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Légendes. Ces saints venus d’ailleurs

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Légendes. Ces saints venus d’ailleurs Empty Légendes. Ces saints venus d’ailleurs

Message par karim safriwi Jeu 22 Avr - 6:49


Des dizaines, voire des centaines de personnages ont été érigés en saints tout au long de l’histoire du Maroc. Le processus de sanctification est difficile à établir. Mais souvent, lorsqu’on cherche, les histoires originales sont très loin des légendes construites.


Racontons une hisoire. Il était une fois, dans le Maroc d’antan, un jeune homme du nom d’Ahmed. D’origine modeste et sans fortune, Ahmed évoluait dans la vie au gré des hasards, vivant de ce que la bonté du ciel voulait bien lui offrir. Et bien que
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[size=7]pauvre, Ahmed était aimé et respecté de tous, pour son courage et son honnêteté. Des qualités qui lui ont valu la confiance d’un grand fermier de la région qui décida un jour de lui confier la garde de son troupeau.
Le fermier lui imposa, en outre, une condition. "N’emmène jamais mon troupeau au-delà de la lisière de la forêt. Il se ferait dévorer par les bêtes féroces qui l’habitent", lui dit-il. Ahmed consentit. Il se résigna à respecter les consignes de son employeur pendant un certain temps.
Le troupeau du fermier était chétif. Et pour cause. Il ne broutait que des mauvaises herbes et des terres peu fertiles. Car, les bonnes terres, elles, se trouvaient dans la forêt. Mais personne, jusque-là, n’avait osé s’y aventurer.
Sous la garde d’Ahmed, avec le temps, le troupeau du fermier prenait du poids à vue d’œil. Il était désormais si bien portant que le fermier s’en étonnait chaque jour davantage. Bien sûr, il ne s’en plaignait pas, mais il était curieux de connaître le secret d’Ahmed. Il décida alors de lui poser la question : "Dis-moi donc, Ahmed, que donnes-tu à manger à mes bêtes ?". Notre jeune berger répondit naturellement qu’il les emmenait sur les terres habituelles, et insista sur le fait qu’il ne s’était jamais rendu dans la forêt, car il avait compris que c’était là, ce qui intriguait son employeur. Mais la réponse d’Ahmed n’apaisa pas la curiosité du maître qui, au bout de quelques vaines tentatives, se résolut à suivre Ahmed en cachette pour résoudre le mystère.
Ce jour-là, il découvrit qu’Ahmed faisait brouter le troupeau en pleine forêt. Et pendant que le bétail se nourrissait, Ahmed s’amusait avec les bêtes féroces, qui l’avaient adopté. Le fermier le surnomma alors "Sidi boulliout" ("Bou" pour dire père ou maître, et "liout" signifiant bêtes féroces). Ahmed a été sanctifié à dater de ce jour. Et à sa mort, on lui construisit un mausolée. Aujourd’hui, ce "Boulliout" porte le nom de Belyout. C’est le saint patron de Casablanca et il veille sur la ville.
Belle légende, n’est-ce pas ? Mais, entre la légende et l’histoire, il y a tout un monde, nourri, de bout en bout, par l’imaginaire populaire. Lorsqu’on raconte aux adeptes de la légende de Sidi Belyout l’autre version de l’histoire, celle du pilote dont l’avion a crashé dans l’ancienne médina casablancaise, et que pilote a été adapté aux tonalités locales pour devenir Belyout, c’est à peine s’ils ne vous rient pas au nez.
Sidi Belyout n’est plus tellement visité, loué ou imploré aujourd’hui, mais il est toujours présent dans les esprits et la légende encore plus vraie. Oser la remettre en question est naturellement commenté par "Astaghfirou Allah Al Aadim" (que Dieu vous pardonne). Il en va de même pour Sidi l’Bernoussi, originellement Albert Nucci, un autre étranger qui est venu s’installer par ici et qui, bienfaiteur de la communauté, a été érigé en saint. Mais pour reprendre l’expression consacrée "Wallahou aâlam" (Dieu sait mieux que nous tous).
D’ailleurs, même si on ignore la légende, on ne discute pas pour autant la sainteté, parce que c’est l’arrière arrière grand-mère qui l’a dit à l’arrière grand-mère, qui l'a répété à la grand-mère, qui l'a raconté à la mère… "La sainteté fait partie d’un mode de pensée. Une éducation basée sur des situations rituelles. Tout évènement qui ne peut pas être expliqué rationnellement est automatiquement mis sur le compte de la sainteté, de la malédiction ou du mauvais œil. On apprend alors qu’à telle situation correspond telle explication. Cela devient un réflexe", nous dit l’anthropologue Hassan Rachiq. À ce titre, l’histoire du très populaire Sidi Abderrahman, dont la tombe a été construite sur le petit îlot sur la corniche casablancaise, est méconnue, mais cela ne l’empêche pas d’être le plus fréquenté de la ville. Saâdiya, une des dizaines de voyantes qui officient là-bas vous dira qu’il a la capacité de "fertiliser les femmes stériles". Alors tous les jours, des femmes viennent se faire frapper par les sept vagues guérisseuses dans l’espoir d’une grossesse. Avant cela, elles auront fait les mille et une courses que la voyante leur a demandées. Elles iront ensuite sur le tombeau du "Siyyed" et lui donneront en offrande le coq, les bougies, le henné et autres petites générosités qui vont atterrir dans la poche du gardien du lieu. Après cela, elles iront en retrait, derrière les rochers, se déshabilleront, et accueilleront la bénédiction de Sidi Abderrahman en soutien-gorge et culotte. Les anciennes préciseront que ce rituel doit se faire le jeudi. Mais elles ne peuvent pas expliquer le choix de ce jour plutôt qu’un autre. Parce que le don de Sidi Abderrahman s’est révélé un jeudi ? Peut-être. Parce que jeudi est la veille du vendredi, jour sacré chez les musulmans ? C’est encore possible. Mais peut-être aussi parce que dans nos bonnes vieilles traditions, les festivités du mariage commencent le vendredi et que le huitième jour de la fête est un jeudi, le jour de la dekhla (consommation du mariage). D’où la symbolique. Cette troisième explication, plus logique, est pourtant la plus contestée par les occupants des lieux. Et si elle n’est pas retenue, c’est parce qu’elle suppose que quelqu’un y a pensé. Qu’il y a eu préméditation à des fins pécuniaires ou autres, cela importe peu.
Dès lors, peut-être que Sidi Abderrahman, Sidi Belyout, Mers Soltan et les autres ne sont même pas des saints ? Simplement des voyageurs, des étrangers qui ont atterri sur ces terres à un moment de leur périple, et qui ont décidé de s’y établir ? Qu’ils ont été érigés en saints parce qu’ils étaient différents, qu’ils avaient des habitudes étrangères aux moeurs locales ? Ou parce qu’ils vivaient en retrait des autres ? C’est probablement le cas des Sidi Masmody ("Mister Moody", selon certains) à Tanger, ou Sidi Yahya Ben Youssef dans la région d’Oujda dont juifs et musulmans se disputent la propriété. Mieux encore, ce dernier, identifié par certains comme Saint Jean-Baptiste, ne serait ni juif ni musulman, mais chrétien. L’histoire plus rationnelle veut que ce soit un simple voyageur qui de passage dans la région, a découvert une source d’eau accidentellement. L’imaginaire l’a transformé en un saint homme qui aurait fait jaillir la source, puis se serait enterré lui-même. "Il est généralement difficile de définir le processus par lequel on érige un personnage en saint. La majorité des saints que l’on connaît aujourd’hui proviennent de légendes ou d’événements qui remontent loin dans le passé. La théorie de la vox populi (voix et la volontés populaires) est bien sûr valable. Quelquefois, cela est intimement lié à des enjeux de pouvoir ou à des enjeux politiques. Mais, dans beaucoup de cas, le simple fait d’être étranger - comprendre aussi étrange - rend éligible à la sainteté. De la même manière, je pense que chaque saint doit avoir une sorte d’impresario", poursuit H. Rachiq. Un impresario, c’est celui qui initie, raconte et perpétue la légende. C’est souvent aussi celui qui entretient le sanctuaire. Quand ces personnages clés disparaissent, le saint perd de sa notoriété. Son "mausolée" tombe en ruines et parfois disparaît.
Et ironie du sort, mêmes les puristes n’échappent pas à la "résistance irrationnelle" de la notion de sainteté. Jacques Bergue nous apprendra que dans la région de Sefrou, Lahcen Lyoussi, puriste parmi les puristes qui s’est farouchement battu contre ce culte exagéré de la sainteté, sera sanctifié par les habitants de la région. À sa mort, ils construiront un mausolée autour de sa tombe et en feront leur saint. Il n’était pourtant pas étranger. Mais sa légende verra le jour. Et d’autres suivront très probablement. Parce que les gens ont besoin d’avoir des repères, ou lorsqu’ils n’en ont pas, ont tendance à se les approprier pour expliquer ce qui les dépasse ou pour se distinguer des autres, tout simplement. Cela nous renvoie alors à une autre sphère, encore plus irrationnelle. Celles des chorfas - les descendants du prophète ( autre frome de sainteté)- dépositaires de la foi divine. Alors, Fès a son Zerhoun, Marrakech ses sept saints, Oujda son Sidi Yahya, Essaouira son Sidi Mogdoul, Salé son Sidi Abdellah Ben Hassoun… et ainsi de suite. Ils sont peut-être autant des saints que Sidi Belyout et les autres. Encore faut-il que l’on cherche l’histoire cachée derrière la légende.
karim safriwi
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