Contes arabes
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Contes arabes
L'Ogresse et la Princesse Clair-de-Lune
Ce
conte met en scène la terrible ogresse Tériel. Ce personnage monstrueux
figure dans un grand nombre de contes kabyles. Ici elle vient tisser
bénévolement des couvertures chez une pauvre veuve, mais, on se doute,
la suite est funeste... Maléfices, épreuves et résolution des maléfices
se succèdent.
Autrefois, dans une vieille maison en pierre, vivait
une pauvre veuve, mère de sept enfants. La malheureuse se retrouva sans
aucune ressource financière, lorsque son époux décéda d'une longue et
terrible maladie. Elle dut affronter seule les difficultés de
l'existence. Pour nourrir ses enfants, elle acceptait tous les travaux
qu'on lui proposait et s'acquittait de ses tâches correctement afin de
récolter quelque argent... Ses fils se chargeaient de l'aider à
l'extérieur, tandis que ses filles s'occupaient du foyer. La vie était
bien pénible pour cette famille nombreuse. Quand
l'hiver approchait, la veuve avait peur que ses enfants ne meurent. de
froid. Alors, à l'aide de bouts de laine recueillis ici et là, elle se
mettait à tisser, tard dans la nuit, une large couverture de laine. Par
une nuit plus fraîche que de coutume, le vent soufflait à grandes
rafales alors que la pauvre femme s'usait les yeux à tisser jusqu'à une
heure avancée de la nuit. Ses enfants dormaient profondément, les uns
accrochés aux autres, comme s'ils avaient peur de se séparer. Brusquement,
la fragile porte d'entrée claqua. Apparut alors une énorme silhouette,
si effrayante que la veuve recula jusqu'au mur. Horrible et
repoussante, Tériel l'ogresse se tint sur le pas de la porte, fixant de
son regard perçant la pauvre femme toute tremblante. Le monstre avança
vers le métier à tisser et rassura la femme terrorisée : « Ne crains
rien ! Laisse-moi t'aider ! » Stupéfaite et effarée, la veuve ne put
prononcer un seul mot. Avec un
acharnement démentiel, l'ogresse se mit à tisser. La peur au ventre, la
veuve pensa qu'une fois la couverture achevée le monstre la dévorerait,
elle et ses malheureux enfants. Mais le monstre n'en fit rien. Au
contraire, dès qu'il eut fini de tisser une couverture, il en entama
une autre et ceci jusqu'à l'aube. A ce moment-là, le monstre s'arrêta
et sortit en lançant à la femme : « Voilà tes enfants à l'abri du grand
froid ! Rassure-toi, l'hiver prochain, je reviendrai te tisser d'autres
couvertures ! » Il en fut ainsi
durant sept ans. Au début de chaque saison hivernale, l'ogresse faisait
irruption chez la veuve et lui tissait sept couvertures de laine. Au
bout de la septième année, alors que l'aîné des enfants avait atteint
dix-sept ans, Tériel réapparut un soir d'hiver, comme de coutume. Elle
annonça à la veuve : « Voilà sept ans que je t'aide à protéger ta
progéniture des morsures du froid. Aujourd'hui je suis revenue te
demander de m'offrir ton fils aîné afin de t'acquitter de ta dette.
Pour me témoigner ta gratitude, tu me le donneras, il me sera très
utile. » La veuve saisit enfin la
fausse générosité qui avait motivé l'ogresse durant toutes ces longues
années. Elle se souvint, qu'enfant, sa grand-mère lui contait
d'innombrables histoires sur cet horrible monstre qui habitait on ne
sait où, qui guettait des proies en difficulté et dévorait ses victimes
toutes crues. Elle lui disait toujours que Tériel ne se montrait que
pour annoncer un malheur. La pauvre femme réfléchit un peu et pensa
que, si elle refusait à l'ogresse ce qu'elle exigeait d'elle, celle-ci
se fâcherait et serait capable d'avaler toute la famille. Elle se
résolut alors à sacrifier son fils aîné, qui était pourtant son
préféré. Elle alla le voir et lui dit à voix basse : « Mon fils, toi la
première perle de mon collier de vie, tu dois accompagner l'ogresse
chez elle ! Je pense qu'elle projette de te dévorer, mais il existe un
moyen pour la contrarier et la faire tomber dans l'interdit, expliqua
la mère. Dès qu'elle s'apprêtera à t'emmener avec elle, empresse-toi de
lui téter le sein, tu deviendras ainsi son fils et même une ogresse ne
peut dévorer son enfant » Il suivit les recommandations de la veuve.
Surprise et dépassé par l'événement, l'ogresse se mit en colère. et
s'adressa à lui : « Petit misérable ! Tu m'as eue ! Mais je te prendrai
malgré tout avec moi. » L'ogresse
plongea le jeune homme dans son sac, le mis sur son dos et quitta la
veuve bouleversée et déchirée par le départ de son fils aîné. Le
monstre marcha durant de longs jours sans s'arrêter. Le jeune homme,
prisonnier au fond du sac, ne vit aucune lumière et ignora tout du
voyage. Il arrivait à peine à respirer. De temps à autre, le monstre
lui glissait un morceau de galette. Il avait soif, mais il résista du
mieux qu'il le put. Au terme d'un
mois de voyage, Tériel l'ogresse, arriva enfin chez elle, dans un pays
souterrain et obscur, où l'on n'entendait que les cris des hiboux, des
chacals,
des ogres et autres animaux de mauvais augure. Des cris
effrayants qui retentissaient comme des tonnerres stridents. L'ogresse
poussa la porte de son infâme antre et jeta sur le sol le sac qui
contenait le jeune homme. Celui-ci roula par terre, ouvrant les yeux
sur le lieu sinistre où habitait le monstre. L'ogresse saisit
violemment le jeune homme et l'enferma dans une cage. Tous
les matins, le monstre allait chasser et ne rentrait qu'à la tombée de
la nuit, traînant derrière lui de multiples victimes parmi lesquelles
se trouvaient quelquefois de petits enfants. Dès son arrivée, elle
faisait du feu pour se réchauffer puis engloutissait d'énormes
quantités de viande, sans même les cuire. A la fin de ses copieux et
funestes repas, elle lançait vers la cage quelques restes pour nourrir
le jeune homme encore prisonnier, tout en l'insultant et maudissant le
jour où il était devenu son fils. « Ah ! Si seulement tu n'avais pas bu
de mon lait ! J'aurais fait de toi un agréable dessert ! aimait-elle à
répéter. » Des jours et des mois
passèrent et le jeune homme survécut grâce à son endurance et à sa
ruse. L'ogresse faillit le dévorer à plusieurs reprises, mais il sut à
chaque fois lui rappeler que nulle mère, pas même une ogresse, ne
pouvait dévorer son fils. Celle-ci se voyait alors contrainte d'y
renoncer. Le jeune homme savait éviter les colères de la monstrueuse
créature. Un jour que l'ogresse
était sortie, comme à son habitude pour chasser, une magnifique perdrix
apparut dans la cours du taudis et se mit à picorer quelques petits
grains de-ci de-là. Le jeune homme vit le bel oiseau et songea : « Si
seulement cette perdrix pouvait deviner mon malheur et me venir en aide
! » Il crut rêver, mais non, la perdrix lui répondit d'une petite voix
mélodieuse : « Comment pourrais-je t'aider, brave jeune homme ? »
Abasourdi et émerveillé, le jeune homme demanda : « Comment se peut-il
qu'une perdrix sache parler ?
Ne te fie pas à mon apparence !
répondit le gentil oiseau. En réalité, je suis la princesse
Clair-de-Lune. Mon père règne sur le Pays des Sept Rivières. C'est ma
marâtre qui m'a transformée en perdrix, car mon père a eu le malheur de
faire l'éloge de ma beauté devant elle. Pour se débarrasser de moi,
elle m'a condamnée à l'apparence que tu vois là.
Mais c'est incroyable ! s'étonna le jeune homme.
Oh, oui ! Voilà sept ans que j'arpente les forêts, je traverse contrée
après contrée, goûtant à la vie libre et douce des perdrix. » Les yeux
ébahis, le jeune homme écouta le récit surprenant de l'oiseau puis
demanda : « Si tout ce que tu dis est vrai, peux-tu m'aider à enlever
les grilles qui m'emprisonnent ? » Sans hésiter, la perdrix répondit :
« Je le peux sûrement. Tiens ce bâton ! Ce soir, quand l'ogresse se
jettera sur son repas avec son empressement coutumier, elle ne te verra
pas le glisser dans le feu. Enfonce alors le bâton enflammé dans la
tête du monstre, car c'est là que réside son âme. Il sera tué sur le
coup. Quant à tes grilles, je n'ai pas la force de les ouvrir, hélas !
C'est déjà bien généreux de ta part de m'avoir donné cette idée. Le
reste, je m'en charge ! » interrompit le jeune homme, stimulé à l'idée
de pouvoir enfin se libérer du joug infernal du monstre. Vint
la nuit. L'ogresse rentra, tenant dans ses bras poilus la carcasse d'un
âne et le cadavre d'un tigre. Fidèle à son habitude, elle alluma le feu
pour se réchauffer et s'installa pour dévorer goulûment sa prise. Le
jeune homme profita de l'inattention du monstre pour enflammer le bâton
que lui avait donné la perdrix et brusquement, de sa cage, il le lança
en direction de la tête de l'ogresse qui mourut sur le coup. Cependant,
le jeune homme ne put s'échapper, car les clés étaient accrochées au
cou de Tériel, et le cadavre de l'horrible monstre était tombé hors de
sa portée. Il ne lui restait alors qu'un seul espoir : celui de voir la
perdrix réapparaître et l'aider à sortir. Il
attendit le charmant oiseau un jour, puis deux, puis trois, mais il ne
réapparut qu'au bout d'une semaine. Le jeune homme, épuisé par la faim
et la soif, commençait à désespérer quand, enfin, l'oiseau surgit dans
la cour. Dès qu'il le vit, le jeune homme reprit courage et le supplia
: « Généreuse perdrix, pourrais-tu me rendre un immense service : j'ai
besoin d'ouvrir cette cage et les clés sont pendues au cou de
l'ogresse. Veux-tu essayer de les décrocher pour moi ?
Bien sûr !
répondit l'oiseau, qui s'exécuta sur le champ. » Le jeune homme put
enfin se libérer. Il se jeta sur la nourriture et l'eau, sautillant de
joie en respirant l'air agréable de la liberté. Puis, il prit la
perdrix entre ses mains et la remercia chaleureusement : « Je te dois
la vie, noble petit oiseau ! Le ciel t'a envoyé à moi et tu as eu pitié
de ma misérable condition. Je ne saurais jamais te montrer toute ma
gratitude.
Ce n'est rien voyons ! remarqua l'oiseau, tu aurais
agi de la sorte si tu avais été à ma place » Le jeune homme observa
l'oiseau et se sentit soudain très proche de lui, comme s'il l'avait
toujours connu, comme s'il avait grandi avec lui. Il lui demanda : « Y
a-t-il quelque chose que je puisse faire pour toi ?
Hélas ! Tu ne
peux rien pour moi, répondit l'oiseau d'une voix morne et languissante.
Quatre-vingt-dix-neuf nobles princes et vaillants chevaliers ont essayé
de briser le maléfice qui m'accable mais tous ont péri. Je me suis
résignée à accepter mon sort et j'ai appris à me contenter de ma vie de
perdrix. » Compatissant et. très ému par ces révélations, le jeune
homme eut grande envie de tenter l'impossible pour lui venir en aide,
quitte, pour cela, à risquer sa vie. Jusqu'à présent, il n'avait douté
ni du courage qui pouvait l'animer, ni du goût de l'aventure qui, pour
la première fois, faisait battre son cœur. Transporté
par une vive émotion, il annonça à la perdrix : « Quoi qu'il puisse
m'advenir, je veux tenter de briser ton maléfice ! » Naturellement,
l'oiseau fut touché par le sentiment spontané et noble du jeune homme.
Devant son enthousiasme, il ne put s'empêcher de lui expliquer ce à
quoi il devait s'attendre. « Mon pays est parcouru par sept fleuves et
dans chaque fleuve dort une gigantesque pieuvre. En m'infligeant ce
sortilège, ma belle-mère a exigé de chacun de mes prétendants qu'il lui
ramène les têtes des sept pieuvres qu'il aurait sectionnées de son
propre sabre. Sache, mon tendre ami, ajouta la perdrix, que jusqu'à
présent personne n'a été en mesure de réaliser le vœu de ma méchante
belle-mère, car les pieuvres sont colossales et leur ruse est
invincible !
Peu importe ! s'exclama le jeune homme, j'essayerai tout de même !
Et bien, encouragea l'oiseau, mon cœur est tout à toi et mon bonheur
serait de te voir vaincre tous les obstacles. J'attendrais dans cette
forêt et j'espérerai ton retour, priant le Ciel de guider tes pas et de
te venir en aide dans ta généreuse mission ! » L'oiseau
s'envola et le jeune homme se mit à cheminer en direction de l'horizon.
Il marcha ainsi durant des jours. Il apprit notamment à pêcher, chasser
; escalader des montagnes et affronter des eaux déferlantes. Après
trois mois d'efforts, il atteignit une vieille maisonnette toute en
bois qui semblait déserte et triste. Le jeune homme décida d'aller voir
de près l'humble logis, espérant. pouvoir s'y reposer de son long et
éprouvant périple. Il frappa donc
trois coups à la porte. Il entendit une petite voix frêle, presque
agonisante, demander : « Ô toi, le passant pressé ! Que veux-tu d'un
vieillard que les affres de la vie ont épuisé ? » D'un ton poli et
obligeant, le jeune expliqua : « Que la paix soit sur toi, vieil homme
! Peux-tu m'offrir l'asile juste pour un soir ? Je viens de loin et je
suis fatigué. Je souhaiterais me reposer une nuit dans la chaleur de
ton foyer. » De sa petite voix, le vieillard répondit : « Soit ! Pousse
la porte et entre ! » Doucement, le jeune homme ouvrit la porte et
découvrit un vieil homme tout ridé, étendu sur une couche sale et
pitoyable. Visiblement, l'homme âgé n'était même pas capable d'allumer
le feu de sa cheminée. Il grelottait de froid et avait l'air affaibli
par la soif et la faim. Autour de lui, l'ameublement rudimentaire était
poussiéreux et nauséabond. Le jeune homme eut pitié de lui. Il
ressortit pour ramasser quelques branches afin de faire du feu. Puis il
s'occupa de nettoyer le lit du vieillard. Il lava délicatement le
pauvre homme et pansa ses blessures. Il se mit ensuite à préparer une
soupe avec quelques légumes et herbes trouvées dans la prairie qui
entourait la maisonnette. Il aida le vieillard à se nourrir et se
servit également. Le visage blême
et flétri du vieil homme reprit vie et son regard terne s'éveilla. Il
remercia chaleureusement son invité et lui fit une surprenante
confidence : « On m'appelle Amghar Azemni(1). Je suis né il y a si
longtemps que je ne saurais te dire quand exactement. Je suis condamné
à vivre vieux éternellement. Hélas, il y a quelques jours, un serpent
m'a mordu et son venin m'a immobilisé sur mon lit. Le poison ne me fera
pas mourir, mais il infecte mon corps. » Le jeune homme se proposa
d'aspirer le poison de la blessure. Le vieil homme lui désigna la
cheville que le serpent avait mordue. Une fois le poison totalement
aspiré, l'homme se sentit soulagé et remercia le Seigneur de lui avoir
envoyé un invité si généreux et si délicat. « Mon garçon, je ne sais
comment te remercier. Tu m'as été d'un grand secours. Que les portes du
Ciel te soient toujours ouvertes ! Et que tes désirs se réalisent ! »
Le jeune homme questionna son hôte : « On dit de toi que tu sais tout
sur tout. Arrives-tu à deviner ce qui me fait voyager depuis des
semaines, ô sage homme ?
Oh ! je sais déjà que l'amour fait
battre ton cœur et qu'il t'a jeté sur les chemins imprévisibles de
l'aventure ! » Le jeune homme livra alors à son ami toute son histoire.
Il n'omit aucun détail. Son auditeur resta silencieux ; il hochait de
temps à autre la tête. Quand il eut fini son récit, le jeune homme
demanda au vieux sage : « J'ai besoin de savoir où se situe le Pays aux
Sept Fleuves pour tuer les sept pieuvres qui les habitent. Si je
parviens à ramener les têtes tranchées des pieuvres le maléfice se
brisera et la perdrix redeviendra princesse comme avant.
Mon
brave garçon, tout seul tu ne peux te mesurer aux sept pieuvres
géantes. Mais, comme tu possèdes un cœur généreux et intrépide, je vais
t'aider à réaliser ton vœu. Dans le coffre que tu trouveras sous mon
lit, il y a un sabre qui date de mille ans. D'innombrables et vaillants
héros me l'ont emprunté pour vaincre de redoutables ennemis. Ce sabre,
expliqua le sage, a le pouvoir de trancher les têtes de tous les
monstres possibles et imaginables vivant sur la terre ou sous la mer.
Je veux bien te le prêter à condition que tu me le rapportes, lorsque
tu te seras acquitté de ta mission héroïque !
Sans faute !
s'exclama le jeune homme, fou de joie à l'idée de pouvoir se battre et
libérer sa bien-aimée, qui hantait déjà toutes ses pensées. » Il prit
le sabre magique, complimenta son bienfaiteur et s'en alla, fièrement,
défier son destin. Le cœur empli
d'ambition et d'enthousiasme, Ie jeune homme traversa plusieurs
provinces et forêts. Il emprunta des chemins inconnus et rencontra de
bien étranges et curieux personnages. Il apprivoisa les uns et se méfia
des autres. Il suivit les indications du vieux sage et supporta fort
bien le voyage qui dura, d'ailleurs, des semaines entières. Quand
enfin se dessina à l'horizon la frontière du pays recherché, le jeune
homme découvrit une montagne si haute qu'elle se perdait dans le ciel.
A ses pieds, prenaient naissance les sept fleuves maudits où
sommeillaient les sept monstrueuses pieuvres. Il sentit son cœur battre
fortement. Il rassembla son courage et s'attaqua promptement à sa
tâche. Il suivit le premier fleuve jusqu'à sa source, puis provoqua la
pieuvre en lui jetant le corps d'un bœuf comme appât. Celle-ci sortit
des eaux, se prépara à avaler le jeune homme. Brutalement, celui-ci
trancha sa tête, grâce au sabre magique. Il fit de même avec les six
autres pieuvres. D'un pas alerte et fier de son exploit, le jeune homme
n'hésita pas à se rendre au palais pour demander audience à la reine,
traînant derrière lui les énormes têtes des pieuvres. Extrêmement
contrariée par l'arrivée triomphale du jeune homme, la méchante reine
refusa d'admettre sa victoire. Elle le reçut. alors froidement ;
sèchement, elle décréta qu'il s'agissait d'un démon. Elle ordonna aux
gardes de le brûler vif pour conjurer le mauvais sort. Le jeune homme
se défendit. Il s'adressa au roi, enfermé dans un mutisme troublant. Il
lui dit : « Ô noble roi ! Je ne suis qu'un humble voyageur. Je souhaite
m'acquitter d'une grande dette envers ta fille, la princesse
Clair-de-Lune. Elle m'a sauvé de la mort et je sais qu'elle a besoin de
toi. Ta femme l'a injustement condamnée à prendre l'apparence d'une
perdrix, et tu ne peux deviner ce que j'ai dû endurer pour parvenir
jusqu'ici. Je t'en prie sire ! Fais quelque chose pour ta fille, cet
être si fragile et si généreux, qui n'est autre que ta chair et ton
sang ! » Le roi eut les larmes aux yeux. Il se leva et ordonna à son
épouse de rompre le mauvais sort qui affligeait la vie de sa fille,
puis de quitter le palais immédiatement. D'une voix amère et déchirée,
il s'emporta : « Vieille sorcière ! Tu as réussi à me séparer de ma
fille et à me la faire oublier. Qu'a-t-elle donc fait pour mériter ta
sentence ? Ne t'avait-elle pas aimée comme elle aimait sa propre mère
si seulement le destin ne nous avait pas privés d'elle si tôt ? Va !
Hors de ce royaume ! Que le Seigneur te maudisse jusqu'à la fin de tes
jours ! » Le monarque remercia le
jeune homme pour sa bravoure et sa courtoisie. Il le pria de lui
raconter ce qu'il avait vu et entendu à propos de la princesse. Le
jeune homme s'exécuta et lui demanda de le suivre dans la forêt de
l'ogresse, où la perdrix l'attendait impatiemment. Le souverain fit
préparer une impressionnante escorte ; il prit des vivres et des
coffres emplis de louis d'or, puis s'empressa de rejoindre sa fille. Le
vide qu'avait laissé la princesse dans le cœur des deux hommes leur fit
oublier la lenteur et la difficulté du voyage. Ils se promirent tous
deux de ne s'arrêter qu'une fois qu'une fois à destination. Ce
fut un bonheur immense de les voir au chevet d'une jeune fille
rayonnante de beauté et de grâce, qui dormait sereinement sous un
olivier. La princesse se réveilla, se jeta dans les bras de son père
puis embrassa son héros, le remerciant. de tout son cœur : « Je te
serai éternellement reconnaissante », lui murmura-t-elle. Charmé par
l'éclat de sa beauté, le jeune homme osa s'adresser au roi : « Je sais
que mon rang ne me permet pas de prétendre à une alliance avec toi, ô
noble roi ! Mais je serais infiniment heureux et honoré de te demander
la main de la princesse. » Le souverain regarda le jeune homme
tendrement et lui répondit : « Mon brave garçon ! Ce qui fait la
noblesse d'un homme, c'est d'abord sa vertu ! Je crois que tu m'as
apporté la preuve de ta hardiesse et de ta pureté. Ma fille sera en
sécurité avec toi. Alors, je t'offre sa main avec une immense joie. » La
princesse Clair-de-Lune adressa à son bien-aimé un sourire consentant
et complice, puis prit le chemin du retour, impatiente de retrouver les
lieux magiques de son enfance. De retour au palais, le roi annonça allègrement les épousailles de sa fille avec l'héroïque jeune homme. Quelques
jours plus tard, on célébra fastueusement les noces des jeunes amoureux
et celles de cent autres jeunes gens issus de familles pauvres du
royaume. Le roi souhaita ardemment que le Ciel bénisse le mariage de sa
fille, et il fit preuve pour cela d'une grande générosité envers ses
sujets Une ambiance de réjouissante de liesse régna au palais durant
des jours et des jours. On en profita pour savourer avec délectation le
goût de la paix et du bonheur. Quelques
mois s'écoulèrent. Le jeune homme appréciait pleinement la vie
princière et son épouse, la princesse Clair-de-Lune, prit soin de son
couple. Elle lui offrit toutes les conditions d'une vie épanouie et
heureuse. Un jour, elle surprit le
sabre magique que son époux avait rangé dans son coffre. Elle le
contempla et apprécia la finesse de sa décoration. Dès que son mari la
rejoignit, elle l'interrogea : « D'où te vient ce magnifique sabre ? »
Voilà que le jeune homme se rappela la promesse faite au vieux sage, le
propriétaire du sabre magique. Il répondit à sa femme : « Heureusement
que tu m'as parlé de lui, sinon je l'aurais complètement oublié. Ce
sabre est la clé de notre salut, ma chérie. Il faut que je le rende à
celui qui me l'a prêté. » Dès le
lendemain, le prince sella son cheval, prit quelques provisions et se
dirigea vers la maisonnette du vieux sage. Quand celui-ci le vit
arriver, il le prit dans ses bras et lui confia : « J'étais sûr que tu
reviendrais, mon enfant ! Tu es un homme de qualité, ce sabre
t'appartient, je te l'offre. Quelque chose, cependant, attriste mon
cœur.
Qu'y a-t-il donc, père ?
II y a dans ce bas monde une
mère qui pleure ton absence depuis des années. Elle te croit mort et
s'en veut de n'avoir pu te sauver. Je l'entends se plaindre à tous les
saints à l'approche de chaque hiver. N'est-il pas temps d'aller la
consoler ? » Le jeune homme se souvint tout à coup du regard déchiré
que lui avait lancé sa mère la nuit où l'ogresse l'avait arraché à
elle. Il regretta profondément de l'avoir oubliée. Le vieux sage le
consola : « Ce n'est rien mon brave garçon ! L'oubli est de nature
humaine, va la rejoindre ! Elle sera certainement heureuse de te
revoir. » Le jeune homme retrouva
le chemin de son pays natal et offrit à sa malheureuse mère le plus
beau cadeau que l'on puisse offrir à une mère au premier jour du
printemps. En effet, quand elle vit s'avancer vers elle un jeune homme
élégant et distingué, elle lut dans son regard ces liens sacrés qui
finissent. toujours par réunir une mère et son enfant. Les
retrouvailles furent empreintes d'une émouvante ferveur. Le
jeune homme raconta à sa mère. tout ce qui lui était arrivé et la pria
de l'accompagner au royaume de son épouse. La femme, d'une voix
mélancolique, lui dit : « Le propre d'une mère est d'élever ses enfants
pour les voir partir un jour. C'est la vie. Retourne à ton foyer et
prend soin de ton épouse. Reviens me voir dès que je te manquerai, et
fais-moi le bonheur d'amener un jour ta descendance. Je suis déjà
comblée de te savoir vivant et heureux. Il est vrai que l'on dit
toujours que se sont. les épreuves qui cisèlent et forgent l'esprit
d'un homme et toi, mon garçon, tu as su affronter ton destin dignement.
Je suis très fière de toi. » Le
jeune homme demeura encore quelques jours auprès de sa mère, de ses
frères et sœurs et savoura avec délices les doux moments partagés avec
sa famille. Puis il s'en retourna auprès de sa dulcinée à qui il fit le
récit de son odyssée. La princesse
Clair-de-Lune et son époux vécurent heureux. Il firent la joie de leurs
parents quand ils leur annoncèrent la naissance de leur premier enfant,
qu'ils prénommèrent bourgeon-de-Printemps.
Ce
conte met en scène la terrible ogresse Tériel. Ce personnage monstrueux
figure dans un grand nombre de contes kabyles. Ici elle vient tisser
bénévolement des couvertures chez une pauvre veuve, mais, on se doute,
la suite est funeste... Maléfices, épreuves et résolution des maléfices
se succèdent.
Autrefois, dans une vieille maison en pierre, vivait
une pauvre veuve, mère de sept enfants. La malheureuse se retrouva sans
aucune ressource financière, lorsque son époux décéda d'une longue et
terrible maladie. Elle dut affronter seule les difficultés de
l'existence. Pour nourrir ses enfants, elle acceptait tous les travaux
qu'on lui proposait et s'acquittait de ses tâches correctement afin de
récolter quelque argent... Ses fils se chargeaient de l'aider à
l'extérieur, tandis que ses filles s'occupaient du foyer. La vie était
bien pénible pour cette famille nombreuse. Quand
l'hiver approchait, la veuve avait peur que ses enfants ne meurent. de
froid. Alors, à l'aide de bouts de laine recueillis ici et là, elle se
mettait à tisser, tard dans la nuit, une large couverture de laine. Par
une nuit plus fraîche que de coutume, le vent soufflait à grandes
rafales alors que la pauvre femme s'usait les yeux à tisser jusqu'à une
heure avancée de la nuit. Ses enfants dormaient profondément, les uns
accrochés aux autres, comme s'ils avaient peur de se séparer. Brusquement,
la fragile porte d'entrée claqua. Apparut alors une énorme silhouette,
si effrayante que la veuve recula jusqu'au mur. Horrible et
repoussante, Tériel l'ogresse se tint sur le pas de la porte, fixant de
son regard perçant la pauvre femme toute tremblante. Le monstre avança
vers le métier à tisser et rassura la femme terrorisée : « Ne crains
rien ! Laisse-moi t'aider ! » Stupéfaite et effarée, la veuve ne put
prononcer un seul mot. Avec un
acharnement démentiel, l'ogresse se mit à tisser. La peur au ventre, la
veuve pensa qu'une fois la couverture achevée le monstre la dévorerait,
elle et ses malheureux enfants. Mais le monstre n'en fit rien. Au
contraire, dès qu'il eut fini de tisser une couverture, il en entama
une autre et ceci jusqu'à l'aube. A ce moment-là, le monstre s'arrêta
et sortit en lançant à la femme : « Voilà tes enfants à l'abri du grand
froid ! Rassure-toi, l'hiver prochain, je reviendrai te tisser d'autres
couvertures ! » Il en fut ainsi
durant sept ans. Au début de chaque saison hivernale, l'ogresse faisait
irruption chez la veuve et lui tissait sept couvertures de laine. Au
bout de la septième année, alors que l'aîné des enfants avait atteint
dix-sept ans, Tériel réapparut un soir d'hiver, comme de coutume. Elle
annonça à la veuve : « Voilà sept ans que je t'aide à protéger ta
progéniture des morsures du froid. Aujourd'hui je suis revenue te
demander de m'offrir ton fils aîné afin de t'acquitter de ta dette.
Pour me témoigner ta gratitude, tu me le donneras, il me sera très
utile. » La veuve saisit enfin la
fausse générosité qui avait motivé l'ogresse durant toutes ces longues
années. Elle se souvint, qu'enfant, sa grand-mère lui contait
d'innombrables histoires sur cet horrible monstre qui habitait on ne
sait où, qui guettait des proies en difficulté et dévorait ses victimes
toutes crues. Elle lui disait toujours que Tériel ne se montrait que
pour annoncer un malheur. La pauvre femme réfléchit un peu et pensa
que, si elle refusait à l'ogresse ce qu'elle exigeait d'elle, celle-ci
se fâcherait et serait capable d'avaler toute la famille. Elle se
résolut alors à sacrifier son fils aîné, qui était pourtant son
préféré. Elle alla le voir et lui dit à voix basse : « Mon fils, toi la
première perle de mon collier de vie, tu dois accompagner l'ogresse
chez elle ! Je pense qu'elle projette de te dévorer, mais il existe un
moyen pour la contrarier et la faire tomber dans l'interdit, expliqua
la mère. Dès qu'elle s'apprêtera à t'emmener avec elle, empresse-toi de
lui téter le sein, tu deviendras ainsi son fils et même une ogresse ne
peut dévorer son enfant » Il suivit les recommandations de la veuve.
Surprise et dépassé par l'événement, l'ogresse se mit en colère. et
s'adressa à lui : « Petit misérable ! Tu m'as eue ! Mais je te prendrai
malgré tout avec moi. » L'ogresse
plongea le jeune homme dans son sac, le mis sur son dos et quitta la
veuve bouleversée et déchirée par le départ de son fils aîné. Le
monstre marcha durant de longs jours sans s'arrêter. Le jeune homme,
prisonnier au fond du sac, ne vit aucune lumière et ignora tout du
voyage. Il arrivait à peine à respirer. De temps à autre, le monstre
lui glissait un morceau de galette. Il avait soif, mais il résista du
mieux qu'il le put. Au terme d'un
mois de voyage, Tériel l'ogresse, arriva enfin chez elle, dans un pays
souterrain et obscur, où l'on n'entendait que les cris des hiboux, des
chacals,
des ogres et autres animaux de mauvais augure. Des cris
effrayants qui retentissaient comme des tonnerres stridents. L'ogresse
poussa la porte de son infâme antre et jeta sur le sol le sac qui
contenait le jeune homme. Celui-ci roula par terre, ouvrant les yeux
sur le lieu sinistre où habitait le monstre. L'ogresse saisit
violemment le jeune homme et l'enferma dans une cage. Tous
les matins, le monstre allait chasser et ne rentrait qu'à la tombée de
la nuit, traînant derrière lui de multiples victimes parmi lesquelles
se trouvaient quelquefois de petits enfants. Dès son arrivée, elle
faisait du feu pour se réchauffer puis engloutissait d'énormes
quantités de viande, sans même les cuire. A la fin de ses copieux et
funestes repas, elle lançait vers la cage quelques restes pour nourrir
le jeune homme encore prisonnier, tout en l'insultant et maudissant le
jour où il était devenu son fils. « Ah ! Si seulement tu n'avais pas bu
de mon lait ! J'aurais fait de toi un agréable dessert ! aimait-elle à
répéter. » Des jours et des mois
passèrent et le jeune homme survécut grâce à son endurance et à sa
ruse. L'ogresse faillit le dévorer à plusieurs reprises, mais il sut à
chaque fois lui rappeler que nulle mère, pas même une ogresse, ne
pouvait dévorer son fils. Celle-ci se voyait alors contrainte d'y
renoncer. Le jeune homme savait éviter les colères de la monstrueuse
créature. Un jour que l'ogresse
était sortie, comme à son habitude pour chasser, une magnifique perdrix
apparut dans la cours du taudis et se mit à picorer quelques petits
grains de-ci de-là. Le jeune homme vit le bel oiseau et songea : « Si
seulement cette perdrix pouvait deviner mon malheur et me venir en aide
! » Il crut rêver, mais non, la perdrix lui répondit d'une petite voix
mélodieuse : « Comment pourrais-je t'aider, brave jeune homme ? »
Abasourdi et émerveillé, le jeune homme demanda : « Comment se peut-il
qu'une perdrix sache parler ?
Ne te fie pas à mon apparence !
répondit le gentil oiseau. En réalité, je suis la princesse
Clair-de-Lune. Mon père règne sur le Pays des Sept Rivières. C'est ma
marâtre qui m'a transformée en perdrix, car mon père a eu le malheur de
faire l'éloge de ma beauté devant elle. Pour se débarrasser de moi,
elle m'a condamnée à l'apparence que tu vois là.
Mais c'est incroyable ! s'étonna le jeune homme.
Oh, oui ! Voilà sept ans que j'arpente les forêts, je traverse contrée
après contrée, goûtant à la vie libre et douce des perdrix. » Les yeux
ébahis, le jeune homme écouta le récit surprenant de l'oiseau puis
demanda : « Si tout ce que tu dis est vrai, peux-tu m'aider à enlever
les grilles qui m'emprisonnent ? » Sans hésiter, la perdrix répondit :
« Je le peux sûrement. Tiens ce bâton ! Ce soir, quand l'ogresse se
jettera sur son repas avec son empressement coutumier, elle ne te verra
pas le glisser dans le feu. Enfonce alors le bâton enflammé dans la
tête du monstre, car c'est là que réside son âme. Il sera tué sur le
coup. Quant à tes grilles, je n'ai pas la force de les ouvrir, hélas !
C'est déjà bien généreux de ta part de m'avoir donné cette idée. Le
reste, je m'en charge ! » interrompit le jeune homme, stimulé à l'idée
de pouvoir enfin se libérer du joug infernal du monstre. Vint
la nuit. L'ogresse rentra, tenant dans ses bras poilus la carcasse d'un
âne et le cadavre d'un tigre. Fidèle à son habitude, elle alluma le feu
pour se réchauffer et s'installa pour dévorer goulûment sa prise. Le
jeune homme profita de l'inattention du monstre pour enflammer le bâton
que lui avait donné la perdrix et brusquement, de sa cage, il le lança
en direction de la tête de l'ogresse qui mourut sur le coup. Cependant,
le jeune homme ne put s'échapper, car les clés étaient accrochées au
cou de Tériel, et le cadavre de l'horrible monstre était tombé hors de
sa portée. Il ne lui restait alors qu'un seul espoir : celui de voir la
perdrix réapparaître et l'aider à sortir. Il
attendit le charmant oiseau un jour, puis deux, puis trois, mais il ne
réapparut qu'au bout d'une semaine. Le jeune homme, épuisé par la faim
et la soif, commençait à désespérer quand, enfin, l'oiseau surgit dans
la cour. Dès qu'il le vit, le jeune homme reprit courage et le supplia
: « Généreuse perdrix, pourrais-tu me rendre un immense service : j'ai
besoin d'ouvrir cette cage et les clés sont pendues au cou de
l'ogresse. Veux-tu essayer de les décrocher pour moi ?
Bien sûr !
répondit l'oiseau, qui s'exécuta sur le champ. » Le jeune homme put
enfin se libérer. Il se jeta sur la nourriture et l'eau, sautillant de
joie en respirant l'air agréable de la liberté. Puis, il prit la
perdrix entre ses mains et la remercia chaleureusement : « Je te dois
la vie, noble petit oiseau ! Le ciel t'a envoyé à moi et tu as eu pitié
de ma misérable condition. Je ne saurais jamais te montrer toute ma
gratitude.
Ce n'est rien voyons ! remarqua l'oiseau, tu aurais
agi de la sorte si tu avais été à ma place » Le jeune homme observa
l'oiseau et se sentit soudain très proche de lui, comme s'il l'avait
toujours connu, comme s'il avait grandi avec lui. Il lui demanda : « Y
a-t-il quelque chose que je puisse faire pour toi ?
Hélas ! Tu ne
peux rien pour moi, répondit l'oiseau d'une voix morne et languissante.
Quatre-vingt-dix-neuf nobles princes et vaillants chevaliers ont essayé
de briser le maléfice qui m'accable mais tous ont péri. Je me suis
résignée à accepter mon sort et j'ai appris à me contenter de ma vie de
perdrix. » Compatissant et. très ému par ces révélations, le jeune
homme eut grande envie de tenter l'impossible pour lui venir en aide,
quitte, pour cela, à risquer sa vie. Jusqu'à présent, il n'avait douté
ni du courage qui pouvait l'animer, ni du goût de l'aventure qui, pour
la première fois, faisait battre son cœur. Transporté
par une vive émotion, il annonça à la perdrix : « Quoi qu'il puisse
m'advenir, je veux tenter de briser ton maléfice ! » Naturellement,
l'oiseau fut touché par le sentiment spontané et noble du jeune homme.
Devant son enthousiasme, il ne put s'empêcher de lui expliquer ce à
quoi il devait s'attendre. « Mon pays est parcouru par sept fleuves et
dans chaque fleuve dort une gigantesque pieuvre. En m'infligeant ce
sortilège, ma belle-mère a exigé de chacun de mes prétendants qu'il lui
ramène les têtes des sept pieuvres qu'il aurait sectionnées de son
propre sabre. Sache, mon tendre ami, ajouta la perdrix, que jusqu'à
présent personne n'a été en mesure de réaliser le vœu de ma méchante
belle-mère, car les pieuvres sont colossales et leur ruse est
invincible !
Peu importe ! s'exclama le jeune homme, j'essayerai tout de même !
Et bien, encouragea l'oiseau, mon cœur est tout à toi et mon bonheur
serait de te voir vaincre tous les obstacles. J'attendrais dans cette
forêt et j'espérerai ton retour, priant le Ciel de guider tes pas et de
te venir en aide dans ta généreuse mission ! » L'oiseau
s'envola et le jeune homme se mit à cheminer en direction de l'horizon.
Il marcha ainsi durant des jours. Il apprit notamment à pêcher, chasser
; escalader des montagnes et affronter des eaux déferlantes. Après
trois mois d'efforts, il atteignit une vieille maisonnette toute en
bois qui semblait déserte et triste. Le jeune homme décida d'aller voir
de près l'humble logis, espérant. pouvoir s'y reposer de son long et
éprouvant périple. Il frappa donc
trois coups à la porte. Il entendit une petite voix frêle, presque
agonisante, demander : « Ô toi, le passant pressé ! Que veux-tu d'un
vieillard que les affres de la vie ont épuisé ? » D'un ton poli et
obligeant, le jeune expliqua : « Que la paix soit sur toi, vieil homme
! Peux-tu m'offrir l'asile juste pour un soir ? Je viens de loin et je
suis fatigué. Je souhaiterais me reposer une nuit dans la chaleur de
ton foyer. » De sa petite voix, le vieillard répondit : « Soit ! Pousse
la porte et entre ! » Doucement, le jeune homme ouvrit la porte et
découvrit un vieil homme tout ridé, étendu sur une couche sale et
pitoyable. Visiblement, l'homme âgé n'était même pas capable d'allumer
le feu de sa cheminée. Il grelottait de froid et avait l'air affaibli
par la soif et la faim. Autour de lui, l'ameublement rudimentaire était
poussiéreux et nauséabond. Le jeune homme eut pitié de lui. Il
ressortit pour ramasser quelques branches afin de faire du feu. Puis il
s'occupa de nettoyer le lit du vieillard. Il lava délicatement le
pauvre homme et pansa ses blessures. Il se mit ensuite à préparer une
soupe avec quelques légumes et herbes trouvées dans la prairie qui
entourait la maisonnette. Il aida le vieillard à se nourrir et se
servit également. Le visage blême
et flétri du vieil homme reprit vie et son regard terne s'éveilla. Il
remercia chaleureusement son invité et lui fit une surprenante
confidence : « On m'appelle Amghar Azemni(1). Je suis né il y a si
longtemps que je ne saurais te dire quand exactement. Je suis condamné
à vivre vieux éternellement. Hélas, il y a quelques jours, un serpent
m'a mordu et son venin m'a immobilisé sur mon lit. Le poison ne me fera
pas mourir, mais il infecte mon corps. » Le jeune homme se proposa
d'aspirer le poison de la blessure. Le vieil homme lui désigna la
cheville que le serpent avait mordue. Une fois le poison totalement
aspiré, l'homme se sentit soulagé et remercia le Seigneur de lui avoir
envoyé un invité si généreux et si délicat. « Mon garçon, je ne sais
comment te remercier. Tu m'as été d'un grand secours. Que les portes du
Ciel te soient toujours ouvertes ! Et que tes désirs se réalisent ! »
Le jeune homme questionna son hôte : « On dit de toi que tu sais tout
sur tout. Arrives-tu à deviner ce qui me fait voyager depuis des
semaines, ô sage homme ?
Oh ! je sais déjà que l'amour fait
battre ton cœur et qu'il t'a jeté sur les chemins imprévisibles de
l'aventure ! » Le jeune homme livra alors à son ami toute son histoire.
Il n'omit aucun détail. Son auditeur resta silencieux ; il hochait de
temps à autre la tête. Quand il eut fini son récit, le jeune homme
demanda au vieux sage : « J'ai besoin de savoir où se situe le Pays aux
Sept Fleuves pour tuer les sept pieuvres qui les habitent. Si je
parviens à ramener les têtes tranchées des pieuvres le maléfice se
brisera et la perdrix redeviendra princesse comme avant.
Mon
brave garçon, tout seul tu ne peux te mesurer aux sept pieuvres
géantes. Mais, comme tu possèdes un cœur généreux et intrépide, je vais
t'aider à réaliser ton vœu. Dans le coffre que tu trouveras sous mon
lit, il y a un sabre qui date de mille ans. D'innombrables et vaillants
héros me l'ont emprunté pour vaincre de redoutables ennemis. Ce sabre,
expliqua le sage, a le pouvoir de trancher les têtes de tous les
monstres possibles et imaginables vivant sur la terre ou sous la mer.
Je veux bien te le prêter à condition que tu me le rapportes, lorsque
tu te seras acquitté de ta mission héroïque !
Sans faute !
s'exclama le jeune homme, fou de joie à l'idée de pouvoir se battre et
libérer sa bien-aimée, qui hantait déjà toutes ses pensées. » Il prit
le sabre magique, complimenta son bienfaiteur et s'en alla, fièrement,
défier son destin. Le cœur empli
d'ambition et d'enthousiasme, Ie jeune homme traversa plusieurs
provinces et forêts. Il emprunta des chemins inconnus et rencontra de
bien étranges et curieux personnages. Il apprivoisa les uns et se méfia
des autres. Il suivit les indications du vieux sage et supporta fort
bien le voyage qui dura, d'ailleurs, des semaines entières. Quand
enfin se dessina à l'horizon la frontière du pays recherché, le jeune
homme découvrit une montagne si haute qu'elle se perdait dans le ciel.
A ses pieds, prenaient naissance les sept fleuves maudits où
sommeillaient les sept monstrueuses pieuvres. Il sentit son cœur battre
fortement. Il rassembla son courage et s'attaqua promptement à sa
tâche. Il suivit le premier fleuve jusqu'à sa source, puis provoqua la
pieuvre en lui jetant le corps d'un bœuf comme appât. Celle-ci sortit
des eaux, se prépara à avaler le jeune homme. Brutalement, celui-ci
trancha sa tête, grâce au sabre magique. Il fit de même avec les six
autres pieuvres. D'un pas alerte et fier de son exploit, le jeune homme
n'hésita pas à se rendre au palais pour demander audience à la reine,
traînant derrière lui les énormes têtes des pieuvres. Extrêmement
contrariée par l'arrivée triomphale du jeune homme, la méchante reine
refusa d'admettre sa victoire. Elle le reçut. alors froidement ;
sèchement, elle décréta qu'il s'agissait d'un démon. Elle ordonna aux
gardes de le brûler vif pour conjurer le mauvais sort. Le jeune homme
se défendit. Il s'adressa au roi, enfermé dans un mutisme troublant. Il
lui dit : « Ô noble roi ! Je ne suis qu'un humble voyageur. Je souhaite
m'acquitter d'une grande dette envers ta fille, la princesse
Clair-de-Lune. Elle m'a sauvé de la mort et je sais qu'elle a besoin de
toi. Ta femme l'a injustement condamnée à prendre l'apparence d'une
perdrix, et tu ne peux deviner ce que j'ai dû endurer pour parvenir
jusqu'ici. Je t'en prie sire ! Fais quelque chose pour ta fille, cet
être si fragile et si généreux, qui n'est autre que ta chair et ton
sang ! » Le roi eut les larmes aux yeux. Il se leva et ordonna à son
épouse de rompre le mauvais sort qui affligeait la vie de sa fille,
puis de quitter le palais immédiatement. D'une voix amère et déchirée,
il s'emporta : « Vieille sorcière ! Tu as réussi à me séparer de ma
fille et à me la faire oublier. Qu'a-t-elle donc fait pour mériter ta
sentence ? Ne t'avait-elle pas aimée comme elle aimait sa propre mère
si seulement le destin ne nous avait pas privés d'elle si tôt ? Va !
Hors de ce royaume ! Que le Seigneur te maudisse jusqu'à la fin de tes
jours ! » Le monarque remercia le
jeune homme pour sa bravoure et sa courtoisie. Il le pria de lui
raconter ce qu'il avait vu et entendu à propos de la princesse. Le
jeune homme s'exécuta et lui demanda de le suivre dans la forêt de
l'ogresse, où la perdrix l'attendait impatiemment. Le souverain fit
préparer une impressionnante escorte ; il prit des vivres et des
coffres emplis de louis d'or, puis s'empressa de rejoindre sa fille. Le
vide qu'avait laissé la princesse dans le cœur des deux hommes leur fit
oublier la lenteur et la difficulté du voyage. Ils se promirent tous
deux de ne s'arrêter qu'une fois qu'une fois à destination. Ce
fut un bonheur immense de les voir au chevet d'une jeune fille
rayonnante de beauté et de grâce, qui dormait sereinement sous un
olivier. La princesse se réveilla, se jeta dans les bras de son père
puis embrassa son héros, le remerciant. de tout son cœur : « Je te
serai éternellement reconnaissante », lui murmura-t-elle. Charmé par
l'éclat de sa beauté, le jeune homme osa s'adresser au roi : « Je sais
que mon rang ne me permet pas de prétendre à une alliance avec toi, ô
noble roi ! Mais je serais infiniment heureux et honoré de te demander
la main de la princesse. » Le souverain regarda le jeune homme
tendrement et lui répondit : « Mon brave garçon ! Ce qui fait la
noblesse d'un homme, c'est d'abord sa vertu ! Je crois que tu m'as
apporté la preuve de ta hardiesse et de ta pureté. Ma fille sera en
sécurité avec toi. Alors, je t'offre sa main avec une immense joie. » La
princesse Clair-de-Lune adressa à son bien-aimé un sourire consentant
et complice, puis prit le chemin du retour, impatiente de retrouver les
lieux magiques de son enfance. De retour au palais, le roi annonça allègrement les épousailles de sa fille avec l'héroïque jeune homme. Quelques
jours plus tard, on célébra fastueusement les noces des jeunes amoureux
et celles de cent autres jeunes gens issus de familles pauvres du
royaume. Le roi souhaita ardemment que le Ciel bénisse le mariage de sa
fille, et il fit preuve pour cela d'une grande générosité envers ses
sujets Une ambiance de réjouissante de liesse régna au palais durant
des jours et des jours. On en profita pour savourer avec délectation le
goût de la paix et du bonheur. Quelques
mois s'écoulèrent. Le jeune homme appréciait pleinement la vie
princière et son épouse, la princesse Clair-de-Lune, prit soin de son
couple. Elle lui offrit toutes les conditions d'une vie épanouie et
heureuse. Un jour, elle surprit le
sabre magique que son époux avait rangé dans son coffre. Elle le
contempla et apprécia la finesse de sa décoration. Dès que son mari la
rejoignit, elle l'interrogea : « D'où te vient ce magnifique sabre ? »
Voilà que le jeune homme se rappela la promesse faite au vieux sage, le
propriétaire du sabre magique. Il répondit à sa femme : « Heureusement
que tu m'as parlé de lui, sinon je l'aurais complètement oublié. Ce
sabre est la clé de notre salut, ma chérie. Il faut que je le rende à
celui qui me l'a prêté. » Dès le
lendemain, le prince sella son cheval, prit quelques provisions et se
dirigea vers la maisonnette du vieux sage. Quand celui-ci le vit
arriver, il le prit dans ses bras et lui confia : « J'étais sûr que tu
reviendrais, mon enfant ! Tu es un homme de qualité, ce sabre
t'appartient, je te l'offre. Quelque chose, cependant, attriste mon
cœur.
Qu'y a-t-il donc, père ?
II y a dans ce bas monde une
mère qui pleure ton absence depuis des années. Elle te croit mort et
s'en veut de n'avoir pu te sauver. Je l'entends se plaindre à tous les
saints à l'approche de chaque hiver. N'est-il pas temps d'aller la
consoler ? » Le jeune homme se souvint tout à coup du regard déchiré
que lui avait lancé sa mère la nuit où l'ogresse l'avait arraché à
elle. Il regretta profondément de l'avoir oubliée. Le vieux sage le
consola : « Ce n'est rien mon brave garçon ! L'oubli est de nature
humaine, va la rejoindre ! Elle sera certainement heureuse de te
revoir. » Le jeune homme retrouva
le chemin de son pays natal et offrit à sa malheureuse mère le plus
beau cadeau que l'on puisse offrir à une mère au premier jour du
printemps. En effet, quand elle vit s'avancer vers elle un jeune homme
élégant et distingué, elle lut dans son regard ces liens sacrés qui
finissent. toujours par réunir une mère et son enfant. Les
retrouvailles furent empreintes d'une émouvante ferveur. Le
jeune homme raconta à sa mère. tout ce qui lui était arrivé et la pria
de l'accompagner au royaume de son épouse. La femme, d'une voix
mélancolique, lui dit : « Le propre d'une mère est d'élever ses enfants
pour les voir partir un jour. C'est la vie. Retourne à ton foyer et
prend soin de ton épouse. Reviens me voir dès que je te manquerai, et
fais-moi le bonheur d'amener un jour ta descendance. Je suis déjà
comblée de te savoir vivant et heureux. Il est vrai que l'on dit
toujours que se sont. les épreuves qui cisèlent et forgent l'esprit
d'un homme et toi, mon garçon, tu as su affronter ton destin dignement.
Je suis très fière de toi. » Le
jeune homme demeura encore quelques jours auprès de sa mère, de ses
frères et sœurs et savoura avec délices les doux moments partagés avec
sa famille. Puis il s'en retourna auprès de sa dulcinée à qui il fit le
récit de son odyssée. La princesse
Clair-de-Lune et son époux vécurent heureux. Il firent la joie de leurs
parents quand ils leur annoncèrent la naissance de leur premier enfant,
qu'ils prénommèrent bourgeon-de-Printemps.
nisrine nacer- Nombre de messages : 1044
Date d'inscription : 09/09/2008
L'origine des moutons
L'origine des moutons
Une
fois, la Première Mère du Monde moulait des grains avec son moulin à
main, puis elle mélangea la farine ainsi obtenue avec de l'eau. Vers
une heure avancée de la matinée, elle modela la pâte pour lui donner la
forme d'une brebis. Comme elle avait de la suie des marmites sur les
mains, la tête de la brebis était toute noire, alors que le reste du
corps demeurait tout blanc. Ensuite, elle déposa la brebis en pâte dans
le son qui se trouvait autour du moulin et qui avait été séparé de la
farine au moment de la mouture. Le son resta collé au corps de la
brebis et se transforma en laine. Le
lendemain, la Première Mère du Monde mélangea encore de la farine et de
l'eau pour obtenir de la pâte qu'elle modela ensuite pour donner forme
à un bélier. Puis elle lui fit des cornes. Celles-ci n'étaient pas
dressées vers le haut, pour éviter que les êtres humains ne s ?y
piquent et ne s ?y blessent. Elle lui fit des cornes recourbées en
spirales autour des oreilles, une à droite et l ?autre à gauche. Au
moment où elle s ?apprêtait à le poser dans le son, elle entendit bêe,
bêe, bêd... !Le petit mouton qu'elle avait modelé la veille était
devenu vivant et bêlait à côté du tas de son. " Mais qu'est-ce que
c'est que ça ? se demanda-t-elle. Le premier mouton que J'ai modelé
hier avec de la pâte de farine d'orge émet des sons et pousse des cris
comme moi ! je vais lui donner à manger de ce que je mange ! "
Là-dessus, elle déposa dans le son, à côté de l'agneau - ou plutôt de
la brebis - de la veille, le bélier tout noir qu'elle venait de finir
et lui donna de son couscous. Le
troisième jour, elle modela une fois de plus un mouton tout blanc avec
de la pâte de farine. Le quatrième jour, elle fit également un autre
bélier tout blanc. Le cinquième jour, il y avait dans le son quatre
moutons vivants dont une femelle, la brebis, ayant la tête noire et le
reste du corps tout blanc. L'autre femelle était toute blanche. Les
autres moutons étaient des béliers, un blanc, un noir. Après avoir créé
ces quatre mou tons, elle rendit visite au Premier Père du Monde pour
lui dire : " Cela suffit pour le moment ", et elle cessa de créer
d'autres moutons. Elle garda les
moutons chez elle et les nourrit. Ils grandissaient et bêlaient. Les
voisins, qui habitaient tout près, entendirent les bêlements et vinrent
s'informer : " Dites-nous, qu'avez-vous donc à la maison qui crie ainsi
? " - " Oh, ce n'est rien, dit-elle, c'est sans importance. Ce n'est
rien que vous n'ayez vous aussi. C'est seulement la galette qui crie
ainsi ! " Les voisins s'en allèrent. La Première Mère du Monde donna
encore plus de couscous et d'autres mets aux moutons, ce qui les fit
grandir à vue d'oeil. Lorsque ces
moutons furent adultes, ils s'approchèrent de la porte. Ils se
pressèrent à la porte et regardèrent au-dehors. Ils découvrirent
l'herbe à l'extérieur et se précipitèrent hors de la maison pour
brouter avec appétit. Ils broutèrent toute l'herbe des champs alentour
et s'en allèrent paître ailleurs, çà et là. Les voisins virent les
moutons et se rendirent chez la Première Mère du Monde pour lui
demander : " Nous avons déjà des boeufs, des taureaux et des vaches,
nous les connaissons. Mais ceux-là, quel genre d'animaux est-ce Comment
as-tu obtenu ces bêtes ? " Elle ne voulait pas avouer comment elle
avait créé ces moutons ; elle leur dit : " Ces animaux sont venus vers
moi la nuit et nous les avons accueillis en amis. Alors ils sont restés
avec nous. Ils sont faits comme des êtres humains, comme vous et moi. "
Les voisins s'en allèrent trouver la fourmi et lui demandèrent : "
Peux-tu nous dire qui sont ces animaux ? Comment sont-ils nés ? Qui les
a créés ? A quoi servent-ils ? " - " Ces animaux sont des moutons,
commença la fourmi. Ils doivent être bien traités par les êtres humains
car ils exigent beaucoup de soins. Leur chair est bonne à consommer.
Leur pelage est de la laine, avec laquelle les femmes pourront tisser
des burnous. Les moutons sont également utiles pour les festivités et
sans eux, vous ne pourrez pas célébrer les fêtes, qui sont différentes
suivant les mois de l'année. L ?année a douze mois ; chaque mois a
trente Jours et chaque jour se compose d'une partie diurne et d'une
partie nocturne. Et c'est à certaines périodes bien précises de l'année
que se déroulent les fêtes. " - " Mais quelles sont ces fêtes à
célébrer ? demandèrent-ils encore. - " Une de ces fêtes est l ?aïd
tamzient, en juillet. A cette occasion, on égorge au village quelques
boeufs et quatre ou six moutons. Chaque homme marié du village pique
son debbus, un gros bâton de bois, dans le sol pour marquer sa place, A
cet emplacement, chaque homme reçoit sa part de viande, qui aura été
équitablement partagée entre toute la communauté villageoise. La
seconde fête est dite la'id tamokrant, en octobre, au cours de laquelle
chaque homme marié doit égorger un mouton et prier Dieu que ses enfants
soient forts et restent en bonne santé. Mais une épaule, l'estomac, une
oreille, ainsi qu'un oeil du mouton égorgé doivent être mis à sécher au
soleil, après avoir été salés. Ils doivent être gardés ensuite pendant
un mois et dix jours pour la troisième fête. Cette
troisième fête s'appelle talacurt et se célèbre un mois et dix jours
après la fête de laïd tamokrant. C'est au cours de cette fête, taacurt,
que seront consommées les parties du mouton salées et conservées. On
dit que c'est la fête de la peur et des tremblements nerveux de tout le
corps. Car celui qui coupe du bois, ou travaille aux champs, ou
s'adonne à n'importe quelle activité pendant ces trois jours, dépérira
inéluctablement, après une violente crise de tremblements nerveux. Les
femmes doivent préparer tous les repas et tous les aliments à l'avance,
bien avant cette fête. La quatrième fête est celle dite el mulud, qui
sera célébrée trois mois plus tard, en février. Chaque village doit
acheter des boeufs qui seront sacrifiés à cette occasion. Les hommes
doivent marquer leur place avec leur debbus pour recevoir la part de
viande qui revient à leur famille. Mais le soir, avant le grand festin,
tous les lieux saints doivent être illuminés à l'aide de flambeaux.
Telles sont donc ces fêtes que vous pourrez célébrer, maintenant que
vous avez des moutons. C'est pour cette raison que vous devrez prendre
bien soin de ces bêtes ! " ... Curieux, les êtres humains voulurent
encore savoir : " Comment ces moutons ont-ils été créés ? Nous
voudrions bien en posséder pour être en mesure de célébrer ces fêtes. "
- " Allez voir la Première Mère du Monde, leur conseilla la fourmi, et
parlez-lui. Mais retenez bien ceci : si vous voulez acheter une chose,
vous devez toujours la payer avec la matière dont cette chose est
faite. Allez donc là-bas et parlez à la Première Mère du Monde. " Les
humains se rendirent chez la Première Mère du Monde et lui dirent : "
Dis-nous comment tu as obtenu tes moutons, comment as-tu fait ? Nous te
donnerons pour cela de la matière dont ils sont faits ! " - " C'est
simple, dit-elle, moulez de l'orge dans vos moulins, puis pétrissez et
modelez la pâte en forme de moutons. Ensuite, mettez ces moutons en
pâte dans du son. C'est ce que j'ai fait pour créer les miens. Vous
pourrez peut-être en faire autant. " Les gens s'en retournèrent chez
eux et firent un premier essai. Mais la Première Mère du Monde était un
e sorcière. Elle était la seule autrefois ; et après elle, aucune
sorcière n'est parvenue à égaler ses talents de magicienne...
Cependant, entre-temps les béliers avaient couvert les brebis,
lesquelles devinrent pleines un peu plus tard. Et chaque brebis une
fois l'an mettait bas deux agneaux. Leur nombre augmentait sans cesse.
Les humains s'en rendirent compte et allèrent consulter la Première
Mère du Monde. " Tu as fait des moutons avec de la farine d'orge. La
fourmi nous a dit que nous devons payer le produit acheté avec la
matière dont il est fait. Si tu es d'accord, nous te donnerons de
l'orge en échange des moutons. " C'est ainsi que tous les êtres humains
échangèrent de l'orge contre des moutons. Désormais, ils pouvaient
acquérir ce que d'autres faisaient de meilleur en échange de la matière
première avec laquelle il était fabriqué, car l'argent n'existait pas
encore. Et c'est ainsi que les moutons firent leur apparition chez les
êtres humains, qui pourraient désormais célébrer les fêtes. Le
premier bélier créé par la Première Mère du Monde ne mourut pas comme
les autres animaux. Un jour, il monta si haut sur la montagne qu'il
finit par heurter de ses cornes le soleil qui se levait... La boule du
soleil fut accrochée aux cornes du bélier qui y resta collé et depuis,
le bélier tourne avec le soleil ! Il
y avait autrefois une gravure rupestre en haut du village de Hdizer. On
voyait bien, devant ce bélier, un homme prosterné qui, comme les autres
êtres humains, implorait les dieux pour connaître les dates précises
des semailles et des récoltes. Mais on ne distingue plus que quelques
restes de cette peinture, car lorsque les grandes glaciations
arrivèrent sur la terre, la Première Mère du Monde ne fut pas seule à
périr ; même les falaises rocheuses furent endommagées. Et chaque hiver
qui passe, le froid détériore et abîme un peu plus cette gravure
rupestre représentant le premier bélier du monde.
Une
fois, la Première Mère du Monde moulait des grains avec son moulin à
main, puis elle mélangea la farine ainsi obtenue avec de l'eau. Vers
une heure avancée de la matinée, elle modela la pâte pour lui donner la
forme d'une brebis. Comme elle avait de la suie des marmites sur les
mains, la tête de la brebis était toute noire, alors que le reste du
corps demeurait tout blanc. Ensuite, elle déposa la brebis en pâte dans
le son qui se trouvait autour du moulin et qui avait été séparé de la
farine au moment de la mouture. Le son resta collé au corps de la
brebis et se transforma en laine. Le
lendemain, la Première Mère du Monde mélangea encore de la farine et de
l'eau pour obtenir de la pâte qu'elle modela ensuite pour donner forme
à un bélier. Puis elle lui fit des cornes. Celles-ci n'étaient pas
dressées vers le haut, pour éviter que les êtres humains ne s ?y
piquent et ne s ?y blessent. Elle lui fit des cornes recourbées en
spirales autour des oreilles, une à droite et l ?autre à gauche. Au
moment où elle s ?apprêtait à le poser dans le son, elle entendit bêe,
bêe, bêd... !Le petit mouton qu'elle avait modelé la veille était
devenu vivant et bêlait à côté du tas de son. " Mais qu'est-ce que
c'est que ça ? se demanda-t-elle. Le premier mouton que J'ai modelé
hier avec de la pâte de farine d'orge émet des sons et pousse des cris
comme moi ! je vais lui donner à manger de ce que je mange ! "
Là-dessus, elle déposa dans le son, à côté de l'agneau - ou plutôt de
la brebis - de la veille, le bélier tout noir qu'elle venait de finir
et lui donna de son couscous. Le
troisième jour, elle modela une fois de plus un mouton tout blanc avec
de la pâte de farine. Le quatrième jour, elle fit également un autre
bélier tout blanc. Le cinquième jour, il y avait dans le son quatre
moutons vivants dont une femelle, la brebis, ayant la tête noire et le
reste du corps tout blanc. L'autre femelle était toute blanche. Les
autres moutons étaient des béliers, un blanc, un noir. Après avoir créé
ces quatre mou tons, elle rendit visite au Premier Père du Monde pour
lui dire : " Cela suffit pour le moment ", et elle cessa de créer
d'autres moutons. Elle garda les
moutons chez elle et les nourrit. Ils grandissaient et bêlaient. Les
voisins, qui habitaient tout près, entendirent les bêlements et vinrent
s'informer : " Dites-nous, qu'avez-vous donc à la maison qui crie ainsi
? " - " Oh, ce n'est rien, dit-elle, c'est sans importance. Ce n'est
rien que vous n'ayez vous aussi. C'est seulement la galette qui crie
ainsi ! " Les voisins s'en allèrent. La Première Mère du Monde donna
encore plus de couscous et d'autres mets aux moutons, ce qui les fit
grandir à vue d'oeil. Lorsque ces
moutons furent adultes, ils s'approchèrent de la porte. Ils se
pressèrent à la porte et regardèrent au-dehors. Ils découvrirent
l'herbe à l'extérieur et se précipitèrent hors de la maison pour
brouter avec appétit. Ils broutèrent toute l'herbe des champs alentour
et s'en allèrent paître ailleurs, çà et là. Les voisins virent les
moutons et se rendirent chez la Première Mère du Monde pour lui
demander : " Nous avons déjà des boeufs, des taureaux et des vaches,
nous les connaissons. Mais ceux-là, quel genre d'animaux est-ce Comment
as-tu obtenu ces bêtes ? " Elle ne voulait pas avouer comment elle
avait créé ces moutons ; elle leur dit : " Ces animaux sont venus vers
moi la nuit et nous les avons accueillis en amis. Alors ils sont restés
avec nous. Ils sont faits comme des êtres humains, comme vous et moi. "
Les voisins s'en allèrent trouver la fourmi et lui demandèrent : "
Peux-tu nous dire qui sont ces animaux ? Comment sont-ils nés ? Qui les
a créés ? A quoi servent-ils ? " - " Ces animaux sont des moutons,
commença la fourmi. Ils doivent être bien traités par les êtres humains
car ils exigent beaucoup de soins. Leur chair est bonne à consommer.
Leur pelage est de la laine, avec laquelle les femmes pourront tisser
des burnous. Les moutons sont également utiles pour les festivités et
sans eux, vous ne pourrez pas célébrer les fêtes, qui sont différentes
suivant les mois de l'année. L ?année a douze mois ; chaque mois a
trente Jours et chaque jour se compose d'une partie diurne et d'une
partie nocturne. Et c'est à certaines périodes bien précises de l'année
que se déroulent les fêtes. " - " Mais quelles sont ces fêtes à
célébrer ? demandèrent-ils encore. - " Une de ces fêtes est l ?aïd
tamzient, en juillet. A cette occasion, on égorge au village quelques
boeufs et quatre ou six moutons. Chaque homme marié du village pique
son debbus, un gros bâton de bois, dans le sol pour marquer sa place, A
cet emplacement, chaque homme reçoit sa part de viande, qui aura été
équitablement partagée entre toute la communauté villageoise. La
seconde fête est dite la'id tamokrant, en octobre, au cours de laquelle
chaque homme marié doit égorger un mouton et prier Dieu que ses enfants
soient forts et restent en bonne santé. Mais une épaule, l'estomac, une
oreille, ainsi qu'un oeil du mouton égorgé doivent être mis à sécher au
soleil, après avoir été salés. Ils doivent être gardés ensuite pendant
un mois et dix jours pour la troisième fête. Cette
troisième fête s'appelle talacurt et se célèbre un mois et dix jours
après la fête de laïd tamokrant. C'est au cours de cette fête, taacurt,
que seront consommées les parties du mouton salées et conservées. On
dit que c'est la fête de la peur et des tremblements nerveux de tout le
corps. Car celui qui coupe du bois, ou travaille aux champs, ou
s'adonne à n'importe quelle activité pendant ces trois jours, dépérira
inéluctablement, après une violente crise de tremblements nerveux. Les
femmes doivent préparer tous les repas et tous les aliments à l'avance,
bien avant cette fête. La quatrième fête est celle dite el mulud, qui
sera célébrée trois mois plus tard, en février. Chaque village doit
acheter des boeufs qui seront sacrifiés à cette occasion. Les hommes
doivent marquer leur place avec leur debbus pour recevoir la part de
viande qui revient à leur famille. Mais le soir, avant le grand festin,
tous les lieux saints doivent être illuminés à l'aide de flambeaux.
Telles sont donc ces fêtes que vous pourrez célébrer, maintenant que
vous avez des moutons. C'est pour cette raison que vous devrez prendre
bien soin de ces bêtes ! " ... Curieux, les êtres humains voulurent
encore savoir : " Comment ces moutons ont-ils été créés ? Nous
voudrions bien en posséder pour être en mesure de célébrer ces fêtes. "
- " Allez voir la Première Mère du Monde, leur conseilla la fourmi, et
parlez-lui. Mais retenez bien ceci : si vous voulez acheter une chose,
vous devez toujours la payer avec la matière dont cette chose est
faite. Allez donc là-bas et parlez à la Première Mère du Monde. " Les
humains se rendirent chez la Première Mère du Monde et lui dirent : "
Dis-nous comment tu as obtenu tes moutons, comment as-tu fait ? Nous te
donnerons pour cela de la matière dont ils sont faits ! " - " C'est
simple, dit-elle, moulez de l'orge dans vos moulins, puis pétrissez et
modelez la pâte en forme de moutons. Ensuite, mettez ces moutons en
pâte dans du son. C'est ce que j'ai fait pour créer les miens. Vous
pourrez peut-être en faire autant. " Les gens s'en retournèrent chez
eux et firent un premier essai. Mais la Première Mère du Monde était un
e sorcière. Elle était la seule autrefois ; et après elle, aucune
sorcière n'est parvenue à égaler ses talents de magicienne...
Cependant, entre-temps les béliers avaient couvert les brebis,
lesquelles devinrent pleines un peu plus tard. Et chaque brebis une
fois l'an mettait bas deux agneaux. Leur nombre augmentait sans cesse.
Les humains s'en rendirent compte et allèrent consulter la Première
Mère du Monde. " Tu as fait des moutons avec de la farine d'orge. La
fourmi nous a dit que nous devons payer le produit acheté avec la
matière dont il est fait. Si tu es d'accord, nous te donnerons de
l'orge en échange des moutons. " C'est ainsi que tous les êtres humains
échangèrent de l'orge contre des moutons. Désormais, ils pouvaient
acquérir ce que d'autres faisaient de meilleur en échange de la matière
première avec laquelle il était fabriqué, car l'argent n'existait pas
encore. Et c'est ainsi que les moutons firent leur apparition chez les
êtres humains, qui pourraient désormais célébrer les fêtes. Le
premier bélier créé par la Première Mère du Monde ne mourut pas comme
les autres animaux. Un jour, il monta si haut sur la montagne qu'il
finit par heurter de ses cornes le soleil qui se levait... La boule du
soleil fut accrochée aux cornes du bélier qui y resta collé et depuis,
le bélier tourne avec le soleil ! Il
y avait autrefois une gravure rupestre en haut du village de Hdizer. On
voyait bien, devant ce bélier, un homme prosterné qui, comme les autres
êtres humains, implorait les dieux pour connaître les dates précises
des semailles et des récoltes. Mais on ne distingue plus que quelques
restes de cette peinture, car lorsque les grandes glaciations
arrivèrent sur la terre, la Première Mère du Monde ne fut pas seule à
périr ; même les falaises rocheuses furent endommagées. Et chaque hiver
qui passe, le froid détériore et abîme un peu plus cette gravure
rupestre représentant le premier bélier du monde.
nisrine nacer- Nombre de messages : 1044
Date d'inscription : 09/09/2008
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