Poesie:Louis Bouilhet
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Poesie:Louis Bouilhet
Louis Bouilhet,
auteur, poète et dramaturge français du 19 ème siècle né à Candy le 27 mai 1822, il décede à rouen le 18 Juillet 1868.
il est l'ami de flaubert, Louis Bouilhet est un excellent élève et
rentre à l'école de médecine de Rouen, puis devient interne à
l'Hôtel-Dieu sous la direction du docteur Flaubert, le père de Gustave
Flaubert. Mais assez rapidement Bouilhet abandonne la médecine pour une carrière dans les lettres et la poésie et gagne sa vie comme professeur de lettres.
Louis Bouilhet connut un fort succès comme dramaturge et plusieurs de ses pièces de théatre connurent une grande popularité.
Mais c'est comme premier lecteur de Flaubert qu'il passe à la
postérité. Louis Boulhet jouissait d'un sens de la critique
remarquable, il savait trouver les mots justes et un ton impartial
qualifiait ses critique. Il travaille notamment sur Mme Bovary de Flaubert.
Flaubert,
à sa mort déclara
'En perdant mon pauvre Bouilhet,j'ai perdu mon accoucheur, celui qui voyait plus clairement que moi-même.'
auteur, poète et dramaturge français du 19 ème siècle né à Candy le 27 mai 1822, il décede à rouen le 18 Juillet 1868.
il est l'ami de flaubert, Louis Bouilhet est un excellent élève et
rentre à l'école de médecine de Rouen, puis devient interne à
l'Hôtel-Dieu sous la direction du docteur Flaubert, le père de Gustave
Flaubert. Mais assez rapidement Bouilhet abandonne la médecine pour une carrière dans les lettres et la poésie et gagne sa vie comme professeur de lettres.
Louis Bouilhet connut un fort succès comme dramaturge et plusieurs de ses pièces de théatre connurent une grande popularité.
Mais c'est comme premier lecteur de Flaubert qu'il passe à la
postérité. Louis Boulhet jouissait d'un sens de la critique
remarquable, il savait trouver les mots justes et un ton impartial
qualifiait ses critique. Il travaille notamment sur Mme Bovary de Flaubert.
Flaubert,
à sa mort déclara
'En perdant mon pauvre Bouilhet,j'ai perdu mon accoucheur, celui qui voyait plus clairement que moi-même.'
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Une baraque de la foire
Oh ! qu’il était triste, au coin de la salle !
Comme il grelottait, l’homme au violon !
La baraque en planche était peu d’aplomb,
Et le vent soufflait dans la toile sale.
Des bourgeois blasés ― l’un d’eux s’en alla ! ―
Raillaient à plaisir ces vieilles sornettes,
Ainsi qu’il convient à des gens honnêtes
Qui sont revenus de ces choses-là !
Dans son ermitage, Antoine, en prière,
Se couvrait les yeux, sous son capuchon ;
Les diables dansaient ; ― le petit cochon
Passait, effaré, la torche au derrière.
Découvrant sa gorge, et portant, je croi,
Sur son carton peint, la mouche assassine,
En grand falbala venait Proserpine,
Comme une princesse à la cour d’un roi.
Tout l’enfer sautait au bout des ficelles.
― Dieu l’avait permis, très-évidemment ! ―
Puis ce fut le tour du bleu firmament
Avec ses pétards et ses étincelles.
Le soleil tournait, plein de vérité
Chaque trou d’étoile était à sa place,
Des anges bouffis flottaient dans l’espace,
Pendus au plafond pour l’éternité.
― Oh ! qu’il était triste ! oh ! qu’il était pâle !...
Oh ! L’archet damné raclant sans espoir !
Oh ! Le paletot plus sinistre à voir
Sous les transparents aux lueurs d’opale !
Comme un chœur antique au sujet mêlé,
Il fallait répondre aux péripéties,
Et quitter soudain, pour des facéties,
Le libre juron, tout bas grommelé !...
Il fallait chanter ! Il fallait poursuivre
Pour le pain du jour, la pipe du soir,
Pour le dur grabat dans le grenier noir,
Pour l’ambition d’être homme et de vivre !
Mais parfois, dans l’ombre ― et c’était son droit ! ―
Il lançait, lui pauvre et transi dans l’âme,
Un regard farouche aux pantins du drame
Qui reluisaient d’or et n’avaient pas froid.
Puis ― comme un rêveur dégagé des choses ―
Sachant que tout passe et que tout est vain,
Sans respect du monde, il chauffait sa main
Au rayonnement des apothéoses !...
Novembre 1867.
Comme il grelottait, l’homme au violon !
La baraque en planche était peu d’aplomb,
Et le vent soufflait dans la toile sale.
Des bourgeois blasés ― l’un d’eux s’en alla ! ―
Raillaient à plaisir ces vieilles sornettes,
Ainsi qu’il convient à des gens honnêtes
Qui sont revenus de ces choses-là !
Dans son ermitage, Antoine, en prière,
Se couvrait les yeux, sous son capuchon ;
Les diables dansaient ; ― le petit cochon
Passait, effaré, la torche au derrière.
Découvrant sa gorge, et portant, je croi,
Sur son carton peint, la mouche assassine,
En grand falbala venait Proserpine,
Comme une princesse à la cour d’un roi.
Tout l’enfer sautait au bout des ficelles.
― Dieu l’avait permis, très-évidemment ! ―
Puis ce fut le tour du bleu firmament
Avec ses pétards et ses étincelles.
Le soleil tournait, plein de vérité
Chaque trou d’étoile était à sa place,
Des anges bouffis flottaient dans l’espace,
Pendus au plafond pour l’éternité.
― Oh ! qu’il était triste ! oh ! qu’il était pâle !...
Oh ! L’archet damné raclant sans espoir !
Oh ! Le paletot plus sinistre à voir
Sous les transparents aux lueurs d’opale !
Comme un chœur antique au sujet mêlé,
Il fallait répondre aux péripéties,
Et quitter soudain, pour des facéties,
Le libre juron, tout bas grommelé !...
Il fallait chanter ! Il fallait poursuivre
Pour le pain du jour, la pipe du soir,
Pour le dur grabat dans le grenier noir,
Pour l’ambition d’être homme et de vivre !
Mais parfois, dans l’ombre ― et c’était son droit ! ―
Il lançait, lui pauvre et transi dans l’âme,
Un regard farouche aux pantins du drame
Qui reluisaient d’or et n’avaient pas froid.
Puis ― comme un rêveur dégagé des choses ―
Sachant que tout passe et que tout est vain,
Sans respect du monde, il chauffait sa main
Au rayonnement des apothéoses !...
Novembre 1867.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
L'oiseleur
Les plaines, au loin, de fleurs sont brodées.
Parmi les oiseaux et les papillons,
J’entends bourdonner l’essaim des idées
Qui flotte au soleil en blancs tourbillons !
Comme un aigrefin méditant ses crimes,
Sans perdre un moment, j’apprête, en sournois,
Un beau trébuchet fait avec des rimes ;
Et j’attends, ― caché dans le fond des bois.
Toutes !... les voici toutes !... à la file !
Hésitant un peu, n’osant approcher.
Parfois un manant qui sort de la ville
Vient, d’un bruit de pas, les effaroucher.
Moi, je reste là, sans voix, sans haleine,
L’oreille et les yeux sur mon traquenard.
Si la gibecière est à moitié pleine,
Je rentre au logis, plus fier qu’un renard.
Et c’est sous mes doigts un bruit d’étincelles,
Quand j’ouvre le sac où tient mon trésor,
Et que je les prends, par le bout des ailes,
Pour les enfermer dans leurs cages d’or !...
Parmi les oiseaux et les papillons,
J’entends bourdonner l’essaim des idées
Qui flotte au soleil en blancs tourbillons !
Comme un aigrefin méditant ses crimes,
Sans perdre un moment, j’apprête, en sournois,
Un beau trébuchet fait avec des rimes ;
Et j’attends, ― caché dans le fond des bois.
Toutes !... les voici toutes !... à la file !
Hésitant un peu, n’osant approcher.
Parfois un manant qui sort de la ville
Vient, d’un bruit de pas, les effaroucher.
Moi, je reste là, sans voix, sans haleine,
L’oreille et les yeux sur mon traquenard.
Si la gibecière est à moitié pleine,
Je rentre au logis, plus fier qu’un renard.
Et c’est sous mes doigts un bruit d’étincelles,
Quand j’ouvre le sac où tient mon trésor,
Et que je les prends, par le bout des ailes,
Pour les enfermer dans leurs cages d’or !...
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Air de chasse
I
Le soleil va chasser la nuit ;
Pâle Phoebé, reine aux longs voiles,
Il est temps de rentrer, sans bruit,
Ton troupeau de blanches étoiles !
Déjà des bois silencieux
L’aube pénètre le mystère...
Que fais-tu si tard dans les cieux,
Quand nous t’attendons sur la terre ?
II
Elle vient ! Elle vient !... de son pied diligent
Entendez-vous, là-bas, le bruit léger dans l’herbe ?
Mais ce n’est plus Phoebé par les cieux voyageant...
C’est Diane au cœur dur, Diane au front superbe !
Elle a ses blonds cheveux liés comme une gerbe,
Et sur son dos bruni sonne un carquois d’argent.
III
À nous, déesse !... en chasse ! en chasse !
Le bois s’emplit de cris ardents.
Les chiens sont fous. Voici la trace
Des sangliers aux longues dents !...
Au galop, courbés sous les branches,
Plus vite, allons ! Plus vite encore !
La mince flèche aux ailes blanches
Siffle, comme le vent du nord.
Nous courons, nous volons ; ― victoire !
Les épieux et les javelots !...
La bête en tient ; ― la mousse noire
Boit, par les monts, son sang à flots.
Elle tombe, à bout de colères ;
Et sa blessure, en s’épanchant,
Rougit le lac aux ondes claires,
Comme fait un soleil couchant.
IV
Les cornets ont sonné, ― la nuit vient, ― qu’on se presse !
Amis, la route est longue après les durs combats.
Six chevaux traîneront, fiers et pleins d’allégresse,
Le monstre hérissé, trop pesant pour nos bras.
Diane ! En ton honneur nous brûlerons sa graisse !
Phoebé, remonte aux cieux pour éclairer nos pas !...
Le soleil va chasser la nuit ;
Pâle Phoebé, reine aux longs voiles,
Il est temps de rentrer, sans bruit,
Ton troupeau de blanches étoiles !
Déjà des bois silencieux
L’aube pénètre le mystère...
Que fais-tu si tard dans les cieux,
Quand nous t’attendons sur la terre ?
II
Elle vient ! Elle vient !... de son pied diligent
Entendez-vous, là-bas, le bruit léger dans l’herbe ?
Mais ce n’est plus Phoebé par les cieux voyageant...
C’est Diane au cœur dur, Diane au front superbe !
Elle a ses blonds cheveux liés comme une gerbe,
Et sur son dos bruni sonne un carquois d’argent.
III
À nous, déesse !... en chasse ! en chasse !
Le bois s’emplit de cris ardents.
Les chiens sont fous. Voici la trace
Des sangliers aux longues dents !...
Au galop, courbés sous les branches,
Plus vite, allons ! Plus vite encore !
La mince flèche aux ailes blanches
Siffle, comme le vent du nord.
Nous courons, nous volons ; ― victoire !
Les épieux et les javelots !...
La bête en tient ; ― la mousse noire
Boit, par les monts, son sang à flots.
Elle tombe, à bout de colères ;
Et sa blessure, en s’épanchant,
Rougit le lac aux ondes claires,
Comme fait un soleil couchant.
IV
Les cornets ont sonné, ― la nuit vient, ― qu’on se presse !
Amis, la route est longue après les durs combats.
Six chevaux traîneront, fiers et pleins d’allégresse,
Le monstre hérissé, trop pesant pour nos bras.
Diane ! En ton honneur nous brûlerons sa graisse !
Phoebé, remonte aux cieux pour éclairer nos pas !...
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Les chevriers
L’Aube aux pieds d’argent descend des montagnes ;
La Nuit s’est cachée au fond des grands bois ;
Tous les nids d’oiseaux chantent à la fois.
Hardis chevriers, quittons nos compagnes !
Les sentiers couverts de mousse et de thym
Mettront sous nos pas un tapis superbe,
Et nous ferons choir en passant sur l’herbe
Du bout des rameaux, les pleurs du matin !
En marche ! il est temps de quitter les plaines ;
Déjà les coteaux ont le front vermeil.
Nous atteindrons bien le tour du soleil,
Avec nos sacs lourds et nos gourdes pleines !
Nous redescendrons, quand la nuit viendra,
Entonnant en chœur l’air connu des chèvres ;
Et la douce lune, un sourire aux lèvres,
En bel habit blanc, nous reconduira !...
La Nuit s’est cachée au fond des grands bois ;
Tous les nids d’oiseaux chantent à la fois.
Hardis chevriers, quittons nos compagnes !
Les sentiers couverts de mousse et de thym
Mettront sous nos pas un tapis superbe,
Et nous ferons choir en passant sur l’herbe
Du bout des rameaux, les pleurs du matin !
En marche ! il est temps de quitter les plaines ;
Déjà les coteaux ont le front vermeil.
Nous atteindrons bien le tour du soleil,
Avec nos sacs lourds et nos gourdes pleines !
Nous redescendrons, quand la nuit viendra,
Entonnant en chœur l’air connu des chèvres ;
Et la douce lune, un sourire aux lèvres,
En bel habit blanc, nous reconduira !...
Dernière édition par nadia ibrahimi le Sam 17 Avr - 11:40, édité 1 fois
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Gelida
Elle a, pour toute science,
La gaîté de ses vingt ans ;
C’est la blonde insouciance,
Aux yeux bleus, couleur du temps.
Pour lasser la patience
Des désirs les plus constants,
Son cœur a fait alliance
Avec ses cheveux flottants.
Sourde à l’hymne des tendresses,
Elle rit de ces détresses
Que rien ne peut consoler...
Et je crois que la coquette
Dans l’amour de Juliette
Passerait sans se brûler !
La gaîté de ses vingt ans ;
C’est la blonde insouciance,
Aux yeux bleus, couleur du temps.
Pour lasser la patience
Des désirs les plus constants,
Son cœur a fait alliance
Avec ses cheveux flottants.
Sourde à l’hymne des tendresses,
Elle rit de ces détresses
Que rien ne peut consoler...
Et je crois que la coquette
Dans l’amour de Juliette
Passerait sans se brûler !
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Première ride
Aglaé n’est pas heureuse :
Elle a trouvé, ce matin,
Une ride qui se creuse
Dans les neiges de son teint.
Les jeux ailés, les dieux-mouches,
Tous les petits nains du ciel
Vont menant des deuils farouches
Pour ce cas essentiel.
Voici les plaisirs moroses
Confits en dévotion ;
Des yeux bleus aux lèvres roses
Descend leur procession.
Et de ses cheveux couverte,
Vénus, en pleurant bien haut,
Étend dans la fosse ouverte
L’amour mort, ou peu s’en faut.
Sur sa couche de parade,
En pompe on l’ensevelit !...
― Pauvre amour, vieux camarade,
Fais-moi place dans ton lit !...
Elle a trouvé, ce matin,
Une ride qui se creuse
Dans les neiges de son teint.
Les jeux ailés, les dieux-mouches,
Tous les petits nains du ciel
Vont menant des deuils farouches
Pour ce cas essentiel.
Voici les plaisirs moroses
Confits en dévotion ;
Des yeux bleus aux lèvres roses
Descend leur procession.
Et de ses cheveux couverte,
Vénus, en pleurant bien haut,
Étend dans la fosse ouverte
L’amour mort, ou peu s’en faut.
Sur sa couche de parade,
En pompe on l’ensevelit !...
― Pauvre amour, vieux camarade,
Fais-moi place dans ton lit !...
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Amour noir
Filles de Jupiter, vierges aux longues tresses,
Je dirai de Vulcain les antiques détresses,
Et quel bâtard céleste arriva le premier
Avant l’enfant amour et le filet d’acier !
Quand Vénus au dieu Mars, sous les pins de Sicile,
Pour la première fois fut pliante et facile,
Le boiteux immortel, le forgeron divin
Jura ― les dieux puissants ne jurent pas en vain ―
Que sa vengeance atroce et fatale à connaître
Écraserait d’un coup l’enfant encore à naître,
Et qu’il imiterait, pour ce fils odieux,
Saturne aux dents de fer, dévorateur des dieux.
Phébus l’avait instruit, Phébus qui tout éclaire.
Mais l’époux, dans son cœur, enferma sa colère ;
Et quand, le soir, coupable et le visage en feu,
La déesse rentra dans la forge du dieu,
Elle le vit, de loin, qui, selon sa coutume,
Domptait les durs métaux, penché sur son enclume,
Et qui, jusqu’à la fin, ― sûr de se contenir, ―
Sans un nuage au front, la regardait venir.
Je dirai de Vulcain les antiques détresses,
Et quel bâtard céleste arriva le premier
Avant l’enfant amour et le filet d’acier !
Quand Vénus au dieu Mars, sous les pins de Sicile,
Pour la première fois fut pliante et facile,
Le boiteux immortel, le forgeron divin
Jura ― les dieux puissants ne jurent pas en vain ―
Que sa vengeance atroce et fatale à connaître
Écraserait d’un coup l’enfant encore à naître,
Et qu’il imiterait, pour ce fils odieux,
Saturne aux dents de fer, dévorateur des dieux.
Phébus l’avait instruit, Phébus qui tout éclaire.
Mais l’époux, dans son cœur, enferma sa colère ;
Et quand, le soir, coupable et le visage en feu,
La déesse rentra dans la forge du dieu,
Elle le vit, de loin, qui, selon sa coutume,
Domptait les durs métaux, penché sur son enclume,
Et qui, jusqu’à la fin, ― sûr de se contenir, ―
Sans un nuage au front, la regardait venir.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Re: Poesie:Louis Bouilhet
amour noir: suite
Ce fut aux profondeurs d’un antre solitaire
Qu’enfanta, loin du jour, la divine adultère,
Tandis que les sylvains et les vierges des bois
Chantaient à l’unisson pour étouffer sa voix.
Cependant, par les monts et les vastes prairies,
Comme un lion qui rôde autour des bergeries,
Le dieu, le dieu jaloux qui sait le temps venu,
Tâche à surprendre un cri de l’enfant inconnu.
Un faune aux pieds fourchus et dont la voix chevrote
L’avait, tout vagissant, emporté dans sa grotte.
L’entrée en était basse et peu facile à voir ;
Un lierre la couvrait de son feuillage noir,
Et, comme des lutteurs mêlant leurs bras énormes,
Cent arbres tortueux, entrelacés, difformes,
Gardiens du seuil, abri des corbeaux croassants,
En dérobaient l’approche au regard des passants.
Cinq ans, l’enfant vécut près du faune ; les chèvres
D’elles-mêmes portaient leur tétine à ses lèvres ;
La vigne, en verts festons sur le bord des chemins,
Penchait sa grappe lourde au niveau de ses mains,
Et les abeilles d’or, formant de longues chaînes,
Le guidaient, à grand bruit, jusqu’au creux des vieux chênes.
Puis, il connut les dons de l’innocente paix,
La danse des sylvains, sous les halliers épais,
Les tambours grelottants, la flûte aux roseaux lisses,
Tous les jeux, et parfois ― l’enfance a ses malices ―
Quand midi tout en flamme invitait au sommeil,
Pour un nid de colombe, ou pour un fruit vermeil,
De leurs antres secrets sachant les avenues,
Le traître, aux chèvre-pieds, livrait les nymphes nues ;
Le vieux faune en riait dans sa barbe ; et parfois
On entendait un bruit sinistre dans les bois ―
Bruit lointain, bruit profond, qui venait de la terre ;
Et l’enfant s’arrêtait dans son jeu solitaire ;
Et le faune disait, en frissonnant aussi :
« O mon fils adoré, si tu sortais d’ici !...
« Si tu quittais nos bois !... reste sous nos bois sombres,
« Où les pins sourcilleux te couvrent de leurs ombres ! »
Mais l’enfant, malgré lui, rentrant à petits pas,
Songeait à ce bruit sourd qu’on entendait là-bas,
Curieux et mêlant, dans son âme interdite,
L’audace de son père aux langueurs d’Aphrodite.
Ce fut aux profondeurs d’un antre solitaire
Qu’enfanta, loin du jour, la divine adultère,
Tandis que les sylvains et les vierges des bois
Chantaient à l’unisson pour étouffer sa voix.
Cependant, par les monts et les vastes prairies,
Comme un lion qui rôde autour des bergeries,
Le dieu, le dieu jaloux qui sait le temps venu,
Tâche à surprendre un cri de l’enfant inconnu.
Un faune aux pieds fourchus et dont la voix chevrote
L’avait, tout vagissant, emporté dans sa grotte.
L’entrée en était basse et peu facile à voir ;
Un lierre la couvrait de son feuillage noir,
Et, comme des lutteurs mêlant leurs bras énormes,
Cent arbres tortueux, entrelacés, difformes,
Gardiens du seuil, abri des corbeaux croassants,
En dérobaient l’approche au regard des passants.
Cinq ans, l’enfant vécut près du faune ; les chèvres
D’elles-mêmes portaient leur tétine à ses lèvres ;
La vigne, en verts festons sur le bord des chemins,
Penchait sa grappe lourde au niveau de ses mains,
Et les abeilles d’or, formant de longues chaînes,
Le guidaient, à grand bruit, jusqu’au creux des vieux chênes.
Puis, il connut les dons de l’innocente paix,
La danse des sylvains, sous les halliers épais,
Les tambours grelottants, la flûte aux roseaux lisses,
Tous les jeux, et parfois ― l’enfance a ses malices ―
Quand midi tout en flamme invitait au sommeil,
Pour un nid de colombe, ou pour un fruit vermeil,
De leurs antres secrets sachant les avenues,
Le traître, aux chèvre-pieds, livrait les nymphes nues ;
Le vieux faune en riait dans sa barbe ; et parfois
On entendait un bruit sinistre dans les bois ―
Bruit lointain, bruit profond, qui venait de la terre ;
Et l’enfant s’arrêtait dans son jeu solitaire ;
Et le faune disait, en frissonnant aussi :
« O mon fils adoré, si tu sortais d’ici !...
« Si tu quittais nos bois !... reste sous nos bois sombres,
« Où les pins sourcilleux te couvrent de leurs ombres ! »
Mais l’enfant, malgré lui, rentrant à petits pas,
Songeait à ce bruit sourd qu’on entendait là-bas,
Curieux et mêlant, dans son âme interdite,
L’audace de son père aux langueurs d’Aphrodite.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Re: Poesie:Louis Bouilhet
amour noir suite
Impatient du joug où la peur le soumet,
Seul, furtif, une nuit que le faune dormait,
Il quitta l’antre obscur, et, sans un guide au monde,
S’en alla, tout petit, par la forêt profonde,
Si léger sous les bois et respirant si bas
Que les oiseaux couchés ne se réveillaient pas.
Son pied nu, son pied blanc, dans ses vives secousses,
Comme un éclair qui passe, éclatait sur les mousses,
Quand, pareil au nageur qui rame avec ses mains,
Le Dieu fendait le flot des halliers sans chemins.
Tantôt, sans s’arrêter, la lune qui voyage
D’un regard nonchalant sondait le noir feuillage ;
Tantôt, couvrant les pins de ses voiles plus lourds,
La nuit redescendait implacable, ― et toujours,
Comme un appel lointain, comme un rendez-vous sombre,
Le grand bruit inconnu retentissait dans l’ombre.
Mais déjà, des buissons s’échappant par milliers,
Les daims, les loups chenus, les renards familiers,
Et le lézard jaunâtre et la couleuvre bleue,
Suivaient l’enfant céleste, en remuant la queue.
Or le bruit rappelait, plus clair à chaque pas,
Le choc de cent guerriers que l’on ne voyait pas.
Soudain, derrière un mont qui penchait sur la route,
Une chose effrayante apparut ― une voûte
Morne, affreuse, insondable et se tordant au bord,
Avec des jets de pourpre et des pâleurs de mort ;
Un nuage montait, ondoyant et farouche,
Comme si la montagne, ouvrant sa noire bouche,
Eût vomi, vers les dieux, tout l’enfer ; ― et c’était
De cette bouche-là que ce grand bruit sortait !
Impatient du joug où la peur le soumet,
Seul, furtif, une nuit que le faune dormait,
Il quitta l’antre obscur, et, sans un guide au monde,
S’en alla, tout petit, par la forêt profonde,
Si léger sous les bois et respirant si bas
Que les oiseaux couchés ne se réveillaient pas.
Son pied nu, son pied blanc, dans ses vives secousses,
Comme un éclair qui passe, éclatait sur les mousses,
Quand, pareil au nageur qui rame avec ses mains,
Le Dieu fendait le flot des halliers sans chemins.
Tantôt, sans s’arrêter, la lune qui voyage
D’un regard nonchalant sondait le noir feuillage ;
Tantôt, couvrant les pins de ses voiles plus lourds,
La nuit redescendait implacable, ― et toujours,
Comme un appel lointain, comme un rendez-vous sombre,
Le grand bruit inconnu retentissait dans l’ombre.
Mais déjà, des buissons s’échappant par milliers,
Les daims, les loups chenus, les renards familiers,
Et le lézard jaunâtre et la couleuvre bleue,
Suivaient l’enfant céleste, en remuant la queue.
Or le bruit rappelait, plus clair à chaque pas,
Le choc de cent guerriers que l’on ne voyait pas.
Soudain, derrière un mont qui penchait sur la route,
Une chose effrayante apparut ― une voûte
Morne, affreuse, insondable et se tordant au bord,
Avec des jets de pourpre et des pâleurs de mort ;
Un nuage montait, ondoyant et farouche,
Comme si la montagne, ouvrant sa noire bouche,
Eût vomi, vers les dieux, tout l’enfer ; ― et c’était
De cette bouche-là que ce grand bruit sortait !
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Re: Poesie:Louis Bouilhet
amour noir suite
Les animaux frappés d’une terreur profonde
Avaient fui. L’enfant seul, vers la voûte qui gronde,
Entre les rocs fumeux se perdant à moitié,
Marcha, la tête haute, et ferme sur son pié ;
Et ce qu’il aperçut, dans la caverne austère,
Nul ne l’a vu, de ceux qui vivent sur la terre.
Au plus profond de l’antre, éclatant, furieux,
Tel qu’un soleil sinistre enchaîné par les dieux,
Un brasier formidable, aux vigueurs éternelles,
Flamboyait ; ― et, du gouffre horribles sentinelles,
Vingt géants soucieux qui portaient à leur front
Un œil, comme la lune, immobile et tout rond,
Dans le tressaillement de la flamme qui bouge,
Apparaissaient ― au loin ; noirs sur le foyer rouge.
Ainsi que d’une éponge, ornement de la mer,
On voit, en la pressant, sortir le flot amer,
Vingt marteaux étaient là qui faisaient, sur l’enclume,
Du fer gorgé de feu jaillir l’ardente écume ;
On entendait parfois, à quelque coin obscur,
Siffler, comme un serpent, la scie aux dents d’azur,
Ou rugir, indigné, dans sa cuve ordinaire,
Le soufre en fusion qui sera le tonnerre ;
Épouvantable ruche et ténébreux essaim...
L’enfant eut peur ; un cri s’échappa de son sein.
À ce cri frais et pur, dans la caverne sourde
Les sombres travailleurs, tournant leur tête lourde,
Sur le milieu du seuil virent, tout pâle encor,
Le petit dieu couvert de ses longs cheveux d’or,
Comme un rayon du ciel tombé dans la fournaise,
Comme un souffle des monts plein d’une odeur de fraise,
Comme un printemps fleuri qui les venait charmer.
« Qu’il est beau !... » ― Les plus forts savent le mieux aimer. ―
« Qu’il est beau !... » disaient-ils, et dans l’antre qui fume
Les marteaux oubliés s’endormaient sur l’enclume,
Et ce grand bruit de forge entendu dans les bois
S’interrompit, alors, pour la première fois !
Ce furent des éclats de joie involontaire,
Des chansons de nourrice à secouer la terre,
Quand l’enfant, déjà fait à leurs fronts surhumains,
Passa de l’un à l’autre, entre leurs larges mains.
Ils touchaient, enivrés de sa candeur divine,
Ses sourcils délicats, ses cheveux, sa peau fine
Et ses membres pareils à de frêles roseaux,
Avec les peurs qu’on a pour les petits oiseaux.
Puis, de ce même airain dont les foudres sont faites,
Ils forgeaient des anneaux et des colliers de fêtes,
Cent jouets monstrueux dont ils couvraient l’enfant ;
Et tous poussaient, en chœur, un rire triomphant
À le voir, raidissant la douceur de ses formes,
Chanceler sous le poids de ces hochets énormes.
Vulcain parut au seuil.
Les animaux frappés d’une terreur profonde
Avaient fui. L’enfant seul, vers la voûte qui gronde,
Entre les rocs fumeux se perdant à moitié,
Marcha, la tête haute, et ferme sur son pié ;
Et ce qu’il aperçut, dans la caverne austère,
Nul ne l’a vu, de ceux qui vivent sur la terre.
Au plus profond de l’antre, éclatant, furieux,
Tel qu’un soleil sinistre enchaîné par les dieux,
Un brasier formidable, aux vigueurs éternelles,
Flamboyait ; ― et, du gouffre horribles sentinelles,
Vingt géants soucieux qui portaient à leur front
Un œil, comme la lune, immobile et tout rond,
Dans le tressaillement de la flamme qui bouge,
Apparaissaient ― au loin ; noirs sur le foyer rouge.
Ainsi que d’une éponge, ornement de la mer,
On voit, en la pressant, sortir le flot amer,
Vingt marteaux étaient là qui faisaient, sur l’enclume,
Du fer gorgé de feu jaillir l’ardente écume ;
On entendait parfois, à quelque coin obscur,
Siffler, comme un serpent, la scie aux dents d’azur,
Ou rugir, indigné, dans sa cuve ordinaire,
Le soufre en fusion qui sera le tonnerre ;
Épouvantable ruche et ténébreux essaim...
L’enfant eut peur ; un cri s’échappa de son sein.
À ce cri frais et pur, dans la caverne sourde
Les sombres travailleurs, tournant leur tête lourde,
Sur le milieu du seuil virent, tout pâle encor,
Le petit dieu couvert de ses longs cheveux d’or,
Comme un rayon du ciel tombé dans la fournaise,
Comme un souffle des monts plein d’une odeur de fraise,
Comme un printemps fleuri qui les venait charmer.
« Qu’il est beau !... » ― Les plus forts savent le mieux aimer. ―
« Qu’il est beau !... » disaient-ils, et dans l’antre qui fume
Les marteaux oubliés s’endormaient sur l’enclume,
Et ce grand bruit de forge entendu dans les bois
S’interrompit, alors, pour la première fois !
Ce furent des éclats de joie involontaire,
Des chansons de nourrice à secouer la terre,
Quand l’enfant, déjà fait à leurs fronts surhumains,
Passa de l’un à l’autre, entre leurs larges mains.
Ils touchaient, enivrés de sa candeur divine,
Ses sourcils délicats, ses cheveux, sa peau fine
Et ses membres pareils à de frêles roseaux,
Avec les peurs qu’on a pour les petits oiseaux.
Puis, de ce même airain dont les foudres sont faites,
Ils forgeaient des anneaux et des colliers de fêtes,
Cent jouets monstrueux dont ils couvraient l’enfant ;
Et tous poussaient, en chœur, un rire triomphant
À le voir, raidissant la douceur de ses formes,
Chanceler sous le poids de ces hochets énormes.
Vulcain parut au seuil.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Re: Poesie:Louis Bouilhet
amour noir suite
Quand par un soir d’été,
Au bas d’un mont, non loin d’une antique cité,
Le char des moissonneurs s’arrête, lourd de gerbes,
Les propos familiers, le rire aux dents superbes,
Éclatent, les pieds nus frappent le vert gazon ;
Tout à coup un point sombre a taché l’horizon ;
Des nuages errants le groupe se rassemble,
La cime des forêts palpite, le sol tremble,
Et les jeux et les cris tombent tous à la fois,
Pour écouter des cieux rouler la grande voix.
Ainsi tonna le maître emporté dans sa rage :
« Forgerons mal appris ! ouvriers sans courage
Cœurs de cerf !... à quoi bon ces fourneaux allumés ?
Et ces fleuves de feu, sous la terre enfermés,
Qui des monts éternels brisent la rude écorce,
Si le marteau trop lourd pèse à vos bras sans force,
Ou si vous dédaignez pour de futiles jeux
L’amour des durs métaux, grave et profond comme eux ?
Songez-vous qu’ici-bas l’homme au cœur sanguinaire
Ne reconnaît le ciel qu’au bruit de son tonnerre,
Et que des vieux Titans on verrait le retour,
Si nous laissions les dieux désarmés un seul jour ?
J’ai suivi ces combats ; j’en ai su les audaces,
Au sang des immortels pleuvant dans les espaces,
Quand déjà Pélion se levait sur Ossa !
Jupiter tint de moi la foudre qu’il lança,
Car c’est sur ma vertu que l’Olympe repose !
Assis, la coupe en main, dans une molle pose,
Les dieux ne songent guère aux armes qu’il leur faut ;
Seul, je travaille en bas, quand ils boivent en haut ! »
― Les géants consternés l’écoutaient en silence ;
Soudain, de sa poitrine, un cri rauque s’élance,
Un rire impétueux, convulsif, étouffant ;
Il sentait là sa proie, il avait vu l’enfant,
Et ce rire, inconnu dans l’antre séculaire,
Était plus effroyable encor que sa colère !
Enfin, les bras levés et le regard en feu :
« Soyez bénis sept fois, habitants du ciel bleu !
Quel qu’ait été mon zèle, aux époques passées,
Vous acquittez d’un coup les dettes amassées.
Et toi, plus que nous tous, immuable et serein,
Dieu caché, dieu puissant, dont le temple est d’airain,
Je te rends grâce, ô sort !... ton arrêt salutaire
Livre à l’époux blessé le fils de l’adultère !
Et vous, durs compagnons que j’aime tant à voir,
Gigantesques enfants de la terre au flanc noir,
Par nos travaux communs, frères, je vous adjure
D’être témoins d’un dieu qui venge son injure ! »
À ces mots, écartant les cyclopes troublés,
Il prit l’enfant divin par ses cheveux bouclés,
Et frémit, au dedans, d’une douleur amère,
À les voir doux et blonds, comme ceux de sa mère.
« Insensé ! » cria-t-il en le poussant plus fort,
« Tu n’es pas assez dieu pour affronter la mort !
Celui qui, d’un seul geste, ébranle l’empyrée,
Le fils prédestiné, sorti des flancs de Rhée,
Ne serait pas le roi de la terre et des cieux,
S’il n’avait de Saturne évité les grands yeux,
En cachant sa faiblesse au fond d’un noir repaire ;
Te crois-tu donc plus fort, issu d’un moindre père ?
Qu’il accoure à ta voix !... » ― L’enfant épouvanté
Sanglotait. ― « Qu’il arrive, à vingt chevaux porté !
Son empire, ici-bas, est fait de violences.
Il a les javelots, les carquois et les lances,
Les boucliers épais, les casques sans défauts,
Les chars de guerre armés de glaives et de faux,
Ses béliers dont la tête ouvre les forteresses,
Le bruit de ses clairons doux au cœur des déesses ;
Mais il ne pourrait pas, malgré tes cris d’effroi,
Dompter le feu divin qui n’obéit qu’à moi ! »
Quand par un soir d’été,
Au bas d’un mont, non loin d’une antique cité,
Le char des moissonneurs s’arrête, lourd de gerbes,
Les propos familiers, le rire aux dents superbes,
Éclatent, les pieds nus frappent le vert gazon ;
Tout à coup un point sombre a taché l’horizon ;
Des nuages errants le groupe se rassemble,
La cime des forêts palpite, le sol tremble,
Et les jeux et les cris tombent tous à la fois,
Pour écouter des cieux rouler la grande voix.
Ainsi tonna le maître emporté dans sa rage :
« Forgerons mal appris ! ouvriers sans courage
Cœurs de cerf !... à quoi bon ces fourneaux allumés ?
Et ces fleuves de feu, sous la terre enfermés,
Qui des monts éternels brisent la rude écorce,
Si le marteau trop lourd pèse à vos bras sans force,
Ou si vous dédaignez pour de futiles jeux
L’amour des durs métaux, grave et profond comme eux ?
Songez-vous qu’ici-bas l’homme au cœur sanguinaire
Ne reconnaît le ciel qu’au bruit de son tonnerre,
Et que des vieux Titans on verrait le retour,
Si nous laissions les dieux désarmés un seul jour ?
J’ai suivi ces combats ; j’en ai su les audaces,
Au sang des immortels pleuvant dans les espaces,
Quand déjà Pélion se levait sur Ossa !
Jupiter tint de moi la foudre qu’il lança,
Car c’est sur ma vertu que l’Olympe repose !
Assis, la coupe en main, dans une molle pose,
Les dieux ne songent guère aux armes qu’il leur faut ;
Seul, je travaille en bas, quand ils boivent en haut ! »
― Les géants consternés l’écoutaient en silence ;
Soudain, de sa poitrine, un cri rauque s’élance,
Un rire impétueux, convulsif, étouffant ;
Il sentait là sa proie, il avait vu l’enfant,
Et ce rire, inconnu dans l’antre séculaire,
Était plus effroyable encor que sa colère !
Enfin, les bras levés et le regard en feu :
« Soyez bénis sept fois, habitants du ciel bleu !
Quel qu’ait été mon zèle, aux époques passées,
Vous acquittez d’un coup les dettes amassées.
Et toi, plus que nous tous, immuable et serein,
Dieu caché, dieu puissant, dont le temple est d’airain,
Je te rends grâce, ô sort !... ton arrêt salutaire
Livre à l’époux blessé le fils de l’adultère !
Et vous, durs compagnons que j’aime tant à voir,
Gigantesques enfants de la terre au flanc noir,
Par nos travaux communs, frères, je vous adjure
D’être témoins d’un dieu qui venge son injure ! »
À ces mots, écartant les cyclopes troublés,
Il prit l’enfant divin par ses cheveux bouclés,
Et frémit, au dedans, d’une douleur amère,
À les voir doux et blonds, comme ceux de sa mère.
« Insensé ! » cria-t-il en le poussant plus fort,
« Tu n’es pas assez dieu pour affronter la mort !
Celui qui, d’un seul geste, ébranle l’empyrée,
Le fils prédestiné, sorti des flancs de Rhée,
Ne serait pas le roi de la terre et des cieux,
S’il n’avait de Saturne évité les grands yeux,
En cachant sa faiblesse au fond d’un noir repaire ;
Te crois-tu donc plus fort, issu d’un moindre père ?
Qu’il accoure à ta voix !... » ― L’enfant épouvanté
Sanglotait. ― « Qu’il arrive, à vingt chevaux porté !
Son empire, ici-bas, est fait de violences.
Il a les javelots, les carquois et les lances,
Les boucliers épais, les casques sans défauts,
Les chars de guerre armés de glaives et de faux,
Ses béliers dont la tête ouvre les forteresses,
Le bruit de ses clairons doux au cœur des déesses ;
Mais il ne pourrait pas, malgré tes cris d’effroi,
Dompter le feu divin qui n’obéit qu’à moi ! »
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Re: Poesie:Louis Bouilhet
amour noir suite
Alors, l’enfant en main ― sourd aux plaintes frivoles ―
Comme un frondeur grégeois dans des lanières molles,
Fait tourner une pierre à l’entour de son front.
Il décrivit dans l’ombre un formidable rond,
Et, parmi les torrents de lave incendiaire,
Le précipita nu, la tête la première.
Telle, au gouffre marin tombe une étoile d’or ;
Telle, en un tourbillon d’écume, on voit encor
Plonger, du haut des airs, la mouette aux blanches ailes.
Le soufre ardent jaillit en fauves étincelles,
Tandis qu’on entendait, sous le linceul baveux,
Siffler la chair qui brûle, et craquer les cheveux.
Cependant, par les cieux sans limite et sans voiles,
Sur des gazons semés d’une poudre d’étoiles,
Les fiers olympiens, beaux éternellement
Dans l’orgueil de la force et du contentement,
Écoutaient d’Apollon sonner la grande lyre.
Les déesses, en foule, excitant leur délire,
La blonde Hébé, Cérès, reine des champs herbeux,
Junon, dont l’œil est grand comme celui des bœufs,
Minerve, espoir des forts, Vénus, charme du monde,
Du nectar écumant vidaient l’urne profonde.
Mais, ô Cypris, la coupe échappe de tes doigts,
Tu frémis, et soudain, haletante et sans voix :
« Mon enfant ! » ― Jupiter porte aux pieds des oreilles,
Vénus, au cœur ! ― Déjà six colombes pareilles
Sont prêtes ; un frein d’or luit dans leurs becs rosés ;
Elle part, elle vole aux fourneaux embrasés.
La voûte, à son aspect, s’écarta ; ― la lumière
S’abattit d’un seul coup dans la caverne entière ;
Et, parmi les senteurs de la myrrhe et du nard,
La déesse au front pâle apparut sur son char.
Sans un mot, sans un cri, touchant du pied la terre,
Elle atteignit d’un bond la fournaise... ô mystère !...
O prodige !... la lave au reflet jaune et bleu
Vient lécher son bras nu de ses langues de feu ;
Et, soumis comme un chien qui flaire sa maîtresse,
Le brasier monstrueux doucement la caresse,
Poussant, jusqu’à ses mains, l’enfant mort à demi.
Vulcain désespéré dans son cœur a frémi ;
Son amour croît encore, en la voyant si belle.
« Mon père est roi là-haut ! tu l’apprendras, » dit-elle,
« J’y cours !... »
Et, dans un coin de son voile étoilé,
Elle emportait son fils hurlant et mutilé.
L’époux sentit son âme en deux parts divisée.
Déployant les douceurs d’une langue rusée,
Par des soumissions et des propos plus doux,
Va-t-il de la déesse apaiser le courroux ?
Ou, bravant tous les dieux dont la haine l’accable,
Couvrir d’un mur de fer sa forge inattaquable ?
Soudain, le souvenir de ses malheurs passés
Fait trembler sur son front ses cheveux hérissés ;
Et, retenant Vénus par sa longue tunique :
« Jupiter !... N’y va pas !... Si ma vengeance inique
A comme un ouragan sur ton fils éclaté,
C’est le destin, plus fort que notre volonté !...
N’y va pas !... n’y va pas !... Je garde la mémoire
De ce temps douloureux, si fatal à ma gloire,
Où le fils de Saturne, horrible et sans pitié,
Du haut des cieux ouverts, me lança par le pié,
Si bien que, pantelant, épouvanté, livide,
Je roulai tout un jour par le désert du vide,
Maudissant à jamais l’audace de mon cœur !
Car qui pourrait lutter avec un tel vainqueur ?
Nos projets contre lui sont vains et misérables !
Tais-toi !... je te ferai des dons considérables,
Et tu t’apaiseras, car c’est le mieux encor ;
― Les présents couvrent tout ; ― dans ses balances d’or
Thémis, dont la raison sert de règle à la nôtre,
Met d’un côté l’injure, et les présents de l’autre ;
Et c’est ainsi que vont les hommes et les dieux !
Et je te nommerai ces présents radieux,
Afin que ta poitrine en tressaille de joie ;
Pour tes cheveux flottants, où tout mon cœur se noie,
Je te ferai moi-même, en argent ciselé,
Un bandeau, sur le rond de la lune moulé ;
Et ― j’en jure le Styx, si tu crains l’imposture ! ―
Je te ceindrai les flancs d’une belle ceinture,
Si pleine de vertus et de pouvoirs cachés,
Que les astres du ciel, sur ta tête penchés,
Palpiteront d’amour, dans les hauteurs sans bornes !...
Attends !... j’ai mis ma tête au trou des antres mornes,
J’ai vu dans mes travaux à quelles profondeurs
L’escarboucle de flamme enfouit ses splendeurs,
Et, bien mieux que Mercure aux mains fallacieuses,
Je peux surprendre au nid les pierres précieuses.
À quoi bon ! Je suis lourd, je suis difforme et laid ;
Pour qu’on me veuille aimer, je n’ai pas ce qui plaît,
Et de la terre aux cieux la fable serait sue,
Si j’ornais de colliers ma poitrine bossue !
C’est toi, l’amour !... C’est toi la grâce et la beauté !...
C’est pour toi que la terre, en sa fécondité,
Étage incessamment la floraison des choses.
Par-dessous les rubis, et par-dessus les roses !...
Tais-toi !... »
Alors, l’enfant en main ― sourd aux plaintes frivoles ―
Comme un frondeur grégeois dans des lanières molles,
Fait tourner une pierre à l’entour de son front.
Il décrivit dans l’ombre un formidable rond,
Et, parmi les torrents de lave incendiaire,
Le précipita nu, la tête la première.
Telle, au gouffre marin tombe une étoile d’or ;
Telle, en un tourbillon d’écume, on voit encor
Plonger, du haut des airs, la mouette aux blanches ailes.
Le soufre ardent jaillit en fauves étincelles,
Tandis qu’on entendait, sous le linceul baveux,
Siffler la chair qui brûle, et craquer les cheveux.
Cependant, par les cieux sans limite et sans voiles,
Sur des gazons semés d’une poudre d’étoiles,
Les fiers olympiens, beaux éternellement
Dans l’orgueil de la force et du contentement,
Écoutaient d’Apollon sonner la grande lyre.
Les déesses, en foule, excitant leur délire,
La blonde Hébé, Cérès, reine des champs herbeux,
Junon, dont l’œil est grand comme celui des bœufs,
Minerve, espoir des forts, Vénus, charme du monde,
Du nectar écumant vidaient l’urne profonde.
Mais, ô Cypris, la coupe échappe de tes doigts,
Tu frémis, et soudain, haletante et sans voix :
« Mon enfant ! » ― Jupiter porte aux pieds des oreilles,
Vénus, au cœur ! ― Déjà six colombes pareilles
Sont prêtes ; un frein d’or luit dans leurs becs rosés ;
Elle part, elle vole aux fourneaux embrasés.
La voûte, à son aspect, s’écarta ; ― la lumière
S’abattit d’un seul coup dans la caverne entière ;
Et, parmi les senteurs de la myrrhe et du nard,
La déesse au front pâle apparut sur son char.
Sans un mot, sans un cri, touchant du pied la terre,
Elle atteignit d’un bond la fournaise... ô mystère !...
O prodige !... la lave au reflet jaune et bleu
Vient lécher son bras nu de ses langues de feu ;
Et, soumis comme un chien qui flaire sa maîtresse,
Le brasier monstrueux doucement la caresse,
Poussant, jusqu’à ses mains, l’enfant mort à demi.
Vulcain désespéré dans son cœur a frémi ;
Son amour croît encore, en la voyant si belle.
« Mon père est roi là-haut ! tu l’apprendras, » dit-elle,
« J’y cours !... »
Et, dans un coin de son voile étoilé,
Elle emportait son fils hurlant et mutilé.
L’époux sentit son âme en deux parts divisée.
Déployant les douceurs d’une langue rusée,
Par des soumissions et des propos plus doux,
Va-t-il de la déesse apaiser le courroux ?
Ou, bravant tous les dieux dont la haine l’accable,
Couvrir d’un mur de fer sa forge inattaquable ?
Soudain, le souvenir de ses malheurs passés
Fait trembler sur son front ses cheveux hérissés ;
Et, retenant Vénus par sa longue tunique :
« Jupiter !... N’y va pas !... Si ma vengeance inique
A comme un ouragan sur ton fils éclaté,
C’est le destin, plus fort que notre volonté !...
N’y va pas !... n’y va pas !... Je garde la mémoire
De ce temps douloureux, si fatal à ma gloire,
Où le fils de Saturne, horrible et sans pitié,
Du haut des cieux ouverts, me lança par le pié,
Si bien que, pantelant, épouvanté, livide,
Je roulai tout un jour par le désert du vide,
Maudissant à jamais l’audace de mon cœur !
Car qui pourrait lutter avec un tel vainqueur ?
Nos projets contre lui sont vains et misérables !
Tais-toi !... je te ferai des dons considérables,
Et tu t’apaiseras, car c’est le mieux encor ;
― Les présents couvrent tout ; ― dans ses balances d’or
Thémis, dont la raison sert de règle à la nôtre,
Met d’un côté l’injure, et les présents de l’autre ;
Et c’est ainsi que vont les hommes et les dieux !
Et je te nommerai ces présents radieux,
Afin que ta poitrine en tressaille de joie ;
Pour tes cheveux flottants, où tout mon cœur se noie,
Je te ferai moi-même, en argent ciselé,
Un bandeau, sur le rond de la lune moulé ;
Et ― j’en jure le Styx, si tu crains l’imposture ! ―
Je te ceindrai les flancs d’une belle ceinture,
Si pleine de vertus et de pouvoirs cachés,
Que les astres du ciel, sur ta tête penchés,
Palpiteront d’amour, dans les hauteurs sans bornes !...
Attends !... j’ai mis ma tête au trou des antres mornes,
J’ai vu dans mes travaux à quelles profondeurs
L’escarboucle de flamme enfouit ses splendeurs,
Et, bien mieux que Mercure aux mains fallacieuses,
Je peux surprendre au nid les pierres précieuses.
À quoi bon ! Je suis lourd, je suis difforme et laid ;
Pour qu’on me veuille aimer, je n’ai pas ce qui plaît,
Et de la terre aux cieux la fable serait sue,
Si j’ornais de colliers ma poitrine bossue !
C’est toi, l’amour !... C’est toi la grâce et la beauté !...
C’est pour toi que la terre, en sa fécondité,
Étage incessamment la floraison des choses.
Par-dessous les rubis, et par-dessus les roses !...
Tais-toi !... »
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Re: Poesie:Louis Bouilhet
amour noir suite
Le petit dieu trépignait cependant.
Labouré par la flamme, à nu sous l’air mordant,
Son corps tout rabougri se tordait sur ses hanches ;
Ses yeux, sous son front noir, faisaient deux taches blanches,
Et son nez s’écrasait en large soupirail ;
Les lèvres dont la lave a terni le corail
Avançaient, comme un mufle, énormes et gonflées,
Tandis que, moutonnant à ses tempes brûlées,
Les cheveux, du zéphyr pour toujours oubliés,
Rappelaient, à les voir, la toison des béliers.
« Regarde !... » dit Vénus. ― le cœur de la déesse
Flottait entre les dons promis et sa tendresse.
Écrasé sous le poids des remords superflus,
Vulcain baissait la tête et ne répondait plus ;
Quand, se frappant le front et relevant sa face :
« J’oubliais ! Calme-toi ! J’ai l’eau qui tout efface,
L’eau de paix et d’oubli qu’on trouve chez les morts.
Son pouvoir sur le cœur s’étend peut-être au corps ?...
Le soir de notre hymen, Pluton me l’a donnée ;
Je l’ai, depuis ce temps, hélas ! Abandonnée
Dans cette peau de chèvre, au flanc large et barbu...
Heureux si tu m’aimais ― ou si j’en avais bu ! »
Et sur l’enfant tout noir dont la tête est baissée,
Il verse du Léthé l’onde épaisse et glacée ;
Vains efforts : la couleur persiste ! Seulement
Le corps a secoué son engourdissement.
Il grandit ; sur les os, dont les moelles frémissent,
Les nerfs sont déployés, les muscles s’affermissent.
Ce n’est plus l’humble enfant, ― c’est un monstre emporté
Dans sa force première et dans sa puberté.
Tous le suivaient des yeux, les narines ouvertes.
Il flairait du dehors l’odeur des forêts vertes,
Et sa bouche qui rit, ténébreuse au dedans,
Montra, comme un éclair, la pâleur de ses dents.
Le petit dieu trépignait cependant.
Labouré par la flamme, à nu sous l’air mordant,
Son corps tout rabougri se tordait sur ses hanches ;
Ses yeux, sous son front noir, faisaient deux taches blanches,
Et son nez s’écrasait en large soupirail ;
Les lèvres dont la lave a terni le corail
Avançaient, comme un mufle, énormes et gonflées,
Tandis que, moutonnant à ses tempes brûlées,
Les cheveux, du zéphyr pour toujours oubliés,
Rappelaient, à les voir, la toison des béliers.
« Regarde !... » dit Vénus. ― le cœur de la déesse
Flottait entre les dons promis et sa tendresse.
Écrasé sous le poids des remords superflus,
Vulcain baissait la tête et ne répondait plus ;
Quand, se frappant le front et relevant sa face :
« J’oubliais ! Calme-toi ! J’ai l’eau qui tout efface,
L’eau de paix et d’oubli qu’on trouve chez les morts.
Son pouvoir sur le cœur s’étend peut-être au corps ?...
Le soir de notre hymen, Pluton me l’a donnée ;
Je l’ai, depuis ce temps, hélas ! Abandonnée
Dans cette peau de chèvre, au flanc large et barbu...
Heureux si tu m’aimais ― ou si j’en avais bu ! »
Et sur l’enfant tout noir dont la tête est baissée,
Il verse du Léthé l’onde épaisse et glacée ;
Vains efforts : la couleur persiste ! Seulement
Le corps a secoué son engourdissement.
Il grandit ; sur les os, dont les moelles frémissent,
Les nerfs sont déployés, les muscles s’affermissent.
Ce n’est plus l’humble enfant, ― c’est un monstre emporté
Dans sa force première et dans sa puberté.
Tous le suivaient des yeux, les narines ouvertes.
Il flairait du dehors l’odeur des forêts vertes,
Et sa bouche qui rit, ténébreuse au dedans,
Montra, comme un éclair, la pâleur de ses dents.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Re: Poesie:Louis Bouilhet
amour noir suite et fin
Vulcain trembla ; Vénus en eut peur, elle-même,
Et, de loin :
« O mon fils, ma douleur est extrême !
Quand j’irais de mon père embrasser les genoux,
Tu ne peux pas, si noir, habiter parmi nous !
Va-t’en vers ces pays inconnus des vieux âges,
Où le soleil plus proche a brûlé les visages.
Là vivent, dans un calme à ma gloire odieux,
Les Éthiopiens visités par les dieux,
Les Nubes vagabonds, nourris du miel des ruches,
Les mangeurs de serpents et les mangeurs d’autruches,
Et les hommes sans tête, et le peuple tout noir
Que l’on entend marcher, sous terre, sans le voir.
Un rempart sablonneux couvre au loin cette engeance.
Mon amour t’y suivra, comme aussi ma vengeance ;
Pars !... ces peuples lointains dont tu seras le roi
N’ont pas courbé leur front sous ma puissante loi.
Abandonnés sans lutte aux pentes naturelles,
Ils ignorent le nom des ardentes querelles ;
Aucun soupçon jaloux ne les vient consumer,
Nul n’a connu, chez eux, les angoisses d’aimer.
Il est temps de fléchir cet orgueil éphémère !
Tu dois un nouveau monde au culte de ta mère.
Pars !... j’armerai tes mains d’inévitables traits.
Du désert flamboyant à la nuit des forêts,
Dans la virginité des grandes solitudes,
Va semer les désirs et les inquiétudes,
Et que tout cœur dompté sente en lui des transports
Brûlants comme ces feux qui t’ont touché le corps ! »
Elle dit. ― aussitôt les colombes fidèles,
Sautelant sous leur joug, avec un grand bruit d’ailes,
Attendent, pour partir, le signal de sa voix.
Mais, rougissant alors pour la première fois,
D’un mouvement de main plein de grâce ingénue,
Cypris, aux forgerons, cache sa gorge nue ;
Et, sur son char de nacre, aux coquilles pareil,
En détournant la tête, étend son corps vermeil.
L’attelage, emporté comme un flocon de neige,
S’élance ― mille oiseaux lui font un long cortége ―
Tantôt fendant les cieux tantôt rasant le sol,
Devers Chypre, à Paphos, il dirige son vol.
Là, cent parfums choisis brûlent pour la déesse,
Là, sous un bois sacré que le zéphyr caresse,
Oublieux des clairons, Mars attend son retour,
Le cœur tout languissant d’un éternel amour...
Longtemps, le fils sans mère, immobile à sa place,
D’un regard consterné la suivit dans l’espace.
Mais quand le char, baigné par les feux du matin,
Disparut tout à coup à l’horizon lointain...
Sans un pleur de ses yeux, sans un cri de sa bouche,
Il sentit l’abandon tomber du ciel farouche ;
Et, vers ce monde étrange où le sort le conduit,
Marcha sous le soleil, sombre comme la nuit !...
― Je te salue, ô toi, premier-né d’Aphrodite,
Dont le règne est perdu dans un autre univers !
Ton histoire aux humains n’a jamais été dite ;
Nul poëte amoureux ne t’a donné ses vers !
Ton nom puissant, formé de syllabes bizarres,
Est un de ceux qu’en vain les savants chercheront.
Il n’a sonné qu’au bruit des instruments barbares,
Autour d’un feu nocturne, où l’on dansait en rond !
Tu n’es pas cet enfant qui voltige à Cythère,
Parmi les bois de myrte et les rosiers fleuris,
Et qui, sa trousse au dos, va guidant par la terre
Le frais essaim des jeux, des grâces et des ris !
Ton temple n’est ouvert, sur tes âpres rivages,
Qu’à des adorateurs prosternés et rampants ;
Car tu sais la vertu des floraisons sauvages,
Et tes dards sont trempés au venin des serpents !
Dans tes jardins, ô roi, les panthères en troupes
À côté des lions dorment sous le soleil ;
D’immenses aloès tendent, comme des coupes,
Aux pithons monstrueux, leur calice vermeil ;
Et quand, parfois armé de tes plus sûrs dictames,
Tu veux de ton empire explorer les détours,
Ton char sombre est conduit par des hippopotames
Dont on entend ronfler la narine aux poils courts.
Tu vas ; sur ton chemin, bondissent les gazelles ;
Le tigre, en miaulant, vient lécher ton pied noir ;
Les pélicans goîtreux, avec leurs lourdes ailes,
Du haut des cieux profonds descendent pour te voir.
Et pour te voir aussi, levant leurs fronts difformes,
Les crocodiles verts et les grands lézards mous
Coulent entre les pieds des éléphants énormes,
Hideux torrent d’écaille, aux sinistres remous !
Mais toi, silencieux comme la destinée,
Tu passes ― étendu sur ton lit de roseaux ―
Sans retourner jamais ta tête couronnée
De coquillages blancs et de plumes d’oiseaux !
Vulcain trembla ; Vénus en eut peur, elle-même,
Et, de loin :
« O mon fils, ma douleur est extrême !
Quand j’irais de mon père embrasser les genoux,
Tu ne peux pas, si noir, habiter parmi nous !
Va-t’en vers ces pays inconnus des vieux âges,
Où le soleil plus proche a brûlé les visages.
Là vivent, dans un calme à ma gloire odieux,
Les Éthiopiens visités par les dieux,
Les Nubes vagabonds, nourris du miel des ruches,
Les mangeurs de serpents et les mangeurs d’autruches,
Et les hommes sans tête, et le peuple tout noir
Que l’on entend marcher, sous terre, sans le voir.
Un rempart sablonneux couvre au loin cette engeance.
Mon amour t’y suivra, comme aussi ma vengeance ;
Pars !... ces peuples lointains dont tu seras le roi
N’ont pas courbé leur front sous ma puissante loi.
Abandonnés sans lutte aux pentes naturelles,
Ils ignorent le nom des ardentes querelles ;
Aucun soupçon jaloux ne les vient consumer,
Nul n’a connu, chez eux, les angoisses d’aimer.
Il est temps de fléchir cet orgueil éphémère !
Tu dois un nouveau monde au culte de ta mère.
Pars !... j’armerai tes mains d’inévitables traits.
Du désert flamboyant à la nuit des forêts,
Dans la virginité des grandes solitudes,
Va semer les désirs et les inquiétudes,
Et que tout cœur dompté sente en lui des transports
Brûlants comme ces feux qui t’ont touché le corps ! »
Elle dit. ― aussitôt les colombes fidèles,
Sautelant sous leur joug, avec un grand bruit d’ailes,
Attendent, pour partir, le signal de sa voix.
Mais, rougissant alors pour la première fois,
D’un mouvement de main plein de grâce ingénue,
Cypris, aux forgerons, cache sa gorge nue ;
Et, sur son char de nacre, aux coquilles pareil,
En détournant la tête, étend son corps vermeil.
L’attelage, emporté comme un flocon de neige,
S’élance ― mille oiseaux lui font un long cortége ―
Tantôt fendant les cieux tantôt rasant le sol,
Devers Chypre, à Paphos, il dirige son vol.
Là, cent parfums choisis brûlent pour la déesse,
Là, sous un bois sacré que le zéphyr caresse,
Oublieux des clairons, Mars attend son retour,
Le cœur tout languissant d’un éternel amour...
Longtemps, le fils sans mère, immobile à sa place,
D’un regard consterné la suivit dans l’espace.
Mais quand le char, baigné par les feux du matin,
Disparut tout à coup à l’horizon lointain...
Sans un pleur de ses yeux, sans un cri de sa bouche,
Il sentit l’abandon tomber du ciel farouche ;
Et, vers ce monde étrange où le sort le conduit,
Marcha sous le soleil, sombre comme la nuit !...
― Je te salue, ô toi, premier-né d’Aphrodite,
Dont le règne est perdu dans un autre univers !
Ton histoire aux humains n’a jamais été dite ;
Nul poëte amoureux ne t’a donné ses vers !
Ton nom puissant, formé de syllabes bizarres,
Est un de ceux qu’en vain les savants chercheront.
Il n’a sonné qu’au bruit des instruments barbares,
Autour d’un feu nocturne, où l’on dansait en rond !
Tu n’es pas cet enfant qui voltige à Cythère,
Parmi les bois de myrte et les rosiers fleuris,
Et qui, sa trousse au dos, va guidant par la terre
Le frais essaim des jeux, des grâces et des ris !
Ton temple n’est ouvert, sur tes âpres rivages,
Qu’à des adorateurs prosternés et rampants ;
Car tu sais la vertu des floraisons sauvages,
Et tes dards sont trempés au venin des serpents !
Dans tes jardins, ô roi, les panthères en troupes
À côté des lions dorment sous le soleil ;
D’immenses aloès tendent, comme des coupes,
Aux pithons monstrueux, leur calice vermeil ;
Et quand, parfois armé de tes plus sûrs dictames,
Tu veux de ton empire explorer les détours,
Ton char sombre est conduit par des hippopotames
Dont on entend ronfler la narine aux poils courts.
Tu vas ; sur ton chemin, bondissent les gazelles ;
Le tigre, en miaulant, vient lécher ton pied noir ;
Les pélicans goîtreux, avec leurs lourdes ailes,
Du haut des cieux profonds descendent pour te voir.
Et pour te voir aussi, levant leurs fronts difformes,
Les crocodiles verts et les grands lézards mous
Coulent entre les pieds des éléphants énormes,
Hideux torrent d’écaille, aux sinistres remous !
Mais toi, silencieux comme la destinée,
Tu passes ― étendu sur ton lit de roseaux ―
Sans retourner jamais ta tête couronnée
De coquillages blancs et de plumes d’oiseaux !
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Sur la première page d’un album
Quoi ! Vous voulez que, le premier,
Au seuil blanc de ce beau cahier,
Je me pavane et me prélasse
Juste à l’endroit prétentieux
Où doivent tomber tous les yeux,
Sitôt qu’on entre dans la place ?
Ma foi ! sans chercher d’argument
Je m’exécute bravement ;
Les gens en riront, mais qu’importe ?
Mes vers mis de cette façon
Peuvent servir de paillasson :
« Essuyez vos pieds à la porte ! »
Au seuil blanc de ce beau cahier,
Je me pavane et me prélasse
Juste à l’endroit prétentieux
Où doivent tomber tous les yeux,
Sitôt qu’on entre dans la place ?
Ma foi ! sans chercher d’argument
Je m’exécute bravement ;
Les gens en riront, mais qu’importe ?
Mes vers mis de cette façon
Peuvent servir de paillasson :
« Essuyez vos pieds à la porte ! »
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
à ma belle lectrice
Oh ! Votre voix sonnait brève, lente ou pressée,
Suivant les passions et les rhythmes divers,
Puis, s'échappant soudain légère et cadencée,
Sautait, comme un oiseau, sur les branches du vers !
Moi - j'écoutais - perdu dans de lointains concerts,
Ma pauvre poésie à vos lèvres bercée :
Heureux de voir glisser mon âme et ma pensée
Dans votre souffle ardent qui remuait les airs !
Et j'oubliai bientôt - pardonnez mon délire -
Paulus et Mélaenis, Commodus et l'empire,
Pour regarder les plis de votre vêtement,
Votre front doux et fier, votre prunelle noire,
Songeant que j'étais fou de réveiller l'histoire,
Quand j'avais sous les yeux un poëme charmant !
Février 1852.
Suivant les passions et les rhythmes divers,
Puis, s'échappant soudain légère et cadencée,
Sautait, comme un oiseau, sur les branches du vers !
Moi - j'écoutais - perdu dans de lointains concerts,
Ma pauvre poésie à vos lèvres bercée :
Heureux de voir glisser mon âme et ma pensée
Dans votre souffle ardent qui remuait les airs !
Et j'oubliai bientôt - pardonnez mon délire -
Paulus et Mélaenis, Commodus et l'empire,
Pour regarder les plis de votre vêtement,
Votre front doux et fier, votre prunelle noire,
Songeant que j'étais fou de réveiller l'histoire,
Quand j'avais sous les yeux un poëme charmant !
Février 1852.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Baiser de muse
Je l’ai gardé ce bon baiser de muse !
Comme une perle, il rayonne à mon front ;
Et désormais, qu’on me flatte ou m’accuse,
Sans l’effacer les soucis passeront.
Je l’ai gardé ce baiser de poëte !
Comme un bon vin qui réchauffe au départ,
Quand sur le seuil, au chant de l’alouette,
Le cheval brun hennit dans le brouillard !
Je l’ai gardé dans mon âme sereine
Comme un espoir et comme un souvenir...
Alain Chartier eut un baiser de reine,
Mais de plus haut un baiser peut venir !
Je l’ai gardé, comme ces amulettes
Qui font le cœur plus solide ; ― et pourtant,
Bien qu’il soit sot de songer à ses dettes,
Que je voudrais vous le rendre au comptant !
Comme une perle, il rayonne à mon front ;
Et désormais, qu’on me flatte ou m’accuse,
Sans l’effacer les soucis passeront.
Je l’ai gardé ce baiser de poëte !
Comme un bon vin qui réchauffe au départ,
Quand sur le seuil, au chant de l’alouette,
Le cheval brun hennit dans le brouillard !
Je l’ai gardé dans mon âme sereine
Comme un espoir et comme un souvenir...
Alain Chartier eut un baiser de reine,
Mais de plus haut un baiser peut venir !
Je l’ai gardé, comme ces amulettes
Qui font le cœur plus solide ; ― et pourtant,
Bien qu’il soit sot de songer à ses dettes,
Que je voudrais vous le rendre au comptant !
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
la source
Ils diront, mesurant la profondeur de l’onde
Et l’horizon bleuâtre où la vague se perd :
« Quel est ce fleuve étrange, épandu sur le monde,
Pur comme le cristal et grand comme la mer ?
Sans doute, il vient des monts avec un bruit immense ;
Il tombe des sommets où l’aigle fait son nid ;
Ou du fond des déserts il s’allonge en silence,
Comme un serpent d’azur sur le sable jauni ! »
Ni des monts escarpés ! ni du désert aride !
Passez votre chemin, voyageurs curieux ;
La source du grand fleuve est cette perle humide
Que j’ai bue au départ, en baisant ses beaux yeux !
Et l’horizon bleuâtre où la vague se perd :
« Quel est ce fleuve étrange, épandu sur le monde,
Pur comme le cristal et grand comme la mer ?
Sans doute, il vient des monts avec un bruit immense ;
Il tombe des sommets où l’aigle fait son nid ;
Ou du fond des déserts il s’allonge en silence,
Comme un serpent d’azur sur le sable jauni ! »
Ni des monts escarpés ! ni du désert aride !
Passez votre chemin, voyageurs curieux ;
La source du grand fleuve est cette perle humide
Que j’ai bue au départ, en baisant ses beaux yeux !
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Europe
Quand, sur le grand taureau, tu fendais les flots bleus,
Vierge phénicienne, Europe toujours belle,
La mer, soumise au Dieu, baisait ton pied rebelle,
Le vent n'osait qu'à peine effleurer tes cheveux !
Un amant plus farouche, un monstre au cou nerveux
T'emporte, maintenant, dans sa course éternelle ;
La rafale, en fureur, te meurtrit de son aile ;
La vague, à ton flanc pur, colle ses plis baveux !
Tes compagnes, de loin, pleurent sur le rivage,
Et, jetant leur prière à l'océan sauvage,
Dans la paix du Passé veulent te retenir.
Mais tu suis, à travers l'immensité sans bornes,
Pâle, et les bras crispés à l'airain de ses cornes,
Ce taureau mugissant qu'on nomme l'Avenir !..
Vierge phénicienne, Europe toujours belle,
La mer, soumise au Dieu, baisait ton pied rebelle,
Le vent n'osait qu'à peine effleurer tes cheveux !
Un amant plus farouche, un monstre au cou nerveux
T'emporte, maintenant, dans sa course éternelle ;
La rafale, en fureur, te meurtrit de son aile ;
La vague, à ton flanc pur, colle ses plis baveux !
Tes compagnes, de loin, pleurent sur le rivage,
Et, jetant leur prière à l'océan sauvage,
Dans la paix du Passé veulent te retenir.
Mais tu suis, à travers l'immensité sans bornes,
Pâle, et les bras crispés à l'airain de ses cornes,
Ce taureau mugissant qu'on nomme l'Avenir !..
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Musique
Quand le vieil Amphion, la cithare à la main,
Bâtissait les remparts de la ville thébaine ;
Quand le bon Josué, soufflant à perdre haleine,
Ébranlait Jéricho de sa trompe d’airain ;
Certe ils avaient tous deux le rhythme souverain,
Bien qu’un effet contraire ait couronné leur peine ;
Et tous deux ont touché, poëte et capitaine,
À des buts différents, par le même chemin.
Amphion ! Josué ! Musiciens antiques !
Le temps n’a pas brisé vos instruments magiques,
Prévoyant qu’après vous d’autres s’en serviraient.
Mais, hélas ! Dans nos jours aux muses difficiles,
Pour un ou deux chanteurs qui bâtiraient des villes,
Comme on en peut nommer qui les renverseraient !
Bâtissait les remparts de la ville thébaine ;
Quand le bon Josué, soufflant à perdre haleine,
Ébranlait Jéricho de sa trompe d’airain ;
Certe ils avaient tous deux le rhythme souverain,
Bien qu’un effet contraire ait couronné leur peine ;
Et tous deux ont touché, poëte et capitaine,
À des buts différents, par le même chemin.
Amphion ! Josué ! Musiciens antiques !
Le temps n’a pas brisé vos instruments magiques,
Prévoyant qu’après vous d’autres s’en serviraient.
Mais, hélas ! Dans nos jours aux muses difficiles,
Pour un ou deux chanteurs qui bâtiraient des villes,
Comme on en peut nommer qui les renverseraient !
davidof- Nombre de messages : 2697
loisirs : pêche, voyage, music...
Date d'inscription : 21/05/2008
Sombre églogue
Sombre églogue
Le Voyageur.
L’ombre sans lune a couvert la campagne ;
Où t’en vas-tu, pâtre silencieux ?
Le Pâtre.
O voyageur, le souci m’accompagne,
Et, quand tout dort, je marche sous les cieux.
Le Voyageur.
Sans voix qui bêle et sans grelot qui sonne,
Ton noir troupeau s’allonge dans la nuit !...
Le Pâtre.
O voyageur, ne le dis à personne,
Il est muet le troupeau qui me suit !
Le Voyageur.
Ce ne sont donc ni des bœufs ni des chèvres
Que tu conduis, ô pâtre, avant le jour ?
Ce chalumeau tout usé par tes lèvres
Ne sait donc pas quelque refrain d’amour ?
Le Pâtre.
J’ai dans ma flûte un refrain lamentable ;
J’ai dans mon âme un hymne de douleurs
Qui fait, en cercle, autour de mon étable,
Tomber les nids et se faner les fleurs !
Le Voyageur.
Mais... ce troupeau ! qu’ai-je vu ?... Je frissonne !...
Spectres hideux, à la tombe échappés !
Le Pâtre.
O voyageur, ne le dis à personne,
C’est le troupeau de mes désirs trompés !
Le Voyageur.
Ciel ! Comme on voit, là-bas, grandir la foule !
Leur nombre échappe à mes regards perclus !
Le Pâtre.
Ne compte pas ! Chaque instant qui s’écoule
Derrière moi, laisse un monstre de plus.
Le Voyageur.
Quel Dieu t’enchaîne à ce troupeau farouche ?
Viens, ô berger, dans nos vallons fleuris,
Un rossignol chante au bord de ma couche,
Mon toit de paille est tout brodé d’iris !...
Le Pâtre.
Oh ! Voyageur, dans tes vallons fidèles
Je ne veux pas montrer ce front pâli.
Nous allons paître au champ des asphodèles,
Nous allons boire aux fleuves de l’oubli !
Le Voyageur.
L’ombre sans lune a couvert la campagne ;
Où t’en vas-tu, pâtre silencieux ?
Le Pâtre.
O voyageur, le souci m’accompagne,
Et, quand tout dort, je marche sous les cieux.
Le Voyageur.
Sans voix qui bêle et sans grelot qui sonne,
Ton noir troupeau s’allonge dans la nuit !...
Le Pâtre.
O voyageur, ne le dis à personne,
Il est muet le troupeau qui me suit !
Le Voyageur.
Ce ne sont donc ni des bœufs ni des chèvres
Que tu conduis, ô pâtre, avant le jour ?
Ce chalumeau tout usé par tes lèvres
Ne sait donc pas quelque refrain d’amour ?
Le Pâtre.
J’ai dans ma flûte un refrain lamentable ;
J’ai dans mon âme un hymne de douleurs
Qui fait, en cercle, autour de mon étable,
Tomber les nids et se faner les fleurs !
Le Voyageur.
Mais... ce troupeau ! qu’ai-je vu ?... Je frissonne !...
Spectres hideux, à la tombe échappés !
Le Pâtre.
O voyageur, ne le dis à personne,
C’est le troupeau de mes désirs trompés !
Le Voyageur.
Ciel ! Comme on voit, là-bas, grandir la foule !
Leur nombre échappe à mes regards perclus !
Le Pâtre.
Ne compte pas ! Chaque instant qui s’écoule
Derrière moi, laisse un monstre de plus.
Le Voyageur.
Quel Dieu t’enchaîne à ce troupeau farouche ?
Viens, ô berger, dans nos vallons fleuris,
Un rossignol chante au bord de ma couche,
Mon toit de paille est tout brodé d’iris !...
Le Pâtre.
Oh ! Voyageur, dans tes vallons fidèles
Je ne veux pas montrer ce front pâli.
Nous allons paître au champ des asphodèles,
Nous allons boire aux fleuves de l’oubli !
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
Une soirée
Dix-huit ans ! ― Vous croyez ?… c’est le plus !… Blanche et rose,
Comme un pêcher fleuri que l’eau du ciel arrose,
Sous ses cheveux bouclés, elle allongeait son cou
Et ses grands regards bleus allaient on ne sait où.
C’était un bal mêlé d’art ;
Une demoiselle
Mûre, et pour « ces messieurs » déployant un beau zèle,
Avec des soubresauts de la tête et du corps,
Sur un piano sourd varlopait des accords…
En cercle, l’œil béant, près de la cheminée,
Les mamans avalaient la musique ordonnée,
Et l’enfant blanche et rose, en extase, écoutait…
Car, la main sur son cœur, un notaire chantait !
Il chantait ― oublieux du contrat qui sommeille ―
Je ne sais quel bateau, quelle étoile vermeille.
Quels chérubins frisés voltigeant dans l’azur !
C’était si doux ! C’était si vrai ! C’était si pur !
Les âmes y versaient tant d’amour ! « La Madone »
Rimait si gentiment avec « la fleur qu’on donne, »
Que j’avais peur de voir, pendant ce frais débit,
Germer des plumes d’ange au dos de son habit !…
Un employé rêveur murmurait : « Fantaisies !… »
― O misère !… en dépit des fausses poésies,
Malgré l’air bête et lourd du monsieur qui chantait,
L’enfant songeait, l’enfant écoutait, palpitait.
Son pauvre petit cœur gonflé de convoitises
Partait pour l’infini ― sur l’aile des sottises.
Et ce salon bourgeois, dont on se souviendra,
Prenait, à ses regards, des splendeurs d’Alhambra !
Comme un pêcher fleuri que l’eau du ciel arrose,
Sous ses cheveux bouclés, elle allongeait son cou
Et ses grands regards bleus allaient on ne sait où.
C’était un bal mêlé d’art ;
Une demoiselle
Mûre, et pour « ces messieurs » déployant un beau zèle,
Avec des soubresauts de la tête et du corps,
Sur un piano sourd varlopait des accords…
En cercle, l’œil béant, près de la cheminée,
Les mamans avalaient la musique ordonnée,
Et l’enfant blanche et rose, en extase, écoutait…
Car, la main sur son cœur, un notaire chantait !
Il chantait ― oublieux du contrat qui sommeille ―
Je ne sais quel bateau, quelle étoile vermeille.
Quels chérubins frisés voltigeant dans l’azur !
C’était si doux ! C’était si vrai ! C’était si pur !
Les âmes y versaient tant d’amour ! « La Madone »
Rimait si gentiment avec « la fleur qu’on donne, »
Que j’avais peur de voir, pendant ce frais débit,
Germer des plumes d’ange au dos de son habit !…
Un employé rêveur murmurait : « Fantaisies !… »
― O misère !… en dépit des fausses poésies,
Malgré l’air bête et lourd du monsieur qui chantait,
L’enfant songeait, l’enfant écoutait, palpitait.
Son pauvre petit cœur gonflé de convoitises
Partait pour l’infini ― sur l’aile des sottises.
Et ce salon bourgeois, dont on se souviendra,
Prenait, à ses regards, des splendeurs d’Alhambra !
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
L'aloès
Il poussait, à l’écart, plein d’un immense ennui,
Sinistre, hérissé, comme pour les querelles.
L’abeille, en frissonnant, se détournait de lui ;
Les fleurs le regardaient et chuchotaient entre elles.
― « D’où vient qu’il est morose et n’épanouit pas
Son calice odorant sous le baiser des brises ?
Au mois des papillons, a-t-il peur des frimas ? »
Demandait la pervenche aux jacinthes surprises.
― « Il est donc sourd ? » disaient les rosiers éclatants ;
― « Aveugle ? » murmurait l’œillet à rouge crête ;
« Il n’entend pas tinter la cloche du printemps,
Il ne voit pas le ciel dans ses habits de fête ! »
Au bruit de leurs discours, le monstre qui dormait
Leva sa tête étrange, avec un long murmure,
Et, tout autour de lui, de la base au sommet,
Son feuillage acéré sonna comme une armure :
― « Pauvres petites fleurs, que je verrai mourir,
« Je ne suis pas gonflé d’une sève ordinaire,
« Mon calice effrayant met un siècle à s’ouvrir,
« Et mes éclosions sont des coups de tonnerre !
Sinistre, hérissé, comme pour les querelles.
L’abeille, en frissonnant, se détournait de lui ;
Les fleurs le regardaient et chuchotaient entre elles.
― « D’où vient qu’il est morose et n’épanouit pas
Son calice odorant sous le baiser des brises ?
Au mois des papillons, a-t-il peur des frimas ? »
Demandait la pervenche aux jacinthes surprises.
― « Il est donc sourd ? » disaient les rosiers éclatants ;
― « Aveugle ? » murmurait l’œillet à rouge crête ;
« Il n’entend pas tinter la cloche du printemps,
Il ne voit pas le ciel dans ses habits de fête ! »
Au bruit de leurs discours, le monstre qui dormait
Leva sa tête étrange, avec un long murmure,
Et, tout autour de lui, de la base au sommet,
Son feuillage acéré sonna comme une armure :
― « Pauvres petites fleurs, que je verrai mourir,
« Je ne suis pas gonflé d’une sève ordinaire,
« Mon calice effrayant met un siècle à s’ouvrir,
« Et mes éclosions sont des coups de tonnerre !
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
le sang des géants
Quand les Géants tordus sous la foudre qui gronde
Eurent enfin payé leurs complots hasardeux,
La terre but le sang qui stagnait autour d'eux
Comme un linceul de pourpre étalé sur le monde.
le sang des géants
On dit que, prise alors d'une pitié profonde,
Elle cria « Vengeance ! » et, pour punir les Dieux,
Fit du sable fumant sortir le cep joyeux
D'où l'orgueil indompté coule à flots comme une onde.
De là cette colère et ces fougueux transports
Dès que l'homme ici-bas goûte à ce sang des morts
Qui garde jusqu'à nous sa rancune éternelle.
Ô vigne, ton audace a gonflé nos poumons
Et sous ton noir ferment de haine originelle
Bout encor le désir d'escalader les monts.
Eurent enfin payé leurs complots hasardeux,
La terre but le sang qui stagnait autour d'eux
Comme un linceul de pourpre étalé sur le monde.
le sang des géants
On dit que, prise alors d'une pitié profonde,
Elle cria « Vengeance ! » et, pour punir les Dieux,
Fit du sable fumant sortir le cep joyeux
D'où l'orgueil indompté coule à flots comme une onde.
De là cette colère et ces fougueux transports
Dès que l'homme ici-bas goûte à ce sang des morts
Qui garde jusqu'à nous sa rancune éternelle.
Ô vigne, ton audace a gonflé nos poumons
Et sous ton noir ferment de haine originelle
Bout encor le désir d'escalader les monts.
nadia ibrahimi- Nombre de messages : 1223
Date d'inscription : 18/07/2008
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