L'automne de la vie
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L'automne de la vie
J'ai pris un coup de vieux. J'octobre un brin. Autour de moi, bien sûr, tout le monde me dit que j'ai l'air plus heureux que jamais, l'air aussi jeune qu'avant, le compliment suprême. Mais non, ils se trompent, j'ai pris un coup de vieux et j'en suis fort aise, je ne lutte pas, ne répliquerai pas à coups de Botox, personne ne serait dupe.
Non, je découvre encore des sous-couches de réalité, des nuances de perception de cette humanité dont je croyais avoir fait le tour. Maintenant je sais, comme chantait Gabin.
De toute façon, j'ai toujours cultivé des goûts un peu surannés, j'ai un fond d'antiquaire attirée par la patine et la cire d'abeille. Mon grand-père était vieux et j'ai toujours conservé de vieux amis près de moi, une façon comme une autre de se garder jeune et de se sentir inexpérimentée. J'ai encore des croûtes à manger.
Languirand m'a déjà dit qu'on vieillit par paliers, en escalier, jamais de façon graduelle. Un jour, on est jeune; le lendemain, on se réveille le cou raidi, les cheveux blancs et de plus en plus seul avec ses expériences et ses souvenirs. Comme l'écrivait Jacques Godbout dans les pages du Devoir cette semaine: «L'histoire ne s'écrit pas seulement à partir de documents, il faut parfois l'avoir vécue.»
Il a raison. C'est comme le coup de vieux, il faut le vivre. Ça m'est tombé dessus comme tombent les feuilles mortes. Pourquoi me sentir usée tout à coup? Parce que mon B coiffera sept ans la semaine prochaine, l'âge de raison, de tout l'avenir devant soi? Parce que j'ai hérité de deux beaux-fils dans la vingtaine en me mariant? Je n'avais pas prévu devenir une «vieille» belle-mère si jeune. Dans leurs yeux, j'ai l'impression de voir La Sagouine.
Il y a dix ans, j'aurais encore essayé d'être cool, de les draguer. Plus maintenant, je préfère leur père. Et je sais trop bien que je me couvrirais de ridicule. Mais il m'arrive de penser que toute nue sur une moto, je pourrais encore les faire triper... surtout à cause de la moto.
Ces «enfants» sont d'un tout autre monde. Désormais, nous devons traduire un autrefois, remettre en perspective, construire des ponts et tendre la perche vers eux. J'ai eu moins de mal à comprendre le siècle de mes grands-parents (Les Filles de Caleb) que j'en aurai à saisir celui de mes petits-enfants. Je suis une virgule entre parenthèses dans cette hachure qui sépare les générations. Je suis un trait d'union entre la mémoire d'un monde rural fondé sur le rythme de la nature et l'instantanéité d'une époque béate devant la technologie et sa toute-puissance sur le temps. Le fossé générationnel est devenu un ravin.
Je me souviens
Des coups de vieux, j'en ai un peu tous les jours, remarquez. J'ai reconnu le comédien Jean-Louis Roux l'autre jour, chez le véto. Méchant coup de vieux. J'ai fait la bise à l'inénarrable Jean-Claude Germain (pour les jeunes: allez sur Wiki) samedi dernier et nous avions encore des choses à nous dire. J'ai connu les créditistes qui voulaient imprimer de l'argent pour le donner aux pauvres («Les autres partis vous ont amenés au bord du précipice. Le crédit social vous fera faire un pas en avant!»). J'ai fréquenté PKP dans sa période marxiste.
Signe qui ne ment pas, j'ai commencé à lire distraitement les nécrologies (et seulement celles du Devoir, parce qu'elles résument l'idée générale de manière sobre). Je sais comment faire fonctionner le téléphone à roulette noir dans notre maison. Je m'endors en énumérant les prénoms de mes ex et généralement je n'atteins pas mes 30 ans. Je préfère un yogourt à un steak et commence à saisir l'utilité du «manger mou». Je m'émeus d'un rien. J'ai besoin d'un physio pour me rendre au vendredi et d'Advil la fin de semaine. On m'a déjà remplacée à la télé par Suzanne Lapointe, preuve que la chirurgie esthétique peut être payante.
Il m'arrive de parler au passé et de trouver que le présent radote.
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/297199/zeitgeist-l-automne-de-la-vie
Non, je découvre encore des sous-couches de réalité, des nuances de perception de cette humanité dont je croyais avoir fait le tour. Maintenant je sais, comme chantait Gabin.
De toute façon, j'ai toujours cultivé des goûts un peu surannés, j'ai un fond d'antiquaire attirée par la patine et la cire d'abeille. Mon grand-père était vieux et j'ai toujours conservé de vieux amis près de moi, une façon comme une autre de se garder jeune et de se sentir inexpérimentée. J'ai encore des croûtes à manger.
Languirand m'a déjà dit qu'on vieillit par paliers, en escalier, jamais de façon graduelle. Un jour, on est jeune; le lendemain, on se réveille le cou raidi, les cheveux blancs et de plus en plus seul avec ses expériences et ses souvenirs. Comme l'écrivait Jacques Godbout dans les pages du Devoir cette semaine: «L'histoire ne s'écrit pas seulement à partir de documents, il faut parfois l'avoir vécue.»
Il a raison. C'est comme le coup de vieux, il faut le vivre. Ça m'est tombé dessus comme tombent les feuilles mortes. Pourquoi me sentir usée tout à coup? Parce que mon B coiffera sept ans la semaine prochaine, l'âge de raison, de tout l'avenir devant soi? Parce que j'ai hérité de deux beaux-fils dans la vingtaine en me mariant? Je n'avais pas prévu devenir une «vieille» belle-mère si jeune. Dans leurs yeux, j'ai l'impression de voir La Sagouine.
Il y a dix ans, j'aurais encore essayé d'être cool, de les draguer. Plus maintenant, je préfère leur père. Et je sais trop bien que je me couvrirais de ridicule. Mais il m'arrive de penser que toute nue sur une moto, je pourrais encore les faire triper... surtout à cause de la moto.
Ces «enfants» sont d'un tout autre monde. Désormais, nous devons traduire un autrefois, remettre en perspective, construire des ponts et tendre la perche vers eux. J'ai eu moins de mal à comprendre le siècle de mes grands-parents (Les Filles de Caleb) que j'en aurai à saisir celui de mes petits-enfants. Je suis une virgule entre parenthèses dans cette hachure qui sépare les générations. Je suis un trait d'union entre la mémoire d'un monde rural fondé sur le rythme de la nature et l'instantanéité d'une époque béate devant la technologie et sa toute-puissance sur le temps. Le fossé générationnel est devenu un ravin.
Je me souviens
Des coups de vieux, j'en ai un peu tous les jours, remarquez. J'ai reconnu le comédien Jean-Louis Roux l'autre jour, chez le véto. Méchant coup de vieux. J'ai fait la bise à l'inénarrable Jean-Claude Germain (pour les jeunes: allez sur Wiki) samedi dernier et nous avions encore des choses à nous dire. J'ai connu les créditistes qui voulaient imprimer de l'argent pour le donner aux pauvres («Les autres partis vous ont amenés au bord du précipice. Le crédit social vous fera faire un pas en avant!»). J'ai fréquenté PKP dans sa période marxiste.
Signe qui ne ment pas, j'ai commencé à lire distraitement les nécrologies (et seulement celles du Devoir, parce qu'elles résument l'idée générale de manière sobre). Je sais comment faire fonctionner le téléphone à roulette noir dans notre maison. Je m'endors en énumérant les prénoms de mes ex et généralement je n'atteins pas mes 30 ans. Je préfère un yogourt à un steak et commence à saisir l'utilité du «manger mou». Je m'émeus d'un rien. J'ai besoin d'un physio pour me rendre au vendredi et d'Advil la fin de semaine. On m'a déjà remplacée à la télé par Suzanne Lapointe, preuve que la chirurgie esthétique peut être payante.
Il m'arrive de parler au passé et de trouver que le présent radote.
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/297199/zeitgeist-l-automne-de-la-vie
Dernière édition par julien le Lun 11 Oct - 12:10, édité 1 fois
julien- Nombre de messages : 1159
Date d'inscription : 24/02/2010
Le bonheur de vieillir
Le bonheur de vieillir
Autre coup de vieux, tiens, nous avons fait construire une bibliothèque pour unir nos livres, mon mari tout neuf et moi. Une bibliothèque! À l'heure du iPad. Pourquoi pas un mausolée? Unis, mes Larousse du XXe siècle à ses livres de Borges. Unis, mes essais de Falardeau à ses Desproges et ses Achille Talon.
En plaçant les livres sur les étagères, aidée de ma vieille chum Mimi, je suis tombée sur des perles, de Racine (Phèdre) à Alain Peyrefitte, de Paris est une fête d'Hemmingway à Un simple soldat de Dubé, de Proust à Survivre au divorce.
Je relis du Molière, signe que j'avance en âge (on relit), et j'y puise dans la sagesse édifiante des vers. «Écoute ça Mimi, dans Le Misanthrope:
«Non: elle est générale et je hais tous les hommes
Les uns, parce qu'ils sont méchants et malfaisants,
Et les autres, pour être aux méchants complaisants,
Et n'avoir pas pour eux ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.»
Mimi a eu 72 ans cet été et a dû se taper Molière dans toutes ses moutures au TNM, y compris avec Jean-Louis Roux, puisqu'elle a épousé un homme de théâtre jadis et naguère (Gaëtan Labrèche, le père de l'autre). Je l'ai connue à l'occasion du 25e anniversaire de Châtelaine... qui célébrera son 50e la semaine prochaine!
On pourrait penser qu'elle parle en alexandrins, qu'elle a pris un coup de vieux. Que non. Mimi est bien plus pimpante que tous les supposés jeunes que je rencontre. Un de mes beaux beaux-fils a même regretté les cinq décennies et quelques tweets qui les séparaient... Je lui offrirai Harold et Maude à Noël pour lui donner des idées.
«Mon premier et dernier coup de vieux, me raconte Mimi, je l'ai eu à 30 ans. Ma jeunesse était finie. Aujourd'hui? Je trouve que j'y gagne; je voudrais avoir 72 ans toute ma vie. Je ne suis plus dans la séduction, c'est reposant. Je me remets plus facilement de mes peines et de mes déceptions. En vieillissant, on prend une distance, on se sacre plus des affaires. Et si les jeunes en savent plus que moi sur certaines choses, l'inverse est vrai aussi. L'humain ne peut apprendre que par ses erreurs. Et souvent, tu vois que les autres ne sont pas rendus où tu es mais tu ne peux pas le leur dire... L'expérience permet de relativiser. C'est le grand cadeau qui vient avec l'âge.»
Relativisons, donc. Je ne suis pas vieille, je suis moins naïve et insolente qu'avant. Je n'ai pas pris un coup de vieux, je ramasse les feuilles de mon arrière-saison.
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/297199/zeitgeist-l-automne-de-la-vie
Autre coup de vieux, tiens, nous avons fait construire une bibliothèque pour unir nos livres, mon mari tout neuf et moi. Une bibliothèque! À l'heure du iPad. Pourquoi pas un mausolée? Unis, mes Larousse du XXe siècle à ses livres de Borges. Unis, mes essais de Falardeau à ses Desproges et ses Achille Talon.
En plaçant les livres sur les étagères, aidée de ma vieille chum Mimi, je suis tombée sur des perles, de Racine (Phèdre) à Alain Peyrefitte, de Paris est une fête d'Hemmingway à Un simple soldat de Dubé, de Proust à Survivre au divorce.
Je relis du Molière, signe que j'avance en âge (on relit), et j'y puise dans la sagesse édifiante des vers. «Écoute ça Mimi, dans Le Misanthrope:
«Non: elle est générale et je hais tous les hommes
Les uns, parce qu'ils sont méchants et malfaisants,
Et les autres, pour être aux méchants complaisants,
Et n'avoir pas pour eux ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.»
Mimi a eu 72 ans cet été et a dû se taper Molière dans toutes ses moutures au TNM, y compris avec Jean-Louis Roux, puisqu'elle a épousé un homme de théâtre jadis et naguère (Gaëtan Labrèche, le père de l'autre). Je l'ai connue à l'occasion du 25e anniversaire de Châtelaine... qui célébrera son 50e la semaine prochaine!
On pourrait penser qu'elle parle en alexandrins, qu'elle a pris un coup de vieux. Que non. Mimi est bien plus pimpante que tous les supposés jeunes que je rencontre. Un de mes beaux beaux-fils a même regretté les cinq décennies et quelques tweets qui les séparaient... Je lui offrirai Harold et Maude à Noël pour lui donner des idées.
«Mon premier et dernier coup de vieux, me raconte Mimi, je l'ai eu à 30 ans. Ma jeunesse était finie. Aujourd'hui? Je trouve que j'y gagne; je voudrais avoir 72 ans toute ma vie. Je ne suis plus dans la séduction, c'est reposant. Je me remets plus facilement de mes peines et de mes déceptions. En vieillissant, on prend une distance, on se sacre plus des affaires. Et si les jeunes en savent plus que moi sur certaines choses, l'inverse est vrai aussi. L'humain ne peut apprendre que par ses erreurs. Et souvent, tu vois que les autres ne sont pas rendus où tu es mais tu ne peux pas le leur dire... L'expérience permet de relativiser. C'est le grand cadeau qui vient avec l'âge.»
Relativisons, donc. Je ne suis pas vieille, je suis moins naïve et insolente qu'avant. Je n'ai pas pris un coup de vieux, je ramasse les feuilles de mon arrière-saison.
http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/297199/zeitgeist-l-automne-de-la-vie
julien- Nombre de messages : 1159
Date d'inscription : 24/02/2010
Re: L'automne de la vie
un texte qui mérite le détour
merci de l'avoir partagé.
merci de l'avoir partagé.
sauraya ilyas- Nombre de messages : 381
Date d'inscription : 29/10/2010
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