Germain Nouveau-MENDIANTS
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Germain Nouveau-MENDIANTS
Germain Nouveau-MENDIANTS
Pendant qu'hésite encor
ton pas sur la prairie,
Le
pays s'est de ciel houleux enveloppé
Tu cèdes,
l'œil levé vers la
nuagerie,
A ce doux midi blême et plein d'osier coupe.
Nous
avons tant suivi le mur de mousse grise
Qu'à la fin, à nos flancs
qu'une
douleur emplit,
Non moins bon que ton sein, tiède comme l'église,
Ce
fossé s'est ouvert aussi sûr que le lit.
Dédoublement sans fin d'un
typique fantôme,
Que l'or de ta prunelle était
peuplé de rois!
Est-ce
moi qui riais à travers ce royaume?
Je tenais la
martyre, ayant
ses bras en croix.
Le fleuve au loin, le ciel en deuil, l'eau de tes
lèvres,
Immense trilogie
amère aux cœurs noyés,
Un goût m'est
revenu de nos plus forts genièvres,
Lorsque ta joue a lui, près
des yeux dévoyés!
Et pourtant, oh !
pourtant, des seins de
l'innocente
Et de nos doigts, sonnant, vers notre
rêve éclos
Sur
le ventre gentil comme un tambour qui chante,
Dianes aux désirs, et
charger aux sanglots,
De ton attifement de boucles et de ganses,
Vieux
Bébé, de tes cils essuyés simplement,
Et de vos
piétés, et de vos
manigances
Qui m'auraient bien pu rendre aussi
chien que l'amant,
Il ne devait
rester qu'une ironie immonde,
Une
langueur des yeux détournés sans effort.
Quel bras, impitoyable
aux Échappés du monde,
Te pousse à l'Est, pendant
que je me
sauve au Nord!
Pendant qu'hésite encor
ton pas sur la prairie,
Le
pays s'est de ciel houleux enveloppé
Tu cèdes,
l'œil levé vers la
nuagerie,
A ce doux midi blême et plein d'osier coupe.
Nous
avons tant suivi le mur de mousse grise
Qu'à la fin, à nos flancs
qu'une
douleur emplit,
Non moins bon que ton sein, tiède comme l'église,
Ce
fossé s'est ouvert aussi sûr que le lit.
Dédoublement sans fin d'un
typique fantôme,
Que l'or de ta prunelle était
peuplé de rois!
Est-ce
moi qui riais à travers ce royaume?
Je tenais la
martyre, ayant
ses bras en croix.
Le fleuve au loin, le ciel en deuil, l'eau de tes
lèvres,
Immense trilogie
amère aux cœurs noyés,
Un goût m'est
revenu de nos plus forts genièvres,
Lorsque ta joue a lui, près
des yeux dévoyés!
Et pourtant, oh !
pourtant, des seins de
l'innocente
Et de nos doigts, sonnant, vers notre
rêve éclos
Sur
le ventre gentil comme un tambour qui chante,
Dianes aux désirs, et
charger aux sanglots,
De ton attifement de boucles et de ganses,
Vieux
Bébé, de tes cils essuyés simplement,
Et de vos
piétés, et de vos
manigances
Qui m'auraient bien pu rendre aussi
chien que l'amant,
Il ne devait
rester qu'une ironie immonde,
Une
langueur des yeux détournés sans effort.
Quel bras, impitoyable
aux Échappés du monde,
Te pousse à l'Est, pendant
que je me
sauve au Nord!
nisrine nacer- Nombre de messages : 1044
Date d'inscription : 09/09/2008
poésie:Germain NOUVEAU
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Amour
Je ne crains pas les coups du sort,
Je ne crains rien, ni les supplices,
Ni la dent du serpent qui mord,
Ni le poison dans les calices,
Ni les voleurs qui fuient le jour,
Ni les sbires ni leurs complices,
Si je suis avec mon Amour.
Je me ris du bras le plus fort,
Je me moque bien des malices,
De la haine en fleur qui se tord,
Plus caressante que les lices ;
Je pourrais faire mes délices
De la guerre au bruit du tambour,
De l'épée aux froids artifices,
Si je suis avec mon Amour.
Haine qui guette et chat qui dort
N'ont point pour moi de maléfices ;
Je regarde en face la mort,
Les malheurs, les maux, les sévices ;
Je braverais, étant sans vices,
Les rois, au milieu de leur cour,
Les chefs, au front de leurs milices,
Si je suis avec mon Amour.
ENVOI
Blanche Amie aux noirs cheveux lisses,
Nul Dieu n'est assez puissant pour
Me dire : " Il faut que tu pâlisses ",
Si je suis avec mon Amour.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Au musée des antiques
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Au musée des antiques
Elle veille en sa chaise étroite ;
Quelque roi d'Egypte a sculpté
Dans l'extase et la gravité
Le corps droit et la tête droite.
Moitié coiffe et moitié bandeau,
Fond pur à des lignes vermeilles,
Un pan tourne autour des oreilles,
Sa robe est la prison du Beau.
Ses yeux, de profonds péristyles
Où ne passe rien de réel,
De toute la largeur d'un ciel
S'ouvrent aux visions stériles ;
Et le menton rit tel qu'un fruit,
Et la joue est une colline ;
Quant à l'aile de la narine,
C'est l'ibis envolé sans bruit.
De l'épaule menue et grasse
Les bras courent le long des reins
Jusques à ses genoux sereins
Que chacune des mains embrasse,
Et le plat des cuisses est tel
Qu'il vous trouble et qu'il vous apaise
Par des attirances de chaise
Et des solennités d'autel !
La fraîcheur du visage antique
Laisse au vague appétit des yeux
Deviner les seins précieux
Dans un pli trop énigmatique,
Et sous l'impur raffinement
D'un profil qu'on rêve à des chèvres,
C'est pour des dieux que vont les lèvres
Souriant indéfiniment.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Aux saints
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Aux saints
Si, tous les matins de nos fêtes,
Nous chantions tous avec amour
Sur les harpes des saints prophètes
Nos prières qui sont parfaites,
Je ne serais pas dans la cour.
Si nous récitions nos prières
Dans le crépuscule du soir
Avec des lèvres régulières,
Avant d'allumer les lumières,
Je ne serais pas au chauffoir.
Si les yeux remplis de beaux songes,
Nous demandions, quand vient le jour,
Au ciel qui voit tous nos mensonges
L'humble foi du pêcheur d'éponges,
Je ne serais pas dans la cour.
Et quand la lampe s'est éteinte,
Si nous sentions sur nos lits noirs
La caresse d'une aile sainte,
Attendant que l'Angelus tinte,
Je ne serais pas au dortoir.
Si l'homme s'oubliait lui-même
Pour ses frères, comme un retour
Des bienfaits du Seigneur qui l'aime,
Qui le marque de son Saint-Chrême,
Je ne serais pas dans la cour ;
Et si nous, les fous de Bicêtre,
Nous avions fait notre devoir,
Le devoir dicté par son prêtre,
Nous serions au parloir peut-être,
Ce ne serait pas ce parloir.
Sans le diable qui nous malmène,
Nul, avec les yeux de son corps,
N'aurait vu ma figure humaine
Dans la cour où je me promène
Et dans le dortoir où je dors.
(Poème écrit à Bicêtre)
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Ciels
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Ciels
Le Ciel a de jeunes pâturages
Tendres, vers un palais triste et vermeil :
Un Essaim d'Heures sauvages
Guide Pasiphaé, petite-fille du Soleil.
Des troupeaux silencieux du ciel,
Un nuage, un doux taureau s'écume,
Se détache, avec le souci réel
Du Baiser qui l'arrose et la parfume.
Et ces neiges, fraîcheur et ferveur,
Au ciel des étreintes fatales,
S'unissent, ô Douleur !
Le taureau roule sur la prairie idéale.
La Passion plus doucement encore a lui
Sous le Baiser qui les parfume et les arrose,
Ils s'absorbent au ciel qui les absorbe en lui.
Reste seule la bave du Baiser, amère et rose.
Le Couchant a brûlé comme un palais,
Et le ciel s'aveugle avec les cendres
Qu'un Dieu noir chasse avec un balai.
Vénus, diamant et feu, au jardin d'amour, va pendre.
I
Autour de la jeune Eglise,
Par les prés et les clôtures
Et les vieilles routes pures,
La nuit comme une eau s'épuise.
II
C'est l'aube toute divine
Et la plage violette,
Avec des voiles en fête
Au ciel tel qu'une marine.
III
Guerre et semaille, avalanches
De nos thèmes et nos mythes,
Par les labours sans limites
Sommeillant pour les revanches.
IV
Mais le sang petit et pâle
Que l'aurore a dans les veines,
Ô Seigneur ! est-ce nos peines
Ou votre pitié fatale ?
V
Nos voeux des vôtres sont frères,
Vous tous dont le coeur murmure
Depuis l'ancienne aventure
Montez, Aubes et Colères !
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Dans les temps que je vois
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Dans les temps que je vois
Alors, si l'homme est juste et si le monde est sage,
Offrant tout à Jésus, sa joie et ses douleurs,
Ceux-là, dont le poète apporte un doux message,
Viendront comme un bel arbre épanouit ses fleurs.
Alors, si l'Homme est sage et si la Vierge est forte,
Tous les enfants divins du royaume charmant
Dont l'esprit du poète entrebâille la porte,
Tous les prédestinés dès le commencement,
Ceux que le monde attend dans l'ombre et dans le rêve,
Ceux qu'implorent les jours, ceux que nomment les nuits,
Eloignés par Adam et refusés par Eve,
Viendront, comme sur l'arbre on détache les fruits.
Qu'ils sont beaux, les enfants que le Seigneur envoie !
Leur face est éclatante et leur esprit vainqueur ;
Conçus dans la justice, enfantés dans la joie,
Comme ils comblent nos yeux, ils comblent notre coeur !
Ils grandissent autour de leur mère fleurie,
Près du lait virginal, sous les chastes tissus ;
Et ce sont des Jésus et des Saintes-Maries
A qui sourit Marie, à qui sourit Jésus !
Que leurs rêves sont purs ! que leur pensée est belle !
Comme ils tiennent le ciel dans leurs petites mains !
S'ils songent tout à coup, c'est Dieu qui les appelle ;
Quand nous nous égarons, ils savent les chemins.
Quand on offre, prenant ; donnant, quand on demande ;
Ils grandissent. L'amour fait ces adolescents
Dociles à la voix de l'époux qui commande ;
Tous ces rois sont soumis, ces dieux obéissants !
Comme ils sont beaux ! Jetant sur nos laideurs un voile,
Qu'ils portent de jolis vêtements de couleurs !
Le soleil est vivant sur leur front, et l'étoile
Rit derrière leurs cils avec leur âme en fleurs.
Avec leur chevelure éparse sur leurs têtes,
Bouclant le long du dos, les bras nus dans le vent,
Ce sont des laboureurs et ce sont des poètes,
Aimant tous les travaux que l'on fait en rêvant.
Ils ont le regard sûr des yeux que rien n'étonne,
Et sur le terrain neuf de nos lucidités,
Comme les semeurs bruns sur les labours d'automne,
Ils vont ouvrir leurs mains pleines de vérités.
Ensemençant les coeurs, ensemençant les terres,
Répandant autour d'eux les grains et la leçon,
Ils viennent préparer en leurs doux ministères,
La moisson annuelle et la sainte moisson.
Comme au temps des troupeaux, comme au temps des églogues,
Avec leurs courts sayons aux poils longs et soyeux,
Ce sont de fins bergers et de bons astrologues,
Lisant au fond du ciel comme au fond de nos yeux.
Charmés de se plier à la règle commune,
En cadençant leurs pas, en modulant leurs voix,
Sous leurs vêtements blancs et doux comme la lune,
Ils marchent au soleil dans les temps que je vois.
Ce sont des vignerons et des maîtres de danse,
Buvant, à pleins poumons, l'air joyeux des matins,
Et les grammairiens parlant avec prudence,
La lèvre façonnée aux vocables latins.
Ce sont des charpentiers et des tailleurs de pierre,
De divins ouvriers dont le ciel est content,
Et dont l'art qui rayonne a fleuri la paupière,
Aimant tous les travaux que l'on fait en chantant.
Ce sont des peintres doux et des tailleurs tranquilles,
Sachant prêter une âme aux plis d'un vêtement,
Et suspendre des cieux aux plafonds de nos villes,
Aimant tous les travaux que l'on fait en aimant.
Plus charmants que les Dieux de marbre Pentélique,
C'est l'Olympe, ô Seigneur, rangé sous votre loi ;
C'est Apollon chrétien, c'est Vénus catholique,
Se levant sur le monde enchanté par sa foi.
Par ces fleurs du pardon, par ces fruits de la preuve,
Au lieu de ces jardins tristement dévastés,
Vous rendez un Eden à l'humanité veuve,
Seigneur, roi des Printemps ! Seigneur, roi des Etés !
Et les lys les plus purs, les roses souveraines,
Et les astres des nuits, les longs ciels tout en feu,
Sur les pas de ces rois, sous les yeux de ces reines,
Filles du Fils Unique, enfants du fils de Dieu,
S'inclinent, car ils sont la gloire du mystère,
La promesse du ciel paternel et clément,
Qui va refleurissant les rochers de la terre
Sous l'azur rajeuni de l'ancien firmament !
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Dernier madrigal
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Dernier madrigal
Quand je mourrai, ce soir peut-être,
Je n'ai pas de jour préféré,
Si je voulais, je suis le maître,
Mais... ce serait mal me connaître,
N'importe, enfin, quand je mourrai.
Mes chers amis, qu'on me promette
De laisser le bois... au lapin,
Et, s'il vous plaît, qu'on ne me mette
Pas, comme une simple allumette,
Dans une boîte de sapin ;
Ni, comme un hareng, dans sa tonne ;
Ne me couchez pas tout du long,
Pour le coup de fusil qui tonne,
Dans la bière qu'on capitonne
Sous sa couverture de plomb.
Car, je ne veux rien, je vous jure ;
Pas de cercueil ; quant au tombeau,
J'y ferais mauvaise figure,
Je suis peu fait pour la sculpture,
Je le refuse, fût-il beau.
Mon voeu jusque-là ne se hausse ;
Ça me laisserait des remords,
Je vous dis (ma voix n'est pas fausse) :
Je ne veux pas même la fosse,
Où sont les lions et les morts.
Je ne suis ni puissant ni riche,
Je ne suis rien que le toutou,
Que le toutou de ma Niniche ;
Je ne suis que le vieux caniche
De tous les gens de n'importe où.
Je ne veux pas que l'on m'enferre
Ni qu'on m'enmarbre, non, je veux
Tout simplement que l'on m'enterre,
En faisant un trou... dans ma Mère,
C'est le plus ardent de mes voeux.
Moi, l'enterrement qui m'enlève,
C'est un enterrement d'un sou,
Je trouve ça chic ! Oui, mon rêve,
C'est de pourrir, comme une fève ;
Et, maintenant, je vais dire où.
Eh ! pardieu ! c'est au cimetière
Près d'un ruisseau (prononcez l'Ar),
Du beau village de Pourrière
De qui j'implore une prière,
Oui, c'est bien à Pourrières, Var.
Croisez-moi les mains sous la tête,
Qu'on laisse mon oeil gauche ouvert ;
Alors ma paix sera complète,
Vraiment je me fais une fête
D'être enfoui comme un pois vert.
Creusez-moi mon trou dans la terre,
Sous la bière, au fond du caveau,
Où tout à côté de son père,
Dort déjà ma petite mère,
Madame Augustine Nouveau.
Puis... comblez-moi de terre... fine,
Sur moi, replacez le cercueil ;
Que comme avant dorme Augustine !
Nous dormirons bien, j'imagine,
Fût-ce en ne dormant... que d'un oeil.
Et... retournez-la sur le ventre,
Car, il ne faut oublier rien,
Pour qu'en son regard le mien entre,
Nous serons deux tigres dans l'antre
Mais deux tigres qui s'aiment bien.
Je serai donc avec les Femmes
Qui m'ont fait et qui m'ont reçu,
Bonnes et respectables Dames,
Dont l'une sans coeur et sans flammes
Pour le fruit qu'elles ont conçu.
Ah ! comme je vais bien m'étendre,
Avec ma mère sur mon nez.
Comme je vais pouvoir lui rendre
Les baisers qu'en mon âge tendre
Elle ne m'a jamais donnés.
Paix au caveau ! Murez la porte !
Je ressuscite, au dernier jour.
Entre mes bras je prends la Morte,
Je m'élève d'une aile forte,
Nous montons au ciel dans l'Amour.
Un point... important... qui m'importe,
Pour vous ça doit vous être égal,
Je ne veux pas que l'on m'emporte
Dans des habits d'aucune sorte,
Fût-ce un habit de carnaval.
Pas de suaire en toile bise...
Tiens ! c'est presque un vers de Gautier ;
Pas de linceul, pas de chemise ;
Puisqu'il faut que je vous le dise,
Nu, tout nu, mais nu tout entier.
Comme sans fourreau la rapière,
Comme sans gant du tout la main,
Nu comme un ver sous ma paupière,
Et qu'on ne grave sur leur pierre,
Qu'un nom, un mot, un seul, GERMAIN.
Fou de corps, fou d'esprit, fou d'âme,
De coeur, si l'on veut de cerveau,
J'ai fait mon testament, Madame ;
Qu'il reste entre vos mains de femme,
Dûment signé : GERMAIN NOUVEAU
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Dompteuse
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Dompteuse
Elle vint dans Ninive énorme, où sont les fous
Qui veillent dans les lits et dorment sur les tables,
Et le théâtre est cendre où, les soirs ineffables,
Elle noyait sa tête aux crins des lions doux.
Fixant sur eux des yeux charmeurs comme en des fables,
Elle allait, éteignant leurs cris dans ses genoux,
Calme, et trouvant l'odeur des palmes et des sables
Au souffle de leur gueule errant sur ses seins roux.
Ses cheveux fiers, sa main doucement suspendue,
Ses robes dans leur fleur ne l'ont point défendue.
Un jour la griffe immense et tranquille la prit.
La foule ayant fui blême, un parfum pour des âmes
Sembla mêler, le long des promenoirs à femmes,
Le sang de la Dompteuse aux roses de la Nuit.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
En forêt
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
En forêt
Dans la forêt étrange, c'est la nuit ;
C'est comme un noir silence qui bruit ;
Dans la forêt, ici blanche et là brune,
En pleurs de lait filtre le clair de lune.
Un vent d'été, qui souffle on ne sait d'où,
Erre en rêvant comme une âme de fou ;
Et, sous des yeux d'étoile épanouie,
La forêt chante avec un bruit de pluie.
Parfois il vient des gémissements doux
Des lointains bleus pleins d'oiseaux et de loups ;
Il vient aussi des senteurs de repaires ;
C'est l'heure froide où dorment les vipères,
L'heure où l'amour s'épeure au fond du nid,
Où s'élabore en secret l'aconit ;
Où l'être qui garde une chère offense,
Se sentant seul et loin des hommes, pense.
- Pourtant la lune est bonne dans le ciel,
Qui verse, avec un sourire de miel,
Son âme calme et ses pâleurs amies
Au troupeau roux des roches endormies.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Enchères
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Enchères
Au marché de Saint-Paul j'irai,
Ma petite et je te vendrai.
Je vendrai tes yeux effrontés
Cent beaux écus fort bien comptés.
Et je vendrai tes doigts rusés,
Ces oiseaux mal apprivoisés,
Et ta lèvre qui toujours ment
Quatre-vingts doublons seulement.
Je vendrai tes bras fins et longs
Et les roses de tes talons,
De tes genoux et de tes seins
Vingt mille francs napolitains.
Je vendrai le jour de Saint-Paul.
Et la raie autour de ton col
Et les jolis plis de ta chair
Un million, ce n'est pas cher.
Et ton chignon tordu, pareil
A l'or flambant dans le soleil,
Et tes baisers je les vendrai
Aux enchères que je tiendrai.
Aux enchérisseurs les plus forts
Je vendrai ton âme et ton corps,
Et ton coeur, s'il est recherché,
Sera par-dessus le marché.
Duc de la Mésopotamie
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Hymne
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Hymne
Amour qui voles dans les nues,
Baisers blancs, fuyant sur l'azur,
Et qui palpites dans les mues,
Au nid sourd des forêts émues ;
Qui cours aux fentes des vieux murs,
Dans la mer qui de joie écume,
Au flanc des navires, et sur
Les grandes voiles de lin pur ;
Amour sommeillant sur la plume
Des aigles et des traversins,
Que clame la sibylle à Cume,
Amour qui chantes sur l'enclume ;
Amour qui rêves sur les seins
De Lucrèce et de Messaline,
Noir dans les yeux des assassins,
Rouge aux lèvres des spadassins ;
Amour riant à la babine
Des dogues noirs et des taureaux,
Au bout de la patte féline
Et de la rime féminine ;
Amour qu'on noie au fond des brocs
Ou qu'on reporte sur la lune,
Cher aux galons des caporaux,
Doux aux guenilles des marauds ;
Aveugle qui suis la fortune,
Menteur naïf dont les leçons
Enflamment, dans l'ombre opportune,
L'oreille rose de la brune ;
Amour bu par les nourrissons
Aux boutons sombres des Normandes ;
Amour des ducs et des maçons,
Vieil amour des jeunes chansons ;
Amour qui pleures sur les brandes
Avec l'angélus du matin,
Sur les steppes et sur les landes
Et sur les polders des Hollandes ;
Amour qui voles du hautain
Et froid sourire des poètes
Aux yeux des filles dont le teint
Semble de fleur et de satin ;
Qui vas, sous le ciel des prophètes,
Du chêne biblique au palmier,
De la reine aux anachorètes,
Du coeur de l'homme au coeur des bêtes ;
De la tourterelle au ramier,
Du valet à la demoiselle,
Des doigts du chimiste à l'herbier,
De la prière au bénitier ;
Du prêtre à l'hérétique belle,
D'Abel à Caïn réprouvé ;
Amour, tu mêles sous ton aile
Toute la vie universelle !
Mais, ô vous qui m'avez trouvé,
Moi, pauvre pécheur que Dieu pousse
Diseur de Pater et d'Ave,
Sans oreiller que le pavé,
Votre présence me soit douce.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Invocation
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Invocation
Ô mon Seigneur Jésus, enfance vénérable,
Je vous aime et vous crains petit et misérable,
Car vous êtes le fils de l'amour adorable.
Ô mon Seigneur Jésus, adolescent fêté,
Mon âme vous contemple avec humilité,
Car vous êtes la Grâce en étant la Beauté.
Ô mon Seigneur Jésus qu'un vêtement décore,
Couleur de la mer calme et couleur de l'aurore,
Que le rouge et le bleu vous fleurissent encore !
Ô mon Seigneur Jésus, chaste et doux travailleur,
Enseignez-moi la paix du travail le meilleur,
Celui du charpentier ou celui du tailleur.
Ô mon Seigneur Jésus, semeur de paraboles
Qui contiennent l'or clair et vivant des symboles,
Prenez mes vers de cuivre ainsi que des oboles.
Ô mon Seigneur Jésus, ô convive divin,
Qui versez votre sang comme on verse le vin,
Que ma faim et ma soif n'appellent pas en vain !
Ô mon Seigneur Jésus, vous qu'en brûlant on nomme,
Mort d'amour, dont la mort sans cesse se consomme,
Que votre vérité s'allume au coeur de l'homme !
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Jaloux
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Jaloux
En été dans ta chambre claire,
Vers le temps des premiers aveux,
(Ce jeu-là paraissait Te plaire)
On ouvrait parfois Baudelaire,
Avec ton épingle à cheveux,
Comme un croyant ouvre sa Bible,
En s'imaginant que le Ciel,
Dans un verset doux ou terrible,
Va parler à son coeur sensible,
Quelque peu superficiel ;
D'avance on désignait la page
A droite ou bien à gauche, et puis,
Par un chiffre le vers, ce mage
Qui devrait être ton image,
Ou me dire ce que je suis.
Nous prenions du goût à la chose.
Donc on tirait chacun pour soi
Un vers, au hasard, noir ou rose,
Dans ce beau Poète morose.
Nous commencions, d'abord à Toi,
Attention ! 'Dans ta ruelle
Tu mettrais l'univers entier'.
Vous riez ! bon pour Vous, cruelle !
Car ce vers Vous flatte de l'aile,
Et c'est un compliment altier !
Un compliment comme en sait faire
Un homme sagace en amour,
Et qui fleure en sa grâce fière,
Sous le style de La Bruyère,
Son joli poète de Cour ;
Un compliment qui sent sa fraise,
Son talon rouge, et qui, vainqueur,
Allumant ses pudeurs de braise,
Eût faire rire Sainte Thérèse,
Chatouillée... au fond de son coeur.
Qu'il est bon ! oui !... mais moi... je gronde !
Y songez-Vous, avec ce vers,
Quelle figure fais-je au monde,
Dans cette ruelle profonde,
Au milieu de cet Univers !
Ah ! fi !... Pardonnez-moi... Madame...
Oui, je m'oublie !... oui, je sais bien...
Toute jalousie est infâme...
C'est un peu de vertige à l'âme,
Ça va se passer... ce n'est rien...
Ah ! tant mieux ! je vous vois sourire.
Continuons ce jeu si doux ;
Mais avant, je dois Vous le dire,
Afin d'éviter un mal pire,
Si jamais je deviens jaloux,
Rejetez-moi, moi G, moi N,
Moi, vilain 'monstre rabougri',
Rejetez-moi dans ma Géhenne ;
Le jaloux n'est plus, dans sa haine,
Rien... qu' 'un billet d'amour'... aigri.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Kathoum
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Kathoum
Oh ! peindre tes cheveux du bleu de la fumée,
Ta peau dorée et d'un ton tel qu'on croit voir presque
Une rose brûlée ! et ta chair embaumée,
Dans des grands linges d'ange, ainsi qu'en une fresque,
Qui font plus brun ton corps gras et fin de mauresque,
Qui fait plus blanc ton linge et ses neiges d'almée,
Ton front, tes yeux, ton nez et ta lèvre pâmée
Toute rouge, et tes cils de femme barbaresque !
Te peindre en ton divan et tenant ton chibouk,
Parmi tes tapis turcs, près du profil de bouc
De ton esclave aux yeux voluptueux, et qui,
Chargé de t'acheter le musc et le santal,
Met sur un meuble bas ta carafe en cristal
Où se trouve le flot brumeux de l'araki.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
L'âme
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
L'âme
Comme un exilé du vieux thème,
J'ai descendu ton escalier ;
Mais ce qu'a lié l'Amour même,
Le temps ne peut le délier.
Chaque soir quand ton corps se couche
Dans ton lit qui n'est plus à moi,
Tes lèvres sont loin de ma bouche ;
Cependant, je dors près de Toi.
Quand je sors de la vie humaine,
J'ai l'air d'être en réalité
Un monsieur seul qui se promène ;
Pourtant je marche à ton côté.
Ma vie à la tienne est tressée
Comme on tresse des fils soyeux,
Et je pense avec ta pensée,
Et je regarde avec tes yeux.
Quand je dis ou fais quelque chose,
Je te consulte, tout le temps ;
Car je sais, du moins, je suppose,
Que tu me vois, que tu m'entends.
Moi-même je vois tes yeux vastes,
J'entends ta lèvre au rire fin.
Et c'est parfois dans mes nuits chastes
Des conversations sans fin.
C'est une illusion sans doute,
Tout cela n'a jamais été ;
C'est cependant, Mignonne, écoute,
C'est cependant la vérité.
Du temps où nous étions ensemble,
N'ayant rien à nous refuser,
Docile à mon désir qui tremble,
Ne m'as-tu pas, dans un baiser,
Ne m'as-tu pas donné ton âme ?
Or le baiser s'est envolé,
Mais l'âme est toujours là, Madame ;
Soyez certaine que je l'ai.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
L'Amour de l'Amour
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
L'Amour de l'Amour
I
Aimez bien vos amours ; aimez l'amour qui rêve
Une rose à la lèvre et des fleurs dans les yeux ;
C'est lui que vous cherchez quand votre avril se lève,
Lui dont reste un parfum quand vos ans se font vieux.
Aimez l'amour qui joue au soleil des peintures,
Sous l'azur de la Grèce, autour de ses autels,
Et qui déroule au ciel la tresse et les ceintures,
Ou qui vide un carquois sur des coeurs immortels.
Aimez l'amour qui parle avec la lenteur basse
Des Ave Maria chuchotés sous l'arceau ;
C'est lui que vous priez quand votre tête est lasse,
Lui dont la voix vous rend le rythme du berceau.
Aimez l'amour que Dieu souffla sur notre fange,
Aimez l'amour aveugle, allumant son flambeau,
Aimez l'amour rêvé qui ressemble à notre ange,
Aimez l'amour promis aux cendres du tombeau !
Aimez l'antique amour du règne de Saturne,
Aimez le dieu charmant, aimez le dieu caché,
Qui suspendait, ainsi qu'un papillon nocturne,
Un baiser invisible aux lèvres de Psyché !
Car c'est lui dont la terre appelle encore la flamme,
Lui dont la caravane humaine allait rêvant,
Et qui, triste d'errer, cherchant toujours une âme,
Gémissait dans la lyre et pleurait dans le vent.
Il revient ; le voici : son aurore éternelle
A frémi comme un monde au ventre de la nuit,
C'est le commencement des rumeurs de son aile ;
Il veille sur le sage, et la vierge le suit.
Le songe que le jour dissipe au coeur des femmes,
C'est ce Dieu. Le soupir qui traverse les bois,
C'est ce Dieu. C'est ce Dieu qui tord les oriflammes
Sur les mâts des vaisseaux et des faîtes des toits.
Il palpite toujours sous les tentes de toile,
Au fond de tous les cris et de tous les secrets ;
C'est lui que les lions contemplent dans l'étoile ;
L'oiseau le chante au loup qui le hurle aux forêts.
La source le pleurait, car il sera la mousse,
Et l'arbre le nommait, car il sera le fruit,
Et l'aube l'attendait, lui, l'épouvante douce
Qui fera reculer toute ombre et toute nuit.
Le voici qui retourne à nous, son règne est proche,
Aimez l'amour, riez ! Aimez l'amour, chantez !
Et que l'écho des bois s'éveille dans la roche,
Amour dans les déserts, amour dans les cités !
Amour sur l'Océan, amour sur les collines !
Amour dans les grands lys qui montent des vallons !
Amour dans la parole et les brises câlines !
Amour dans la prière et sur les violons !
Amour dans tous les coeurs et sur toutes les lèvres !
Amour dans tous les bras, amour dans tous les doigts !
Amour dans tous les seins et dans toutes les fièvres !
Amour dans tous les yeux et dans toutes les voix !
Amour dans chaque ville : ouvrez-vous, citadelles !
Amour dans les chantiers : travailleurs, à genoux !
Amour dans les couvents : anges, battez des ailes !
Amour dans les prisons : murs noirs, écroulez-vous !
II
Mais adorez l'Amour terrible qui demeure
Dans l'éblouissement des futures Sions,
Et dont la plaie, ouverte encor, saigne à toute heure
Sur la croix, dont les bras s'ouvrent aux nations.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
L'enfant pâle
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
L'enfant pâle
C'est la triste feuille morte
Que le vent d'octobre emporte,
C'est la lune, au front du jour,
Que nulle étoile n'escorte,
Au soleil, c'est mon amour,
L'enfant plus pâle que blanche :
Beau fruit mourant sur la branche !
Mais quand la nuit est levée
Je vois la Chère Eprouvée
Qui n'en rayonne que mieux
Dans sa pâleur ravivée.
Et ce m'est délicieux
Comme l'aube de la lune
Aux voyageurs de fortune !
C'est le plus doux des visages
La lampe des Vierges sages
Brûle avec cette douceur.
Esprit des pèlerinages,
Voix de mère et coeur de soeur !
J'ai donné ma vie à Celle
Dont la pâleur étincelle !
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
La chanson du troubadour
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
La chanson du troubadour
Sans amis, sans parents, sans emploi, sans fortune,
Je n'ai que la prison pour y passer la nuit.
Je n'ai rien à manger que du gâteau mal cuit,
Et rien pour me vêtir que déjeuners de lune.
Personne je ne suis, personne ne me suit,
Que la grosse tsé-tsé, ma foi ! fort importune ;
Et si je veux chanter sur les bords de la Tune
Un ami vient me dire : Il ne faut pas de bruit !
Nous regardons vos mains qui sont pures et nettes,
Car on sait, troun de l'air ! que vous êtes honnêtes,
De peur que quelque don ne me vienne guérir.
Mais je ne suis icy pour y faire d'envie,
Mais bien pour y mourir, disons pour y pourrir ;
Et la mort que j'attends n'ôte rien que la vie.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
La fête chez Toto
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
La fête chez Toto
A la fête qu'après-demain je donnerai,
Il y aura beaucoup de monde. Toi, curé,
J'exige que l'on vienne et le diable ait ton âme !
S'il y aura des gens de l'Olympe? Oui, madame,
Quant à vous, je ne vous invite pas, Zari.
On entrera, dès que le maître aura souri,
A l'heure par exemple où se couchent les villes.
A la porte on vendra des éventails des Iles
Du temps qu'Athénasie était reine en riant.
Un diplomate russe, un nonce d'Orient
Viendront gris sans que l'on trouve ça regrettable.
Le dîner, viande et fruits, écrasera la table.
Je ne sais pas les noms de ce qu'on mangera,
Ni quels vins couleront ni quels airs l'on jouera,
Mais les glaces seront de Venise et des pôles.
Des plats d'or voleront par-dessus les épaules,
Sous de fiers lustres à cent mètres du plafond
Qui sera comme un ciel d'indulgence sans fond,
Où trembleront des seins, des lyres et des astres.
Des rires crouleront comme de gros désastres.
On entendra des cris d'oiseaux dans les hauteurs ;
Il y aura des chefs d'offices, des auteurs,
Des voyageurs parlant comme ceux-là du conte ;
Nag la pâle y sera, répondant au vieux comte :
« Change en or ton argent, ton or en perles, cher... »
Et les femmes seront des anges bien en chair,
Nourris de moelles de boxeurs et de cervelles
D'acrobates, disant des bêtises entre elles.
Il y aura des gens sérieux quoiqu'en deuil,
Quelque immense poète en un petit fauteuil,
Et puis, sur une estrade en feutre, une féerie
De musiciens blonds venus de Barbarie,
En gilets frais ainsi que des pois de senteur.
Autour de la maison, obscur comme le coeur,
Le parc sera pompeux et la lune mignonne.
Ah ! nous aurons aussi le monsieur dont personne
Ne sait le petit nom ni le nom, croyez-vous,
Et ce sera le plus délicieux de tous.
Il y aura le diable : une humble enfant qui souffre
Dira le reconnaître à son odeur de soufre.
Certes il y aura l'ami qu'on croyait mort,
Le chien qui mord, et la bonne femme qui dort,
Et plus d'un mendiant au bras de quelque dame,
Mis avec toute la distinction de l'âme ;
Et la musique aura tant d'influence, vrai,
A la fête qu'après-demain je donnerai,
Que l'on croira jouir d'une mort indicible,
Et mourir plus longtemps qu'il ne semble possible,
Dans une sorte d'aise et de grâce, humblement.
Quant au bal, qui sera rose admirablement,
Il entraînera tout nous tous : danseurs sceptiques,
Filles graves roulant des prunelles mystiques,
Et chacune - je vous inviterai, Zari, -
Trouvera son valseur, son ange et son mari.
Bref, tout ce monde, armé de ses plus jolis vices,
De salle en salle ira tournant avec délices,
Dans un vaste froufrou de coeurs et de chiffons,
Dans mon château, mon bon vieux château des Bouffons
Qu'avoisine une mer verte et gaie au possible,
Suivre vers la folie une pente insensible,
Ou vers le crime qui, ce soir-là, sera roi,
Jusqu'à ce qu'apparaisse, après le souper froid,
Le matin bête dans la cohue étonnée.
Hélas ! personne à la fête que j'ai donnée !
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
La rencontre
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
La rencontre
Vous mîtes votre bras adroit,
Un soir d'été, sur mon bras... gauche.
J'aimerai toujours cet endroit,
Un café de la Rive-Gauche ;
Au bord de la Seine, à Paris
Un homme y chante la Romance
Comme au temps... des lansquenets gris ;
Vous aviez emmené Clémence.
Vous portiez un chapeau très frais
Sous des noeuds vaguement orange,
Une robe à fleurs... sans apprêts,
Sans rien d'affecté ni d'étrange ;
Vous aviez un noir mantelet,
Une pèlerine, il me semble,
Vous étiez belle, et... s'il vous plaît,
Comment nous trouvions-nous ensemble ?
J'avais l'air, moi, d'un étranger ;
Je venais de la Palestine
A votre suite me ranger,
Pèlerin de ta Pèlerine.
Je m'en revenais de Sion,
Pour baiser sa frange en dentelle,
Et mettre ma dévotion
Entière à vos pieds d'Immortelle.
Nous causions, je voyais ta voix
Dorer ta lèvre avec sa crasse,
Tes coudes sur la table en bois,
Et ta taille pleine de grâce ;
J'admirais ta petite main
Semblable à quelque serre vague,
Et tes jolis doigts de gamin,
Si chics ! qu'ils se passent de bague ;
J'aimais vos yeux, où sans effroi
Battent les ailes de votre Âme,
Qui font se baisser ceux du roi
Mieux que les siens ceux d'une femme ;
Vos yeux splendidement ouverts
Dans leur majesté coutumière...
Etaient-ils bleus ? Etaient-ils verts ?
Ils m'aveuglaient de ta lumière.
Je cherchais votre soulier fin,
Mais vous rameniez votre robe
Sur ce miracle féminin,
Ton pied, ce Dieu, qui se dérobe !
Tu parlais d'un ton triomphant,
Prenant aux feintes mignardises
De tes lèvres d'amour Enfant
Les coeurs, comme des friandises.
La rue où rit ce cabaret,
Sur laquelle a pu flotter l'Arche,
Sachant que l'Ange y descendrait,
Porte le nom d'un patriarche.
Charmant cabaret de l'Amour
Je veux un jour y peindre à fresque
Le Verre auquel je fis ma cour.
Juin, quatre-vingt-cinq, minuit... presque.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
La statue
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
La statue
Parmi les marbres qu'on renomme
Sous le ciel d'Athène ou de Rome,
Je prends le plus pur, le plus blanc,
Je le taille et puis je l'étale
Dans ta pose d'Horizontale
Soulevée... un peu... sur le flanc...
Voici la tête qui se dresse,
Qu'une ample chevelure presse,
Le cou blanc, dont le pur contour
Rappelle à l'oeil qui le contemple
Une colonne, au front d'un temple,
Le plus beau temple de l'Amour !
Voici la gorge féminine,
Le bout des seins sur la poitrine
Délicatement accusé,
Les épaules, le dos, le ventre
Où le nombril se renfle et rentre
Comme un tourbillon apaisé.
Voici le bras plein qui s'allonge ;
Voici, comme on les voit en songe,
Les deux petites mains d'Eros,
Le bassin immense, les hanches,
Et les adorablement blanches
Et fermes fesses de Paros.
Voici le mont au fond des cuisses
Les plus fortes pour que tu puisses
Porter les neuf mois de l'enfant ;
Et voici tes jambes parfaites...
Et, pour les sonnets des poètes,
Voici votre pied triomphant.
Pas plus grande que Cléopâtre
Pour qui deux peuples vont se battre,
Voici la Femme dont le corps
Fait sur les gestes et les signes
Courir la musique des lignes
En de magnifiques accords.
Je m'élance comme un barbare,
J'abats la tête, le pied rare,
Les mains... et puis... au bout d'un an...
Lorsque sa gloire est colossale,
Je la dispose en une salle,
La plus riche du Vatican.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Le baiser
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Le baiser (I)
N'êtes-vous pas toute petite
Dans votre vaste appartement,
Où comme un oiseau qui palpite
Voltige votre pied normand ?
N'est-elle pas toute mignonne,
Blanche dans l'ombre où tu souris,
Votre taille qui s'abandonne,
Parisienne de Paris ?
N'est-il pas à Vous, pleine d'âme,
Franc comme on doit l'être, à l'excès,
Votre coeur d'adorable femme,
Nu, comme votre corps français ?
Ne sont-ils pas, à Vous si fière,
Les neiges sous la nuit qui dort
Dans leur silence et leur lumière,
Vos magnifiques seins du Nord ?
N'est-il pas doux, à Vous sans haine
Frémissante aux bruits de l'airain,
Votre ventre d'Européenne,
Oui votre ventre européen ;
N'est-elle pas semblable au Monde,
Pareille au globe entouré d'air,
Ta croupe terrestre aussi ronde
Que la montagne et que la mer ?
N'est-il pas infini le râle
De bonheur pur comme le sel,
Dans ta matrice interastrale
Sous ton baiser universel ?
Et par la foi qui me fait vivre
Dans ton parfum et dans ton jour,
N'entre-t-elle pas, mon âme ivre,
En plein, au plein de ton amour ?
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Le baiser
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Le baiser (III)
" Tout fait l'amour. " Et moi j'ajoute,
Lorsque tu dis : " Tout fait l'amour " :
Même le pas avec la route,
La baguette avec le tambour.
Même le doigt avec la bague,
Même la rime et la raison,
Même le vent avec la vague,
Le regard avec l'horizon.
Même le rire avec la bouche,
Même l'osier et le couteau,
Même le corps avec la couche,
Et l'enclume sous le marteau.
Même le fil avec la toile
Même la terre avec le ver,
Le bâtiment avec l'étoile,
Et le soleil avec la mer.
Comme la fleur et comme l'arbre,
Même la cédille et le c,
Même l'épitaphe et le marbre,
La mémoire avec le passé.
La molécule avec l'atome,
La chaleur et le mouvement,
L'un des deux avec l'autre tome,
Fût-il détruit complètement.
Un anneau même avec sa chaîne,
Quand il en serait détaché,
Tout enfin, excepté la Haine,
Et le coeur qu'Elle a débauché.
Oui, tout fait l'amour sous les ailes
De l'Amour, comme en son Palais,
Même les tours des citadelles
Avec la grêle des boulets.
Même les cordes de la harpe
Avec la phalange du doigt,
Même le bras avec l'écharpe,
Et la colonne avec le toit.
Le coup d'ongle ou le coup de griffe,
Tout, enfin tout dans l'univers,
Excepté la joue et la gifle,
Car... dans ce cas l'est à l'envers...
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Le corps et l'âme
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Le corps et l'âme
Dieu fit votre corps noble et votre âme charmante.
Le corps sort de la terre et l'âme aspire aux cieux ;
L'un est un amoureux et l'autre est une amante.
Dans la paix d'un jardin vaste et délicieux,
Dieu souffla dans un peu de boue un peu de flamme,
Et le corps s'en alla sur ses pieds gracieux.
Et ce souffle enchantait le corps, et c'était l'âme
Qui, mêlée à l'amour des bêtes et des bois,
Chez l'homme adorait Dieu que contemplait la femme.
L'âme rit dans les yeux et vole avec la voix,
Et l'âme ne meurt pas, mais le corps ressuscite,
Sortant du limon noir une seconde fois.
Dieu fit suave et beau votre corps immortel :
Les jambes sont les deux colonnes de ce temple,
Les genoux sont la chaise et le buste est l'autel.
Et la ligne du torse, à son sommet plus ample,
Comme aux flancs purs de vase antique, rêve et court
Dans l'ordre harmonieux dont la lyre est l'exemple.
Pendant qu'un hymne à Dieu, dans un battement court,
Comme au coeur de la lyre une éternelle phrase,
Chante aux cordes du coeur mélodieux et sourd.
Des épaules, planant comme les bords du vase,
La tête émerge, et c'est une adorable fleur
Noyée en une longue et lumineuse extase.
Si l'âme est un oiseau, le corps est l'oiseleur.
Le regard brûle au fond des yeux qui sont des lampes
Où chaque larme douce est l'huile de douleur.
La mesure du temps tinte aux cloisons des tempes ;
Et les bras longs aux mains montant au firmament
Ont charitablement la sûreté des rampes.
Le coeur s'embrase et fond dans leur embrasement,
Comme sous les pressoirs fond le fruit de la vigne,
Et sur les bras croisés vit le recueillement.
Ni les béliers frisés ni les plumes de cygne,
Ni la crinière en feu des crieurs de la faim
N'effacent ta splendeur, ô chevelure insigne,
Faite avec l'azur noir de la nuit, ou l'or fin
De l'aurore, et sur qui nage un parfum farouche,
Où la femme endort l'homme en une mer sans fin.
Rossignol vif et clair, grave et sonore mouche
Frémis ou chante au bord des lèvres, douce voix !
Douce gloire du rire, épanouis la bouche !
Chaque chose du corps est soumise à tes lois,
Dieu grand, qui fais tourner la terre sous ton geste,
Dans la succession régulière des mois.
Tes lois sont la santé de ce compagnon leste
De l'âme, ainsi qu'un rythme est l'amour de ses pas,
Mais l'âme solitaire est joyeuse où Dieu reste.
... La grâce de votre âme éclôt dans la parole,
Et l'autre dans le geste, aimant les frais essors,
Au vêtement léger comme une âme qui vole.
Sachez aimer votre âme en aimant votre corps,
Cherchez l'eau musicale aux bains de marbre pâle,
Et l'onde du génie au coeur des hommes forts.
Mêlez vos membres lourds de fatigue, où le hâle
De la vie imprima son baiser furieux,
Au gémissement frais que la Naïade exhale ;
Afin qu'au jour prochain votre corps glorieux,
Plus léger que celui des Mercures fidèles,
Monte à travers l'azur du ciel victorieux...
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
Le nom
- Germain NOUVEAU (1851-1920)
Le nom
Je porte un nom assez... bizarre,
Tu diras : " Ton cas n'est pas rare. "
Oh !... je ne pose pas pour ça,
Du tout... Mais... permettez, Madame,
Je découvre en son anagramme :
'Amour ingénue', et puis : 'Va' !
Si... comme un régiment qu'on place
Sous le feu... je change la face...
De ce nom... drôlement venu,
Dans le feu sacré qui le dore,
Tiens ! regarde... je lis encore :
'Amour ignée', et puis : 'Va, nu' !
Pas une lettre de perdue !
Il avait la tête entendue,
Le parrain qui me le trouva !
Mais ce n'est pas là tout, écoute !
Je lis encor, pour Toi, sans doute :
'Amour ingénu', puis : 'Éva' !
Tu sais... nous ne sommes... peut-être
Les seuls amours... qu'on ait vus naître ;
Il en naît... et meurt tous les jours ;
On en voit sous toutes les formes ;
Et petits, grands... ou même énormes,
Tous les hommes sont des amours.
Pourtant... ce nom me prédestine...
À t'aimer, ô ma Valentine !
Ingénument, avec mon corps,
Avec mon coeur, avec mon âme,
À n'adorer que Vous, Madame,
Naturellement, sans efforts.
Il m'invite à brûler sans trêve,
Comme le cierge qui s'élève
D'un feu très doux à ressentir,
Comme le Cierge dans l'Église ;
À ne pas garder ma chemise
Et surtout... à ne pas mentir.
Et si c'est la mode qu'on nomme
La compagne du nom de l'homme,
J'appellerai ma femme : Éva.
J'ôte 'É', je mets 'lent', j'ajoute 'ine',
Et cela nous fait : 'Valentine' !
C'est un nom chic ! et qui me va !
Tu vois comme cela s'arrange.
Ce nom, au fond, est moins étrange
Que de prime abord il n'a l'air.
Ses deux majuscules G. N.
Qui font songer à la Géhenne
Semblent les Portes de l'Enfer !
Eh, bien !... mes mains ne sont pas fortes,
Mais Moi, je fermerai ces Portes,
Qui ne laisseront plus filtrer
Le moindre rayon de lumière,
Je les fermerai de manière
Qu'on ne puisse jamais entrer.
En jouant sur le mot Géhenne,
J'ai, semble-t-il dire, la Haine,
Et je ne l'ai pas à moitié,
Je l'ai, je la tiens, la Maudite !
Je la tiens bien, et toute, et vite,
Je veux l'étrangler sans pitié !
Puisque c'est par Elle qu'on souffre,
Qu'elle est la Bête aux yeux de soufre
Qu'elle n'écoute... rien du tout,
Qu'elle ment, la sale mâtine !
Et pour qu'on s'aime en Valentine
D'un bout du monde à l'autre bout.
Rita-kazem- Nombre de messages : 4254
Date d'inscription : 18/02/2010
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