Saint-Exupéry
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Saint-Exupéry
poème témoignant de sa passion pour les avions :
Les ailes frémissaient sous le souffle du soir
Le moteur de son chant berçait l'âme endormie
Le soleil nous frôlait de sa couleur pâle.
La guerre aussi l'inspire, il réalise des caricatures de soldats prussiens et de leurs casques à pointe, de l'empereur et du Kronprinz. Il écrit aussi quelques poèmes :Les ailes frémissaient sous le souffle du soir
Le moteur de son chant berçait l'âme endormie
Le soleil nous frôlait de sa couleur pâle.
Parfois confusément sous un rayon lunaire,Printemps de guerre
Un soldat se détache incliné sur l'eau claire ;
Il rêve à son amour, il rêve à ses vingt ans !
L'amour lui inspire des poèmes romantiques:
Je me souviens de toi comme d'un foyer clair
Près de qui j'ai vécu des heures, sans rien dire
Pareil aux vieux chasseurs fatigués du grand air
Qui tisonnent tandis que leur chien blanc respire.
À mon amie
NORA- Invité
Antoine de Saint-Exupéry
Antoine Marie Jean-Baptiste Roger de Saint-Exupéry est né le 29 juin 1900 à Lyon et a disparu en vol le 31 juillet 1944,Antoine de Saint-Exupéry était un écrivain, poète et aviateur français. il aussi très connu sous le nom de Saint-Ex.
Antoine de Saint-Exupéry est né en 1900 à Lyon dans une famille issue de la noblesse française , Antoine de Saint-Exupéry a une enfance heureuse malgré la mort prématurée de son père. Saint Ex n'est pas un élève brillant, mais il obtient cependant son baccalauréat en 1917 et après son échec à l'École navale, il s'oriente vers les beaux-arts et l'architecture. C'est lors de son service militaire en 1921 qu'il devient pilote, il est engagé par la suite en 1926 par la compagnie Latécoère, la future Aéropostale et transporte le courrier de Toulouse au Sénégal avant de rejoindre l'Amérique du sud en 1929. Parallèlement à cela il publie en s'inspirant de ses expériences d'aviateur ses premiers romans : Courrier Sud en 1929 et surtout Vol de Nuit en 1931 qui rencontre le succès.
Biographie de Antoine DE SAINT-EXUPÉRY
À partir de 1932, sa compagnie rencontre des difficultés et Saint-Exupéry se consacre à l’écriture et au journalisme. Il entreprend de grands reportages au Vietnam en 1934 , à Moscou en 1935, en Espagne en 1936... qui nourriront sa réflexion sur les valeurs humanistes qu'il développe dans Terre des hommes publié en 1939.
En 1939, il est mobilisé dans l'armée de l'air et est affecté dans une escadrille de reconnaissance aérienne. À l'armistice, il quitte la France pour New York avec pour objectif de faire entrer les Américains dans la guerre et devient l'une des voix de la Résistance. Rêvant d'action, il rejoint enfin au printemps 1944, en Sardaigne puis en Corse, une unité chargée de reconnaissances photographiques en vue du débarquement en Provence. Il disparaît lors de sa mission du 31 juillet 1944 : son avion et son corps n'ont pas été retrouvés.
Son célèbre Le Petit Prince écrit à New York pendant la guerre est publié avec ses propres aquarelles en 1943 à New York et en 1945 en France. Le conte plein de charme et d'humanité devient très vite un immense succès mondial.
Antoine de Saint-Exupéry est né en 1900 à Lyon dans une famille issue de la noblesse française , Antoine de Saint-Exupéry a une enfance heureuse malgré la mort prématurée de son père. Saint Ex n'est pas un élève brillant, mais il obtient cependant son baccalauréat en 1917 et après son échec à l'École navale, il s'oriente vers les beaux-arts et l'architecture. C'est lors de son service militaire en 1921 qu'il devient pilote, il est engagé par la suite en 1926 par la compagnie Latécoère, la future Aéropostale et transporte le courrier de Toulouse au Sénégal avant de rejoindre l'Amérique du sud en 1929. Parallèlement à cela il publie en s'inspirant de ses expériences d'aviateur ses premiers romans : Courrier Sud en 1929 et surtout Vol de Nuit en 1931 qui rencontre le succès.
Biographie de Antoine DE SAINT-EXUPÉRY
À partir de 1932, sa compagnie rencontre des difficultés et Saint-Exupéry se consacre à l’écriture et au journalisme. Il entreprend de grands reportages au Vietnam en 1934 , à Moscou en 1935, en Espagne en 1936... qui nourriront sa réflexion sur les valeurs humanistes qu'il développe dans Terre des hommes publié en 1939.
En 1939, il est mobilisé dans l'armée de l'air et est affecté dans une escadrille de reconnaissance aérienne. À l'armistice, il quitte la France pour New York avec pour objectif de faire entrer les Américains dans la guerre et devient l'une des voix de la Résistance. Rêvant d'action, il rejoint enfin au printemps 1944, en Sardaigne puis en Corse, une unité chargée de reconnaissances photographiques en vue du débarquement en Provence. Il disparaît lors de sa mission du 31 juillet 1944 : son avion et son corps n'ont pas été retrouvés.
Son célèbre Le Petit Prince écrit à New York pendant la guerre est publié avec ses propres aquarelles en 1943 à New York et en 1945 en France. Le conte plein de charme et d'humanité devient très vite un immense succès mondial.
fayssal morad- Nombre de messages : 840
Date d'inscription : 12/03/2010
Si je suis descendu
«si je suis descendu
je ne regretterai absolument rien.
La termitière future m’épouvante.
Et je hais leur vertu de robots.
Moi, j’étais fait pour être jardinier. »
Les dernières lignes d’une lettre adressée
à Pierre Dalloz, écrite la veille de sa mort,
le 30 juillet 1944.
je ne regretterai absolument rien.
La termitière future m’épouvante.
Et je hais leur vertu de robots.
Moi, j’étais fait pour être jardinier. »
Les dernières lignes d’une lettre adressée
à Pierre Dalloz, écrite la veille de sa mort,
le 30 juillet 1944.
fayssal morad- Nombre de messages : 840
Date d'inscription : 12/03/2010
la grandeur de la prière
La grandeur de la prière
réside d'abord en ce
qu'il n'y est point répondu
et que n'entre point dans
cet échange la laideur
d'un commerce.
Antoine de Saint Exupéry
réside d'abord en ce
qu'il n'y est point répondu
et que n'entre point dans
cet échange la laideur
d'un commerce.
Antoine de Saint Exupéry
fayssal morad- Nombre de messages : 840
Date d'inscription : 12/03/2010
je remontais...
Je remontais dans ma mémoire jusqu'à l'enfance,
pour retrouver le sentiment
d'une protection souveraine.
Il n'est point de protection pour les hommes.
Une fois homme on vous laisse aller.
Antoine de Saint-Exupéry
pour retrouver le sentiment
d'une protection souveraine.
Il n'est point de protection pour les hommes.
Une fois homme on vous laisse aller.
Antoine de Saint-Exupéry
fayssal morad- Nombre de messages : 840
Date d'inscription : 12/03/2010
j'écris...
« J’écris depuis l’âge de six ans.
Ce n’est pas l’avion qui m’a amené au livre.
Je pense que si j’avais été
mineur, j’aurais cherché à puiser
un enseignement sous la terre. »
Antoine de Saint-Exupéry
Ce n’est pas l’avion qui m’a amené au livre.
Je pense que si j’avais été
mineur, j’aurais cherché à puiser
un enseignement sous la terre. »
Antoine de Saint-Exupéry
fayssal morad- Nombre de messages : 840
Date d'inscription : 12/03/2010
à dieu...
« Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple :
On ne voit bien qu’avec le coeur, l’essentiel est invisible pour les yeux. »
« Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître.
Ils achètent des choses toutes faîtes chez les marchands.
Mais comme il n’existe point de marchand d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. »
« C’est tellement mystérieux, le pays des larmes. »
« J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable.
On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence… »
« Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part.. »
« Droit devant soi, on ne peut pas aller bien loin. »
On ne voit bien qu’avec le coeur, l’essentiel est invisible pour les yeux. »
« Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître.
Ils achètent des choses toutes faîtes chez les marchands.
Mais comme il n’existe point de marchand d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. »
« C’est tellement mystérieux, le pays des larmes. »
« J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable.
On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence… »
« Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part.. »
« Droit devant soi, on ne peut pas aller bien loin. »
fayssal morad- Nombre de messages : 840
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l'aviateur
Les roues puissantes écrasent les cales.
Battue par le vent de l’hélice, l’herbe jusqu’à vingt mètres en arrière semble couler.
Le pilote, d’un mouvement de son poignet, déchaîne ou retient l’orage.
Le bruit s’enfle maintenant dans les reprises répétées jusqu’à devenir un milieu dense, presque solide, où le corps se trouve enfermé. Quand le pilote le sent combler en lui tout ce qu’il y a d’inassouvi, il pense : « C’est bien » puis, du revers des doigts, frôle la carlingue : rien ne vibre. Il jouit de cette énergie si condensée.
Il se penche : « Adieu mes amis… » Pour cet adieu dans l’aube ils traînent des ombres immenses. Mais au seuil de ce bond de plus de trois mille kilomètres, le pilote est déjà loin d’eux :… Il regarde le capot noir appuyé sur le ciel, à contre-jour, en obusier. Derrière l’hélice un paysage de gaze tremble.
Le moteur tourne maintenant au ralenti. On dénoue les poignées de main comme des amarres, les dernières. Le silence est étrange quand on agrafe sa ceinture et les deux courroies du parachute, puis quand d’un mouvement des épaules, du buste on ajuste à son corps la carlingue. C’est le départ même : dès lors on est d’un autre monde.
Un dernier coup d’œil au tablier, horizon de cadrans, étroit mais expressif — on ramène, soigneux, l’altimètre au zéro — un dernier coup d’œil aux ailes épaisses et courtes, un signe de la tête : « Ça va… », le voilà libre.
Ayant roulé lentement vent debout il tire à lui la manette des gaz, le moteur, décharge de poudre, s’embrase, l’avion, happé par l’hélice ; fonce. Les premiers bonds sur l’air élastique s’amortissent et le pilote, qui mesure sa vitesse aux réactions des commandes, se propage en elles, se sent grandir.
Le sol maintenant paraît se tendre, filer sous les roues comme une courroie. Ayant enfin jugé l’air d’abord impalpable puis fluide, devenu maintenant solide, le pilote s’y appuie et monte.
Les hangars qui bordent la piste, les arbres puis les collines livrent l’horizon et se dérobent. À deux cents mètres on se penche encore sur une bergerie d’enfant aux arbres posés droits, aux maisons peintes, les forêts sont encore épaisses comme une fourrure. Puis le sol se dénude.
L’atmosphère est houleuse, faite de vagues courtes et dures sur lesquelles l’avion bute et cabre, les remous le frappent aux ailes et tout entier il résonne. Mais le pilote le tient dans la main comme par le centre un balancier.
À trois mille il gagne le calme. Le soleil se prend dans la mâture, aucun remous ne l’y agite. La terre, si loin, se fige, immobile. Le pilote règle les volets, le correcteur d’air et le cap sur Paris calcule sa dérive. Puis, se laissant engourdir pour dix heures, il ne se meut plus que dans le temps.
Les vagues déploient, immobiles, un grand éventail sur la mer.
Le soleil a doublé enfin le mât extrême.
Un malaise physique a surpris le pilote. Il regarde : l’aiguille du compte-tours balance. Il regarde : la mer. Puis un hoquet rauque du moteur fait un trou dans sa conscience comme une syncope. Il brasse d’instinct la manette des gaz.
Ce n’était rien… une goutte d’eau. Il ramène doucement le moteur à cette note qui le comblait. N’était une sueur froide, il ne croirait pas avoir eu peur.
Il retrouve peu à peu l’inclinaison du dos, le point d’appui exact du coude nécessaires à sa paix.
Le soleil maintenant le surplombe. La fatigue est bonne si l’on ne fait pas de mouvement, si l’on ne détruit pas dans un membre l’engourdissement qui le protège, s’il suffit de pesées très douces sur les commandes.
La pression d’huile descend, remonte, que se passe-t-il là-dedans ?
Le moteur vibre. Salaud. Le soleil a tourné à gauche, rougit déjà.
Le bruit du moteur est métallique. Non… ce n’est pas une bielle. La distribution ?
L’écrou de la manette des gaz s’est desserré. Il faut la garder à sa main, quelle gêne !
C’est peut-être une bielle.
Ainsi l’on s’aperçoit à l’essoufflement, aux dents qui branlent, aux cheveux gris, que tout le corps à la fois a vieilli.
Pourvu qu’il tienne jusqu’à la terre.
La terre est rassurante avec ses champs bien découpés et ses forêts géométriques et ses villages. Le pilote plonge pour mieux la savourer. La terre de là-haut paraissait nue et morte, l’avion descend : elle s’habille. Les bois de nouveau la capitonnent, les vallées, les coteaux impriment en elle une houle : elle respire. Une montagne qu’il survole, poitrine de géant couché, se gonfle presque jusqu’à lui. Un jardin, sur lequel il pointe son capot, élargit ses massifs, s’ouvre à l’échelle de l’homme.
« Mon moteur gaze le tonnerre ! » les bruits qu’il entendait ? Il n’y croit plus. Si près du sol c’est pourtant la vie même.
Il épouse les courbes des plaines, s’en rapproche comme d’un laminoir et s’y aiguise, comme un drap, tire à lui les champs et derrière lui les rejette, tente les peupliers, coup de raquette, leur échappe et quelquefois écarte largement la terre comme un lutteur reprend sa respiration.
Il cingle maintenant vers le port au ras des verrières d’usine, déjà de lumière, au ras des parcs, déjà d’ombre. Le sol torrentiel charrie sous lui des toits, des murs, des arbres issus de l’horizon inépuisable.
L’atterrissage est décevant. On troque le torrent du vent, le grondement de son moteur et l’écrasement du dernier virage contre une province silencieuse où l’on étouffe, un paysage d’affiche aux hangars très blancs, aux tapis très verts, aux peupliers bien découpés où de jeunes Anglaises descendent, une raquette sous le bras, des avions bleus de Paris-Londres.
Il se laisse choir le long de la carlingue gluante. On se précipite vers lui : « Splendide ! splendide !… » Des officiers, des amis, des badauds. La fatigue lui serre soudain les épaules : « On vous enlève !… » Il baisse le front, regarde ses mains luisantes d’huile, se sent dégrisé, triste à mourir.
Il n’est plus que Jacques Bernis habillé d’un veston qui sent le camphre. Il se meut dans un corps engourdi, maladroit, demande à ses cantines trop bien rangées dans un coin de la chambre tout ce qu’elles révèlent d’instable, de provisoire. Cette chambre n’est pas conquise encore par du linge blanc, par des livres.
« Allo… c’est toi ? » Il recense les amitiés. On s’exclame, on le félicite : « Un revenant ! ! — Eh oui… Quand verrai-je ? » On n’est justement pas libre aujourd’hui. Demain ?
Demain on joue au golf mais qu’il vienne aussi. Il ne veut pas ? Alors après-demain — dîner — huit heures précises.
Bernis remonte les boulevards. Il lui semble remonter toute la foule comme un courant. Il lui semble affronter tous les visages. Certains lui font du mal comme l’image même du repos. Cette femme conquise et la vie serait calme… calme… Certains visages d’hommes sont lâches et il se sent fort.
Il entre pesant dans un dancing, garde parmi les gigolos son manteau épais comme un vêtement d’explorateur. Ils vivent leur nuit dans cette enceinte comme des goujons dans un aquarium, tournent un madrigal, dansent, reviennent boire. Bernis dans ce milieu flou où seul il conserve sa raison se sent lourd comme un portefaix, pèse droit sur ses jambes, ses pensées n’ont point de halo. Il avance parmi les tables vers une place libre. Les yeux des femmes qu’il touche des siens se dérobent, semblent s’éteindre. Les jeunes gens s’écartent, flexibles, pour qu’il passe. Ainsi, dans les rondes de nuit, les cigarettes des sentinelles, à mesure qu’il avance, tombent des doigts.
Affecté à la formation d’élèves pilotes, il déjeune aujourd’hui dans l’unique auberge près du terrain. Des sous-officiers boivent leur café et causent. Bernis les écoute.
« Ils font un métier. J’aime ces hommes. »
Ils parlent de la piste qui est trop boueuse, des indemnités de convoyage puis de l’aventure d’aujourd’hui. « À cent mètres, une bielle dans le carter. Quelle salade. Pas un terrain… En arrière une cour de ferme. Je me fous en glissade, je redresse, je rentre percutant dans le fumier. » On rit. « C’est comme le jour, raconte un adjudant, que j’ai embouti une meule de foin. Je cherche mon passager, un lieutenant, penses-tu… vidé. Je le retrouve assis derrière la meule. »
Bernis pense : d’autres y ont laissé leur peau mais ce ne sont pour eux que des accidents du travail. J’aime assez leurs récits nus comme des feuilles de rapport. Ces hommes me plaisent, non que j’aie l’esprit de famille, mais il est possible, entre soi, d’être simple.
Racontez-nous vos impressions disent les femmes.
« C’est vous l’élève Pichon ? — Oui. — Vous n’avez encore jamais volé ? — Non. » Bien : il n’aura pas d’idées préconçues. Les anciens observateurs croient tout savoir : ils ont retenu des formules « Manche à gauche… Pied contraire… » Ce sont pas des élèves souples.
« Je vous emmène : au premier tour vous regarderez simplement. » Ils s’installent.
Le mécano au rabais de la section d’avions-école brasse l’hélice avec une lenteur irréparable. Il a encore six mois huit jours à tirer, il l’a même gravé ce matin sur le mur des W. C. Cela fait, il l’a calculé, environ dix mille tours d’hélice. Rien n’y changera rien. Alors…
L’élève regarde le ciel bleu, les arbres bêtes, un troupeau de vaches qui broutent la piste. Son moniteur astique de la manche la manette des gaz : ça fait plaisir de la voir luire. Le mécano compte les tours : que d’énergie perdue, il en est déjà à vingt-deux ! « Si tu décrassais les bougies ? » Cela permet au mécano de réfléchir.
Un moteur ça part si ça veut. Vaut mieux le laisser libre. Trente. Trente et un… le moteur part.
L’élève ne comprend plus rien aux mots de danger, d’héroïsme, d’ivresse de l’air.
L’avion roule, l’élève le croit encore au sol quand il aperçoit les hangars sous lui. Un vent dur lui masse les joues, il fixe le dos du moniteur…
Bon Dieu… quoi ? on descend. La terre verse à droite, à gauche. Il se cramponne. Où est le terrain ? Il ne voit plus que des forêts qui tournent, se rapprochent, une voie de chemin de fer suspendue droite, le ciel… et tout à coup le champ se range devant eux horizontal, paisible, au ras des roues. L’élève sent le contact de l’herbe ; le vent tombe, voilà… le moniteur se retourne et rit, l’élève cherche à comprendre.
« Principes élémentaires, lui enseigne Bernis, quoi qu’il arrive d’anormal, primo : coupez, secundo : retirez vos lunettes, tertio : cramponnez-vous. En cas d’incendie seulement détachez-vous. Compris ? — Compris. »
Voilà enfin les mots que l’élève attendait, ceux qui matérialisent le danger, l’en jugent digne. Aux civils on dirait « Rien à craindre ». Pichon, dépositaire d’un tel secret, est fier… « D’ailleurs, achève le moniteur, l’aviation ça n’est pas dangereux. »
On attend Mortier. Bernis bourre sa pipe. Un mécano assis sur un bidon, la tête dans les mains, regarde avec surprise son pied gauche, battre la mesure.
« Dites donc, Bernis, le temps se bouche ! » Le mécano lève les yeux et voit l’horizon déjà flou. Deux ou trois arbres s’y profilent mais la brume déjà les cimente. Bernis ne lève pas les yeux, continue de bourrer sa pipe : « Je sais. Ça m’ennuie. » Mortier achève son brevet et devrait avoir atterri.
« Bernis vous devriez téléphoner là-bas… — C’est fait. Il a décollé à quatre heures vingt. — Depuis, pas de nouvelles ? — Pas de nouvelles. »
Le colonel s’éloigne.
Bernis pose alors ses poings sur les hanches, regarde avec défi la brume qui choit doucement comme un filet, traque l’élève, Dieu sait où, contre la terre : « Et Mortier qui manque de sang-froid, qui pilote comme un cochon… c’est malheureux ! »
« Écoute… » non, ce n’est rien : une voiture.
« Mortier, si tu t’en tires, je te promets… je … je t’embrasse. »
« Bernis !… au téléphone. »
« Allô… quel est cet imbécile qui rase les toits de Donazelle ? — C’est un imbécile qui est en train de se tuer. Foutez-lui la paix, engueulez la brume ! — Mais… dites donc… — Allez le chercher avec une échelle ! » Bernis raccroche. Mortier s’est perdu, tente de trouver un repère.
La brume cède comme une voûte molle : on ne se distingue plus à dix mètres.
« Va dire aux infirmiers de préparer la camionnette, S’ils ne sont pas ici dans cinq minutes, je leur fous quinze jours de tôle. »,
« Le voilà ! » Tout le monde s’est levé. Il fonce vers eux invisible et aveugle. Le colonel les a rejoints : « Bon Dieu de Bon Dieu de Bon Dieu… » Bernis murmure inlassablement entre ses dents : « Coupe mais coupe donc le contact… mais coupe donc… tu ne peux pas éviter d’emboutir ! »
Il ne dut voir l’obstacle qu’à dix mètres de lui mais personne n’en sut jamais rien.
On court vers l’avion effondré. Il y a déjà là des soldats attirés par ce fait divers imprévu, des sous-officiers trop zélés, des officiers que leur autorité soudain encombre. Il y a l’officier de jour qui, n’ayant rien vu, explique tout, il y a le colonel qui s’incline trop car il tient le rôle ingrat de père.
Le pilote est enfin dégagé, la face verte, l’œil gauche énorme, les dents cassées. On l’étend sur l’herbe, on fait le cercle. « On pourrait peut-être… », dit le colonel ; « on pourrait peut-être… » dit un lieutenant et un sous-officier dégrafe le col du blessé, ce qui ne lui fait aucun mal et calme les consciences. « L’ambulance ? L’ambulance ?… », interroge encore le colonel qui cherche une décision à prendre, par métier. On lui répond : « Elle arrive » sans rien en savoir, ce qui l’apaise. Puis il s’écrie : « À propos… » et s’éloigne d’un pas rapide, d’ailleurs sans but.
La situation cependant gêne Bernis. Ce cercle autour du moribond lui paraît même inconvenant. « Allons, mes enfants, allez-vous-en… allez-vous-en… » Et, par groupes, on s’éloigne dans la brume à travers les potagers et les vergers où l’avion prosaïque a chu.
L’élève pilote Pichon a compris quelque chose : on meurt et cela ne fait pas grand bruit. Il est presque fier de cette intimité avec la mort. Il revoit son premier vol avec Bernis, sa déception de ce paysage si plat, de ce calme, il n’y découvrait pas cette présence. Elle était là mais elle était là toute simple, nullement emphatique, derrière le sourire de Bernis et l’inertie du mécano, derrière le premier plan de ce soleil, de ce ciel bleu. Il a pris le bras de Bernis : « Vous savez… je volerai demain. Je n’ai pas peur. » Mais Bernis refuse d’admirer « Naturellement. Vous ferez demain vos spirales. » Pichon comprend encore quelque chose : « Ils n’avaient pas l’air très émus mais pour ne pas faire de phrases… — C’est un accident du travail », répond Bernis.
Bernis se saoule.
Ce monoplace de chasse gaze le tonnerre. Le sol sous lui est laid : une terre si vieille, si usée, rapiécée à l’infini : on dirait un lotissement.
Quatre mille trois cents mètres : Bernis est seul. Il regarde ce monde carrelé à la façon d’une Europe d’atlas. Les terres jaunes de blé ou rouges de trèfle, qui sont l’orgueil des hommes et leur souci, se juxtaposent, hostiles. Dix siècles de luttes, de jalousies, de procès ont stabilisé chaque contour : le bonheur des hommes est bien parqué !
Bernis pense qu’il ne faut plus demander son ivresse aux rêves qui bercent et qui anémient mais qu’il faut là tirer de sa force : il la mesure.
Il prend de la vitesse, réservoir d’énergie, fonce, pleins gaz, puis lentement tire le manche à lui. L’horizon bascule, la terre se retire comme une marée, droit vers le ciel l’avion fuse. Puis au sommet de la parabole il se renverse sur lui-même et le ventre en l’air, poisson mort, vacille…
Le pilote noyé dans le ciel voit la terre au-dessus de lui comme une plage s’allonger puis face à lui tomber de tout son poids : vertigineuse. Il coupe ; elle s’immobilise verticale, comme un mur : l’avion coule à pic. Bernis le hâle doucement jusqu’à retrouver devant lui le lac calme de l’horizon.
Des virages l’écrasent sur le siège, des chandelles l’allègent, l’allègent comme une bulle qui va crever, un flux retire l’horizon et le ramène, le moteur souple gronde, s’apaise, reprend…
Un craquement sec : l’aile gauche !
Le pilote pris en traître croit donner dans un croc en jambes : l’air s’est dérobé sous les ailes. L’avion, foreuse, plonge en vrille.
L’horizon d’un seul coup passe sur sa tête comme un drap. La terre l’enveloppe et, manège, tourne, entraînant ses bois, ses clochers, ses plaines. Le pilote voit passer encore, lancée par une fronde, une villa blanche…
Vers le pilote assassiné, comme la mer vers le plongeur, jaillit la terre.
Battue par le vent de l’hélice, l’herbe jusqu’à vingt mètres en arrière semble couler.
Le pilote, d’un mouvement de son poignet, déchaîne ou retient l’orage.
Le bruit s’enfle maintenant dans les reprises répétées jusqu’à devenir un milieu dense, presque solide, où le corps se trouve enfermé. Quand le pilote le sent combler en lui tout ce qu’il y a d’inassouvi, il pense : « C’est bien » puis, du revers des doigts, frôle la carlingue : rien ne vibre. Il jouit de cette énergie si condensée.
Il se penche : « Adieu mes amis… » Pour cet adieu dans l’aube ils traînent des ombres immenses. Mais au seuil de ce bond de plus de trois mille kilomètres, le pilote est déjà loin d’eux :… Il regarde le capot noir appuyé sur le ciel, à contre-jour, en obusier. Derrière l’hélice un paysage de gaze tremble.
Le moteur tourne maintenant au ralenti. On dénoue les poignées de main comme des amarres, les dernières. Le silence est étrange quand on agrafe sa ceinture et les deux courroies du parachute, puis quand d’un mouvement des épaules, du buste on ajuste à son corps la carlingue. C’est le départ même : dès lors on est d’un autre monde.
Un dernier coup d’œil au tablier, horizon de cadrans, étroit mais expressif — on ramène, soigneux, l’altimètre au zéro — un dernier coup d’œil aux ailes épaisses et courtes, un signe de la tête : « Ça va… », le voilà libre.
Ayant roulé lentement vent debout il tire à lui la manette des gaz, le moteur, décharge de poudre, s’embrase, l’avion, happé par l’hélice ; fonce. Les premiers bonds sur l’air élastique s’amortissent et le pilote, qui mesure sa vitesse aux réactions des commandes, se propage en elles, se sent grandir.
Le sol maintenant paraît se tendre, filer sous les roues comme une courroie. Ayant enfin jugé l’air d’abord impalpable puis fluide, devenu maintenant solide, le pilote s’y appuie et monte.
Les hangars qui bordent la piste, les arbres puis les collines livrent l’horizon et se dérobent. À deux cents mètres on se penche encore sur une bergerie d’enfant aux arbres posés droits, aux maisons peintes, les forêts sont encore épaisses comme une fourrure. Puis le sol se dénude.
L’atmosphère est houleuse, faite de vagues courtes et dures sur lesquelles l’avion bute et cabre, les remous le frappent aux ailes et tout entier il résonne. Mais le pilote le tient dans la main comme par le centre un balancier.
À trois mille il gagne le calme. Le soleil se prend dans la mâture, aucun remous ne l’y agite. La terre, si loin, se fige, immobile. Le pilote règle les volets, le correcteur d’air et le cap sur Paris calcule sa dérive. Puis, se laissant engourdir pour dix heures, il ne se meut plus que dans le temps.
Les vagues déploient, immobiles, un grand éventail sur la mer.
Le soleil a doublé enfin le mât extrême.
Un malaise physique a surpris le pilote. Il regarde : l’aiguille du compte-tours balance. Il regarde : la mer. Puis un hoquet rauque du moteur fait un trou dans sa conscience comme une syncope. Il brasse d’instinct la manette des gaz.
Ce n’était rien… une goutte d’eau. Il ramène doucement le moteur à cette note qui le comblait. N’était une sueur froide, il ne croirait pas avoir eu peur.
Il retrouve peu à peu l’inclinaison du dos, le point d’appui exact du coude nécessaires à sa paix.
Le soleil maintenant le surplombe. La fatigue est bonne si l’on ne fait pas de mouvement, si l’on ne détruit pas dans un membre l’engourdissement qui le protège, s’il suffit de pesées très douces sur les commandes.
La pression d’huile descend, remonte, que se passe-t-il là-dedans ?
Le moteur vibre. Salaud. Le soleil a tourné à gauche, rougit déjà.
Le bruit du moteur est métallique. Non… ce n’est pas une bielle. La distribution ?
L’écrou de la manette des gaz s’est desserré. Il faut la garder à sa main, quelle gêne !
C’est peut-être une bielle.
Ainsi l’on s’aperçoit à l’essoufflement, aux dents qui branlent, aux cheveux gris, que tout le corps à la fois a vieilli.
Pourvu qu’il tienne jusqu’à la terre.
La terre est rassurante avec ses champs bien découpés et ses forêts géométriques et ses villages. Le pilote plonge pour mieux la savourer. La terre de là-haut paraissait nue et morte, l’avion descend : elle s’habille. Les bois de nouveau la capitonnent, les vallées, les coteaux impriment en elle une houle : elle respire. Une montagne qu’il survole, poitrine de géant couché, se gonfle presque jusqu’à lui. Un jardin, sur lequel il pointe son capot, élargit ses massifs, s’ouvre à l’échelle de l’homme.
« Mon moteur gaze le tonnerre ! » les bruits qu’il entendait ? Il n’y croit plus. Si près du sol c’est pourtant la vie même.
Il épouse les courbes des plaines, s’en rapproche comme d’un laminoir et s’y aiguise, comme un drap, tire à lui les champs et derrière lui les rejette, tente les peupliers, coup de raquette, leur échappe et quelquefois écarte largement la terre comme un lutteur reprend sa respiration.
Il cingle maintenant vers le port au ras des verrières d’usine, déjà de lumière, au ras des parcs, déjà d’ombre. Le sol torrentiel charrie sous lui des toits, des murs, des arbres issus de l’horizon inépuisable.
L’atterrissage est décevant. On troque le torrent du vent, le grondement de son moteur et l’écrasement du dernier virage contre une province silencieuse où l’on étouffe, un paysage d’affiche aux hangars très blancs, aux tapis très verts, aux peupliers bien découpés où de jeunes Anglaises descendent, une raquette sous le bras, des avions bleus de Paris-Londres.
Il se laisse choir le long de la carlingue gluante. On se précipite vers lui : « Splendide ! splendide !… » Des officiers, des amis, des badauds. La fatigue lui serre soudain les épaules : « On vous enlève !… » Il baisse le front, regarde ses mains luisantes d’huile, se sent dégrisé, triste à mourir.
Il n’est plus que Jacques Bernis habillé d’un veston qui sent le camphre. Il se meut dans un corps engourdi, maladroit, demande à ses cantines trop bien rangées dans un coin de la chambre tout ce qu’elles révèlent d’instable, de provisoire. Cette chambre n’est pas conquise encore par du linge blanc, par des livres.
« Allo… c’est toi ? » Il recense les amitiés. On s’exclame, on le félicite : « Un revenant ! ! — Eh oui… Quand verrai-je ? » On n’est justement pas libre aujourd’hui. Demain ?
Demain on joue au golf mais qu’il vienne aussi. Il ne veut pas ? Alors après-demain — dîner — huit heures précises.
Bernis remonte les boulevards. Il lui semble remonter toute la foule comme un courant. Il lui semble affronter tous les visages. Certains lui font du mal comme l’image même du repos. Cette femme conquise et la vie serait calme… calme… Certains visages d’hommes sont lâches et il se sent fort.
Il entre pesant dans un dancing, garde parmi les gigolos son manteau épais comme un vêtement d’explorateur. Ils vivent leur nuit dans cette enceinte comme des goujons dans un aquarium, tournent un madrigal, dansent, reviennent boire. Bernis dans ce milieu flou où seul il conserve sa raison se sent lourd comme un portefaix, pèse droit sur ses jambes, ses pensées n’ont point de halo. Il avance parmi les tables vers une place libre. Les yeux des femmes qu’il touche des siens se dérobent, semblent s’éteindre. Les jeunes gens s’écartent, flexibles, pour qu’il passe. Ainsi, dans les rondes de nuit, les cigarettes des sentinelles, à mesure qu’il avance, tombent des doigts.
Affecté à la formation d’élèves pilotes, il déjeune aujourd’hui dans l’unique auberge près du terrain. Des sous-officiers boivent leur café et causent. Bernis les écoute.
« Ils font un métier. J’aime ces hommes. »
Ils parlent de la piste qui est trop boueuse, des indemnités de convoyage puis de l’aventure d’aujourd’hui. « À cent mètres, une bielle dans le carter. Quelle salade. Pas un terrain… En arrière une cour de ferme. Je me fous en glissade, je redresse, je rentre percutant dans le fumier. » On rit. « C’est comme le jour, raconte un adjudant, que j’ai embouti une meule de foin. Je cherche mon passager, un lieutenant, penses-tu… vidé. Je le retrouve assis derrière la meule. »
Bernis pense : d’autres y ont laissé leur peau mais ce ne sont pour eux que des accidents du travail. J’aime assez leurs récits nus comme des feuilles de rapport. Ces hommes me plaisent, non que j’aie l’esprit de famille, mais il est possible, entre soi, d’être simple.
Racontez-nous vos impressions disent les femmes.
« C’est vous l’élève Pichon ? — Oui. — Vous n’avez encore jamais volé ? — Non. » Bien : il n’aura pas d’idées préconçues. Les anciens observateurs croient tout savoir : ils ont retenu des formules « Manche à gauche… Pied contraire… » Ce sont pas des élèves souples.
« Je vous emmène : au premier tour vous regarderez simplement. » Ils s’installent.
Le mécano au rabais de la section d’avions-école brasse l’hélice avec une lenteur irréparable. Il a encore six mois huit jours à tirer, il l’a même gravé ce matin sur le mur des W. C. Cela fait, il l’a calculé, environ dix mille tours d’hélice. Rien n’y changera rien. Alors…
L’élève regarde le ciel bleu, les arbres bêtes, un troupeau de vaches qui broutent la piste. Son moniteur astique de la manche la manette des gaz : ça fait plaisir de la voir luire. Le mécano compte les tours : que d’énergie perdue, il en est déjà à vingt-deux ! « Si tu décrassais les bougies ? » Cela permet au mécano de réfléchir.
Un moteur ça part si ça veut. Vaut mieux le laisser libre. Trente. Trente et un… le moteur part.
L’élève ne comprend plus rien aux mots de danger, d’héroïsme, d’ivresse de l’air.
L’avion roule, l’élève le croit encore au sol quand il aperçoit les hangars sous lui. Un vent dur lui masse les joues, il fixe le dos du moniteur…
Bon Dieu… quoi ? on descend. La terre verse à droite, à gauche. Il se cramponne. Où est le terrain ? Il ne voit plus que des forêts qui tournent, se rapprochent, une voie de chemin de fer suspendue droite, le ciel… et tout à coup le champ se range devant eux horizontal, paisible, au ras des roues. L’élève sent le contact de l’herbe ; le vent tombe, voilà… le moniteur se retourne et rit, l’élève cherche à comprendre.
« Principes élémentaires, lui enseigne Bernis, quoi qu’il arrive d’anormal, primo : coupez, secundo : retirez vos lunettes, tertio : cramponnez-vous. En cas d’incendie seulement détachez-vous. Compris ? — Compris. »
Voilà enfin les mots que l’élève attendait, ceux qui matérialisent le danger, l’en jugent digne. Aux civils on dirait « Rien à craindre ». Pichon, dépositaire d’un tel secret, est fier… « D’ailleurs, achève le moniteur, l’aviation ça n’est pas dangereux. »
On attend Mortier. Bernis bourre sa pipe. Un mécano assis sur un bidon, la tête dans les mains, regarde avec surprise son pied gauche, battre la mesure.
« Dites donc, Bernis, le temps se bouche ! » Le mécano lève les yeux et voit l’horizon déjà flou. Deux ou trois arbres s’y profilent mais la brume déjà les cimente. Bernis ne lève pas les yeux, continue de bourrer sa pipe : « Je sais. Ça m’ennuie. » Mortier achève son brevet et devrait avoir atterri.
« Bernis vous devriez téléphoner là-bas… — C’est fait. Il a décollé à quatre heures vingt. — Depuis, pas de nouvelles ? — Pas de nouvelles. »
Le colonel s’éloigne.
Bernis pose alors ses poings sur les hanches, regarde avec défi la brume qui choit doucement comme un filet, traque l’élève, Dieu sait où, contre la terre : « Et Mortier qui manque de sang-froid, qui pilote comme un cochon… c’est malheureux ! »
« Écoute… » non, ce n’est rien : une voiture.
« Mortier, si tu t’en tires, je te promets… je … je t’embrasse. »
« Bernis !… au téléphone. »
« Allô… quel est cet imbécile qui rase les toits de Donazelle ? — C’est un imbécile qui est en train de se tuer. Foutez-lui la paix, engueulez la brume ! — Mais… dites donc… — Allez le chercher avec une échelle ! » Bernis raccroche. Mortier s’est perdu, tente de trouver un repère.
La brume cède comme une voûte molle : on ne se distingue plus à dix mètres.
« Va dire aux infirmiers de préparer la camionnette, S’ils ne sont pas ici dans cinq minutes, je leur fous quinze jours de tôle. »,
« Le voilà ! » Tout le monde s’est levé. Il fonce vers eux invisible et aveugle. Le colonel les a rejoints : « Bon Dieu de Bon Dieu de Bon Dieu… » Bernis murmure inlassablement entre ses dents : « Coupe mais coupe donc le contact… mais coupe donc… tu ne peux pas éviter d’emboutir ! »
Il ne dut voir l’obstacle qu’à dix mètres de lui mais personne n’en sut jamais rien.
On court vers l’avion effondré. Il y a déjà là des soldats attirés par ce fait divers imprévu, des sous-officiers trop zélés, des officiers que leur autorité soudain encombre. Il y a l’officier de jour qui, n’ayant rien vu, explique tout, il y a le colonel qui s’incline trop car il tient le rôle ingrat de père.
Le pilote est enfin dégagé, la face verte, l’œil gauche énorme, les dents cassées. On l’étend sur l’herbe, on fait le cercle. « On pourrait peut-être… », dit le colonel ; « on pourrait peut-être… » dit un lieutenant et un sous-officier dégrafe le col du blessé, ce qui ne lui fait aucun mal et calme les consciences. « L’ambulance ? L’ambulance ?… », interroge encore le colonel qui cherche une décision à prendre, par métier. On lui répond : « Elle arrive » sans rien en savoir, ce qui l’apaise. Puis il s’écrie : « À propos… » et s’éloigne d’un pas rapide, d’ailleurs sans but.
La situation cependant gêne Bernis. Ce cercle autour du moribond lui paraît même inconvenant. « Allons, mes enfants, allez-vous-en… allez-vous-en… » Et, par groupes, on s’éloigne dans la brume à travers les potagers et les vergers où l’avion prosaïque a chu.
L’élève pilote Pichon a compris quelque chose : on meurt et cela ne fait pas grand bruit. Il est presque fier de cette intimité avec la mort. Il revoit son premier vol avec Bernis, sa déception de ce paysage si plat, de ce calme, il n’y découvrait pas cette présence. Elle était là mais elle était là toute simple, nullement emphatique, derrière le sourire de Bernis et l’inertie du mécano, derrière le premier plan de ce soleil, de ce ciel bleu. Il a pris le bras de Bernis : « Vous savez… je volerai demain. Je n’ai pas peur. » Mais Bernis refuse d’admirer « Naturellement. Vous ferez demain vos spirales. » Pichon comprend encore quelque chose : « Ils n’avaient pas l’air très émus mais pour ne pas faire de phrases… — C’est un accident du travail », répond Bernis.
Bernis se saoule.
Ce monoplace de chasse gaze le tonnerre. Le sol sous lui est laid : une terre si vieille, si usée, rapiécée à l’infini : on dirait un lotissement.
Quatre mille trois cents mètres : Bernis est seul. Il regarde ce monde carrelé à la façon d’une Europe d’atlas. Les terres jaunes de blé ou rouges de trèfle, qui sont l’orgueil des hommes et leur souci, se juxtaposent, hostiles. Dix siècles de luttes, de jalousies, de procès ont stabilisé chaque contour : le bonheur des hommes est bien parqué !
Bernis pense qu’il ne faut plus demander son ivresse aux rêves qui bercent et qui anémient mais qu’il faut là tirer de sa force : il la mesure.
Il prend de la vitesse, réservoir d’énergie, fonce, pleins gaz, puis lentement tire le manche à lui. L’horizon bascule, la terre se retire comme une marée, droit vers le ciel l’avion fuse. Puis au sommet de la parabole il se renverse sur lui-même et le ventre en l’air, poisson mort, vacille…
Le pilote noyé dans le ciel voit la terre au-dessus de lui comme une plage s’allonger puis face à lui tomber de tout son poids : vertigineuse. Il coupe ; elle s’immobilise verticale, comme un mur : l’avion coule à pic. Bernis le hâle doucement jusqu’à retrouver devant lui le lac calme de l’horizon.
Des virages l’écrasent sur le siège, des chandelles l’allègent, l’allègent comme une bulle qui va crever, un flux retire l’horizon et le ramène, le moteur souple gronde, s’apaise, reprend…
Un craquement sec : l’aile gauche !
Le pilote pris en traître croit donner dans un croc en jambes : l’air s’est dérobé sous les ailes. L’avion, foreuse, plonge en vrille.
L’horizon d’un seul coup passe sur sa tête comme un drap. La terre l’enveloppe et, manège, tourne, entraînant ses bois, ses clochers, ses plaines. Le pilote voit passer encore, lancée par une fronde, une villa blanche…
Vers le pilote assassiné, comme la mer vers le plongeur, jaillit la terre.
fayssal morad- Nombre de messages : 840
Date d'inscription : 12/03/2010
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