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Poèmes musique - Page 2 Empty Poèmes musique

Message par magda Mer 31 Mar - 19:31

Rappel du premier message :

Charles Beltjens
À Beethoven




Magna testatur voce
per ambras.
Virgilius.

J’écoutai, j’entendis et jamais voix pareille
Ne sortit d’une bouche et n’émut une oreille.
Victor Hugo.




Quand des sommets glacés, où l’Hécla solitaire
Ouvre en vaste entonnoir son effrayant cratère,
Soupirail d’un enfer morne et silencieux,
L’Ouragan, escorté de ses sœurs les Tempêtes,
Vers l’azur qui s’ébranle aux voix de leurs cent têtes,
Reprend son vol audacieux ;

Sous ses ailes vibrant à ses noires épaules,
De l’aurore au couchant, de l’équateur aux pôles,
Le ciel que le tonnerre emplit de sourds appels,
Les fuyants, horizons du globe qui tressaille
Et des Ilots mugissant, ainsi qu’une bataille
Au sein des profonds archipels,

Tout l’espace est à lui ; — les continents énormes,
Les villes dont la brume estompe au loin les formes,
Les déserts étalant leur sauvage beauté,
Cimes et profondeurs, vallon, montagne et plaine,
Sombres forêts courbant leurs fronts sous son haleine,
Tout reconnaît sa royauté.

La foudre le précède, et les vagues marines,
Hurlant comme une foule aux cent mille poitrines,
Lorsqu’un triomphateur entre dans la cité,
En concert formidable acclamant son passage,
De leurs clameurs tonnant de rivage eu rivage
Font retentir l’immensité.

S’il en prend fantaisie à sa course homérique,
D’un seul coup d’aile il va d’Europe en Amérique,
Et l’Islande sauvage, où partit sou élan,
Du bruit de son essor tremble encore et résonne,
Que déjà sous son vol en tumulte frissonne
Toute la mer de Magellan.

Quand repliant alors sa puissante envergure,
Dans les rougeurs du soir, sur quelque rive obscure,
Il finit, triomphant, son glorieux chemin,
L’Océan à ses pieds secouant sa crinière,
Comme un lion soumis devant le belluaire,
Soupire et vient lécher sa main.

Les miasmes ont fui, balayés par son aile ;
L’air embaumé murmure, et la nuit solennelle,
Dans le ciel rajeuni, chastement dévoilé,
Guidant les matelots qui voguent sur les ondes,
Fait reluire à leurs yeux de clartés plus profondes
L’azur de son dôme étoile.

Ainsi, quand dans l’essaim de tes neuf Symphonies,
O Beethoven, Orphée au front mystérieux,
L’une ou l’autre, épandant ses larges harmonies,
Gigantesque alouette, est envolée aux cieux ;
Quand l’éclatant prodige aux ailes colossales
De sa voix titanique émerveille nos salles,
Faisant vibrer sous lui, d’un vol impétueux,
L’orchestre qui déborde en bruits majestueux,
Comme à ce roi des airs les gouffres et les cimes,
L’âme humaine est à toi, l’âme et tous ses abîmes ;
L’âme humaine ! — océan plus sombre que celui
Qui bouillonne à nos yeux sous la foudre qui luit,
Plus hérissé d’écueils, plus semé de naufrages
Que l’autre dans son lit n’a de flots et d’orages !
Dans ce domaine obscur, par tous interrogé,
Nul regard plus avant que le tien n’a plongé ;
Jamais aucun sondeur n’a dans cette eau profonde,
Si loin que tu l’as fait, laissé filer la sonde ;
Nul bras, comme le tien, scruté d’un tel flambeau
Les ombres du secret gardé par le tombeau,
Que l’inflexible loi du destin qui nous mène
Défend de pénétrer à la sagesse humaine.
Et jamais autre voix n’en saurait raconter
Ce que la tienne en put nous dépeindre et chanter ;
Oh ! les divins instants que l’on savoure, extase
Ineffable, bonheur que l’on boit à plein vase,
Quand les effluves d’or de tes créations
Se répandent sur nous, riches d’émotions,
Et nous parlent, ainsi qu’aux plages effarées
Les flots tumultueux des superbes marées !
Tout ce que le silence au plus profond de nous
Enveloppe de grand, de terrible et de doux :
Les essaims fugitifs de brumeuses pensées,
Visions de la nuit par l’aurore effacées,
Les aspirations vers un ciel inconnu,
Monde mystérieux dans nos seins contenu,
Souvenir, espérance et vague nostalgie.
Soudain tout se réveille au coups de ta magie.
Tout se met à vibrer ; — en soubresauts nerveux
L’enthousiasme ardent fait dresser nos cheveux ;
Un lointain paradis luit dans un crépuscule ;
Une fièvre divine en nos veines circule ;
De tendresse et d’horreur nous frémissons, — nos yeux
S’emplissent par degrés de pleurs délicieux,
Et notre esprit, nos sens que ta musique enivre.
Tout ce qui vit en nous, doublement se sent vivre !
— Oui ! lorsque traduisant ton génie inspiré,
Pythonisse debout sur le trépied sacré,
De ses plus beaux concerts ta Muse nous régale,
C’est une volupté qui n’a point son égale,
D’ouvrir, au gré des vents soufflant de toutes parts,
Son âme à tous les bruits dans l’univers épars,
A toutes les rumeurs sombres ou triomphales,
Aux souffles des zéphyrs, aux souffles des rafales.
Avec leurs mille accents, éplorés ou joyeux.
Venant des profondeurs ou venant des hauts lieux.
Et d’entendre à la fois, se déroulant ensemble,
Comme deux vastes mers qu’un même lit rassemble,
Dans un hymne de gloire et de fraternité,
Les voix de la Nature et de l’Humanité !
— Aussi, vienne un des jours, trop rares dans la vie,
Où quelque ville en fête à tes chants nous convie,
Tous ceux dont l’idéal, en ce siècle moqueur.
Echauffe encor la tête et tait battre le cœur.
Tous accourent en foule, et dédaignant le monde,
Loin du théâtre obscène, où la Venus immonde
Epoumone à grands cris plus d’un vil histrion,
Assiègent ton festin, ô noble amphytrion ;
Car la table est royale, et c’est, ô maître auguste,
Le vin des forts, du vrai nectar qu’on y déguste.
Que l’on boit à longs traits, et dont l’ivresse en feu
Nous enlève à la terre et fait de l’homme un dieu !

──────────


O musique, pouvoir inexpliqué, mystère
Que la science en vain scrute d’un œil austère ;
Langue où le verbe cesse, où commence le cri
Du gouffre que nul mot n’articule et n’écrit ;
Rendez-vous merveilleux où convergent dans l’ombre
L’espace avec le temps, la forme avec le nombre,
Et traduits en accords de leur mélange issus,
Se pénétrant l’un l’autre en magiques tissus,
Comme les flots couvrant les sables de la grève,
Laissent apercevoir le réel sous le rêve !
Fleuve au large murmure, où cent peuples divers
Viennent se retrouver des bouts de l’univers.
Et que chaque homme ému jusqu’au fond de son être,
Aussitôt qu’il l’entend, comprend sans le connaître !
— Par quel rapport étrange et quel chemin subtil,
Par quelle loi secrète, un tel accord fait-il,
Eveillant mille échos dans nos fibres intimes,
Chanter et résonner la joie aux cris sublimes,
Et tel autre en sanglots éclater la douleur ?
Et d’où vient que le son, comme aux yeux la couleur,
En détours inconnus arrivant par l’oreille,
Sait parler à l’esprit une langue pareille ?
Si bien que nous voyons, lorsqu’en flots écumants
L’orchestre ouvre l’écluse à tous ses instruments,
Apparaître tantôt des ligures rieuses,
Tantôt des visions graves et sérieuses !
— Dans le scherzo badin le plaisir fugitif
Secouant ses grelots, et, d’un rythme furtif.
Amenant après lui la folie et sa danse,
Et les masques joyeux sautillant en cadence ;
Et le sarcasme, fifre au rire étincelant,
Qui sait punir les sots, et, comme un fouet sifflant,
Sur le dos des bassons qu’en jouant il étrille,
Faire claquer l’arpège et rebondir le trille ;
Et la plaisanterie, avec ses gais propos,
Où la verve déborde, où le chœur des pipeaux,
Des flûtes, des haut bois, des violons alterne
Avec les cors profonds grondant d’un air paterne !
— Puis, dans l’adagio plaintif et solennel.
Le regret, le chagrin et le pleur éternel ;
— De ses doigts convulsifs, le désespoir livide
Se cramponnant aux bords du gouffre où luit le vide ;
— L’amour doux et cruel, maître du cœur humain ;
Ange d’Eden qu’un jour on rencontre en chemin,
Nous offrant quelques fleurs du jardin de délices,
Pour nos larmes d’exil entr’ouvrant leurs calices !
— Et vous, désirs trompés aux sourires amers.
Plongeurs, qui n’apportez du gouffre obscur des mers.
Sans la perle ou la coupe aux promesses divines,
Qu’un peu de sable pris au fond de ses ravines !
— Dans un coin, à l’écart, la haine aux yeux ardents,
Qui rêve la vengeance et qui grince des dents ;
— Puis, d’un sourire en pleurs consolant la souffrance,
Montrant du doigt les cieux, l’immortelle Espérance ;
— Ici de blancs essaims d’Archanges radieux,
Et là des groupes noirs de monstres odieux :
Des goules vomissant, avec des bruits d’orage,
Et la pluie et la grêle et la foudre et la rage :
La forêt ténébreuse où, dans l’horreur du soir,
Le passant croit entendre, ayant peur de s’asseoir.
A travers le taillis du hallier qui murmure,
Les pas mystérieux du stryge et du lémure !
— Puis encor les tyrans, les martyrs, les héros,
Et la procession sinistre des bourreaux ;
Et les veuves en deuil, les plaintives amantes,
Et les traîtres cachant des poignards sous leurs mantes ;
Aux sons des harpes d’or, ou des lyres de fer,
Montant au ciel, ou bien descendant à l’enfer ;
— Tous avec leurs discours, leurs gestes, leurs visages,
Leurs crimes, leurs exploits, posant pour tous les âges,
Dont les hommes futurs, ô sublime Louis,
Comme nous, devant eux resteront éblouis ;
— Tous vivants, immortels ; par ton souffle olympique
Doués d’une existence idéale et typique ;
Par ta main de géant d’un tel cachet frappés,
Qu’en des traits plus saillants, plus justement drapés,
Ceux-ci marqués d’opprobre et ceux-là de l’étoile,
Un peintre ne pourrait les fixer sur la toile !
— O prodige inouï ! le maître souverain,
Faisant parler les bois, les cordes et l’airain,
Par son art formidable arrive à tel prestige
Que l’esprit s’épouvante, et, saisi de vertige,
Eperdu, s’interroge, et doute par instant
Si par l’oreille émue il voit, ou s’il entend !

──────────


Heureux, trois fois heureux ! dira-t-on, le génie
Qui trouve au fond de soi ces trésors d’harmonie,
Et fait, par mille accords de voix et d’instruments,
Eclater tout un peuple en applaudissements,
Mieux qu’aux temps orageux, dans Rome ou dans Athènes,
L’éloquent Cicéron, le puissant Démosthènes ;
Mieux qu’un tragédien qui nous montre vivant,
Par son air, sa parole et par son jeu savant,
Un des types sortis des mains du grand Shakspeare ;
Jamais triomphateur, au faîte de l’empire
Majestueusement traîné par huit chevaux,
Jamais poète illustre, au milieu des bravos,
Le laurier sur le front ainsi qu’une auréole,
Descendant à pas lents du haut du Capitole.
N’ont d’une multitude en pompeux appareil
Goûté d’enthousiasme à celui-là pareil :
Un tel enivrement touche à l’apothéose ;
L’homme s’évanouit ; le maître grandiose
Apparaît, ceint d’éclairs, dans un nimbe sacré,
Et plus d’un jeune artiste au regard inspiré
Qui cherche encor sa voie, avec un œil d’envie
Contemple son image. — A-t-il fouillé sa vie ?
— Sur les marches du trône où siège, radieux,
Ce César, empereur parmi les demi-dieux,
Voit-il encor percer l’ancien débris des claies ?
Sous son manteau de pourpre a-t-il compté ses plaies ?
A-t-il vu, l’entravant dans ses jeunes travaux,
L’infâme chausse-trape, où d’impuissants rivaux
Ont fait, à ses débuts, choir avec des huées
Son jeune esprit prenant son vol vers les nuées ?
L’a-t-il, comme un Sisyphe, ardent à s’approcher
Des fiers sommets de l’Art, vu rouler son rocher,
Dévorant en secret la plus sombre torture
Que puisse a l’être humain infliger la nature ?
A-t-il, pendant les nuits de décembre, assisté
Aux lamentations de son cœur attristé,
Quand plus rien désormais ne pouvait sur la terre
Consoler l’abandon de ce grand solitaire ?
— Regardez cette bouche, aujourd’hui dans l’or fin
Savourant l’ambroisie et le nectar sans fin ;
Sur ce coin ironique où la lèvre se plisse
On lit le souvenir enfiellé du calice ;
Ces yeux d’aigle ont pleuré, consternés par l’affront,
Les pleurs du désespoir, et sur ce noble front,
Sous le laurier vainqueur du vol et des rapines
On pourrait retrouver la trace des épines !

O malheur ! Jusqu’au fond noir poison consommé !
Dans le martyrologe ô supplice innommé !
Hideux raffinement du sort, rançon fatale
A faire frissonner Ixion et Tantale !
Dans l’empire des Sons ce maître illimité
Fut en son plein Zénith frappé dé surdité !...
— Est-ce qu’on s’imagine, ô tourment exécrable,
Entre son œuvre et lui ce mur inexorable ?
Par ce rempart d’airain, qu’il ne franchira plus,
De sa création ce dieu lui-même exclus ?
Est-ce qu’on se figure, au milieu d’un musée,
Rubens, roi des couleurs, dont la prunelle usée
Cherche en vain, à travers un brouillard odieux,
Ses grands tableaux, Kermesse immortelle des yeux ?
Ou Michel Ange aveugle et penché vers la tombe,
Une dernière fois, à l’heure où le jour tombe,
Conduit dans la Sixtine ou dans Saint Pierre, et là,
Navré de ne plus voir ces murailles qu’il a
D’innombrables splendeurs autrefois revêtues,
Dans l’ombre en sanglotant tâtonnant ses statues ?
Lui, l’aède suprême, à la beauté des cieux
Il lui restait encor d’assister par les yeux ;
Ce visible univers, dont il était le mage,
Avec son âme encor conversait en image,
Mais il ne vivait plus, pour ses chants à venir,
Dans le monde des sons que par le souvenir.

Sur la rive, où des flots du Danube arrosée,
Vienne sourit, charmante , au sein d’un Elysée,
Les beaux jours de printemps ou d’été, grave et seul,
De son affreux malheur secouant le linceul,
Il sortait. — O vallons, jardins, pentes fleuries,
Aspect sauvage et doux des fuyantes prairies,
Abîme ensoleillé du magique lointain
Ouvrant ses portes d’or, quand le vent du matin
Découvrant devant lui l’immense paysage,
De bonheur et d’amour éclairait son visage !
Paradis encadré de coteaux onduleux
Que le fleuve ébloui baignait de ses flots bleus.
Ourlant dans le soleil d’un bord de pierreries,
Comme un manteau royal, leurs vertes draperies !
Molles senteurs des prés, acres parfums des monts,
Dont l’air pur à grands flots inondait ses poumons,
Forêt, chênes touffus dont jadis les ramures
Epandaient sur son front tant de profonds murmures,
Tant de concerts d’oiseaux, et, dans l’ombre entendus,
Des bruits si doux, pour lui sans plus d’espoir perdus !
Frais viviers où glissait une brise plaintive
Qu’il semblait écouter d’une oreille attentive,
Et qu’il accompagnait, ivre de renouveau,
Des longs accords vibrant tout bas dans son cerveau !
Clairière au fond des bois, où sortaient des ravines.
Le saluant en chœur, des figures divines,
Qui, sur l’herbe imprimant leurs pas mystérieux,
Fuyaient dans la lumière en lui montrant les cieux ;
Halliers profonds, rochers muets, grottes furtives,
Riants taillis, sentiers aux mille perspectives,
Jeux de lumière et d’ombre épars sur le gazon,
Chatoyantes couleurs, grâces de l’horizon,
Oh ! comme il savourait d’une extase enivrée
Tes beautés, ô Nature, et, l’oreille sevrée
De ta voix vers laquelle il s’inclinait en vain,
Plus tendre amant, buvait ton sourire divin !
Comme il songeait ! — suivant de regards idolâtres
La bergère au milieu de ses agneaux folâtres,
Et sur les verts étangs bordés de frais roseaux.
Les grands cygnes neigeux, fleurs nageantes des eaux !
Et les bruns moissonneurs à l’œil fier, dont les bustes
Dominaient les poitrails des étalons robustes,
Et sur les chars faisant ployer leurs lourds essieux.
Assises, les pieds nus, en essaims gracieux,
Les glaneuses riant parmi les gerbes blondes
De sentir les cahots des ornières profondes !
O champêtres douceurs, Joie immense des champs !
Près d’un humble ruisseau, sous des rameaux penchants,
Comme il oubliait tout, même son infortune,
Loin du fourmillement de la foule importune,
Heureux de fuir la ville et son brumeux séjour.
Au milieu des parfums et des splendeurs du jour !

Puis, à l’heure où le soir, envahissant les mies,
Fait naître en nous la soif des choses inconnues.
Comme il se recueillait, tout Poèmes musique - Page 2 923781, regardant
Les voiles qu’emportait le fleuve, et l’Occident,
Gigantesque bûcher plein de flamme et de cendre,
Où comme un roi mourant le jour allait descendre !

Rentré chez lui, bientôt, devant quelques amis,
Groupe vaillant et sûr, dans sa demeure admis,
Tel qu’un peintre à sa toile, épris de son modèle,
Rêveur, il s’asseyait à son piano fidèle. —
— Les visions du jour, sous son crâne inspiré,
Panorama chantant revivant par degré,
Comme un vin généreux des raisins mûrs qu’on foule,
En hymnes éclatants de lui sortaient en foule,
Et du clavier sonore, où palpitaient ses mains,
À pleins bords jaillissaient des accents surhumains ;
Par son art magistral les phrases cadencées,
Oiseaux de paradis, traduisaient ses pensées,
Et de leurs ailes d’or les ombres par instants
Venaient se refléter aux fronts des assistants ;
Selon qu’il célébrait la douleur ou la joie,
La tempête sinistre ou l’aube qui rougeoie,
De ses chants, tour à tour sombres ou pleins d’attraits
Les visibles échos se peignaient sur leurs traits.
De plus près ses amis, retenant leurs haleines,
L’entouraient, — et, pareils à des urnes trop pleines,
Par son puissant génie enlevés jusqu’aux cieux,
Epanchaient leur extase en pleurs silencieux.
Sur les touches d’ivoire alors ses mains moins vives
Ralentissaient leur jeu splendide, — ses convives
Tout-à-coup le voyaient pâlir, son œil profond,
Tout plein de désespoir, se fixer au plafond,
Et ses bras dans le vide en frissonnant s’étendre
Vers une ombre qu’en vain il s’efforçait d’entendre !

Adieu la Mélodie ! adieu pour tout jamais
Ta Muse aux blonds cheveux, qui de ses blancs sommets
Descendait sur ton cœur, prophétesse ravie,
Et fascinait ton âme, et faisait de ta vie
Un tissu radieux de longs enchantements !
Adieu, mer d’Harmonie où, comme deux amants
Vous tenant embrassés, l’orchestre des abîmes
Vous emparadisait parmi les Kéroubimes !
Au milieu des accords séraphiques des flots
Adieu sa voix céleste unie à tes sanglots,
Et sous sa bouche en fleur la tienne extasiée.
De ses baisers mielleux jamais rassassiée !
Adieu ! pour un mortel ton sort était trop beau !
N’espère son retour qu’au delà du tombeau !
— Ecce homo ! — vivant, descends dans l’ossuaire,
En guise de manteau drape toi d’un suaire,
Et poursuis, couronné d’épines, dans ta main
Un sceptre de roseau, ton lugubre chemin !
Prends ta croix, suis le Christ dans sa route sévère !
Ta résurrection n’est qu’au prix du Calvaire.
Résigne toi, subis la loi du noir destin !
En plein midi frappé vois Mozart qui s’éteint ;
Tous les deux sur nos fronts, perçant nos nuits obscures,
Désormais vous brillez, immortels Dioscures ;
Mais avant de surgir dans les cieux étoiles.
Par l’aile d’Azrael à votre insu voilés,
Vous avez composé pour vos propres Ténèbres,
Lui, son grand Requiem, toi, tes marches funèbres !
Tout génie est martyr ; — accablé de douleurs,
C’est dans son propre sang arrosé de ses pleurs
Que la gloire, vengeant l’outrage et l’anathème.
De l’immortalité lui donne le baptême.

— N’importe ! il faut qu’il marche, il a sa mission ;
En avant à Florence, en avant à Sion,
Toi, de l’exil aux pieds traînant la chaîne, ô Dante,
Vengeur terrible, et toi, dont par la braise ardente
L’Esprit sacra la bouche, et que, vivant lambeau,
L’horrible scie en deux mettra dans le tombeau,
Isaie, ô prophète à la voix irritée !
Et toi, chantre géant du titan Prométhée.
Toi qu’Athènes bannit, et que l’Humanité
Inscrit au premier rang dans son droit de cité !
Et toi, par la sottise et la bassesse immonde
Tant bafoué, poète aussi grand que le monde,
Divin Shakspeare ! et toi, Corneille, à qui le prix
Du pain quotidien semblait cher à Paris,
Quand Versailles repu nageait dans les délices !
Forçats sacrés, martyrs, videz vos noirs calices !
Le pélican ne meurt qu’en versant jusqu’au bout
Le pur sang de son cœur, et le Volcan qui bout
Jamais n’éteint le feu dont son enceinte est pleine,
Que le jour où sa lave a fécondé la plaine.
Toi, Maître, quels sommets te fallut-il gravir,
Quel immense ouragan parfois dut te ravir
Loin du monde réel, — quels éclairs de leur flamme
Entrouvrir à tes yeux ces arcanes de l’âme
Où la passion lutte et pleine, aigle ou vautour,
Pour que ton cœur ait pu nous jeter, tour à tour,
Avec cette suave ou terrible harmonie,
Et ces hymnes d’extase et ces cris d’agonie !
Qu’il t’a fallu souffrir, aimer, douter, pleurer,
Dans le silence obscur des nuits désespérer :
Quel effort surhumain, de sueurs solitaires
Dut inonder ton crâne et raidir tes artères.
Dans ta lutte avec l’Ange où plus d’un succomba,
Pour être avec Jacob triomphant du combat,
Pour trouver ces accents de ta grande Neuvième,
Où ton génie altier atteint son vol suprême ;
Concert où l’on entend, comme le bruit des flots,
Gronder, rire, chanter, se plaindre en longs sanglots.
Tout ce qui peut jamais, si grand qu’on la renomme,
S’agiter dans la tête et dans le cœur d’un homme
— Le superbe défi de l’âpre volonté
Foulant d’un pied vainqueur l’obstacle surmonté ;
La noble ambition que le monde humilie :
L’amour qui dans sa coupe enfin trouve la lie,
Et l’ironie au rire amer, masque moqueur
Qu’on met sur son visage, alors qu’au fond du cœur
La chaste illusion pose, belle éplorée,
Et clôt dans le cercueil sa chimère adorée !
Et puis, après l’orgueil au geste menaçant,
Fronçant vers le tonnerre un sourcil impuissant,
La résignation qui, la tête inclinée,
Accepte tes rigueurs, sévère Destinée,
Et, le sourire en pleurs, écartant de la main
Le morne désespoir qui l’accoste en chemin,
Sœur attendrie, aux bras des doux regrets ses frères,
Se console avec eux de tous les vents contraires ;
Mais aussi la révolte indomptable, l’essor
Aquilin du désir qui s’indigne du sort,
Et, dans l’affreux néant plutôt que de descendre,
Ardent Phénix, renaît plus vivant, de sa cendre,
D’un grand vol au soleil remonte épanoui,
Et célèbre, enivré, sur un mode inouï,
Dans la sphère idéale au mal inaccessible,
La Joie, hélas ! la Joie ici bas impossible !
— Cette fille du ciel, inconnue aux humains
Aurait peur de fouler nos lugubres chemins ;
Pas de vin assez pur ne croit sur nos collines
Que boiraient sans frémir ses lèvres sibyllines ;
Pas une fleur sans tache où pourrait se poser
Sans l’acre odeur du sang son lumineux baiser,
Et son aile, fuyant nos discordes sans trêves,
Ose à peine la nuit se risquer dans nos rêves.
Mais, évoquée un jouir par ton frère Schiller,
Tu la vis de si près passer dans un éclair,
Que le nimbe, où sa gloire à nos yeux se dérobe,
Fit tressaillir ton front au contact de sa robe,
Et que ton cœur ému sous son vol de condor
Se mit à résonner comme une harpe d’or.
Tel qu’Orphée, aux accents de sa voix surhumaine,
Sut ravir Eurydice à l’infernal domaine,
Toi, nouveau Prométhée, à ses chastes autels
Tu l’aurais enlevée, et parmi les mortels,
Du ciel avec la terre annonçant l’hyménée,
Tu l’aurais, souriante, en triomphe amenée,
Si l’homme au paradis pouvait rentrer, vivant,
Si l’Archange, debout sur le seuil, glaive au vent,
Sentinelle placée aux abords du mystère,
N’en défendait l’entrée aux enfants de la terre.

Pourtant, maître sublime, aux chants consolateurs.
Titan qui sous tes pieds abaissas des hauteurs
Où l’air à nos poumons devient irrespirable,
De ce divin séjour, qu’un voile impénétrable
Cache à tous les regards, — grâce à toi, parmi nous,
Des échos sont venus qu’on adore à genoux ;
Le croyant les écoute et murmure : j’espère !
La veuve à l’orphelin dit : Dieu reste ton père ;
Et le tyran pâlit ; l’esclave sent le droit
Protester sous ses fers ; le sceptique à l’œil froid,
Tout étonné, tressaille en essuyant ses larmes,
Et l’athée à son tour, lui-même pris d’alarmes,
Entend d’une voix sourde, en son cœur soucieux,
Gémir « le dieu tombé qui se souvient des cieux ».

O chantre sans égal, pic au milieu des cimes,
Où de plus de hauteur l’œil voit le plus d’abîmes,
O poète, ô penseur, noble musicien
Que désormais la terre appellera le sien,
Voilà cette œuvre immense, en sa vaste stature,
Grande, idéale et vraie ainsi que la nature ;
Drame intime, profond, joyeux, plaintif, amer,
Brillant comme l’azur, sombre comme la mer
Et que tu déroulas de ta voix inspirée,
Les pieds dans le chaos, le front dans l’empyrée !

Gloire à toi, gloire à toi ! — comme un arbre ses fruits,
Le monde verra choir les empires détruits,
Et les fiers conquérants suivis de leurs escortes
S’en aller dans la nuit comme des feuilles mortes.
Les siècles passeront ; trônes, lois, mœurs, autels,
Rien ne sera jamais stable chez les mortels.
Avec leurs Panthéons, leurs dômes, leurs portiques,
Fières de surpasser les Ninives antiques,
Si superbes que soient les cités des vivants
Jetant leurs millions de voix aux quatre vents,
Le temps avec son char aux terribles ornières
Les viendra niveler comme des taupinières,
Et sur les noirs débris de leurs entassements
Les autans jongleront avec leurs ossements.
Au bout de leurs destins, malheureux ou prospères,
Les rois iront dormir le sommeil de leurs pères,
Et le bruit de leur nom chaque jour affaibli,
Sans laisser un écho, s’éteindra dans l’oubli.
— Mais toi ; tant qu’ici bas de bonheurs ou de peines
S’agiteront encor des poitrines humaines ;
Tant que le long des bois, l’ombre des soirs charmants
Prêtera son silence à de jeunes amants :
Tant qu’au pied des autels de blanches fiancées
Courberont leurs fronts purs et leurs chastes pensées ;
Tant que sur les genoux des aïeuls triomphants
Sautilleront, joyeux, de beaux groupes d’enfants ;
Tant qu’en habits de deuil des veuves désolées
Regarderont la nuit les voûtes étoilées ;
Tant que des jeunes gens les cœurs pleins de fierté
Battront pour la Justice et pour la Liberté,
Maître tu régneras ! ta majesté sans tache,
Ton fier prestige auquel nulle ombre ne s’attache,
Ton immense magie au charme si puissant,
D’âge en âge toujours iront s’agrandissant.
Grâce au progrès sacré, les sombres multitudes
S’élèveront un jour jusqu’à tes altitudes,
Et les haines d’en bas aux sinistres terreurs,
Et talions d’en haut, rancunes et fureurs.
Eteindront à la lin leurs torches insensées
Dans le Niagara de tes vastes pensées !

Oh ! maintenant qu’absous des terrestres soucis,
Vêtu de pourpre et d’or, et sur un trône assis,
Dans l’insondable azur de la clarté sereine
Face à face tu vois la Beauté Souveraine ;
Maintenant qu’au milieu des sphères sans confins,
En écoutant, ravi, le chœur des Séraphins,
Tu sièges, accoudé sur tes Œuvres bénies,
Tranquille et bienheureux, parmi les purs Génies,
Permets moi, chantre obscur, dé suspendre humblement
Ma modeste couronne à ton fier monument !
Car tu m’as consolé dans mes jours de souffrance,
Tes chants de désespoir m’ont rendu l’espérance,
Et j’ai repris courage à ton Gethsémani,
En l’écoutant crier : Lama Sabactani !
Tu m’as rendu ma force, et, sûr du lendemain,
Grâce à toi, je connais désormais mon chemin ;
Mais avant d’y marcher, aux pieds de ton image,
Suzerain, ton vassal dépose son hommage !
Ainsi, lorsqu’au désert la sauvage tribu,
Après que ses chameaux aux fontaines ont bu,
Sort du frais oasis et reprend sa carrière,
Quelque nomade enfant parfois reste en arrière ;
Sur l’écorce de l’arbre où sa tête a dormi,
Pendant qu’au loin soufflait le Simoun ennemi,
Avant que de laisser son ombre hospitalière.
Il grave avec son nom une sainte prière,
Et, bénissant la palme aux divines senteurs
Qui lui versa, la nuit, des rêves en chanteurs,
Le cœur empli de joie il quitte la savane,
Il rejoint à pas lents la grande caravane.

1886
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Poèmes musique - Page 2 Empty La flûte

Message par nisrine nacer Lun 5 Avr - 18:55






Voici le soir. Au ciel passe un vol de pigeons.
Rien ne vaut pour charmer une amoureuse fièvre,
Ô chevrier, le son d'un pipeau sur la lèvre
Qu'accompagne un bruit frais de source entre les joncs.

A l'ombre du platane où nous nous allongeons
L'herbe est plus molle. Laisse, ami, l'errante chèvre,
Sourde aux chevrotements du chevreau qu'elle sèvre,
Escalader la roche et brouter les bourgeons.

Ma flûte, faite avec sept tiges de ciguë
Inégales que joint un peu de cire, aiguë
Ou grave, pleure, chante ou gémit à mon gré.

Viens. Nous t'enseignerons l'art divin du Silène,
Et tes soupirs d'amour, de ce tuyau sacré,
S'envoleront parmi l'harmonieuse haleine.

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Poèmes musique - Page 2 Empty Au Bal de l’Opéra

Message par daniel Mer 7 Avr - 11:24



Sully PrudhommeStances et Poèmes

Au Bal de l’Opéra
Impression






En place pour le chaud quadrille !
En avant l'ivrogne et la fille !
Qu'on se désarticule et qu'on se déshabille !
Car l'homme est l'être le plus beau,
Le seul dont l'âme espère et se dise immortelle,
Le seul qui lève sa semelle
A la hauteur de son cerveau,
Qui s'ennuie en plein jour et qui rie aux étoiles.
Qui soit en rut sans gravité,
Le seul des animaux qui se soit fait des voiles
Pour jouir de la nudité !
daniel
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loisirs : lecture,chasse,pêche,course
Humeur : humour
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Poèmes musique - Page 2 Empty Un pas, puis deux, puis trois,

Message par Rita-kazem Mer 7 Avr - 22:32


Un pas, puis deux, puis trois,
Un sourire, un regard
Le désir oublié
De nos tendres soirées
Renaît à ma mémoire.

Un pas, deux pas et trois,
Au son de ce refrain,
Doucement fredonné
Par ta bouche, et ma main
Dans ta main s'est posée.

Un pas, moins deux, moins trois,
Toi et moi en retrait,
Du chemin de demain,
Où pèse le danger,
La haine et la colère.

Un pas, et deux, et trois,
Plus près de ce lointain,
qui mène à la lumière,

Plein d'amour et de paix,
Dont on ne revient pas.

Un pas, moins deux, plus trois,
Au devant de l'effroi,
Au visage inconnu,
Tapis sous la pénombre,
Où danse nos deux ombres.

Un pas, deux et s'en va,
La musique et la fête,
On ne se connaît plus,
Le timbre de ta voix,
Fredonnante s'arrête.


Millet Benoist
Rita-kazem
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Poèmes musique - Page 2 Empty La soirée du pianiste

Message par nadia ibrahimi Jeu 8 Avr - 8:59

La
soirée du pianiste







L’artiste est à son
piano,


Sa main droite joue en
solo,





Ses cinq doigts sont
longs et fins


cinq fois un,
cinq


Puis, des deux mains,
il s’enhardit


cinq fois deux,
dix.





Le piano tonne, hurle,
grince,


cinq fois trois,
quinze


Un dernier accord,
c’est la fin !…


cinq fois quatre,
vingt.





Après le concert, le
pianiste trinque,


cinq fois cinq,
vingt-cinq.


Puis, il rentre dans
sa soupente,


cinq fois six,
trente,





Passe sa chemise en
lin,
cinq fois sept, trente-cinq
Puis, sa tête devient dolente,
cinq
fois huit, quarante...



Il dort déjà. Tout est
éteint,
cinq fois neuf, quarante-cinq,
Sauf la Lune, qui se
lamente,
cinq fois dix, cinquante...


Jean Tardieu
nadia ibrahimi
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Poèmes musique - Page 2 Empty Le concert-Marceline Desbordes-Valmore

Message par Valerie-M-kaya Ven 9 Avr - 7:40

(Marceline_Desbordes-Valmore)Élégies




Quelle soirée ! ô dieu ! que j’ai souffert !
Dans un trouble charmant je suivais l’Espérance ;
Elle enchantait pour moi les apprêts du concert,
Et je devais y pleurer ton absence.

Dans la foule cent fois j’ai cru t’apercevoir ;
Mes vœux toujours trahis n’embrassaient que ton ombre ;
L’amour me la laissait tout à coup entrevoir,
Pour l’entraîner bientôt vers le coin le plus sombre.
Séduite par mon cœur toujours plus agité,
Je voyais dans le vague errer ta douce image,
Comme un astre chéri, qu’enveloppe un nuage,
Par des rayons douteux perce l’obscurité.

Pour la première fois insensible à les charmes,
Art d'Orphée, art du cœur, j'ai méconnu ta loi :
J'étais toute à l'Amour, lui seul régnait sur moi,
Et le cruel faisait couler mes larmes !
D'un chant divin goûte-t-on la douceur
Lorsqu'on attend la voix de celui que l'on aime ?
Je craignais ton charme suprême,
II nourrissait trop ma langueur.
Les sons d'une harpe plaintive
En frappant sur mon sein le faisaient tressaillir ;
Ils fatiguaient mon oreille attentive,
Et je me sentais défaillir.

Et toi ! que faisais-tu, mon idole chérie,
Quand ton absence éternisait le jour ?
Quand je donnais tout mon être à l’amour,
M’as-tu donné ta rêverie ?
As-tu gémi de la longueur du temps ?
D’un soir... d’un siècle écoulé pour attendre ?
Non ! son poids douloureux accable le plus tendre ;
Seule, j’en ai compté les heures, les instants :
J’ai langui sans bonheur, de moi-même arrachée ;
Et toi, tu ne m’as point cherchée !

Mais quoi ! L’impatience a soulevé mon sein,
Et, lasse de rougir de ma tendre infortune,
Je me dérobe à ce bruyant essaim
Des papillons du soir, dont l’hommage importune.
L’heure, aujourd’hui si lente à s’écouler pour moi,
Ne marche pas encore avec plus de vitesse ;
Mais je suis seule au moins, seule avec ma tristesse,
Et je trace, en rêvant, cette lettre pour toi,
Pour toi, que j’espérais, que j’accuse, que j’aime !
Pour toi, mon seul désir, mon tourment, mon bonheur !
Mais je ne veux la livrer qu’à toi-même,
Et tu la liras sur mon cœur.
Valerie-M-kaya
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Poèmes musique - Page 2 Empty FANTAISIE

Message par Valerie-M-kaya Ven 9 Avr - 7:47

Gérard de Nerval
Petits châteaux de Bohême : prose et poésie

Eugène Didier, 1853 (pp. 28-29).






Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart, tout Weber ;
Un air très-vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C’est sous Louis treize.. et je crois voir s’étendre
Un coteau vert que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
[ 29 ]
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre les fleurs.

Puis une dame à sa haute fenêtre,
Blonde, aux yeux noirs, en ses habits anciens…
Que, dans une autre existence, peut-être,
J’ai déjà vue ! — et dont je me souviens !
Valerie-M-kaya
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Poèmes musique - Page 2 Empty La Royale Chanson

Message par Valerie-M-kaya Ven 9 Avr - 7:49


[ 112 ]



Sonne la chanterelle
Et suis ma voix, le long
De la « Chanson pour Elle. »

* * *

L’amoureuse n’est plus et le poète est mort ;
Mais la chanson d’amour, vivante, chante encor.

La chanson s’alanguit encore de leurs fièvres
En s’exhalant, le soir, aux lents soupirs des lèvres.

Le poète est sous terre et l’amoureuse aussi :
Ils dorment, l’un tout près de l’autre, sans souci[ 113 ]

Des désirs qu’ils n’ont plus la chanson est brûlante ;
De leur bonheur passé la chanson seule chante.

Ils sont un peu de cendre au fond de deux cercueils,
Et la chanson exalte encore leur orgueil.

Elle était belle et douce aussi, la Bien-Aimée ;
La chanson de son souffle est toute parfumée.

Elle était reine, et lui grand prince ami de l’Art :
La chanson que je chante est du temps de Ronsard.

* * *

Sonne la chanterelle
À ton vieux violon,
Et suis ma voix, le long
De la « Chanson pour Elle. »
Valerie-M-kaya
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Poèmes musique - Page 2 Empty Le baiser en l'Amour est l'octave en Musique

Message par Valerie-M-kaya Ven 9 Avr - 7:50






Le baiser en l’Amour est l’octave en Musique,
Vous en avez prins un, et vous en voulez deux ;
Pourquoy enervez-vous les accords amoureux,
C’est pecher, disiez-vous, contre la Theorique.

Non je ne baise point qu’en pure Arithmetique,
Respondis-je soudain, deux baisers savoureux
Font nombre, l’unité est un rien mal heureux
Payez moi, vous devez une chose Physique.

Que vous estes mauvais, repliquastes vous ors,
Qui pourroit resister à argumens si forts,
Qui me font succomber en si juste querelle ?

Moi respondit Amour, et d’un dard furieux,
Qu’il trempa plusieurs fois aux flammes de voz yeux,
Il m’enfonça le cœur d’une playe immortelle.
Valerie-M-kaya
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Poèmes musique - Page 2 Empty Beethoven et Rembrandt

Message par Valerie-M-kaya Ven 9 Avr - 7:51

André Lemoyne





À Charles Blanc.



I

Beethoven et Rembrandt, tous deux nés sur le Rhin,
Dans leur mystérieuse et profonde harmonie,
Vibrent d’accord. — Un sombre et lumineux Génie
Leur a touché le front de son doigt souverain.

Ces deux prédestinés ont des similitudes :
Quelque chose de fier, de sauvage et de grand
Marque pour l’avenir Beethoven et Rembrandt,
Ennemis naturels des hautes servitudes.

De leur temps, ils passaient pour des hallucinés :
L’un voyant tout en or dans une chambre noire,
L’autre écoutant des voix au fond de sa mémoire,
Comme les Enchanteurs et les Illuminés.

Mais qu’importe ! — Chez eux rien qui se mésallie. —
Ils ont aimé toujours leur grand art d’amour pur.
S’ils n’ont rien modulé sur un ton bleu d’azur,
C’est qu’ils n’ont pas connu la Grèce ou l’Italie.

Rembrandt peignait de fiers et sombres cavaliers
Sous feutre à larges bords ou toque à riche plume,
À l’aise dans un ample et merveilleux costume,
Sans raideur, à la fois graves et familiers ;

Bourgmestres et syndics, honnêtes personnages
Dont la barbe caresse un grand col rabattu,
Des gens de haute mine et d’austère vertu,
Trouvant la poésie au fond de leurs ménages ;

Ou marins revenus d’un voyage au long cours,
Des tempêtes du Cap, des îles de la Sonde,
Dans leur pays de brume, au bout de l’Ancien Monde,
Rejoignant au foyer de sérieux amours.

Aux magiques lueurs de sa chaude lumière,
Les pauvres, les souffrants, les humbles, les petits,
Miraculeusement des ténèbres sortis,
Vivaient transfigurés dans leur beauté première.


II

Mais, planant au-dessus des misères communes,
En oiseaux de haut vol, les grandes infortunes
Tombent de préférence au foyer des élus,
Sans que personne ait pu les voir ou les entendre, —
Et d’un large coup d’aile éparpillent la cendre
Sur la braise qui meurt... et ne s’éveille plus.

Pour quelques-uns, surtout, l’épreuve est longue et rude,
Quand autour de leur nom se fait la solitude,
Froide à glacer le cœur, à troubler la raison ;
Et le soir de la vie est profondément triste
Quand, regardant coucher sa gloire, un vieil artiste
Quitte son atelier, son lit et sa maison.

Insolvable, Rembrandt vit passer aux enchères
Ses meubles, ses tableaux, ses œuvres les plus chères,
Dans les sordides mains des fripiers de l’Amstel ;
Et vierges, sous des yeux profanes, ses eaux-fortes,
Comme aux souffles d’hiver un tas de feuilles mortes,
S’en aller pêle-mêle aux quatre vents du ciel.

Lui ne remporta rien, rien que sa foi robuste
Dans l’art. – Sans murmurer contre un verdict injuste,
Contre les temps mauvais, contre le siècle ingrat,
Loin du monde, oubliant sa trace disparue,
Il se réfugia dans une étroite rue
Des vieux quartiers perdus au nord du Rozengracht.

Et là, continuant de graver ou de peindre,
Jusqu’à l’heure où le jour achevait de s’éteindre,
Envahi lentement par les brumes du soir,
Lorsque le ciel était sans lune et sans étoiles,
Il souriait dans l’ombre aux lueurs de ses toiles,
De la nuit ténébreuse éclairant le fond noir.


III

Beethoven a payé chèrement son génie : —
On comprend aujourd’hui sa tristesse infinie,
Tout ce que dans son cœur il a dû refouler ;
La blessure poignante, invisible et profonde,
Qu’il traînait à l’écart, en fuyant loin du monde,
En étouffant des pleurs qui n’avaient pu couler.

Pâtres et chevriers voyaient avec surprise,
Sous les ardents soleils, sous la pluie ou la bise,
Passer cet éternel et singulier marcheur,
Laissant au gré du vent flotter sa houppelande
Comme le Juif-Errant de l’antique légende,
Toujours seul, et le teint bruni comme un faucheur.

Les familles d’oiseaux dans leurs nids réveillées
Tressaillaient à la fois sous les claires feuillées,
Avec leurs cris d’appel et leurs chansons d’amour,
Et, reprenant en chœur toutes ses voix bénies,
Le printemps répétait ses grandes symphonies...
Beethoven n’entendait plus rien... Il était sourd !...

Sourd à toutes les voix, sourd à tous les murmures,
Au vent frais du matin dans les hautes ramures,
Aux bruits mystérieux des sources dans les bois,
Au battoir cliquetant des petites laveuses,
Sur le miroir des eaux souvent toutes rêveuses,
Qui battaient, qui chantaient, qui rêvaient à la fois.

Quand l’orgue, ouvrant le jeu de ses masses chorales,
Relatait sous la nef des vieilles cathédrales,
Sonores jusqu’au fond de leurs caveaux dormants,
Le pauvre dieu martyr en vain prêtait l’oreille ;
À peine croyait-il entendre un vol d’abeille,
Une rumeur confuse en ses bourdonnements.

Obsédé par un sombre et décevant problème,
Beethoven écoutait longuement en lui-même
Un lointain souvenir d’anciens échos perdus ;
À l’heure où le soir tombe, ou quand le jour se lève,
Marcheur silencieux, il renouait en rêve
De merveilleux accords autrefois entendus.

Nous avons le secret de ses larmes fécondes :
Sa joie et sa douleur sont deux sources profondes
Où s’abreuvent sans fin tous les cœurs altérés...
Ses plus riches éclairs jaillissent des ténèbres,
Comme un Alléluia sorti des chants funèbres,
Jetant son cri de gloire aux plus désespérés
Valerie-M-kaya
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Poèmes musique - Page 2 Empty J’entends chanter l’Amérique

Message par Valerie-M-kaya Ven 9 Avr - 7:52



Feuilles d’herbeWalt Whitman

J’entends chanter l’Amérique




J’entends chanter l’Amérique, j'entends ses diverses chansons,
Celles des ouvriers, chacun chantant la sienne joyeuse et forte comme elle doit l'être,
Le charpentier qui chante la sienne en mesurant sa planche ou sa poutre,
Le maçon qui chante la sienne en se préparant au travail ou en le quittant,
Le batelier qui chante ce qui est de sa partie dans son bateau, le marinier qui chante sur le pont du vapeur,
Le cordonnier qui chante assis sur son banc, le chapelier qui chante debout,
Le chant du bûcheron, celui du garçon de ferme en route dans le matin, ou au repos de midi ou à la tombée du jour,
Le délicieux chant de la mère, ou de la jeune femme à son ouvrage, ou de la jeune fille qui coud ou qui lave,
Chacun chantant ce qui lui est propre à lui ou à elle et à nul autre.
Le jour, ce qui appartient au jour - le soir, un groupe de jeunes gars, robustes, cordiaux,
Qui chantent à pleine voix leurs mélodieuses et mâles chansons.
Valerie-M-kaya
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Poèmes musique - Page 2 Empty Chanson III (Musset)

Message par Valerie-M-kaya Ven 9 Avr - 7:53



Alfred de MussetPoésies nouvelles

Chanson
Quand on perd, par triste occurrence






Quand on perd, par triste occurrence,
Son espérance
Et sa gaieté,
Le remède au mélancolique,
C’est la musique
Et la beauté !

Plus oblige et peut davantage
Un beau visage
Qu’un homme armé,
Et rien n’est meilleur que d’entendre
Air doux et tendre
Jadis aimé !
Valerie-M-kaya
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Poèmes musique - Page 2 Empty Chopin (Nelligan)

Message par Valerie-M-kaya Ven 9 Avr - 7:54



Émile NelliganLes Pieds sur les Chenets

Chopin




[ 104 ]


Fais, au blanc frisson de tes doigts,
Gémir encore, ô ma maîtresse !
Cette marche dont la caresse
Jadis extasia les rois.

Sous les lustres aux prismes froids,
Donne à ce cœur sa morne ivresse,
Aux soirs de funèbre paresse
Coulés dans ton boudoir hongrois.

Que ton piano vibre et pleure,
Et que j’oublie avec toi l’heure
Dans un Eden, on ne sait où…

Oh ! Fais un peu que je comprenne
Cette âme aux sons noirs qui m’entraîne
Et m’a rendu malade et fou !
Valerie-M-kaya
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Poèmes musique - Page 2 Empty Chopin (Rollinat)

Message par Valerie-M-kaya Ven 9 Avr - 7:55







À Paul Viardot.



Chopin, frère du gouffre, amant des nuits tragiques,
Âme qui fus si grande en un si frêle corps,
Le piano muet songe à tes doigts magiques
Et la musique en deuil pleure tes noirs accords.

L’harmonie a perdu son Edgar Pœ farouche
Et la mer mélodique un de ses plus grands flots.
C’est fini ! le soleil des sons tristes se couche,
Le Monde pour gémir n’aura plus de sanglots !

Ta musique est toujours – douloureuse ou macabre –
L’hymne de la révolte et de la liberté,
Et le hennissement du cheval qui se cabre
Est moins fier que le cri de ton cœur indompté.

Les délires sans nom, les baisers frénétiques
Faisant dans l’ombre tiède un cliquetis de chairs,
Le vertige infernal des valses fantastiques,
Les apparitions vagues des défunts chers ;

La morbide lourdeur des blancs soleils d’automne ;
Le froid humide et gras des funèbres caveaux ;
Les bizarres frissons dont la vierge s’étonne
Quand l’été fait flamber les cœurs et les cerveaux ;

L’abominable toux du poitrinaire mince
Le harcelant alors qu’il songe à l’avenir ;
L’ineffable douleur du paria qui grince
En maudissant l’amour qu’il eût voulu bénir ;

L’âcre senteur du sol quand tombent des averses ;
Le mystère des soirs où gémissent les cors ;
Le parfum dangereux et doux des fleurs perverses ;
Les angoisses de l’âme en lutte avec le corps ;

Tout cela, torsions de l’esprit, mal physique,
Ces peintures, ces bruits, cette immense terreur,
Tout cela, je le trouve au fond de ta musique
Qui ruisselle d’amour, de souffrance et d’horreur.

Vierges tristes malgré leurs lèvres incarnates,
Tes blondes mazurkas sanglotent par moments,
Et la poignante humour de tes sombres sonates
M’hallucine et m’emplit de longs frissonnements.

Au fond de tes Scherzos et de tes Polonaises,
Épanchements d’un cœur mortellement navré,
J’entends chanter des lacs et rugir des fournaises
Et j’y plonge avec calme et j’en sors effaré.

Sur la croupe onduleuse et rebelle des gammes
Tu fais bondir des airs fauves et tourmentés,
Et l’âpre et le touchant, quand tu les amalgames,
Raffinent la saveur de tes étrangetés.

Ta musique a rendu les souffles et les râles,
Les grincements du spleen, du doute et du remords,
Et toi seul as trouvé les notes sépulcrales
Dignes d’accompagner les hoquets sourds des morts.

Triste ou gai, calme ou plein d’une angoisse infinie,
J’ai toujours l’âme ouverte à tes airs solennels,
Parce que j’y retrouve à travers l’harmonie,
Des rires, des sanglots et des cris fraternels.

Hélas ! toi mort, qui donc peut jouer ta musique ?
Artistes fabriqués, sans nerf et sans chaleur,
Vous ne comprenez pas ce que le grand Phtisique
A versé de génie au fond de sa douleur !
Valerie-M-kaya
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Poèmes musique - Page 2 Empty Mazurka

Message par Valerie-M-kaya Ven 9 Avr - 7:56






[ 107 ]



Rien ne captive autant que ce particulier
Charme de la musique où ma langueur s'adore,
Quand je poursuis, aux soirs, le reflet que mordore
Maint lustre au tapis vert du salon familier.

Que j'aime entendre alors, plein de deuil singulier,
Monter du piano, comme d'une mandore,
Le rythme somnolent où ma névrose odore
Son spasme funéraire et cherche à s'oublier !

Gouffre intellectuel, ouvre-toi, large et sombre,
Malgré que toute joie en ta tristesse sombre,
J'y peux trouver encor comme un reste d'oubli.

Si mon âme se perd dans les gammes étranges
De ce motif en deuil que Chopin a poli
Sur un rythme inquiet appris des noirs Archanges.
Valerie-M-kaya
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Poèmes musique - Page 2 Empty Re: Poèmes musique

Message par Valerie-M-kaya Ven 9 Avr - 7:57

Violon d’adieu





[ ]



Vous jouiez Mendelssohn ce soir-là ; les flammèches
Valsaient dans l’âtre clair, cependant qu’au salon
Un abat-jour mêlait en ondulement long
Ses rêves de lumière au châtain de nos mèches.

Et tristes, comme un bruit frissonnant de fleurs sèches
Éparses dans le vent vespéral du vallon,
Les notes sanglotaient sur votre violon
Et chaque coup d’archet trouait mon cœur de brèches.

Or, devant qu’il se fût fait tard, je vous quittai,
Mais jusqu’à l’aube errant, seul, morose, attristé,
Contant ma jeune peine au lunaire mystère,

Je sentais remonter comme d’amers parfums
Ces musiques d’adieu qui scellaient sous la terre
Et mon rêve d’amour et mes espoirs défunts.
Valerie-M-kaya
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Poèmes musique - Page 2 Empty L’Opéra

Message par Valerie-M-kaya Ven 9 Avr - 7:59






Chant IIClaude-Joseph DoratLa Déclamation théâtrale

Chant III
L’Opéra
Chant IV




Descends, viens m’inspirer, savante Polymnie,
Viens m’ouvrir les trésors de l’auguste harmonie.
Tu m’exauces : déjà tous les chantres des bois,
Te saluant en choeur, accompagnent ma voix.
L’onde de ces ruisseaux plus doucement murmure :
Zéphir plus mollement frémit sous la verdure.
Les roseaux de Syrinx, changés en instrument,
Vont moduler des airs sous les doigts d’un amant.
Cet arbuste est plaintif, cette grotte sonore :
La parole n’est plus, et retentit encore.
Dans le calme enchanteur d’un loisir studieux,
Ô déesse ! J’entends la musique des cieux.
La terre a ses accens, et les airs lui répondent ;
Les astres dans leurs cours jamais ne se confondent.
Les mondes, entraînés par leurs ressorts secrets,
Toujours en mouvement, ne se heurtent jamais.
Paroissant opposés, ils ont leur sympathie :
Dans l’accord général, chacun a sa partie ;
Et les êtres unis par ton art créateur,
Forment un grand concert, digne de leur auteur.

Mais daigne enfin, quittant cette sphere hardie,
Assigner des leçons à notre mélodie.
De la scene lyrique, objet de mes travaux,
Étale à mes regards les magiques tableaux.
Dis-moi par quels secours, le chant, plein de ta flame,
Peut s’ouvrir par l’oreille un chemin jusqu’à l’ame ;
Ce qu’il doit emprunter, pour accroître son feu,
De l’esprit, de la force, et des graces du jeu.
Vous qui sur ce théatre oserez vous produire,
Reçûtes-vous des traits assortis pour séduire ?
N’allez point, sur la scene usurpant un autel,
Faire huer un dieu sous les traits d’un mortel.
Le monde où vous entrez est peuplé de déesses :
L’amour, en folâtrant, y choisit ses prêtresses.
Avec des traits flétris, un teint jaune et plombé,
Pourrez-vous, sans rougir, prendre le nom d’Hébé ?
D’un oeil indifférent verrai-je une mulâtre
Appliquer à Vénus sa couleur olivâtre ;
Dans un char transparent, par des cignes traîné,
Fendre les airs, aux yeux de Paphos étonné,
Et rappeller en vain cet enfant volontaire,
Qui s’est allé cacher à l’aspect de sa mere ?
Que Flore à mes regards n’ose jamais s’offrir,
Sans me faire envier le bonheur de zéphir.
Sa bouche au doux souris, doit être aussi vermeille
Que les boutons de rose, épars dans sa corbeille.

L’amante de Titon, pour fixer nos amours,
Doit avoir la fraîcheur du matin des beaux jours ;
Et sous les pampres verds dont Bacchus se couronne,
Le plaisir doit briller dans les yeux d’érigone.
Que la taille et le port soient toujours adaptés
Aux rôles différens que vous représentez.
Des colosses hautains, dont l’amour fuit les traces,
Pourront-ils badiner sous le corset des graces ?
La naine pourra-t-elle, avec l’air enfantin,
Me retracer Pallas une lance à la main ?
Et l’orgueil menaçant d’une reine en colere
Conviendra-t-il au front d’une simple bergere ?
Sachez, quand il le faut, varier votre ton,
Sévere dans Diane, emporté dans Junon.
Vous sur-tout qui voulez, dans vos fureurs lyriques,
Ressusciter pour nous ces paladins antiques,
Tous ces illustres fous, ces héros fabuleux ;
Soyez, à nos regards, gigantesques comme eux.
C’est peu de m’étaler une jeunesse aimable ;
Je hais un Amadis, s’il n’est point formidable.
Quand Roland déracine, en ses fougueux accès,
Ces chênes orgueilleux, ornemens des forêts,
Je veux que, déployant une haute stature,
Il enrichisse l’art des dons de la nature.
S’il n’en impose point à l’oeil du spectateur,
Si je ne confonds point le modele et l’acteur,

D’un tableau sans effet bientôt je me détache ;
Je ne vois qu’un enfant caché sous un panache,
Et dont le foible bras, fidele à sa leçon,
Renverse avec fracas des arbres de carton.
En vain son oeil menace, et sa main est armée ;
Je cherche le héros, et je ris du pygmée.
Par la seule raison mon esprit enchanté,
Cherche dans le prestige un air de vérité.
Pour nous rendre les traits d’Adonis ou d’Alcide,
Le genre de vos voix peut vous servir de guide.
Des sons frêles et doux seroient choquans et faux,
Dans la bouche du dieu qui gourmande les flots.
Ces organes sont faits pour briller dans des fêtes ;
C’est d’un ton foudroyant que l’on parle aux tempêtes.
Quand les vents déchaînés mugissent une fois,
Ils ne s’appaisent point avec des ports de voix ;
Et Jupiter-lui même, armé de son tonnerre,
Se verroit, dans sa gloire, insulté du parterre,
S’il venoit, s’annonçant par un timbre argentin,
Prononcer en fausset les arrêts du destin.
Mais c’est peu de la voix, c’est peu de la figure,
Si vous ignorez l’art d’achever l’imposture,
De parer ces présens, d’y joindre l’action,
Et cette vérité, d’où naît l’illusion.
Dans ce ressort trop dur mettez plus de mollesse :
Ces muscles trop tendus ont besoin de souplesse.

La grace et la beauté d’un athlete vainqueur
Sont dans l’usage adroit de sa mâle vigueur.
Faites-vous, il le faut, une secrete étude
De chaque mouvement et de chaque attitude.
Instruits par la nature, apprenez à l’orner ;
Sur le théatre enfin sachez vous dessiner.
C’est par là que Chassé régna sur votre scene,
Et partage le trône où s’assied Melpomene.
Prête à favoriser vos utiles efforts,
La peinture a pour vous déroulé ses trésors.
Des grands maîtres de l’art consultez les ouvrages,
Voyez-y nos héros vivre dans leurs images.
L’un, pâlissant de rage, arrachant ses cheveux,
Semble frapper la terre, et maudire les cieux :
L’autre, plus recueilli dans ses sombres alarmes,
De son oeil consterné laisse tomber des larmes.
Ici, c’est un amant, vengeant ses feux trahis :
Là, c’est un pere en pleurs, qui réclame son fils.
Dans sa noble fureur, voyez comment Achille
Est fier et menaçant, quoiqu’il reste immobile.
Quelle ame dans ce calme et quel emportement !
Chaque fibre, à mes yeux, exprime un sentiment.
Mais auprès de Vénus cherche en vain son audace :
La fureur disparoît, et l’amour la remplace.
Entre des bras d’albâtre à tout moment pressé,
Sur le sein qu’il caresse il languit renversé ;

Son regard est brûlant, son ame est éperdue :
Aux levres de Cypris sa bouche est suspendue ;
Et de son oeil guerrier, où brillent les desirs,
Coulent ces pleurs si doux, que l’on doit aux plaisirs.
Raphaël et Rubens ont droit à votre hommage :
C’est quand l’acteur peint bien qu’il nous plaît davantage.
Lorsqu’un chantre fameux, une lyre à la main,
Exerçoit des accords le pouvoir souverain,
Et par une harmonie, ou belliqueuse ou tendre,
Maîtrisoit le génie et l’ame d’Alexandre,
Échauffoit ses transports, l’enivroit tour-à-tour
De douleur, de plaisir, de vengeance et d’amour,
Lui faisoit à son gré prendre ou quitter les armes,
Pousser des cris de rage, ou répandre des larmes ;
Rallumoit sa fureur contre Persépolis,
Ou le précipitoit sur le sein de Thaïs,
Puis-je croire qu’alors un front plein d’énergie,
De ces divers accens n’aidât point la magie ?
Les regards de l’Orphée, altiers, sombres touchans
Peignoient les passions, mieux encor que ses chants ;
Dans tous ses mouvemens respiroit le délire :
Son geste, son visage accompagnoit sa lyre,
Et de son action l’éloquente chaleur
Transmettoit à ses sons la flamme de son coeur.
L’organe le plus beau, privé de cette flame,
Forme un stérile bruit qui ne va point à l’ame.

Que l’organe pourtant ne soit point négligé.
Cet utile ressort veut être dirigé.
La nature le donne, et l’art sait le conduire,
L’affoiblir ou l’enfler, l’étendre ou le réduire.
Insinuant et doux, quand il faut demander,
Terrible et véhément, quand il faut commander ;
Sourd dans le désespoir, sonore dans la joie,
Tantôt il se renferme et tantôt se déploie.
Le ton est tyrannique ; il s’y faut asservir ;
Mais les inflexions doivent vous obéir.
Selon que l’ame souffre ou que l’ame est contente,
L’inflexion doit suivre ou vive ou gémissante.
Des sons autour de nous éclatent vainement ;
Leur plus douce magie est dans le sentiment :
Le sentiment fait tout, c’est lui qui me réveille,
Par lui l’ame est admise au plaisir de l’oreille ;
Et je place l’acteur, privé d’un si beau don,
Au-dessous du fluteur instruit par Vaucanson.
Notre goût, plus superbe avec plus de justesse,
De nos récitatifs accuse la tristesse ;
Ces modulations, dont le refrein glacé
Semble un hymne funebre au sommeil adressé.
Le vrai récitatif, sans appareil frivole,
Doit marcher, doit voler, ainsi que la parole.
Pour lier l’action ce langage est formé,
Et veut être chanté, bien moins que déclamé.

Pourquoi donc tous ces cris, ces inflexions lourdes,
Ces accens prolongés sur des syllabes sourdes,
Ces froids glapissemens, qu’on se plaît à filer ?
Cessez de m’étourdir, quand il faut me parler.
Quittez cet attirail, cette insipide emphase,
L’écueil de notre chant, loin d’en être la base ;
Et ne vous piquez plus du fol entêtement
D’endormir le public mélodieusement.
La célebre Le Maure, honneur de votre scene,
Asservissoit Euterpe aux loix de Melpomene.
Elle phrasoit son chant, sans jamais le charger :
Ce qui languissoit trop, elle osoit l’abréger.
Ce long récitatif, où l’auditeur sommeille,
Fixoit l’esprit alors, en caressant l’oreille ;
Et le drame lyrique, aujourd’hui si traînant,
Avec légéreté couroit au dénoûment.
Réservez, réservez la pompe musicale,
Pour ces morceaux marqués, où l’organe s’étale,
Où l’ame enfin s’échappe en sons plus véhémens,
Et donne un libre essor à tous ses sentimens.
Mais parmi les écarts d’une voix moins timide,
Que le motif de l’air soit toujours votre guide.
C’est ainsi qu’un sculpteur, à qui l’art est connu,
Sous le voile toujours fait soupçonner le nu.
Dans ce fracas lyrique, et ce brillant délire,
Par un maintien forcé n’apprêtez point à rire.

Craignez de vous borner à des sons éclatans ;
Et gardez que vos bras, suspendus trop long-tems,
Comme deux contrepoids qu’en l’air un fil balance,
Attendent, pour tomber, la fin d’une cadence.
Sans doute par le chant vous devez nous charmer ;
Mais c’est au jeu sur-tout que je veux vous former.
Toi, qui veux t’emparer des rôles à baguette,
Si tu n’as pour talent qu’une audace indiscrette,
Pourras-tu, l’oeil en feu, bouleverser les airs,
Faire pâlir Hécate, enfler le sein des mers,
Et perçant de Pluton le ténébreux domaine,
À tes dragons ailés parler en souveraine ?
Tes yeux me peindront-ils la rage et la douleur ?
Pour évoquer l’enfer, il faut de la chaleur.
Ne va point imiter ces sorcieres obscures,
Qui n’ont rien d’infernal, si ce n’est leurs figures ;
Menacent sans fureur, s’agitent sans transport,
Et dont le moindre geste est un pénible effort.
Sisyphe, à leur aspect, et transit et succombe :
De ses doigts engourdis sa roche échappe, tombe ;
Et l’ardent Ixion, surpris de frissonner,
Sur son axe immobile a cessé de tourner.
Il faut que, dans son jeu, la redoutable Armide
M’attendrisse à la fois, m’échauffe et m’intimide.
Dans ces rians jardins Renaud est endormi,
Ce n’est plus ce guerrier, ce superbe ennemi,
Ombragé d’un panache et caché sous des armes ;
C’est Adonis qui dort, protégé par ses charmes.

Armide l’apperçoit, jette un cri de fureur,
S’élance, va percer son inflexible coeur...
Ô changement soudain ! Elle tremble, soupire,
Plaint ce jeune héros, le contemple et l’admire.
Trois fois, prêt à frapper, son bras s’est ranimé,
Et son bras qui retombe est trois fois désarmé.
Son courroux va renaître et va mourir encore :
Elle vole à Renaud, le menace, l’adore,
Laisse aller son poignard, le reprend tour-à-tour ;
Et ses derniers transports sont des transports d’amour.
Que ces emportemens sont mêlés de tendresse !
Quel contraste frappant de force et de foiblesse !
Que de soupirs brûlans ! Que de secrets combats !
Que de cris et d’accens, qui ne se notent pas !
À l’ame seule alors il faut que j’applaudisse :
La chanteuse s’éclipse, et fait place à l’actrice.
Il échappe souvent des sons à la douleur,
Qui sont faux à l’oreille et sont vrais pour le coeur.
Quand de Psyché mourante au milieu de l’orage,
Arnould les yeux en pleurs me vient offrir l’image,
Et frémit sous la nue, où brillent mille éclairs,
Puis-je entendre sa voix, dans le fracas des airs ?

J’aime à voir son effroi lorsque la foudre gronde,
Et ses regards errans sur les gouffres de l’onde ;
Ses sons plaintifs et sourds me pénetrent d’horreur,
Et son silence même ajoute à ma terreur.
Grace à l’illusion, je sens trembler la terre ;
Cet airain, en roulant, me semble un vrai tonnerre :
Ces flots que l’art souleve et sait assujettir,
Sont des flots écumans, tout prêts à l’engloutir ;
Et lorsque le flambeau des pâles euménides
Éclaire son désordre et ses graces timides,
J’éprouve sa frayeur, je frissonne, et je croi
Entendre tout l’enfer rugir autour de moi.
Telle est du grand talent la puissante féerie ;
Il rend tout vraisemblable, il donne à tout la vie ;
Il anime la scene, et, pour dicter des loix,
À peine a-t-il besoin du secours de la voix.
À ces divers effets comment pourroit prétendre
Celle qui, sur la scene affectant un air tendre,
Sensible par corvée, et folle par état,
Quand son air est chanté, sourit au premier fat,
Provoque les regards, va mendier l’éloge
De ce jeune amateur endormi dans sa loge ;
Et le coeur gros encor, l’oeil de larmes trempé,
Arrange, en minaudant, tout le plan d’un soupé ?
Que jamais votre esprit ne soit hors de la scene,
Que votre oeil au hasard jamais ne se promene.

Oubliez des balcons ces muets entretiens ;
Vos regards sont distraits, ils détournent les miens.
Mais vous qui, dans nos choeurs prétendus harmoniques,
Venez nous étaler vos masses organiques,
Et circulairement rangés en espalier,
Detonnez de concert pour mieux nous ennuyer ;
Vous verrai-je toujours, l’esprit et le coeur vuides,
Hurlant, les bras croisés, vos refrains insipides ?
Vous est-il défendu de peindre dans vos yeux,
Ou la tristesse sombre, ou les folâtres jeux ?
Pour célébrer Vénus, Cérès, Flore et Pomone,
Lorsque le tambourin autour de vous résonne,
Sous des berceaux de fleurs lorsque d’heureux amans
Entrelacent leur chiffre, et gravent leurs sermens,
Ou que l’ardent vainqueur de l’Indus et du Gange,
Une coupe à la main, préside à la vendange ;
Quand tout est rayonnant du feu de la gaîté,
De quel oeil soutenir votre immobilité ?
Vous gâtez le tableau qui par vous se partage ;
De grace, criez moins, et sentez davantage ;
Et que l’on puisse enfin, sur vos fronts animés,
Trouver le sens des vers, par la voix exprimés...
La scene s’embellit : sur des bords solitaires,
Je vois se réunir des grouppes de bergeres.
Des bergers amoureux ont volé sur leurs pas ;
Apollon les appelle à d’aimables combats.

Des guirlandes de fleurs ont paré ces musettes.
Cent touffes de rubans décorent ces houlettes :
Déjà de l’art du chant on dispute le prix,
Les juges sont églé, Silvanire, Cloris ;
C’est dans leurs jeunes mains que brille la couronne,
C’est le goût qui l’obtient, et l’amour qui la donne.
Le goût fut ton génie, ô toi, chantre adoré,
Toi, moderne Linus, par lui-même inspiré !
Que j’aimois de tes sons l’heureuse symmétrie,
Leur accord, leur divorce et leur économie !
Organe de l’amour auprès de la beauté,
Tu versois dans les coeurs la tendre volupté.
L’amante en vain s’armoit d’un orgueil inflexible ;
Elle couroit t’entendre, et revenoit sensible.
Plus d’une fois le dieu qui préside aux saisons,
Qui fait verdir les prés, et jaunir les moissons,
Las du céleste ennui, jaloux de nos hommages,
Sous les traits d’un berger parut dans nos bocages :
Sous ces humbles dehors, heureux et caressé,
Il retrouva les cieux dans les regards d’Issé ;
Et goûtant de deux coeurs la douce sympathie,
Fut dieu plus que jamais dans les bras de Clithie.
C’est lui sans doute encor qui vient, changeant d’autels,
Amuser sous tes traits, et charmer les mortels.
Vous, qui voulez sortir de la foule profane,
Comme lui cultivez et domptez votre organe ;
Corrigez-en les tons aigres, pesans ou faux ;
En graces, comme lui, transformez vos défauts.
Prétendez-vous m’offrir le lever de l’aurore ?
Que votre foible voix par degré semble éclore,
Et soudain déployée en sons vifs et brillans,
Me retrace du jour les feux étincelans.
De l’amour qui gémit qu’elle exprime les peines,
Se joue avec ses traits, et roule avec ses chaînes.
Peignez-vous un ruisseau ? Que vos sons amoureux
Coulent avec ses flots, et murmurent comme eux.
Répandez sur vos tons une aimable mollesse :
D’un organe d’airain soumettre la rudesse
À chanter les plaisirs et les ris ingénus,
C’est donner à Vulcain l’écharpe de Vénus.
Tel acteur s’applaudit et se croit sûr de plaire,
Qui d’une voix tonnante aborde une bergere.
À peine dans son art il est initié,
Et c’est en mugissant qu’il me peint l’amitié.
Mettez dans votre chant d’insensibles nuances ;
Des airs lents ou pressés marquez les différences.
Ce passage est frappant et veut de la vigueur :
Là, que l’inflexion expire avec langueur,
Et que par le succès votre voix enhardie
Ajoute, s’il se peut, à notre mélodie.
Divine mélodie, ame de l’univers,
De tes attraits sacrés viens embellir mes vers.

Tout ressent ton pouvoir ; sur les mers inconstantes
Tu retiens l’aquilon dans les voiles flottantes.
Tu ravis, tu soumets les habitans des eaux,
Et ces hôtes ailés qui peuplent nos berceaux.
L’amphion des forêts, tandis que tout sommeille,
Prolonge en ton honneur son amoureuse veille,
Et seul sur un rameau, dans le calme des nuits,
Il aime à moduler ses douloureux ennuis.
Tes loix ont adouci les moeurs les plus sauvages ;
Quel antre inhabité, quels horribles rivages
N’ont pas été frappés par d’agréables sons ?
Le plus barbare écho répéta des chansons.
Dès qu’il entend frémir la trompette guerriere,
Le coursier inquiet leve sa tête altiere,
Hennit, blanchit le mords, dresse ses crins mouvans,
Et s’élance aux combats, plus léger que les vents.
De l’homme infortuné tu suspends la misere,
Tu rends le travail doux, et la peine légere.
Que font tant de mortels en proie aux noirs chagrins,
Et que le ciel condamne à souffrir nos dédains ?
Le moissonneur actif que le soleil dévore,
Le berger dans la plaine errant avant l’aurore ?
Que fait le forgeron soulevant ses marteaux ?
Le vigneron brûlé sur ses ardens côteaux ?
Le captif dans les fers, le nautonnier sur l’onde,
L’esclave enseveli dans la mine profonde,
Le timide indigent dans son obscur réduit ?
Ils chantent : l’heure vole, et la douleur s’enfuit.
Jeune et discret amant, toi qui, dans ton ivresse,
N’as pu fléchir encor ton injuste maîtresse :
Dans le mois qui nourrit nos frêles rejetons,
Et voit poindre les fleurs à travers leurs boutons,
Sur la scene des champs n’oses-tu la conduire ?
La nature est si belle à son premier sourire !
Qu’avec toi ton églé contemple ces tableaux,
Et l’émail des vallons, et l’argent des ruisseaux :
Dans cet enchantement, que sa main se repose
Sur ce frais velouté qui décore la rose ;
Qu’elle puisse à longs traits en respirer l’odeur :
Le plaisir de ses sens va passer dans son coeur.
Si de tous ces attraits elle osoit se défendre,
Joins-y la volupté d’un chant flexible et tendre :
Tu l’entendras bientôt en secret soupirer...
Et je laisse à l’amour le soin de t’éclairer.
L’art des sons n’est que l’art d’émouvoir et de plaire ;
C’est le plus doux secret pour vaincre une bergere :
Mais bannissez l’apprêt ; il nous glace ; et le chant,
S’il est maniéré, cesse d’être touchant.
Évitez avec soin la molle afféterie ;
Qu’avec légéreté votre voix se varie.
Jaloux de l’embellir, craignez de la forcer ;
Un organe contraint ne peut intéresser.

Soyez vrai, naturel, c’est la premiere grace,
Et celle qu’on poursuit dégénere en grimace.
Pour illustrer votre art, respectez dans vos jeux
Le palais des héros et le temple des dieux.
Du trône où siege Euterpe il ne faut point descendre.
Sans indignation puis-je voir, puis-je entendre
Naziller Arlequin, grimacer Pantalon,
Où tonnoit Jupiter, où chantoit Apollon ?
En secret indigné que sa scene avilie
Se fût prostituée aux bouffons d’Italie ;
Que le françois, trompé par un charme nouveau,
Eût pour leurs vains fredons abandonné Rameau ;
Ce dieu voulut punir ce transport idolâtre,
Et chargeant d’un carquois ses épaules d’albâtre,
Les yeux étincelans, la fureur dans le sein,
Aux antres de Lemnos il descend chez Vulcain.
L’immortel, tout noirci de feux et de fumée,
Attisoit de ses mains la fournaise allumée ;
Mais il ne forgeoit plus ces instrumens guerriers,
Ces tonnerres de Mars, ces vastes boucliers,
Où l’air semble fluide, où l’onde dans sa sphere
Coule, et sert mollement de ceinture à la terre.
L’enclume retentit sous de plus doux travaux ;
Il y frappe des dards pour l’enfant de Paphos.

Vulcain, dit Apollon, on profane mon culte ;
Sur mes autels souillés chaque jour on m’insulte.
Venge-moi. Tout-à-coup dans les bruyans fourneaux
Des cyclopes ailés allument cent flambeaux ;
Ils volent, et déjà leur cohorte enhardie
Sur les faîtes du temple a lancé l’incendie.
Le croissant de Phébé, la conque de Cypris,
La guirlande de Flore et l’arc brillant d’Iris,
Des champs élisiens l’immortelle parure,
Les zéphirs, les ruisseaux, les fleurs et la verdure,
Les superbes forêts, les rapides torrens,
Du souverain des mers les palais transparens,
Hélas, tout est détruit ! On parcourt les ruines :
Là chantoient les plaisirs et les graces badines.
Le Mierre, prodigant les charmes de sa voix,
Là, disputoit le prix aux sirenes des bois :
Ici l’aimable Arnould exerçoit son empire,
Et nous intéressoit aux pleurs de Télaïre.
Euterpe cependant, pour nous dicter ses loix,
Rentre dans son asyle, et reprend tous ses droits.
Rameau, le sceptre en main, éclipse Pergolese :
Le goût a reparu : le dieu du jour s’appaise,
Et son ressentiment nous poursuivroit encor,
Si la scene à ses yeux n’eût remontré Castor.
Valerie-M-kaya
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Poèmes musique - Page 2 Empty Verlaine

Message par Rita-kazem Dim 11 Avr - 11:36

De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
(1844-1896), Jadis et naguère, « Art poétique »
Rita-kazem
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Poèmes musique - Page 2 Empty Albert Samain : Musique sur l'eau

Message par nadia ibrahimi Dim 18 Avr - 12:05

Albert Samain : Musique sur l'eau
Oh ! Écoute la symphonie ;
Rien n'est doux comme une agonie
Dans la musique indéfinie
Qu'exhale un lointain vaporeux ;






D'une langueur la nuit s'enivre,
Et notre coeur qu'elle délivre
Du monotone effort de vivre
Se meurt d'un trépas langoureux.

Glissons entre le ciel et l'onde,
Glissons sous la lune profonde ;
Toute mon âme, loin du monde,
S'est réfugiée en tes yeux,

Et je regarde tes prunelles
Se pâmer sous les chanterelles,
Comme deux fleurs surnaturelles
Sous un rayon mélodieux.

Oh ! écoute la symphonie ;
Rien n'est doux comme l'agonie
De la lèvre à la lèvre unie
Dans la musique indéfinie...
nadia ibrahimi
nadia ibrahimi

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Poèmes musique - Page 2 Empty Albert Samain: Musique

Message par nadia ibrahimi Dim 18 Avr - 12:07

Albert Samain :Musique
Puisqu'il n'est point de mots qui puissent contenir,
Ce soir, mon âme triste en vouloir de se taire,
Qu'un archet pur s'élève et chante, solitaire,
Pour mon rêve jaloux de ne se définir.






O coupe de cristal pleine de souvenir ;
Musique, c'est ton eau seule qui désaltère ;
Et l'âme va d'instinct se fondre en ton mystère,
Comme la lèvre vient à la lèvre s'unir.

Sanglot d'or !... Oh ! voici le divin sortilège !
Un vent d'aile a couru sur la chair qui s'allège ;
Des mains d'anges sur nous promènent leur douceur.

Harmonie, et c'est toi, la Vierge secourable,
Qui, comme un pauvre enfant, berces contre ton coeur
Notre coeur infini, notre coeur misérable.
nadia ibrahimi
nadia ibrahimi

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Poèmes musique - Page 2 Empty Jean Moréas:musique

Message par Nadej-isis Dim 18 Avr - 15:00

La voix, songeuse voix de lèvres devinées,
Eparse dans les sons aigus de l' instrument,
A travers les murs sourds filtre implacablement,
Irritant des désirs et des langueurs fanées.
Alors, comme sous la baguette d' un sorcier,
Dans mon esprit flottant la vision se calque :
Blanche avec des cheveux plus noirs qu' un catafalque,
Frêle avec des rondeurs plus lisses que l' acier.
Dans le jade se meurt la branche de verveine.
Les tapis sont profonds et le vitrail profond.
Les coussins sont profonds et profond le plafond.
Nul baiser attristant, nulle caresse vaine.
La voix, songeuse voix de lèvres devinées,
Eparse dans les sons aigus de l' instrument,
A travers les murs sourds filtre implacablement,
Irritant des désirs et des langueurs fanées.
Nadej-isis
Nadej-isis

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Date d'inscription : 15/03/2010

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