Abdessalam Idriss-tunisie
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Abdessalam Idriss-tunisie
Qui est-tu homme bleu ?
Qui est-tu homme bleu, pierre de lune ou turquoise ?
Je suis un humanoïde qui vit emmitouflé de bleu sur sa tête, toqué et bien aise du bleu qui déteint autour de brunes pupilles. Baume gratifiant touillé sur le visage, étendard tournoyant gribouillé sur les mains, pléthore impossible, le bleu humain dilate le coeur. Ciel, étoile des lèvres, un jour anodin, cri, museau scintillant d’une antilope jamais trop aimée un jour de parade. Sel, piment, au cou se fixe, du bleu, le peu de l’égreneuse poussière de cotonnade. Redoutable piment, beaucoup d’espoir bleuté accentue la vie. Le bleu, il ne troque point : il partage. Indien, il transporte la couleur et partout, il l’emmène substantive.
Alégresse et résurrection du mot noir et bleu, l’indication du mauve, au coude à coude, la voilà, sa force, son secret-lumière,
Bon pied, bon oeil, force tirée d’un bleu itinérant dont il s’acquitte à l’affleurement d’un amour céleste, les épaules frôlant au creux de l’à-pic une fleur de lavande, majesté d’un désert, pour Tin Hinan, Celle des Khaïmas, céphalée du bleu plus bleu que bleu, désormais inscrite en lui, muée à jamais en harangue possédée du reg. Authentique galop du grain de sable, le vrai bleu de la dune glisse sous la patte de velours ongulé, un bleu nominal. Sans se formaliser pour autant, débit pictural de la joute, nuance du coloris endémique, jugulaire, la pigmentation nomadise.
Et toi, prédisposé au périple, Baji, avec ton front et ton menton que barbouille un chèche de coton bleu noir ?
Oui, toi, qui es-tu ?
Debout entre deux tumulus à cratère et chenus, ne serais-tu un pur primate qui s’arrache du présent, un être qui s’arroge la nuit inclinée d’une âme verticale ? Assis en tailleurs au milieu de cercles concentriques de pierres, serais-tu un homme libre d’exprimer une mémoire délibérée ? Tu dis que les tumulus nous sont d’antiques monuments funéraires tandis que les cercles de pierre marquent, sur terre, l’espace et la clameur d’une assemblée fédérée sous la tente de Fatima par son indissociable discours, son futur et ses idées extirpées d’un cocon ourlé de bleu astral.
Marmot coquin qui divulgue sa manière, enfant qui marche d’une drôle de façon, pourquoi cette démarche ?
Par amour, plus que par simple mimétisme, quoi de plus naturel, pour un enfant de chamelle qu’être penché, de plus en plus penché, d’un côté ou de l’autre ? ça lui donne des ailes, Baji s’entraîne à marcher à l’amble, comme atteler carrosse, parcourir les distances, écumer la vague dune, observer, marcher avec nature, mieux trotter à l’angle de vie, chevaucher ensemble, pressentir main dans la main, écouter le craquement d’une selle, prêter une oreille attentive à l’acacia qui claque des doigts à cause du vent frisquet, tapoter des mains sur ses joues, effleurer la craquelure d’un sol altéré et offrir extasié, en guise de salut, caresse, bonté divine, pour cajoler une présence, consoler un infantile partisan et se reconnaître à l’accolade, pour lui, l’amour est aussi vital que le rire.
Au revenir de la nuit, littéralement enduit de bleu, il se lève au matin de quatre heures, pour repartir, enfant courage, à la rencontre des rencontres. Frais et dispos, Baji devine le mot d’esprit, une malice, un regard effronté en guise de réponse.
– Baji, va ton chemin.
– côté de ton ami Moulay Rachid Fortuitement, par monts et merveilles, par temps clair ou lorsque la tempête s’affirme, tu partiras au devant. Tu le sais, ce frère est un fils de naga surnommé l’Eolien, depuis qu’avec une réelle maestria, il orchestra les vents et les amas de sable.
اa lui change les idées à Baji de se dandiner comme un dromadaire, de sentir et de voir ses épaules balancer de droite à gauche, d’une épine d’acacia à l’autre, d’une ornière au logis du faon, exactement comme le font à ravir de pétulantes land-rovers et d’impulsives toyotas. Des 4x4 à châssis court qui balancent latérales, contrairement à celles qui portent le châssis long et qui tanguent imanquablement de l’avant à l’arrière.
Quand il n’est plus temps de s’en retourner, lorsque piste inégale se creuse, gonfle, vide son regard, bombe le torse et se dérobe sous les pneumatiques, un tango, un rap de bon ton, main étourdissante, dédain d’andalouse qui frappe l’imagination, danse soudanaise mordorée, chanson de Nubie et d’Atlas, une voix maure enrouée, sont les bienvenus. Histoire de ne pas rapprocher le danger qui menace.
Déporté, si la tôle ondulée cesse, il ne faut pas se fier au fechfech de catastrophe, ni aux sables réguliers, ni aux touffes sèches. Baji conseille de s’arrimer à la coque, d’attacher la selle au sentiment, de tourner la clé de contact, regarder droit devant soi, faire le premier pas, sourire, prendre son courage à deux mains, humblement, s’en aller mordre la poussière de mica délité, tête toujours pleine de bleu, à bride abattue.
Habitué aux secousses de calèche, Elhassan, en personne, pour l’instant, assis à coté de Baji, s’agrippe, sans appréhension. Il n’a pas peur. Peu s’en faut. A chaque trou, chaque haffra revèche, il se lève une fraction de seconde avant, faisant le même geste que Baji accroché au volant, moitié debout, moitié assis, en suspension. Ni ciel, ni terre, nulle frayeur, en cas de virage, d’obstacle, de vertige au bord du vide, le déraillement n’est point fatidique, semblent prédire les yeux amicaux de Baji.
– Ne t’inquiète pas.
– Le dérapage est contrôlé.
Dans le passé, pour sûr, Baji a déjà fait des tonneaux, à l’oblique, là où s’étire, fatigué, le plateau qui surplombe Timoukten.
Se dirigeant, désappointé, mais pas à contrecoeur, vers ces dépressions plongées au dessous du niveau de la mer qui hantent les suds d’Aoulef, il s’est trop penché. Il culbute, tressaille, s’en sort indemne.
Le plateau volatile du reg ne panse aucune blessure. Avec, au front, un étrange trou de mémoire qui ne dure qu’une nuit, une seule nuit pour un homme averti qui en vaut deux et qui pourtant compte pour du beurre, poussière de sable.
A l’arrière, espèce disparue d’oisillon maigrichon, amateur de tabacs blonds de jardin, cheveu crincrin du genre rasta, comme si de rien n’était, un passager insolite n’a pas bougé de sa place. L’engin a pourtant fait un tour complet sur lui-même. Cigarette toujours fumante entre index et majeur, blasé, trop léger pour ne pas se prévenir, il boude la culbute.
A l’avant, faisant partie de l’équipage, une touriste ayant dû regarder de trop prés la boule du levier de vitesse écope d’un joli oeil gauche au beurre noir. Dans ce désert, on ne met jamais sa ceinture de sécurité. Pourtant ce jour là, par amusement, sans se douter de rien, dans les cinq minutes qui précèdent la voltige, elle imite son voisin de gauche ostensiblement occupé à attacher sa ceinture assis derrière le capot de l’engin cabriolet. Etonnée de l’émerveillement tenace de Baji au son du clic, elle s’attache et la boucle se dérouille.
– Pour être bon chamelier, il vaut mieux ne pas s’adosser à la selle, ni trop se pencher en avant, nous dit Baji.
Coincés entre absolu et terre complice qui défilent, économes détenteurs de vertus inexpugnables, à en rester bleu, au panache, bras levés à mi-hauteur, intuition flagrante ou prescience de bédouin, savamment en équilibre instable, les cavaliers romantiques précèdent l’événement. Extatiques, ils invitent à l’émotion surréaliste.
Conséquence, quand la voiture se soulève, ils sont déjà pratiquement debout. Le choc est amorti par les mollets de ces chameliers d’une monture de fer joliment peinte en vert, comme une voiture du fonds mondial pour la nature, le WWF, ce que laisse à penser l’autocollant panda colé sur les portières de la calèche coquettement recouverte d’une bâche à peine enduite de graisse sur laquelle se fixent, chanceux et épars, grains de sables, particules, des argiles et des micas.
Jusqu’à l’avant du véhicule, au-dessus du pare-brise amovible, les rayons du soleil chancellent. Le châssis court land-rover bâché à l’intégrale, sans toit, ni galerie, peut se camoufler sous une khayma. Il offre le meilleur rapport poids-puissance, action et discrétion. Au moindre poids, équipé du même moteur que celui des longs chassis, l’attelage de chevaux fiscaux lancés au galop, est synonyme de vitesse et de longévité.
Le bas aluminium couleur pâturage, le haut bâche couleur désert, la monture se fait le mime. Il n’y a que les passagers qui font intrusion. Contents de leur sort, ils se doivent d’épouser la piste.
Tintamarre impératif, la noce se fête sept jours pour la première fois, sinon trois jours. Les yeux légèrement bridés, noircis au khôl, sous le chèche noir indigo, enfoncés dans les orbites, placides et attentifs, vous pensez bien que Baji, occupé à discuter, peut communiquer ses états d’âme aux héros de cavalerie. Raconter, bavarder, se confier, ainsi qu’il le fait, ne le fatigue pas. Cela s’explique. à cheval sur les principes, jamais, au grand jamais, ô les grands mots, candide, communicatif, spontané, expansif, quitte à parler pour parler, rieur digne de ce nom, quand le silence pointe le bout du nez, un nomade ne se tait pas.
– Aouallah.
– Tidit anek.
Le silence n’est pas bon. Tu as raison. Invalidant, il plonge dans le sommeil. Résolvant ses paradoxes, sommeil de chaque nuit, n’est-il pas un peu de cette mort qui partage au quotidien notre existence ?
Le silence favorise l’amnésique laisser-aller, l’embardée, le fatalisme et le défaitisme. En un battement de paupière, il atténue l’acuité.
Il n’est pas temps de piquer un somme. Les trois larrons savent que plus on en raconte, plus le temps passe vite et plaisant. Il ne faut pas perdre le fil de la discussion, rater le sens codé de l’image et de l’expression. On pense aux métaphores, à tout et à rien. S’endormir au volant pourrait s’avérer d’un ennui mortel. اa sent l’essence quelque part, ça bruit de ferraille, de portières, d’outils. Concurrence hétéroclite, boulons, écrous, pêle-mêle, fil de fer, jerricanes de métal.
– On ne s’entend plus.
Moulay Rachid fait signe à la fine poussière ambiante de s’éluder. Il lui intime l’ordre d’éviter ses yeux, cligne de l’œil, louche, glisse une larme. Il ajuste le fond de l’horizon au gré mobile du repaire. Monceaux de pierre, il reconnaît les rejems. Et s’il n’y en a point dans sa ligne de mire, il conjure Baji de s’arrêter dés qu’il aperçoit une, deux, trois ou quatre pierres.
Ils fredonnent ensemble un air connu.
– Un caillou, une pierre.
– Une pierre, un caillou.
Histoire d’ajuster les pierres l’une sur l’autre, d’élever un nouveau point de repère, de commettre l’action méritoire, autant que d’enlever les pierres obstacles sur la piste. Le cairn, ou la tikniout, est une indication précieuse, utile au voyageur. Une pierre sur la piste peut facilement déséquilibrer un véhicule. Exactement de la même façon que le caillou en travers du mejbed, la piste animalière qui t’attire, peut blesser les soles ou provoquer la chute d’un dromadaire.
Moulay Rachid prend la parole.
– Soit conséquent, Baji, on prend le temps. On s’arrête. On pense aux autres, à ceux qui passeront par là après nous, comme ont déjà pensé à nous les anciens.
Dans le feu de l’action, altruiste prévoyant, minéral humain, histoire de reprendre demain son souffle à la pierre, penché au-dessus d’un antique magma refroidi, au sortir de la Tahalgha blanche, forcément, Moulay Rachid apprivoise le Tanezrouft.
Enclaves de l’oued Amded, en circuit fermé à In Hihaou, sables mouvants, orient de la piste de l’erg Chech, extrémité sud du tassili n’Ahnet, voilà une région si changeante, la zone imprévisible qu’il vaut mieux mettre de son côté, avoir pour soi, non pas contre soi, ce qui serait risqué, fatal.
Soyez sur le qui-vive. Souvenez-vous de ces artisans de Gaoua qui pensaient atteindre, sous peu, Tamenghasset et l’assihar, foire au colifichet de ville truculente. Ils vont vite s’égarer aux environs dantesques d’Aderniba, l’oued qui fera bientôt le titre de l’un de leurs plus grands succès qu’ils chantent heureux de l’avoir échappé belle.
Percussionnistes, ils tapent sur les jaunes calebasses claires et rondes, accompagnés d’un instrument à corde, une sorte de gambri, la takamba sur le mode féminin de tihardant, connu sous l’appellation non contrôlée de khomeyssa. En raison de la renommée des cinq targuiates dont fait partie la belle muse, institutrice d’un village ravi de sa beauté, la Takamba du cercle de Gao-Gao qu’elles ont rendu célèbre. Khomeyssa, symbole des cinq doigts de la main de Fadimata.
Cravache, rythme, cavalcade, coup de foudre, respirer le parfum de la mort et revenir à la vie, coiffer alechou, ça inspire, ça amourache.
Mohammed Salah, griot, prédécesseur, leur maître à ces musiciens du Sahel, est enregistré sur une cassette d’Elhassan qui la lance. Elle va tournoyer. A l’étrier, étalon fidèle au poste, Baji magnanime l’attrape au vol. Energique, il la secoue. Elle se débarrasse de ses sables. Il choisit la face B et l’introduit derechef dans le courageux lecteur mal en point. Elle chante, les artisans exultent. Le griot crie l’interjection de son refrain. On entend une musique de linéaments donner le la, trois cordes tendues au travers d’Aderniba sidéral. Tiraillé entre devoir de vitesse et volume du son, le poste-cassette n’a pas dit son dernier mot.
Etourdi, moteur emballé, pour survivre une fois passé au reg, il faut se méfier des traces de véhicules qui peuvent avoir trente ou quarante ans.
Fonce angélique diablesse du sable. Fermez les yeux une fraction de seconde, passagers. Cette sacrée land’over n’en a cure. Elle emboîte les traces. A l’insouciance, comme boire du petit lait, elle sirote une limonade au clapotis du deuxième réservoir. Double carburateur, double pompe à essence, double batterie, quatre amortisseurs renforcés, antibrouillard à moulage chromé, fixé en haut du cadre du pare-brise au-dessus de la portière gauche, projecteur bagué de lumière, une land’over équipée. Avec sa pochette de joints de secours, avec ses outres gonflées et sa bâche qui claque, en cette journée qui file peu banale, automobile désinvolte, elle reste l’incurieuse météore amourachée de Moulay Rachid, d’Elhassan et de Baji qu’elle emporte loin.
Echevellement hirsute, exorable et chevaleresque, l’autotractée gambade. Acrobatie, quinteuse mouvementée, sur sa lancée, elle fait confiance au doigté, au calme, au jugé, au bleuissement et aux réflexes salutaires d’un conducteur chevronné.
Le moteur puéril fait un bruit de bendir. Les roues jouent du kalimba avec les cailloux. Bizarre musiquette d’adolescent boutonneux agrippé au volant. Sans doute, Baji aurait-il préféré écouter le son de la zorna, mini cornemuse saharienne qui tourne la tête de l’étourneau, associé à l’émotion, partie prenante et soliste, au centre du tobol des Ouled Sidi Ahmed qui se rendent chaque année à la ziara d’Aoulef, la visite de Moulay Abdallah qu’ils ne manqueraient pour rien au monde. Qu’il repose en paix. Ce son lancine ses inflexions, sa modulation, il le reconnaîtrait à des kilomètres, comme celui de land’over.
Baji l’époux de la piste flibuste l’inflexion aux aspérités, change de cassette, se redresse, appuie sur le champignon, lève le pied. Du coup, les sens en éveil, le moteur change de régime, ne ronronne plus, chante, désondule, fait ses vocalises.
– Quel port de voix !
Printemps d’une hirondelle, la ritournelle pour un ami chantent l’éveil du galop. Ecouter cette voix, c’est se renforcer à l’évasion, se forger une opinion. En route, le motif mélodique répète à l’unisson instrumental. Il faudrait démoder l’équation, embrayer, étonner, déverrouiller la mécanique.
Vagabond mélodieux, ne te laisse pas dire. Sur le plancher des chamelles, à leur tour, aguichés, sous le châssis, arbre, demi-arbre, double pont, sous la carrosserie, cylindres, pistons, bielles, lubrifiés, rodés en douceur, flanqués à l’arrière de la calandre, circonstanciels et irréductibles, qu’ils regagnent le champ de l’erg, qu’ils chantent en choeur, car ce n’est pas une mince affaire que d’étirer en traverse un désert.
Pâlot, déçu, surchauffé, glissant sur la grève, pris à contre-pieds, projectile détourné, le vent culbute et renonce à freiner le véhicule.
Moulay Rachid improvise son historiette. Elle fait patienter.
Tazidert esserhou nelhanet, conclue-t-il.
La patience est la clef du paradis.
Qui est-tu homme bleu, pierre de lune ou turquoise ?
Je suis un humanoïde qui vit emmitouflé de bleu sur sa tête, toqué et bien aise du bleu qui déteint autour de brunes pupilles. Baume gratifiant touillé sur le visage, étendard tournoyant gribouillé sur les mains, pléthore impossible, le bleu humain dilate le coeur. Ciel, étoile des lèvres, un jour anodin, cri, museau scintillant d’une antilope jamais trop aimée un jour de parade. Sel, piment, au cou se fixe, du bleu, le peu de l’égreneuse poussière de cotonnade. Redoutable piment, beaucoup d’espoir bleuté accentue la vie. Le bleu, il ne troque point : il partage. Indien, il transporte la couleur et partout, il l’emmène substantive.
Alégresse et résurrection du mot noir et bleu, l’indication du mauve, au coude à coude, la voilà, sa force, son secret-lumière,
Bon pied, bon oeil, force tirée d’un bleu itinérant dont il s’acquitte à l’affleurement d’un amour céleste, les épaules frôlant au creux de l’à-pic une fleur de lavande, majesté d’un désert, pour Tin Hinan, Celle des Khaïmas, céphalée du bleu plus bleu que bleu, désormais inscrite en lui, muée à jamais en harangue possédée du reg. Authentique galop du grain de sable, le vrai bleu de la dune glisse sous la patte de velours ongulé, un bleu nominal. Sans se formaliser pour autant, débit pictural de la joute, nuance du coloris endémique, jugulaire, la pigmentation nomadise.
Et toi, prédisposé au périple, Baji, avec ton front et ton menton que barbouille un chèche de coton bleu noir ?
Oui, toi, qui es-tu ?
Debout entre deux tumulus à cratère et chenus, ne serais-tu un pur primate qui s’arrache du présent, un être qui s’arroge la nuit inclinée d’une âme verticale ? Assis en tailleurs au milieu de cercles concentriques de pierres, serais-tu un homme libre d’exprimer une mémoire délibérée ? Tu dis que les tumulus nous sont d’antiques monuments funéraires tandis que les cercles de pierre marquent, sur terre, l’espace et la clameur d’une assemblée fédérée sous la tente de Fatima par son indissociable discours, son futur et ses idées extirpées d’un cocon ourlé de bleu astral.
Marmot coquin qui divulgue sa manière, enfant qui marche d’une drôle de façon, pourquoi cette démarche ?
Par amour, plus que par simple mimétisme, quoi de plus naturel, pour un enfant de chamelle qu’être penché, de plus en plus penché, d’un côté ou de l’autre ? ça lui donne des ailes, Baji s’entraîne à marcher à l’amble, comme atteler carrosse, parcourir les distances, écumer la vague dune, observer, marcher avec nature, mieux trotter à l’angle de vie, chevaucher ensemble, pressentir main dans la main, écouter le craquement d’une selle, prêter une oreille attentive à l’acacia qui claque des doigts à cause du vent frisquet, tapoter des mains sur ses joues, effleurer la craquelure d’un sol altéré et offrir extasié, en guise de salut, caresse, bonté divine, pour cajoler une présence, consoler un infantile partisan et se reconnaître à l’accolade, pour lui, l’amour est aussi vital que le rire.
Au revenir de la nuit, littéralement enduit de bleu, il se lève au matin de quatre heures, pour repartir, enfant courage, à la rencontre des rencontres. Frais et dispos, Baji devine le mot d’esprit, une malice, un regard effronté en guise de réponse.
– Baji, va ton chemin.
– côté de ton ami Moulay Rachid Fortuitement, par monts et merveilles, par temps clair ou lorsque la tempête s’affirme, tu partiras au devant. Tu le sais, ce frère est un fils de naga surnommé l’Eolien, depuis qu’avec une réelle maestria, il orchestra les vents et les amas de sable.
اa lui change les idées à Baji de se dandiner comme un dromadaire, de sentir et de voir ses épaules balancer de droite à gauche, d’une épine d’acacia à l’autre, d’une ornière au logis du faon, exactement comme le font à ravir de pétulantes land-rovers et d’impulsives toyotas. Des 4x4 à châssis court qui balancent latérales, contrairement à celles qui portent le châssis long et qui tanguent imanquablement de l’avant à l’arrière.
Quand il n’est plus temps de s’en retourner, lorsque piste inégale se creuse, gonfle, vide son regard, bombe le torse et se dérobe sous les pneumatiques, un tango, un rap de bon ton, main étourdissante, dédain d’andalouse qui frappe l’imagination, danse soudanaise mordorée, chanson de Nubie et d’Atlas, une voix maure enrouée, sont les bienvenus. Histoire de ne pas rapprocher le danger qui menace.
Déporté, si la tôle ondulée cesse, il ne faut pas se fier au fechfech de catastrophe, ni aux sables réguliers, ni aux touffes sèches. Baji conseille de s’arrimer à la coque, d’attacher la selle au sentiment, de tourner la clé de contact, regarder droit devant soi, faire le premier pas, sourire, prendre son courage à deux mains, humblement, s’en aller mordre la poussière de mica délité, tête toujours pleine de bleu, à bride abattue.
Habitué aux secousses de calèche, Elhassan, en personne, pour l’instant, assis à coté de Baji, s’agrippe, sans appréhension. Il n’a pas peur. Peu s’en faut. A chaque trou, chaque haffra revèche, il se lève une fraction de seconde avant, faisant le même geste que Baji accroché au volant, moitié debout, moitié assis, en suspension. Ni ciel, ni terre, nulle frayeur, en cas de virage, d’obstacle, de vertige au bord du vide, le déraillement n’est point fatidique, semblent prédire les yeux amicaux de Baji.
– Ne t’inquiète pas.
– Le dérapage est contrôlé.
Dans le passé, pour sûr, Baji a déjà fait des tonneaux, à l’oblique, là où s’étire, fatigué, le plateau qui surplombe Timoukten.
Se dirigeant, désappointé, mais pas à contrecoeur, vers ces dépressions plongées au dessous du niveau de la mer qui hantent les suds d’Aoulef, il s’est trop penché. Il culbute, tressaille, s’en sort indemne.
Le plateau volatile du reg ne panse aucune blessure. Avec, au front, un étrange trou de mémoire qui ne dure qu’une nuit, une seule nuit pour un homme averti qui en vaut deux et qui pourtant compte pour du beurre, poussière de sable.
A l’arrière, espèce disparue d’oisillon maigrichon, amateur de tabacs blonds de jardin, cheveu crincrin du genre rasta, comme si de rien n’était, un passager insolite n’a pas bougé de sa place. L’engin a pourtant fait un tour complet sur lui-même. Cigarette toujours fumante entre index et majeur, blasé, trop léger pour ne pas se prévenir, il boude la culbute.
A l’avant, faisant partie de l’équipage, une touriste ayant dû regarder de trop prés la boule du levier de vitesse écope d’un joli oeil gauche au beurre noir. Dans ce désert, on ne met jamais sa ceinture de sécurité. Pourtant ce jour là, par amusement, sans se douter de rien, dans les cinq minutes qui précèdent la voltige, elle imite son voisin de gauche ostensiblement occupé à attacher sa ceinture assis derrière le capot de l’engin cabriolet. Etonnée de l’émerveillement tenace de Baji au son du clic, elle s’attache et la boucle se dérouille.
– Pour être bon chamelier, il vaut mieux ne pas s’adosser à la selle, ni trop se pencher en avant, nous dit Baji.
Coincés entre absolu et terre complice qui défilent, économes détenteurs de vertus inexpugnables, à en rester bleu, au panache, bras levés à mi-hauteur, intuition flagrante ou prescience de bédouin, savamment en équilibre instable, les cavaliers romantiques précèdent l’événement. Extatiques, ils invitent à l’émotion surréaliste.
Conséquence, quand la voiture se soulève, ils sont déjà pratiquement debout. Le choc est amorti par les mollets de ces chameliers d’une monture de fer joliment peinte en vert, comme une voiture du fonds mondial pour la nature, le WWF, ce que laisse à penser l’autocollant panda colé sur les portières de la calèche coquettement recouverte d’une bâche à peine enduite de graisse sur laquelle se fixent, chanceux et épars, grains de sables, particules, des argiles et des micas.
Jusqu’à l’avant du véhicule, au-dessus du pare-brise amovible, les rayons du soleil chancellent. Le châssis court land-rover bâché à l’intégrale, sans toit, ni galerie, peut se camoufler sous une khayma. Il offre le meilleur rapport poids-puissance, action et discrétion. Au moindre poids, équipé du même moteur que celui des longs chassis, l’attelage de chevaux fiscaux lancés au galop, est synonyme de vitesse et de longévité.
Le bas aluminium couleur pâturage, le haut bâche couleur désert, la monture se fait le mime. Il n’y a que les passagers qui font intrusion. Contents de leur sort, ils se doivent d’épouser la piste.
Tintamarre impératif, la noce se fête sept jours pour la première fois, sinon trois jours. Les yeux légèrement bridés, noircis au khôl, sous le chèche noir indigo, enfoncés dans les orbites, placides et attentifs, vous pensez bien que Baji, occupé à discuter, peut communiquer ses états d’âme aux héros de cavalerie. Raconter, bavarder, se confier, ainsi qu’il le fait, ne le fatigue pas. Cela s’explique. à cheval sur les principes, jamais, au grand jamais, ô les grands mots, candide, communicatif, spontané, expansif, quitte à parler pour parler, rieur digne de ce nom, quand le silence pointe le bout du nez, un nomade ne se tait pas.
– Aouallah.
– Tidit anek.
Le silence n’est pas bon. Tu as raison. Invalidant, il plonge dans le sommeil. Résolvant ses paradoxes, sommeil de chaque nuit, n’est-il pas un peu de cette mort qui partage au quotidien notre existence ?
Le silence favorise l’amnésique laisser-aller, l’embardée, le fatalisme et le défaitisme. En un battement de paupière, il atténue l’acuité.
Il n’est pas temps de piquer un somme. Les trois larrons savent que plus on en raconte, plus le temps passe vite et plaisant. Il ne faut pas perdre le fil de la discussion, rater le sens codé de l’image et de l’expression. On pense aux métaphores, à tout et à rien. S’endormir au volant pourrait s’avérer d’un ennui mortel. اa sent l’essence quelque part, ça bruit de ferraille, de portières, d’outils. Concurrence hétéroclite, boulons, écrous, pêle-mêle, fil de fer, jerricanes de métal.
– On ne s’entend plus.
Moulay Rachid fait signe à la fine poussière ambiante de s’éluder. Il lui intime l’ordre d’éviter ses yeux, cligne de l’œil, louche, glisse une larme. Il ajuste le fond de l’horizon au gré mobile du repaire. Monceaux de pierre, il reconnaît les rejems. Et s’il n’y en a point dans sa ligne de mire, il conjure Baji de s’arrêter dés qu’il aperçoit une, deux, trois ou quatre pierres.
Ils fredonnent ensemble un air connu.
– Un caillou, une pierre.
– Une pierre, un caillou.
Histoire d’ajuster les pierres l’une sur l’autre, d’élever un nouveau point de repère, de commettre l’action méritoire, autant que d’enlever les pierres obstacles sur la piste. Le cairn, ou la tikniout, est une indication précieuse, utile au voyageur. Une pierre sur la piste peut facilement déséquilibrer un véhicule. Exactement de la même façon que le caillou en travers du mejbed, la piste animalière qui t’attire, peut blesser les soles ou provoquer la chute d’un dromadaire.
Moulay Rachid prend la parole.
– Soit conséquent, Baji, on prend le temps. On s’arrête. On pense aux autres, à ceux qui passeront par là après nous, comme ont déjà pensé à nous les anciens.
Dans le feu de l’action, altruiste prévoyant, minéral humain, histoire de reprendre demain son souffle à la pierre, penché au-dessus d’un antique magma refroidi, au sortir de la Tahalgha blanche, forcément, Moulay Rachid apprivoise le Tanezrouft.
Enclaves de l’oued Amded, en circuit fermé à In Hihaou, sables mouvants, orient de la piste de l’erg Chech, extrémité sud du tassili n’Ahnet, voilà une région si changeante, la zone imprévisible qu’il vaut mieux mettre de son côté, avoir pour soi, non pas contre soi, ce qui serait risqué, fatal.
Soyez sur le qui-vive. Souvenez-vous de ces artisans de Gaoua qui pensaient atteindre, sous peu, Tamenghasset et l’assihar, foire au colifichet de ville truculente. Ils vont vite s’égarer aux environs dantesques d’Aderniba, l’oued qui fera bientôt le titre de l’un de leurs plus grands succès qu’ils chantent heureux de l’avoir échappé belle.
Percussionnistes, ils tapent sur les jaunes calebasses claires et rondes, accompagnés d’un instrument à corde, une sorte de gambri, la takamba sur le mode féminin de tihardant, connu sous l’appellation non contrôlée de khomeyssa. En raison de la renommée des cinq targuiates dont fait partie la belle muse, institutrice d’un village ravi de sa beauté, la Takamba du cercle de Gao-Gao qu’elles ont rendu célèbre. Khomeyssa, symbole des cinq doigts de la main de Fadimata.
Cravache, rythme, cavalcade, coup de foudre, respirer le parfum de la mort et revenir à la vie, coiffer alechou, ça inspire, ça amourache.
Mohammed Salah, griot, prédécesseur, leur maître à ces musiciens du Sahel, est enregistré sur une cassette d’Elhassan qui la lance. Elle va tournoyer. A l’étrier, étalon fidèle au poste, Baji magnanime l’attrape au vol. Energique, il la secoue. Elle se débarrasse de ses sables. Il choisit la face B et l’introduit derechef dans le courageux lecteur mal en point. Elle chante, les artisans exultent. Le griot crie l’interjection de son refrain. On entend une musique de linéaments donner le la, trois cordes tendues au travers d’Aderniba sidéral. Tiraillé entre devoir de vitesse et volume du son, le poste-cassette n’a pas dit son dernier mot.
Etourdi, moteur emballé, pour survivre une fois passé au reg, il faut se méfier des traces de véhicules qui peuvent avoir trente ou quarante ans.
Fonce angélique diablesse du sable. Fermez les yeux une fraction de seconde, passagers. Cette sacrée land’over n’en a cure. Elle emboîte les traces. A l’insouciance, comme boire du petit lait, elle sirote une limonade au clapotis du deuxième réservoir. Double carburateur, double pompe à essence, double batterie, quatre amortisseurs renforcés, antibrouillard à moulage chromé, fixé en haut du cadre du pare-brise au-dessus de la portière gauche, projecteur bagué de lumière, une land’over équipée. Avec sa pochette de joints de secours, avec ses outres gonflées et sa bâche qui claque, en cette journée qui file peu banale, automobile désinvolte, elle reste l’incurieuse météore amourachée de Moulay Rachid, d’Elhassan et de Baji qu’elle emporte loin.
Echevellement hirsute, exorable et chevaleresque, l’autotractée gambade. Acrobatie, quinteuse mouvementée, sur sa lancée, elle fait confiance au doigté, au calme, au jugé, au bleuissement et aux réflexes salutaires d’un conducteur chevronné.
Le moteur puéril fait un bruit de bendir. Les roues jouent du kalimba avec les cailloux. Bizarre musiquette d’adolescent boutonneux agrippé au volant. Sans doute, Baji aurait-il préféré écouter le son de la zorna, mini cornemuse saharienne qui tourne la tête de l’étourneau, associé à l’émotion, partie prenante et soliste, au centre du tobol des Ouled Sidi Ahmed qui se rendent chaque année à la ziara d’Aoulef, la visite de Moulay Abdallah qu’ils ne manqueraient pour rien au monde. Qu’il repose en paix. Ce son lancine ses inflexions, sa modulation, il le reconnaîtrait à des kilomètres, comme celui de land’over.
Baji l’époux de la piste flibuste l’inflexion aux aspérités, change de cassette, se redresse, appuie sur le champignon, lève le pied. Du coup, les sens en éveil, le moteur change de régime, ne ronronne plus, chante, désondule, fait ses vocalises.
– Quel port de voix !
Printemps d’une hirondelle, la ritournelle pour un ami chantent l’éveil du galop. Ecouter cette voix, c’est se renforcer à l’évasion, se forger une opinion. En route, le motif mélodique répète à l’unisson instrumental. Il faudrait démoder l’équation, embrayer, étonner, déverrouiller la mécanique.
Vagabond mélodieux, ne te laisse pas dire. Sur le plancher des chamelles, à leur tour, aguichés, sous le châssis, arbre, demi-arbre, double pont, sous la carrosserie, cylindres, pistons, bielles, lubrifiés, rodés en douceur, flanqués à l’arrière de la calandre, circonstanciels et irréductibles, qu’ils regagnent le champ de l’erg, qu’ils chantent en choeur, car ce n’est pas une mince affaire que d’étirer en traverse un désert.
Pâlot, déçu, surchauffé, glissant sur la grève, pris à contre-pieds, projectile détourné, le vent culbute et renonce à freiner le véhicule.
Moulay Rachid improvise son historiette. Elle fait patienter.
Tazidert esserhou nelhanet, conclue-t-il.
La patience est la clef du paradis.
KAMEL- Invité
Re: Abdessalam Idriss-tunisie
Merci pour cette découverteKAMEL a écrit:Qui est-tu homme bleu ?
Qui est-tu homme bleu, pierre de lune ou turquoise ?
Je suis un humanoïde qui vit emmitouflé de bleu sur sa tête, toqué et bien aise du bleu qui déteint autour de brunes pupilles. Baume gratifiant touillé sur le visage, étendard tournoyant gribouillé sur les mains, pléthore impossible, le bleu humain dilate le coeur. Ciel, étoile des lèvres, un jour anodin, cri, museau scintillant d’une antilope jamais trop aimée un jour de parade. Sel, piment, au cou se fixe, du bleu, le peu de l’égreneuse poussière de cotonnade. Redoutable piment, beaucoup d’espoir bleuté accentue la vie. Le bleu, il ne troque point : il partage. Indien, il transporte la couleur et partout, il l’emmène substantive.
Alégresse et résurrection du mot noir et bleu, l’indication du mauve, au coude à coude, la voilà, sa force, son secret-lumière,
Bon pied, bon oeil, force tirée d’un bleu itinérant dont il s’acquitte à l’affleurement d’un amour céleste, les épaules frôlant au creux de l’à-pic une fleur de lavande, majesté d’un désert, pour Tin Hinan, Celle des Khaïmas, céphalée du bleu plus bleu que bleu, désormais inscrite en lui, muée à jamais en harangue possédée du reg. Authentique galop du grain de sable, le vrai bleu de la dune glisse sous la patte de velours ongulé, un bleu nominal. Sans se formaliser pour autant, débit pictural de la joute, nuance du coloris endémique, jugulaire, la pigmentation nomadise.
Et toi, prédisposé au périple, Baji, avec ton front et ton menton que barbouille un chèche de coton bleu noir ?
Oui, toi, qui es-tu ?
Debout entre deux tumulus à cratère et chenus, ne serais-tu un pur primate qui s’arrache du présent, un être qui s’arroge la nuit inclinée d’une âme verticale ? Assis en tailleurs au milieu de cercles concentriques de pierres, serais-tu un homme libre d’exprimer une mémoire délibérée ? Tu dis que les tumulus nous sont d’antiques monuments funéraires tandis que les cercles de pierre marquent, sur terre, l’espace et la clameur d’une assemblée fédérée sous la tente de Fatima par son indissociable discours, son futur et ses idées extirpées d’un cocon ourlé de bleu astral.
Marmot coquin qui divulgue sa manière, enfant qui marche d’une drôle de façon, pourquoi cette démarche ?
Par amour, plus que par simple mimétisme, quoi de plus naturel, pour un enfant de chamelle qu’être penché, de plus en plus penché, d’un côté ou de l’autre ? ça lui donne des ailes, Baji s’entraîne à marcher à l’amble, comme atteler carrosse, parcourir les distances, écumer la vague dune, observer, marcher avec nature, mieux trotter à l’angle de vie, chevaucher ensemble, pressentir main dans la main, écouter le craquement d’une selle, prêter une oreille attentive à l’acacia qui claque des doigts à cause du vent frisquet, tapoter des mains sur ses joues, effleurer la craquelure d’un sol altéré et offrir extasié, en guise de salut, caresse, bonté divine, pour cajoler une présence, consoler un infantile partisan et se reconnaître à l’accolade, pour lui, l’amour est aussi vital que le rire.
Au revenir de la nuit, littéralement enduit de bleu, il se lève au matin de quatre heures, pour repartir, enfant courage, à la rencontre des rencontres. Frais et dispos, Baji devine le mot d’esprit, une malice, un regard effronté en guise de réponse.
– Baji, va ton chemin.
– côté de ton ami Moulay Rachid Fortuitement, par monts et merveilles, par temps clair ou lorsque la tempête s’affirme, tu partiras au devant. Tu le sais, ce frère est un fils de naga surnommé l’Eolien, depuis qu’avec une réelle maestria, il orchestra les vents et les amas de sable.
اa lui change les idées à Baji de se dandiner comme un dromadaire, de sentir et de voir ses épaules balancer de droite à gauche, d’une épine d’acacia à l’autre, d’une ornière au logis du faon, exactement comme le font à ravir de pétulantes land-rovers et d’impulsives toyotas. Des 4x4 à châssis court qui balancent latérales, contrairement à celles qui portent le châssis long et qui tanguent imanquablement de l’avant à l’arrière.
Quand il n’est plus temps de s’en retourner, lorsque piste inégale se creuse, gonfle, vide son regard, bombe le torse et se dérobe sous les pneumatiques, un tango, un rap de bon ton, main étourdissante, dédain d’andalouse qui frappe l’imagination, danse soudanaise mordorée, chanson de Nubie et d’Atlas, une voix maure enrouée, sont les bienvenus. Histoire de ne pas rapprocher le danger qui menace.
Déporté, si la tôle ondulée cesse, il ne faut pas se fier au fechfech de catastrophe, ni aux sables réguliers, ni aux touffes sèches. Baji conseille de s’arrimer à la coque, d’attacher la selle au sentiment, de tourner la clé de contact, regarder droit devant soi, faire le premier pas, sourire, prendre son courage à deux mains, humblement, s’en aller mordre la poussière de mica délité, tête toujours pleine de bleu, à bride abattue.
Habitué aux secousses de calèche, Elhassan, en personne, pour l’instant, assis à coté de Baji, s’agrippe, sans appréhension. Il n’a pas peur. Peu s’en faut. A chaque trou, chaque haffra revèche, il se lève une fraction de seconde avant, faisant le même geste que Baji accroché au volant, moitié debout, moitié assis, en suspension. Ni ciel, ni terre, nulle frayeur, en cas de virage, d’obstacle, de vertige au bord du vide, le déraillement n’est point fatidique, semblent prédire les yeux amicaux de Baji.
– Ne t’inquiète pas.
– Le dérapage est contrôlé.
Dans le passé, pour sûr, Baji a déjà fait des tonneaux, à l’oblique, là où s’étire, fatigué, le plateau qui surplombe Timoukten.
Se dirigeant, désappointé, mais pas à contrecoeur, vers ces dépressions plongées au dessous du niveau de la mer qui hantent les suds d’Aoulef, il s’est trop penché. Il culbute, tressaille, s’en sort indemne.
Le plateau volatile du reg ne panse aucune blessure. Avec, au front, un étrange trou de mémoire qui ne dure qu’une nuit, une seule nuit pour un homme averti qui en vaut deux et qui pourtant compte pour du beurre, poussière de sable.
A l’arrière, espèce disparue d’oisillon maigrichon, amateur de tabacs blonds de jardin, cheveu crincrin du genre rasta, comme si de rien n’était, un passager insolite n’a pas bougé de sa place. L’engin a pourtant fait un tour complet sur lui-même. Cigarette toujours fumante entre index et majeur, blasé, trop léger pour ne pas se prévenir, il boude la culbute.
A l’avant, faisant partie de l’équipage, une touriste ayant dû regarder de trop prés la boule du levier de vitesse écope d’un joli oeil gauche au beurre noir. Dans ce désert, on ne met jamais sa ceinture de sécurité. Pourtant ce jour là, par amusement, sans se douter de rien, dans les cinq minutes qui précèdent la voltige, elle imite son voisin de gauche ostensiblement occupé à attacher sa ceinture assis derrière le capot de l’engin cabriolet. Etonnée de l’émerveillement tenace de Baji au son du clic, elle s’attache et la boucle se dérouille.
– Pour être bon chamelier, il vaut mieux ne pas s’adosser à la selle, ni trop se pencher en avant, nous dit Baji.
Coincés entre absolu et terre complice qui défilent, économes détenteurs de vertus inexpugnables, à en rester bleu, au panache, bras levés à mi-hauteur, intuition flagrante ou prescience de bédouin, savamment en équilibre instable, les cavaliers romantiques précèdent l’événement. Extatiques, ils invitent à l’émotion surréaliste.
Conséquence, quand la voiture se soulève, ils sont déjà pratiquement debout. Le choc est amorti par les mollets de ces chameliers d’une monture de fer joliment peinte en vert, comme une voiture du fonds mondial pour la nature, le WWF, ce que laisse à penser l’autocollant panda colé sur les portières de la calèche coquettement recouverte d’une bâche à peine enduite de graisse sur laquelle se fixent, chanceux et épars, grains de sables, particules, des argiles et des micas.
Jusqu’à l’avant du véhicule, au-dessus du pare-brise amovible, les rayons du soleil chancellent. Le châssis court land-rover bâché à l’intégrale, sans toit, ni galerie, peut se camoufler sous une khayma. Il offre le meilleur rapport poids-puissance, action et discrétion. Au moindre poids, équipé du même moteur que celui des longs chassis, l’attelage de chevaux fiscaux lancés au galop, est synonyme de vitesse et de longévité.
Le bas aluminium couleur pâturage, le haut bâche couleur désert, la monture se fait le mime. Il n’y a que les passagers qui font intrusion. Contents de leur sort, ils se doivent d’épouser la piste.
Tintamarre impératif, la noce se fête sept jours pour la première fois, sinon trois jours. Les yeux légèrement bridés, noircis au khôl, sous le chèche noir indigo, enfoncés dans les orbites, placides et attentifs, vous pensez bien que Baji, occupé à discuter, peut communiquer ses états d’âme aux héros de cavalerie. Raconter, bavarder, se confier, ainsi qu’il le fait, ne le fatigue pas. Cela s’explique. à cheval sur les principes, jamais, au grand jamais, ô les grands mots, candide, communicatif, spontané, expansif, quitte à parler pour parler, rieur digne de ce nom, quand le silence pointe le bout du nez, un nomade ne se tait pas.
– Aouallah.
– Tidit anek.
Le silence n’est pas bon. Tu as raison. Invalidant, il plonge dans le sommeil. Résolvant ses paradoxes, sommeil de chaque nuit, n’est-il pas un peu de cette mort qui partage au quotidien notre existence ?
Le silence favorise l’amnésique laisser-aller, l’embardée, le fatalisme et le défaitisme. En un battement de paupière, il atténue l’acuité.
Il n’est pas temps de piquer un somme. Les trois larrons savent que plus on en raconte, plus le temps passe vite et plaisant. Il ne faut pas perdre le fil de la discussion, rater le sens codé de l’image et de l’expression. On pense aux métaphores, à tout et à rien. S’endormir au volant pourrait s’avérer d’un ennui mortel. اa sent l’essence quelque part, ça bruit de ferraille, de portières, d’outils. Concurrence hétéroclite, boulons, écrous, pêle-mêle, fil de fer, jerricanes de métal.
– On ne s’entend plus.
Moulay Rachid fait signe à la fine poussière ambiante de s’éluder. Il lui intime l’ordre d’éviter ses yeux, cligne de l’œil, louche, glisse une larme. Il ajuste le fond de l’horizon au gré mobile du repaire. Monceaux de pierre, il reconnaît les rejems. Et s’il n’y en a point dans sa ligne de mire, il conjure Baji de s’arrêter dés qu’il aperçoit une, deux, trois ou quatre pierres.
Ils fredonnent ensemble un air connu.
– Un caillou, une pierre.
– Une pierre, un caillou.
Histoire d’ajuster les pierres l’une sur l’autre, d’élever un nouveau point de repère, de commettre l’action méritoire, autant que d’enlever les pierres obstacles sur la piste. Le cairn, ou la tikniout, est une indication précieuse, utile au voyageur. Une pierre sur la piste peut facilement déséquilibrer un véhicule. Exactement de la même façon que le caillou en travers du mejbed, la piste animalière qui t’attire, peut blesser les soles ou provoquer la chute d’un dromadaire.
Moulay Rachid prend la parole.
– Soit conséquent, Baji, on prend le temps. On s’arrête. On pense aux autres, à ceux qui passeront par là après nous, comme ont déjà pensé à nous les anciens.
Dans le feu de l’action, altruiste prévoyant, minéral humain, histoire de reprendre demain son souffle à la pierre, penché au-dessus d’un antique magma refroidi, au sortir de la Tahalgha blanche, forcément, Moulay Rachid apprivoise le Tanezrouft.
Enclaves de l’oued Amded, en circuit fermé à In Hihaou, sables mouvants, orient de la piste de l’erg Chech, extrémité sud du tassili n’Ahnet, voilà une région si changeante, la zone imprévisible qu’il vaut mieux mettre de son côté, avoir pour soi, non pas contre soi, ce qui serait risqué, fatal.
Soyez sur le qui-vive. Souvenez-vous de ces artisans de Gaoua qui pensaient atteindre, sous peu, Tamenghasset et l’assihar, foire au colifichet de ville truculente. Ils vont vite s’égarer aux environs dantesques d’Aderniba, l’oued qui fera bientôt le titre de l’un de leurs plus grands succès qu’ils chantent heureux de l’avoir échappé belle.
Percussionnistes, ils tapent sur les jaunes calebasses claires et rondes, accompagnés d’un instrument à corde, une sorte de gambri, la takamba sur le mode féminin de tihardant, connu sous l’appellation non contrôlée de khomeyssa. En raison de la renommée des cinq targuiates dont fait partie la belle muse, institutrice d’un village ravi de sa beauté, la Takamba du cercle de Gao-Gao qu’elles ont rendu célèbre. Khomeyssa, symbole des cinq doigts de la main de Fadimata.
Cravache, rythme, cavalcade, coup de foudre, respirer le parfum de la mort et revenir à la vie, coiffer alechou, ça inspire, ça amourache.
Mohammed Salah, griot, prédécesseur, leur maître à ces musiciens du Sahel, est enregistré sur une cassette d’Elhassan qui la lance. Elle va tournoyer. A l’étrier, étalon fidèle au poste, Baji magnanime l’attrape au vol. Energique, il la secoue. Elle se débarrasse de ses sables. Il choisit la face B et l’introduit derechef dans le courageux lecteur mal en point. Elle chante, les artisans exultent. Le griot crie l’interjection de son refrain. On entend une musique de linéaments donner le la, trois cordes tendues au travers d’Aderniba sidéral. Tiraillé entre devoir de vitesse et volume du son, le poste-cassette n’a pas dit son dernier mot.
Etourdi, moteur emballé, pour survivre une fois passé au reg, il faut se méfier des traces de véhicules qui peuvent avoir trente ou quarante ans.
Fonce angélique diablesse du sable. Fermez les yeux une fraction de seconde, passagers. Cette sacrée land’over n’en a cure. Elle emboîte les traces. A l’insouciance, comme boire du petit lait, elle sirote une limonade au clapotis du deuxième réservoir. Double carburateur, double pompe à essence, double batterie, quatre amortisseurs renforcés, antibrouillard à moulage chromé, fixé en haut du cadre du pare-brise au-dessus de la portière gauche, projecteur bagué de lumière, une land’over équipée. Avec sa pochette de joints de secours, avec ses outres gonflées et sa bâche qui claque, en cette journée qui file peu banale, automobile désinvolte, elle reste l’incurieuse météore amourachée de Moulay Rachid, d’Elhassan et de Baji qu’elle emporte loin.
Echevellement hirsute, exorable et chevaleresque, l’autotractée gambade. Acrobatie, quinteuse mouvementée, sur sa lancée, elle fait confiance au doigté, au calme, au jugé, au bleuissement et aux réflexes salutaires d’un conducteur chevronné.
Le moteur puéril fait un bruit de bendir. Les roues jouent du kalimba avec les cailloux. Bizarre musiquette d’adolescent boutonneux agrippé au volant. Sans doute, Baji aurait-il préféré écouter le son de la zorna, mini cornemuse saharienne qui tourne la tête de l’étourneau, associé à l’émotion, partie prenante et soliste, au centre du tobol des Ouled Sidi Ahmed qui se rendent chaque année à la ziara d’Aoulef, la visite de Moulay Abdallah qu’ils ne manqueraient pour rien au monde. Qu’il repose en paix. Ce son lancine ses inflexions, sa modulation, il le reconnaîtrait à des kilomètres, comme celui de land’over.
Baji l’époux de la piste flibuste l’inflexion aux aspérités, change de cassette, se redresse, appuie sur le champignon, lève le pied. Du coup, les sens en éveil, le moteur change de régime, ne ronronne plus, chante, désondule, fait ses vocalises.
– Quel port de voix !
Printemps d’une hirondelle, la ritournelle pour un ami chantent l’éveil du galop. Ecouter cette voix, c’est se renforcer à l’évasion, se forger une opinion. En route, le motif mélodique répète à l’unisson instrumental. Il faudrait démoder l’équation, embrayer, étonner, déverrouiller la mécanique.
Vagabond mélodieux, ne te laisse pas dire. Sur le plancher des chamelles, à leur tour, aguichés, sous le châssis, arbre, demi-arbre, double pont, sous la carrosserie, cylindres, pistons, bielles, lubrifiés, rodés en douceur, flanqués à l’arrière de la calandre, circonstanciels et irréductibles, qu’ils regagnent le champ de l’erg, qu’ils chantent en choeur, car ce n’est pas une mince affaire que d’étirer en traverse un désert.
Pâlot, déçu, surchauffé, glissant sur la grève, pris à contre-pieds, projectile détourné, le vent culbute et renonce à freiner le véhicule.
Moulay Rachid improvise son historiette. Elle fait patienter.
Tazidert esserhou nelhanet, conclue-t-il.
La patience est la clef du paradis.
Yonlihinza Amadou- Nombre de messages : 432
Date d'inscription : 26/06/2008
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