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Yassin Adnan: belle plume du Maroc

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Yassin Adnan: belle plume du Maroc Empty Yassin Adnan: belle plume du Maroc

Message par rayane Lun 17 Mai - 15:17

Poète différent


Si j'étais né palestinien
on m'identifierait à une Cause
et les critiques s'évertueraient
à percer le sens profond
de mes poèmes
Ils y chercheraient
le moindre repli de la blessure
et jusqu'à l'éloge des oranges
Souad symboliserait le Pays
et Aïcha la Terre
Une simple étreinte deviendrait
fusion avec l'herbe de la Cause
et l'attente le jour durant
au Café de la Gare
signifierait
la résistance face au Siège
Si les forces de l'ordre
avait décelé dans mes opinions
(celles que je n'ai pu exprimer ouvertement)
ce qui aurait pu menacer l'ordre
je jouirais maintenant
du statut d'ancien prisonnier
on me trouverait profond
même si je ne parlais que de météo
et de marques de bière
digne de soutien
au moindre soupir
à la moindre plainte
J'aurais peut-être obtenu
le droit d'asile
dans une capitale blonde
Paris par exemple
Là où mes yeux
ma chevelure noire
me griseraient
où je cacherais mon français infirme
derrière un silence astucieux
Je séduirais
une Française vierge
et la dépucellerais sans verser de dot
J'entrerais par effraction
dans la famille de Rimbaud
Mais je suis venu à toi,ô monde
imprévu comme un coup d'Etat
sec comme une notice nécrologique
Je suis venu à toi,ainsi
sans Cause appropriée
et presque sans crier gare
Je suis venu à toi
tout à fait ordinaire
lors d'une année ordinaire
et sans façon
j'ai écrit des poèmes
aux couleurs mêmes de la vie
Seulement voilà
personne n'a encore découvert
que j'étais
un poète différent
(in Mannequins)

* * *
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Message par rayane Lun 17 Mai - 15:18

MANNEQUINS
La fille qui est apparue dépouillée de son unique robe,
Après que celle-ci fût criblée par les flèches du temps.
La fille qui oubliait le restant de ses jours dans une chambre,
Dont elle risque de ne plus se rappeler l'adresse
La fille qui vit tomber sur la voie publique
Une feuille de l'arbre de sa féminité,
Et la vit violée par un mégot obsédé
La fille qui surprit son slip,
Nu, dans la chambre d'un homme étranger
Et le brûla
(Le slip j'entend)
La fille qui s'aperçut,
Après vingt-sept lits,
Qu'elle était mâle
La fille qui dort à neuf heures vingt,
Ou une heure après mi-rève,
Ou qui ne dort pas,
C'est selon
La fille qui choisit avec minutie
L'amant assorti à la couleur de sa jupe
La fille qui revêt
Pour chaque "Bonsoir"
Le sourire adapté
La fille qui, jetée par son triste sort
Au signe de la Vierge,
coucha avec le Lion
Se vengeant d'un trop-plein d'érotisme
La fille qui,dépouillée de rimes,
Se mit au comptoir de la langue.
Je ne parle pas de Soulayma Rahaal,
Quoi qu'on en pense
La fille qui signe les quiètes odes
Et les baisers distraits,
Celle dont Sâad Sarhane épousa une autre
La fille dont la poitrine,
les seins et le ventre
Furent dévorés,
Celle dont les entrailles engloutirent un homme
Dans un roman de Tahar Wattar
La fille dont le père s'appelle Si Lmoukhtar Al Hamri
La fille belle,
S'il n'y avait les trous de son nez
La fille qui résidait n°13
Riad El Arousse Marrakech
Avant de résider en elle-même
La fille qui sait les instincts et les coeurs
La fille à qui il n'arrivera
Que ce que Dieu lui a destiné
Laquelle de ces filles
Servirait de brouillon
Au Mannequin de ce poème?

* * *
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Message par rayane Lun 17 Mai - 15:19

Sorry
Dès notre première étreinte
J'ai réalisé
Que ton amour désertique
Ne me lèguera que des insolations
Maintenant que j'ai découvert
Ton amertume
Ton corps aride
La savane de tes aisselles
-comme si les lames à raser étaient rares-
Et la sécheresse de ta poitrine
Je te présente mes excuses
Comme il sied à un gentleman:
Sorry
Je ne m'implanterai pas en toi,
Je ne suis pas palmier.

* * *
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Message par rayane Lun 17 Mai - 15:19

J'aime ses secrets

Comme elle a besoin de chaussures à talon aiguille!
De rouge foncé
Qui mène les lèvres à l'orage incandescent.
Comme elle a besoin de la rose ,
De la flamme qui polit les viscères.
C'est qu'elle met sa féminité dans une amulette
Qu'elle cache entre ses seins!
Sans odeur aucune
Elle sort pour ses pas,
Réglés tel le pendule d'une horloge anglo-saxonne.
Ainsi est-elle:
Sans parfum, elle sort,
Recroquevillée comme une canne blanche
Penchée tel un vieux bananier décrépit.
Et puis elle n'a jamais compris
Que j'aime ses secrets
Que je ne la veux pas pour moi.
Elle n'a pas encore compris que son matin
Ne ressemble en rien à celui d'Aïcha
Que son destin est voué
A des choses obscures
Qu'un oiseau sur un arbre
Ne pourra jamais deviner.

* * *
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Message par rayane Lun 17 Mai - 15:20

Petits rêves
Je rêve d'une femme modérément belle
Qui m'aime et que j'aime,
Dont je porterais les souffles verts
comme amulette à ma poitrine
Je rêve d'une femme qui lit les journaux
Qui comprend que le partage a un sens autre que le lit
Et qui me comblerait avec deux beaux enfants.
Je rêve d'un trois-pièces, même au septième étage,
Une chambre à coucher et cacher la bibliothèque,
Une pièce pour de chaudes soirées devant une télé glaciale
Une troisième pour les invités aux bavardages multiples.
Je rêve d'un trois-pièces
Et ne pense point à la bagnole.

* * *
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Message par rayane Lun 17 Mai - 15:20

Couteaux du cafard
Des grappes acides
Pendaient
A ses veines
Les trains de minuit
Arpentaient
le givre de son silence
En toussant
Comme si tous les passagers
Fumaient du tabac sec et insipide
Et pensaient à des rendez-vous obscurs.
Tout était dans l'état habituel...
Lampes blafardes
Nuage extrême
Vent griffu
Le même calme glacial
Le temps emmitouflé dans son lourd manteau
Et le sommeil recroquevillé tel un chat
Près du foyer.
Tout était dans l'état habituel..
La toux des persiennes
Les couteaux du cafard enfouis
Dans les poches de la veillée
La radio débauchée
Et le ciel au même pyjama raide
...........
Seule la pluie ailée ricanait
Avec la grossièreté d'un ivrogne.

* * *
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Message par rayane Lun 17 Mai - 15:20

Samedi bis
Que tu es cruel,O Samedi succédant à mon trépas!
Même les deux anges au tombeau
Seront moins brutaux que toi.
Ils emballeront mes nombreux péchés
Dans des boîtes transparentes
Et je ne pense pas qu'ils brûleront
Mes rêves non exaucés
Même les pires de mes ennemis
Diront qu'ils prenaient mes folies
Pour témoignage d'amour,
Ils me pardonneront tant .
Mais toi impitoyable Samedi
Tu ouvriras les portes de tes bars
Sur mille vents capricieux
Et tout le monde atteindra
Le buisson de l'ardente ivresse
Avec des mines avinées
Des esclaffements
Comme si j'étais encore ...
Ou comme si je ne fus jamais.

* * *
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Message par rayane Lun 17 Mai - 15:21

Samedi soir
Et si je n'avais pas enfermé les lapins du caprice
Dans ma chambre , ce soir-là?
Et si j'étais sorti comme tout le monde
Flâner dans la ville ce samedi soir-là?
Peut- être aurais-je rencontré
Un poète téméraire
Dans une taverne
Nous aurions picolé
Et peut-être l'ivresse
Nous aurait-elle arrosés de ses largesses .
Peut-être une coquette
Aux fossettes ardentes
A la poitrine insolente
M'aurait-elle séduit.
Je l'aurais aimée,
Peut-être nous serions-nous mariés
Pour qu'elle devienne la mère de mes enfants!
Hélas! J'ai retenu mon caprice
Dans le silence de ma chambre
Et j'en suis désolé!



* * *
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Message par rayane Lun 17 Mai - 15:21

Sans secrets
Dans le bar
Elle parlait énormément
Comme si ses rêves étaient encore verts.
Elle avalait les cigarettes
Telle un moribond.
Avec les doigts de sa fumée
Elle dessinait les âges, les intentions
Et le sifflement des trains du samedi.
Elle riait à pleine gorge
Et le miel de ses éclats
Dégoulinait entre ses seins
(cependant ses yeux souriaient à peine).
Dans l'étreinte
Elle gémissait profondément,
Exactement comme une adolescente dans le premier lit.
Elle avait l'habitude de dormir sans secrets.
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Message par rayane Lun 17 Mai - 18:05

Musique ton sourire
Musique est ton sourire
C'est pourquoi je suis absolument fou
De tes lèvres.
Tes yeux, quiétude du jardin à midi,
Je leur serai toujours gré
De pouvoir enfin m'endormir
Avec un sourire d'enfant.
Tes seins,vent fougueux
J'en suis le dompteur:
Que de fois dans mes rêves ont-ils
Galopé tel deux poulains ,
Et moi fouettant l'air
Par mon halètement .
Tes sentiers me comblent
Mais je ne parviens toujours pas à comprendre
Comment tu n'as jamais raté sept heure?
Essaies de louper le rendez-vous
Ne serait-ce qu'une fois
Pour que je puisse penser au suicide!

* * *
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Message par rayane Lun 17 Mai - 18:05

Nuages blancs
Pourquoi ne partagerais-tu pas
Ma maison verte
Au "quartier des champs" :
La lune est un kiosque à tabac,
Les étoiles,le bout incandescent des cigarettes
Que grillent nonchalamment les anges,
L'olivier orphelin,
Un garde-rendez-vous,
Et le puits oriental,
Mon réfrigérateur secret
Où je garde la viande au frais ,
Ainsi que les sens .
Rends-moi visite là-bas au moins
Et ne fais pas attention ,
En traversant les pâturages discrets,
Aux moutons .
Ce ne sont que des nuages blancs .



YASSIN ADNAN
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Yassin Adnan: belle plume du Maroc Empty YASSIN ADNAN

Message par rayane Lun 17 Mai - 18:07

YASSIN ADNAN
Né en 1970 au Maroc.
Après une licence en littérature anglaise à l’université Cadi Ayyad de
Marrakech et un Diplôme en sciences de l’éducation à
l’université Mohammed 5 de Rabat, il intègre l’enseignement
comme professeur d’anglais.
Prix Maghrébin de poésie " Moufdi Zakaria " de 1991 en Algérie.
Il a participé en 1992 à la publication de la revue littéraire arabe
" Aswat Moassira " (voix modernes),
et en 1994 à la publication et à la distribution du bulletin poétique
" Al-Ghara Ashiria " (l’incursion poétique).
Il a reçu en 1998 le prix de la poésie de l’Union des Ecrivains du
Maroc.
Son premier recueil poétique " Mannequins " a été publié en 2000 par
l’Union des Ecrivains du Maroc.
Il a participé a plusieurs festivals et rencontres poétiques au Maroc, en
Algérie, Kurdistan d’Irak, France, Belgique et Hollande.
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Yassin Adnan: belle plume du Maroc Empty LE RÉCIF DE L’EFFROI YASSIN ADNAN

Message par nadia ibrahimi Mar 18 Mai - 20:42


LE RÉCIF DE L’EFFROI


YASSIN ADNAN

TRADUIT DE L’ARABE PAR: SIHAM BOUHLAL


LE LAC DE LA CÉCITÉ
Yassin Adnan: belle plume du Maroc Yassen_addnan2Là-bas, tout près du lac de la cécité
Lieu de nos rencontres passées
A poussé
Une fleur noire
Soyons vrais
L’amour que nous contions
A l’auberge du Jardin
Est étranger à ce que nous faisons, aujourd’hui, de nos corps
Épuisés
Lorsque les petits sont endormis
Soit !
C’est le cadavre de la clarté
Celui que nous avons tranché en comètes
Minuscules
Puis commencé à enterrer çà et là
Dans les replis de l’air
Et maintenant
Ne dis pas que les chacals
Après long sommeil
En ton sang
Se sont éveillés
Car l’essoufflement ne t’a point guidée vers
L’insaisissable
...Et puis, ne me souviens plus
Seulement, dis-moi
Caches-tu toujours ton corps dans la resserre à vêtements
Et toujours t’en vas-tu sous la pluie de la ruelle
Nue
De toute branche ?
Et toujours regravis l’air
Vers
La terrasse de la somnolence
Où les chats, les cartes et les arbres du doute
Couchent
Sous le manteau d’Ibn Sîrîn ?
Et toujours, frémis-tu comme bruine désemparée
Gardes-tu un silence de sieste ?
Comme un soir assoupi
Bâilles-tu encore ?
Laisse les cloches choir
De ton cliquetis
Que j’entende en mon tréfonds
L’appel que tu prétends m’adresser
Reconnais les ailes
L’herbe de ton esseulement
Et les secrets des astrologues !
Soyons clairs, un instant seulement
Car je sais ce que tu dissimules

J’ai vu ses lèvres progresser sur tes branches
Son souffle
Poursuivre des papillons
Dans le jardin de ta poitrine
J’ai senti son cuivre ductile
Entre tes fibres
Je l’ai vu en ton sommeil
Comme l’or voit son brillant
Et j’ai eu scrupule à t’approcher
Même si, à jamais, l’argent l’emporte sur le cuivre
J’ai eu scrupule
A t’approcher
Quitte ta couche vers dix heures du matin
Et oublie que la nuit fut
Un amant

Laisse la couche là-bas
Et redresse la tête comme il sied
A un palmier assoiffé...
Laisse la baie déborder sur ta chemise de nuit
Coupable
Laisse ses doigts ramper entre tes fibres
Laisse-les
Remuer l’ouate de tes songes
Mais
Garde-toi de trembler. La rivière s’est tarie
Et nul
Ne viendra du côté de la source

Pose l’ultime collier de ta vie sur la table
Et pense
A l’aveugle galop du bonheur
Sur les pentes
Toi tu n’as pas tellement changé. Moi, peut-être suis-je encore
Porté vers toi
Mais ce cadavre entre nous
Se délite seul
A l’écart
Dans cette vastitude, lointaine et déserte, là-bas, tout près
Du lac de la cécité.
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Message par nadia ibrahimi Mar 18 Mai - 20:43

PÊCHEURS EN HABIT DE MOISSONNEURS
Marins à l’humeur terrienne
Depuis de lointaines années ici venus
Les voilà enterrant leurs destins forclos
Dans les vagues
Et se souviennent toujours
Que leurs parents étaient paysans
Ils ne se préoccupent guère de Dieu, mais
Craignent la mort
Et connaissent par cœur les courtes sourates

Toi, tu connais bien leurs usages
On t’a enseigné leurs secrets et le vent
De leurs bords
Leur amitié grisée
Par trop de vin
Et leur chapeaux de paille tressée
Tu étais parmi eux
Quand la nuit ils se mettaient en cercle
Autour de leur flamme froide
Et ralentie

Toi tu connais leurs élégies
Qui ne ressemblent pas aux chants
Des bergers
Et leurs récits sur les grands poissons
Bien qu’ils n’en pêchent que des petits
Et quand il fait un temps de chien
Ils courent comme des écureuils vers
La chaleur d’un tronc
A l’entrée du port
Jacassent des heures durant
Comme si la parole était le poumon de l’Univers
Et leur assemblée son souffle de vie

Les pêcheurs...
Ne sont pas toujours raisonnables
Et quand ils se jetèrent l’un après l’autre dans la mer
Sous le ciel de Dieu vide
D’étoiles
Personne ne s’en aperçut
Nul ne voit leurs malheurs
Ni leurs petits bonheurs

Les pêcheurs
Sont les yeux de la mer ouverts
Sur les amarres de l’univers
Les gardiens éternels du temple de la veille
(Quand dorment-ils?)
Et quand ils reviennent chez eux
A l’aube
Trouvent leurs femmes endormies
Se fichent en leurs entrailles
Sans ordre
Et puisque les épouses en ont pris l’habitude
Elles couchent sans pantalon
Dans le port
Ils oublient qu’ils ont des femmes et des enfants
Parlent seulement des grands poissons
Et oublient que seuls les petits
Les attendent
Mais ils bavardent sans répit
Et sirotent le vin en pleine mer
Tu les vois agités comme des vagues
S’échanger des salutations
Et de grossières insultes tout en fumant
Leurs énormes poumons respirent les nuages
La fumée des navires fuyant la brume
Des hauteurs
Et l’amitié des marins Coréens

Et même lorsqu’ils rentrent chez eux
A la fin de la nuit
Ils s’en reviennent vite
Avec la fébrilité des voleurs
Se retirent de leurs femmes
Deux tours de clef derrière eux
Ils retournent dans les bras de leur bleue
Immensité
Ce sont les pêcheurs
Ils fabulent sans aucun doute
Lorsqu’ils parlent d’eux-mêmes
Comme de féroces ogres terrestres
Attaquant la mer chaque jour
Pour éduquer ses profondeurs
Et certes ils fabulent
Car lorsque, la nuit, ils quittent le port
Et seuls retournent chez eux
Chacun paraît effrayé et confus
Comme un jeune arbre
Ayant, nu, poussé dans le désert
Mais ils sont braves tous ensemble
Et beaux comme des enfants en leurs folies
Sous leurs chapeaux de paille
nadia ibrahimi
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Message par nadia ibrahimi Mar 18 Mai - 20:44

LE JARDIN DES CHOSES OUBLIÉES
Avant tout :
Précède tôt le matin les oiseaux au jardin
N’arrache pas les fleurs
Observe seulement le parterre de camomille
Où une canette de bière
Vide
A chuté, reste de l’orgie d’hier
Avant tout :
Étends-toi sur un nuage
En surveillant tes mains qui s’évaporent
Tiens la fenêtre à l’oeil
Ouvre-la au moment voulu
Sur la lumière de l’extérieur
Glacé
Et ne dénonce pas aux câbles électriques
La corde à linge
Avant tout :
Marche d’un pas ferme
Vers le dernier album d’Elton John
Sans oublier qu’à six heures du matin
Il ne fait pas toujours froid
Et que les arbres
Oublient rarement leurs chapeaux sur le marché aux fruits
Avant tout :
Sois enfin convaincu de la nécessité de pleurer
Nu
A la deuxième moitié de nuit
Pour une harmonie entre le lit et le cendrier
Et que revienne
La pendule de l’éveil à son ancienne lamentation
Avant tout :
Hisse tes mots du haut de leur légèreté
Vers le brasier du silence
Pour sentir ton imagination plus brûlante
Dans ton crâne
Et saisir exactement
Le sens du suicide d’Hemingway
Avant tout :
Apprends à te noyer dans une goutte
D’eau
Pour que les noyés sachent ta loyauté à la mer
Et que la devineresse souffle
A ta bien-aimée du signe du poisson
De quoi la rendre plus féroce
Dans les embrassements

Avant tout :
Tords l’électricité
De tes vêtements
Allume l’obscurité de ton jean
Pour passer à la scène maîtresse
Vide
De ce qui peut entacher la candeur de ton corps
Avant tout :
Ne crois pas les devins :
L’âme émane du corps. Alors
Approche son âme
Avec tes mains. Tes lèvres. Ta poitrine. L’herbe de tes cuisses
Avec tes membres extrêmes
Jusqu’à te sentir aussi léger que le sourire du néant
L’âme est légèreté du corps
Ainsi a parlé Amour à l’ombre du moineau
Sur
La branche
Avant tout :
Enterre ton désespoir dans les coupes
La lune dans la voie lactée du tourment
Ton manteau humide dans le feu de tes côtes
Ton ultime mouchoir entre les fils de l’affliction
Puis fixe l’épouvante-qiyyâma
Avec les yeux d’un poisson tout juste délivré
Par les vagues
Du joug de l’air
Avant tout :
Que ton café soit vraiment serré
Ce matin
Et que ton téléphone ne tousse de froid
Nulles échelles dans ta tête
Que graviraient
Les souvenirs vers leur ciel meurtri
Et puis pourquoi les autres
Ont-ils suspendu leurs corps
Aux branches du Temps
Et puis se sont mis à crier ?
nadia ibrahimi
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Message par nadia ibrahimi Mar 18 Mai - 20:44

FLEUR DES ADORATEURS D’ABÎME

A Tarafa B. Al Abd en son 27eme anniversaire

“Jusqu’à ce que la tribu se mette entière contre moi
et m’isole comme un chameau galeux”
Pourquoi es-tu, monde, aussi songeur
Pendant que le feu
S’embrase dans le col de ton manteau
D’herbe et de rivières ?
Pourquoi parais-tu aussi navré
Qu’un homme par le hasard jeté
Au milieu d’un enterrement ?
Alors que tes cierges
Dans l’écurie des destins
Guident les troupeaux de vent
Dans une protestation d’obscurité contre le matin ?
Comme te voilà perclus, impuissant
Et vain !
Toi seul sais que je ne suis qu’une erreur
Dans le Livre de l’Univers
Un carnier de péchés
Sur un épouvantail en marche
Les années de ma vie ne furent
Que graffitis de gamin
Sur la porte des toilettes de l’école
Et mon ciel
Couvert de la poussière des déconvenues
Une erreur suis-je, ô monde
Erreur
Je vins à 7 heures du matin
En ce noble dimanche
D’août 1970
Vous, années pressées
Passées
Comme des trains fous qui ne bifurquent jamais
Laissant mes premiers manteaux
Ronfler dans le tiroir de ma vie
Vous souvenez-vous de cette année saphique 1995 ?
Qui a ouvert mes volets
Sur de tristes demeures et des vestiges de femmes
Sur des vents débauchés et des hasards étranges
L’ignoble, elle m’a démembré
Et voici mes rendez-vous souffrant les déceptions
Dans un album mort
Tous desséchés
Plusieurs batailles me viennent en mémoire
Cadavres, ambulances
Étagères vides de métier
Violons sourds
Enfants qui arrachent leurs racines
A coups de pioches résolues
Samedi, lundi, mardi
Un kiosque vend des cigarettes à des morts
Deux bras crucifiés sur un nuage nomade
Et des lits d’hospice noirs
J’ai perdu mes doigts dans les entrailles
D’une guitare
Ils n’ont pas repoussé
Et maintenant j’ai renoncé à jouer
Je me contenterai de cris
D’exercices de souffles dans la matrice du repos
Je vais crier à ton visage, rose
De granit
Et vous mes années qui dans le secret
A un précipice, me menez
Je vous lancerai davantage de sang
Et d’abîmes
A jamais suis épuisé
Porteur des bûches du regret
Les ténèbres me guident vers leur lumière
Dans l’espoir d’une douce cécité
J’ai besoin de charbon, de lambeaux, de restes
De sabres
Pour enterrer ces deux crevasses
Béantes dans mon visage
Ah !
Si j’étais venu au monde clôturé
Le monde n’aurait pu pénétrer mon intérieur
Je suis las du monde
Las de vivre au détail
Las de serrer la main des autres
Las de dire bonjour, las du froid
Et des bavardages creux
Las de marcher derrière ce cercueil
Lourd
Qu’on nomme “vie” pour se consoler
Las de huit heures du matin
De la rose
Du confort électrique
Et ne suis plus capable d’aimer
Où es-tu séisme ami
Où es-tu
Que j’assoie mon droit à ce désespoir
Et que nous enterrions ensemble
Ce fer noir
Dans les profondeurs vivantes du foie de la terre ?
Où es-tu séisme
Que je t’offre mon aide
Où es-tu, projectile de la miséricorde
Que je te plante en mes entrailles
Et m’endorme ?
Divers cadavres grandissent dans mon esprit
Alors je bois sans cesse
Dors les yeux ouverts
Sur l’épaisse respiration
Je fiche l’immense dague de la surdité
Dans la chair des cloches
Et je déteste les amis
Monde, je n’ai pas ton indifférence
Je suis seulement affligé

Dès que mon pied bat
Le rocher
Que ma démarche approche le matin de l’onde
Pourquoi le sable coule t-il de mes os et de ma chair ?
Et le feu ?
Puis en ma gorge se dessèchent des sons verts ?

Des nuages gris et épais m’emplissent
Tout entier
(Tous ces nuages
Et rien ne pleut
Encore en moi ?)

La table dressée pour la soirée est déserte
Ni eau
Ni verdure
Ni l’immense cadavre bleu
La vermine agile et vaine
Erre entre mes côtes
Pendant que mes yeux sont étendus sur le
Désœuvrement du Temps
Oh !
Jeune désert
Qui naît entre mes yeux
Je suis assoiffé et banni
Tordu de faim
Loin du café des amis à Marrakech
Tout près de ce vers de Tarafa
Amer destin, ne m’as-tu trouvé d’autre demeure ?
Et toi, spleen au visage tout froissé
De rides
Pourquoi engraisses-tu tes pourceaux châtrés
Dans le pré de ma vigueur
Je ne suis ni cimetière abandonné
Ni champ de pavot
Mais une soif violente et farouche
Sur mon poumon grossissent des
Sentiments de sable
Et des sens
Anémiés
En mes mains s’unissent des mares
D’angoisse alanguie
Et pousse une herbe noire

Ah ! Mes mains sont obscures
Et nulle clarté
Pour éclairer les corridors de mes paumes
Je suis égaré
Au milieu de ce sablier
Arrêté
Vous aiguilles des montres
Laissez-moi atteindre le port rocheux
Laissez-moi à mon destin obscur
A mes mystères
Et ne mordez pas la couche de mon essoufflement
Car je pourrais exploser
A tout moment, comme grenade, loin
De l’amour des vivants pour la musique

Voici le désert, seigneur en son fief
Et mes côtes
Peuplées de grenailles et de fusils
Et de fleurs du zénith
C’est le désert
Et nul mirage pour exciter mon souffle
Mais je revêtirai un moulin à sable
Brodé de volcans
Ainsi je partirai en toutes directions
Et contrairement aux oracles
De tes devins
Demain, je t’envahirai, monde
Je suis désert
Soif immense Je suis
Prends garde à moi
Et ne te joue pas de mes cloches

L’ultime éclat de rire est revenu
Avec profonde blessure et cautères
De son triste voyage
En ma gorge
Comme un râle devenu
Sec
Comme une plante que l’eau n’approche plus
Il est revenu pour me rappeler
(L’ai-je oublié ?)
Que cette ville est de roc
Et de fer
Et que la vie ne souffre plus la verdure
Et les ailes
Et les badineries du vent
Malheur...
Âme ancienne, où es-tu, toi qui
Riais comme une enfant
Dans mes premiers poèmes ?
Où êtes-vous
Mélodies bleues ?

Ah! miel corrompu
Des métaphores
Délite-toi loin de mon verre
Je désire un poème amer
Comme café d’ivrogne
Pour qu’il inscrive dans l’obscurité de ses yeux
Cette migraine atroce
Qui anéantit mon désir de vie
Et vous autres
Préparez-vous à disparaître
Car la descendance est suspendue dans les profondeurs
Un cancer dans leur mémoire
Se propage
Entre leurs cuisses un abcès se rompt

Laissez-le se rompre directement dans l’air
Loin de l’interlude
Laissez-le dans le dehors misérable
Laissez-le
Là où la fin est crucifiée sur
L’écran d’aujourd’hui
Où le pistolet est querellé par les balles
Et où gisent la tempête et le désert
Où la porte de la quiétude est grande
Ouverte
Avec candeur
Et où les chamelles de la vie ruminent
Les mêmes illusions
Et l’une après l’autre
Dans le tréfonds de l’âme
S’éteignent
nadia ibrahimi
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Message par nadia ibrahimi Mar 18 Mai - 20:45

VERS L’AN 2000
En l’an 2000
De multiples choses adviendront en ce monde
Nous a dit la maîtresse
Au blanc voile brodé
Au pieux regard
Elle nous a dit
Par un vieux soir humide :
La voix des devins deviendra blanche
Le Christ apparaîtra
Avec une barbe de lumière
Nu pieds
Il marchera parmi les hommes dans les marchés
La montagne couchée
A l’entrée de la ville
S’ouvrira
Sur une chamelle ailée
Les petites filles naîtront couvertes d’écailles d’or
Tout comme les sirènes
Nos yeux grimperont progressivement
Pour s’établir au-dessus du crâne
Alors nous verrons les pas de Dieu, diaphanes
Et éclatants
Comme s’ils étaient d’air
En l’an 2000
La maîtresse nous a dit
Alors que tambourinait la pluie contre les fenêtres
Que se glissait le froid dans nos jeunes os
Dieu paraîtra si proche
Dans un somptueux cortège funèbre
Nous accompagnerons ce monde féroce
A sa dernière demeure
Je n’ai pas attendu longtemps
Mais si
J’ai beaucoup attendu
Et me voici après tous ces souffles d’autan
Je vois le sable
Happer son feu au pied de la montagne
Et les tempêtes panser
Leurs secrets
A l’extérieur des murs de l’Histoire
Je ne suis pas venu ici par hasard
J’ai traversé
Des mers, des océans
Éprouvé les soirs d’ennui
Et les matins de plénitude
J’ai éprouvé l’amour nu
Et les promenades improvisées
J’ai éprouvé la veille
Sous la tente de la lune gardienne des lacs
J’ai éprouvé le sommeil
Dans les gares
J’ai conclu des affaires secrètes avec le bonheur
Dans les rues dérobées
De la vie
J’ai détourné les étoiles
De mon premier ciel
A l’insu des gardiens des saisons

Je ne suis pas venu ici par hasard
J’ai traversé
Des mers et des déserts
J’ai vu des cadavres pendus
A des câbles dans des villes en ruines
Je suis passé devant des Kurdes Yazidites
Qui exposent l’image de Satan
Sur le mur de leur temple au nord de l’Irak
Et se mettent à réciter sa geste sacrée
A des petits-fils nus

Je suis passé devant des Algériennes emplies de vie
Qui cachent leur rires et leurs cigarettes dans leurs seins
Avant de sortir
Les visages fermés comme il sied au couvre-feu

Je suis passé devant les femmes des pêcheurs
De la Mer du Nord
Les poissons sur leurs étals
Ne ressemblaient pas à des poissons
Ma vie, traînée comme une chamelle
Décharnée
Dans les versants de l’âme
Continue à s’essouffler derrière moi en faisant fi
Du vent de la Fin
Et nous voici encore tels que nous avons toujours été

Aucune aile n’a poussé
Ni l’ombre
N’a déserté nos pas
J’ai traversé les plaines de mes années, le souffle court
Vers l’an 2000
Et maintenant
Après tous ces sillons
Que les jours ont creusé en moi
Rien n’est advenu. Rien n’est advenu.
nadia ibrahimi
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Message par nadia ibrahimi Mar 18 Mai - 20:46

LE RÉCIF DE L’EFFROI-QIYYÂMA
En traversant la rue des morts je songeais encore :
La Résurrection n’est qu’histoire dans un livre
Quand l’Heure advint soudainement
Et les hautes montagnes s’ouvrirent sur de petits
Rats noirs
Et des vents cinglants

Et vinrent lors
Rois et devins
Sages de Livres Anciens
Adonis prétendit être al Mutanabbî
Le moineau interrogea Abd al Mounim Ramadan
A propos de Nariman
Et Qasim Haddad
Indiqua aux cerfs sa tombe
Les gens véridiques proférèrent des mensonges
Madame Idwara, nue, déféqua
Devant les créatures
Israfîl et les anges gardiens
L’électricien et le vendeur de bonnets brodés aux couleurs du bonheur
Les vendeurs de cigarettes au détail
L’ambulance
La petite fille avec sa jupe blanche
Et vinrent
Les deux amants, une rose pour monture
Le percepteur, le clown et le bouffon à l’amer gémissement
Hilmi Salem qui parut fort romantique
Ibn Sîrîn nu de ses songes
Ossama Ben Laden, les combattants de Peshawar
Et le Mollah Omar
Émir de Kandahar
Les porte-avions, les obus Katchioucha
Et les espionnes blondes du Mossad
Et vinrent
La chamelle, et ils lui tranchèrent le jarret
Al Kusa’i n’avait aucun remords
Muawiyya Ibn Abî Sufyan
Était terriblement confus
Maram El Misri, Belèn Juarèz et Suzanne Ilwan
Et tous ensemble nous allâmes souffler sur le feu
Pour qu’il soit fraîcheur
Mordre de vieilles flammes
Élastiques
Nul ne se tourna vers le caroubier
Sous lequel Ibn Hazm attrapait un poète marocain contemporain par son col
Nos cous nous avaient trahi
Et nos yeux devinrent obscurs nuages
Sur nos visages
Nous avions perdu la vue
Ne distinguions plus l’aspect du monde
Et les sages parmi nous déclarèrent que les arbres
Étaient devenus gris
Les fenêtres aux murs
Avaient fondu tout comme les yeux
Au milieu des cils
Nous n’étions plus capables de bonheur ni d’épuisement
A rester debout
Car nos pieds progressivement rétrécirent
Les orteils fondirent en premier puis les pieds
S’effacèrent tout à fait
Et disparut alors de l’arabe
Le mot pour dire “pas”

Nos cœurs à leur tour devinrent de minuscules
Creux argentés
Puis le mot “Amour” se noya dans le
Dictionnaire-océan
Nous nous regardions sans rien sentir
Sans nous rappeler nos noms ni la couleur de nos yeux
Je crus qu’Al Maarî qui soufflait, à mes côtés, sur le feu
Pour qu’il devienne fraîcheur
Était l’auteur de “Anabase”
Et que Abd Rahman b. Muljam était l’assassin
De Saddat
Je n’étais ni réjoui ni aigri
Seulement stupéfait
Car dans l’air se confondirent plusieurs odeurs
Les uns disaient : c’est l’odeur du ciel qui nous
Abritait
Les autres : C’est l’odeur des enfants
Grandi subitement
Un fœtus, dans le ventre de sa mère, ajouta :
Ce sont nos destins qui grillent
Alors je chuchotai à la maisonnette en roseau
Quand les pompiers arriveront-ils ?
Les sages qui observaient le destin du monde
Dans les livres anciens
Semblaient occupés à regarder le film “Basic Instinct”
Sur un appareil vidéo
Sharon Stone leur interdit même
De continuer à souffler
Avec leurs compagnons
Sur le feu allumé en nos âmes
Comme s’ils avaient découvert en eux-mêmes
Un autre feu
Alors le premier est devenu paix sans souffle

Les musiciens soufflaient dans les flûtes aussi
Depuis le flanc de la colline où ils se tenaient
Certains parmi eux saignaient pendant qu’ils jouaient
Sur des cordes assassinées, gisant dans leurs propres notes
Et les autres surveillaient l’électricité pendant qu’elle poignardait
Sa propre et ultime lumière
Avec les bougies carnivores de l’effroi-qiyyâma
L’obscurité recouvrit les cœurs des nouveau-nés
Et des noyés
Des oiseaux géants volèrent à hauteur
De dix pieds de la terre. Et fut
L’obscurité
Et vinrent
Les prieurs sur le Prophète qui ne lit ni n’écrit
Les docteurs au chômage
Les voilés sur leurs chameaux
Et les sorcières sur un balai électrique
Les officiers dans les blindés
Les officiers d’infanterie à pied
Les rendez-vous ponctuels
L’horloge, la pendule de l’éveil
Le son des clochettes rejoignit son point de jaillissement
Les gens de la grotte suivis de leur chien
Les agents de sûreté précédés de leurs espions
Du fin fond de la ville, des journalistes indépendants
Même de leur conscience
Et ils écrivirent...
Les poètes déclarèrent ne pas avoir entendu le Son du Cor
Des témoins dirent avoir vu une lumière déversée
Laver le ciel
Puis comme un liseron établir ses branches dans les âmes
Un berger aveugle dit qu’un vent violent était passé
Nul n’entendit son souffle
Mais une femme éloignée poussa un râle
Ce fut bruit confus et tumulte
Ceux qui se tenaient debout se fatiguèrent du reste de leurs pieds
Ceux qui dormaient, de leurs flancs
Et les morts, de l’idée de la résurrection
Le soleil était feu aux flammes véritables
Ce fut ainsi que les membres fondirent
Sur le récif de l’effroi-qiyyâma
Alors nombre de gens découvrirent que fondre
N’était pas simple
Métaphore
Ni propre à la seule bougie
Alors ils se remirent à souffler
Ils n’aperçurent pas la gigantesque rose des
Flammes pendant qu’elle s’écoulait
Lave
Sur les têtes
Ni ne virent le vent essoufflé et perplexe derrière les desseins
De la montagne
Ils étaient complètement épuisés
Et n’entendirent rien de ce que disait le caroubier
A son ombre
Toutes les boutiques alentour étaient fermées
A l’exception du petit café
Dans une ruelle
Le garçon du café traversait la cour à bout de souffle
En portant le plateau de thé
Aux anges gardiens
Sur l’autre rive du lieu de retour
Pendant que ses membres et ses premiers rêves coulaient
Sur une vieille terre.
Des rois de petite taille prononcèrent de bien grands discours
Avec dévouement et abnégation
Il ne paraissaient pas affectés par
Les bouleversements de ce monde
Ils étaient seulement soucieux du respect
Des règles de grammaire
Et d’une parfaite élocution
Il était évident qu’ils lisaient des textes vocalisés
Avec des signes de couleur distincte
Pendant que les rois récitaient et que leurs sujets soufflaient
Une alouette brune vola
Au-dessus des têtes des créatures
Les plus vieux qui songeaient à la huppe
Balbutièrent un discours confus que le vent ne put saisir
Une femme se dit en elle-même : à chaque épreuve son oiseau
Les devins répliquèrent : voilà l’Ultime épreuve
Et ils implorèrent le pardon de Dieu
Et comme avant la mort
Les amants eurent un point de vue différent
Deux amants s’isolèrent sous l’ombre d’un olivier éloigné
Et puis ont fusionné
Après que leurs corps soient devenus liquide
Sous la rose du feu qui frappait le monde
Les deux amants s’entremêlèrent
Après s’être enlacés
Peut-être ne furent-ils pas convaincu de l’utilité de souffler
Alors ils s’enlacèrent plutôt
Les papillons tournoyèrent autour
De la masse ductile
Que la fusion de leurs corps laissa
Une foule de gens l’encerclèrent
Alors les rois se mirent en colère et déchirèrent leurs discours
Le feu redoubla de férocité et ne fut pas fraîcheur
La femme qui poussa un râle raconta que les deux amants
Étaient souriants
Et que de leurs embrassements, il vint une effusion de violette
Qui se faufila comme un ruisseau entre les pieds des hommes
Et à l’endroit du puits abandonné
Se dressa plante avec fleur si transparente
Qu’on aurait dit une tresse d’eau
Alors la femme qui poussait un râle dit à sa fille :
Bois à la source même de la fleur Et la fille :
Je ne boirai pas d’une source appendue
Au ciel
La mère dit à l’air :
Apaise le feu et laisse ton eau couler
Sur la terre de la certitude
Et l’air :
Je suis le cordonnier de l’amour. Le gardien de la fleur des amants
Et on ne me prendra pas aux filets de glaise
La fille :
Je vais escalader l’air et puis boire à la source. Et elle but.
Mais les vieux sous le sycomore
Peuplé d’âmes assoiffées
Ne crurent pas en l’eau ni à l’air ou au bassin des amants
Et continuèrent à souffler
Sur le feu qui dévorait leurs rêves
Et lorsqu’une fille, jeune papillon, voulut
Pleurer
Pour refroidir son feu
Les larmes ne lui furent d’aucun secours
Alors elle creusa à l’endroit des yeux
Mais c’était comme creuser le vent
Elle creusa un peu plus haut
Quelques conseils jaillirent de son crâne
Des râles de noyés
Une nuit assassinée
Des femmes vidèrent leurs poitrines
Épargnant juste les poumons
Dans l’espoir de contenter l’air
Déposèrent leurs entrailles dans un coffre de verre stérile
Suspendirent leur âme
Près de l’édifice des devins
Mais les âmes poussèrent feuilles
Sur la corde à linge
Puis les feuilles s’allongèrent à l’extrême
Et semblèrent
De verts chevaux ailés
L’une des femmes, artiste avant la mort, se demanda
Où elle avait vu pareil tableau ?
Où ?
Alors une vieille qui connaissait les livres
Et avait saisi le sens des parchemins sacrés dit :
Ce n’est pas un tableau. C’est la Volonté divine qui
S’est refermée sur nos destins
Maintenant tu peux donner ton corps
Au feu
La vie est devenue simple histoire
Qu’on raconte.
Une foule de dompteurs de destins marchaient
Vers la taverne du lieu de Retour-qiyyâma
Lorsqu’un vent violent les arrêta
Au pied de la montagne
Il était évident que l’éclair aveugle avait violé le vent
Sa blessure saignait nuages et tempête
Couleur argent
Mais la quiétude trompeuse de cette louve du midi
Effraya quelque peu les dompteurs
Alors ils laissèrent le vent au vent
Et continuèrent leur ascension vers l’Ultime vin
Leur langue coulait ductile sur leur poitrine
De désir effréné
Et lorsqu’ils passèrent en face du sage lac
Le cyprès les interpella :
Vous, courant vers votre trépas
Happez ces langues sur votre poitrine
Et retournez à la trêve du mitan
Avant que la Toute-puissance ne vous transforme en colline de péchés

Mais les dompteurs étaient rapides en leur ascension
Résolue
Vers les turpitudes
Le chemin n’était pas leur souci
Ni la porte de la taverne devenue vent
Ni les coupes
Ni la pâleur qui envahit le visage du Mystère

Ils étaient occupés à marcher
Sans se soucier de ce qu’ils foulaient
Et le feu forma rivières sous leurs pas
Et leur ciel
Se mua en une pelote de flammes jaunes
Qui voila le Mystère
Mais rien ne préoccupait leur esprit
Le cliquetis des pas
Était leur viatique sur le chemin des turpitudes argentées
Ils n’entendirent en leur ascension ni l’insufflation
Ni la noyade des voies lactées dans leur centre
Ils n’entendirent pas le nouveau-né crier dans ses langes :
Mère je me dessèche. Je veux des larmes pour pleurer
Je veux du lait pour que
Les astres de Dieu ne me quittent pas
Mais la mère terra le visage de l’enfant en sa poitrine
Il s’enfonça à l’intérieur
Jusqu’à ce que rien ne subsiste de lui
Si,
Ses pieds pendaient entre les seins de la mère
Qui dit :
Sois heureux mon fils
Les membres qui incitent aux péchés t’ont quitté
Bonheur à ton âme, ô fraîcheur de mes yeux
L’âme retourna au lotus blanc
Blanche
Et sur son chemin pour la lumière haut dressée
Une comète angoissée l’arrêta :
Âme de l’enfant
Reprends ton souffle au pied de mon feu
Il est fraîcheur depuis qu’il fut
De quel pays es-tu ? Qui est ta mère ? Ton père ?
Et qui t’a appris à voler ?
L’âme répondit :
Je ne me connais ni mère ni patrie
Je me souviens seulement que je fus prisonnière d’une glaise putride
Que j’eus un cœur et des yeux
D’autres membres dont je n’ai souvenance
Comète de malheur, laisse-moi donc, j’ai une vie là-bas
Et puis elle partit
Gardée par les astres et l’œil que les sphères n’atteignent pas
Dès que l’âme de l’enfant disparut, se déversa
Davantage de feu
Davantage de lave
Davantage d’herbe carnivore du lieu de Retour
Et brusquement les jarres de la langue se brisèrent
Sur le rocher du Néant
Et ma voix s’obscurcit après que les langues avaient tremblé sous
mon palais

Je ne distinguais plus alors la haute montagne du
Camion frigorifique
Ni le cri de la louve, de l’amour
Je ne savais plus si c’était Babel ou bien New York
Était-ce la rose du sable ou la fleur électrique ?

Le monde avait clos son livre et s’était glissé vers le dehors
aveugle Je restai proie des loups de la perplexité Les sens me
quittèrent progressivement :
D’avoir été, de ne plus jamais revenir
Le sens qu’il existait
Une chose qui s’appelait “corps” et que je revêtais
Les langues des flammes piquaient le peu de souffle qui restait
Pendant que l’ultime bruissement prenait les esprits
nadia ibrahimi
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Message par nadia ibrahimi Mar 18 Mai - 20:47

Trottoir de l’apocalypse


je croyais en traversant l’avenue des morts
que l’apocalypse n’était qu’une histoire dans un livre
lorsque le dernier jour brusquement tomba
et les montagnes accouchèrent de petites souris noires
et de vents terribles
puis vinrent les rois et les devins
vinrent les sages des livres anciens
vint Adonis et prétendit être Al Mutanabbi
vint Abdelmonaim Ramadan et l’oiseau lui demanda des nouvelles de Nariman
vint Qassim Haddad
guidant les boucs vers sa tombe
vint Mme Edourda toute nue et fit ses besoins en public
vinrent les sincères et se mirent à mentir
vint Israfil et les anges de garde
vint l’électricien et le marchand de bonnets brodés des couleurs de la joie
vinrent les vendeurs de cigarettes en détail
vint l’ambulance
vint la petite fille dans sa robe blanche
vinrent les amoureux à bord d’une fleur
vint le clown et le guignol au tintement amer
vint Hilmi Salem et parut romantique à l’excès
vint Ibn Syrrine nu de ses rêves
vint Ousama Ben Laden et les moudjahiddins de Bechaouer et le Mollah Omar
vinrent les porte-avions, les missiles katyoucha
et les collaboratrices blondes du moussad
vint la chamelle et ils la tuèrent
vint El Kassai vide de tout regret
vint Moawya Ibn Aby Souffyan
tout embarrassé
vint Maram El Mesri, Belen Juarez et Suzanne Alaywan
et nous nous mimes tous à souffler sur le feu pour qu’il devienne fraîcheur
et à mordre dans une vieille flamme élastique
aucun de nous ne s’est retourné vers le caroubier
là où Ibn Hazm empoignait un poète marocain moderne
aucun, car nos cous nous ont trahis
et nos yeux n’étaient plus qu’épais nuages sur nos visages
nous ne pouvions plus voir
ni distinguer les traits du monde
mais les sages parmi nous ont dit que les arbres étaient devenus gris
que les balcons des murs
ont coulé tout comme les yeux dans leurs orbites
nous n’étions plus aptes à la joie
ni même à la fatigue à force d’être debout
car nos pieds se sont progressivement émoussés
d’abord les orteils ont fondu
puis les pieds se sont effacés
et il n’y avait plus dans la lange arabe un mot appelé : « pas »
nos cœurs de leur côté se sont transformés en de minuscules alvéoles argentés
et le mot amour s’est noyé dans le dictionnaire « l’Océan »
et nous commençâmes à nous regarder sans rien ressentir
sans nous rappeler nos noms ni la couleur de nos yeux
au point que je pensai qu’Al Maari qui près de moi soufflait le feu pour qu’il devienne fraîcheur était l’auteur de Moi, l’aigle
et que c’était Abderrahmane Ben Meljem l’assassin de Sadate
je n’étais ni enjoué ni indigné
j’étais juste effaré
tant d’odeurs s’étaient mélangées dans l’air
certains ont dit : c’est l’odeur du ciel qui se trouvait au dessus de nous
et d’autres ont dit : c’est l’odeur d’enfants qui ont soudain grandi
et un fœtus d’ajouter depuis le ventre de sa mère :
ce sont nos destinées en train de griller
puis j’ai murmuré aux roseaux de la vigne:
ils arrivent quand, les pompiers ?
mais les sages qui contemplaient le sort du monde
dans les livres anciens
semblaient absorbés par le film Basic Instinct
qu’ils regardaient sur un magnétoscope
si bien que Sharon Stone leur interdit de souffler avec leurs compères sur le feu allumé dans nos âmes
comme si un nouveau feu s’était révélé en eux
le premier s’éteignant de lui-même


les musiciens aussi soufflaient dans les flûtes
depuis leur place sur le front de la colline
certains parmi eux saignaient tout en jouant des cordes terrassées sur la partition
tandis que les autres
observaient l’électricité qui poignardait sa dernière lumière
avec la cire sanguinaire de l’apocalypse
l’obscurité couvrit alors les cœurs des nourrissons et des naufragés
et des oiseaux aux ailes géantes ont plané à une hauteur de dix pieds
puis ce fut le noir!

et vinrent ceux qui bénissaient le prophète analphabète
vinrent les docteurs chômeurs

vinrent les voilés sur leurs mules
et les fées sur des balais électriques
vinrent les officiers sur des blindés
et les sous-officiers à pied
les rendez-vous vinrent pile à temps
vint l’horloge et le son du réveil
et les cloches retournèrent d’où elles tintèrent

puis vinrent les gens de la caverne précédés par leur chien
vinrent les agents de sécurité précédés par les détectives
vint du bout de la ville des journalistes indépendants
même de leur conscience
et ils écrivirent…

puis les poètes ont dit qu’ils n’ont pas entendu souffler dans la Trompe
et des témoins ont affirmé qu’une lumière ruisselante a lavé le ciel
avant de se répande comme un liseron dans les âmes
un berger aveugle a affirmé qu’un vent gigantesque a passé
mais que son gémissement était inaudible
puis une femme au loin a sangloté
et ce fut le vacarme et ce fut le brouhaha

ceux qui étaient debout se fatiguèrent de ce qui restait de leur pied
ceux qui dormaient de leurs flancs
et les morts de l’idée de la résurrection
le soleil était un feu à la flamme sincère
c’est pourquoi les membres ont coulé sur le trottoir de l’apocalypse
beaucoup ont découvert que « fondre » n’était pas qu’une métaphore
réservée à la cire
et ils se sont de nouveau mis à souffler
ils n’ont pas aperçu la gigantesque rose de feu
et ses coulées sur les têtes
ni vu le vent haletant d’embarras derrière les intentions de la montagne
ils étaient tout absorbés
et n’ont rien perçu de ce qu’a dit le caroubier à son ombre
tous les commerces du coin étaient fermés
sauf un café dans une ruelle
le garçon essoufflé traversait la place
portait le plateau de thé aux anges de garde
de l’autre côté du rassemblement
tandis que ses membres et ses rêves premiers
coulaient sur un sol ancien

des rois petits de taille récitaient de longs discours
avec application et abnégation
on ne pouvait pas dire qu’ils étaient concernés par ce qui arrivait au monde
soucieux seulement des règles de grammaire et d’articulation
et c’était évident qu’ils lisaient des textes où les voyelles étaient colorées différemment
et alors que les rois récitaient
et que les sujets soufflaient
une alouette sombre survola les créatures
les sages ont pensé à la huppe
et ont marmonné des paroles floues que le vent ne put comprendre

puis une femme a dit à part elle-même : à chaque épreuve son oiseau de prédilection
et les devins ont dit : mais ceci est l’épreuve ultime
et à Dieu ils ont demandé pardon
et tout comme cela se passait avant la mort
les amoureux l’entendant toujours d’une autre oreille
deux amants retirés sous l’ombre d’un olivier reculé
se sont emmêlés de leurs corps
liquéfiés par l’effet de la rose de feu qui pilonnait le monde
ils se sont complètement brassés
enlacés, ils étaient
peut-être n’ont-ils vu aucun intérêt à souffler
alors ils ont préféré s’ étreindre
il y avait des papillons
rodant autour de la masse visqueuse
qui a résulté de leur étreinte
puis ils furent encerclés par beaucoup de monde
à ce moment les rois furent pris de rage
et ils déchirèrent leurs discours
et le feu fut lui aussi pris de rage
et il refusa d’être fraîcheur
la femme qui avait lancé le sanglot racontait
que les amants étaient tout sourire
et qu’une coulée violette provoquée par leur étreinte
cheminait entre les pieds des hommes
jusqu’au puits abandonné
où elle se dressa herbe aux fleurs cristallines
telle une tresse d’eau

puis la femme qui a crié au visage de sa fille dit :
bois à la source florale
et la fille a dit :
je ne boirai pas à une source perchée dans le ciel
et la mère a dit à l’air
sois la trêve du feu et laisse ton eau couler sur le sol de la certitude
et l’air a dit
je suis le cordonnier de l’aimance, le gardien de la fleur des amants
et je ne tomberai pas dans les pièges de l’argile
et la fille a dit
j’escaladerai l’air pour boire à la source
et elle a bu
mais les sages qui étaient sous le sycomore
peuplé d’âmes assoiffées
ont douté de l’eau, de l’air et du lac des amoureux
et ont continué à souffler
sur le feu qui dévorait leurs rêves
et lorsqu’une petite fille
à l’âge de papillon
a choisi les pleurs pour éteindre sa flamme
les larmes l’ont trahi
elle creusait là était les yeux
tout comme si elle creusait le vent
et alors qu’elle creusa un peu plus haut
jaillirent de sa tête quelques commandements
et des sanglots de naufragés
et une nuit morte
puis des femmes ont vidé leurs poitrines
gardant toutefois les poumons pour tenter de satisfaire l’air
puis déposèrent leurs entrailles dans un coffre en verre purifié
et tout en haut de la demeure des devins
elles accrochèrent leurs âmes
dans lesquelles des feuilles poussèrent à l’improviste
se déployant sur les fils à linges
s’effilant jusqu’au scintillement
identiques à de verts chevaux ailés
puis l’une d’elles, qui était peintre avant la mort,
s’est demandé :
où ai-je pu bien voir un tableau pareil ?
où ?
une vielle qui avait lu les livres
et déchiffré les écrits
lui répondit:
ce n’est pas un tableau
c’est le destin qui encercle nos destinées
à présent, tu peux faire offrande de ton corps au feu
car la vie n’est plus qu’une histoire qu’on raconte

et il y avait une troupe de dresseurs de destins
en route vers la taverne de l’apocalypse
lorsque soudain les arrêta un vent terrassé au pied de la montagne
violé, de toute évidence, par l’éclair aveugle
sa blessure saignait des brumes
et des ouragans argentés
mais le calme trompeur des loups de midi
déstabilisa légèrement les dresseurs
alors ils laissèrent le vent au vent
et continuèrent leur ascension vers le vin ultime
tandis que leurs langues coulaient d’envie sur leurs poitrines

et lorsqu’ils passèrent près du lac de sagesse
un cyprès les interpella :
ô vous qui courrez vers votre perte
léchez vos langues de vos poitrines
et retournez au calme de midi
avant que la puissance
ne vous transforme en une colline de péchés
mais les dresseurs étaient sérieux dans leur ascension sincère
vers le sacrilège
le chemin n’était pas leur premier souci
ni la porte de la taverne mutée en vent
ce n’était pas les coupes non plus
ni la pâleur ayant couvert la face de l’invisible
ils étaient absorbés par la marche
insoucieux de là où ils mettaient les pieds
et sous leurs pas coulaient des rivières de feu
et leur ciel
n’était plus qu’une pelote de flamme jaune
voilant l’invisible
mais rien ne les préoccupait
le tintement des pas
était leur seul viatique
sur le chemin des péchés
dans leur ascension
ils n’entendirent pas souffler sur le feu
ni la noyade des galaxies dans leurs orbites
ni le cri du nourrisson dans ses couches
mère, je suis tout sec !
j’ai besoin de larmes pour pleurer
je veux du lait
pour que ne me quittent pas
les étoiles de Dieu
mais la mère lui enterra le visage dans sa poitrine
alors l’enfant sombra presque entièrement
seules ses jambes restaient visibles
et la mère a dit :

les organes qui te poussaient au péché t’ont quitté
bonheur à ton âme, ô prunelle de mes yeux
elle sera blanche
une fois arrivée aux contrées blanches

mais sur son chemin vers la lumière culminante
l’âme fut retenue par un astéroïde à l’humeur accablée
qui lui dit :
ô âme
ramasse ton souffle au pied de mon feu
depuis toujours ce n’était que fraîcheur
ô âme, de quel pays es-tu ?
qui est ta mère ? et ton père ?
et qui t’a a appris à voler ?
et l’âme a dit :
je ne connais ni mère ni partie
j’ai pour tout souvenir
celui d’une prison d’argile infecte
d’un cœur et de deux yeux


et d’autres membres dont j’ai oublié le nom
alors ô astéroïde de malheur
lâche-moi car j’ai là-bas une vie
et l’âme est partie
gardée par les étoiles et l’œil que n’atteignent point les orbites

mais à peine l’âme enfant a-t-elle disparu
que des feux supplémentaient s’écoulèrent
s’écoulèrent des flammes visqueuses
et un surplus de l’herbe féroce de l’apocalypse

alors les jarres de la langue se brisèrent
sur le roc du néant
et ma voix s’assombrit
lorsque sous son abri tremblèrent les langues

je ne distinguais plus entre un gratte-ciel et le transport municipal des viandes
ni entre le hurlement d’une louve et l’amour
je ne savais plus s’il s’agissait de New-York ou de Babel ?
de la rose du sable ou de la fleur de l’électricité ?

le monde avait fermé son livre et s’était retiré vers le dehors aveugle
et je suis resté proie aux loups de l’embarras
les sentiments m’ont quitté successivement

le sentiment que je fus
et le sentiment que je ne reviendrai pas
le sentiment qu’il existait une chose appelée corps dont je me vêtissais

à ce moment les flammes lacéraient le peu de souffle qui restait
tandis que l’ultime retentissement couvrait les esprits.

Traduit par Abdelhadi SAID
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Yassin Adnan: belle plume du Maroc Empty Re: Yassin Adnan: belle plume du Maroc

Message par nadia ibrahimi Mar 18 Mai - 20:48

Yassin Adnan

Né en 1970 à Safi (Maroc).
Journaliste, poète et nouvelliste.
Enseigne l’Anglais à Marrakech.
Membre de l’Union des écrivains du Maroc.
L’un
des membres fondateurs de la revue littéraire arabe ‘Voix modernes’
(Marrakech, 1992) et de la publication ‘L’algarade poétique’
(Marrakech, 1994).
Correspondant littéraire du journal arabe
londonien Al-Hayat, du magazine littéraire Dubaï Al-Thaqafiya et membre
du comité de rédaction du magazine arabe Zawaya (basé au Liban). Il a
publié trois recueils de poésie parmi lesquels, ses derniers parus, Le
récif de l’effroi, Éditions Marsam, 2005 (traduction française de Siham
Bouhlal); Trottoir de l’apocalypse, Editions Al-Mada / Damas, 2003 et
Mannequins, Éditions de l’Union des Écrivains du Maroc, 2000.
Il a publié aussi un recueil de nouvelles : Qui croit aux lettres ? Editions Mirit / Caire, 2001.
Parmi
de nombreux prix, il a reçu celui de Buland Al Haïdari pour les jeunes
poètes arabes dans le cadre de la 25ème édition du Festival culturel
international d'Asilah, 2003 et celui de l’Union des Ecrivains du Maroc
en 1999.
Il a participé à plusieurs ouvrages collectifs comme
l'ouvrage Import/Export : Tanger/Marseille paru en mars 2004, Nagib
Mahfouz: César du roman arabe, Dar Al Sada, Dubaï, 1999 et Mirrors on
the Maghrib, Caravan Books, Delmar, New York, 1996.
Il écrit des
poèmes, nouvelles et articles dans diverses revues arabes et
internationales et il a aussi participé à de nombreuses rencontres
poétiques dans des pays arabes et européens.
nadia ibrahimi
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Yassin Adnan: belle plume du Maroc Empty Re: Yassin Adnan: belle plume du Maroc

Message par Rita-kazem Mar 18 Mai - 21:43

Enfin en français. C'est merveilleux de pouvoir le lire dans deux langues.
Merci du partage

Yassin Adnan: belle plume du Maroc 631797
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Yassin Adnan: belle plume du Maroc Empty PÊCHEURS EN HABIT DE MOISSONNEURS

Message par marwa Ven 11 Juin - 12:11

PÊCHEURS EN HABIT DE MOISSONNEURS
Marins à l’humeur terrienne
Depuis de lointaines années ici venus
Les voilà enterrant leurs destins forclos
Dans les vagues
Et se souviennent toujours
Que leurs parents étaient paysans
Ils ne se préoccupent guère de Dieu, mais
Craignent la mort
Et connaissent par cœur les courtes sourates

Toi, tu connais bien leurs usages
On t’a enseigné leurs secrets et le vent
De leurs bords
Leur amitié grisée
Par trop de vin
Et leur chapeaux de paille tressée
Tu étais parmi eux
Quand la nuit ils se mettaient en cercle
Autour de leur flamme froide
Et ralentie

Toi tu connais leurs élégies
Qui ne ressemblent pas aux chants
Des bergers
Et leurs récits sur les grands poissons
Bien qu’ils n’en pêchent que des petits
Et quand il fait un temps de chien
Ils courent comme des écureuils vers
La chaleur d’un tronc
A l’entrée du port
Jacassent des heures durant
Comme si la parole était le poumon de l’Univers
Et leur assemblée son souffle de vie

Les pêcheurs...
Ne sont pas toujours raisonnables
Et quand ils se jetèrent l’un après l’autre dans la mer
Sous le ciel de Dieu vide
D’étoiles
Personne ne s’en aperçut
Nul ne voit leurs malheurs
Ni leurs petits bonheurs

Les pêcheurs
Sont les yeux de la mer ouverts
Sur les amarres de l’univers
Les gardiens éternels du temple de la veille
(Quand dorment-ils?)
Et quand ils reviennent chez eux
A l’aube
Trouvent leurs femmes endormies
Se fichent en leurs entrailles
Sans ordre
Et puisque les épouses en ont pris l’habitude
Elles couchent sans pantalon
Dans le port
Ils oublient qu’ils ont des femmes et des enfants
Parlent seulement des grands poissons
Et oublient que seuls les petits
Les attendent
Mais ils bavardent sans répit
Et sirotent le vin en pleine mer
Tu les vois agités comme des vagues
S’échanger des salutations
Et de grossières insultes tout en fumant
Leurs énormes poumons respirent les nuages
La fumée des navires fuyant la brume
Des hauteurs
Et l’amitié des marins Coréens

Et même lorsqu’ils rentrent chez eux
A la fin de la nuit
Ils s’en reviennent vite
Avec la fébrilité des voleurs
Se retirent de leurs femmes
Deux tours de clef derrière eux
Ils retournent dans les bras de leur bleue
Immensité
Ce sont les pêcheurs
Ils fabulent sans aucun doute
Lorsqu’ils parlent d’eux-mêmes
Comme de féroces ogres terrestres
Attaquant la mer chaque jour
Pour éduquer ses profondeurs
Et certes ils fabulent
Car lorsque, la nuit, ils quittent le port
Et seuls retournent chez eux
Chacun paraît effrayé et confus
Comme un jeune arbre
Ayant, nu, poussé dans le désert
Mais ils sont braves tous ensemble
Et beaux comme des enfants en leurs folies
Sous leurs chapeaux de paille
marwa
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Yassin Adnan: belle plume du Maroc Empty LE JARDIN DES CHOSES OUBLIÉES

Message par marwa Ven 11 Juin - 12:12

LE JARDIN DES CHOSES OUBLIÉES
Avant tout :
Précède tôt le matin les oiseaux au jardin
N’arrache pas les fleurs
Observe seulement le parterre de camomille
Où une canette de bière
Vide
A chuté, reste de l’orgie d’hier
Avant tout :
Étends-toi sur un nuage
En surveillant tes mains qui s’évaporent
Tiens la fenêtre à l’oeil
Ouvre-la au moment voulu
Sur la lumière de l’extérieur
Glacé
Et ne dénonce pas aux câbles électriques
La corde à linge
Avant tout :
Marche d’un pas ferme
Vers le dernier album d’Elton John
Sans oublier qu’à six heures du matin
Il ne fait pas toujours froid
Et que les arbres
Oublient rarement leurs chapeaux sur le marché aux fruits
Avant tout :
Sois enfin convaincu de la nécessité de pleurer
Nu
A la deuxième moitié de nuit
Pour une harmonie entre le lit et le cendrier
Et que revienne
La pendule de l’éveil à son ancienne lamentation
Avant tout :
Hisse tes mots du haut de leur légèreté
Vers le brasier du silence
Pour sentir ton imagination plus brûlante
Dans ton crâne
Et saisir exactement
Le sens du suicide d’Hemingway
Avant tout :
Apprends à te noyer dans une goutte
D’eau
Pour que les noyés sachent ta loyauté à la mer
Et que la devineresse souffle
A ta bien-aimée du signe du poisson
De quoi la rendre plus féroce
Dans les embrassements

Avant tout :
Tords l’électricité
De tes vêtements
Allume l’obscurité de ton jean
Pour passer à la scène maîtresse
Vide
De ce qui peut entacher la candeur de ton corps
Avant tout :
Ne crois pas les devins :
L’âme émane du corps. Alors
Approche son âme
Avec tes mains. Tes lèvres. Ta poitrine. L’herbe de tes cuisses
Avec tes membres extrêmes
Jusqu’à te sentir aussi léger que le sourire du néant
L’âme est légèreté du corps
Ainsi a parlé Amour à l’ombre du moineau
Sur
La branche
Avant tout :
Enterre ton désespoir dans les coupes
La lune dans la voie lactée du tourment
Ton manteau humide dans le feu de tes côtes
Ton ultime mouchoir entre les fils de l’affliction
Puis fixe l’épouvante-qiyyâma
Avec les yeux d’un poisson tout juste délivré
Par les vagues
Du joug de l’air
Avant tout :
Que ton café soit vraiment serré
Ce matin
Et que ton téléphone ne tousse de froid
Nulles échelles dans ta tête
Que graviraient
Les souvenirs vers leur ciel meurtri
Et puis pourquoi les autres
Ont-ils suspendu leurs corps
Aux branches du Temps
Et puis se sont mis à crier ?
marwa
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Yassin Adnan: belle plume du Maroc Empty FLEUR DES ADORATEURS D’ABÎME

Message par marwa Ven 11 Juin - 12:13

FLEUR DES ADORATEURS D’ABÎME

A Tarafa B. Al Abd en son 27eme anniversaire

“Jusqu’à ce que la tribu se mette entière contre moi
et m’isole comme un chameau galeux”
Pourquoi es-tu, monde, aussi songeur
Pendant que le feu
S’embrase dans le col de ton manteau
D’herbe et de rivières ?
Pourquoi parais-tu aussi navré
Qu’un homme par le hasard jeté
Au milieu d’un enterrement ?
Alors que tes cierges
Dans l’écurie des destins
Guident les troupeaux de vent
Dans une protestation d’obscurité contre le matin ?
Comme te voilà perclus, impuissant
Et vain !
Toi seul sais que je ne suis qu’une erreur
Dans le Livre de l’Univers
Un carnier de péchés
Sur un épouvantail en marche
Les années de ma vie ne furent
Que graffitis de gamin
Sur la porte des toilettes de l’école
Et mon ciel
Couvert de la poussière des déconvenues
Une erreur suis-je, ô monde
Erreur
Je vins à 7 heures du matin
En ce noble dimanche
D’août 1970
Vous, années pressées
Passées
Comme des trains fous qui ne bifurquent jamais
Laissant mes premiers manteaux
Ronfler dans le tiroir de ma vie
Vous souvenez-vous de cette année saphique 1995 ?
Qui a ouvert mes volets
Sur de tristes demeures et des vestiges de femmes
Sur des vents débauchés et des hasards étranges
L’ignoble, elle m’a démembré
Et voici mes rendez-vous souffrant les déceptions
Dans un album mort
Tous desséchés
Plusieurs batailles me viennent en mémoire
Cadavres, ambulances
Étagères vides de métier
Violons sourds
Enfants qui arrachent leurs racines
A coups de pioches résolues
Samedi, lundi, mardi
Un kiosque vend des cigarettes à des morts
Deux bras crucifiés sur un nuage nomade
Et des lits d’hospice noirs
J’ai perdu mes doigts dans les entrailles
D’une guitare
Ils n’ont pas repoussé
Et maintenant j’ai renoncé à jouer
Je me contenterai de cris
D’exercices de souffles dans la matrice du repos
Je vais crier à ton visage, rose
De granit
Et vous mes années qui dans le secret
A un précipice, me menez
Je vous lancerai davantage de sang
Et d’abîmes
A jamais suis épuisé
Porteur des bûches du regret
Les ténèbres me guident vers leur lumière
Dans l’espoir d’une douce cécité
J’ai besoin de charbon, de lambeaux, de restes
De sabres
Pour enterrer ces deux crevasses
Béantes dans mon visage
Ah !
Si j’étais venu au monde clôturé
Le monde n’aurait pu pénétrer mon intérieur
Je suis las du monde
Las de vivre au détail
Las de serrer la main des autres
Las de dire bonjour, las du froid
Et des bavardages creux
Las de marcher derrière ce cercueil
Lourd
Qu’on nomme “vie” pour se consoler
Las de huit heures du matin
De la rose
Du confort électrique
Et ne suis plus capable d’aimer
Où es-tu séisme ami
Où es-tu
Que j’assoie mon droit à ce désespoir
Et que nous enterrions ensemble
Ce fer noir
Dans les profondeurs vivantes du foie de la terre ?
Où es-tu séisme
Que je t’offre mon aide
Où es-tu, projectile de la miséricorde
Que je te plante en mes entrailles
Et m’endorme ?
Divers cadavres grandissent dans mon esprit
Alors je bois sans cesse
Dors les yeux ouverts
Sur l’épaisse respiration
Je fiche l’immense dague de la surdité
Dans la chair des cloches
Et je déteste les amis
Monde, je n’ai pas ton indifférence
Je suis seulement affligé

Dès que mon pied bat
Le rocher
Que ma démarche approche le matin de l’onde
Pourquoi le sable coule t-il de mes os et de ma chair ?
Et le feu ?
Puis en ma gorge se dessèchent des sons verts ?

Des nuages gris et épais m’emplissent
Tout entier
(Tous ces nuages
Et rien ne pleut
Encore en moi ?)

La table dressée pour la soirée est déserte
Ni eau
Ni verdure
Ni l’immense cadavre bleu
La vermine agile et vaine
Erre entre mes côtes
Pendant que mes yeux sont étendus sur le
Désœuvrement du Temps
Oh !
Jeune désert
Qui naît entre mes yeux
Je suis assoiffé et banni
Tordu de faim
Loin du café des amis à Marrakech
Tout près de ce vers de Tarafa
Amer destin, ne m’as-tu trouvé d’autre demeure ?
Et toi, spleen au visage tout froissé
De rides
Pourquoi engraisses-tu tes pourceaux châtrés
Dans le pré de ma vigueur
Je ne suis ni cimetière abandonné
Ni champ de pavot
Mais une soif violente et farouche
Sur mon poumon grossissent des
Sentiments de sable
Et des sens
Anémiés
En mes mains s’unissent des mares
D’angoisse alanguie
Et pousse une herbe noire

Ah ! Mes mains sont obscures
Et nulle clarté
Pour éclairer les corridors de mes paumes
Je suis égaré
Au milieu de ce sablier
Arrêté
Vous aiguilles des montres
Laissez-moi atteindre le port rocheux
Laissez-moi à mon destin obscur
A mes mystères
Et ne mordez pas la couche de mon essoufflement
Car je pourrais exploser
A tout moment, comme grenade, loin
De l’amour des vivants pour la musique

Voici le désert, seigneur en son fief
Et mes côtes
Peuplées de grenailles et de fusils
Et de fleurs du zénith
C’est le désert
Et nul mirage pour exciter mon souffle
Mais je revêtirai un moulin à sable
Brodé de volcans
Ainsi je partirai en toutes directions
Et contrairement aux oracles
De tes devins
Demain, je t’envahirai, monde
Je suis désert
Soif immense Je suis
Prends garde à moi
Et ne te joue pas de mes cloches

L’ultime éclat de rire est revenu
Avec profonde blessure et cautères
De son triste voyage
En ma gorge
Comme un râle devenu
Sec
Comme une plante que l’eau n’approche plus
Il est revenu pour me rappeler
(L’ai-je oublié ?)
Que cette ville est de roc
Et de fer
Et que la vie ne souffre plus la verdure
Et les ailes
Et les badineries du vent
Malheur...
Âme ancienne, où es-tu, toi qui
Riais comme une enfant
Dans mes premiers poèmes ?
Où êtes-vous
Mélodies bleues ?

Ah! miel corrompu
Des métaphores
Délite-toi loin de mon verre
Je désire un poème amer
Comme café d’ivrogne
Pour qu’il inscrive dans l’obscurité de ses yeux
Cette migraine atroce
Qui anéantit mon désir de vie
Et vous autres
Préparez-vous à disparaître
Car la descendance est suspendue dans les profondeurs
Un cancer dans leur mémoire
Se propage
Entre leurs cuisses un abcès se rompt

Laissez-le se rompre directement dans l’air
Loin de l’interlude
Laissez-le dans le dehors misérable
Laissez-le
Là où la fin est crucifiée sur
L’écran d’aujourd’hui
Où le pistolet est querellé par les balles
Et où gisent la tempête et le désert
Où la porte de la quiétude est grande
Ouverte
Avec candeur
Et où les chamelles de la vie ruminent
Les mêmes illusions
Et l’une après l’autre
Dans le tréfonds de l’âme
S’éteignent
marwa
marwa

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Yassin Adnan: belle plume du Maroc Empty VERS L’AN 2000

Message par marwa Ven 11 Juin - 12:14

VERS L’AN 2000
En l’an 2000
De multiples choses adviendront en ce monde
Nous a dit la maîtresse
Au blanc voile brodé
Au pieux regard
Elle nous a dit
Par un vieux soir humide :
La voix des devins deviendra blanche
Le Christ apparaîtra
Avec une barbe de lumière
Nu pieds
Il marchera parmi les hommes dans les marchés
La montagne couchée
A l’entrée de la ville
S’ouvrira
Sur une chamelle ailée
Les petites filles naîtront couvertes d’écailles d’or
Tout comme les sirènes
Nos yeux grimperont progressivement
Pour s’établir au-dessus du crâne
Alors nous verrons les pas de Dieu, diaphanes
Et éclatants
Comme s’ils étaient d’air
En l’an 2000
La maîtresse nous a dit
Alors que tambourinait la pluie contre les fenêtres
Que se glissait le froid dans nos jeunes os
Dieu paraîtra si proche
Dans un somptueux cortège funèbre
Nous accompagnerons ce monde féroce
A sa dernière demeure
Je n’ai pas attendu longtemps
Mais si
J’ai beaucoup attendu
Et me voici après tous ces souffles d’autan
Je vois le sable
Happer son feu au pied de la montagne
Et les tempêtes panser
Leurs secrets
A l’extérieur des murs de l’Histoire
Je ne suis pas venu ici par hasard
J’ai traversé
Des mers, des océans
Éprouvé les soirs d’ennui
Et les matins de plénitude
J’ai éprouvé l’amour nu
Et les promenades improvisées
J’ai éprouvé la veille
Sous la tente de la lune gardienne des lacs
J’ai éprouvé le sommeil
Dans les gares
J’ai conclu des affaires secrètes avec le bonheur
Dans les rues dérobées
De la vie
J’ai détourné les étoiles
De mon premier ciel
A l’insu des gardiens des saisons

Je ne suis pas venu ici par hasard
J’ai traversé
Des mers et des déserts
J’ai vu des cadavres pendus
A des câbles dans des villes en ruines
Je suis passé devant des Kurdes Yazidites
Qui exposent l’image de Satan
Sur le mur de leur temple au nord de l’Irak
Et se mettent à réciter sa geste sacrée
A des petits-fils nus

Je suis passé devant des Algériennes emplies de vie
Qui cachent leur rires et leurs cigarettes dans leurs seins
Avant de sortir
Les visages fermés comme il sied au couvre-feu

Je suis passé devant les femmes des pêcheurs
De la Mer du Nord
Les poissons sur leurs étals
Ne ressemblaient pas à des poissons
Ma vie, traînée comme une chamelle
Décharnée
Dans les versants de l’âme
Continue à s’essouffler derrière moi en faisant fi
Du vent de la Fin
Et nous voici encore tels que nous avons toujours été

Aucune aile n’a poussé
Ni l’ombre
N’a déserté nos pas
J’ai traversé les plaines de mes années, le souffle court
Vers l’an 2000
Et maintenant
Après tous ces sillons
Que les jours ont creusé en moi
Rien n’est advenu. Rien n’est advenu.
Marrakech 2001
marwa
marwa

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