Poèmes d' Aloysius Bertrand
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Poèmes d' Aloysius Bertrand
Poésie et poèmes d' Aloysius Bertrand
La Tour de Nesle
Il y avait à la tour de Nesle
un corps-de-garde auquel se logeait le
guet pendant la nuit.
BRANTOME.
« Valet de trèfle! — Dame de pique! de gagne! » Et le soudard qui
perdait envoya d'un coup de poing sur la table son enjeu au plancher.
Mais alors messire Hugues, le prévôt, cracha dans un brasier de fer
avec la grimace d'un cagou qui a avalé une araignée en mangeant sa
soupe.
— « Pouah! les chaircuitiers échaudent-ils leurs cochons à minuit? Ventre dieu! c'est un bateau de feurre qui brûle en Seine! »
L'incendie qui n'était d'abord qu'un innocent follet égaré dans les
brouillards de la rivière fut bientôt un diable à quatre tirant le
canon et force arquebusades au fil de l'eau.
Une foule innombrable de turlupins, de béquillards, de gueux de nuit
accourus sur la grève, dansaient des gigues devant la spirale de flamme
et de fumée.
Et rougeoyaient face à face la tour de Nesle, d'où le guet sortit
l'escopette sur l'épaule, et la tour du Louvre, d'où, par une fenêtre,
le roi et la reine voyaient tout sans être vus.
La Tour de Nesle
Il y avait à la tour de Nesle
un corps-de-garde auquel se logeait le
guet pendant la nuit.
BRANTOME.
« Valet de trèfle! — Dame de pique! de gagne! » Et le soudard qui
perdait envoya d'un coup de poing sur la table son enjeu au plancher.
Mais alors messire Hugues, le prévôt, cracha dans un brasier de fer
avec la grimace d'un cagou qui a avalé une araignée en mangeant sa
soupe.
— « Pouah! les chaircuitiers échaudent-ils leurs cochons à minuit? Ventre dieu! c'est un bateau de feurre qui brûle en Seine! »
L'incendie qui n'était d'abord qu'un innocent follet égaré dans les
brouillards de la rivière fut bientôt un diable à quatre tirant le
canon et force arquebusades au fil de l'eau.
Une foule innombrable de turlupins, de béquillards, de gueux de nuit
accourus sur la grève, dansaient des gigues devant la spirale de flamme
et de fumée.
Et rougeoyaient face à face la tour de Nesle, d'où le guet sortit
l'escopette sur l'épaule, et la tour du Louvre, d'où, par une fenêtre,
le roi et la reine voyaient tout sans être vus.
julien- Nombre de messages : 1159
Date d'inscription : 24/02/2010
Re: Poèmes d' Aloysius Bertrand
Le Falot
Le Masque. - Il fait noir;
prête-moi ta lanterne.
Mercurio. - Bah! les chats ont
pour lanterne leurs deux yeux.
Une nuit de carnaval.
Ah! pourquoi me suis-je, ce soir, avisé qu'il y avait place à me
blottir contre l'orage, moi petit follet de gouttière, dans le falot de
Madame de Gourgouran!
Je riais d'entendre un esprit que trempait l'averse bourdonner autour
de la maison lumineuse, sans pouvoir trouver la porte par laquelle
j'étais entré.
Vainement me suppliait-il, enroué et morfondu, de lui permettre au
moins de rallumer son rat de cave à ma bougie pour chercher sa route.
Soudain le jaune papier de la lanterne s'enflamma, crevé d'un coup de
vent dont gémirent dans la rue des enseignes pendantes comme des
bannières.
— « Jésus! miséricorde! s'écria la béguine, se signant des cinq doigts.
— Le diable te tenaille, sorcière, m'écriai-je, crachant plus de feu
qu'un serpenteau d'artifice. »
Hélas! moi qui, ce matin encore, rivalisais de grâces et de parure avec
le chardonneret à oreillettes de drap écarlate du damoisel de Luynes!
Le Masque. - Il fait noir;
prête-moi ta lanterne.
Mercurio. - Bah! les chats ont
pour lanterne leurs deux yeux.
Une nuit de carnaval.
Ah! pourquoi me suis-je, ce soir, avisé qu'il y avait place à me
blottir contre l'orage, moi petit follet de gouttière, dans le falot de
Madame de Gourgouran!
Je riais d'entendre un esprit que trempait l'averse bourdonner autour
de la maison lumineuse, sans pouvoir trouver la porte par laquelle
j'étais entré.
Vainement me suppliait-il, enroué et morfondu, de lui permettre au
moins de rallumer son rat de cave à ma bougie pour chercher sa route.
Soudain le jaune papier de la lanterne s'enflamma, crevé d'un coup de
vent dont gémirent dans la rue des enseignes pendantes comme des
bannières.
— « Jésus! miséricorde! s'écria la béguine, se signant des cinq doigts.
— Le diable te tenaille, sorcière, m'écriai-je, crachant plus de feu
qu'un serpenteau d'artifice. »
Hélas! moi qui, ce matin encore, rivalisais de grâces et de parure avec
le chardonneret à oreillettes de drap écarlate du damoisel de Luynes!
julien- Nombre de messages : 1159
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Les Gueux de nuit
Les Gueux de nuit
J'endure
Froidure
Bien dure.
La chanson du pauvre diable.
— « Ohé! rangez-vous qu'on se chauffe! — Il ne te manque plus que
d'enfourcher le foyer! Ce drôle a les jambes comme des pincettes.
— Une heure! — Il bise dru! — Savez-vous, mes chats-huants, ce qui fait la lune si claire? Les cornes des c.... qu'on y brûle.
— La rouge braise à brûler de la charbonnée! — Comme la flamme danse
bleue sur les tisons! Ohé! quel est le ribaud qui a battu sa ribaude?
— J'ai le nez gelé! — J'ai les grêves rôties! — Ne vois-tu rien dans le
feu, Choupille? - Oui! une hallebarde. — Et toi, Jeanpoil? — Un oeil.
— Place, place à M. de la Chousserie! — Vous êtes là, Monsieur le
procureur, chaudement fourré et ganté pour l'hiver! — Oui-dà! les
matous n'ont pas d'engelures!
— Ah! voici messieurs du guet! — Vos bottes fument. — Et les
tirelaines? Nous en avons tué deux d'une arquebusade; les autres se
sont échappés à travers la rivière. »
Et c'est ainsi que s'acoquinaient à un feu de brandon, avec des gueux
de nuit, un procureur au parlement qui courait le guilledou, et les
gascons du guet qui racontaient sans rire les exploits de leurs
arquebuses détraquées.
J'endure
Froidure
Bien dure.
La chanson du pauvre diable.
— « Ohé! rangez-vous qu'on se chauffe! — Il ne te manque plus que
d'enfourcher le foyer! Ce drôle a les jambes comme des pincettes.
— Une heure! — Il bise dru! — Savez-vous, mes chats-huants, ce qui fait la lune si claire? Les cornes des c.... qu'on y brûle.
— La rouge braise à brûler de la charbonnée! — Comme la flamme danse
bleue sur les tisons! Ohé! quel est le ribaud qui a battu sa ribaude?
— J'ai le nez gelé! — J'ai les grêves rôties! — Ne vois-tu rien dans le
feu, Choupille? - Oui! une hallebarde. — Et toi, Jeanpoil? — Un oeil.
— Place, place à M. de la Chousserie! — Vous êtes là, Monsieur le
procureur, chaudement fourré et ganté pour l'hiver! — Oui-dà! les
matous n'ont pas d'engelures!
— Ah! voici messieurs du guet! — Vos bottes fument. — Et les
tirelaines? Nous en avons tué deux d'une arquebusade; les autres se
sont échappés à travers la rivière. »
Et c'est ainsi que s'acoquinaient à un feu de brandon, avec des gueux
de nuit, un procureur au parlement qui courait le guilledou, et les
gascons du guet qui racontaient sans rire les exploits de leurs
arquebuses détraquées.
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Re: Poèmes d' Aloysius Bertrand
Ici commence le deuxième
Livre des Fantaisies
De Gaspard
De la
Nuit
LE VIEUX PARIS
LES DEUX JUIFS
Vieux époux
Vieux jaloux,
Tirez tous
Les verrous.
Vieille chanson.
Deux juifs, qui s'étaient arrêtés sous ma fenêtre, comptaient
mystérieusement au bout de leurs doigts les heures trop lentes de la
nuit.
— « Avez-vous de l'argent, Rabbi? demanda le plus jeune au plus vieux.
— Cette bourse, répondit l'autre, n'est point un grelot. »
Mais alors une troupe de gens se rua avec vacarme des bouges du
voisinage; et des cris éclatèrent sur mes vitraux comme les dragées
d'une sarbacane.
C'étaient des turlupins qui couraient joyeusement vers la place du
Marché, d'où le vent chassait des étincelles de paille et une odeur de
roussi.
— « Ohé! Ohé! Lanturelu! — Ma révérence à Madame la lune! — Par ici, la
cagoule du diable! Deux juifs dehors pendant le couvre-feu! — Assomme!
assomme! aux juifs le jour, aux truands la nuit!
Et les cloches fêlées carillonnaient là-haut dans les tours de
Saint-Eustache le gothique: — « Dindon, dindon, dormez-donc, dindon!»
julien- Nombre de messages : 1159
Date d'inscription : 24/02/2010
Départ pour le Sabbat
Départ pour le Sabbat
Elle se leva la nuit, et
allumant la chandelle prit une boîte et
s'oignit, puis avec quelques paroles
elle fut transportée au sabbat.
JEAN BODIN. - De la
Démonomanie des Sorciers.
Ils étaient là une douzaine qui mangeaient la soupe à la bière, et
chacun d'eux avait pour cuiller l'os de l'avant-bras d'un mort.
La cheminée était rouge de braise, les chandelles champignonnaient dans
la fumée, et les assiettes exhalaient une odeur de fosse au printemps.
Et lorsque Maribas riait ou pleurait, on entendait comme geindre un archet sur les trois cordes d'un violon démantibulé.
Cependant le soudard étala diaboliquement sur la table, à la lueur du suif, un grimoire où vint s'ébattre une mouche grillée.
Cette mouche bourdonnait encore lorsque, de son ventre énorme et velu, une araignée escalada les bords du magique volume.
Mais déjà sorciers et sorcières s'étaient envolés par la cheminée à
califourchon, qui sur un balai, qui sur les pincettes, et Maribas sur
la queue de la poêle.
Ici finit le premier
Livre des Fantaisies
De Gaspard
De la
Nuit
Elle se leva la nuit, et
allumant la chandelle prit une boîte et
s'oignit, puis avec quelques paroles
elle fut transportée au sabbat.
JEAN BODIN. - De la
Démonomanie des Sorciers.
Ils étaient là une douzaine qui mangeaient la soupe à la bière, et
chacun d'eux avait pour cuiller l'os de l'avant-bras d'un mort.
La cheminée était rouge de braise, les chandelles champignonnaient dans
la fumée, et les assiettes exhalaient une odeur de fosse au printemps.
Et lorsque Maribas riait ou pleurait, on entendait comme geindre un archet sur les trois cordes d'un violon démantibulé.
Cependant le soudard étala diaboliquement sur la table, à la lueur du suif, un grimoire où vint s'ébattre une mouche grillée.
Cette mouche bourdonnait encore lorsque, de son ventre énorme et velu, une araignée escalada les bords du magique volume.
Mais déjà sorciers et sorcières s'étaient envolés par la cheminée à
califourchon, qui sur un balai, qui sur les pincettes, et Maribas sur
la queue de la poêle.
Ici finit le premier
Livre des Fantaisies
De Gaspard
De la
Nuit
julien- Nombre de messages : 1159
Date d'inscription : 24/02/2010
L’Alchimiste
L’Alchimiste
Notre art s'apprend en deux
manières, c'est à savoir par
enseignement d'un maître, bouche à
bouche, et non autrement, ou par
inspiration et révélation divines; ou
bien par les livres lesquels sont moult
obscurs et embrouillés; et pour en
iceux trouver accordance et vérité
moult convient être subtil, patient,
studieux et vigilant.
La clef des secrets de
philosophie de Pierre Vicot.
Rien encore! — Et vainement ai-je feuilleté pendant trois jours et
trois nuits, aux blafardes lueurs de la lampe, les livres hermétiques
de Raymond Lulle.
Non, rien, si ce n'est, avec le sifflement de la cornue étincelante,
les rires moqueurs d'un salamandre qui se fait un jeu de troubler mes
méditations.
Tantôt il attache un pétard à un poil de ma barbe, tantôt il me décoche de son arbalète un trait de feu dans mon manteau.
Ou bien fourbit-il son armure, c'est alors la cendre du fourneau qui
souffle sur les pages de mon formulaire et sur l'encre de mon écritoire.
Et la cornue toujours plus étincelante siffle le même air que le diable, quand saint Éloi lui tenaille le nez dans sa forge.
Mais rien encore ! — Et pendant trois autres jours et trois autres
nuits je feuilleterai, aux blafardes lueurs de la lampe, les livres
hermétiques de Raymond Lulle !
Notre art s'apprend en deux
manières, c'est à savoir par
enseignement d'un maître, bouche à
bouche, et non autrement, ou par
inspiration et révélation divines; ou
bien par les livres lesquels sont moult
obscurs et embrouillés; et pour en
iceux trouver accordance et vérité
moult convient être subtil, patient,
studieux et vigilant.
La clef des secrets de
philosophie de Pierre Vicot.
Rien encore! — Et vainement ai-je feuilleté pendant trois jours et
trois nuits, aux blafardes lueurs de la lampe, les livres hermétiques
de Raymond Lulle.
Non, rien, si ce n'est, avec le sifflement de la cornue étincelante,
les rires moqueurs d'un salamandre qui se fait un jeu de troubler mes
méditations.
Tantôt il attache un pétard à un poil de ma barbe, tantôt il me décoche de son arbalète un trait de feu dans mon manteau.
Ou bien fourbit-il son armure, c'est alors la cendre du fourneau qui
souffle sur les pages de mon formulaire et sur l'encre de mon écritoire.
Et la cornue toujours plus étincelante siffle le même air que le diable, quand saint Éloi lui tenaille le nez dans sa forge.
Mais rien encore ! — Et pendant trois autres jours et trois autres
nuits je feuilleterai, aux blafardes lueurs de la lampe, les livres
hermétiques de Raymond Lulle !
julien- Nombre de messages : 1159
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LE MARCHAND DE TULIPES
Le Marchand de tulipes
LE MARCHAND DE TULIPES
La tulipe est parmi les fleurs
ce que le paon est parmi les oiseaux.
L’une est sans parfum, l’autre est sans
voix; l’une s'enorgueillit de sa robe,
l’autre de sa queue.
Le Jardin des fleurs rares et
curieuses.
Nul bruit, si ce n'est le froissement de feuillets de vélin sous les
doigts du docteur Huylten, qui ne détachait les yeux de sa bible
jonchée de gothiques enluminures que pour admirer l'or et le pourpre de
deux poissons captifs aux humides flancs d'un bocal.
Les battants de la porte roulèrent: c'était un marchand fleuriste qui,
le bras chargés de plusieurs pois de tulipes, s'excusa d'interrompre la
lecture d'un aussi savant personnage.
— « Maître, dit-il, voici le trésor des trésors, la merveille des
merveilles, un oignon comme il n'en fleurit jamais qu'un par siècle
dans le sérail de l'empereur de Constantinople!
— Une tulipe! s'écria le vieillard courroucé, une tulipe! ce symbole de
l'orgueil et de la luxure qui ont engendré dans la malheureuse cité de
Wittemberg la détestable hérésie de Luther et de Mélanchton! »
Maître Huylten agrafa le fermail de sa bible, rangea ses lunettes dans
leur étui, et tira le rideau de la fenêtre, qui laissa voir au soleil
une fleur de la passion avec sa couronne d'épine, son éponge, son
fouet, ses clous et les cinq plaies de Notre-Seigneur.
Le marchant de tulipes s'inclina respectueusement et en silence,
déconcerté par un regard inquisiteur du duc d'Albe dont le portrait,
chef-d'oeuvre d'Holbein, était appendu à la muraille.
LE MARCHAND DE TULIPES
La tulipe est parmi les fleurs
ce que le paon est parmi les oiseaux.
L’une est sans parfum, l’autre est sans
voix; l’une s'enorgueillit de sa robe,
l’autre de sa queue.
Le Jardin des fleurs rares et
curieuses.
Nul bruit, si ce n'est le froissement de feuillets de vélin sous les
doigts du docteur Huylten, qui ne détachait les yeux de sa bible
jonchée de gothiques enluminures que pour admirer l'or et le pourpre de
deux poissons captifs aux humides flancs d'un bocal.
Les battants de la porte roulèrent: c'était un marchand fleuriste qui,
le bras chargés de plusieurs pois de tulipes, s'excusa d'interrompre la
lecture d'un aussi savant personnage.
— « Maître, dit-il, voici le trésor des trésors, la merveille des
merveilles, un oignon comme il n'en fleurit jamais qu'un par siècle
dans le sérail de l'empereur de Constantinople!
— Une tulipe! s'écria le vieillard courroucé, une tulipe! ce symbole de
l'orgueil et de la luxure qui ont engendré dans la malheureuse cité de
Wittemberg la détestable hérésie de Luther et de Mélanchton! »
Maître Huylten agrafa le fermail de sa bible, rangea ses lunettes dans
leur étui, et tira le rideau de la fenêtre, qui laissa voir au soleil
une fleur de la passion avec sa couronne d'épine, son éponge, son
fouet, ses clous et les cinq plaies de Notre-Seigneur.
Le marchant de tulipes s'inclina respectueusement et en silence,
déconcerté par un regard inquisiteur du duc d'Albe dont le portrait,
chef-d'oeuvre d'Holbein, était appendu à la muraille.
julien- Nombre de messages : 1159
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LA BARBE POINTUE
LA BARBE POINTUE
Si l'on n'a la tête levée
Le poil de la barbe frisé
Et la moustache relevée
On est des dames méprisé.
Les poésies de d'Assoucy.
Or, c'était fête à la synagogue, ténébreusement étoilée de lampes
d'argent, et les rabbins, en robes et en lunettes, baisaient leurs
talmuds, marmottant, nazillonnant, crachant ou se mouchant, les uns
assis, les autres non.
Et voilà que tout à coup, parmi tant de barbes rondes, ovales, carrées,
qui floconnaient, qui frisaient, qui exhalaient ambre et benjoin, fut
remarquée une barbe taillée en pointe.
Un docteur nommé Élébotham, coiffé d'une meule de flanelle qui
étincelait de pierreries, se leva et dit: « Profanation! il y a ici une
barbe pointue!
— Une barbe luthérienne! — Un manteau court! — Tuez le Philistin.» — Et
la foule trépignait de colère dans les bancs tumultueux, tandis que le
sacrificateur braillait: — « Samson, à moi ta mâchoire d'âne! »
Mais le chevalier Melchior avait développé un parchemin authentiqué des
armes de l'empire: — « Ordre, lut-il, d'arrêter le boucher Isaac van
Heck, pour être l'assassin pendu, lui, pourceau d'Israël, entre deux
pourceaux de Flandre. »
Trente hallebardiers se détachèrent à pas lourds et cliquetants de
l'ombre du corridor. — « Feu de vos hallebardes » leur ricana le
boucher Isaac. — Et il se précipita d'une fenêtre dans le Rhin.
Si l'on n'a la tête levée
Le poil de la barbe frisé
Et la moustache relevée
On est des dames méprisé.
Les poésies de d'Assoucy.
Or, c'était fête à la synagogue, ténébreusement étoilée de lampes
d'argent, et les rabbins, en robes et en lunettes, baisaient leurs
talmuds, marmottant, nazillonnant, crachant ou se mouchant, les uns
assis, les autres non.
Et voilà que tout à coup, parmi tant de barbes rondes, ovales, carrées,
qui floconnaient, qui frisaient, qui exhalaient ambre et benjoin, fut
remarquée une barbe taillée en pointe.
Un docteur nommé Élébotham, coiffé d'une meule de flanelle qui
étincelait de pierreries, se leva et dit: « Profanation! il y a ici une
barbe pointue!
— Une barbe luthérienne! — Un manteau court! — Tuez le Philistin.» — Et
la foule trépignait de colère dans les bancs tumultueux, tandis que le
sacrificateur braillait: — « Samson, à moi ta mâchoire d'âne! »
Mais le chevalier Melchior avait développé un parchemin authentiqué des
armes de l'empire: — « Ordre, lut-il, d'arrêter le boucher Isaac van
Heck, pour être l'assassin pendu, lui, pourceau d'Israël, entre deux
pourceaux de Flandre. »
Trente hallebardiers se détachèrent à pas lourds et cliquetants de
l'ombre du corridor. — « Feu de vos hallebardes » leur ricana le
boucher Isaac. — Et il se précipita d'une fenêtre dans le Rhin.
julien- Nombre de messages : 1159
Date d'inscription : 24/02/2010
L'ÉCOLIER DE LEYDE
L'ÉCOLIER DE LEYDE.
On ne saurait prendre trop de
précautions par le temps qui court,
surtout depuis que les faux-monnayeurs
se sont établis dans ce pays-ci.
Le Siège de Berg-op-Zoom.
Il s'assied dans son fauteuil de velours d'Utrecht, messire Blasius, le
menton dans sa fraise de fine dentelle, comme une volaille qu'un
cuisinier s'est rôtie sur une faïence.
Il s'assied devant sa banque pour compter la monnaie d'un demi-florin,
moi, pauvre écolier de Leyde, qui ai un bonnet et une culotte percée,
debout sur un pied comme une grue sur un pal.
Voilà le trébuchet qui sort de la boîte de laque aux bizarres figures
chinoises, comme une araignée qui, repliant ses longs bras, se réfugie
dans une tulipe nuancée de mille couleurs.
Ne dirait-on pas, à voir la mine allongée du maître, trembler ses
doigts décharnés découplant les pièces d'or, d'un voleur pris sur le
fait et contraint, le pistolet sur la gorge, de rendre à Dieu ce qu'il
a gagné avec le diable?
Mon florin que tu examines avec défiance à travers la loupe est moins
équivoque et louche que ton petit oeil gris, qui fume comme un lampion
mal éteint.
Le trébuchet est rentré dans sa boîte de laque aux brillantes figures
chinoises, messire Blasius s'est levé à demi de son fauteuil de velours
d'Utrecht, et moi, saluant jusqu'à terre, je sors à reculons, pauvre
écolier de Leyde qui ai bas et chausses percés.
julien- Nombre de messages : 1159
Date d'inscription : 24/02/2010
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