Le Seuil:
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Le Seuil:
Traduction : Richard Jacquemond
Oui, le nœud papillon du chef – comme une flèche pointant dans deux directions opposées – était bien fatigué, et on n’a pas vu les doigts des musiciens. Mais on les a vus sortir, l’un après l’autre, et on a su que les poètes qui étaient arrivés tôt avaient pris le parti de la flûte – pourtant sa tristesse est belle et pleine – et qu’ils avaient beaucoup fumé entre deux morceaux. Tout cela ne nous importait pas, nous voulions voir le rideau noir derrière la scène. On était en retard, on a juste aperçu les universitaires quand ils ont récupéré leurs manteaux.
Non, en fait l’ambiance était étouffante, comme si vous étiez dans une caserne, obligé de répéter l’hymne national. Sauf que, comme vous le savez, il pleut en général dans les films étrangers.
On n’a pas regretté que le concert soit terminé. Plutôt que de filer le drame vers l’autre rive, on a traversé le pont, salué le vendeur de colifichets qui rentrait du mouled d’El-Hussein.
Oui, je les ai perdus au milieu d’un troupeau de chameaux qui sortaient de la Ligue arabe. Quand on s’est retrouvés, on a donné un peu de nos cigarettes au soldat en faction devant un immeuble dont il ne connaît pas le nom. Enfin on est arrivé au bar du centre ville, pleins d’humanité et d’égratignures éparses.
Il nous a fallu nous asseoir là quatre ans. On a lu Samir Amin, tenté d’égyptianiser Henry Miller. Kundera, lui, a changé nos manières de justifier la trahison.
Là aussi on a reçu une lettre d’un ami qui vit à Paris, il nous disait qu’il a découvert en lui quelqu’un d’autre et qu’il n’arrive pas à s’y habituer, qu’il traîne chaque jour sa misère derrière lui sur des trottoirs plus lisses que ceux du tiers monde et qu’il se démolit bien mieux. On a passé des mois à l’envier et à souhaiter qu’ils nous expulsent vers une autre capitale.
On ne s’est pas affolés quand nos poches se sont vidées : un des nôtres était devenu soufi et après une courte invocation – je vous jure – un puits de bière a jailli sous nos pieds. On a joué à tomber dans les pommes, on s’est fait un dictionnaire avec des mots à nous : max, zéber, auche, neuthu…
On criait très fort, personne ne nous comprenait. Quand le plus âgé d’entre nous a proposé qu’on devienne positifs, j’étais en train de réfléchir au moyen de transformer les toilettes publiques en pleuroirs et les grandes places en urinoirs. A cet instant, un intellectuel rassis criait après son ami : “Quand je parle de démocratie, tu la fermes et tu t’écrases.”
On a couru une bonne heure, à la rue Moezz on s’était un peu calmés. Là, on rencontré un martyr contrarié ; on l’a rassuré : il était bien vivant, il pouvait gagner sa croûte s’il voulait. D’ailleurs, il n’y avait jamais eu de bataille.
Oui, nous étions près d’affermir notre relation avec la métaphysique, si l’un des nôtres n’avait caché son crâne sous un chapeau de luxe. On nous prenait pour des touristes, au point qu’un vendeur d’épices se mit à nous suivre en répétant : « Stop siouplaît, wait siouplaît »
Il ne nous restait plus que le cimetière de l’Imam. On s’est assis là, une autre année, à humer l’odeur de la goyave. Quand j’ai décidé de les quitter, tous, de marcher seule, j’avais trente ans.
chadiya madihi- Nombre de messages : 957
Date d'inscription : 28/06/2008
Re: Le Seuil:
Le corps au quotidien
Iman Mercal
Saleh diab
La poétesse égyptienne Iman Mersal écrit un corps qui renvoie à la réalité quotidienne. Nous y retrouvons détails sans montage ni retouches. Le visuel brut renvoie à des climats violents et blessants, où le dire poétique se meut au sein d’un espace de paroles chargé d’énergie émotive et affective qui constitue le tissu de son poème. C’est un corps opprimé, en souffrance, qui évolue au sein d’un espace de consommation citadin qui annule tout ce qui est transparent et enfantin dans la relation d’amour. C’est un corps qui croule sous l’impact de la ville moderne, un corps seul et isolé, cherchant une issue au sein d’un espace où dominent les pouvoirs désuets.
La poétesse confirme ainsi son appartenance à la nouvelle génération des poètes égyptiens et arabes chez qui on trouve un mélange de : « paradoxe, de comédie noire, et de destruction des anciennes structures, et le rythme saccadé, la prose, le spot contestataire et le néo surréalisme »(1)
Le corps est ici un corps simple, quotidien. Il n’a rien de mythique ou de légendaire. Il ne s’enferme pas non plus dans le cercle de la langue et du signe linguistique.
Le corps tente ici de se connaître et se découvrir, de trouver son être, en tentant de percer l’individuel afin de :
Transformer- partiellement – l’individu en sujet… et réaliser le soi est le contraire de la soumission de l’individu à des valeurs qui le dépassent (2)
Comme le rappelle Mersel, la vie quotidienne est source de surprise et facteur de troubles qui touchent en premier lieu l’existence du corps :
Ce qui caractérise le quotidien est ici « l’abstraction de la vulgarité de la situation sociale qui devient un dévoilement d’une innocence première dénuée des accumulations de l’interdit et des tabous (4)
Malheureusement quelque chose est advenue
Car quand quelqu’un qui me connaît m’appelle
Je suis troublée, et je regarde autour,
Est-il possible qu’il soit d’un corps comme le mien
Et à une poitrine qui s’épaissit avec la respiration
Jour après jour, un nom comme celui là ?
Et puis je me vois beaucoup,
Entre la chambre à coucher et la salle de bain,
Où je n’ai pas l’estomac d’un poisson
Pour vider ce que je ne peux digérer (3).
Chez la poétesse, nous trouvons un voyage entre le corps des amants qui cherchent l’extase, et le corps personnel qui souffre du poids des interdits. L’écriture vise alors à « trouver les insinuations de l’oppression établie », pour lever l’interdit à un niveau où « cet interdit est levé, à plus d’un titre, que ce soit linguistique, moral, spirituel ou métaphysique »(5) :
Il y a ici un dialogue entre l’homme et la femme sur fond de désirs que l’homme tend à limiter dans la perspective de renforcer son pouvoir phallique.
Il semble que j’hérite les morts
Et un jour
Je m’assoirai seule dans le café
Après la mort de tous ceux que j’aime
Sans aucun sentiment de manque
Où mon corps une grande corbeille
Où les partants ont laissé
Ce qui renvoie à eux (6)
On peut renvoyer ici au diction arabe selon lequel : « pour que tu réussisses garde ta langue et ton sexe ». Ce qui veut dire : brider l’âme et le corps pour une existence régie par les règles morales et religieuses.
Nous trouvons chez la poétesse un parallèle intéressant entre ce qui est masculin et ce qui est divin. A tous les deux en effet on demande pardon et clémence :
La poétesse scrute la relation corporelle avec l’autre, relation qui apparaît d’ailleurs entachée et négative. Ce qui est harmonie et entente sont bafoués. Les corps sont en lutte violente. Ce qui est féminin est en train d’être écrasé. L’autre détruit totalement l’être féminin. Cette destruction ne saurait être ravaudé par quelques tentatives de réparation. La tension et l’angoisse sont ce qui caractérise la réalité du corps. C’est l’affrontement entre les deux partenaires, ce qui conduit à l’échec de l’amour.
Je noue mes cheveux en arrière
Pour que je ressemble à une fillette que tu a s aimée jadis
Et pour des années,
Je me lave la bouche de la bière de mes amis
Avant de rentrer à la maison
Et aussi je ne décris pas dieu en ta présence.
Rien ne mérite ton pardon donc,
Tu es gentil, mais tu as perdu la sagesse
Quand tu m’as laissée croire que la vie ressemble à une école de filles
Et que je dois écarter mes désirs
Pour rester la maîtresse de la classe (7)
Si on regarde le lexique et les verbes employés, nous trouvons que ces actions indexent une relation belliqueuse, signe de la chosification du corps :
J’ai failli attraper l’éminence
Qui évolue dans ton cou,
Et fixer avec du sang
(..)
J’ai failli renvoyer l’extinction de la sédimentation dans mon corps
Et déchirer avec les ongles
Une harmonie que j’ai mis longtemps à réparer
Mais tu me bousilles vraiment
Et scrutes le moment entre deux corps
Pour paraître à moi en plein apparat
Nu de tout désir pour moi
Et pieds nus marchant sur mes organes (8)
SALEH DIAB Poète et journaliste littéraire, d’origine syrienne, vit en France. Son premier livre est sorti chez Comp’act en 2004: « Une lune sèche vielle sur ma vie » Traduction : Mohammed El Amraoui et Catherine charuau Préface : Jean –Marc Debenedeti |
chadiya madihi- Nombre de messages : 957
Date d'inscription : 28/06/2008
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