Aimé Césaire, le grand poète de la "négritude"
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Aimé Césaire, le grand poète de la "négritude"
Francis Marmande
ou de sa langue, de Rimbaud, de Breton, enfant caraïbe de Shakespeare et Brecht, né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe (Martinique), député de la Martinique de 1945 à 1993, proche de De Gaulle et de Mitterrand, maire de Fort-de-France de 1945 à 2001, conseiller général à deux reprises (1945-1949 ; 1955-1970), Aimé Césaire, hospitalisé mercredi 8 avril 2008, est mort le 17 avril à Fort-de-France. Il était âgé de 94 ans.
Le 23 mars 1964, face à De Gaulle en visite en Martinique : "On ne pourra pas éluder davantage un problème qui obsède notre jeunesse, le problème de la refonte de nos institutions pour qu'elles soient plus respectueuses de notre particularisme, plus souples et plus démocratiques." Il aura ainsi admonesté tous les présidents de la République d'une voix nette, timbrée, en porte-parole de son peuple et de son devenir. C'est cette parole, politique et poétique, qui impressionne le plus dans un corps sûr et si timide.
Un poète s'écoute à ses titres : Cahier d'un retour au pays natal (1939), Les Armes miraculeuses (1948), Soleil cou coupé (1948), Corps perdu (1949), Ferrements (1960), Noria (1976), Cadastre (1981). Sans compter des essais historiques et des discours violents : Esclavage et colonisation (1958), Discours sur le colonialisme (1962), Toussaint Louverture, La Révolution française et le problème colonial (1962).
Il ne fera plus désormais son tour quotidien de l'île avec chauffeur, "je ne m'en lasse pas, la faune, la flore, le peuple martiniquais, la cabane martiniquaise, les pauvres gens", tout ce qu'il aimait par coeur. Son grand-père fut le premier enseignant nègre, on reviendra sur ce mot, de l'île. Sa grand-mère Eugénie, "Maman Ninie", rare femme lettrée pour l'époque. Le père est contrôleur des contributions, la mère, couturière. Boursier, il est admis au lycée Victor-Schoelcher de Fort-de-France : "J'étais si curieux de connaître la France, de connaître Paris. Nous aimions ce que nous lisions, le journal du matin, le journal du soir, les livres qui venaient de paraître, le latin, le grec : tiens, dans un texte on trouve tel mot, hop je le reconnais en créole." En septembre 1931, il prend le bateau pour la France. En 1931, la France n'a qu'une idée approximative des Nègres.
Césaire entre en hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand. Huit jours de bateau. Le premier camarade qu'il rencontre dans les couloirs est un Nègre comme lui. Il s'appelle Léopold Senghor. Ils intégreront ensemble l'Ecole normale supérieure avec Georges Pompidou. Ensemble, sans Pompidou toutefois, ils fréquentent les surréalistes et fondent l'idée de "négritude" : "Mais c'est normal. Il était nègre, moi aussi, nous comparions nos expériences. C'est un Africain, je suis un Martiniquais, nous avions des points de rencontre, mais nous avions aussi des interrogations. (...) On s'enseignait l'un l'autre. La réponse était africaine."
Lors de l'élection présidentielle de 2007, Césaire reçoit Laurent Fabius, soutient la candidature de Ségolène Royal et bondit contre la "loi de la honte", l'amendement voulu par la droite qui prétend marquer les aspects positifs de la colonisation (décembre 2005) : "Cela me ramenait cinquante ans en arrière. Qu'est-ce que ça venait foutre ? Il est clair qu'en aucune manière je ne pouvais approuver ce point scandaleux." Avait-il changé ? Pas d'un poil.
En septembre 1934, avec Léon Gontran Damas, élégant danseur de jazz, ce qu'il n'est certainement pas, lui, si fragile, avec une bande d'étudiants antillo-guyanais, ils fondent le journal L'Etudiant noir. Gigantesque travail de mémoire culturel (le politique suivra) contre l'idéologie coloniale et raciale : "Ce qui m'intéressait, c'était l'identité nègre. Toi le Sénégalais, toi le Guyanais, qu'est-ce que nous avons en commun ? Pas la question de la langue, mais la question nègre. (...) Je n'ai jamais voulu faire du français une doctrine. Il y avait surtout des anglophones et des Américains, avec une littérature nègre, Langston Hughes, Richard Wright, and so on, c'était pour nous, Nègres et francophones, une révélation. Les premiers qui ont posé les bases, pour nous, c'étaient les Nègres américains."
Cri noir de la raison
Agrégé de lettres, il rentre avec sa compagne, Suzanne Roussi, enseigner au lycée Schoelcher. René Ménil, Georges Gratiant, le couple et d'autres énergumènes fondent la revue Tropiques (1941). Contre le régime de Vichy, les Etats-Unis décident du blocus de la Martinique. André Breton passe par là (Martinique, charmeuse de serpents). Il publie Césaire dans la revue Fontaine, dirigée par Max-Pol Fouchet. Au passage, il consacre Césaire en "Nègre fondamental".
En 1945, Césaire est appelé par les élus communistes de l'île à la mairie de Fort-de-France : "Sans le vouloir. On a fait de moi un porte-parole. Au sortir de la guerre, je suis un jeune homme de gauche, communisant, mais je n'y connais rien. Des copains de classe font une liste assez large pour avoir des chances. Je n'y crois pas une seconde. Je signe pour leur faire plaisir et la liste fait un triomphe !" Voirie, caniveaux, ordures, merde, masures, il fonce : "Quelle prétention ! hein ? Quelle emphase ! - "L'argent, nous le trouverons !" Voilà comment est née ma carrière. Je ne suis pas antifrançais : je suis d'abord martiniquais."
Après l'effondrement économique de la Martinique, Césaire demande pour son pays un statut de département. Vieille revendication, au demeurant, peu entendue des exigences gauchistes d'indépendantisme. Il crée la revue Présence africaine avec Alioune Diop. Sartre préface l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache.
Son action pour la ville, le logement social, l'urbanisme, la politique culturelle de l'île (Service municipal d'action culturelle et Centre martiniquais d'action culturelle, à la rivalité très productive) reste aussi soutenue que contestée. Son autoritarisme et son népotisme, très discutés.
L'action politique de Césaire n'a de sens qu'au regard de l'oeuvre. En France, Aimé Césaire reste aussi méconnu que ses Antilles natales. Le Nègre inconsolé, ouvrage de Roger Toumson et Simonne Henry-Valmore (Syros, 1993), peut encore servir d'introduction : "On ne naît pas Noir, on le devient." Et encore plus récemment : "Nègre je suis, Nègre je resterai" (entretiens avec Françoise Vergès, Albin Michel, 2005). Et si le Discours sur le colonialisme, (1950) nous mettait encore aujourd'hui sur la voie : "Pousser d'une telle raideur le grand cri nègre, que les assises du monde en seront ébranlées."
Il est un poète de langue française, son Orphée noir, la parole "belle comme l'oxygène naissant", sur qui Sartre, Leiris et Breton se sont entendus : Aimé Césaire. Césaire, cri noir de la raison. La Martinique, soleil, cocotiers, sable fin, robes madras, anneaux créoles ? Soleil, oui, là-haut, vertical, sans absence - mais aussi "une petite maison qui sent très mauvais dans une rue étroite, une maison minuscule qui abrite en ses entrailles de bois pourri des dizaines de rats et la turbulence de mes frères et soeurs." L'Antillais lui paraît un Africain déporté, pire qu'un Nègre parce que privé de langue, sans religion ni histoire propre, somnolent et soumis dans une île "désespérément obturée à ses bouts". Dans l'ignorance parfaite de la "métropole". La France.
Le virage, c'est sa descente aux enfers personnelle, aux bords de la raison, qui aboutit à l'un des textes de la poésie du siècle face aux Antilles, "cul-de-sac innommable de la faim, de la misère et de l'oppression". Ce cri qu'il est seul à pousser, contre l'imitation, l'expérimental, ou le négrisme. Contre le silence d'être nègre. Ce qu'il dira plus tard de Frantz Fanon (Les Damnés de la terre, 1961) : "Peut-être fallait-il être antillais, c'est-à-dire si dénué, si dépersonnalisé, pour partir avec une telle fougue à la conquête de soi et de la plénitude."
Sa parole éclatée en "une fleur énorme et noire" (Sartre) prend le sens, il le dit, d'une parole pour les idiots et les bêtes. Non qu'elle s'adresse d'abord à eux, mais parce qu'elle parle à leur place, "ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir". Entendez-vous le silence qui a accompagné les longues dernières années du lion malicieux des Antilles ? Ce n'est pas faute d'avoir, dans le même temps pour faire écran, répété qu'il n'y avait plus de poète, plus d'intellectuel engagé, plus d'homme qui s'avance... Car il s'en trouvait un, on a fait semblant de l'ignorer, c'est ce qui arrive lorsqu'un silence crie fort, on ne va pas manquer, maintenant qu'il n'y a plus rien à craindre, de "redécouvrir" celui que l'on couvrait d'indifférence, ou de déboulonner la statue qu'il n'eut pas : c'est tout un. Et très compréhensible. De toute façon, Aimé Césaire avait pris les devants : "Accommodez-vous de moi. Je ne m'accommode pas de vous."
Le Monde,18.04.08
ou de sa langue, de Rimbaud, de Breton, enfant caraïbe de Shakespeare et Brecht, né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe (Martinique), député de la Martinique de 1945 à 1993, proche de De Gaulle et de Mitterrand, maire de Fort-de-France de 1945 à 2001, conseiller général à deux reprises (1945-1949 ; 1955-1970), Aimé Césaire, hospitalisé mercredi 8 avril 2008, est mort le 17 avril à Fort-de-France. Il était âgé de 94 ans.
Le 23 mars 1964, face à De Gaulle en visite en Martinique : "On ne pourra pas éluder davantage un problème qui obsède notre jeunesse, le problème de la refonte de nos institutions pour qu'elles soient plus respectueuses de notre particularisme, plus souples et plus démocratiques." Il aura ainsi admonesté tous les présidents de la République d'une voix nette, timbrée, en porte-parole de son peuple et de son devenir. C'est cette parole, politique et poétique, qui impressionne le plus dans un corps sûr et si timide.
Un poète s'écoute à ses titres : Cahier d'un retour au pays natal (1939), Les Armes miraculeuses (1948), Soleil cou coupé (1948), Corps perdu (1949), Ferrements (1960), Noria (1976), Cadastre (1981). Sans compter des essais historiques et des discours violents : Esclavage et colonisation (1958), Discours sur le colonialisme (1962), Toussaint Louverture, La Révolution française et le problème colonial (1962).
Il ne fera plus désormais son tour quotidien de l'île avec chauffeur, "je ne m'en lasse pas, la faune, la flore, le peuple martiniquais, la cabane martiniquaise, les pauvres gens", tout ce qu'il aimait par coeur. Son grand-père fut le premier enseignant nègre, on reviendra sur ce mot, de l'île. Sa grand-mère Eugénie, "Maman Ninie", rare femme lettrée pour l'époque. Le père est contrôleur des contributions, la mère, couturière. Boursier, il est admis au lycée Victor-Schoelcher de Fort-de-France : "J'étais si curieux de connaître la France, de connaître Paris. Nous aimions ce que nous lisions, le journal du matin, le journal du soir, les livres qui venaient de paraître, le latin, le grec : tiens, dans un texte on trouve tel mot, hop je le reconnais en créole." En septembre 1931, il prend le bateau pour la France. En 1931, la France n'a qu'une idée approximative des Nègres.
Césaire entre en hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand. Huit jours de bateau. Le premier camarade qu'il rencontre dans les couloirs est un Nègre comme lui. Il s'appelle Léopold Senghor. Ils intégreront ensemble l'Ecole normale supérieure avec Georges Pompidou. Ensemble, sans Pompidou toutefois, ils fréquentent les surréalistes et fondent l'idée de "négritude" : "Mais c'est normal. Il était nègre, moi aussi, nous comparions nos expériences. C'est un Africain, je suis un Martiniquais, nous avions des points de rencontre, mais nous avions aussi des interrogations. (...) On s'enseignait l'un l'autre. La réponse était africaine."
Lors de l'élection présidentielle de 2007, Césaire reçoit Laurent Fabius, soutient la candidature de Ségolène Royal et bondit contre la "loi de la honte", l'amendement voulu par la droite qui prétend marquer les aspects positifs de la colonisation (décembre 2005) : "Cela me ramenait cinquante ans en arrière. Qu'est-ce que ça venait foutre ? Il est clair qu'en aucune manière je ne pouvais approuver ce point scandaleux." Avait-il changé ? Pas d'un poil.
En septembre 1934, avec Léon Gontran Damas, élégant danseur de jazz, ce qu'il n'est certainement pas, lui, si fragile, avec une bande d'étudiants antillo-guyanais, ils fondent le journal L'Etudiant noir. Gigantesque travail de mémoire culturel (le politique suivra) contre l'idéologie coloniale et raciale : "Ce qui m'intéressait, c'était l'identité nègre. Toi le Sénégalais, toi le Guyanais, qu'est-ce que nous avons en commun ? Pas la question de la langue, mais la question nègre. (...) Je n'ai jamais voulu faire du français une doctrine. Il y avait surtout des anglophones et des Américains, avec une littérature nègre, Langston Hughes, Richard Wright, and so on, c'était pour nous, Nègres et francophones, une révélation. Les premiers qui ont posé les bases, pour nous, c'étaient les Nègres américains."
Cri noir de la raison
Agrégé de lettres, il rentre avec sa compagne, Suzanne Roussi, enseigner au lycée Schoelcher. René Ménil, Georges Gratiant, le couple et d'autres énergumènes fondent la revue Tropiques (1941). Contre le régime de Vichy, les Etats-Unis décident du blocus de la Martinique. André Breton passe par là (Martinique, charmeuse de serpents). Il publie Césaire dans la revue Fontaine, dirigée par Max-Pol Fouchet. Au passage, il consacre Césaire en "Nègre fondamental".
En 1945, Césaire est appelé par les élus communistes de l'île à la mairie de Fort-de-France : "Sans le vouloir. On a fait de moi un porte-parole. Au sortir de la guerre, je suis un jeune homme de gauche, communisant, mais je n'y connais rien. Des copains de classe font une liste assez large pour avoir des chances. Je n'y crois pas une seconde. Je signe pour leur faire plaisir et la liste fait un triomphe !" Voirie, caniveaux, ordures, merde, masures, il fonce : "Quelle prétention ! hein ? Quelle emphase ! - "L'argent, nous le trouverons !" Voilà comment est née ma carrière. Je ne suis pas antifrançais : je suis d'abord martiniquais."
Après l'effondrement économique de la Martinique, Césaire demande pour son pays un statut de département. Vieille revendication, au demeurant, peu entendue des exigences gauchistes d'indépendantisme. Il crée la revue Présence africaine avec Alioune Diop. Sartre préface l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache.
Son action pour la ville, le logement social, l'urbanisme, la politique culturelle de l'île (Service municipal d'action culturelle et Centre martiniquais d'action culturelle, à la rivalité très productive) reste aussi soutenue que contestée. Son autoritarisme et son népotisme, très discutés.
L'action politique de Césaire n'a de sens qu'au regard de l'oeuvre. En France, Aimé Césaire reste aussi méconnu que ses Antilles natales. Le Nègre inconsolé, ouvrage de Roger Toumson et Simonne Henry-Valmore (Syros, 1993), peut encore servir d'introduction : "On ne naît pas Noir, on le devient." Et encore plus récemment : "Nègre je suis, Nègre je resterai" (entretiens avec Françoise Vergès, Albin Michel, 2005). Et si le Discours sur le colonialisme, (1950) nous mettait encore aujourd'hui sur la voie : "Pousser d'une telle raideur le grand cri nègre, que les assises du monde en seront ébranlées."
Il est un poète de langue française, son Orphée noir, la parole "belle comme l'oxygène naissant", sur qui Sartre, Leiris et Breton se sont entendus : Aimé Césaire. Césaire, cri noir de la raison. La Martinique, soleil, cocotiers, sable fin, robes madras, anneaux créoles ? Soleil, oui, là-haut, vertical, sans absence - mais aussi "une petite maison qui sent très mauvais dans une rue étroite, une maison minuscule qui abrite en ses entrailles de bois pourri des dizaines de rats et la turbulence de mes frères et soeurs." L'Antillais lui paraît un Africain déporté, pire qu'un Nègre parce que privé de langue, sans religion ni histoire propre, somnolent et soumis dans une île "désespérément obturée à ses bouts". Dans l'ignorance parfaite de la "métropole". La France.
Le virage, c'est sa descente aux enfers personnelle, aux bords de la raison, qui aboutit à l'un des textes de la poésie du siècle face aux Antilles, "cul-de-sac innommable de la faim, de la misère et de l'oppression". Ce cri qu'il est seul à pousser, contre l'imitation, l'expérimental, ou le négrisme. Contre le silence d'être nègre. Ce qu'il dira plus tard de Frantz Fanon (Les Damnés de la terre, 1961) : "Peut-être fallait-il être antillais, c'est-à-dire si dénué, si dépersonnalisé, pour partir avec une telle fougue à la conquête de soi et de la plénitude."
Sa parole éclatée en "une fleur énorme et noire" (Sartre) prend le sens, il le dit, d'une parole pour les idiots et les bêtes. Non qu'elle s'adresse d'abord à eux, mais parce qu'elle parle à leur place, "ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir". Entendez-vous le silence qui a accompagné les longues dernières années du lion malicieux des Antilles ? Ce n'est pas faute d'avoir, dans le même temps pour faire écran, répété qu'il n'y avait plus de poète, plus d'intellectuel engagé, plus d'homme qui s'avance... Car il s'en trouvait un, on a fait semblant de l'ignorer, c'est ce qui arrive lorsqu'un silence crie fort, on ne va pas manquer, maintenant qu'il n'y a plus rien à craindre, de "redécouvrir" celui que l'on couvrait d'indifférence, ou de déboulonner la statue qu'il n'eut pas : c'est tout un. Et très compréhensible. De toute façon, Aimé Césaire avait pris les devants : "Accommodez-vous de moi. Je ne m'accommode pas de vous."
Le Monde,18.04.08
karim safriwi- Nombre de messages : 615
Date d'inscription : 03/07/2008
Aimé Césaire
Le crystal automatique allo allo encore une nuit pas la peine de chercher c'est moi l'homme des cavernes il y a les cigales qui étour- dissent leur vie comme leur mort il y a aussi l'eau verte des lagunes même noyé je n'aurai jamais cette couleur- là pour penser à toi j'ai déposé tous mes mots au monts de-piété un fleuve de traineaux de baigneuses dans le courant de la journée blonde comme le pain et l'alcool de tes seins allo allo je voudrais etre à l'envers clair de la terre le bout de tes seins à la couleur et le gout de cette terre-la allo allo encore une nuit il y a la pluie et ses doigts de fossoyeur il y a la pluie qui met ses pieds dans le plat sur les toits la pluie a mangé le soleil avec des baguettes de chinois allo allo l'accroissement du cristal c'est toi...c'est toi ô absente dans le vent et baigneuse de lombric quand viendra l'aube c'est toi qui poindras tes yeux de rivière sur l'émail bougé des îles et dans ma tête c'est toi le maguey éblouissant d'un ressac d'aigles sous le banian Aimé Césaire | The automatic rock crystal Hello hello one night more and yet not worth searching for It's I the cave man there are cicadas that make their life diz- zy as they do their death there is also the green water from lagoons even drowned I'll never have that colour to think about you Ipawned all my words a river of bather dolls' sled in the current of daytime blond like the bread and alcohol of your breast hello hello I wish I be at the light inside of earth the tip of your breast of the colour and the savour of that very soil hello hello one night more there is the gravedigger's fingered rain it's rain thay puts its foot in it on roofs rain ate the sun with chinese chopsticks hello hello crystal growth it's you...it's you o gone with the wind and bathing young lady of earthworm when dawn comes in it's you who'll break your eye of river upon the moved enamelled islands and in my head it's you the dazzling maguey* of an eagles' backward beneath he banian** Translated by Gilles de Seze *Flower from the agave family **Indian fig tree |
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Aimé Césaire
(1913)
marie la rebelle- Nombre de messages : 1328
Date d'inscription : 11/07/2008
Aimé Césaire: Prophétie
Là où l'aventure garde les yeux clairs là où les femmes rayonnent de langage là où la mort est belle dans la main comme un oiseau saison de lait là où le souterrain cueille de sa propre génuflexion un luxe de prunelles plus violent que des chenilles là où la merveille agile fait flèche et feu de tout bois là où la nuit vigoureuse saigne une vitesse de purs végétaux là où les abeilles des étoiles piquent le ciel d'une ruche plus ardente que la nuit là où le bruit de mes talons remplit l'espace et lève à rebours la face du temps là où l'arc-en-ciel de ma parole est chargé d'unir demain à l'espoir et l'infant à la reine, d'avoir injurié mes maîtres mordu les soldats du sultan d'avoir gémi dans le désert d'avoir crié vers mes gardiens d'avoir supplié les chacals et les hyènes pasteurs de caravanes je regarde la fumée se précipite en cheval sauvage sur le devant de la scène ourle un instant la lave de sa fragile queue de paon puis se déchirant la chemise s'ouvre d'un coup la poitrine et je la regarde en îles britanniques en îlots en rochers déchiquetés se fondre peu à peu dans la mer lucide de l'air où baignent prophétiques ma gueule ma révolte mon nom. Aimé Césaire | Prophecy There, Where adventure keeps clear its eye Where women are shining forth with language Where death is beautiful in your hand as a bird milky time Where the subterranean passage through its own genuflecting gathers a wealth of eyelids fiercer than caterpilars Where for the wonder it's all grist and fire to the nimble mill Where the vigorous night is bloody killing a speed of pure plantings Where bee-like stars string the sky of a hive glowing more brightly than night Where the sound of my heels fills up the space and draws up the other way round the face of Time Where the rainbow of my word is in charge to joining Tomorrow to Hope, and the Infante to the Queen. For having insulted my masters bitten the sultan's soldiers For having bemoaned my fate in wilderness For having shouted calls at my guards For having beseeched jackals and hyenas shepherds of caravans I am watching at smoke rushing ahead like a wild horse on the foreground frings for one instant the lava of its frail peacock's trail then tearing off its shirt on a sudden open its breast and I look at it mimicing the british islands islets jagged rocks melting together little by little into the lucid sea of the air where are prophetic bathing my ghoul my rebellion my name. Translated by Gilles de Seze |
***
marie la rebelle- Nombre de messages : 1328
Date d'inscription : 11/07/2008
Jour et Nuit
Jour et Nuit le soleil le bourreau la poussée des masses la routine de mourir et mon cri de bête blessée et c'est ainsi jusqu'à l'infini des fièvres la formidable écluse de la mort bombardée par mes yeux à moi-même aléoutiens qui de terre de ver cherchent parmi terre et vers tes yeux de chair de soleil comme un négrillon la pièce dans l'eau où ne manque pas de chanter la forêt vierge jaillie du silence de la terre de mes yeux à moi-même aléoutiens et c'est ainsi que le saute-mouton salé des pensées hermaphrodites des appels de jaguars de source d'antilope de savanes cueillies aux branches à travers leur première grande aventure: la cyathée merveilleuse sous laquelle s'effeuille une jolie nymphe parmi le lait des mancenilliers et les accolades des sangsues fraternelles. Aimé Césaire, Les armes miraculeuses, 1946 (extrait) | Day and Night The sun the executioner the upsurge of masses the dying routine and my squeal of wounded beast and there it is the unchanging process up to the boundless fevers the tremendous dam of death bombarded by to-myself Aleutian eye that from scratching the ground of worm and up to your sun skinned eye like a piccaninny boy fishing a coin out from water where into does not miss singing the virgin forest sprung out from the silence of to-myself Aleutian eye's land and there was the way the salted overpass of hermaphrodite thoughts of calls from jaguars of spring of antelope of savannas picked from branches through their first important adventure: Beneath the marvellous cyathée a pretty nymph is stripping among the milk of mancenillia-trees* and fraternal leeches'huggings. Extract from Miraculous Weapons, 1946 *The sap of mancenillier-tree (kind of Caribbean quince- tree )is poisonous Translated by Gilles de Seze |
***
marie la rebelle- Nombre de messages : 1328
Date d'inscription : 11/07/2008
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