La langue de ma mère:Abdellatif Laâbi
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La langue de ma mère:Abdellatif Laâbi
Poème du Maroc:
La langue de ma mère
Je n'ai pas vu ma mère depuis vingt ans
Elle s'est laissée mourir de faim
On raconte qu'elle enlevait chaque matin
son foulard de tête
et frappait sept fois le sol
en maudissant le ciel et le Tyran
J'étais dans la caverne
là où le forçat lit dans les ombres
et peint sur les parois le bestiaire de l'avenir
Je n'ai pas vu ma mère depuis vingt ans
Elle m'a laissé un service à café chinois
dont les tasses se cassent une à une
sans que je les regrette tant elles sont laides
Mais je n'en aime que plus le café
Aujourd'hui, quand je suis seul
j'emprunte la voix de ma mère
ou plutôt c'est elle qui parle dans ma bouche
avec ses jurons, ses grossièretés et ses imprécations
le chapelet introuvable de ses diminutifs
toute l'espèce menacée de ses mots
Je n'ai pas vu ma mère depuis vingt ans
mais je suis le dernier homme
à parler encore sa langue
Abdellatif Laâbi
La langue de ma mère
Je n'ai pas vu ma mère depuis vingt ans
Elle s'est laissée mourir de faim
On raconte qu'elle enlevait chaque matin
son foulard de tête
et frappait sept fois le sol
en maudissant le ciel et le Tyran
J'étais dans la caverne
là où le forçat lit dans les ombres
et peint sur les parois le bestiaire de l'avenir
Je n'ai pas vu ma mère depuis vingt ans
Elle m'a laissé un service à café chinois
dont les tasses se cassent une à une
sans que je les regrette tant elles sont laides
Mais je n'en aime que plus le café
Aujourd'hui, quand je suis seul
j'emprunte la voix de ma mère
ou plutôt c'est elle qui parle dans ma bouche
avec ses jurons, ses grossièretés et ses imprécations
le chapelet introuvable de ses diminutifs
toute l'espèce menacée de ses mots
Je n'ai pas vu ma mère depuis vingt ans
mais je suis le dernier homme
à parler encore sa langue
Abdellatif Laâbi
firdaws- Nombre de messages : 930
Humeur : joie de vie !
Date d'inscription : 21/05/2008
La langue de ma mère
Le temps et la distance rendent parents et enfants étrangers ..............le temps transporte dans ses ailes le pardon et la compassion ....
Merci firdaws pour ce partage dur mais si bien retranscrit
Amitiés
nelly
Merci firdaws pour ce partage dur mais si bien retranscrit
Amitiés
nelly
Nelly- Nombre de messages : 210
loisirs : l'écriture, la lecture
Humeur : dynamique, spontanée, joviale
Date d'inscription : 25/09/2009
Re: La langue de ma mère:Abdellatif Laâbi
Merci ma Nelly pour le partage.
firdaws- Nombre de messages : 930
Humeur : joie de vie !
Date d'inscription : 21/05/2008
Gens de Madrid, pardon!Abdellatif Laâbi
Gens de Madrid,
pardon!
Abdellatif Laâbi
Ay
qué día tan triste en Madrid !
Qu’on se le dise
la terre n’a pas tremblé
ce jour-là
Nul astéroïde vagabond
ne s’est écrasé sur la Bourse
Pas de
nouvelle marée noire
et la précédente allait bientôt
être traitée dans les
urnes
La télévision aboyait, miaulait, caquetait
stridulait, croassait,
brayait, blablatait
Les footballeurs s’étaient mis au vert
Les taureaux
paissaient
Les écrivains faisaient la grasse matinée
Le moustachu
polissait son sermon d’adieu
Le serial killer
s’était donné un temps de
réflexion
et Dieu le père ou la mère
était comme à l’accoutumée
aux
abonnés absents
Qu’on se le dise
le temps s’est brusquement figé
puis il y eut cette
sonnerie anodine
perdue parmi la cacophonie des sonneries
Maudits soient
les portables
sur la terre comme au ciel !
Quelques secondes
et la
digue de la raison a cédé
la chaîne de l’espèce humaine s’est rompue
Ay
qué día tan triste en Madrid !
Les héritiers obligés que nous sommes
de toutes les andalousies
de
toutes les lumières
De tous les génocides
de toutes les
ténèbres
Hébétés
ridicules
Comme des rats
pris au piège de
l’impuissance
Pour la millième fois
cherchant à comprendre
alors qu’on
a cru avoir compris
la dernière fois
Les savants viennent de révéler
que l’Univers ne serait plus en
expansion
A l’inverse
les candides que nous sommes
feignent de
découvrir
que le sadisme de l’homme est illimité
Crevant les yeux
le gouffre insondable du mal
Alors plongeons-y
ne
serait-ce que pour éprouver
une infime parcelle du calvaire
des nouveaux
arrivants
au bal masqué de l’horreur
là où la chair et l’âme sont
fourguées
dans le crématorium d’un cercle de l’enfer
que nul texte
inimitable
ne nous a signalé
Messieurs les assassins
vous pouvez pavoiser
Spéculateurs émérites,
vous avez acquis à vil prix le champ incommensurable des misères, des
injustices, de l’humiliation, du désespoir, et vous l’avez amplement
fructifié.
La technologie des satans abhorrés n’a plus de secrets pour
vous.
Ne comptent pour vous ni la religion, ni la couleur, ni le sexe. Toutes
les marionnettes se valent. Il suffit de ne pas être couché dans une tombe pour
être le premier servi.
Vous êtes passés maîtres dans l’art de tirer les
ficelles de la haine pour repérer, désigner, traquer, coincer et régler son
compte au premier quidam conscient ou inconscient du risque de simplement
exister.
Qu’il mange, qu’il soit debout ou couché, qu’il fasse sa prière,
qu’il remue des idées dans sa tête ou se rende à son travail la tête vide, qu’il
caresse la joue de son enfant ou cueille une fleur, qu’il écoute une musique lui
rappelant la terre de ses origines ou la rencontre qui a changé le cours de sa
vie, qu’il écrive un poème ou remplisse sa feuille d’impôts, qu’il parle au
téléphone avec un plombier ou à sa mère alitée dans un hôpital, qu’il lise un
livre de Gabriel García Marquez ou un prospectus de pizzeria, qu’il s’ébroue
sous la douche ou s’ennuie aux toilettes, le caleçon coincé entre les genoux,
qu’il ouvre son cœur à son voisin dans le bus ou baisse les yeux devant le
regard insistant de son vis-à-vis, qu’il empoigne sa valise avant de monter dans
un train ou coure dans les couloirs kafkaïens d’un hôtel de luxe ou de merde,
qu’il vienne d’apprendre que son hépatite C ne lui laisse que quelques mois à
vivre ou tâte sa poche pour s’assurer que son portefeuille est bien là, qu’il se
rende à un entretien d’emploi ou peigne une banderole pour la manifestation du
lendemain, qu’il se gratte les couilles ou tape du poing sur la table, qu’il
aime la compagnie des chiens ou celle des chats, qu’il soit déjà homme, femme,
ou encore à cet âge béni où l’ange n’a pas vraiment de sexe et surtout pas
d’ailes
Toutes les marionnettes se valent. Il suffit de ne pas être couché
dans une tombe pour être le premier servi.
O doux enfant
est-ce pour cela
que tu criais
à t’écorcher les poumons
au moment de naître ?
Messieurs les assassins
On dit que vous faites bien fonctionner vos
méninges. Alors, puis-je vous poser une question simple :
C’est quoi pour
vous un être humain ?
Pourquoi ce silence ? Répondez-moi !
Ah je devine
votre rictus méprisant et j’imagine la bulle que vous laissez échapper par
inadvertance de vos lèvres blêmes. J’y vois un petit insecte sur lequel s’abat
un poing velu, et en guise de commentaire cette exclamation : Ça lui apprendra
!
C’est vrai, et je continue à sonder vos pensées, que cet insecte nuisible a
été enfanté par l’être qui vous donne des sueurs froides et que vous vous
évertuez à avilir en appliquant à la lettre le principe de précaution : j’ai
nommé la femme, pardonnez-moi l’expression. Je devine votre peur et votre
dégoût, l’horreur que vous inspire l’avènement de la vie quand, après les
ahanements et les cris de la parturiente, la tête visqueuse de l’enfant se
libère du conduit immonde que vous avez été bien obligés de labourer et, comble
de la déveine, d’ensemencer. Vous ne vous pardonnerez jamais d’être passés par
là. C’est pourquoi la mort est votre unique passion. Pour elle vous rougissez,
pâlissez. Votre cœur palpite. Vous défaillez. Et quand vous l’avez célébrée,
vous vous voyez frappant à la porte de je ne sais quel Eden où des délices
perverses, avouez-le, vous ont été promises.
Ay qué día tan triste en Madrid !
Qu’on se le dise
C’est à Rabat,
Alger, Le Caire, Bagdad
qu’on devrait le plus se lamenter
de ne pas savoir
que penser
de ne pas savoir que dire
de ne pas savoir que faire
Les
héritiers obligés que nous sommes
d’un âge d’or livré aux pleureuses
De
tant de rêves avortés
de tant d’avanies
de tant de
tyrannies
Hébétés
ridicules
rongés de l’intérieur
par la bête
immonde
que nous avons pris l’habitude
de renvoyer d’un coup de pied
à
la figure de l’Autre
Responsables ? Coupables ?
Victimes tout aussi
bien
des bourreaux que nous excrétons
comme le foie sécrète la
bile
Cycliquement écrasés, annihilés
par les potentats que nous exécrons
et adorons
parfois luttant
avec la force de l’espoir et du
désespoir
pour que nos descendants
puissent croire peut-être un
jour
qu’avant la mort
il y a ce qu’une vieille rumeur nomme
vie :
un
fleuve maternel
où il fait bon se baigner
de jour
de nuit
En toutes
saisons belles
et prometteuses
Seul miracle
sans trucage
Gens de Madrid
que vos morts reposent en paix
De la graine sacrée de la
vie
déposée en eux
aucun d’eux n’a démérité
Comme tout un chacun, ils
ont abrité le souffle qui anime l’Univers et la Création. Chaque atome de leur
corps a vibré et tourné autour du soleil intérieur qui a illuminé leur chemin.
Leur voyage fut le nôtre, et notre voyage sera dorénavant le leur. Nous
continuerons à rêver dans leurs rêves, à nous écorcher l’âme dans leurs
écorchures, à nous interroger dans leurs interrogations, à aimer dans leurs
amours, à caresser la lumière dans leurs caresses, à nous émerveiller dans leurs
émerveillements. Nous continuerons même à faiblir de leurs faiblesses, à nous
enfermer dans leurs enfermements. Nous ne négligerons ni les œillères ni les
petites lâchetés. Nous prendrons à notre compte leur part d’intolérance, de
bêtise et d’indifférence car nous ne sommes que leurs frères et sœurs humains,
rien qu’humains. Mais nous tâcherons de résister encore mieux dans leur
résistance, nous alimenterons le feu vacillant de notre mémoire avec le charbon
cuisant de leur mémoire.
Gens de Madrid
puisque personne n’a pensé
à vous demander
pardon
c’est moi qui le ferai
Moi ! Qui est moi ? Mon nom ne vous dira
rien
Pourquoi je le fais ? Peu importe
Le cri précède la parole
qui
parfois précède la pensée
Et puis le cœur a ses raisons
que l’esprit
parfois ignore
Alors pardon, gens de Madrid
Pardon de ces nuits à venir
blanches ou
grises
où l’être cher
reviendra en fantôme menaçant
vous reprocher de
lui avoir survécu
Pardon pour la main
qui n’a pas été retrouvée
Pour
l’anneau de mariage calciné
la boîte de maquillage ouverte
utilisée au
dernier instant
Pardon pour les chaussures intactes
et le soutien-gorge
fleurant encore bon
la vanille ou la rose
Pardon pour les amants au cœur
d’androgyne
coupé en deux
Pour le rire électrocuté des enfants
Pardon
pour les mères de la future place
du 11-Mars
Pardon pour le silence de mes
frères
pour ne pas dire leur indifférence
Pardon pour ce que certains
d’entre eux
pensent tout bas
Pardon de ne pas avoir fait plus et
mieux
contre le loup qui décime
ma propre bergerie
Pardon de ne pas
avoir appris suffisamment
votre langue
pour m’adresser à vous dans le
meilleur castillan
Pardon à Lorca, Machado, Hernandez
de ne pas les avoir
fait lire à mes enfants
Pardon pour les lacunes et les incantations
Pour
les yeux secs de la compassion
Pardon du peu que les mots peuvent
disent à
moitié
et souvent ne savent pas
mais s’il vous plaît
pardon
Créteil-Francfort, 16-24 mars 2004
pardon!
Abdellatif Laâbi
Ay
qué día tan triste en Madrid !
Qu’on se le dise
la terre n’a pas tremblé
ce jour-là
Nul astéroïde vagabond
ne s’est écrasé sur la Bourse
Pas de
nouvelle marée noire
et la précédente allait bientôt
être traitée dans les
urnes
La télévision aboyait, miaulait, caquetait
stridulait, croassait,
brayait, blablatait
Les footballeurs s’étaient mis au vert
Les taureaux
paissaient
Les écrivains faisaient la grasse matinée
Le moustachu
polissait son sermon d’adieu
Le serial killer
s’était donné un temps de
réflexion
et Dieu le père ou la mère
était comme à l’accoutumée
aux
abonnés absents
Qu’on se le dise
le temps s’est brusquement figé
puis il y eut cette
sonnerie anodine
perdue parmi la cacophonie des sonneries
Maudits soient
les portables
sur la terre comme au ciel !
Quelques secondes
et la
digue de la raison a cédé
la chaîne de l’espèce humaine s’est rompue
Ay
qué día tan triste en Madrid !
Les héritiers obligés que nous sommes
de toutes les andalousies
de
toutes les lumières
De tous les génocides
de toutes les
ténèbres
Hébétés
ridicules
Comme des rats
pris au piège de
l’impuissance
Pour la millième fois
cherchant à comprendre
alors qu’on
a cru avoir compris
la dernière fois
Les savants viennent de révéler
que l’Univers ne serait plus en
expansion
A l’inverse
les candides que nous sommes
feignent de
découvrir
que le sadisme de l’homme est illimité
Crevant les yeux
le gouffre insondable du mal
Alors plongeons-y
ne
serait-ce que pour éprouver
une infime parcelle du calvaire
des nouveaux
arrivants
au bal masqué de l’horreur
là où la chair et l’âme sont
fourguées
dans le crématorium d’un cercle de l’enfer
que nul texte
inimitable
ne nous a signalé
Messieurs les assassins
vous pouvez pavoiser
Spéculateurs émérites,
vous avez acquis à vil prix le champ incommensurable des misères, des
injustices, de l’humiliation, du désespoir, et vous l’avez amplement
fructifié.
La technologie des satans abhorrés n’a plus de secrets pour
vous.
Ne comptent pour vous ni la religion, ni la couleur, ni le sexe. Toutes
les marionnettes se valent. Il suffit de ne pas être couché dans une tombe pour
être le premier servi.
Vous êtes passés maîtres dans l’art de tirer les
ficelles de la haine pour repérer, désigner, traquer, coincer et régler son
compte au premier quidam conscient ou inconscient du risque de simplement
exister.
Qu’il mange, qu’il soit debout ou couché, qu’il fasse sa prière,
qu’il remue des idées dans sa tête ou se rende à son travail la tête vide, qu’il
caresse la joue de son enfant ou cueille une fleur, qu’il écoute une musique lui
rappelant la terre de ses origines ou la rencontre qui a changé le cours de sa
vie, qu’il écrive un poème ou remplisse sa feuille d’impôts, qu’il parle au
téléphone avec un plombier ou à sa mère alitée dans un hôpital, qu’il lise un
livre de Gabriel García Marquez ou un prospectus de pizzeria, qu’il s’ébroue
sous la douche ou s’ennuie aux toilettes, le caleçon coincé entre les genoux,
qu’il ouvre son cœur à son voisin dans le bus ou baisse les yeux devant le
regard insistant de son vis-à-vis, qu’il empoigne sa valise avant de monter dans
un train ou coure dans les couloirs kafkaïens d’un hôtel de luxe ou de merde,
qu’il vienne d’apprendre que son hépatite C ne lui laisse que quelques mois à
vivre ou tâte sa poche pour s’assurer que son portefeuille est bien là, qu’il se
rende à un entretien d’emploi ou peigne une banderole pour la manifestation du
lendemain, qu’il se gratte les couilles ou tape du poing sur la table, qu’il
aime la compagnie des chiens ou celle des chats, qu’il soit déjà homme, femme,
ou encore à cet âge béni où l’ange n’a pas vraiment de sexe et surtout pas
d’ailes
Toutes les marionnettes se valent. Il suffit de ne pas être couché
dans une tombe pour être le premier servi.
O doux enfant
est-ce pour cela
que tu criais
à t’écorcher les poumons
au moment de naître ?
Messieurs les assassins
On dit que vous faites bien fonctionner vos
méninges. Alors, puis-je vous poser une question simple :
C’est quoi pour
vous un être humain ?
Pourquoi ce silence ? Répondez-moi !
Ah je devine
votre rictus méprisant et j’imagine la bulle que vous laissez échapper par
inadvertance de vos lèvres blêmes. J’y vois un petit insecte sur lequel s’abat
un poing velu, et en guise de commentaire cette exclamation : Ça lui apprendra
!
C’est vrai, et je continue à sonder vos pensées, que cet insecte nuisible a
été enfanté par l’être qui vous donne des sueurs froides et que vous vous
évertuez à avilir en appliquant à la lettre le principe de précaution : j’ai
nommé la femme, pardonnez-moi l’expression. Je devine votre peur et votre
dégoût, l’horreur que vous inspire l’avènement de la vie quand, après les
ahanements et les cris de la parturiente, la tête visqueuse de l’enfant se
libère du conduit immonde que vous avez été bien obligés de labourer et, comble
de la déveine, d’ensemencer. Vous ne vous pardonnerez jamais d’être passés par
là. C’est pourquoi la mort est votre unique passion. Pour elle vous rougissez,
pâlissez. Votre cœur palpite. Vous défaillez. Et quand vous l’avez célébrée,
vous vous voyez frappant à la porte de je ne sais quel Eden où des délices
perverses, avouez-le, vous ont été promises.
Ay qué día tan triste en Madrid !
Qu’on se le dise
C’est à Rabat,
Alger, Le Caire, Bagdad
qu’on devrait le plus se lamenter
de ne pas savoir
que penser
de ne pas savoir que dire
de ne pas savoir que faire
Les
héritiers obligés que nous sommes
d’un âge d’or livré aux pleureuses
De
tant de rêves avortés
de tant d’avanies
de tant de
tyrannies
Hébétés
ridicules
rongés de l’intérieur
par la bête
immonde
que nous avons pris l’habitude
de renvoyer d’un coup de pied
à
la figure de l’Autre
Responsables ? Coupables ?
Victimes tout aussi
bien
des bourreaux que nous excrétons
comme le foie sécrète la
bile
Cycliquement écrasés, annihilés
par les potentats que nous exécrons
et adorons
parfois luttant
avec la force de l’espoir et du
désespoir
pour que nos descendants
puissent croire peut-être un
jour
qu’avant la mort
il y a ce qu’une vieille rumeur nomme
vie :
un
fleuve maternel
où il fait bon se baigner
de jour
de nuit
En toutes
saisons belles
et prometteuses
Seul miracle
sans trucage
Gens de Madrid
que vos morts reposent en paix
De la graine sacrée de la
vie
déposée en eux
aucun d’eux n’a démérité
Comme tout un chacun, ils
ont abrité le souffle qui anime l’Univers et la Création. Chaque atome de leur
corps a vibré et tourné autour du soleil intérieur qui a illuminé leur chemin.
Leur voyage fut le nôtre, et notre voyage sera dorénavant le leur. Nous
continuerons à rêver dans leurs rêves, à nous écorcher l’âme dans leurs
écorchures, à nous interroger dans leurs interrogations, à aimer dans leurs
amours, à caresser la lumière dans leurs caresses, à nous émerveiller dans leurs
émerveillements. Nous continuerons même à faiblir de leurs faiblesses, à nous
enfermer dans leurs enfermements. Nous ne négligerons ni les œillères ni les
petites lâchetés. Nous prendrons à notre compte leur part d’intolérance, de
bêtise et d’indifférence car nous ne sommes que leurs frères et sœurs humains,
rien qu’humains. Mais nous tâcherons de résister encore mieux dans leur
résistance, nous alimenterons le feu vacillant de notre mémoire avec le charbon
cuisant de leur mémoire.
Gens de Madrid
puisque personne n’a pensé
à vous demander
pardon
c’est moi qui le ferai
Moi ! Qui est moi ? Mon nom ne vous dira
rien
Pourquoi je le fais ? Peu importe
Le cri précède la parole
qui
parfois précède la pensée
Et puis le cœur a ses raisons
que l’esprit
parfois ignore
Alors pardon, gens de Madrid
Pardon de ces nuits à venir
blanches ou
grises
où l’être cher
reviendra en fantôme menaçant
vous reprocher de
lui avoir survécu
Pardon pour la main
qui n’a pas été retrouvée
Pour
l’anneau de mariage calciné
la boîte de maquillage ouverte
utilisée au
dernier instant
Pardon pour les chaussures intactes
et le soutien-gorge
fleurant encore bon
la vanille ou la rose
Pardon pour les amants au cœur
d’androgyne
coupé en deux
Pour le rire électrocuté des enfants
Pardon
pour les mères de la future place
du 11-Mars
Pardon pour le silence de mes
frères
pour ne pas dire leur indifférence
Pardon pour ce que certains
d’entre eux
pensent tout bas
Pardon de ne pas avoir fait plus et
mieux
contre le loup qui décime
ma propre bergerie
Pardon de ne pas
avoir appris suffisamment
votre langue
pour m’adresser à vous dans le
meilleur castillan
Pardon à Lorca, Machado, Hernandez
de ne pas les avoir
fait lire à mes enfants
Pardon pour les lacunes et les incantations
Pour
les yeux secs de la compassion
Pardon du peu que les mots peuvent
disent à
moitié
et souvent ne savent pas
mais s’il vous plaît
pardon
Créteil-Francfort, 16-24 mars 2004
nisrine nacer- Nombre de messages : 1044
Date d'inscription : 09/09/2008
Du droit de t¹insurger
Du droit de
t¹insurger
Abdellatif Laâbi
Du droit de t¹insurger tu useras
quoi qu¹il advienne
Du devoir
de discerner
Dévoiler
Lacérer
chaque visage de l¹abjection
tu
t¹acquitteras
à visage découvert
De la graine de lumière
dispensée à
ton espèce
chue dans tes entrailles
tu te feras gardien et vestale
À
ces conditions préalables
tu mériteras ton vrai nom
homme de parole
ou
poète si l¹on veut .
t¹insurger
Abdellatif Laâbi
Du droit de t¹insurger tu useras
quoi qu¹il advienne
Du devoir
de discerner
Dévoiler
Lacérer
chaque visage de l¹abjection
tu
t¹acquitteras
à visage découvert
De la graine de lumière
dispensée à
ton espèce
chue dans tes entrailles
tu te feras gardien et vestale
À
ces conditions préalables
tu mériteras ton vrai nom
homme de parole
ou
poète si l¹on veut .
nisrine nacer- Nombre de messages : 1044
Date d'inscription : 09/09/2008
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