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Albert SAMAIN

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Albert SAMAIN Empty Albert SAMAIN

Message par nisrine nacer Mer 31 Mar - 7:53

Destins

O femme, chair tragique, exquisement amère,
Femme, notre mépris sublime et notre Dieu,
O monstre de douceur, et cavale de feu,
Qui galopes plus vite encor que la Chimère.

Femme, qui nous attends dans l'ombre au coin du bois,
Quand, chevaliers d'avril, en nos armures neuves
Nous allons vers la vie, et descendons les fleuves
En bateaux pavoisés, le rameau vert aux doigts.

L'oriflamme Espérance aux fraîcheurs matinales
Ondule, et nous ouvrons dans le matin sacré
Nos yeux brillants encor de n'avoir pas pleuré,
Nos yeux promis un jour à tes fêtes fatales.

Aux mirages de l'art, aux froissements du fer,
Le sang rouge à torrents en nous se précipite,
Et notre âme se gonfle, et s'élance, et palpite
Vers l'infini, comme aux approches de la mer !

Toi, debout au miroir et dominant la vie,
Tu peignes tes cheveux splendides lentement,
Et, pour nous voir passer, tu tournes un moment
Tes yeux d'enfant féroce, à qui tout fait envie.

Fleur chaude, fleur de chair balançant ton poison,
Tu te souris, tordant ta nudité hautaine,
Et déjà les parfums de ta robe lointaine
Nagent comme une haleine ardente à l'horizon,

A l'horizon d'espoir et de rêves sublimes,
D'obstacles à franchir d'un orgueil irrité,
Et de sommets divins, où se cabre, indompté,
Le grand cheval ailé, qui hennit aux abÎmes !

Ah! tu la connais bien, sphynx avide et moqueur,
Cette folle aux yeux d'or qu'à vingt ans l'on épouse,
La Gloire, femme aussi... Lève-toi donc, jalouse,
Debout, et plante-nous ta frénésie au coeur !

Rampe au long des buissons, darde tes yeux de flamme.
Un regard, et déjà la chair folle s'émeut ;
Un sourire, et l'alcool de nos sens a pris feu ;
Un baiser, et tes dents ont mordu dans notre âme !

A Toi, va, maintenant les sublimes, les fous,
Tous ceux qui s'en allaient aux fêtes inconnues.
Archanges déplumés, précipités des nues,
Oh ! comme les voilà rampants à tes genoux !

Tout leur coeur altéré râle vers ta peau rose,
D'où rayonne un désir électrique et brutal.
L'horizon lumineux sombre en un soir fatal,
Et voici s'effondrer la grande apothéose...

Toi cependant, trônant aux ténèbres du lit,
Tu berces leur vieux rêve éteint dans ta chair sourde,
Et tu caches le monde à leur paupière lourde
Avec tes longs cheveux de langueur et d'oubli.

Ta chair est leur soleil ; tes pieds nus sont leur gloire ;
Et ton sein tiède est une mer aux vagues d'or,
Où leur coeur de tendresse et d'infini s'endort
Sous tes yeux, où s'allume une sombre victoire.

Pour toi seule, à jamais, à jamais, sans remords,
Chante leur sang brûlé par le feu de ta bouche,
Et, souriant du haut de ton orgueil farouche,
Tu refermes sur eux, douce enfin à leur mort,

Tes bras, tes bras profonds et doux comme la mort
nisrine nacer
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Albert SAMAIN Empty DILECTION

Message par nisrine nacer Mer 31 Mar - 7:54

Dilection



J'adore l'indécis, les sons, les couleurs frêles,
Tout ce qui tremble, ondule, et frissonne, et chatoie :
Les cheveux et les yeux, l'eau, les feuilles, la soie,
Et la spiritualité des formes grêles ;

Les rimes se frôlant comme des tourterelles,
La fumée où le songe en spirales tournoie,
La chambre au crépuscule, où Son profil se noie,
Et la caresse de Ses mains surnaturelles ;

L'heure de ciel au long des lèvres câlinée,
L'âme comme d'un poids de délice inclinée,
L'âme qui meurt ainsi qu'une rose fanée,

Et tel coeur d'ombre chaste, embaumé de mystère,
Où veille, comme le rubis d'un lampadaire,
Nuit et jour, un amour mystique et solitaire.
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Albert SAMAIN Empty ...COMME UN OISEAU

Message par nisrine nacer Mer 31 Mar - 7:56

Blotti comme un oiseau



Blotti comme un oiseau frileux au fond du nid,
Les yeux sur ton profil, je songe à l’infini...

Immobile sur les coussins brodés, j’évoque
L’enchantement ancien, la radieuse époque,
Et les rêves au ciel de tes yeux verts baignés !

Et je revis, parmi les objets imprégnés
De ton parfum intime et cher, l’ancienne année
Celle qui flotte encor dans ta robe fanée...

Je t’aime ingénument. Je t’aime pour te voir.
Ta voix me sonne au coeur comme un chant dans le soir.
Et penché sur ton cou, doux comme les calices,
J’épuise goutte à goutte, en amères délices,
Pendant que mon soleil décroît à l’horizon
Le charme douloureux de l’arrière-saison.
nisrine nacer
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Albert SAMAIN Empty CE SOIR

Message par nisrine nacer Mer 31 Mar - 7:57

Ce soir, ta chair malade ...



Ce soir, ta chair malade a des langueurs inertes ;
Entre tes doigts fiévreux meurent tes beaux glaïeuls ;
Ce soir, l’orage couve, et l’odeur des tilleuls
Fait pâlir par instants tes lèvres entr’ouvertes.

Les yeux plongeant au fond des campagnes désertes,
Nous sentons croître en nous, sous la nue en linceuls,
Cette solennité tragique d’être seuls ;
Et nos voix d’un mystère anxieux sont couvertes.

Parfois brille, livide, un éclair de chaleur ;
Et sa clarté subite, inondant ta pâleur,
Te donne la beauté fatale des sibylles.

L’ombre devient plus chaude et plus sinistre encor,
Et, brûlant dans l’air noir, nos âmes immobiles
Sont comme deux flambeaux qui veilleraient un mort
nisrine nacer
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Albert SAMAIN Empty CHANSON VIOLETTE

Message par nisrine nacer Mer 31 Mar - 7:59

Chanson violette



Et ce soir-là, je ne sais,
Ma douce, à quoi tu pensais,
Toute triste,
Et voilée en ta pâleur,
Au bord de l'étang couleur
D'améthyste.

Tes yeux ne me voyaient point ;
Ils étaient enfuis loin, loin
De la terre ;
Et je sentais, malgré toi,
Que tu marchais près de moi,
Solitaire.

Le bois était triste aussi,
Et du feuillage obscurci,
Goutte à goutte,
La tristesse de la nuit,
Dans nos coeurs noyés d'ennui,
Tombait toute...

Dans la brume un cor sonna ;
Ton âme alors frissonna,
Et, sans crise,
Ton coeur défaillit, mourant,
Comme un flacon odorant
Qui se brise.

Et, lentement, de tes yeux
De grands pleurs silencieux,
Taciturnes,
Tombèrent comme le flot
Qui tombe, éternel sanglot,
Dans les urnes.

Nous revînmes à pas lents.
Les crapauds chantaient, dolents,
Sous l'eau morte ;
Et j'avais le coeur en deuil
En t'embrassant sur le seuil
De ta porte.

Depuis, je n'ai point cherché
Le secret encor caché
De ta peine...
Il est des soirs de rancoeur
Où la fontaine du coeur
Est si pleine !

Fleur sauvage entre les fleurs,
Va, garde au fond de tes pleurs
Ton mystère ;
Il faut au lis de l'amour
L'eau des yeux pour vivre un jour
Sur la terre.
nisrine nacer
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Albert SAMAIN Empty COMME UNE GRANDE FLEUR

Message par nisrine nacer Mer 31 Mar - 8:00

Comme une grande fleur ...



Comme une grande fleur trop lourde qui défaille,
Parfois, toute en mes bras, tu renverses ta taille
Et plonges dans mes yeux tes beaux yeux verts ardents,
Avec un long sourire où miroitent tes dents...
Je t’enlace ; j’ai comme un peu de l’âpre joie
Du fauve frémissant et fier qui tient sa proie.
Tu souris... je te tiens pâle et l’âme perdue
De se sentir au bord du bonheur suspendue,
Et toujours le désir pareil au coeur me mord
De t’emporter ainsi, vivante, dans la mort.
Incliné sur tes yeux où palpite une flamme
Je descends, je descends, on dirait, dans ton âme...
De ta robe entr’ouverte aux larges plis flottants,
Où des éclairs de peau reluisent par instants,
Un arôme charnel où le désir s’allume
Monte à longs flots vers moi comme un parfum qui fume.
Et, lentement, les yeux clos, pour mieux m’en griser,
Je cueille sur tes dents la fleur de ton baiser ! ...
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Albert SAMAIN Empty DANS L'AIR FRAIS DU MATIN

Message par nisrine nacer Mer 31 Mar - 8:12

Dans l'air frais du matin ...



Dans l'air frais du matin où s'effare la feuille,
Dans la jeune clarté des jours roses et bleus,
Dans la nuit solennelle et pure où se recueille
L'âme présente encor des bergers fabuleux,

Dans le cristal des eaux, dans le velours des mousses
Dans l'innocence en fleur des jardins radieux,
Dans le concert que font toutes les choses douces,
Je retrouve, ô ma soeur, la douceur de tes Yeux.

Le printemps odorant la divine féerie,
Le renouveau fêtant sa jeune volupté
S'incarne pour mon coeur dans ta robe fleurie
Et dans ton corps exquis comme un rêve sculpté.

Les Parfums, les Couleurs, la tendresse de vivre,
Le mois vierge baigné de souffles et d'encens,
L'enluminure d'or aux marges du Vieux Livre,
O mon âme, c'est dans ton coeur que je les sens.

Le désir qui palpite à travers la nature
Et s'élance en festons étoilés dans les bois,
Je le sens frissonner parmi ta chevelure
Et je le vibre entier, rien qu'à serrer tes doigts.

Ce qui couve d'ardeurs suaves et de fièvres
Au sein mystérieux de la création
Se ramasse en mon coeur pour jaillir vers tes lèvres
Et ruisseler dans l'ombre en adoration.

Voici venir les temps où tu marches déesse,
Où la rose d'amour fleurit à tes seins blancs,
Où ton nom murmuré fiance une caresse
A la suavité des narcisses tremblants.

Voici venir les temps où tes beaux yeux limpides
Semblent plus clairs encore et plus profonds qu'hier,
Et versent à mon coeur plein de songes virides
L'ivresse d'un lever de lune sur la mer.

Et les fleurs sont tes yeux, et la lumière blonde
Ton sourire, et le ciel bleu-frêle ta douceur,
Et tout l'amour fumant de l'encensoir du monde
Ta lèvre sur mon âme appuyée, ô ma soeur.
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Albert SAMAIN Empty je rêve...

Message par nisrine nacer Mer 31 Mar - 8:18

Je rêve de vers doux ...



Je rêve de vers doux et d'intimes ramages,
De vers à frôler l'âme ainsi que des plumages,

De vers blonds où le sens fluide se délie
Comme sous l'eau la chevelure d'Ophélie,

De vers silencieux, et sans rythme et sans trame
Où la rime sans bruit glisse comme une rame,

De vers d'une ancienne étoffe, exténuée,
Impalpable comme le son et la nuée,

De vers de soir d'automne ensorcelant les heures
Au rite féminin des syllabes mineures.

De vers de soirs d'amour énervés de verveine,
Où l'âme sente, exquise, une caresse à peine...

Je rêve de vers doux mourant comme des roses.
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Albert SAMAIN Empty L'hermaphrodite

Message par nisrine nacer Mer 31 Mar - 8:20

L'Hermaphrodite



Vers l'archipel limpide, où se mirent les Iles,
L'Hermaphrodite nu, le front ceint de jasmin,
Épuise ses yeux verts en un rêve sans fin ;
Et sa souplesse torse empruntée aux reptiles,

Sa cambrure élastique, et ses seins érectiles
Suscitent le désir de l'impossible hymen.
Et c'est le monstre éclos, exquis et surhumain,
Au ciel supérieur des formes plus subtiles.

La perversité rôde en ses courts cheveux blonds.
Un sourire éternel, frère des soirs profonds,
S'estompe en velours d'ombre à sa bouche ambiguë ;

Et sur ses pâles chairs se traîne avec amour
L'ardent soleil païen, qui l'a fait naître un jour
De ton écume d'or, ô Beauté suraiguë.
nisrine nacer
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Albert SAMAIN Empty la chimère

Message par nisrine nacer Mer 31 Mar - 8:20

La chimère



La chimère a passé dans la ville où tout dort,
Et l’homme en tressaillant a bondi de sa couche
Pour suivre le beau monstre à la démarche louche
Qui porte un ciel menteur dans ses larges yeux d’or.

Vieille mère, enfants, femme, il marche sur leurs corps...
Il va toujours, l’oeil fixe, insensible et farouche...
Le soir tombe... il arrive ; et dès le seuil qu’il touche,
Ses pieds ont trébuché sur des têtes de morts.

Alors soudain la bête a bondi sur sa proie
Et debout, et terrible, et rugissant de joie,
De ses grilles de fer elle fouille, elle mord.

Mais l’homme dont le sang coule à flots sur la terre,
Fixant toujours les yeux divins de la chimère
Meurt, la poitrine ouverte et souriant encor.
nisrine nacer
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Albert SAMAIN Empty la cuisine

Message par nisrine nacer Mer 31 Mar - 8:58

La cuisine



Dans la cuisine où flotte une senteur de thym,
Au retour du marché, comme un soir de butin,
S’entassent pêle-mêle avec les lourdes viandes
Les poireaux, les radis, les oignons en guirlandes,
Les grands choux violets, le rouge potiron,
La tomate vernie et le pâle citron.
Comme un grand cerf-volant la raie énorme et plate
Gît fouillée au couteau, d’une plaie écarlate.
Un lièvre au poil rougi traîne sur les pavés
Avec des yeux pareils à des raisins crevés.
D’un tas d’huîtres vidé d’un panier couvert d’algues
Monte l’odeur du large et la fraîcheur des vagues.
Les cailles, les perdreaux au doux ventre ardoisé
Laissent, du sang au bec, pendre leur cou brisé ;
C’est un étal vibrant de fruits verts, de légumes,
De nacre, d’argent clair, d’écailles et de plumes.
Un tronçon de saumon saigne et, vivant encor,
Un grand homard de bronze, acheté sur le port,
Parmi la victuaille au hasard entassée,
Agite, agonisant, une antenne cassée.
nisrine nacer
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Albert SAMAIN Empty Poésies et poèmes d'Albert Samain

Message par nadia ibrahimi Dim 18 Avr - 11:58

Albert Samain


Albert Samain est né à Lille le 3 avril 1858 et mort à Magny-les-Hameaux le 18 août 1900.

Albert Samain est un poète symboliste français du 19ème siècle.



Albert SAMAIN Albert-samain




Albert Samain est fortement influencé par Baudelaire. En 1883 il publie un recueil de poèmes "Au jardin de l'infante" qui connait un franc succés.


Poésies et poèmes d'Albert Samain
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Albert SAMAIN Empty Les sirènes

Message par nadia ibrahimi Dim 18 Avr - 11:58





Les Sirènes chantaient... Là-bas, vers les îlots,

Une harpe d'amour soupirait, infinie ;

Les flots voluptueux ruisselaient d'harmonie

Et des larmes montaient aux yeux des matelots.








Les Sirènes chantaient... Là-bas, vers les rochers,

Une haleine de fleurs alanguissait les voiles ;

Et le ciel reflété dans les flots pleins d'étoiles

Versait tout son azur en l'âme des nochers,


Les Sirènes chantaient... Plus tendres à présent,

Leurs voix d'amour pleuraient des larmes dans la brise,

Et c'était une extase où le coeur plein se brise,

Comme un fruit mûr qui s'ouvre au soir d'un jour pesant !


Vers les lointains, fleuris de jardins vaporeux,

Le vaisseau s'en allait, enveloppé de rêves ;

Et là-bas - visions - sur l'or pâle des grèves

Ondulaient vaguement des torses amoureux.


Diaphanes blancheurs dans la nuit émergeant,

Les Sirènes venaient, lentes, tordant leurs queues

Souples, et sous la lune, au long des vagues bleues,

Roulaient et déroulaient leurs volutes d'argent.


Les nacres de leurs chairs sous un liquide émail

Chatoyaient, ruisselant de perles cristallines,

Et leurs seins nus, cambrant leurs rondeurs opalines,

Tendaient lascivement des pointes de corail.


Leurs bras nus suppliants s'ouvraient, immaculés ;

Leurs cheveux blonds flottaient, emmêlés d'algues vertes,

Et, le col renversé, les narines ouvertes,

Elles offraient le ciel dans leurs yeux étoilés !...


Des lyres se mouraient dans l'air harmonieux ;

Suprême, une langueur s'exhalait des calices,

Et les marins pâmés sentaient, lentes délices,

Des velours de baisers se poser sur leurs yeux...


Jusqu'au bout, aux mortels condamnés par le sort,

Choeur fatal et divin, elles faisaient cortège ;

Et, doucement captif entre leurs bras de neige,

Le vaisseau descendait, radieux, dans la mort !


La nuit tiède embaumait...Là-bas, vers les îlots,

Une harpe d'amour soupirait, infinie ;

Et la mer, déroulant ses vagues d'harmonie,

Étendait son linceul bleu sur les matelots.


Les Sirènes chantaient... Mais le temps est passé

Des beaux trépas cueillis en les Syrtes sereines,

Où l'on pouvait mourir aux lèvres des Sirènes,

Et pour jamais dormir sur son rêve enlacé.
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Albert SAMAIN Empty Mon âme est une infante

Message par nadia ibrahimi Dim 18 Avr - 11:59





Mon Ame est une infante en robe de parade,
Dont l'exil se reflète, éternel et royal,
Aux grands miroirs déserts d'un vieil Escurial,
Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.



Aux pieds de son fauteuil, allongés noblement,
Deux lévriers d'Écosse aux yeux mélancoliques
Chassent, quand il lui plaît, les bêtes symboliques
Dans la forêt du Rêve et de l'Enchantement.

Son page favori, qui s'appelle Naguère,
Lui lit d'ensorcelants poèmes à mi-voix,
Cependant qu'immobile, une tulipe aux doigts,
Elle écoute mourir en elle leur mystère...

Le parc alentour d'elle étend ses frondaisons,
Ses marbres, ses bassins, ses rampes à balustres ;
Et, grave, elle s'enivre à ces songes illustres
Que recèlent pour nous les nobles horizons.

Elle est là résignée, et douce, et sans surprise,
Sachant trop pour lutter comme tout est fatal,
Et se sentant, malgré quelque dédain natal,
Sensible à la pitié comme l'onde à la brise.

Elle est là résignée, et douce en ses sanglots,
Plus sombre seulement quand elle évoque en songe
Quelque Armada sombrée à l'éternel mensonge,
Et tant de beaux espoirs endormis sous les flots.

Des soirs trop lourds de pourpre où sa fierté soupire,
Les portraits de Van Dyck aux beaux doigts longs et purs,
Pâles en velours noir sur l'or vieilli des murs,
En leurs grands airs défunts la font rêver d'empire.

Les vieux mirages d'or ont dissipé son deuil,
Et, dans les visions où son ennui s'échappe,
Soudain - gloire ou soleil -un rayon qui la frappe
Allume en elle tous les rubis de l'orgueil.

Mais d'un sourire triste elle apaise ces fièvres ;
El, redoutant la foule aux tumultes de fer,
Elle écoute la vie - au loin - comme la mer...
Et le secret se lait plus profond sur ses lèvres.

Rien n'émeut d'un frisson l'eau pâle de ses yeux,
Où s'est assis l'Esprit voilé des Villes mortes ;
El par les salles, où sans bruit tournent les portes,
Elle va, s'enchantant de mots mystérieux.

L'eau vaine des jets d'eau là-bas tombe en cascade,
Et, pâle à la croisée, une tulipe aux doigts,
Elle est là, reflétée aux miroirs d'autrefois,
Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.

Mon Ame est une infante en robe de parade.
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Albert SAMAIN Empty Mon âme est une infante

Message par nadia ibrahimi Dim 18 Avr - 12:00





Mon Ame est une infante en robe de parade,
Dont l'exil se reflète, éternel et royal,
Aux grands miroirs déserts d'un vieil Escurial,
Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.



Aux pieds de son fauteuil, allongés noblement,
Deux lévriers d'Écosse aux yeux mélancoliques
Chassent, quand il lui plaît, les bêtes symboliques
Dans la forêt du Rêve et de l'Enchantement.

Son page favori, qui s'appelle Naguère,
Lui lit d'ensorcelants poèmes à mi-voix,
Cependant qu'immobile, une tulipe aux doigts,
Elle écoute mourir en elle leur mystère...

Le parc alentour d'elle étend ses frondaisons,
Ses marbres, ses bassins, ses rampes à balustres ;
Et, grave, elle s'enivre à ces songes illustres
Que recèlent pour nous les nobles horizons.

Elle est là résignée, et douce, et sans surprise,
Sachant trop pour lutter comme tout est fatal,
Et se sentant, malgré quelque dédain natal,
Sensible à la pitié comme l'onde à la brise.

Elle est là résignée, et douce en ses sanglots,
Plus sombre seulement quand elle évoque en songe
Quelque Armada sombrée à l'éternel mensonge,
Et tant de beaux espoirs endormis sous les flots.

Des soirs trop lourds de pourpre où sa fierté soupire,
Les portraits de Van Dyck aux beaux doigts longs et purs,
Pâles en velours noir sur l'or vieilli des murs,
En leurs grands airs défunts la font rêver d'empire.

Les vieux mirages d'or ont dissipé son deuil,
Et, dans les visions où son ennui s'échappe,
Soudain - gloire ou soleil -un rayon qui la frappe
Allume en elle tous les rubis de l'orgueil.

Mais d'un sourire triste elle apaise ces fièvres ;
El, redoutant la foule aux tumultes de fer,
Elle écoute la vie - au loin - comme la mer...
Et le secret se lait plus profond sur ses lèvres.

Rien n'émeut d'un frisson l'eau pâle de ses yeux,
Où s'est assis l'Esprit voilé des Villes mortes ;
El par les salles, où sans bruit tournent les portes,
Elle va, s'enchantant de mots mystérieux.

L'eau vaine des jets d'eau là-bas tombe en cascade,
Et, pâle à la croisée, une tulipe aux doigts,
Elle est là, reflétée aux miroirs d'autrefois,
Ainsi qu'une galère oubliée en la rade.

Mon Ame est une infante en robe de parade.
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Albert SAMAIN Empty Orgueil

Message par nadia ibrahimi Dim 18 Avr - 12:00





J'ai secoué du rêve avec ma chevelure.
Aux foules où j'allais, un long frisson vivant
Me suivait, comme un bruit de feuilles dans le vent ;
Et ma beauté jetait des feux comme une armure.






Au large devant moi les coeurs fumaient d'amour ;
Froide, je traversais les désirs et les fièvres ;
Tout, drame ou comédie, avait lieu sur mes lèvres ;
Mon orgueil éternel demeurait sur la tour.

Du remords imbécile et lâche je n'ai cure,
Et n'ai cure non plus des fadasses pitiés.
Les larmes et le sang, je m'y lave les pieds !
Et je passe, fatale ainsi que la nature.

Je suis sans défaillance, et n'ai point d'abandons.
Ma chair n'est point esclave au vieux marché des villes.
Et l'homme, qui fait peur aux amantes serviles,
Sent que son maître est là quand nous nous regardons.

J'ai des jardins profonds dans mes yeux d'émeraude,
Des labyrinthes fous, d'où l'on ne revient point.
De qui me croit tout près je suis toujours si loin,
Et qui m'a possédée a possédé la Fraude.

Mes sens, ce sont des chiens qu'au doigt je fais coucher,
Je les dresse à forcer la proie en ses asiles ;
Puis, l'ayant étranglée, ils attendent, dociles,
Que mes yeux souverains leur disent d'y toucher.

Je voudrais tous les coeurs avec toutes les âmes !
Je voudrais, chasseresse aux féroces ardeurs,
Entasser à mes pieds des coeurs, encor des coeurs...
Et je distribuerais mon butin rouge aux femmes !

Je traîne, magnifique, un lourd manteau d'ennui,
Où s'étouffe le bruit des sanglots et des râles.
Les flammes qu'en passant j'allume aux yeux des mâles,
Sont des torches de fête en mon coeur plein de nuit.

La haine me plaît mieux, étant moins puérile.
Mère, épouse, non pas : ni femelle vraiment !
Je veux que mon corps, vierge ainsi qu'un diamant,
A jamais comme lui soit splendide et stérile.

Mon orgueil est ma vie, et mon royal trésor ;
Et jusque sur le marbre, où je m'étendrai froide,
Je veux garder, farouche, aux plis du linceul roide,
Une bouche scellée, et qui dit non encor.
nadia ibrahimi
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Albert SAMAIN Empty Promenade à l'étang

Message par nadia ibrahimi Dim 18 Avr - 12:01





Le calme des jardins profonds s'idéalise.
L'âme du soir s'annonce à la tour de l'église ;
Ecoute, l'heure est bleue et le ciel s'angélise.






A voir ce lac mystique où l'azur s'est fondu,
Dirait-on pas, ma soeur, qu'un grand coeur éperdu
En longs ruisseaux d'amour, là-haut, s'est répandu ?

L'ombre lente a noyé la vallée indistincte.
La cloche, au loin, note par note, s'est éteinte,
Emportant comme l'âme frêle d'une sainte.

L'heure est à nous ; voici que, d'instant en instant,
Sur les bois violets au mystère invitant
Le grand manteau de la Solitude s'étend.

L'étang moiré d'argent, sous la ramure brune,
Comme un coeur affligé que le jour importune,
Rêve à l'ascension suave de la lune...

Je veux, enveloppé de tes yeux caressants,
Je veux cueillir, parmi les roseaux frémissants,
La grise fleur des crépuscules pâlissants.

Je veux au bord de l'eau pensive, ô bien-aimée,
A ta lèvre d'amour et d'ombre parfumée
Boire un peu de ton âme, à tout soleil fermée.

Les ténèbres sont comme un lourd tapis soyeux,
Et nos deux coeurs, l'un près de l'autre, parlent mieux
Dans un enchantement d'amour silencieux.

Comme pour saluer les étoiles premières,
Nos voix de confidence, au calme des clairières,
Montent, pures dans l'ombre, ainsi que des prières.

Et je baise ta chair angélique aux paupières.b
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Albert SAMAIN Empty Silence !...

Message par nadia ibrahimi Dim 18 Avr - 12:02





Le silence descend en nous,
Tes yeux mi-voilés sont plus doux ;
Laisse mon coeur sur tes genoux.



Sous ta chevelure épandue
De ta robe un peu descendue
Sort une blanche épaule nue.

La parole a des notes d'or ;
Le silence est plus doux encor,
Quand les coeurs sont pleins jusqu'au bord.

Il est des soirs d'amour subtil,
Des soirs où l'âme, semble-t-il,
Ne tient qu'à peine par un fil...

Il est des heures d'agonie
Où l'on rêve la mort bénie
Au long d'une étreinte infinie.

La lampe douce se consume ;
L'âme des roses nous parfume.
Le Temps bat sa petite enclume.

Oh ! s'en aller sans nul retour,
Oh ! s'en aller avant le jour,
Les mains toutes pleines d'amour !

Oh ! s'en aller sans violence,
S'évanouir sans qu'on y pense
D'une suprême défaillance...

Silence !... Silence !... Silence !...
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Albert SAMAIN Empty Soirs

Message par nadia ibrahimi Dim 18 Avr - 12:02

Le ciel comme un lac d'or pâle s'évanouit,
On dirait que la plaine, au loin déserte, pense ;
Et dans l'air élargi de vide et de silence
S'épanche la grande âme triste de la nuit.






Pendant que çà et là brillent d'humbles lumières,
Les grands boeufs accouplés rentrent par les chemins ;
Et les vieux en bonnet, le menton sur les mains,
Respirent le soir calme aux portes des chaumières.

Le paysage, où tinte une cloche, est plaintif
Et simple comme un doux tableau de primitif,
Où le Bon Pasteur mène un agneau blanc qui saute.

Les astres au ciel noir commencent à neiger,
Et là-bas, immobile au sommet de la côte,
Rêve la silhouette antique d'un berger.
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Message par nadia ibrahimi Dim 18 Avr - 12:03

Le Séraphin des soirs passe le long des fleurs...
La Dame-aux-Songes chante à l'orgue de l'église ;
Et le ciel, où la fin du jour se subtilise,
Prolonge une agonie exquise de couleurs.






Le Séraphin des soirs passe le long des coeurs...
Les vierges au balcon boivent l'amour des brises ;
Et sur les fleurs et sur les vierges indécises
Il neige lentement d'adorables pâleurs.

Toute rose au jardin s'incline, lente et lasse,
Et l'âme de Schumann errante par l'espace
Semble dire une peine impossible à guérir...

Quelque part une enfant très douce doit mourir...
O mon âme, mets un signet au livre d'heures,
L'Ange va recueillir le rêve que tu pleures.
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Message par nadia ibrahimi Dim 18 Avr - 12:03

Calmes aux quais déserts s'endorment les bateaux.
Les besognes du jour rude sont terminées,
Et le bleu Crépuscule aux mains efféminées
Éteint le fleuve ardent qui roulait des métaux.






Les ateliers fiévreux desserrent leurs étaux,
Et, les cheveux au vent, les fillettes minées
Vers les vitrines d'or courent, illuminées,
Meurtrir leur désir pauvre aux diamants brutaux.

Sur la ville noircie, où le peuple déferle,
Le ciel, en des douceurs de turquoise et de perle,
Le ciel semble, ce soir d'automne, défaillir.

L'Heure passe comme une femme sous un voile ;
Et, dans l'ombre, mon coeur s'ouvre pour recueillir
Ce qui descend de rêve à la première étoile.
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Albert SAMAIN Empty Je cherche les endroits...

Message par Rita-kazem Lun 19 Avr - 7:39

Je cherche les endroits où ta robe est allée,
Où flotte un souvenir de ta jupe envolée,
Où je retrouve encor dans l'air je ne sais quoi
Qui me fait palpiter le coeur, et qui fut toi.






Là, les yeux au plafond, pendant que mon cigare
Exhale un lent nuage azuré qui s'égare
Comme dans un brouillard matinal, je revois
Ton sourire, ton beau sourire d'autrefois.

Le passé me remonte à l'âme... et comme un pâtre
Qui rêve solitaire au fond du soir bleuâtre
Je regarde immobile en mon recueillement,
Je regarde là-bas sur mon coeur doucement,
Plus suave, on dirait, dans les ombres accrues,
Tourner le choeur léger des choses disparues.

Ton souvenir est comme un coffret de reliques
Où dorment des joyaux d'amour mélancoliques
Et que j'ouvre à genoux pour voir comme un trésor
Tout mon passé dans l'ombre étinceler encor !

Comme un écho profond l'amour en moi persiste.
Le reproche est bavard ; la rancune égoïste.
Je ne te dirai rien, sinon que je suis triste...

Telle une fleur qu'on coupe et qui douce à souffrir
Ne sait rien qu'exhaler ses parfums et mourir.
Rita-kazem
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Albert SAMAIN Empty Je n'ai songé qu'à toi

Message par Rita-kazem Lun 19 Avr - 7:40

Je n'ai songé qu'à toi, ma Belle, l'autre soir.
Quelque chose flottait de tendre dans l'air noir,
Qui faisait vaguement fondre l'âme trop pleine.
Je marchais, on eût dit, baigné dans ton haleine.
Les souffles qui passaient semblaient rouler dans l'air
Un souvenir obscur et tiède de ta chair.







J'aurais voulu t'avoir près de moi, caressante,
Appuyée à mon bras dans ta grâce enlaçante,
Et lente et paresseuse, et retardant le pas
Pour me baiser sans bruit comme on parle tout bas.
L'amour vibrait en moi comme un clavier qu'on frôle
Ô câline d'amour bercée à mon épaule !
Et je t'évoquais toute avec ton grand manteau,
Et la touffe de fleurs tremblante à ton chapeau,
Et tes souliers vernis luisant dans la nuit sombre,
Et ton ombre au pavé fiancée à mon ombre.
Il est ainsi des soirs faits de douceur qui flotte,
De beaux soirs féminins où le coeur se dorlote,
Et qui font tressaillir l'âme indiciblement
Sous un baiser qui s'ouvre au fond du firmament.

Tes yeux me souriaient... et je marchais heureux
Sous le ciel constellé, nocturne et vaporeux,
Pendant que s'entr'ouvrait, blancheur vibrante et pure,
Mon âme - comme un lys ! - passée à ta ceinture
Rita-kazem
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Albert SAMAIN Empty Je t'aime

Message par Rita-kazem Lun 19 Avr - 7:40

Je t'aime, - loin de toi ma pensée obstinée,
Et, par l'instinct d'amour à l'amour ramenée,
Revient vers toi, voltige alentour de ton cou,
De tes yeux, de tes seins, comme un papillon fou,
Et, grise de tourner dans ton cercle de femme,
Reste des jours entiers sans rentrer dans mon âme...






Je t'aime, et, malgré moi, je m'en vais par les rues
Où flotte un souvenir des choses disparues,
Où je sens, pénétré d'amère volupté,
Qu'encore un peu de toi dans l'air tendre est resté,
Où ton passage embaume encor, où je respire
Je ne sais quoi qui garde encor de ton sourire.

Mon coeur est tout pareil à ces matins voilés
D'automne où le soleil des beaux jours en allés,
Vaporeux à travers le ciel mélancolique,
Épanche une langueur de lumière angélique...

Ainsi mon coeur. Ah ! Si, comme aux soirs de jadis,
Tu plongeais dans mes yeux tes yeux de paradis,
Va, tu n'y trouverais nul grand air ridicule
Mais de l'amour, mais un amour de crépuscule
Pâle et voilé, couché sur un cher souvenir,
Qu'enivre, tristement, la douceur de mourir.
Rita-kazem
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Albert SAMAIN Empty La petite ville sans bruit

Message par Rita-kazem Lun 19 Avr - 7:42

La petite ville sans bruit
Dort profondément dans la nuit.

Aux vieux réverbères à branches
Agonise un gaz indigent ;
Mais soudain la lune émergeant
Fait tout au long des maisons blanches
Resplendir des vitres d'argent.






La nuit tiède s'évente au long des marronniers...
La nuit tardive, où flotte encor de la lumière.
Tout est noir et désert aux anciens quartiers ;
Mon âme, accoude-toi sur le vieux pont de pierre,
Et respire la bonne odeur de la rivière.

Le silence est si grand que mon coeur en frissonne.
Seul, le bruit de mes pas sur le pavé résonne.
Le silence tressaille au coeur, et minuit sonne !

Au long des grands murs d'un couvent
Des feuilles bruissent au vent.
Pensionnaires... orphelines...
Rubans bleus sur les pèlerines...
C'est le jardin des ursulines.

Une brise à travers les grilles
Passe aussi douce qu'un soupir.
Et cette étoile aux feux tranquilles,
Là-bas, semble, au fond des charmilles,
Une veilleuse de saphir.

Oh ! Sous les toits d'ardoise à la lune pâlis,
Les vierges et leur pur sommeil aux chambres claires,
Et leurs petits cous ronds noués de scapulaires,
Et leurs corps sans péché dans la blancheur des lits ! ...

D'une heure égale ici l'heure égale est suivie
Et l'innocence en paix dort au bord de la vie...

Triste et déserte infiniment
Sous le clair de lune électrique,
Voici que la place historique
Aligne solennellement
Ses vieux hôtels du Parlement.

À l'angle, une fenêtre est éclairée encor.
Une lampe est là-haut, qui veille quand tout dort !
Sous le frêle tissu, qui tamise sa flamme,
Furtive, par instants, glisse une ombre de femme.

La fenêtre s'entr'ouvre un peu ;
Et la femme, poignant aveu,
Tord ses beaux bras nus dans l'air bleu...

Ô secrètes ardeurs des nuits provinciales !
Coeurs qui brûlent ! Cheveux en désordre épandus !
Beaux seins lourds de désirs, pétris par des mains pâles !
Grands appels suppliants, et jamais entendus !

Je vous évoque, ô vous, amantes ignorées,
Dont la chair se consume ainsi qu'un vain flambeau,
Et qui sur vos beaux corps pleurez, désespérées,
Et faites pour l'amour, et d'amour dévorées,
Vous coucherez, un soir, vierges dans le tombeau !

Et mon âme pensive, à l'angle de la place,
Fixe toujours là-bas la vitre où l'ombre passe.

Le rideau frêle au vent frissonne...
La lampe meurt... une heure sonne.
Personne, personne, personne.
Rita-kazem
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