Francis Jammes: tristesses
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Francis Jammes: tristesses
TRISTESSES
Je la désire dans cette ombreuse lumière
qui tombe avec midi sur la dormante treille
quand la poule a pondu son œuf dans la poussière.
Par dessus les liens où la lessive sèche,
je la verrai surgir, et sa figure claire.
Elle dira : je sens des pavots dans mes yeux.
Et sa chambre sera prête pour son sommeil,
et elle y entrera comme fait une abeille
dans la cellule nue que blanchit la chaleur.
Elle était descendue au bas de la prairie,
et, comme la prairie était toute fleurie
de plantes dont la tige aime à pousser dans l’eau,
ces plantes inondées je les avais cueillies.
Bientôt, s’étant mouillée, elle gagna le haut
de cette prairie-là qui était toute fleurie.
Elle riait et s’ébrouait avec la grâce
dégingandée qu’ont les jeunes filles trop grandes.
Elle avait le regard qu’ont les fleurs de lavande.
Dans le chemin toujours trempé, tant y est épais
le feuillage visqueux de l’aulne amertumé,
nous nous promènerons. Mais comme elle est plus grande
que moi, c’est elle qui écartera les branches
et elle encore qui mettra sur mon épaule
sa joue et ses yeux bleus qui fixeront le sol.
Elle est gravement gaie. Par moments son regard
se levait comme pour surprendre ma pensée.
Elle était douce alors comme quand il est tard
le velours jaune et bleu d’une allée de pensées.
Parfois, je suis triste. Et, soudain, je pense à elle.
Alors, je suis joyeux. Mais je redeviens triste
de ce que je ne sais pas combien elle m’aime.
Elle est la jeune fille à l’âme toute claire,
et qui, dedans son cœur, garde avec jalousie
l’unique passion que l’on donne à un seul.
Elle est partie avant que s’ouvrent les tilleuls,
et, comme ils ont fleuri depuis qu’elle est partie,
je me suis étonné de voir, ô mes amis,
des branches de tilleuls qui n’avaient pas de fleurs.
Un poète disait que, lorsqu’il était jeune,
il fleurissait des vers comme un rosier des roses.
Lorsque je pense à elle, il me semble que jase
une fontaine intarissable dans mon cœur.
Comme sur le lys Dieu pose un parfum d’église,
comme il met du corail aux joues de la cerise,
je veux poser sur elle, avec dévotion,
la couleur d’un parfum qui n’aura pas de nom.
Son souvenir emplit l’air si clair que j’ai cru
que l’ombre d’un oiseau me tombait sur la tête.
Le tulipier d’un parc est d’un vert noir et cru.
Une bonté sans nom emplit l’azur, du faîte
des pignons enfumés au plus loin horizon.
Dans la salon où elle vint, dans le salon
où il y avait des lilas sombres comme la nuit,
il y a maintenant des roses dans un verre
et un bouton de magnolia que ma mère
a posé sur le piano creux et verni.
Cette fleur ne s’est pas encore épanouie,
mais elle s’est gonflée comme pour éclater,
et se soulève hors du vase, et l’on dirait
qu’elle va s’envoler au milieu de l’Été.
Je ferme ma croisée pour mieux enfermer l’ombre.
Je songe. J’ai souffert. Je ne sais plus. Je songe.
La pompe grince et mon chien dort sur le parquet.
Quand donc viendra le jour où, poussant le loquet
de la porte d’entrée qui rêve sous le cèdre,
sa main fera jaillir sur les dalles usées
tout ce que sa présence amène de lumière?
Au pied de mon lit, une Vierge négresse
fut mise par ma mère. Et j’aime cette Vierge
d’une religion un peu italienne.
Virgo Lauretana, debout dans un fond d’or,
qui me faites penser à mille fruits de mer
que l’on vend sur les quais où pas un souffle d’air
n’émeut les pavillons qui lourdement s’endorment,
Virgo Lauretana, vous savez qu’en ces heures
où je ne me sens pas digne d’être aimé d’elle,
c’est vous dont le parfum me rafraîchit le cœur.
Elle avait emporté des brassées de lilas
Et, comme elle partait couverte de printemps,
elle était comme un lys qu’un pollen ravissant
aurait poudré. Son front est lisse, un peu trop grand.
Les lilas qu’elle avait, elle les posa là.
Je me suis approché de ces fleurs fatiguées
d’avoir été tenues un moment dans ses bras.
Courbé comme un enfant de chœur par l’encensoir,
sur leur sombre parfum ma bouche s’est posée.
Elle a tendu la main et m’a dit au revoir.
Si tout ceci n’est qu’un pauvre rêve, et s’il faut
que j’ajoute, dans ma vie, une fois encore,
la désillusion aux désillusions ;
et, si je dois encore, par ma sombre folie,
chercher dans la douceur du vent et de la pluie
les seules vaines voix qui m’aient en passion :
je ne sais si je guérirai, ô mon amie...
Je ne désire point ces ardeurs qui passionnent.
Non : elle me sera douce comme l’Automne.
Telle est sa pureté que je désirerais
qu’elle eût sur son chapeau de narcisses-des-prés.
Mais que, si elle doit me donner cette grâce
que la blanche vertu rend calme et efficace,
et veiller aux travaux ainsi que la fourmi,
je la voie au jardin me sourire parmi
les carrés de piments que Septembre rougit.
Ils me feront penser à mes passions passées.
Elle sera le lys qui les a dominées.
Ô mon cœur ! ce sera dans l’Août bleu et torride.
Lasse, vous poserez sur le coffret de buis
vos ciseaux où s’accrochera de la lumière.
Vous laisserez aller votre taille en arrière.
Vous fermerez vos cils sur vos yeux de lavande
dont l’Été semblera parfumer votre chambre.
Il sera je ne sais quelle heure après-midi :
l’heure où la guêpe en feu va boire dans le puits.
J’arriverai, par le grand soleil ébloui.
Je vous verrai ainsi, ô ruche pleine d’aube,
moulée par le sommeil dans votre chaste robe.
Et je m’approcherai tout doucement de vous,
et, sans vous déranger, mettrai sur vos genoux
des fraises et du pain et du sucre d’abeille.
Bientôt, vous éveillant de ce demi-sommeil,
vos lèvres écloront sur ces fruits et ce miel
comme une rose tendre et toute caressée
ou comme un abricot plein d’encens qui s’entrouvre.
Ô ménagère amie, framboise des forêts,
chaperon rouge errant qui se nourrit de baies,
ô vous qui par moments à mes yeux évoquez
la gravure où Perrette a renversé son lait :
vous ne me direz pas combien vous accablait
cette sieste où l’Été fait peser son délire.
Vous vous relèverez. Vous me regarderez.
Et, pleine d’un sanglot, alors vous sentirez
sourire dans mon cœur votre propre sourire.
Nous nous aimerons tant que nous tairons nos mots,
en nous tendant la main, quand nous nous reverrons.
Vous serez ombragée par d’anciens rameaux
sur le banc que je sais où nous nous assoierons.
C’est là que votre amie, cette fée du hameau,
gracieuse comme au temps de Jean-Jacques Rousseau,
et bonne comme on est quand on a bien souffert,
c’est là, dans le secret de ces asiles verts,
qu’elle parla de vous à celui qui vous aime.
Donc nous nous assoierons sur ce banc, tous deux seuls,
à l’heure où le soleil empourprant l’écureuil
descend sur la pelouse où sont les poulinières.
D’un long moment, ô mon amie, vous n’oserez...
Que vous me serrez douce et que je tremblerai...
Faisait-il beau quand elle est morte, votre amie ?
Oh !... Je voudrais savoir si c’était le matin...
Avant de s’en aller vous a-t-elle souri ?
Donnez-lui l’edelweiss que vous ne voulez point...
Je garde une médaille d’elle où sont gravés
une date et les mots : prier, croire, espérer.
Mais moi, je vois surtout que la médaille est sombre :
son argent a noirci sur son col de colombe.
« J’ai quelqu’un dans le cœur », deviez-vous dire un jour
à ceux qui vous proposeraient un autre amour.
« J’ai quelqu’un dans le cœur. » Et ce quelqu’un, c’est moi.
« J’ai quelqu’un dans le cœur. » Je pensais à cela,
à ces mots infinis par lesquels vous donniez
votre cœur à mon cœur, ô lierre qui mouriez...
Et je ne sais pourquoi, songeant à votre cœur,
je le voyais pareil au cœur frais d’une fleur,
à la fleur du cœur frais d’une rose de haie.
Vous m’avez regardé avec toute votre âme.
Vous m’avez regardé longtemps comme un ciel bleu.
J’ai mis votre regard à l’ombre de vos yeux...
Que ce regard était passionné et calme...
Je songe à ce jour-là où vous me confierez
votre pudeur pareille au -des-forêts.
Les lilas qui avaient fleuri l’année dernière
vont fleurir de nouveau dans les tristes parterres.
Déjà le pêcher grêle a jonché le ciel bleu
de ses roses, comme un enfant la Fête-Dieu.
Mon cœur devrait mourir au milieu de ces choses,
car c’était au milieu des vergers blancs et roses
que j’avais espéré je ne sais quoi de vous.
Mon âme rêve sourdement sur vos genoux.
Ne la repoussez point. Ne la relevez pas,
de peur qu’en s’éloignant de vous elle ne voie
combien vous êtes faible et troublée dans ses bras.
Deux ancolies se balançaient sur la colline.
Et l’ancolie disait à sa sœur l’ancolie :
Je tremble devant toi et demeure confuse.
Et l’autre répondait : si dans la roche qu’use
l’eau, goutte à goutte, si je me mire, je vois
que je tremble, et je suis confuse comme toi.
Le vent de plus en plus les berçait toutes deux,
les emplissait d’amour et mêlait leurs cœurs bleus.
Par ce que j’ai souffert, ma mésange bénie,
je sais ce qu’a souffert l’autre : car j’étais deux...
Je sais vos longs réveils au milieu de la nuit
et l’angoisse de moi qui vous gonfle le sein.
On dirait par moments qu’une tête chérie,
confiante et pure, ô vous qui êtes la sœur des lins
en fleurs et qui parfois fixez le ciel comme eux,
on dirait qu’une tête inclinée dans la nuit
pèse de tout son poids, à jamais, sur ma vie.
Venez sous la tonnelle assombrie de lilas
afin que je suspende, ainsi qu’une médaille,
à votre cou pareil à le rousseur du blé
et au lisse raisin qui dort sur la muraille,
avec un fil de Vierge une rose bengale...
…Venez, ma bien-aimée, venez, ô ma cigale,
car l’eau bleue dormira dans les reines-des-prés...
Demain fera un an qu’à Audaux je cueillais
les fleurs dont j’ai parlé, de la prairie mouillée.
C’est aujourd’hui le plus beau jour des jours de Pâques.
Je me suis enfoncé dans l’azur des campagnes,
à travers bois, à travers prés, à travers champs.
Comment, mon cœur, n’es-tu pas mort depuis un an ?
Mon cœur, je t’ai donné encore ce calvaire
de revoir ce village où j’avais tant souffert,
ces roses qui saignaient devant le presbytère,
ces lilas qui me tuent dans les tristes parterres.
Je me suis souvenu de ma détresse ancienne,
et je ne sais comment je ne suis pas tombé
sur l’ocre du sentier, le front dans la poussière.
Plus rien. Je n’ai plus rien, plus rien qui me soutienne.
Pourquoi fait-il si beau et pourquoi suis-je né ?
J’aurais voulu poser sur vos calmes genoux
la fatigue qui rompt mon âme qui se couche
ainsi qu’une pauvresse au fossé de la route.
Dormir. Pouvoir dormir. Dormir à tout jamais
sous les averses bleues, sous les tonnerres frais.
Ne plus sentir. Ne plus savoir votre existence.
Ne plus voir cet azur engloutir ces coteaux
dans ce vertige bleu qui mêle l’air à l’eau,
ni ce vide où je cherche en vain votre présence.
Il me semble sentir pleurer au fond de moi,
d’un lourd sanglot muet, quelqu’un qui n’est pas là.
J’écris. Et la campagne est sonore de joie.
On entend les clochers qui appellent aux vêpres,
et les grillons chanter l’heureuse paix champêtre.
On voit à l’intérieur pâle des métairies
les chapeaux de travail dormir près des tamis.
…Elle était descendue au bas de la prairie,…
et comme la prairie était toute fleurie
karim safriwi- Nombre de messages : 615
Date d'inscription : 03/07/2008
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