Lettre à une artiste -2ème partie -
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Lettre à une artiste -2ème partie -
Considérations autour de Rilke et de vous… ( 2ème partie et fin)
Flotte comme un parfum de suspicion, voire une drôle d’appréhension vis-à-vis de ce monde, derrière lequel je devine sans peine l’effacement d’un autre, notamment celui de l’écrit, celui d’une vie s’appuyant sur le long et exigeant travail de l’apprentissage d’une culture, celui des lectures passionnées et parsemées d’œuvres témoignages d’une apogée intellectuelle, mais aussi un monde qui permettait des pauses dans son chemin de vie pour que la maturation de l’esprit nous offre en vendange ses plus beaux fruits. Selon, on viendra cueillir au pied de cette pensée un avant goût d’Heidegger, pour qui ce long et patient travail sur soi permettait de tutoyer la vérité des choses. Tout l’esprit d’une époque évaporée dans la suffocante dérive de ce 21 siècle. Cette lente maturation s’efface désormais au profit de l’immédiateté, d’une frénésie « compulsive » d’un présent dictée par des machines binaires voyageant à la vitesse de la lumière pour nous permettre d’être présent partout et nulle part et de pratiquer avec délectation « le don d’ubiquité » !
Alors nous ne sommes plus qu’un perpétuel mouvement, produisant un état d’instabilité permanente qui maintient notre société dans une mobilisation totale où seul compte « la constante marche en avant vers des objectifs sans cesse nouveaux ». Nous devons, « hommes nouveaux » (à ce terme avancé par certains experts en communication - qui ne doutent de rien - on pourrait croire du Nietzsche mais il en manque le souffle, la grandeur, les horizons et la poésie), s’intégrer à ce gigantesque mouvement de l’Histoire ou de la Nature dans lequel les êtres finissent atomisés et livrés à la plus grande incertitude. Ils finiront comme ces hommes à la dérive que Rilke évoque dans son Livre de la pauvreté et de la mort, un peuple qui se suicide dans l’oubli de ses valeurs et que qu’évoque la haute voix de ce poète qui veut renouer avec les valeurs essentielles de la vie [size=12]:
« …Là, des hommes insatisfaits peinent à vivre
et meurent sans savoir pourquoi ils ont souffert;
et aucun d'eux n'a vu la pauvre grimace
qui s'est substituée au fond des nuits sans nom
au sourire heureux d'un peuple plein de foi.
Ils vont au hasard, avilis par l'effort
de servir sans ardeur des choses dénuées de sens,
et leurs vêtements s'usent peu à peu,
et leurs belles mains vieillissent trop tôt.
La foule les bouscule et passe indifférente,
bien qu'ils soient hésitants et faibles,
seuls les chiens craintifs qui n'ont pas de gîte
les suivent un moment en silence.
Ils sont livrés à une multitude de bourreaux
et le coup de chaque heure leur fait mal;
ils rôdent, solitaires, autour des hopitaux
en attendant leur admission avec angoisse.
La mort est là. Non celle dont la voix
les a miraculeusement touchés dans leurs enfances,
mais la petite mort comme on la comprend là;
tandis que leur propre fin pend en eux comme un fruit
aigre, vert, et qui ne mûrit pas… »
Où sont la pause et la respiration de l’enfant dans ce monde ? S’il n’existe pas une base spirituelle et culturelle (religieuse ou laïque peu importe) à laquelle ancrer notre vie, quel devient le cadre de référence de l’être humain, avec pour ultime horizon l’écran ?
Le média prend peu à peu la place des idées, impose sa vision du monde immédiat, pure forme au milieu du tout, spectre sans consistance dont l’aisance à tout absorber et tout dire et son contraire en un minimum de temps, prime sur le contenu au risque de l’insignifiance.
La roue tourne, notre civilisation s’essouffle au faîte de son degré de raffinement et déjà d’autres aigles, d’autres pays, d’autres civilisations qui ont eu faim et soif, déploient leurs ombres sur le destin de nos enfants. La main de l’Europe a passé je crois comme un flamboyant orage dans le manège du Temps.
Stefan Zweig, Autrichien et Européen, comme Rilke se suicida en 1942 parce qu'il ne supportait plus d'assister de loin au naufrage d'un monde. Voici ce qu'il écrit au sujet de Rilke: «Il me paraît toujours merveilleux que nous ayons eu devant les yeux, au temps de notre jeunesse, d'aussi purs poètes. Mais je me le demande avec une secrète inquiétude : des âmes aussi totalement consacrées â l'art lyrique seront-elles possibles à notre époque, avec les conditions nouvelles de notre existence, qui arrachent les hommes à tout recueillement et les jettent hors d'eux-mêmes dans une fureur meurtrière, comme un incendie de forêt chasse les animaux de leurs profondes retraites?». Derrière ces lignes, en filigrane transparaît derrière « Le livre de la pauvreté et de la mort » l’expression bouleversante d’un monde oublié dont Rilke a su si bien nous découvrir sa délicate saveur.
Alors oui, la constellation Rilke est une constellation d'étoiles mortes mais dont nous recevons encore la lumière pourvu que nous fassions silence autour de nous et que nous fermions les yeux. Et cette lumière, je la reçois comme une consolation, mais aussi comme un remords. Et vous, petite sœur de Rilke, votre voix vibre et troublant l’espace assoupi, dans le tremblement ému de la constellation un écho vous répond. C’est celui de Rilke que votre souffle, dans une merveilleuse respiration, transporte là bas sur l’Ouvert.
Comme ces jeunes pluies d’avril nous ouvrent de plus clairs soleils, puissent la poésie et votre voix monter et s’unir longtemps et nous remplir de leur lumineuse beauté.
Pierrejean
Flotte comme un parfum de suspicion, voire une drôle d’appréhension vis-à-vis de ce monde, derrière lequel je devine sans peine l’effacement d’un autre, notamment celui de l’écrit, celui d’une vie s’appuyant sur le long et exigeant travail de l’apprentissage d’une culture, celui des lectures passionnées et parsemées d’œuvres témoignages d’une apogée intellectuelle, mais aussi un monde qui permettait des pauses dans son chemin de vie pour que la maturation de l’esprit nous offre en vendange ses plus beaux fruits. Selon, on viendra cueillir au pied de cette pensée un avant goût d’Heidegger, pour qui ce long et patient travail sur soi permettait de tutoyer la vérité des choses. Tout l’esprit d’une époque évaporée dans la suffocante dérive de ce 21 siècle. Cette lente maturation s’efface désormais au profit de l’immédiateté, d’une frénésie « compulsive » d’un présent dictée par des machines binaires voyageant à la vitesse de la lumière pour nous permettre d’être présent partout et nulle part et de pratiquer avec délectation « le don d’ubiquité » !
Alors nous ne sommes plus qu’un perpétuel mouvement, produisant un état d’instabilité permanente qui maintient notre société dans une mobilisation totale où seul compte « la constante marche en avant vers des objectifs sans cesse nouveaux ». Nous devons, « hommes nouveaux » (à ce terme avancé par certains experts en communication - qui ne doutent de rien - on pourrait croire du Nietzsche mais il en manque le souffle, la grandeur, les horizons et la poésie), s’intégrer à ce gigantesque mouvement de l’Histoire ou de la Nature dans lequel les êtres finissent atomisés et livrés à la plus grande incertitude. Ils finiront comme ces hommes à la dérive que Rilke évoque dans son Livre de la pauvreté et de la mort, un peuple qui se suicide dans l’oubli de ses valeurs et que qu’évoque la haute voix de ce poète qui veut renouer avec les valeurs essentielles de la vie [size=12]:
« …Là, des hommes insatisfaits peinent à vivre
et meurent sans savoir pourquoi ils ont souffert;
et aucun d'eux n'a vu la pauvre grimace
qui s'est substituée au fond des nuits sans nom
au sourire heureux d'un peuple plein de foi.
Ils vont au hasard, avilis par l'effort
de servir sans ardeur des choses dénuées de sens,
et leurs vêtements s'usent peu à peu,
et leurs belles mains vieillissent trop tôt.
La foule les bouscule et passe indifférente,
bien qu'ils soient hésitants et faibles,
seuls les chiens craintifs qui n'ont pas de gîte
les suivent un moment en silence.
Ils sont livrés à une multitude de bourreaux
et le coup de chaque heure leur fait mal;
ils rôdent, solitaires, autour des hopitaux
en attendant leur admission avec angoisse.
La mort est là. Non celle dont la voix
les a miraculeusement touchés dans leurs enfances,
mais la petite mort comme on la comprend là;
tandis que leur propre fin pend en eux comme un fruit
aigre, vert, et qui ne mûrit pas… »
Où sont la pause et la respiration de l’enfant dans ce monde ? S’il n’existe pas une base spirituelle et culturelle (religieuse ou laïque peu importe) à laquelle ancrer notre vie, quel devient le cadre de référence de l’être humain, avec pour ultime horizon l’écran ?
Le média prend peu à peu la place des idées, impose sa vision du monde immédiat, pure forme au milieu du tout, spectre sans consistance dont l’aisance à tout absorber et tout dire et son contraire en un minimum de temps, prime sur le contenu au risque de l’insignifiance.
La roue tourne, notre civilisation s’essouffle au faîte de son degré de raffinement et déjà d’autres aigles, d’autres pays, d’autres civilisations qui ont eu faim et soif, déploient leurs ombres sur le destin de nos enfants. La main de l’Europe a passé je crois comme un flamboyant orage dans le manège du Temps.
Stefan Zweig, Autrichien et Européen, comme Rilke se suicida en 1942 parce qu'il ne supportait plus d'assister de loin au naufrage d'un monde. Voici ce qu'il écrit au sujet de Rilke: «Il me paraît toujours merveilleux que nous ayons eu devant les yeux, au temps de notre jeunesse, d'aussi purs poètes. Mais je me le demande avec une secrète inquiétude : des âmes aussi totalement consacrées â l'art lyrique seront-elles possibles à notre époque, avec les conditions nouvelles de notre existence, qui arrachent les hommes à tout recueillement et les jettent hors d'eux-mêmes dans une fureur meurtrière, comme un incendie de forêt chasse les animaux de leurs profondes retraites?». Derrière ces lignes, en filigrane transparaît derrière « Le livre de la pauvreté et de la mort » l’expression bouleversante d’un monde oublié dont Rilke a su si bien nous découvrir sa délicate saveur.
Alors oui, la constellation Rilke est une constellation d'étoiles mortes mais dont nous recevons encore la lumière pourvu que nous fassions silence autour de nous et que nous fermions les yeux. Et cette lumière, je la reçois comme une consolation, mais aussi comme un remords. Et vous, petite sœur de Rilke, votre voix vibre et troublant l’espace assoupi, dans le tremblement ému de la constellation un écho vous répond. C’est celui de Rilke que votre souffle, dans une merveilleuse respiration, transporte là bas sur l’Ouvert.
Comme ces jeunes pluies d’avril nous ouvrent de plus clairs soleils, puissent la poésie et votre voix monter et s’unir longtemps et nous remplir de leur lumineuse beauté.
Pierrejean
pierrejean- Nombre de messages : 52
Humeur : exhubérant, grave, mélancolique, charmeur
Date d'inscription : 23/12/2008
Re: Lettre à une artiste -2ème partie -
Rainer-introvertie, méditation sur l'existence humaine, sur, la mort, pour lui " … nous ne sommes que l'écorce, que la feuille, le fruit qui est au centre de tout, c'est la grande mort, que chacun porte en soi"
Peu lu, mais aimait écrire, il écrivait à quelqu'un qu'il ne connaissait pratiquement pas,
Il écrivait avec confiance et ne pouvait pas s’empêcher de parler de la mort, de l'amour, de la solitude, de la création, il écrivait avec profondeur comme s’il puiser dans une source où l’en pouvait s'abreuver...
Peu lu, mais aimait écrire, il écrivait à quelqu'un qu'il ne connaissait pratiquement pas,
Il écrivait avec confiance et ne pouvait pas s’empêcher de parler de la mort, de l'amour, de la solitude, de la création, il écrivait avec profondeur comme s’il puiser dans une source où l’en pouvait s'abreuver...
s'abreuver
à la source des lendemains
pierrejean- Nombre de messages : 52
Humeur : exhubérant, grave, mélancolique, charmeur
Date d'inscription : 23/12/2008
Re: Lettre à une artiste -2ème partie -
à relire, et à meditter avant de commenter
toute fois je peux dire:
bravo jolie plume!
toute fois je peux dire:
bravo jolie plume!
cristopher-cris- Nombre de messages : 2748
loisirs : lecture, voyage
Date d'inscription : 18/07/2008
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