Jean de SPONDE
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Jean de SPONDE
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Et quel bien de la Mort ? où la vermine ronge
Et quel bien de la Mort ? où la vermine ronge
Tous ces nerfs, tous ces os ; où l'Ame se depart
De ceste orde charongne, et se tient à l'escart,
Et laisse un souvenir de nous comme d'un songe ?
Ce corps, qui dans la vie en ses grandeurs se plonge,
Si soudain dans la mort estouffera sa part,
Et sera ce beau Nom, qui tant partout s'espard,
Borné de vanité, couronné de mensonge.
A quoy ceste Ame, helas ! et ce corps desunis ?
Du commerce du monde hors du monde bannis ?
A quoy ces noeuds si beaux que le Trespas deslie ?
Pour vivre au Ciel il faut mourir plustost icy :
Ce n'en est pas pourtant le sentier racourcy,
Mais quoy ? nous n'avons plus ny d'Henoc, ny d'Elie.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
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Ha ! que j'en voy bien peu songer à ceste mort
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Ha ! que j'en voy bien peu songer à ceste mort
Ha ! que j'en voy bien peu songer à ceste mort
Et si chacun la cerche aux dangers de la guerre !
Tantost dessus la Mer, tantost dessus la Terre,
Mais las ! dans son oubli tout le monde s'endort.
De la Mer, on s'attend à ressurgir au Port,
Sur la Terre, aux effrois dont l'ennemy s'atterre :
Bref, chacun pense à vivre, et ce vaisseau de verre
S'estime estre un rocher bien solide et bien fort.
Je voy ces vermisseaux bastir dedans leurs plaines
Les monts de leurs desseins, dont les cimes humaines
Semblent presque esgaler leurs coeurs ambitieux.
Geants, où poussez-vous ces beaux amas de poudre ?
Vous les ammoncelez ? Vous les verrez dissoudre :
Ils montent de la Terre ? Ils tomberont des Cieux.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
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Helas ! contez vos jours
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Helas ! contez vos jours : les jours qui sont passez
Helas ! contez vos jours : les jours qui sont passez
Sont desja morts pour vous, ceux qui viennent encore
Mourront tous sur le point de leur naissante Aurore,
Et moitié de la vie est moitié du decez.
Ces desirs orgueilleux pesle mesle entassez,
Ce coeur outrecuidé que vostre bras implore,
Cest indomptable bras que vostre coeur adore,
La Mort les met en geine, et leur fait le procez.
Mille flots, mille escueils, font teste à vostre route,
Vous rompez à travers, mais à la fin, sans doute,
Vous serez le butin des escueils, et des flots.
Une heure vous attend, un moment vous espie,
Bourreaux desnaturez de vostre propre vie,
Qui vit avec la peine, et meurt sans le repos.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
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Il est vrai, mon amour
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Il est vrai, mon amour était sujet au change
Il est vrai, mon amour était sujet au change,
Avant que j'eusse appris d'aimer solidement,
Mais si je n'eusse vu cet astre consumant,
Je n'aurais point encor acquis cette louange.
Ore je vois combien c'est une humeur étrange
De vivre, mais mourir, parmi le changement,
Et que l'amour lui-même en gronde tellement
Qu'il est certain qu'enfin, quoi qu'il tarde, il s'en venge.
Si tu prends un chemin après tant de détours,
Un bord après l'orage, et puis reprends ton cours,
Et l'orage aux détours, il survient le naufrage
Une erreur on dira que tu l'as mérité.
Si l'amour n'est point feint, il aura le courage
De ne changer non plus que fait la vérité.
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Date d'inscription : 18/07/2008
Je contemplais un jour le dormant de ce fleuve
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Je contemplais un jour le dormant de ce fleuve
Je contemplais un jour le dormant de ce fleuve
Qui traîne lentement les ondes dans la mer,
Sans que les Aquilons le fassent écumer
Ni bondir, ravageur, sur les bords qu'il abreuve.
Et contemplant le cours de ces maux que j'épreuve,
Ce fleuve, dis-je alors, ne sait que c'est d'aimer ;
Si quelque flamme eût pu ses glaces allumer,
Il trouverait l'amour ainsi que je le treuve.
S'il le sentait si bien, il aurait plus de flots,
L'Amour est de la peine et non point du repos,
Mais cette peine enfin est du repos suivie,
Si son esprit constant la défend du trépas ;
Mais qui meurt en la peine il ne mérite pas
Que le repos jamais lui redonne la vie.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Je meurs
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Je meurs, et les soucis qui sortent du martyre
Je meurs, et les soucis qui sortent du martyre
Que me donne l'absence, et les jours, et les nuits
Font tant qu'à tous moments je ne sais que je suis,
Si j'empire du tout ou bien si je respire ;
Un chagrin survenant mille chagrins m'attire
Et me croyant aider moi-même je me nuis,
L'infini mouvement de mes roulants ennuis
M'emporte, et je le sens, mais je ne le puis dire.
Je suis cet Actéon de ces chiens déchiré !
Et l'éclat de mon âme est si bien altéré
Qu'elle qui me devrait faire vivre me tue :
Deux Déesses nous ont tramé tout notre sort,
Mais pour divers sujets nous trouvons même mort,
Moi de ne la voir point, et lui de l'avoir vue.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Je sens dedans mon âme
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Je sens dedans mon âme une guerre civile
Je sens dedans mon âme une guerre civile,
D'un parti ma raison, mes sens d'autre parti,
Dont le brûlant discord ne peut être amorti
Tant chacun son tranchant l'un contre l'autre affile.
Mais mes sens sont armés d'un verre si fragile
Que si le coeur bientôt ne s'en est départi
Tout l'heur vers ma raison se verra converti,
Comme au parti plus fort, plus juste et plus utile.
Mes sens veulent ployer sous ce pesant fardeau
Des ardeurs que me donne un éloigné flambeau,
Au rebours la raison me renforce au martyre.
Faisons comme dans Rome, à ce peuple mutin
De mes sens inconstants arrachons-les enfin,
Et que notre raison y plante son Empire.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Les vents grondaient en l'air
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Les vents grondaient en l'air, les plus sombres nuages
Les vents grondaient en l'air, les plus sombres nuages
Nous dérobaient le jour pêle-mêle entassés,
Les abîmes d'enfer étaient au ciel poussés,
La mer s'enflait des monts, et le monde d'orages ;
Quand je vis qu'un oiseau délaissant nos rivages
S'envole au beau milieu de ces flots courroucés,
Y pose de son nid les fétus ramassés
Et rapaise soudain ces écumeuses rages.
L'amour m'en fit autant, et comme un Alcyon
L'autre jour se logea dedans ma passion
Et combla de bonheur mon âme infortunée.
Après le trouble, enfin, il me donna la paix :
Mais le calme de mer n'est qu'une fois l'année
Et celui de mon âme y sera pour jamais.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Ma belle languissait
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Ma belle languissait dans sa funeste couche
Ma belle languissait dans sa funeste couche
Où la mort ces beaux yeux de leurs traits désarmait,
Et le feu dans sa moëlle allumé consumait
Les lys dessus son front, les roses sur sa bouche.
L'air paraissait autour tout noir des nuits funèbres
Qui des jours de la vie éteignent le flambeau
Elle perdait déjà son corps dans le tombeau,
Et sauvait dans le Ciel son âme des ténèbres.
Toute la terre était de deuil toute couverte
Et son reste de beau lui semblait odieux :
L'âme même sans corps semblait moins belle aux Dieux,
Et ce qu'ils en gagnaient leur semblait une perte.
Je le sus, et soudain mon coeur gela de crainte
Que ce rare trésor ne me fût tout ravi :
S'il l'eût été, je l'eusse incontinent suivi,
Ainsi que l'ombre suit une lumière éteinte.
Notre fortune enfin de toutes parts poussée,
A force de malheur fut prête à renverser
Ma belle en se mourant, et moi pour me presser
Moi-même de ce mal dont elle était pressée.
L'Amour, qui la voyait cruellement ravie,
S'enflamme de colère à voir mourir son feu,
Accourt tout aussitôt, en trouve encore un peu,
L'évente de son aile, et lui donne la vie...
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Mais si faut-il mourir !
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Mais si faut-il mourir ! et la vie orgueilleuse
Mais si faut-il mourir ! et la vie orgueilleuse,
Qui brave de la mort, sentira ses fureurs ;
Les Soleils haleront ces journalieres fleurs,
Et le temps crevera ceste ampoule venteuse.
Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse,
Sur le verd de la cire esteindra ses ardeurs ;
L'huile de ce Tableau ternira ses couleurs,
Et ses flots se rompront à la rive escumeuse.
J'ay veu ces clairs esclairs passer devant mes yeux,
Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux.
Ou d'une ou d'autre part esclatera l'orage.
J'ay veu fondre la neige, et ces torrens tarir,
Ces lyons rugissans, je les ay veus sans rage.
Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Mais si mon foible corps
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Mais si mon foible corps (qui comme l'eau s'escoule)
Mais si mon foible corps (qui comme l'eau s'escoule)
Et s'affermit encor plus longtemps qu'un plus fort)
S'avance à tous moments vers le sueil de la mort,
Et que mal dessus mal dans le tombeau me roule,
Pourquoy tiendray-je roide à ce vent qui saboule
Le Sablon de mes jours d'un invincible effort ?
Faut-il pas resveiller cette Ame qui s'endort,
De peur qu'avec le corps la Tempeste la foule ?
Laisse dormir ce corps, mon Ame, et quant à toy
Veille, veille et te tiens alerte à tout effroy,
Garde que ce Larron ne te trouve endormie :
Le poinct de sa venüe est pour nous incertain,
Mais, mon Ame, il suffist que cest Autheur de Vie
Nous cache bien son temps, mais non pas son dessein.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Mon coeur ne te rends point à ces ennuis d'absence
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Mon coeur ne te rends point à ces ennuis d'absence
Mon coeur ne te rends point à ces ennuis d'absence,
Et quelque forts qu'ils soient sois encore plus fort,
Quand même tu serais sur le point de la mort
Mon coeur, ne te rends point, et reprends ta puissance.
Que si tant de combats te donnent connaissance
Que tu n'es pas toujours pour rompre leur effort,
Garde-toi de tomber en un tel déconfort
Que ton amour jamais y perde son essence.
Puis que tous tes soupirs sont ainsi retardés,
Laisse, laisse courir ces torrents débordés,
Et monte sur les rocs de ce mont de constance :
Ainsi dessus les monts ce sage chef Romain
Différa ses combats du jour au lendemain,
Se moqua d'Hannibal, rompant sa violence.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Mon Dieu, que je voudrais que ma main fût oisive
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Mon Dieu, que je voudrais que ma main fût oisive
Mon Dieu, que je voudrais que ma main fût oisive,
Que ma bouche et mes yeux reprissent leur devoir !
Écrire est peu : c'est plus de parler et de voir,
De ces deux oeuvres l'une est morte et l'autre vive.
Quelque beau trait d'amour que notre main écrive,
Ce sont témoins muets qui n'ont pas le pouvoir
Ni le semblable poids, que l'oeil pourrait avoir
Et de nos vives voix la vertu plus naïve.
Mais quoi ! n'étaient encor ces faibles étançons
Et ces fruits mi-rongés dont nous le nourrissons,
L'Amour mourrait de faim et cherrait en ruine :
Écrivons, attendant de plus fermes plaisirs,
Et si le temps domine encor sur nos désirs,
Faisons que sur le temps la constance domine.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Mon Soleil qui brillez de vos yeux dans mes yeux
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Mon Soleil qui brillez de vos yeux dans mes yeux
Mon Soleil qui brillez de vos yeux dans mes yeux,
Et pour trop de clarté leur ôtez la lumière,
Je ne vois rien que vous, et mon âme est si fière
Qu'elle ne daigne plus aimer que dans les cieux.
Tout autre amour me semble un enfer furieux
Plein d'horreur et de mort dont m'enfuyant arrière
J'en laisse franchement plus franche la carrière
A ceux qui sont plus mal et pensent faire mieux.
Le plaisir, volontiers, est de l'amour l'amorce,
Mais outre encor je sens quelque plus vive force
Qui me ferait aimer malgré moi ce Soleil :
Cette force est en vous dont la beauté puissante,
La beauté sans pareil, encor qu'elle s'absente
A tué cet amant, cet amant sans pareil.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Mortels, qui des mortels avez pris vostre vie
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Mortels, qui des mortels avez pris vostre vie
Mortels, qui des mortels avez pris vostre vie,
Vie qui meurt encor dans le tombeau du Corps,
Vous qui r'amoncelez vos tresors, des tresors
De ceux dont par la mort la vie fust ravie :
Vous qui voyant de morts leur mort entresuivie,
N'avez point de maisons que les maisons des morts,
Et ne sentez pourtant de la mort un remors,
D'où vient qu'au souvenir son souvenir s'oublie ?
Est-ce que votre vie adorant ses douceurs
Deteste des pensers de la mort les horreurs,
Et ne puisse envier une contraire envie ?
Mortels, chacun accuse, et j'excuse le tort
Qu'on forge en vostre oubli. Un oubli d'une mort
Vous monstre un souvenir d'une éternelle vie.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Ne vous étonnez point
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Ne vous étonnez point si mon esprit qui passe
Ne vous étonnez point si mon esprit qui passe
De travail en travail par tant de mouvements,
Depuis qu'il est banni dans ces éloignements,
Tout agile qu'il est ne change point de place.
Ce que vous en voyez, quelque chose qu'il fasse,
Il s'est planté si bien sur si bons fondements,
Qu'il ne voudrait jamais souffrir de changements
Si ce n'est que le feu ne pût changer de place.
Ces deux contraires sont en moi seul arrêtés
Les faibles mouvements, les dures fermetés :
Mais voulez-vous avoir plus claire connaissance
Que mon espoir se meurt et ne se change point ?
Il tournoie à l'entour du point de la constance
Comme le ciel tournoie à l'entour de son point.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Pour qui tant de travaux ?
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Pour qui tant de travaux ? pour vous? de qui l'aleine
Pour qui tant de travaux ? pour vous? de qui l'aleine
Pantelle en la poictrine et traine sa langueur ?
Vos desseins sont bien loin du bout de leur vigueur
Et vous estes bien pres du bout de vostre peine.
Je vous accorde encore une emprise certaine,
Qui de soy court du Temps l'incertaine rigueur ;
Si perdrez-vous enfin ce fruit et ce labeur :
Le mont est foudroyé plus souvent que la plaine.
Ces sceptres enviez, ces Tresors debattus,
Champ superbe du camp de vos fieres vertus,
Sont de l'avare mort le debat et l'envie.
Mais pourquoi ce souci ? mais pourquoi cest effort ?
Sçavez-vous bien que c'est le train de ceste vie ?
La fuite de la Vie, et la course à la Mort.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Quand le vaillant Hector
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Quand le vaillant Hector, le grand rempart de Troie
Quand le vaillant Hector, le grand rempart de Troie,
Sortit tout enflammé, sur les nefs des Grégeois,
Et qu'Achille charmait d'une plaintive voix
Son oisive douleur, sa vengeance de joie.
Comme quand le Soleil dedans l'onde flamboie
L'onde des rais tremblants repousse dans les toits :
La Grèce tout ainsi flottante cette fois
Eut peur d'être à la fin la proie de sa proie.
Un seul bouclier d'Ajax se trouvant le plus fort
Soutint cette fureur et dompta cet effort,
J'eusse perdu de même en cette horrible absence
Mon amour, assailli d'une armée d'ennuis,
Dans le travail des jours, dans la langueur des nuits,
Si je ne l'eusse armé d'un bouclier de constance.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Qui serait dans les Cieux
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Qui serait dans les Cieux, et baisserait sa vue
Qui serait dans les Cieux, et baisserait sa vue
Sur le large pourpris de ce sec élément,
Il ne croirait de tout rien qu'un point seulement,
Un point encore caché du voile d'une nue.
Mais s'il contemple après cette courtine bleue,
Ce cercle de cristal, ce doré firmament,
Il juge que son tour est grand infiniment,
Et que cette grandeur nous est toute inconnue.
Ainsi de ce grand ciel, où l'amour m'a guidé,
De ce grand ciel d'Amour où mon oeil est bandé,
Si je relâche un peu la pointe aiguë au reste,
Au reste des amours, je vois sous une nuit
Du monde d'Épicure en atomes réduit
Leur amour tout de terre, et le mien tout céleste.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Qui sont, qui sont ceux-là
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Qui sont, qui sont ceux-là, dont le coeur idolâtre
Qui sont, qui sont ceux-là, dont le coeur idolâtre
Se jette aux pieds du Monde, et flatte ses honneurs,
Et qui sont ces valets, et qui sont ces Seigneurs,
Et ces âmes d'Ebène, et ces faces d'Albâtre ?
Ces masques déguisés, dont la troupe folâtre
S'amuse à caresser je ne sais quels donneurs
De fumées de Cour, et ces entrepreneurs
De vaincre encor le Ciel qu'ils ne peuvent combattre ?
Qui sont ces louvoyeurs qui s'éloignent du Port ?
Hommagers à la Vie, et félons à la Mort,
Dont l'étoile est leur Bien, le Vent leur fantaisie ?
Je vogue en même mer, et craindrais de périr
Si ce n'est que je sais que cette même vie
N'est rien que le fanal qui me guide au mourir.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Si c'est dessus les eaux
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Si c'est dessus les eaux que la terre est pressée
Si c'est dessus les eaux que la terre est pressée,
Comment se soutient-elle encor si fermement,
Et si c'est sur les vents qu'elle a son fondement,
Qui la peut conserver sans être renversée ?
Ces justes contrepoids qui nous l'ont balancée
Ne penchent-ils jamais d'un divers branlement ?
Et qui nous fait solide ainsi cet élément,
Qui trouve autour de lui l'inconstance amassée ?
Il est ainsi, ce corps se va tout soulevant
Sans jamais s'ébranler parmi l'onde et le vent,
Miracle non pareil ! si mon amour extrême,
Voyant ces maux coulants, soufflants de tous côtés,
Ne trouvait tous les jours par exemple de même
Sa constance au milieu de ces légèretés.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Si j'avais comme vous, mignardes colombelles
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Si j'avais comme vous, mignardes colombelles
Si j'avais comme vous, mignardes colombelles,
Des plumages si beaux sur mon corps attachés,
On aurait beau tenir mes esprits empêchés
De l'indomptable fer de cent chaînes nouvelles,
Sur les ailes du vent je guiderais mes ailes,
J'irais jusqu'au séjour où mes biens sont cachés,
Ainsi, voyant de moi ces ennuis arrachés,
Je ne sentirais plus ces absences cruelles.
Colombelles, hélas ! que j'ai bien souhaité
Que mon corps vous semblât autant d'agilité,
Que mon âme d'amour à votre âme ressemble :
Mais quoi ! je le souhaite, et me trompe d'autant.
Ferais-je bien voler un amour si constant
D'un monde tout rempli de vos ailes ensemble ?
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Si tant de maux passez ne m'ont acquis ce bien
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Si tant de maux passez ne m'ont acquis ce bien
Si tant de maux passez ne m'ont acquis ce bien,
Que vous croyez au moins que je vous suis fidelle,
Ou si vous le croyez, qu'à la moindre querelle
Vous me faciez semblant de n'en plus croire rien ;
Belle, pour qui je meurs, belle, pensez vous bien
Que je ne sente point cette injure cruelle ?
Plus sanglante beaucoup, que la peine éternelle
Où malgré tout le monde encor je me retiens,
Il est vray toutesfois, vos beautez infinies,
Quand je vivrois encor cent mille et mille vies,
Ne se pourroyent jamais servir si dignement
Que je ne fusse à leur valeur parfaicte :
Mais croyez-le ou non, la preuve est toute faicte
Qu'au près de moy, l'amour aime imparfaitement.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Stances
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Stances
Tel estoit ce bel Astre à son entrée au monde,
Et deslors qu'il sortoit de son tendre berceau,
Clair au poinct qu'on le veit autant que le flambeau
Qui luît le jour dessus, et la nuict dessous l'onde.
Ce feu sur le poignant de sa premiere Aurore
Nous embasmoit les champs du nectar de ses pleurs,
Et les champs repoussoyent un doux printemps de fleurs ;
Encor les pleurs couloyent, les fleurs croissoyent encore.
Les lis croissoyent sur tout, le lis que ce feu mesme
Regardoit d'un rayon si benin de ses yeux
Qu'on soupçonna deslors qu'il l'aimeroit bien mieux :
On voit de meilleur oeil tousjours ce que l'on aime.
La mere des Amours, à demy fletrissante,
Veit reverdir son Myrthe en toufeaux ombrageux :
Les palmes qu'elle donne aux Amans courageux
Enlasserent plus fort leur force renaissante.
Mais depuis que du temps la course coustumiere
Anima, de ce feu, les grillantes ardeurs,
Les corps ne sentoyent plus, du Soleil, que froideurs,
Et les ames brusloyent dessous ceste lumiere.
Le pauvre Amour, couvert du funebre nuage
Des rayons pallissans d'une fausse beauté,
Tout aussi tost qu'il veit brusler ceste clarté,
Esclata tout en lustre et changea de visage.
Il se leve, ravi de ces flammes nouvelles :
Voici, voici, dit-il, du secours à l'Amour,
Et pour luy faire honneur il volette alentour :
Mais il en fist la preuve et se brusla les aisles.
Ô presage asseuré, s'escria-t-il à l'heure,
Que ce flambeau si beau n'esclaire point en vain,
Et qu'il faut, en laissant un travail incertain,
Que ce repos certain me serve de demeure.
Je voy de toutes pars ma torche consumée
Jetter la cendre en terre et l'estincelle aux cieux :
Ce feu, ce feu, tout seul, peut rallumer mes feux :
Car tous les autres feux n'ont que de la fumée.
Deslors Amour perdit franchement sa franchise
Et de tous ces beaux champs en fist un beau desert,
Il maistrisoit n'aguere, et maintenant il sert,
Mais ce service là valloit bien sa maistrise.
Il met son arc, ses traits, es mains de la Déesse,
Pour un gage certain qu'elle l'avoit soustrait ;
Mais gardez vous, dit-il, gardez qu'un jour le trait
Duquel vous blesserez luy mesme ne vous blesse.
Elle les prend soudain d'aise toute ravie,
Se glisse dedans l'air où sont les demi-dieux,
Eslance tout d'un coup cent flesches de ses yeux
En frappe tout un monde, et leur oste la vie.
Les Nimphes d'alentour, comme elles l'apperceurent,
Se cacheront de honte aux ombrages des bois :
Mais elle, qui ne veit rien digne de ses loix,
S'en vint et leur osta la honte quelles eurent.
Cependant les beautez luy croissoyent davantage,
Et tous les poincts du jour forçoyent leurs actions
Pour achever le poinct de ses perfections,
Mais elle croissoit plus encore de courage.
Ainsi d'un haut dessein vivement animée,
Prend la fleche, qu'Amour luy mesme avoit preveu,
Tire à force, fend l'air et va dedans le feu
Où sa fleche luy fust tout d'un coup allumée.
A ce rencontre heureux la belle se sent prise,
Accolle sa beauté contre ceste grandeur,
Et trouvant sa grandeur pareille à son ardeur,
Se baigne au beau succez d'une belle entreprise.
Amans, ces doubles feux que vous meslez ensemble
Ne sont que le pourtrait de ces deux feux jumeaux
Qui calment les courroux des bouillonnantes eaux,
Et rasseurent la nef des vents dont elle tremble.
Puissiez vous, tout ainsi que ces germaines flammes,
Survivre l'un à l'autre et jamais ne mourir,
Sans pouvoir tour à tour vous entresecourir
D'ames pour vos amours, et d'amour pour vos ames.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
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Stances de la mort
- Jean de SPONDE (1557-1595)
Stances de la mort
Mes yeux, ne lancez plus votre pointe éblouie
Sur les brillants rayons de la flammeuse vie,
Cillez-vous, couvrez-vous de ténèbres, mes yeux :
Non pas pour étouffer vos vigueurs coutumières,
Car je vous ferai voir de plus vives lumières,
Mais sortant de la nuit vous n'en verrez que mieux.
Je m'ennuie, de vivre, et mes tendres années,
Gémissant sous le faix de bien peu de journées,
Me trouvent au milieu de ma course cassé :
Si n'est-ce pas du tout par défaut de courage,
Mais je prends, comme un port à la fin de l'orage,
Dédain de l'avenir pour l'horreur du passé.
J'ai vu comme le Monde embrasse ses délices,
Et je n'embrasse rien au Monde que supplices,
Ses gais printemps me sont de funestes hivers,
Le gracieux Zéphir de son repos me semble
Un Aquilon de peine, il s'assure et je tremble,
Ô que nous avons donc de desseins bien divers !
Ce Monde, qui croupit ainsi dedans soi-même,
N'éloigne point jamais son coeur de ce qu'il aime,
Et ne peut rien aimer que sa difformité :
Mon esprit au contraire hors du Monde m'emporte,
Et me fait approcher des Cieux en telle sorte
Que j'en fais désormais l'amour à leur beauté.
Mais je sens dedans moi quelque chose qui gronde,
Qui fait contre le Ciel le partisan du Monde,
Qui noircit ses clartés d'un ombrage touffu,
L'esprit qui n'est que feu de ses désirs m'enflamme,
Et la chair qui n'est qu'eau pleut des eaux sur ma flamme,
Mais ces eaux-là pourtant n'éteignent point ce feu.
La chair des vanités de ce monde pipée
Veut être dans sa vie encor enveloppée,
Et l'esprit pour mieux vivre en souhaite la mort.
Ces partis m'ont réduit en un péril extrême.
Mais, mon Dieu, prends parti de ces partis toi-même,
Et je me rangerai du parti le plus fort. [...]
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
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