nous n' emportons pour pacotille
Que notre courage et nos bras.
Des bonnettes à la grand' voile,
Jusqu' au dernier pouce on a mis
Tout ce qu' on peut tendre de toile
Sur le trois-mâts les deux-amis.
De sa proue en triton sculptée
Le navire entr' ouvre dans l' eau
Un sillon d' écume argentée.
-nous avons le vent et le flot.
Les falaises diminuées
Disparaissent dans le brouillard ;
On ne voit plus que les nuées
Et l' océan de toute part.
Isolé sur la mer immense,
Plus d' un qui s' embarqua joyeux
Sent la tristesse qui commence
À mettre de l' eau dans ses yeux.
La vieille Europe, notre mère,
A trop d' enfants pour les nourrir,
Et c' est aux champs d' une étrangère
Que notre moisson va mûrir.
-on nous a dit qu' au nouveau monde
Nous trouverons dans les déserts
Une terre jeune et féconde
Dont les flancs à tous sont ouverts.
Aux ouvriers de la patrie
Le labeur refuse le pain :
Car le progrès de l' industrie
Fait chômer l' outil dans sa main.
Dans l' atelier ou dans l' usine
Quand il vient pour offrir ses bras,
On montre à l' homme une machine
Qui travaille et ne mange pas.
Comme l' oiseau qui se rassemble
Par triangles ailés dans l' air,
Dès que son frileux duvet tremble
Au premier frisson de l' hiver,
Chaque jour par cent et par mille
Nous partons, la besace au dos,
Le bâton en main, pour la ville
Où nous embarquent les vaisseaux.
Pèlerins que les astres mènent,
Tous les âges sont dans nos rangs,
Ceux qui s' en vont et ceux qui viennent,
Les aïeules et les enfants.
Dans nos campagnes dépeuplées
Il ne reste que les perclus ;
Les colombes sont envolées
De nos toits qui ne fument plus.
Non pas sans regret, mais sans plainte,
Aux volontés du ciel soumis,
Nous quittons cette terre sainte
Que l' on appelle le pays.
Nos femmes ont tissé la tente
Que doit habiter notre exil,
-fragile abri, -maison errante !
Où Dieu nous arrêtera-t-il ?
Nous sommes la pauvre famille
Émigrant vers d' autres climats,
Nous n' emportons pour pacotille
Que notre courage et nos bras.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
COURTISANE
La poussière de riz blafarde son cou maigre,
Et ses cheveux, tordus dans un chignon épais,
À l' âcre odeur du roux mélangent l' odeur aigre
Des parfums éventés qu' on achète au rabais.
Ses yeux, qu' ont fatigués les débauches hâtives,
Dans le creux de l' orbite éteignent leur regard,
Et semblent redouter les lumières trop vives,
Comme ceux d' un enfant malade ou d' un vieillard.
Dans l' alcool fraudé pour l' ivresse du vice,
Elle a déjà perdu le sexe de sa voix,
Et, comme Jean Hiroux parlant à la justice,
Le mot reste étranglé dans son gosier de bois.
Son haleine est fétide et vous souffle au visage
La putréfaction de ses poumons malsains.
Sa volupté cynique a l' aspect de la rage :
-on voit qu' elle a connu beaucoup de médecins.
Elle me raconta sa vie et sa misère,
Et comment sans amour elle avait un amant
Quand elle était petite, -et qu' elle devint mère
Comme à peine elle avait cessé d' être un enfant.
Elle ajouta, je crois, qu' elle n' était pas née
Pour ce métier honteux, et qu' elle eût préféré,
Maîtresse de pouvoir choisir sa destinée,
À vivre chastement près d' un homme honoré.
Mais ce refrain banal rarement apitoie,
Hormis l' adolescent qui ne peut croire au mal,
Et cherche encor l' amour dans la fille de joie,
Ignorant que la rouille a rongé le métal.
Je voulus à tout prix la renvoyer chez elle ;
Elle me résista : ce fut mon châtiment,
Et, jusqu' au rayon bleu de l' aurore nouvelle,
J' ai dû subir l' ennui de cet accouplement.
Et ses cheveux, tordus dans un chignon épais,
À l' âcre odeur du roux mélangent l' odeur aigre
Des parfums éventés qu' on achète au rabais.
Ses yeux, qu' ont fatigués les débauches hâtives,
Dans le creux de l' orbite éteignent leur regard,
Et semblent redouter les lumières trop vives,
Comme ceux d' un enfant malade ou d' un vieillard.
Dans l' alcool fraudé pour l' ivresse du vice,
Elle a déjà perdu le sexe de sa voix,
Et, comme Jean Hiroux parlant à la justice,
Le mot reste étranglé dans son gosier de bois.
Son haleine est fétide et vous souffle au visage
La putréfaction de ses poumons malsains.
Sa volupté cynique a l' aspect de la rage :
-on voit qu' elle a connu beaucoup de médecins.
Elle me raconta sa vie et sa misère,
Et comment sans amour elle avait un amant
Quand elle était petite, -et qu' elle devint mère
Comme à peine elle avait cessé d' être un enfant.
Elle ajouta, je crois, qu' elle n' était pas née
Pour ce métier honteux, et qu' elle eût préféré,
Maîtresse de pouvoir choisir sa destinée,
À vivre chastement près d' un homme honoré.
Mais ce refrain banal rarement apitoie,
Hormis l' adolescent qui ne peut croire au mal,
Et cherche encor l' amour dans la fille de joie,
Ignorant que la rouille a rongé le métal.
Je voulus à tout prix la renvoyer chez elle ;
Elle me résista : ce fut mon châtiment,
Et, jusqu' au rayon bleu de l' aurore nouvelle,
J' ai dû subir l' ennui de cet accouplement.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
LE TESTAMENT
Comme il allait mourir, et comme il le savait,
Pour se mettre en mesure, il fit à son chevet
Mander un antique notaire,
Dont le vieux panonceau, du client respecté,
Sous la rouille du temps montrait avec fierté
Cent ans d' honneur héréditaire.
" mon cher maître, dit-il, je suis un moribond ;
Comme un oiseau blessé qui fait son dernier bond,
Mon coeur ne palpite qu' à peine.
Je suis fini, fini ; le ciel n' a pas voulu
Que je puisse m' asseoir parmi le groupe élu
Des gens qui verront l' africaine.
" mon médecin m' avait conseillé d' aller voir,
Sur les rives du Nil, se balancer le soir
La taille souple de l' almée,
Aux yeux d' un anglais roux, triste et concupiscent,
Montrant pour cent sequins ce que l' on voit pour cent
Sous dans ma France bien-aimée.
" mais je hais l' Orient, la mer et tout pays
Qui ne se trouve pas sur le plan de Paris,
Cette divine capitale
Où l' on peut à toute heure, à tout prix, en tout lieu,
Trouver l' occasion de chiffonner un peu
La tunique de la morale.
" peut-être aurais-je pu traîner jusqu' au printemps,
Si j' avais voulu prendre encor de temps en temps
Quelque infection brevetée ;
Mais j' aime autant partir avant le carnaval :
Si je tardais, ma mort ferait manquer le bal
Où ma maîtresse est invitée.
" d' ailleurs, tous mes parents ont commandé leur deuil :
Les hommes au cyprès, les femmes chez chevreuil ;
Et, dans le passage du Caire,
On imprime trois cents billets de faire part
Que mes amis diront avoir trouvés trop tard
Dans la loge de leur portière.
" un architecte habile a fourni le devis
D' un tombeau dessiné par mon frère, -un lavis
D' encre de Chine, -une aquarelle.
Et d' ici vous pouvez entendre le marteau
Du funèbre tailleur qui me cloue un manteau
Dont la mode reste éternelle.
" pareils à des fourmis dont on pille les oeufs,
Tous mes collatéraux se meuvent, et l' un d' eux
A découvert un biographe
Qui, pour une pistole ou deux, consentira
À m' appeler crétin, poëte, -ou scélérat,
Et, pour trois, mettra l' orthographe.
" donc, cher maître, aujourd' hui me trouvant sain d' esprit,
Par un bon testament, de ma main propre écrit,
Et scellé de mes armoiries,
Biens de ville et des champs, et biens paraphernaux,
Mobilier, objets d' art, bijoux et capitaux,
Mon chenil et mes écuries,
" mes livres et ma cave, et jusqu' à mon portrait
Peint par celui qui fut le Raphaël du laid,
Tout, -hors les cheveux de ma mère,
Je lègue sans retour ma fortune et mon bien
À celle dont le nom aux lèvres me revient
Comme un miel fait de plante amère.
" vous la reconnaîtrez à ses cheveux ardents,
Comme un soleil du soir qui se couche dedans
La pourpre et l' or d' un ciel d' orage.
Peut-être en la voyant vous découvrirez-vous ;
J' ai devant sa beauté vu plier des genoux
Qui ne prodiguaient pas l' hommage.
" vous lui direz ma mort, et que c' est samedi
Qu' on doit me mettre en terre, onze heures pour midi ;
Mais, si dans sa claire prunelle
Une larme tremblait, rien qu' une seulement,
Vous pouvez déchirer en deux le testament ;
Alors ce ne serait pas elle.
" telle est ma volonté, dont l' éxécution,
Cher maître, se confie à la discrétion
De votre zélé ministère.
-monsieur, dit un valet qui portait un plumeau,
Un monsieur du clergé vient avec son bedeau.
-réponds-lui que j' ai lu Voltaire. "
Pour se mettre en mesure, il fit à son chevet
Mander un antique notaire,
Dont le vieux panonceau, du client respecté,
Sous la rouille du temps montrait avec fierté
Cent ans d' honneur héréditaire.
" mon cher maître, dit-il, je suis un moribond ;
Comme un oiseau blessé qui fait son dernier bond,
Mon coeur ne palpite qu' à peine.
Je suis fini, fini ; le ciel n' a pas voulu
Que je puisse m' asseoir parmi le groupe élu
Des gens qui verront l' africaine.
" mon médecin m' avait conseillé d' aller voir,
Sur les rives du Nil, se balancer le soir
La taille souple de l' almée,
Aux yeux d' un anglais roux, triste et concupiscent,
Montrant pour cent sequins ce que l' on voit pour cent
Sous dans ma France bien-aimée.
" mais je hais l' Orient, la mer et tout pays
Qui ne se trouve pas sur le plan de Paris,
Cette divine capitale
Où l' on peut à toute heure, à tout prix, en tout lieu,
Trouver l' occasion de chiffonner un peu
La tunique de la morale.
" peut-être aurais-je pu traîner jusqu' au printemps,
Si j' avais voulu prendre encor de temps en temps
Quelque infection brevetée ;
Mais j' aime autant partir avant le carnaval :
Si je tardais, ma mort ferait manquer le bal
Où ma maîtresse est invitée.
" d' ailleurs, tous mes parents ont commandé leur deuil :
Les hommes au cyprès, les femmes chez chevreuil ;
Et, dans le passage du Caire,
On imprime trois cents billets de faire part
Que mes amis diront avoir trouvés trop tard
Dans la loge de leur portière.
" un architecte habile a fourni le devis
D' un tombeau dessiné par mon frère, -un lavis
D' encre de Chine, -une aquarelle.
Et d' ici vous pouvez entendre le marteau
Du funèbre tailleur qui me cloue un manteau
Dont la mode reste éternelle.
" pareils à des fourmis dont on pille les oeufs,
Tous mes collatéraux se meuvent, et l' un d' eux
A découvert un biographe
Qui, pour une pistole ou deux, consentira
À m' appeler crétin, poëte, -ou scélérat,
Et, pour trois, mettra l' orthographe.
" donc, cher maître, aujourd' hui me trouvant sain d' esprit,
Par un bon testament, de ma main propre écrit,
Et scellé de mes armoiries,
Biens de ville et des champs, et biens paraphernaux,
Mobilier, objets d' art, bijoux et capitaux,
Mon chenil et mes écuries,
" mes livres et ma cave, et jusqu' à mon portrait
Peint par celui qui fut le Raphaël du laid,
Tout, -hors les cheveux de ma mère,
Je lègue sans retour ma fortune et mon bien
À celle dont le nom aux lèvres me revient
Comme un miel fait de plante amère.
" vous la reconnaîtrez à ses cheveux ardents,
Comme un soleil du soir qui se couche dedans
La pourpre et l' or d' un ciel d' orage.
Peut-être en la voyant vous découvrirez-vous ;
J' ai devant sa beauté vu plier des genoux
Qui ne prodiguaient pas l' hommage.
" vous lui direz ma mort, et que c' est samedi
Qu' on doit me mettre en terre, onze heures pour midi ;
Mais, si dans sa claire prunelle
Une larme tremblait, rien qu' une seulement,
Vous pouvez déchirer en deux le testament ;
Alors ce ne serait pas elle.
" telle est ma volonté, dont l' éxécution,
Cher maître, se confie à la discrétion
De votre zélé ministère.
-monsieur, dit un valet qui portait un plumeau,
Un monsieur du clergé vient avec son bedeau.
-réponds-lui que j' ai lu Voltaire. "
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
LA BALLADE DU DESESPERE
Qui frappe à ma porte à cette heure ?
-ouvre, c' est moi. -quel est ton nom ?
On n' entre pas dans ma demeure,
À minuit, ainsi sans façon !
Ouvre. -ton nom ? -la neige tombe ;
Ouvre. -ton nom ? -vite, ouvre-moi.
-quel est ton nom ? -ah ! Dans sa tombe
Un cadavre n' a pas plus froid.
J' ai marché toute la journée
De l' ouest à l' est, du sud au nord.
À l' angle de ta cheminée
Laisse-moi m' asseoir. -pas encor.
Quel est ton nom ? -je suis la gloire,
Je mène à l' immortalité.
-passe, fantôme dérisoire !
-donne-moi l' hospitalité.
Je suis l' amour et la jeunesse,
Ces deux belles moitiés de Dieu.
-passe ton chemin ! Ma maîtresse
Depuis longtemps m' a dit adieu.
-je suis l' art et la poésie,
On me proscrit ; vite, ouvre. -non !
Je ne sais plus chanter ma mie,
Je ne sais même plus son nom.
-ouvre-moi, je suis la richesse,
Et j' ai de l' or, de l' or toujours ;
Je puis te rendre ta maîtresse.
-peux-tu me rendre nos amours ?
-ouvre-moi, je suis la puissance,
J' ai la pourpre. -voeux superflus !
Peux-tu me rendre l' existence
De ceux qui ne reviendront plus ?
-si tu ne veux ouvrir ta porte
Qu' au voyageur qui dit son nom,
Je suis la mort ! Ouvre ; j' apporte
Pour tous les maux la guérison.
Tu peux entendre à ma ceinture
Sonner les clefs des noirs caveaux ;
J' abriterai ta sépulture
De l' insulte des animaux.
-entre chez moi, maigre étrangère,
Et pardonne à ma pauvreté.
C' est le foyer de la misère
Qui t' offre l' hospitalité.
Entre, je suis las de la vie,
Qui pour moi n' a plus d' avenir ;
J' avais depuis longtemps l' envie,
Non le courage de mourir.
Entre sous mon toit, bois et mange,
Dors, et, quand tu t' éveilleras,
Pour payer ton écot, cher ange,
Dans tes bras tu m' emporteras.
Je t' attendais, je veux te suivre,
Où tu m' emmèneras-j' irai ;
Mais laisse mon pauvre chien vivre
Pour que je puisse être pleuré.
Source: http://www.poesies.net
-ouvre, c' est moi. -quel est ton nom ?
On n' entre pas dans ma demeure,
À minuit, ainsi sans façon !
Ouvre. -ton nom ? -la neige tombe ;
Ouvre. -ton nom ? -vite, ouvre-moi.
-quel est ton nom ? -ah ! Dans sa tombe
Un cadavre n' a pas plus froid.
J' ai marché toute la journée
De l' ouest à l' est, du sud au nord.
À l' angle de ta cheminée
Laisse-moi m' asseoir. -pas encor.
Quel est ton nom ? -je suis la gloire,
Je mène à l' immortalité.
-passe, fantôme dérisoire !
-donne-moi l' hospitalité.
Je suis l' amour et la jeunesse,
Ces deux belles moitiés de Dieu.
-passe ton chemin ! Ma maîtresse
Depuis longtemps m' a dit adieu.
-je suis l' art et la poésie,
On me proscrit ; vite, ouvre. -non !
Je ne sais plus chanter ma mie,
Je ne sais même plus son nom.
-ouvre-moi, je suis la richesse,
Et j' ai de l' or, de l' or toujours ;
Je puis te rendre ta maîtresse.
-peux-tu me rendre nos amours ?
-ouvre-moi, je suis la puissance,
J' ai la pourpre. -voeux superflus !
Peux-tu me rendre l' existence
De ceux qui ne reviendront plus ?
-si tu ne veux ouvrir ta porte
Qu' au voyageur qui dit son nom,
Je suis la mort ! Ouvre ; j' apporte
Pour tous les maux la guérison.
Tu peux entendre à ma ceinture
Sonner les clefs des noirs caveaux ;
J' abriterai ta sépulture
De l' insulte des animaux.
-entre chez moi, maigre étrangère,
Et pardonne à ma pauvreté.
C' est le foyer de la misère
Qui t' offre l' hospitalité.
Entre, je suis las de la vie,
Qui pour moi n' a plus d' avenir ;
J' avais depuis longtemps l' envie,
Non le courage de mourir.
Entre sous mon toit, bois et mange,
Dors, et, quand tu t' éveilleras,
Pour payer ton écot, cher ange,
Dans tes bras tu m' emporteras.
Je t' attendais, je veux te suivre,
Où tu m' emmèneras-j' irai ;
Mais laisse mon pauvre chien vivre
Pour que je puisse être pleuré.
Source: http://www.poesies.net
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
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