La légende du prophète Jonas à Massa

J’avais le choix avec ce que m’offrait l’actualité nationale et internationale :
la colonisation dans l’impunité en Palestine occupée, incompatible avec la
notion de Paix ; l’effondrement partiel d’une tour portugaise à Safi, victime
elle aussi des intempéries et de l’oubli, posant la délicate question de la
sauvegarde de nos sites et monuments historiques ; la saillie en France, encore
une, d’un Eric Zemmour stigmatisant les Noirs et les Arabes…
Mais, devant cet agglomérat de nouvelles peu réjouissantes, le
besoin de s’échapper du présent devient prenant. Envie de transcender le réel.
D’exalter l’imaginaire. De chercher ce qui unit non ce qui sépare... Cette quête
d’évasion dans l’espace et dans le temps me mène alors comme par prodige sur les
rivages de Oued Massa à son embouchure sur l’océan où circulent, depuis la nuit
des temps, les plus énigmatiques des légendes.

Nous sommes donc sur les côtes du Souss, entre Agadir et Tiznit,
près de l’estuaire de Oued Massa évoqué depuis l’Antiquité par le général et
historien Polybe ou par le savant grec Claude Ptolémée dans sa « Géographie ».
Ce fleuve laisse son nom à une ville antique, fondée par les Berbères selon Léon
l’Africain, illustre au Moyen Âge avec sa mosquée et son Ribat (couvent
militaire) fondés aux côtés du fleuve à son embouchure sur l’Atlantique. Ibn
Khaldoun décrit les lieux au XIVe siècle en tant que refuge des saints et
rappelle, tout en les dénonçant, la ferveur populaire et le foisonnement de
légendes messianiques relatives à la sortie de cette terre du Mehdi, messie bien
guidé et "Maître de l’Heure" dont la croyance a favorisé l’émergence de quelques
rebelles politiques tel Ibn-Hud pendant le règne almohade. En plus de ces
traditions millénaristes appuyées sur la figure eschatologique du Mehdi, les
rivages de Massa ont produit la plus mystérieuse des croyances.

Selon elles, c’est en ces lieux que le prophète Jonas a été
recraché par sa baleine, avant de bâtir une mosquée à l’aide d’os de ces cétacés
qui s’échouaient régulièrement sur la plage en raison des rochers pointus
menaçant près du large. Tout le monde connaît, ne serait-ce que de nom, le
prophète Jonas (Sidna Younes) surnommé en Islam Dhû-n-Nûn (l’homme à la
baleine). Il est évoqué dans les trois Livres monothéistes : la Bible hébraïque,
précisément dans Le Livre de Jonas ; le Nouveau Testament dans Les Évangiles de
St-Matthieu et de St-Luc, préfigurant la résurrection de Jésus ; et le Coran,
notamment aux sourates Younes et Les Rangs. Pour résumer, Jonas avait pour
mission divine vers le VIIIe siècle av. J.-C., de se rendre à Ninive, capitale
de l’empire assyrien, symbole de tyrannie et de décadence, au nord de la
Mésopotamie en Irak actuel. Mais désobéissant à Dieu, Jonas embraqua en
direction opposée vers Tharsis, identifiée par certains à Tartessos en Espagne.
Son bateau essuya alors une violente tempête provoquée par la colère divine.
Désigné au sort par les marins comme responsable de ce malheur, Jonas est jeté
par-dessus bord et englouti vivant par un grand poisson. Durant trois jours et
trois nuits, il implora Dieu dans le ventre du mammifère marin, avant d’être
recraché sur la plage, de convertir les habitants, puis d’annoncer le futur
jugement aux habitants de Ninive qui firent pénitence, s’épargnant le châtiment…
Par quel mystère l’histoire de Jonas aurait-elle tant imprégné ces rivages ? Le
premier auteur à avoir évoqué la mosquée bâtie par Jonas est Ibn ‘Idari
El-Mourrakouchi aux XIIIe-XIVe siècles. Celui-ci rapporte en effet, comme Léon
l’Africain après lui, que le conquérant du Maghreb Oqba ibn Nafiî, en arrivant
en ces lieux depuis Igli aurait conduit son cheval jusque dans les flots, en
témoignant devant Dieu qu’il ne lui restait plus de territoire à l’Ouest pour
porter sa Parole, tout en proclamant : « Que le salut soit sur vous Amis de
Dieu ». Ce en quoi, ses compagnons lui demandèrent l’identité de ses
interlocuteurs. Oqba leur répondit alors : « Le peuple de Younes que le Salut
soit sur lui ».

Car Younes aussitôt sorti des profondeurs de l’abîme et craché des
entrailles du gros poisson, lieu de toutes les transformations, aurait construit
en cette terre de renouveau, une demeure et lieu de purification. Ce temple prit
le nom de « Pierre de Younes » avec sa désagrégation par l’eau de mer, nous
rappelant par la même occasion que Jonas symbolise pour les alchimistes la quête
de la pierre angulaire marquant l’accomplissement du Grand Œuvre.

Acquérant une stature sacrée le long des siècles, Hajar Younes fut
l’objet de différentes pratiques rituelles implorant la Baraka. En raison de son
caractère sacré, un couvent fortifié a été érigé à ses côtés dépassant par son
aura spirituel son périmètre géographique, attirant le long des siècles des
cortèges de pèlerins, avant qu’il ne soit à son tour envahi par les sables. La
ville même de Massa, longtemps considérée comme un port très important du sud
marocain, occupant une position stratégique de pôle commercial et d’étape
maritime et caravanière, déclina au XVIIe siècle. Pour seuls témoins
subsisteront pour la postérité quelques pierres anciennes, d’innombrables
sanctuaires et des bribes de la mémoire nichées près de cette réserve
ornithologue tels des oiseaux rares.

Par Mouna Hachim

Source : L’economiste