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Octave Crémazie

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Octave Crémazie - Page 2 Empty Octave Crémazie

Message par Najat Dim 30 Mai - 21:37

Rappel du premier message :

Octave Crémazie (1827-1879)
Oeuvres complètes

D'après l'Edition Beauchemin et Valois,
Libraires-Imprimeurs, Montréal 1882.

AVERTISSEMENT

En publiant les Oeuvres complètes d'Octave Crémazie,
les éditeurs n'ont épargné aucun soin pour rendre cette
édition définitive. Les poésies ont été retouchées en quelques
endroits d'après les notes que le poète a laissées à son ami,
M. l'abbé Casgrain, et l'on a extrait de sa correspondance
tout ce qui peut offrir un intérêt réel. Cette correspondance se
trouve à la suite des poésies, à l'exception des lettres qui
renferment ses observations sur la littérature canadienne et
qui ont déjà été publiées par M. l'abbé Casgrain. Celles-ci
avaient leur place naturelle en tête du volume, car elles
contiennent ce qu'on pourrait appeler le testament littéraire
de Crémazie. Les notes qui les accompagnent et qui
expliquent le motif de leur publication, ont été complétées de
tous les renseignements biographiques qu'on a pu recueillir.
En un mot, les éditeurs ont voulu faire de ce livre le
monument le plus durable qui pût être élevé à la mémoire du
plus patriotique comme du plus malheureux de nos poètes.
Les éditeurs Edition 1882.
Najat
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Octave Crémazie - Page 2 Empty Re: Octave Crémazie

Message par Najat Dim 30 Mai - 22:11

Le romantisme n'aurait-il d'autre mérite que de nous
avoir délivrés de la mythologie et de la tragédie que nous
devrions encore lui élever des autels. À propos de
mythologie, j'ai vu, il y a deux ans, dans les journaux
canadiens une longue discussion au sujet des auteurs païens;
j'ai toujours été de l'opinion de l'abbé Gaume; on nous fait

ingurgiter beaucoup trop d'auteurs païens quand nous
sommes au collège. Pourquoi n'enseigne-t-on que la
mythologie grecque? Les dieux scandinaves, la redoutable
trinité sévienne, sont, il me semble, bien plus poétiques et
surtout bien moins immoraux que cet Olympe tout peuplé de
bandits et de gourgandines. Dans l'histoire des dieux
scandinaves, on reconnaît les plus nobles instincts de
l'humanité divinisés par la reconnaissance d'un peuple,
tandis que, sous ce ciel tant vanté de la Grèce, on a élevé
beaucoup plus d'autels aux vices qu'aux vertus. Cette
mythologie grecque, ces auteurs païens qui déifient souvent
des hommes qui méritent tout bonnement la corde, ne
peuvent à mon sens inspirer aux élèves que des idées fausses
et des curiosités malsaines. Est-ce que les chefs-d'oeuvre des
Pères de l'Église ne peuvent pas partager avec les auteurs
païens le temps que l'on consacre à l'étude du grec et du
latin, et corriger l'influence pernicieuse que peuvent avoir les
écrivains de l'Antiquité? Je sais bien que saint Basile et saint
Jean Chrysostome, que saint Augustin et saint Bernard ne
peuvent, sous le rapport littéraire, lutter avec les génies du
siècle de Périclès, ni avec ceux du siècle d'Auguste; mais ne
vaudrait-il pas mieux être moins fort en grec et en latin, deux
langues qui ne sont en définitive que des objets de luxe pour
les quatre cinquièmes des élèves, et recevoir dès l'enfance
des idées saines et fortes, en rapport avec l'état social actuel,
qui, malgré ses cris et ses blasphèmes, est fondé sur les
grands principes chrétiens et ne vit que par eux? J'ai été
heureux de voir cette discussion s'élever en Canada. Car j'ai
toujours pensé, dans mon petit jugement, qu'il était bien
ridicule de tant nous bourrer d'idées païennes, qui prennent
les prémices de notre jeune imagination et nous laissent bien

froids devant les grandeurs splendides mais austères de la
vérité chrétienne.

Najat

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Message par Najat Dim 30 Mai - 22:12

Mais revenons à nos moutons.

Le genre fantaisiste, dit M. Thibault, est un genre
radicalement mauvais. Je crois que mon critique est dans
l'erreur. La fantaisie n'est pas un genre dans le sens ordinaire
du mot. Est-ce que la causerie dans un journal est un genre
spécial de littérature? Quand on écrit en tête de sa prose:
Causerie, cela veut dire tout simplement qu'on parlera de
omnibus rebus et quibusdam aliis, comme feu Pic de la
Mirandole, qu'on racontera des anecdotes, des âneries, sans
prendre la peine de les lier les unes aux autres par des
transitions. Il en est de même de la fantaisie, c'est un prétexte
pour remuer des idées, sans avoir les bras liés par les règles
ordinaires de la poétique. C'est justement parce que la
fantaisie n'est pas et ne saurait être un genre qu'elle s'appelle
la fantaisie, car du moment qu'elle serait soumise à des règles
comme les autres parties du royaume littéraire, elle ne serait
plus la fantaisie, c'est-à-dire la liberté pleine et entière dans
le fond et dans la forme. Qu'est-ce que le Faust de Goethe,
ce drame impossible, sinon une formidable, une titanesque
fantaisie, où se heurtent, dans un monde énorme, les idées les
plus étranges et les plus magnifiques?

Il y a une autre espèce de fantaisie qui consiste à donner
une forme à des êtres dont l'existence est certaine, mais dont
la manière d'être nous est inconnue. Les anges et les démons
existent, quelle est leur forme? C'est à cette espèce de
fantaisie qu'appartient la première partie de mon poème des
Trois morts. Les morts dans leurs tombeaux souffrent-ils
physiquement? Leur chair frémit-elle de douleur à la morsure
du ver, ce roi des effarements funèbres? Je l'ignore, et je

serais bien en peine s'il me fallait prouver l'affirmative; mais
je défie M. Thibault de me donner les preuves que le cadavre
ne souffre plus. C'est là un de ces mystères redoutables dont
Dieu a gardé le secret pour lui seul. Cette idée de la
souffrance possible du cadavre m'est venue il y a plusieurs
années: voici comment. J'entrai un jour dans le cimetière des
Picotés, à l'époque où l'on transportait dans la nécropole du
chemin Saint-Louis les ossements du Campo-Santo de la rue
Couillard. En voyant ces ossements rongés, ces lambeaux de
chair qui s'obstinaient à demeurer attachés à des os moins
vieux que les autres, je me demandai si l'âme, partie pour
l'enfer ou le purgatoire, ne souffrait pas encore dans cette
prison charnelle dont la mort lui avait ouvert les portes; si,
comme le soldat qui sent toujours des douleurs dans la jambe
emportée par un boulet sur le champ de bataille, l'âme, dans
le séjour mystérieux de l'expiation, n'était pas atteinte par les
frémissements douloureux que doit causer à la chair cette
décomposition du tombeau, juste punition des crimes commis
par le corps avec le consentement de l'âme.

Cette pensée, qui me trottait souvent dans la tête, a donné
naissance à la Promenade de trois morts.
Je puis avoir mal rendu cette idée, mais c'est elle que l'on
doit chercher dans cette fantaisie qui fait jeter les hauts cris à
M. Thibault. La suite du poème, si jamais je la publie, lui
montrera que, du moment que l'expiation est finie, la
souffrance du cadavre cesse en même temps, et que les vers
ne peuvent plus toucher à ces restes sanctifiés par l'âme qui
vient d'être admise à jouir de la présence de Dieu.
Le réalisme, pas plus que la fantaisie, ne trouve grâce aux
yeux de mon critique. La nouvelle école, dit-il, a une
prédilection pour tout ce qui est laid et difforme. M. Thibault
se trompe. L'école romantique ne préfère pas le laid au beau,
mais elle accepte la nature telle qu'elle est; elle croit qu'elle
peut bien contempler, quelquefois même chanter ce que Dieu
a bien pris la peine de créer. Si je puis m'exprimer ainsi, elle
a démocratisé la poésie et lui a permis de ne plus célébrer
seulement l'amour, les jeux, les ris, le ruisseau murmurant,
mais encore d'accorder sa lyre pour chanter ce qu'on est
convenu d'appeler le laid, qui n'est souvent qu'une autre
forme du beau dans l'harmonie universelle de la création. Je
ne dis pas, comme Victor Hugo, que le beau, c'est le laid,
mais je crois qu'il n'y a que le mal qui soit laid d'une
manière absolue. La prairie émaillée de fleurs est belle, mais
le rocher frappé par la foudre, pour être beau d'une autre
manière, l'est-il moins?
Najat
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Message par Najat Dim 30 Mai - 22:12

Toute cette guerre que l'on fait au réalisme est absurde.
Qu'est-ce donc que ce monstre qui fait bondir tant de braves
gens? C'est le 89 de la littérature qui devait nécessairement
suivre le 89 de la politique; ce sont toutes les idées, toutes les
choses foulées aux pieds, sans raison, par les privilégiés de
l'école classique, qui viennent revendiquer leur place au
soleil littéraire; et soyez sûr qu'elles sauront se la faire tout
aussi bien que les serfs et les prolétaires ont su faire la leur
dans la société politique.

Le réalisme, la fantaisie, est-ce qu'ils n'ont pas pour chefs
Shakespeare, Dante, Byron, Goethe?

Ezéchiel, le plus poétique, à mon avis, de tous les
prophètes, n'est-il pas tantôt un magnifique, un divin
fantaisiste, et tantôt un sombre et farouche réaliste?
La fantaisie, elle est partout. Le monde intellectuel et
moral nous fournit à chaque instant matière à fantaisie, ou si
vous l'aimez mieux, à hypothèse, car tout ce tapage n'est

qu'une querelle de mots. La foi et la raison nous apprennent
l'existence d'un lieu de punition éternelle pour les méchants
et d'un séjour de délices sans fin pour les élus. Mais sous
quelle forme de souffrance le damné doit-il expier ses
crimes? Comment se manifestent la bonté et la grandeur de
Dieu dans la récompense de ses serviteurs? Nous en savons
bien peu de chose, et la description qu'on nous en fait,
qu'est-elle, sinon une sainte, une austère fantaisie?
Pourquoi rechercher l'horrible? dit M. Thibault. Pourquoi
s'écarter du vrai et du beau?

Je pourrais bien demander au professeur de l'École
normale, qu'est-ce que le vrai, qu'est-ce que le beau en
littérature? Je sais bien qu'il me répondrait tout de suite par le
récit de Théramène ou par les imprécations de Camille. C'est
magnifique, sans doute, mais il y a une foule de choses qui
sont tout aussi belles, mais d'une autre manière; et ce qu'il
appelle horrible n'est souvent qu'une des formes, non pas du
beau isolé, mais du beau universel; tout cela dépend du point
de vue. Et, après tout, quand ce serait aussi horrible que vous
voulez bien le dire, pourquoi ne pas regarder en face ces
fantômes qui vous semblent si monstrueux? Pour ma part, je
crois qu'il est plus sain pour l'intelligence de se lancer ainsi à
la recherche de l'inconnu, à travers ces fantaisies, horribles si
vous le voulez, mais qui ont cependant un côté grandiose,
que d'énerver son âme dans ces éternelles répétitions de
sentiments et d'idées à l'eau de rose, qui ont traîné dans la
chaire de tous les professeurs de rhétorique.
S'il fallait supposer, ajoute mon jeune critique, que le
corps souffrira encore des morsures du ver, que deviendrait
l'existence, grand Dieu!
Najat
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Message par Najat Dim 30 Mai - 22:13

- Pourquoi pas? croyez-vous donc que les tourments que
Dieu infligera aux coupables ne seront pas plus terribles que
les morsures de ce malheureux ver? Pour moi, je me suis
toujours formé de l'enfer et du purgatoire une idée beaucoup
plus formidable que M. Thibault, et je croirai en être quitte à
bon marché si le bon Dieu, pour me faire expier mes péchés,
ne me fait souffrir d'autres tourments que la morsure du ver.
Pour le moment, je ne vois pas du tout en quoi la perspective
de souffrir dans mon corps en même temps que je souffrirai
dans mon âme, peut me rendre l'existence insupportable. Ce
que je sais, c'est que je dois souffrir, parce que j'ai offensé le
Seigneur; mais, quelle que soit la forme de cette souffrance,
je suis certain que Dieu proportionnera mes forces à
l'intensité de la douleur et à la longueur de l'expiation.
Sommes-nous à ce point devenus sybarites que nos esprits
ne puissent plus concevoir que des idées anacréontiques, que
nos regards ne puissent plus s'arrêter que sur des tableaux
riants comme ceux de l'antique Arcadie?... M. Thibault ne
sait pas trop quel charme la douce fiancée pourrait trouver à
contempler dans son bouquet nuptial le coeur de sa soeur
trépassée. Ni moi non plus; mais ce que je sais, c'est que la
matière ne s'anéantit pas, qu'elle se transforme au contraire
et que nous sommes tous, êtres et choses, imprégnés de la
poussière humaine tout aussi bien que de la poussière
terrestre.

Mais il est inutile de prolonger cette discussion. M.
Thibault est attaché d'une manière trop absolue à l'école
classique pour que je songe à le convertir.
L'éclectisme, absurde en religion et en philosophie, m'a
toujours paru nécessaire en littérature. Vouloir ne regarder
que par l'oeil classique, c'est rétrécir volontairement

l'horizon de la pensée. Au siècle où nous vivons, nous
devons marcher en avant, en suivant, tant qu'elles ne sont pas
contraires à la religion et à la morale, les aspirations de notre
temps. Quand on ne marche pas, on recule, puisque ceux qui
sont derrière nous vont en avant. A cette époque tourmentée
d'une activité fiévreuse qui nous entraîne malgré nous, il me
semble que nous devons dire comme chrétiens: Sursum
corda! et, comme membres d'une société en travail d'un
monde nouveau, nous devons ajouter, en politique comme en
littérature: Go ahead!

Je ne connais pas M. Thibault. Je ne me rappelle même
pas de l'avoir jamais vu. Si par hasard vous le rencontrez,
veuillez le remercier pour moi de tout le bien qu'il a dit de
mes oeuvres. Nous n'avons pas les mêmes opinions, mais si
j'ai le droit d'admirer l'école actuelle, il est également dans
son droit en la blâmant, voir même en la détestant. De
gustibus non est disputandum.

Pour ce poème des Trois morts, voici le plan de la
deuxième et de la troisième partie. Les trois amis vont
frapper, le père à la porte de son fils, l'époux à celle de sa
femme, le fils à celle de sa mère. Le malheureux père ne
trouve chez son fils que l'orgie et le blasphème. Pour
l'épouse, elle est occupée â flirter avec les soupirants à sa
main, et le pauvre mari se retire tristement en se disant à lui-
même:

Oui, les absents ont tort... et les morts sont absents.
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Message par Najat Dim 30 Mai - 22:14

Oui, les absents ont tort... et les morts sont absents.

Seul, le fils trouve sa mère agenouillée, pleurant toujours
son enfant et priant Dieu pour lui. Un ange recueille à la fois
ses prières pour les porter au ciel, et ses larmes, qui se

changent en fleurs et dont il ira parfumer la tombe d'un fils
bien-aimé. Ces trois épisodes occupent toute la seconde
partie. Dans la troisième, le lecteur se trouve dans l'église, le
jour de la Toussaint, à l'heure où l'on récite l'office des
morts. Le père et l'époux viennent demander à la mère
universelle, l'Église, ce souvenir et ces prières qu'ils n'ont pu
trouver à leurs foyers profanés par des affections nouvelles.
Le fils les accompagne, mais son regard n'est pas morne
comme celui de ses compagnons; on sent que les prières de
sa mère ont déjà produit leur effet. La scène s'agrandit, le ciel
et l'enfer se dévoilent aux regards des morts. Les choeurs des
élus alternent avec les chants des damnés. Les habitants du
ciel qui ont été sauvés par les conseils de ces morts qui
souffrent encore dans le purgatoire, demandent à Dieu de les
admettre dans le paradis, tandis que les damnés, pour qui ces
mêmes morts ont été une cause de scandale, demandent
comme une justice que ceux qui les ont perdus partagent
leurs tourments. Ici je crois être dans le vrai, car il faut être
bien pur pour n'avoir jamais contribué à la chute de son
prochain, et il faut être bien abandonné du ciel pour n'avoir
jamais, par ses conseils ou ses exemples, empêché son frère
de commettre une faute, peut-être un crime. Le duo des élus
et des damnés est assez difficile à faire. Le chant des maudits
éternels va assez bien, mais celui des élus offre plus
d'obstacles dans son exécution. L'homme, rempli de
beaucoup de misères, comprend facilement les accents de la
douleur et du désespoir; mais le bonheur lui est une chose
tellement étrangère, qu'il ne sait plus que balbutier, quand il
veut entonner un hymne d'allégresse; cependant j'espère
réussir. Pendant que les morts sont dans le temple, une autre
scène se passe au cimetière. Les vers, privés de leur pâture,

s'inquiètent. Ils montent sur la croix qui domine le champ du
repos et regardent si leurs victimes ne reviennent pas. Un
vieux ver, qui a déjà dévoré bien des cadavres, leur dit de ne
pas se faire d'illusions, que tous les corps dont les âmes
pardonnées monteront ce soir au ciel, deviendront pour eux
des objets sacrés qu'il ne leur sera plus permis de toucher. Il
y a là un chant des vers qui devra joliment bien horripiler M.
Thibault. Revenons à l'église. La miséricorde divine, touchée
par les prières des bienheureux et par celles des vivants qui
sont purs devant le Seigneur, abrège les souffrances du
purgatoire, et, s'élançant sur l'un des caps du ciel, un
archange entonne le Te Deum du pardon.
Voilà, en peu de mots, mon poème dans toute sa naïveté.
Ce n'est pas merveilleux, mais, tel qu'il est, je crois qu'il est
bien à moi et que je puis dire, comme Musset:

Mon verre n'est pas grand, mais je bois dans mon verre.

Plusieurs le trouveront absurde, mais quand j'écris, c'est
pour exprimer mes idées et non pas celles des autres.
Quand finirai-je ce poème? Je n'en sais rien, je suis un
peu maintenant comme Gérard de Nerval. Le rêve prend dans
ma vie une part de plus en plus large; vous le savez, les
poèmes les plus beaux sont ceux que l'on rêve mais qu'on
n'écrit pas. Il me faudrait aussi corriger la première partie,
qui renferme de trop nombreuses négligences. Dans votre
dernière lettre, vous voulez bien me dire que tout un peuple
est suspendu à mes lèvres. Permettez-moi de n'en rien croire.
Mes compatriotes m'ont oublié depuis longtemps. Du reste,
dans la position qui m'est faite, l'oubli est peut-être la chose
qui me convient le mieux. Si je termine les Trois morts, ce ne

sera pas pour le public, dont je me soucie comme du grand
Turc, mais pour vous qui m'avez gardé votre amitié, et pour
les quelques personnes qui ont bien voulu conserver de moi
un souvenir littéraire.
La poésie coule par toutes vos blessures, me dites-vous
encore. De tout ce que j'avais, il ne me reste que la douleur:
je la garde pour moi. Je ne veux pas me servir de mes
souffrances comme d'un moyen d'attirer sur moi l'attention
et la pitié, car j'ai toujours pensé que c'était chose honteuse
que de se tailler dans ses malheurs un manteau d'histrion.
Dans mes oeuvres, je n'ai jamais parlé de moi, de mes
tristesses ou de mes joies, et c'est peut-être à cette
impersonnalité que je dois les quelques succès que j'ai
obtenus. Aujourd'hui que je marche dans la vie entre
l'isolement et le regret, au lieu d'étaler les blessures de mon
âme, j'aime mieux essayer de me les cacher à moi-même en
étendant sur elles le voile des souvenirs heureux.
Quand le gladiateur gaulois tombait mortellement blessé
au milieu du Colisée, il ne cherchait pas, comme l'athlète
grec, à se draper dans son agonie et à mériter, par l'élégance
de ses dernières convulsions, les applaudissements des jeunes
patriciens et des affranchis. Sans s'inquiéter, sans même
regarder la foule cruelle qui battait des mains, il tâchait de
retenir la vie qui s'échappait avec son sang, et sa pensée
mourante allait retrouver et dire un dernier adieu au ciel de sa
patrie, aux affections de ses premières années, à sa vieille
mère qui devait mourir sans revoir son enfant.

Tout à vous.
Najat
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Message par Najat Dim 30 Mai - 22:14

Tout à vous.

Le plan du poème des Trois morts que Crémazie a
esquissé à grands traits à la fin de cette lettre est tout ce qui
reste de cette fantaisie qu'il choyait comme l'oeuvre capitale
de sa vie. Quoique l'idée et l'exécution de ce poème
appartiennent bien à son auteur, il a cependant le tort d'être
venu après la Comédie de la mort, de Théophile Gautier.
C'est précisément le défaut que signale Crémazie à propos de
nos romans historiques, qui auront toujours l'air de pastiches
plus ou moins réussis de Fenimore Cooper. Pour me servir de
l'expression de Crémazie lui-même, son poème d'outre-
tombe a l'irréparable tort d'arriver le second, c'est-à-dire trop
tard.
Crémazie n'a été vraiment original que dans ses poésies
patriotiques: c'est le secret de sa popularité, et son meilleur
titre devant l'avenir.
Nous n'étions que l'écho du sentiment populaire lorsque
nous écrivions, il y a tantôt vingt ans:

Nous n'oublierons jamais l'impression profonde que
produisirent sur nos jeunes imaginations d'étudiants
l'Histoire du Canada de Garneau et les Poésies de Crémazie.
Ce fut une révélation pour nous. Ces grandes clartés qui se
levaient tout à coup sur un sol vierge, et nous en découvraient
les richesses et la puissante végétation, les monuments et les
souvenirs, nous ravissaient d'étonnement autant que
d'admiration.
Que de fois ne nous sommes-nous pas dit avec transport,
à l'aspect des larges perspectives qui s'ouvraient devant
nous: Cette terre si belle, si luxuriante, est celle que nous

foulons sous nos pieds, c'est le sol de la patrie! Avec quel
noble orgueil nous écoutions les divers chants de cette
brillante épopée! Nous suivions les premiers pionniers de la
civilisation dans leurs découvertes; nous nous enfoncions
hardiment avec eux dans l'épaisseur de la forêt, plantant la
croix, avec le drapeau français, sur toute la ligne du Saint-
Laurent et du Mississipi. Nous assistions aux faibles
commencements de la colonie, aux luttes héroïques des
premiers temps, aux touchantes infortunes de la race
indienne, à l'agrandissement de la Nouvelle-France; puis,
après les succès enivrants, les éclatantes victoires, venaient
les revers; après Monongahéla, Oswégo, Carillon, venait la
défaite d'Abraham; puis enfin le drapeau fleurdelisé, arrosé
de notre sang et de nos larmes, retraversait les mers pour ne
plus reparaître.
Sur cette grandiose réalité, les brillantes strophes de M.
Crémazie, alors dans tout l'éclat de son talent, jetaient par
intervalle leurs rayons de gloire. Il nous rappelait, en vers
splendides, les hauts faits d'armes de nos aïeux,
Najat
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Message par Najat Dim 30 Mai - 22:15

Sur cette grandiose réalité, les brillantes strophes de M.
Crémazie, alors dans tout l'éclat de son talent, jetaient par
intervalle leurs rayons de gloire. Il nous rappelait, en vers
splendides, les hauts faits d'armes de nos aïeux,

les jours de Carillon,
Où, sur le drapeau blanc enchaînant la victoire,
Nos pères se couvraient d'un immortel renom,
Et traçaient de leur glaive une héroïque histoire?

Nous frémissions d'enthousiasme au récit

de ces temps glorieux,
Où seuls, abandonnés par la France leur mère,
Nos aïeux défendaient son nom victorieux
Et voyaient devant eux fuir l'armée étrangère?

Nos yeux se remplissaient de larmes à la lecture de cette
touchante personnification de la nation canadienne retracée
dans le Vieux soldat canadien,

Descendant des héros qui donnèrent leur vie
Pour graver sur nos bords le nom de leur patrie,
La hache sur l'épaule et le glaive à la main.

Ayant survécu aux malheurs de la patrie, presque aveugle,

Mutilé, languissant, il coulait en silence
Ses vieux jours désolés, réservant pour la France
Ce qui restait encor de son généreux sang ;
Najat
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Message par Najat Dim 30 Mai - 22:15

...................................................................

Ses regards affaiblis interrogeaient la rive,
Cherchant si les Français que, dans sa foi naïve,
Depuis de si longs jours il espérait revoir,
Venaient sous nos remparts déployer leur bannière
Puis, retrouvant le feu de son ardeur première,
Fier de ses souvenirs, il chantait son espoir.
...................................................................

« Pauvre soldat, aux jours de ma jeunesse,
« Pour vous, Français, j'ai combattu longtemps;
«Je viens encor, dans ma triste vieillesse,
«Attendre ici vos guerriers triomphants.
...................................................................


«Mes yeux éteints verront-ils dans la nue
<< Le fier drapeau qui couronne leurs mâts ?
<< Oui, pour le voir, Dieu me rendra la vue !
Dis-moi, mon fils, ne paraissent-ils pas ?...
...................................................................

On comprend facilement l'enthousiasme que devaient
exciter dans des coeurs de vingt ans ces chants si nouveaux,
ces hymnes patriotiques qui ressuscitaient sous nos yeux,
comme le poète le disait lui-même,

Tout ce monde de gloire où vivaient nos aïeux.

Ceux qui étaient alors en âge de goûter les beautés
littéraires, peuvent redire encore tout ce qu'il y avait de
charme dans la voix de ce barde canadien, debout sur le
rocher de Québec, et chantant avec des accents tantôt sonores
et vibrants comme le clairon des batailles, tantôt plaintifs et
mouillés de larmes, comme la harpe d'Israël en exil, les
bonheurs et les gémissements de la patrie.
La gloire littéraire de Crémazie, si grande au Canada, n'a
réveillé jusqu'à présent que de rares échos en France.
L'ancienne mère patrie n'a encore acclamé qu'un seul de nos
poètes. Elle a salué dans Fréchette la plus française de nos
muses: le temps n'est pas éloigné où elle reconnaîtra en
Crémazie le plus canadien de nos poètes. Son vers n'a pas la
facture exquise qu'on admire en Fréchette, mais il respire un
souffle patriotique qui fait trop souvent défaut chez l'auteur
des Fleurs boréales. Malgré ses inégalités et ses
imperfections, Crémazie vivra parmi nous comme le père de
la poésie nationale.

Les amis de Crémazie, et il en avait dans toutes les
classes, entretinrent pendant plusieurs années l'espoir de son
retour. Il se forma même un comité qui se mit en rapport avec
ses créanciers et qui se flatta un moment de pouvoir les
désintéresser. Crémazie était tenu au courant de ces
démarches, et il m'exprimait sa joie dans une lettre, en me
priant d'être l'interprète de sa reconnaissance auprès de ceux
qui s'employaient « à abréger les jours de son exil. »
Najat
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Octave Crémazie - Page 2 Empty Re: Octave Crémazie

Message par Najat Dim 30 Mai - 22:16

décembre 1867.
Cher monsieur,
Je viens de recevoir votre amicale du 12 novembre.
J'apprends avec peine que vous avez souffert d'un violent
mal d'yeux. Pour ceux qui, comme vous, vivent
exclusivement de la vie de la pensée, c'est bien la pire de
toutes les maladies que celle qui empêche de lire et d'écrire.
Vous êtes maintenant en voie de guérison. Tant mieux,
non seulement pour vous, mais encore pour la littérature
canadienne, qui vous doit les plus beaux fleurons de sa
couronne et qui attend avec impatience les nouvelles oeuvres
de votre plume. En Canada, les littérateurs ne produisent en
général que des fleurs qui promettent des fruits;
malheureusement ces fruits ne viennent jamais ou presque
jamais. Mieux doué et plus heureux, vous avez, dès votre
début, produit des fleurs et des fruits, et vous continuez, avec
une persévérance digne de votre talent, à marcher d'un pied
ferme dans la voie de notre littérature nationale, que vous
avez si largement agrandie et si magnifiquement ornée.

Vous me demandez où j'en suis de mon pème des Trois
morts. Je n'ai encore rien écrit, je vais me mettre, autant que
ma tête me le permettra (car si vous êtes pris par les yeux, je
suis pris par la tête), à remanier tous ces malheureux vers qui
commencent à pourrir au fond de mon cerveau; je serai
obligé de refaire la seconde partie, qui est pas mal satirique.
Comme je me moque de beaucoup de gens dans ce second
chant, je dois faire des changements considérables, car je ne
puis, dans ma position actuelle et quand j'ai besoin des
sympathies de tout le monde, me permettre de fronder aucune
classe de la société, ni de faire des allusions à telle ou telle
personne.
Je croyais bien que la fin des Trois morts ne serait jamais
publiée. Je voulais cependant l'écrire, et après ma mort, la
laisser à ma famille avec prière de vous la remettre. Vous en
auriez fait ce que vous auriez voulu.
Aujourd'hui que l'on veut bien se souvenir de moi et
s'occuper de me faire ouvrir les portes de la patrie, je vais me
remettre au travail et faire de mon mieux.
Comment pourrai-je vous exprimer toute ma
reconnaissance pour la sympathie que vous m'avez toujours
témoignée et dont vous me donnez encore aujourd'hui une
preuve si touchante en essayant de me faciliter les moyens de
revoir le ciel natal? Je ne puis que vous dire, du plus profond
de mon coeur, merci, et soyez béni pour tout le bien que vous
m'avez fait.
Je vous prie de vous faire l'interprète de ma gratitude
auprès des amis qui veulent bien se joindre à vous pour
abréger les jours de mon exil.
Réussirez-vous? Je n'ose l'espérer. Quel que soit le
résultat de vos démarches, soit que je puisse, grâce à vous,

respirer encore l'air pur et fortifiant du Canada, soit que je
doive,
Najat
Najat

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Octave Crémazie - Page 2 Empty Re: Octave Crémazie

Message par Najat Dim 30 Mai - 22:39

Isolé dans ma vie, isolé dans ma mort,

boire jusqu'à mon dernier jour la coupe amère de l'exil, je
garderai toujours dans le sanctuaire le plus intime de mon
coeur le souvenir de ceux qui ne m'ont ni renié, ni oublié aux
jours du malheur.
Mes frères m'apprennent que l'Université Laval ne
publiera pas les poèmes qu'elle a couronnés. Pourquoi? Est-
ce que ces oeuvres ne sont pas dignes de voir le jour? Si c'est
là la raison qui empêche la publication de ces travaux
poétiques, l'Université a eu tort de les couronner. Ce n'est
pas encourager la littérature que de décerner des prix à des
poèmes qui ne peuvent supporter le grand jour de la publicité,
c'est seulement donner une prime à la médiocrité. En Europe,
quand les oeuvres soumises à un jury universitaire ne
s'élèvent pas à un degré suffisant de perfection, on ne donne
pas de prix: l'Académie française a été pendant trois ans sans
décerner un seul prix, parce que les travaux sur lesquels elle
avait à se prononcer, ne s'élevaient pas au-dessus de la
médiocrité. Couronner une oeuvre parce qu'elle est moins
mauvaise que dix ou vingt autres, c'est tout bonnement
ridicule. Si elle n'est pas supérieure, il faut au moins qu'elle
soit bonne, et si elle est bonne, elle peut sans crainte affronter
les périls de l'impression. Si les poèmes couronnés à Québec
ont une valeur réelle, pourquoi ne les publie-t-on pas? S'ils
n'en ont point, pourquoi les a-t-on couronnés?
Mes frères me conseillent de me mettre sur les rangs pour
le prochain concours de l'Université Laval.

Je ne pense pas pouvoir suivre leur conseil. Il est toujours
facile de faire quelques centaines de vers de pathos et de
lieux communs sur n'importe quel sujet. Ces machines-là se
font en une nuit, mais ce n'est pas là de la poésie sérieuse.
Pour bien traiter un sujet comme celui des Martyrs de la foi
en Canada, il faudrait étudier avec soin les premiers temps de
notre histoire, se bien identifier avec les idées et le langage
des héros qui doivent jouer un rôle dans le poème, en un mot
devenir pendant un an un homme des premiers jours du 17ème
siècle.
Comment pourrais-je faire les études nécessaires,
indispensables pour mener à bien ce poème, quand ici je n'ai
pas un seul volume sur le Canada? Vous voyez donc que je
suis dans des conditions qui me ferment l'entrée du concours.
Puis, je vous le dirai franchement, je me sens
médiocrement attiré vers ces concours qui vous imposent un
sujet qu'il faut livrer à heure fixe comme un pantalon. Quand
un sujet me plaît, j'aime à le traiter à mes heures et à ne le
livrer à la publicité que lorsque j'en suis complètement
satisfait. Un bon poème, pris de haut, sur les martyrs de la
foi, demanderait 5000 ou 6000 vers et au moins un an de
travail. Je parle pour moi. D'autres, mieux doués, pourraient
le faire en moins de temps, mais à moi il faudrait au moins
une année pour le composer tel que je le rêve. Que
l'Université Laval couronne donc qui elle voudra; je ne puis
me mettre sur les rangs et lutter avec mes confrères en
poésie.
Je regrette vivement que vos yeux ne vous permettent pas
de me parler de votre voyage ne Europe. C'eût été pour moi
une bonne fortune de lire les choses charmantes que votre
plume si élégante et si poétique aurait écrites sur ce vieux
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Message par Najat Dim 30 Mai - 22:40

monde que vous venez de visiter pour la seconde fois.
J'espère que plus tard je pourrai lire dans quelque revue
canadienne vos souvenirs de voyage dans ces deux mères
patries du Canada: Rome et la France. Encore une fois
recevez l'expression de ma reconnaissance la plus profonde
pour les démarches que vous voulez bien faire pour hâter la
fin de mon exil et croyez moi

Votre tout et toujours dévoué.

P.S. - À propos de la Toussaint, j'ai lu des vers
impossibles de M. Benoît. Pourquoi diable cet homme fait-il
des vers? C'est si facile de n'en pas faire.
octobre 1869.
Cher monsieur,
Je viens d'apprendre par les lettres de ma famille que
votre vue, épuisée par les veilles, est enfin revenue à son état
normal. La littérature canadienne a perdu ses représentants
les plus illustres, Garneau et Ferland. Quel deuil pour le pays
si la maladie vous avait condamné à ne pouvoir continuer ces
belles et fortes études historiques qui doivent immortaliser
les premiers temps de notre jeune histoire et votre nom!
Dieu a eu pitié du Canada. Il n'a pas voulu que vous, le
successeur et le rival des deux grands écrivains que la patrie
pleure encore, vous fussiez, dans toute la force de l'âge et
dans tout l'épanouissement de votre talent, obligé de vous
arrêter pour toujours dans cette carrière littéraire où vous
avez trouvé déjà de si nombreux et si magnifiques succès.

Puisque la Providence, en vous rendant la santé, conserve
ainsi à la nationalité canadienne un des défenseurs les plus
vaillants de sa foi et de sa langue, je me reprends à croire à
l'avenir de la race française en Amérique.
Oui, malgré les symptômes douloureux d'une annexion
prochaine à la grande République, je crois encore à
l'immortalité de cette nationalité canadienne que j'ai essayé
de chanter à une époque déjà bien éloignée de nous.
Je vous avais promis de vous envoyer la fin de mon
poème des Trois morts. J'ai travaillé, dans ces mois derniers,
à remplir ma promesse. Vous savez que j'ai toujours eu
l'habitude de ne jamais écrire un seul vers. C'est seulement
lorsque je devais livrer à l'impression que je couchais sur le
papier ce que j'avais composé plusieurs semaines, souvent
plusieurs mois auparavant. Il se trouve maintenant que j'ai
oublié presque tous les vers faits il y a bientôt sept ans.
Les maux de tête qui m'ont tourmenté presque
constamment ont-ils affaibli ma mémoire? L'avalanche de
tristesses et de douleurs qui a roulé jusqu'au fond de mon
ame, a-t-elle écrasé dans sa chute ces pauvres vers que j'avais
mis en réserve dans ce sanctuaire que l'on appelle le
souvenir?
Je l'ignore. Ce que je sais, c'est que je n'ai plus ma
mémoire du temps jadis.
Je suis donc obligé de refaire ce poème. J'y travaille
lentement, d'abord parce que ma tête ne me permet plus les
longues et fréquentes tensions d'esprit, ensuite parce que je
n'ai plus pour la langue des dieux le goût et l'ardeur
d'autrefois. En vieillissant, ma passion pour la poésie, loin de
diminuer, semble plutôt augmenter. Seulement, au lieu de
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Message par Najat Dim 30 Mai - 22:41

composer moi-même des vers médiocres, j'aime bien mieux
me nourrir de la lecture des grands poètes.
Comme je n'ai jamais été assez sot pour me croire un
grand talent poétique, je suis convaincu que mes oeuvres
importent peu au Canada, qui compte dans sa couronne
littéraire assez d'autres et plus brillants fleurons.
Mais je vous ai promis la fin des Trois morts. Je tiendrai
ma promesse, et avant longtemps vous verrez arriver la
deuxième partie de cette oeuvre qui a si bien horripilé
l'excellent M. Thibault.
J'ai reçu un volume intitulé: Fleurs de la poésie
canadienne. Concevez-vous un recueil qui a la prétention de
publier le dessus du panier des poètes canadiens et qui ne
donne pas un seul vers de Fréchette, le plus magnifique génie
poétique, à mon avis, que le Canada ait encore produit? Le
compilateur de ce volume me semble singulièrement
manquer de goût.
J'ai vu dans les journaux que l'on va fonder à Québec une
revue littéraire avec un capital de £500,2 ce qui permettra de
payer les écrivains. Je suis très heureux de voir mettre ainsi à
exécution le plan dont je vous parlais dans une de mes lettres.
Veuillez présenter mes hommages respectueux à M. le
curé de Québec 3 et me croire

Votre tout et toujours reconnaissant.

2 Ce projet n'a pas eu de suite.
3 M. l'abbé Auclair.
1er mai 1870.
Cher monsieur,
Quel volume charmant que vos Poésies, et combien je
vous suis reconnaissant de me l'avoir adressé.
J'en veux un peu moins aujourd'hui à ce vilain mal
d'yeux qui vous a fait si longtemps et si durement souffrir,
puisque c'est à lui que nous devons le Canotier et le Coureur
des bois. Ces deux pièces sont des bijoux.
Dessane 4 devrait enchâsser ces deux perles dans des airs
de sa composition. En réunissant deux strophes pour faire des
couplets de huit vers et en composant un refrain de deux ou
quatre vers, vous auriez deux ballades ravissantes.
Dessane, qui, au temps jadis, a fait une fort jolie musique
pour mon Chant des voyageurs, lequel chant ne vaut ni votre
Canotier ni votre Coureur, trouverait certainement des
accords dignes de vos deux créations, si originalement
canadiennes.
Historien, romancier et poète, vous êtes en bon chemin
pour monopoliser toute la gloire littéraire du Canada.
L'impression de votre livre est splendide. Votre muse
n'avait pas besoin de ce vêtement magnifique. La grâce et
l'élégance qu'elle a reçues de la nature lui suffisent pour
attirer les regards.
Cependant la muse est femme et trouve peut-être qu'un
brin de toilette ne nuit jamais.
Vous voulez bien me dire que vous publierez mon petit
bagage poétique avec le même luxe. Je vous remercie de tout
4 Organiste de la cathédrale de Québec. C'était un ancien élève du
Conservatoire de Paris, et un compositeur fort distingué.
Najat
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Message par Najat Dim 30 Mai - 22:41

mon coeur de cette offre trop au-dessus de la valeur de mes
oeuvres, mais je ne saurais l'accepter.
Comme marchand, j'ai fait perdre, hélas! de l'argent à
bien du monde; comme poète, je ne veux en faire perdre à
personne.
Je connais assez le public canadien pour savoir qu'une
édition, avec ou sans luxe, de mes vers serait une opération
ruineuse pour l'éditeur. Pourquoi voulez-vous que je vous
expose à perdre de l'argent, vous ou l'imprimeur qui serait
assez fou pour risquer une pareille spéculation? Je n'ai point
la sottise de me croire un grand génie et je ne vois pas trop ce
que le Canada gagnerait à la publication de quelques milliers
de vers médiocres. Quant à moi, il y a longtemps que je suis
guéri de cette maladie de jeunesse qu'on appelle la vanité
littéraire, et je dis maintenant avec Victor Hugo ce que
j'aurais dû dire il y a vingt ans:

Que poursuivre la gloire et la fortune et l'art,
C'est folie et néant; que l'urne aléatoire
Nous jette bien souvent la honte pour la gloire
Et que l'on perd son âme à ce jeu de hasard.

D'un côté, certitude de perte d'argent, de l'autre, résultat
nul pour la littérature canadienne. Devant une pareille
alternative, il serait absurde d'abuser de votre sympathie pour
vous laisser engager dans une affaire désastreuse. Donc ne
parlons plus d'imprimer un volume de moi.
J'ai passé un triste hiver, plus souvent malade que bien
portant. Je ne me suis guère occupé de poésie. Je ne
désespère pas cependant de mener à bonne fin ces
malheureux Trois morts. Quand je vous aurai expédié la fin

du poème en question, si vous rencontrez un directeur de
revue littéraire, en quête de copie, qui veuille bien publier,
pour rien, les deux dernières parties de ce travail, vous
pourrez les lui donner, si cela vous fait plaisir, car alors je
n'aurai pas à me reprocher d'avoir fait perdre de l'argent
avec mes vers, puisque la revue qui aura bien voulu les
accueillir n'aura fait pour moi aucuns frais autres que ceux
des reproductions ordinaires. Nous reparlerons de cela en
temps convenable.

Votre toujours.
Najat
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