Pierre Reverdy Une poésie aux aguets
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Pierre Reverdy Une poésie aux aguets
le monde comme une pendule s'est arrêté
les gens sont suspendus pour l'éternité.
**
Alors
je prie le ciel
Que nul ne me regarde
Si ce n'est au travers d'un verre d'illusion
Retenant seulement
sur l'écran glacé d'un horizon qui boude
ce fin profil de fil de fer amer
si délicatement délavé
par l'eau qui coule
les larmes de rosée
les gouttes de soleil
les embruns de la mer.
Pris dans les rafales du temps, glissement lent des plis du jour sur les plis des jours, la poésie de Reverdy s'éloigne pour les lecteurs négligents.
Pierre Reverdy, l'ermite de Solesmes, est un poète passé de mode, lui qui fut longtemps considéré comme le plus grand. On préfère maintenant des liqueurs plus fortes comme les éclats de silex de René Char, ou les jongleries verbales de Gherasim Luca ou Jacques Roubaud. Mais il est tant de poèmes de Reverdy pour lesquels je donnerai les œuvres complètes de ceux-là.
Notre narbonnais aux sourcils noirs, à la mèche combattante et à l'accent épais et râpeux comme le vin lourd de la Clape, est décrété trop monotone. Certes bien sûr il a écrit des centaines de poèmes, mais en fait toujours les mêmes vous dit-on, comme ce pauvre Vivaldi avec ses concertis. C'est ne rien vouloir comprendre aux mouvements imperceptibles de l'infini.
Oui, on ne peut mettre en chansons ses poèmes qui sont une musique en équilibre sur les toits du silence. Oui, il fut tellement adulé par ses amis peintres ou surréalistes que la vague ne pouvait que retomber. Oui sa lecture demande la complicité des nuits haletantes où tout est suspendu.
Oui, il est sombre.
L'éther qui nous entoure aussi le savez-vous ? Et toutes les fenêtres vous regardent.
Un homme est tombé
Quelqu'un est sorti et n'est pas rentré
Au cinquième la lampe est toujours allumée.
Mais qui encore écrit comme cela de nos jours, qui va aussi loin dans la réalité du silence, de l'attente ?
les gens sont suspendus pour l'éternité.
**
Alors
je prie le ciel
Que nul ne me regarde
Si ce n'est au travers d'un verre d'illusion
Retenant seulement
sur l'écran glacé d'un horizon qui boude
ce fin profil de fil de fer amer
si délicatement délavé
par l'eau qui coule
les larmes de rosée
les gouttes de soleil
les embruns de la mer.
Pris dans les rafales du temps, glissement lent des plis du jour sur les plis des jours, la poésie de Reverdy s'éloigne pour les lecteurs négligents.
Pierre Reverdy, l'ermite de Solesmes, est un poète passé de mode, lui qui fut longtemps considéré comme le plus grand. On préfère maintenant des liqueurs plus fortes comme les éclats de silex de René Char, ou les jongleries verbales de Gherasim Luca ou Jacques Roubaud. Mais il est tant de poèmes de Reverdy pour lesquels je donnerai les œuvres complètes de ceux-là.
Notre narbonnais aux sourcils noirs, à la mèche combattante et à l'accent épais et râpeux comme le vin lourd de la Clape, est décrété trop monotone. Certes bien sûr il a écrit des centaines de poèmes, mais en fait toujours les mêmes vous dit-on, comme ce pauvre Vivaldi avec ses concertis. C'est ne rien vouloir comprendre aux mouvements imperceptibles de l'infini.
Oui, on ne peut mettre en chansons ses poèmes qui sont une musique en équilibre sur les toits du silence. Oui, il fut tellement adulé par ses amis peintres ou surréalistes que la vague ne pouvait que retomber. Oui sa lecture demande la complicité des nuits haletantes où tout est suspendu.
Oui, il est sombre.
L'éther qui nous entoure aussi le savez-vous ? Et toutes les fenêtres vous regardent.
Un homme est tombé
Quelqu'un est sorti et n'est pas rentré
Au cinquième la lampe est toujours allumée.
Mais qui encore écrit comme cela de nos jours, qui va aussi loin dans la réalité du silence, de l'attente ?
benjamin-j-m- Nombre de messages : 398
Date d'inscription : 27/02/2011
Une poésie d’ombres entrevues
Une poésie d’ombres entrevues
Une suite de mots infiniment simples, d'objets familiers, de sensations connues, et leur mise en ligne dans le poème conduit aux grands mystères. En se mélangeant ces morceaux de briques élémentaires font un château hanté. Sa poésie semble se refermer hautaine sur de l'ombre entrevue, elle nous ignore nous de l'autre côté de la feuille blanche, elle nous résiste, nous sourit comme un sphinx. À vous de voir et de savoir nous dit-elle, chat noir parmi les chats noirs.
Une voix sans timbre qui nous hèle et le vent se renverse, et sa poésie couverte de sueur, de peur, bat en plein en nous.
Un de ses plus beaux poèmes dit ceci :
ESPACE
L'ÉTOILE échappée
L'astre est dans la lampe
La main
tient la nuit
par un fil
Le ciel
s'est couché
contre les épines
Des gouttes de sang claquent sur les épines
Et le vent du soir
sort d'une poitrine.
reverdy
Un alphabet perdu quelque part dans un vent des origines nous interdit d'entrer dans l'espace de ces courts poèmes. Ce « cubisme » consistant à prendre des formes élémentaires pour en déduire une construction dangereuse et infinie, Reverdy l'a côtoyé avec ses amis peintres, Braque, Picasso...
Il a fait partie de l'équipage du Bateau-Lavoir, jusqu'en devenir l'astrolabe. Il est le théoricien de la poésie et du cubisme.
Il donne cette lumineuse définition: « La poésie est à la vie ce qu'est le feu de bois. Elle en émane et la transforme. »
Reverdy aura été ce charbonnier au fond des forêts des fougères d'images et des arbres sombres, il aura allumé bien des feux où le quotidien a fait naufrage. Il a traqué « Cette émotion appelée poésie ». Il lui a fait rendre gorge.
On veut tendre les mains pour saisir les sens du texte, celui-ci se dérobe, se replie, s'enfuit de l'autre côté de la page. Oui chez Reverdy tout est dans les replis.
Mais ils semblent tissés de rosée et d'inquiétude, alors on n'ose les dérouler. Il procède par replis, lentes énumérations, lisières des choses. Mais contrairement aux surréalistes il refuse le hasard non contrôlé des images :
« L'image est une création pure de l'esprit. Elle ne peut naître d'une comparaison mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées.
Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l'image sera forte - plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique ».
Et il refuse d'être un simple médium passif du monde. Lui l'ascétique, le converti au catholicisme en 1926, et très vite désillusionné, refuse le jeu. Il met toujours son existence balance dans ses mots. Ces poèmes « ne sont qu'entre les lignes ». Il faut les deviner, passer par leur ambiguïté, leurs flaques de silence et de verre, leurs tourbillons d'ombre, leur musique d'ombre. L'univers de Reverdy est un univers mouvant, incertain. Il faut savoir s'y perdre, se chercher dans ces déchirures, ces signes énigmatiques. Il met les mots à la suite « comme un tas de pierres ». Ils continuent à tenir debout malgré tous les vents du temps.
Pourtant des appels sont là qui osent à peine monter vers nous.
Homme assis
Le tapis vert couché sous l'âtre c'est un piège.
L'homme au profil perdu s'écarte du mur blanc.
Est-ce le ciel qui pèse aux bras du fauteuil ou une
aile. L'espace devient noir. Les murs sortent des
lignes et coupent l'horizon. Après la course au
faîte des maisons. Après l'espoir de revenir au signe
on tombe dans un trou qui creuse le plafond.
Les mains sortent à l'air. Le visage s'affine et tout
rentre dans l'ordre, le cadre, le repos aux reflets
d'encre et d'or.
Une suite de mots infiniment simples, d'objets familiers, de sensations connues, et leur mise en ligne dans le poème conduit aux grands mystères. En se mélangeant ces morceaux de briques élémentaires font un château hanté. Sa poésie semble se refermer hautaine sur de l'ombre entrevue, elle nous ignore nous de l'autre côté de la feuille blanche, elle nous résiste, nous sourit comme un sphinx. À vous de voir et de savoir nous dit-elle, chat noir parmi les chats noirs.
Une voix sans timbre qui nous hèle et le vent se renverse, et sa poésie couverte de sueur, de peur, bat en plein en nous.
Un de ses plus beaux poèmes dit ceci :
ESPACE
L'ÉTOILE échappée
L'astre est dans la lampe
La main
tient la nuit
par un fil
Le ciel
s'est couché
contre les épines
Des gouttes de sang claquent sur les épines
Et le vent du soir
sort d'une poitrine.
reverdy
Un alphabet perdu quelque part dans un vent des origines nous interdit d'entrer dans l'espace de ces courts poèmes. Ce « cubisme » consistant à prendre des formes élémentaires pour en déduire une construction dangereuse et infinie, Reverdy l'a côtoyé avec ses amis peintres, Braque, Picasso...
Il a fait partie de l'équipage du Bateau-Lavoir, jusqu'en devenir l'astrolabe. Il est le théoricien de la poésie et du cubisme.
Il donne cette lumineuse définition: « La poésie est à la vie ce qu'est le feu de bois. Elle en émane et la transforme. »
Reverdy aura été ce charbonnier au fond des forêts des fougères d'images et des arbres sombres, il aura allumé bien des feux où le quotidien a fait naufrage. Il a traqué « Cette émotion appelée poésie ». Il lui a fait rendre gorge.
On veut tendre les mains pour saisir les sens du texte, celui-ci se dérobe, se replie, s'enfuit de l'autre côté de la page. Oui chez Reverdy tout est dans les replis.
Mais ils semblent tissés de rosée et d'inquiétude, alors on n'ose les dérouler. Il procède par replis, lentes énumérations, lisières des choses. Mais contrairement aux surréalistes il refuse le hasard non contrôlé des images :
« L'image est une création pure de l'esprit. Elle ne peut naître d'une comparaison mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées.
Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l'image sera forte - plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique ».
Et il refuse d'être un simple médium passif du monde. Lui l'ascétique, le converti au catholicisme en 1926, et très vite désillusionné, refuse le jeu. Il met toujours son existence balance dans ses mots. Ces poèmes « ne sont qu'entre les lignes ». Il faut les deviner, passer par leur ambiguïté, leurs flaques de silence et de verre, leurs tourbillons d'ombre, leur musique d'ombre. L'univers de Reverdy est un univers mouvant, incertain. Il faut savoir s'y perdre, se chercher dans ces déchirures, ces signes énigmatiques. Il met les mots à la suite « comme un tas de pierres ». Ils continuent à tenir debout malgré tous les vents du temps.
Pourtant des appels sont là qui osent à peine monter vers nous.
Homme assis
Le tapis vert couché sous l'âtre c'est un piège.
L'homme au profil perdu s'écarte du mur blanc.
Est-ce le ciel qui pèse aux bras du fauteuil ou une
aile. L'espace devient noir. Les murs sortent des
lignes et coupent l'horizon. Après la course au
faîte des maisons. Après l'espoir de revenir au signe
on tombe dans un trou qui creuse le plafond.
Les mains sortent à l'air. Le visage s'affine et tout
rentre dans l'ordre, le cadre, le repos aux reflets
d'encre et d'or.
benjamin-j-m- Nombre de messages : 398
Date d'inscription : 27/02/2011
Flaques de mots, flaques de silence
Flaques de mots, flaques de silence
Pourtant il nous faut lentement déplier les strates d'émotions, faire sécher sur la table des sentiments les draps humides de ses dérobades. Ses poèmes refusent de fournir la moindre aspérité où s'accrocher, pas de prise, le vertige plus bas, il faut escalader à mains nues en créant ses propres voies. Et nul ne vous assure, vous tomberez tout au fond, sans rappel aucun.
Pas de chemin, pas de balise, une zone proche de celle que décrivait Tarkovski dans Stalker, on sait que s'y trouve une source d'éternité, d'apaisement, mais on ne la voit qu'avec un cœur pur, donc jamais. La poésie de Reverdy se situe dans une autre échelle de temps, qui paraît immobile pour nous, qui vit à l'intérieur de lui-même. Inquiet, il regardait vivre le monde et ne voulait pas le suivre.
Les racines du monde
pendent par-delà la terre.
Comment les retrouver ?
Reverdy est un monde perdu qui affleure à peine vers nous. Ce monde a ses propres lois, son propre sablier, son propre langage.
C'est d'ailleurs lui qui disait « il ne pleut plus que sur les arbres et sur ma tête ».
Figure
Contre le mur des places vides. On risque de
glisser sur ce plan qui remue. L'ombre soutient le
poids, les doigts percent le nombre.
Il y a un
temps pareil à l'autre, au bout du monde. On
pense à quelqu'un d'autre et, sur le marbre, on
laisse un simple nom, sans préface ni point. Le
portrait de sa vie. Mémoire. Il est content - Tout
ce qui reste encore à faire en attendant.
Il se fait grand silence dans les poèmes de Pierre Reverdy.
Les mots sont inquiets ils font le guet, les chemins tournent vers le rien, le temps est suspendu mais cela doit être un piège, il va nous tomber dessus, au-delà du toit.
Les catastrophes sont tapies, elles ne se montrent même pas; on voit leurs ombres à contre-lune. Une porte craque, et en se refermant sur elle-même elle tombe dans le vide. Les choses lentement s'effacent, tombent au ralenti dans ce drôle d'espace-temps que sont les poèmes de Reverdy.
Je pense à l'univers de la musique de Sibelius, particulièrement Tapiola.
Quelque chose de grave se joue, nous le pressentons, mais quoi ?
Reverdy nous dit que l'on n'est pas poète par occasion, mais pour tout l'être tendu, vers la fixation en traits concrets, la résolution en gouttes limpides d'un état diffus et d'un trouble intérieur.
Toujours m'a frappé l'écart entre sa voix roulante de Narbonnais et le volatil de ses mots. Sa glèbe et sa tramontane se sublimaient dans l'écriture.
Toute en impression fugitive, sa poésie restée la patte en l'air, figée par ce qu'elle seule a vu, et que nous ne voyons pas encore. Ce descendant d'une lignée de tailleurs de pierre savait ce que voulait dire le geste juste, le geste sobre, le geste d'éternité. Son père lui avait appris le vent dans la montagne, la lecture et l'écriture. Il connaissait le poids du pain, le poids des choses, la difficulté de l'amour.
Sa fameuse phrase, « Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour. », aura servi à certains à tuer l'amour, à d'autres à l'éprouver.
C'est dans un texte comme celui qui suit que l'on peut saisir la poésie de Reverdy.
Une inquiétude qui sourd, un climat de suspension ave le terrible tapis devant la porte. Quelque chose est passé ou va passer, et le simple frémissement du vent est peut-être notre heure dernière. Des mots élémentaires, des phrases courtes, simples à pleurer. Des ombres furtives de mots. La poésie de Reverdy ne dit pas, elle chuchote. L'angoisse est aux aguets. Le temps s'immobilise. L'invisible marche de long en large. Ses pas craquent jusqu'à nous.
Reverdy est le chaman du mystère immédiat, du réel devenu lyrique.
La lampe
Le vent noir qui tordait les rideaux ne pouvait
soulever le papier ni éteindre la lampe.
Dans un courant de peur, il semblait que quelqu'un pût entrer.
Entre la porte ouverte et le
volet qui bat - personne !
Et pourtant sur la table
ébranlée une clarté remue dans cette chambre
vide.
benjamin-j-m- Nombre de messages : 398
Date d'inscription : 27/02/2011
La douce lucidité de l’effacement
La douce lucidité de l’effacement
Pudique il parlait peu de sa vie, aussi il sera simplement mentionné qu'il est né 13 septembre 1889 à Narbonne, qu'il aura été imprégné des odeurs de la Montagne noire et de la mer, qu'il aura connu Paris et ses artistes dés octobre 1910.
Là il débarque dans les brumes de la ville et des locomotives. Il aura froid, il aura faim.
« En ce temps-là le charbon était devenu aussi précieux et rare que des pépites d'or et j'écrivais dans un grenier où la neige, en tombant par les fentes du toit, devenait bleue. » Il survivra en faisant des livres, des revues, encore des livres.
Il parlera peinture comme ses amis peintres, Juan Gris, Picasso, Braque.
reverdy
Il parlera poésie comme ses amis poètes, Apollinaire, Max Jacob. Ses premiers poèmes en prose sont de 1915. Sa revue emblématique "Nord-Sud" est lancée début 1917. Avoir quasiment instauré sur terre la religion du surréalisme ne lui suffira pas. L'immensité de ses manques ne pouvait se résoudre dans la traque de l'invisible et du surréel.
Ses doutes et son cheminement spirituel le conduisent à rompre avec le brillant littéraire et s'installer à Solesmes en 1926, aux portes de l'abbaye. Il n'a même pas 37 ans.
Il ne trouvera jamais la clé de la porte, et comme dans un conte de Kafka, restera dans l'antichambre où le gardien lui dira que cette porte n'était que pour lui. Veilleur isolé, il n'aura pas vu l'ennemi venir car « la prière est inconnue aux habitants de l'ombre ».
Le 17 juin 1960 il meurt à 71 ans, et à Solesmes, dans « cet affreux petit village où il fait toujours froid ». Dans la solitude et l'exigence. Il voulait vivre et mourir dans la même tempête, ce fut une tempête de silence et de questions. Il écrira peu en ce lieu, toujours tendu vers Paris.
Il dit « prier le ciel que nul ne le regarde pour aller mourir au creux de la nuit ».
Il fut exaucé au centuple, et même au-delà.
« Tuer ou devenir meilleur », disait-il, il est devenu meilleur.
« Je veux affirmer que la vie est d'abord et toujours tout ».
Nulle part son accent roulant les pierres de Narbonne ne s'entend dans la blancheur coupante de ses mots.
Des chouettes clouées aux mots nous regardent, le vent se cache dans ses mouchoirs. Les cœurs des hommes se sont lavés dans sa rivière.
Faire le gros dos jusqu'à ce que le poème soit passé sera notre ressource. Nous n'en sortirons pas indemne, nous le savons.
Reverdy nous a dit le nom de l'ombre.
« Je suis un témoignage fendu de la tête aux pieds, une indication précise mais fugitive de ce qu'a voulu dire la création en remontant de nos jours jusqu'au commencement des termes » (Étoile filante)
Reverdy ne violente pas le lecteur, il ne construit pas des étangs dans ses poèmes où se contempler.
René Char dit de lui que « c'est un poète sans fouet ni miroir ».
Reverdy n'est que suggestions qui montent de la brume des jours, qu'allusions, que frôlement d'ailes. Il parle sans bruit, il murmure du fond du puits de sa solitude. Il se veut effacé, modeste, éteint :
De ma vie, je n'aurai jamais rien su faire de particulièrement remarquable pour la gagner, ni pour la perdre.
Lucide avant tout, lucide jusqu'au foudroiement :
Si les glaces de verre sont flatteuses pour toi, supprime-les. Ne te regarde pas en dehors mais en dedans, il y a là un sombre miroir sans complaisance. (Le gant de crin).
Sa poésie est traces de passage, avertissement des feuilles qui craquent, de la nuit qui rôde. Il est totalement limpide, dangereusement limpide, aux frontières de la transparence et de la disparition. Nous ne sommes plus sur la terre ferme, mais dans l'infini volatil. Pierre Reverdy est le cristal de l'attente, il sait rendre le flottement dans les flaques des jours, et ses mots en marge sont « une lutte contre le réel tel qu'il est ». Il rend palpable ce qui ne peut être retenu, ce qui se dissout dans une angoisse tapie, et dans la déchirure des nuits froissées. Il retisse l'invisible dans la couture de l'incertain. Il fait de la poésie « un réel humanisé » en transformant par sa création le quotidien en l'énergie de drames intérieurs qui nous ne pouvons que deviner. Un grand mystère passe sur la poésie de Reverdy. Grande est sa fascination.
Un souffle obscur où il est question de lui, question de nous. Tous ces manques, ces absences, ces trous de mots, sont emplis de cette vie qui nous cristallise. La poésie de Reverdy est lourde, lourde de sens, et lucide, secrètement aimantée par les rêves des pierres. Une flamme sourde. Mouvants reflets d'un monde proche et étranger à la fois.
Dans la poésie de Reverdy une étrange partie se joue. Nous ne voyons pas les cartes. Et c'est pourtant notre destin qui se joue face à nous et sans nous.
Le vent se tait, la voix se tait. Sans bruit, la neige de ses mots tombe sur nous.
Quelqu'un vient. Et c'est quelqu'un qu'on n'aura vu qu’une seule fois dans sa vie.
C'est Reverdy.
Lui « l'aveugle dont les yeux sont au bout des doigts ».
Gil Pressnitzer
Pudique il parlait peu de sa vie, aussi il sera simplement mentionné qu'il est né 13 septembre 1889 à Narbonne, qu'il aura été imprégné des odeurs de la Montagne noire et de la mer, qu'il aura connu Paris et ses artistes dés octobre 1910.
Là il débarque dans les brumes de la ville et des locomotives. Il aura froid, il aura faim.
« En ce temps-là le charbon était devenu aussi précieux et rare que des pépites d'or et j'écrivais dans un grenier où la neige, en tombant par les fentes du toit, devenait bleue. » Il survivra en faisant des livres, des revues, encore des livres.
Il parlera peinture comme ses amis peintres, Juan Gris, Picasso, Braque.
reverdy
Il parlera poésie comme ses amis poètes, Apollinaire, Max Jacob. Ses premiers poèmes en prose sont de 1915. Sa revue emblématique "Nord-Sud" est lancée début 1917. Avoir quasiment instauré sur terre la religion du surréalisme ne lui suffira pas. L'immensité de ses manques ne pouvait se résoudre dans la traque de l'invisible et du surréel.
Ses doutes et son cheminement spirituel le conduisent à rompre avec le brillant littéraire et s'installer à Solesmes en 1926, aux portes de l'abbaye. Il n'a même pas 37 ans.
Il ne trouvera jamais la clé de la porte, et comme dans un conte de Kafka, restera dans l'antichambre où le gardien lui dira que cette porte n'était que pour lui. Veilleur isolé, il n'aura pas vu l'ennemi venir car « la prière est inconnue aux habitants de l'ombre ».
Le 17 juin 1960 il meurt à 71 ans, et à Solesmes, dans « cet affreux petit village où il fait toujours froid ». Dans la solitude et l'exigence. Il voulait vivre et mourir dans la même tempête, ce fut une tempête de silence et de questions. Il écrira peu en ce lieu, toujours tendu vers Paris.
Il dit « prier le ciel que nul ne le regarde pour aller mourir au creux de la nuit ».
Il fut exaucé au centuple, et même au-delà.
« Tuer ou devenir meilleur », disait-il, il est devenu meilleur.
« Je veux affirmer que la vie est d'abord et toujours tout ».
Nulle part son accent roulant les pierres de Narbonne ne s'entend dans la blancheur coupante de ses mots.
Des chouettes clouées aux mots nous regardent, le vent se cache dans ses mouchoirs. Les cœurs des hommes se sont lavés dans sa rivière.
Faire le gros dos jusqu'à ce que le poème soit passé sera notre ressource. Nous n'en sortirons pas indemne, nous le savons.
Reverdy nous a dit le nom de l'ombre.
« Je suis un témoignage fendu de la tête aux pieds, une indication précise mais fugitive de ce qu'a voulu dire la création en remontant de nos jours jusqu'au commencement des termes » (Étoile filante)
Reverdy ne violente pas le lecteur, il ne construit pas des étangs dans ses poèmes où se contempler.
René Char dit de lui que « c'est un poète sans fouet ni miroir ».
Reverdy n'est que suggestions qui montent de la brume des jours, qu'allusions, que frôlement d'ailes. Il parle sans bruit, il murmure du fond du puits de sa solitude. Il se veut effacé, modeste, éteint :
De ma vie, je n'aurai jamais rien su faire de particulièrement remarquable pour la gagner, ni pour la perdre.
Lucide avant tout, lucide jusqu'au foudroiement :
Si les glaces de verre sont flatteuses pour toi, supprime-les. Ne te regarde pas en dehors mais en dedans, il y a là un sombre miroir sans complaisance. (Le gant de crin).
Sa poésie est traces de passage, avertissement des feuilles qui craquent, de la nuit qui rôde. Il est totalement limpide, dangereusement limpide, aux frontières de la transparence et de la disparition. Nous ne sommes plus sur la terre ferme, mais dans l'infini volatil. Pierre Reverdy est le cristal de l'attente, il sait rendre le flottement dans les flaques des jours, et ses mots en marge sont « une lutte contre le réel tel qu'il est ». Il rend palpable ce qui ne peut être retenu, ce qui se dissout dans une angoisse tapie, et dans la déchirure des nuits froissées. Il retisse l'invisible dans la couture de l'incertain. Il fait de la poésie « un réel humanisé » en transformant par sa création le quotidien en l'énergie de drames intérieurs qui nous ne pouvons que deviner. Un grand mystère passe sur la poésie de Reverdy. Grande est sa fascination.
Un souffle obscur où il est question de lui, question de nous. Tous ces manques, ces absences, ces trous de mots, sont emplis de cette vie qui nous cristallise. La poésie de Reverdy est lourde, lourde de sens, et lucide, secrètement aimantée par les rêves des pierres. Une flamme sourde. Mouvants reflets d'un monde proche et étranger à la fois.
Dans la poésie de Reverdy une étrange partie se joue. Nous ne voyons pas les cartes. Et c'est pourtant notre destin qui se joue face à nous et sans nous.
Le vent se tait, la voix se tait. Sans bruit, la neige de ses mots tombe sur nous.
Quelqu'un vient. Et c'est quelqu'un qu'on n'aura vu qu’une seule fois dans sa vie.
C'est Reverdy.
Lui « l'aveugle dont les yeux sont au bout des doigts ».
Gil Pressnitzer
benjamin-j-m- Nombre de messages : 398
Date d'inscription : 27/02/2011
Re: Pierre Reverdy Une poésie aux aguets
Choix de textes
Tard dans la vie
Je suis dur
je suis tendre
Et j'ai perdu mon temps
À rêver sans dormir
À dormir en marchant
Partout où j'ai passé
J'ai trouvé mon absence
je ne suis nulle part
Excepté le néant
je porte accroché au plus haut des entrailles
À la place où la foudre a frappé trop souvent
Un cœur où chaque mot a laissé son entaille
Et d'où ma vie s'égoutte au moindre mouvement
© Gallimard
benjamin-j-m- Nombre de messages : 398
Date d'inscription : 27/02/2011
Re: Pierre Reverdy Une poésie aux aguets
La Saveur du réel
Il marchait sur un pied sans savoir où il poserait l’autre. Au tournant de la rue le vent balayait la poussière et sa bouche avide engouffrait tout l’espace.
Il se mit à courir espérant s’envoler d’un moment à l’autre, mais au bord du ruisseau les pavés étaient humides et ses bras battant l’air n’ont pu le retenir. Dans sa chute il comprit qu’il était plus lourd que son rêve et il aima, depuis, le poids qui l’avait fait tomber.
© Gallimard
Il marchait sur un pied sans savoir où il poserait l’autre. Au tournant de la rue le vent balayait la poussière et sa bouche avide engouffrait tout l’espace.
Il se mit à courir espérant s’envoler d’un moment à l’autre, mais au bord du ruisseau les pavés étaient humides et ses bras battant l’air n’ont pu le retenir. Dans sa chute il comprit qu’il était plus lourd que son rêve et il aima, depuis, le poids qui l’avait fait tomber.
© Gallimard
benjamin-j-m- Nombre de messages : 398
Date d'inscription : 27/02/2011
Re: Pierre Reverdy Une poésie aux aguets
Orage
La fenêtre
un trou vivant où l'éclair bat
Plein d'impatience
Le bruit a percé le silence
On ne sait plus si c'est la nuit
La maison tremble
Quel mystère
La voix qui chante va se taire
Nous étions plus près
Au-dessous
Celui qui cherche
Plus grand que ce qu'il cherche
Et c'est tout
Soi
Sous le ciel ouvert
Fendu
Un éclair où le souffle est resté
Suspendu.
© Gallimard
La fenêtre
un trou vivant où l'éclair bat
Plein d'impatience
Le bruit a percé le silence
On ne sait plus si c'est la nuit
La maison tremble
Quel mystère
La voix qui chante va se taire
Nous étions plus près
Au-dessous
Celui qui cherche
Plus grand que ce qu'il cherche
Et c'est tout
Soi
Sous le ciel ouvert
Fendu
Un éclair où le souffle est resté
Suspendu.
© Gallimard
benjamin-j-m- Nombre de messages : 398
Date d'inscription : 27/02/2011
Re: Pierre Reverdy Une poésie aux aguets
Outre mesure
Le monde est ma prison
Si je suis loin de ce que j'aime
Vous n'êtes pas trop loin barreaux de l'horizon
L'amour la liberté dans le ciel trop vide
Sur la terre gercée de douleurs
Un visage éclaire et réchauffe les choses dures
Qui faisaient partie de la mort
À partir de cette figure
De ces gestes de cette voix
Ce n'est que moi-même qui parle
Mon cœur qui résonne et qui bat
Un écran de feu abat-jour tendre
Entre les murs familiers de la nuit
Cercle enchanté des fausses solitudes
Faisceaux de reflets lumineux
Regrets
Tous ces débris du temps crépitent au foyer
Encore un plan qui se déchire
Un acte qui manque à l'appel
Il reste peu de chose à prendre
Dans un homme qui va mourir
© Gallimard
Le monde est ma prison
Si je suis loin de ce que j'aime
Vous n'êtes pas trop loin barreaux de l'horizon
L'amour la liberté dans le ciel trop vide
Sur la terre gercée de douleurs
Un visage éclaire et réchauffe les choses dures
Qui faisaient partie de la mort
À partir de cette figure
De ces gestes de cette voix
Ce n'est que moi-même qui parle
Mon cœur qui résonne et qui bat
Un écran de feu abat-jour tendre
Entre les murs familiers de la nuit
Cercle enchanté des fausses solitudes
Faisceaux de reflets lumineux
Regrets
Tous ces débris du temps crépitent au foyer
Encore un plan qui se déchire
Un acte qui manque à l'appel
Il reste peu de chose à prendre
Dans un homme qui va mourir
© Gallimard
benjamin-j-m- Nombre de messages : 398
Date d'inscription : 27/02/2011
Re: Pierre Reverdy Une poésie aux aguets
Chemin tournant
Il y a un terrible gris de poussière dans le temps
Un vent du sud avec de fortes ailes
Les échos sourds de l'eau dans le soir chavirant
Et dans la nuit mouillée qui jaillit du tournant
des voix rugueuses qui se plaignent
Un goût de cendre sur la langue
Un bruit d'orgue dans les sentiers
Le navire du cœur qui tangue
Tous les désastres du métier
Quand les feux du désert s'éteignent un à un
Quand les yeux sont mouillés comme
des brins d'herbe
Quand la rosée descend les pieds nus sur les feuilles
Le matin à peine levé
Il y a quelqu'un qui cherche
Une adresse perdue dans le chemin caché
Les astres dérouillés et les fleurs dégringolent
À travers les branches cassées
Et le ruisseau obscur essuie ses lèvres molles à peine décollées
Quand le pas du marcheur sur le cadran qui compte
règle le mouvement et pousse l'horizon
Tous les cris sont passés tous les temps se rencontrent
Et moi je marche au ciel les yeux dans les rayons
Il y a du bruit pour rien et des noms dans ma tête
Des visages vivants
Tout ce qui s'est passé au monde
Et cette fête
Où j'ai perdu mon temps
© Gallimard
Il y a un terrible gris de poussière dans le temps
Un vent du sud avec de fortes ailes
Les échos sourds de l'eau dans le soir chavirant
Et dans la nuit mouillée qui jaillit du tournant
des voix rugueuses qui se plaignent
Un goût de cendre sur la langue
Un bruit d'orgue dans les sentiers
Le navire du cœur qui tangue
Tous les désastres du métier
Quand les feux du désert s'éteignent un à un
Quand les yeux sont mouillés comme
des brins d'herbe
Quand la rosée descend les pieds nus sur les feuilles
Le matin à peine levé
Il y a quelqu'un qui cherche
Une adresse perdue dans le chemin caché
Les astres dérouillés et les fleurs dégringolent
À travers les branches cassées
Et le ruisseau obscur essuie ses lèvres molles à peine décollées
Quand le pas du marcheur sur le cadran qui compte
règle le mouvement et pousse l'horizon
Tous les cris sont passés tous les temps se rencontrent
Et moi je marche au ciel les yeux dans les rayons
Il y a du bruit pour rien et des noms dans ma tête
Des visages vivants
Tout ce qui s'est passé au monde
Et cette fête
Où j'ai perdu mon temps
© Gallimard
benjamin-j-m- Nombre de messages : 398
Date d'inscription : 27/02/2011
Re: Pierre Reverdy Une poésie aux aguets
À double tour
je suis si loin des voix
Des rumeurs de la fête
Le moulin d'écume tourne à rebours
Le sanglot des sources s'arrête
L'heure a glissé péniblement
Sur les grandes plages de lune
Et dans l'espace tiède étroit sans une faille
je dors la tête au coude
Sur le désert placide du cercle de la lampe
Temps terrible temps inhumain
Chassé sur les trottoirs de boue
Loin du cirque limpide qui décline des verres
Loin du chant décanté naissant de la paresse
Dans une âpre mêlée de rites entre les dents
Une douleur fanée qui tremble à tes racines
je préfère la mort l'oubli l'a dignité
je suis si loin quand je compte tout ce que j'aime
© Gallimard
je suis si loin des voix
Des rumeurs de la fête
Le moulin d'écume tourne à rebours
Le sanglot des sources s'arrête
L'heure a glissé péniblement
Sur les grandes plages de lune
Et dans l'espace tiède étroit sans une faille
je dors la tête au coude
Sur le désert placide du cercle de la lampe
Temps terrible temps inhumain
Chassé sur les trottoirs de boue
Loin du cirque limpide qui décline des verres
Loin du chant décanté naissant de la paresse
Dans une âpre mêlée de rites entre les dents
Une douleur fanée qui tremble à tes racines
je préfère la mort l'oubli l'a dignité
je suis si loin quand je compte tout ce que j'aime
© Gallimard
benjamin-j-m- Nombre de messages : 398
Date d'inscription : 27/02/2011
Re: Pierre Reverdy Une poésie aux aguets
Temps couvert
Je suis au milieu d’un nuage
de neige
ou de fumée
L’éclat du jour fait son tapage
la fenêtre en battant
ouvre le mur du coin
la paupière assoupie
et l’œil déjà baissé
Plus loin
sur le détour où aurait dû tomber
le grand vent qui passait
en roulant l’atmosphère
la neige et la fumée
Quelques grains de soleil
et le poids de la terre
à peine soulevée
© Gallimard
benjamin-j-m- Nombre de messages : 398
Date d'inscription : 27/02/2011
Re: Pierre Reverdy Une poésie aux aguets
http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/reverdy/reverdy.html
benjamin-j-m- Nombre de messages : 398
Date d'inscription : 27/02/2011
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