Entretien avec Philippe lemoine

par **Admin** Mar 16 Aoû - 4:09

Entretien avec Philippe lemoine:

Un extrait de votre biographie

Philippe Lemoine né le 03 octobre 1954 à Paris.
Poète, Président fondateur de l’association « Mille-Poètes en Méditerranée, » créateur de la « Maison Poétique à Narbonne, France.
Je conçois la poésie comme un Art et un Idéal de vie.

En préambule:
La poésie ne s’écrit pas, comme la musique, elle se compose !
Revenons aux sources :
Au commencement, la poésie étaient le langage d’initiés, celui des sanctuaires d’Apollon de tradition orphique.
La légende rapporte qu’Orphée, le sublime inspiré dont la lyre aux sept cordes, (chacune répond à un mode de l’âme humaine,) embrase l’univers, est l’Ancêtre de la Poésie et de la Musique conçues comme révélatrices de la vérité éternelle…
Il faut se souvenir aussi, qu’à l’origine, la poésie (Grecque, Arabe,) était chantée. Elle nous est parvenue en occident sous la forme du chant, rappelez-vous les troubadours…
La poésie trouve sa résonance par la voix, toute poésie est faite pour être lue, déclamée, chantée à voix haute, c’est l’une des caractéristiques qui en fait, en littérature, un Art particulier.
L’analogie avec la musique est juste car la poésie est composée de sonorités et de rythmes mélodiques qui lui donne une ligne harmonique ne supportant pas la dissonance…
Les mots sont la partition du poète, ses notes, ses arpèges, ses accords…, leur sonorité et leur place dans le vers sont aussi importantes que le sens étymologique ou dialectique, elles en métamorphosent même le sens initial et participent fortement à l’expression du ressenti, à la création du sentiment exprimé…
Elles donnent une âme au corps du poème…
Ainsi l’on peut dire que le chant du poète transmit par l’organe vocal est naturellement musique…

En illustration, je citerai Verlaine :
« De la musique en toute chose »
Cette approche de l’art poétique est sans doute l’une des nuances qui différencie le poète de l’amateur de poésie mais la poésie a besoin des deux pour exister…

La poésie est-elle nécessité d’écrire « vrai » sur des ressentis réellement vécus ?.
L’art poétique a bien des vertus, cette nécessité que vous évoquez, souvent thérapeutique, en est une, l’écriture comme la parole libère l’esprit et le cœur de leurs émotions mais la nécessité d’écrire n’est pas en soi de la poésie, elle ne peut être qu’exutoire ou revêtir une autre forme littéraire…
Ou est-elle bien d’autres choses aussi… ?
La poésie ne se résume surtout pas à une nécessité, c’est en premier lieu un Art littéraire à part entière, une alchimie qui permet, par l’alliance de la musicalité des mots, l’usage de l’image, de la métaphore, le rythme et le souffle du poème d’effleurer l’ineffable, l’âme des choses que le poète entrevoit ou pressent à l’aune de sa sensibilité…
Si chaque homme porte en soi une sensibilité singulière qui le rend unique et révèle les fondements de son être profond, celle-ci n’est pas nécessairement poétique.
L’intime vérité du poète, va au-delà du « réellement vécu, » du quotidien vécu ou des apparences premières, sa sensibilité est aussi visionnaire.

Écoutons Rimbaud : « Je est l’autre »

Visionnaire, le poète possède et entretient un lien particulier avec le monde et l’univers, lorsqu’il compose, il est à la fois lui-même et les autres ; sensibilité exacerbée, il voit, ressent, perçoit, retransmet, symbolise l’intimité des êtres et des choses dont il révèle ou métamorphose la simple apparence…
Donc la poésie est miroir-souffle-horizon-identité ?
La poésie est partout pour qui sait l’entrevoir en toute chose…
Conçue comme un art, elle est un acte créateur mais aussi une quête aux multiples facettes : quête du beau, d’une expression à la fois juste et inédite, quête de vérité, quête de soi-même, du ressenti, de l’indicible, de l’âme et du lien unissant toutes choses…
Et le poète ?
Le poète est un visionnaire, un passeur d’émotions, il est l’une des voix de ce monde.

L’art de faire des vers est-ce un don? un talent ?

Nous l’avons dit : la poésie est un Art à part entière, il ne s’agit pas simplement d’écrire pour créer de la poésie.
Tout art demande apprentissage et possède ses techniques de base, ses fondations et ses particularités à partir desquelles l’identité du poète et l’œuvre, au fil des compositions, se construit…

Nous l’avons dit aussi, comme toutes démarches artistiques, la poésie est une quête et quel qu’en soit la nature, toute quête demande de l’exigence…
La naissance du poème se fait comment pour vous ?
Voici comment se matérialise, chez moi, la naissance du poème :

L’inspiration est là ou elle n’est pas. Le poème ne connait ni d’heure ni de lieu pour naître. Cet instant est unique, magique ; les choses me parlent, les mots, expression du sentiment perçu, tournent et virevoltent dans ma tête en quête de l’intime ressenti et de sa juste expression…, puis je les mâchouille, les marmonne à voix haute (la poésie est une clameur qui prend son sexe avec l’organe vocal disait Léo Ferré)
Je ne m’arrête pas à l’apparence de l’émotion première, je veux en saisir l’essence en alliant le sens à la musicalité, le verbe à l’harmonie, la forme, qui lui donne son rythme et son souffle, au sentiment…
D’une perception, sensation, interpellation le poème prend corps et consistance dans mon esprit, et comme pris de fièvre avec l’impression d’effleurer l’indicible, j’en transcris la substance selon les moyens dont je dispose sur l’instant…

La poésie est-elle une magie, puisque on entend, on goute, on voit sans toucher ni goutter, ni entendre…?

Cette magie dont vous parlez est le propre de l’art et de l’imaginaire, l’artiste et le poète sont créateurs d’émotions, d’univers…
Le poème est résonance, une porte entrouverte sur l’imaginaire, le poète en dessine les serrures et chaque lecteur en possède sa propre clef…

La poésie ne supporte pas le mièvre ou le premier degré, c’est l’une des raisons pour lesquelles je dis : « qu’écrire n’est pas en soi un acte poétique. »

La poésie doit interpeller ou faire rêver, ouvrir le cœur ou l’esprit à d’autres possibles… La magie consiste à donner une âme aux choses et aux êtres perçus, à laisser transparaître l’essence même du sentiment…

La magie est là lorsque le poète devient, dans la profondeur, ce qu’il dépeint ou ressent… lorsqu’il touche à l’intime et au sensible.
La magie opère lorsque le lecteur dépose son propre imaginaire et ses mots ou sentiments sur ceux du poète… Lorsqu’il s’approprie et fait sien le poème…

Inscrits en filigramme dans le corps du poème, résonances et métamorphoses lui donnent une âme qui vibre en plus profond de nous…

La poésie ouvre des chants vibratoires pour nous relier au monde, qu’en dites-vous ?

« Chants vibratoires, » une belle image qui rejoint et se superpose à celle que je nomme résonances…

Nous l’avons vu, la poésie est un acte créateur et comme toute création est d’essence divine, cet acte transcende l’être, d’une certaine façon, il l’élève au-delà de sa simple condition humaine…

L’univers dans sa globalité est création mues par le cycle de la mort et de la résurrection, le cycle des saisons en sont un exemple… De la cause à l’effet, chaque chose dans l’univers possède à la fois son indépendance et son interdépendance, tout est lié. L’univers est un tout, un corps en perpétuel mouvement qui s’en cesse se perpétue et se régénère ; chaque être ou chose en est une parcelle.

Si l’on considère l’univers dans sa globalité comme une entité créatrice et l’homme comme une parcelle de cette entité, appartenant à ce tout, l’homme est à la fois création et créateur.
Mais si la création est d’essence divine, son sens échappe à la condition humaine et représente pour l’homme un mystère dont l’artiste et le poète tentent de décrypter les secrets par le biais de l’imaginaire…

Comme je l’ai déjà évoqué, la poésie est une quête, quête du beau, de soi-même et de vérité, quête de l’âme et du lien unissant toute chose…

Pour terminer sur ce sujet, revenons à la légende d’Orphée :
Subitement ce jeune homme, qu’on appelait le fils d’Apollon avait disparu. Il s’était enfui secrètement en Samothrace puis en Égypte où, il avait demandé asile aux prêtres de Memphis. Ayant traversé leurs Mystères, il était revenu au bout de vingt ans sous un nom d’initiation, qu’il avait conquis par ses épreuves et reçu de ses maîtres, comme signe de sa mission. Il s’appelait à présent : Orphée ou Arpha, ce qui veut dire : celui qui guérit par la lumière.
Les initiés recevaient par ses enseignements la pure lumière des vérités sublimes ; et cette même lumière parvenait au peuple sous le voile de la poésie et des fêtes enchanteresses.

Est-ce qu’on peut dire que : l’écriture retranscrit la vie poétiquement

Je préciserai une nouvelle fois qu’écriture n’est pas nécessairement poésie mais à l’image de l’homme l’une et l’autre sont capables, comme vous l’énoncez, du meilleur comme du pire mais peut-on aussi qualifier le pire comme étant de la poésie ?

Déjà Baudelaire disait, dans son petit traité d’esthétisme, la poésie est l’art le plus facile à galvauder. Je rajouterai toute œuvre galvaudée n’est pas de l’art donc pas de la poésie.

Sinon pour répondre à votre question, évidemment, l’écriture est l’expression intime de la vie et de l’âme humaine sous tous ses aspects et contradictions.

En poésie, il y a une éloquence qui pénètre plus que toute autre langue, qu’en pensez-vous ?

Le langage poétique tend à exprimer l’indicible, à transpercer le monde apparent pour en extraire l’essence, il touche aux sentiments et parle à l’âme et au cœur, il éveille l’esprit a la nature secrète des choses et des êtres, il résonne donc plus en profondeur que tout autre langage. Cette résonance est le propre de l’art poétique…

L’écriture peut-être un attachement et un lien qui se tissent au quotidien ?

La méditation poétique est intemporelle, elle va de l’infime à l’infini, du quotidien à l’imaginaire, du réel à tous les possibles, elle ne connait pas de frontière ou de dogme et aborde toutes les questions de la vie et de l’âme. Elle se nourrit autant de sujets métaphasiques que du quotidien. Elle est l’expression de la sensibilité singulière du poète qui, touché, ému par les sentiments humains, ne peut ignorer les clameurs qui l’entourent ; le poète est aussi un acteur du monde.
Le monde se conjugue en rébellion du côté arabe ; qu’en pensez-vous ?

La rébellion des peuples arabes a ses causes légitimes ; les peuples heureux ne se révoltent pas !
Le poète que je suis, rêve de l’Eden premier, d’un monde de liberté sans misère ni douleur, d’un monde de tolérance, de partage, d’amour et de paix, sans race ni frontière reposant sur le respect de l’autre et de sa différence, différence souvent source de connaissances et d’enrichissement spirituel.

La misère m’insupporte et l’arbitraire sous toutes ses formes m’insurge ! Je ne peux que comprendre la révolte des peuples opprimés qu’ils soient arabes ou tous autres.
L’homme et le poète que je suis est sensible à leur cause et avec eux solidaire. J’admire le courage et le sacrifice dont font preuve aujourd’hui les peuples arabes.
Dans le monde souvent inhumain et injuste dans lequel nous vivons, ils sont des exemples sources d’espérance pour des temps meilleurs.

La précarité et l’injustice touchent le monde, le poète reste au bord des mots, que peut-il faire face à l’agitation des rues ?

Le poète est aussi un citoyen du monde !

Face à la précarité, à l’injustice, à l’arbitraire…, le poète doit être une voix de ce monde et concevoir une partie de sa poésie comme est un « acte de résistance ! »

Nombreux, me considèrent comme un poète engagé car une facette de ma poésie témoigne et dénonce les injustices de notre monde. C’est pour moi autant un devoir qu’un besoin car comme je l’ai dit : « la misère m’insupporte et l’arbitraire m’insurge ! »
La souffrance des opprimés, des autres me touchent, me meurtrissent, me révoltent ! Mon camp est celui de la justice, de la liberté et avant tout de la fraternité, je porte des valeurs que j’exprime au travers de ma poésie et j’aspire à un monde nouveau, plus équitable et juste !
L’on me dit parfois être utopiste mais un homme (et encore plus un poète) qui ne porte pas de rêves est un homme déjà mort !

Vous me demandez que peu faire le poète ?
Je le répète : être une voix et par elle être un acteur de ce monde. Il peut, par sa poésie, éveiller les consciences, dénoncer l’intolérable, témoigner et face à l’infâme affirmer ses valeurs. Il doit porter et redonner l’espérance en dessinant le rêve, le chemin d’un autre possible…

Les hommes et les tyrans passent mais les rêves demeurent ; il appartient aussi au poète de les perpétuer afin qu’un jour ils puissent devenir réalité !

L’histoire nous a parfois démontrée que le verbe pouvait avoir raison des armes.
Alors par sa poésie, la force de son verbe le poète peut aussi rallier des consciences à la cause, apporter sa pierre à l’édifice.

L’élite intellectuelle a eu un rôle dans la révolution française, dans les révolutions actuelles on n’entend pas la voix des intellects à votre avis pourquoi ?

La mondialisation ultralibérale est régit par l’économie, les crises financières d’aujourd’hui démontre que les politiques lui ont donné des pouvoirs sur lesquels ils ont actuellement peu ou prou de prises…De plus, cette mondialisation uniformise la pensée et comme les idéologies du passé ont montré leurs limites. Il n’y a plus de grands philosophes, d’idées, de pensées, de conceptions du monde nouvelles. Nos philosophes sont devenus des sociologues, ils expliquent les mécanismes du monde présent mais sont devenus incapables de créer, un système de pensée, une idéologie nouvelle, d’ouvrir la voie sur un autre futur, une autre conception du monde…

On n’entend pas leurs voix, non pas parce qu’ils se taisent. On ne les entend plus car nous savons déjà ce qu’ils ont à nous dire. Leurs discours cent fois entendus ne répond pas à l’attente des peuples, ils n’ouvrent pas d’horizons nouveaux auxquels nous pourrions croire. Nos philosophes sont formatés par le système, ils n’ont plus d’imagination. Ils ne sont plus capables d’enfanter le rêve ou l’idéal.
Il y a d'autres raisons peut-être ?
Il y a aussi, je pense, une autre raison, la technologie nous submerge d’informations, tout va trop vite, nous ne prenons pas le temps d’entendre ce que l’on veut nous dire. Si une voix s’élève elle est vite perdue, submergée par la masse des voix. De plus les principaux médias sont soi soumis au système, au pouvoir ou à la loi de l’audimat ; les philosophes n’y trouvant peu ou pas de place, ils ne risquent pas d’être entendus…

La psychologie, un monde vaste, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

J’ai lu nombreux livres et je m’intéresse à la psychologie mais
je ne suis pas psychologue, c’est un métier avec ses connaissances et ses codes et ce n’est pas le mien, je suis poète.

Si, en qualité de poète, je comprends ou perçois des rouages de l’âme humaine, ce n’est pas du à une connaissance d’ordre médicale mais à une sensibilité singulière, exacerbée, intuitive
que je possède. C’est une vision de l’autre auquel je m’identifie.
Je ressens ce qu’il dégage ou porte à l’intérieur de lui. L’espace d’un poème, je m’immerge dans un autre que moi, je deviens lui…, et je laisse dériver mes émotions et mon imaginaire…

Le poète est un visionnaire, il perçoit l’invisible, l’intimité des êtres et des choses, les voix souterraines de l'intérieure grâce à son imaginaire. A la fois lui-même et différent, il s’immerge dans des états, des sentiments, des émotions qui ne sont pas nécessairement les siens au moment ou il leurs donnent une consistance…
L’artiste et peut-être plus encore le poète avance sur un fil suspendu entre le réel et l’imaginaire, entre son Moi profond et les visions qui l’habitent. Il est en équilibre à la croisée des mondes…
Il doit toujours garder, avoir conscience de son identité afin de ne pas basculer dans l’obscur, la folie…Je ne doute pas, sourire, que son cas intéresse les psychologues.

Vos définitions pour ces mots : Mirage/amour/des ronds dans l’eau/fugaces froissements/Insomnie/le temps.

Ces mots sont, pour la plupart, les titres de certains de mes poèmes, ils sont employés dans un sens circonstancié, il serait bien trop long de vous définir le sens par rapport au poème. Je vais donc me contenter de vous dire ce qui me vient sur l’instant à l’esprit pour chacun d’eux :
Mirage : rêve/monde invisible/nymphe assise au bord de l’eau
Amour : quête d’absolu/idéal/plénitude/plaisir/lien universel
Des ronds dans l’eau : infini voyage/rêves inaccessible/rivages lointains
Fugaces froissements : souffle de vent/ bas de soie/ caresses
Insomnie : autre monde/clair de lune/intemporel
Le temps : infini/mouvements/voyage

Un dernier mot

Synthèse :
Militant, insurgé poétique, je porte l’idéal de la poésie, je la conçois à la fois, face aux dérives du monde et des hommes, comme un acte de résistance et une quête spirituelle. A travers elle, je révèle l’arc-en-ciel de mon âme, ma sensibilité, mon intime mais je porte et véhicule aussi comme un flambeau mes valeurs humanistes, mon espérance, ma vision d’un autre monde…

La poésie est multiple et partout en toute chose, chaque être en porte au fond de lui les germes qui ne demandent qu’à être libérés mais sa composition demande du travail et de l’exigence…

La poésie m’est aussi essentielle que l’air que je respire, elle m’habite, me révèle à moi-même, me construit et forge mon identité.

D’amour et de paix, les poètes inventeront-ils le monde de demain ?