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Message par Mostafa Jeu 24 Nov - 16:38



Malheur à moi, je suis une nuance
Nietzsche



Écrire : Plaisir, besoin, soif ? Que sais-je ? Écrire : Accouchement, vomissement, hémorragie ? Que sais-je ? Écrire : Défoulement, exorcisme, catharsis ? Que sais-je ? Écrire : Alchimie, prophétie, divination ? Que sais-je ? Écrire : Masturbation linguistique, snobisme littéraire, frime intellectuelle ? Que sais-je ? Écrire : Est-ce tout cela et d’autres choses encore ? Est-ce tout cela ou autre chose ? Qu’importe !
Je dois t’avouer, cher lecteur, que je ne me suis jamais posé la question…Je m’excuse de te tutoyer sans ton consentement. Je l’ai fait spontanément comme Prévert tutoyant Barbara, lui disant :
« Et ne m’en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j’aime
Même si je ne les connais pas »
Certes, je ne te connais pas, cher lecteur. Je t’aime tout de même ; Tu es ma raison d’être, mon oxygène. Sans toi, je meurs ! Un auteur sans lecteur est condamné à l’extinction, à l’oubli et au mutisme éternel.
Comment ne pas t’aimer, cher lecteur ? Qui que tu sois, où que tu sois , quels que soient ton âge, ton sexe, ton identité, ta religion, tes convictions politiques, ta philosophie, tes principes, la couleur de ta peau, tes rêves, ton compte en banque, tes attentes, tes cauchemars, tes déceptions…, en me lisant, tu me fais vivre ! Je vis à tes dépens. Je suis un parasite. Sans toi, je meurs, cher lecteur ! Baudelaire, ce poète admirable t’appelle
« - Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère ! »
Alors, puisque nous sommes frères et complices, laisse-moi me confesser, cher lecteur ! J’ai tant de choses à te dire, tant de secrets à te dévoiler. Laisse-moi me mettre à nu et écoute-moi sagement comme un enfant qui écoute un conte merveilleux…Et si mon récit ne suscite chez toi aucun intérêt, tu peux froisser ce papier et le jeter dans la rue, sur le trottoir. Personne n’y prêtera attention, personne ne te fera de remontrance. Ce ne sont pas nos oignons, c’est l’affaire de la municipalité. Si nous ne jetions plus de saletés dans la rue, elle deviendrait propre. Quelle horreur ! Que feraient alors les employés municipaux ? Ils chômeraient et seraient licenciés ! Comment donc nourriraient-ils leur progéniture ? Ce n’est nullement par indifférence ou incivisme que l’on jette des ordures sur le trottoir, c’est par solidarité avec les employés de la municipalité !
Oui, je m’égare, je radote, je passe du coq à l’âne. Je l’avoue : Je suis très prolixe… Sois clément, cher lecteur, et accepte-moi comme je suis ou jette-moi tout entier ! Je suis à prendre ou à laisser et n’y peux rien…Au fait, je sais à présent pourquoi j’écris. La raison est aussi évidente qu’insignifiante : J’aime raconter des histoires, c’est tout ! Ce n’est pas sorcier. Des histoires imaginaires ou véridiques, drôles ou moroses ; Cela dépend de mon état d’âme, de mon état de santé, de mon état d’esprit…En tout état de cause, Je dois écrire puisque je suis écrivain de mon état. Et lorsque j’écris, je suis dans tous mes états…De grâce, accepte mes caprices d’auteur et lis-moi ! J’ai tellement besoin que tu me lises, cela me permet de rester en vie. Tu as le pouvoir de me rendre éternel. Même si je te raconte des histoires
à dormir debout, même si mon sujet ne te dit absolument rien, même si mon style ne te branche pas, même si mes idées ne t’intéressent pas (d’ailleurs, je n’en ai pas), fais semblant, sois hypocrite, fais un effort, ne sois pas sévère, un peu de complaisance quoi !
Tu sais cher lecteur, cette manie de raconter des histoires ne date pas d’hier. J’ai attrapé cette maladie quand j’étais encore tout petit. Depuis ma tendre enfance, j’aimais raconter des histoires. C’est probablement pour cette raison que je n’ai pas toujours les pieds sur terre, que j’ai tendance à bouder la réalité et m’abriter dans mon univers fantasmagorique, dans ma bulle fantasmatique.
C’était grâce à ou à cause de ma mère que j’ai acquis cette aisance et ce don de conteur : A peine âgé de cinq ans, je l’accompagnais au Souk, chez les bouquinistes. Elle aimait les vieux livres d’Histoire. Je trottais et trépignais d’impatience, attendant qu’elle finisse de lire un chapitre et me fasse le compte rendu de sa lecture. J’étais fasciné par toutes ces batailles, ces guerres, ces conquêtes, ces actes chevaleresques, ces civilisations d’antan. Les fabuleuses cités aux noms insolites, les paysages exotiques, les personnages légendaires grouillaient dans ma petite tête. Je faisais des voyages fabuleux et des aventures époustouflantes. Je répétais les noms de ces personnages historiques à longueur de journée en rêvant : Haroun al-Rachid, Jeanne d’Arc, César, Ibn Arabi, Belquis, Néron, Ibn Battûta, Caligula, Antar, Moïse, Ibn khaldoune, Merlin l’Enchanteur, Ivan le terrible, Salomon, Cléopâtre, Attila, Alexandre le Grand, Charlemagne, Néfertiti, Abla, Dalila, Tout Ankh Amon, Hannibal… Ils me fascinaient, m’éblouissaient, m’effrayaient, m’intriguaient, me séduisaient, m’émouvaient, me subjuguaient et me donnaient, le tournis !... Je m’amusais à dessiner dans ma tête : Je prenais la force physique et la puissance de l’un, l’intelligence et la sagesse de l’autre, la beauté et la volupté de l’une et le pouvoir et la majesté de l’autre. Je mélangeais le savoir, l’érudition et la philosophie de celui-ci avec la magie, la sorcellerie et les miracles de celui-là. J’ajoutais l’arrogance, la cruauté et le despotisme des uns à la bonté, l’humilité et l’altruisme des autres…Je mélangeais, pétrissais, modelais pour créer l’être parfait, complet, accompli, l’être divin ; Le Surhomme ! Et cet être, c’était moi ! Je mettais mon armure, ma parure, ma couronne. Je prenais mon sceptre et m’installais sur mon trône. Je régnais sur mon empire imaginaire. Les êtres et les choses se prosternaient. J’étais le maître du monde !
Ma mère éprouvait une joie incommensurable en me racontant ces récits historiques. Elle était surtout fière de prononcer ces noms magiques qui me faisaient tellement rêver. Un seul nom la gênait et l’embarrassait, elle n’arrivait jamais à le prononcer correctement. Elle était incapable de dire correctement en arabe « Constantinople » ; elle disait « Constantantantiniya ! » ; et nous nous tordions de rire !
Cependant, le livre le plus captivant, le plus ensorcelant, le plus magique n’était autre que les Mille et Une Nuits. Ce livre magnifique m’a rendu amoureux précoce de cette créature sublime et si différente de moi : La femme ! Elle y était omniprésente : Intelligente, maligne, rusée, perspicace, courageuse, sage, philosophe, artiste, et surtout incroyablement belle, sensuelle, lascive, voluptueuse, ensorceleuse, fatale ! Les descriptions érotiques osées me brûlaient et faisaient vibrer mon corps infantile de désir. Ce n’est qu’après, longtemps après (pour ne pas paraphraser Brel) que je me suis rendu compte que la femme dans la réalité nue n’a rien en commun avec la femme que je me suis construite dans ma tête, la femme de mes rêves et de mes fantasmes, la femme parfaite, idéale ; la Femme des Mille et Une Nuits !
Je dévorais gloutonnement le passage que je raconterais aux gamins du quartier. Le soir, ils m’entouraient. Un silence religieux tombait et je commençais mon récit avec la formule traditionnelle des conteurs professionnels « Kane Ya Makane… » Je m’efforçais de rendre mon histoire plus attrayante, plus captivante que possible en faisant des gestes, des mimiques et en changeant constamment le ton et le timbre de ma voix.
Fidèle à Shéhérazade, j’interrompais toujours mon récit à un point crucial dans l’espoir de garantir la présence de mon auditoire le lendemain soir. Déjà, j’usais du même stratagème que les téléfeuilletons égyptiens avant même que les antennes de télévision ne poussent sur les toits de nos modestes demeures.
Voyant l’admiration, l’émerveillement et l’envoûtement dans les yeux de mes petits auditeurs, j’ai compris à quel point le conte était merveilleux et impressionnant. J’ai même réussi à faire régner l’ordre et la paix entre les mômes de mon quartier et nos ennemis éternels du quartier d’en face : Depuis toujours, des guerres de lance-pierres et des batailles de corps à corps éclataient entre les deux armées pour acquérir le terrain de jeu et le domaine de chasse tant convoité : Le jardin public ! Quelques fois, nous avions le dessus et jouissions des arbres et des arbrisseaux du jardin débordant de moineaux. Souvent, ils gagnaient et régnaient en maîtres absolus sur le jardin…Un soir, deux de nos ennemis s’approchèrent craintivement de notre groupe, attirés par leur curiosité irrésistible d’enfant. Ils demeurèrent un instant à l’écart, nous épiant comme des espions. Je les vis et les invitai à se joindre à nous, leur promettant qu’aucun mal ne leur serait fait. Ils écoutèrent mon histoire suivant le moindre de mes gestes avec envoûtement. Le soir d’après, ils revinrent avec d’autres gamins de leur quartier et à leur tête le terrible « Baâkila » !... Permets-moi, cher lecteur, d’interrompre mon récit un instant pour te brosser le portrait de ce garçon. Tu ne peux pas refuser, c’est une technique classique dont usent tous les auteurs. Ils alimentent, saupoudrent et ornent leur récit de passages descriptifs. Alors, voilà : Baâkila était un garçon farouche, d’une force physique impressionnante pour son âge. Il avait un sale caractère et un tempérament de voyou. Il n’avait peur de rien, de personne. Il bravait même les policiers. En voyant leur fourgonnette, tous les mioches prenaient leurs jambes à leur cou. Lui, il lui jetait des pierres ! Il faisait la pluie et le beau temps dans son quartier et personne n’osait riposter. Il valait mieux être son allié que son rival. Quand il apparaissait nous nous éclipsions. Il n’avait pas son pareil pour lancer des pierres à la fronde. Meilleur chasseur, il escaladait les arbres les plus hauts à la recherche des nids inaccessibles. Grand bagarreur, il affrontait son adversaire loyalement, à mains nues et prenait toujours le dessus. Jamais il ne gémissait. Je ne l’ai jamais vu pleurnicher. Je désirais tellement lui ressembler. Moi qui étais chétif, timide et lâche, je disparaissais mystérieusement chaque fois qu’il y avait de la bagarre ! Baâkila était également insolent, impoli et déjà projet de délinquant. Lorsque les enfants jouaient à « qui pissera le plus loin », il ouvrait sa braguette, exhibait son énorme engin et montrait fièrement la preuve tangible de sa virilité précoce en criant pour que tout le monde entende : « Celui qui le voit le désire…Celui qui ne le voit pas en est rassasié ! » Alors, ne va pas me dire, cher lecteur, que tous les enfants sont des anges ! Et tu veux que je te parle de ses frères aînés ? Ils n’avaient rien à envier aux frères aînés de Julien dans « Le Rouge et le Noir » : Des colosses, des gorilles, des géants, des mastodontes, des monstres ! Ils buvaient du vin comme tu bois du thé. Ils fumaient du haschisch comme tu fumes des cigarettes. Ils mangeaient comme des ogres. Passer quelques mois en prison était pour eux comme partir en vacances ! Ils en revenaient plus forts, plus frais, plus joufflus, en parfaite santé…J’ai envie de te raconter une anecdote les concernant, je t’assure qu’elle est vraie. Tu veux bien ? Alors, écoute : Une nuit, les Baâkila ronflaient comme des ogres. Un voleur malchanceux a commis la plus stupide bêtise de sa vie en s’introduisant chez eux par la terrasse des voisins. Le pauvre n’avait aucune idée de ce qui l’attendait. Il a heurté par mégarde un meuble dans l’obscurité et les ogres se sont réveillés. Chacun voulait le tabasser et ils se sont querellés : « Il est à moi, je l’ai vu le premier ! Non, il est à moi, s’il vous plait, laissez-le moi ! je vais le transformer en bouillie ! Non, personne ne le touchera, je suis l’aîné, il m’appartient !...Non, il est à moi, à moi seul !... » Le pauvre voleur demandait du secours en hurlant tel un détenu sous la torture. Le père des ogres suppliait les voisins qui n’osaient intervenir : « Mais sauvez-le ! Le pauvre diable, ils vont le massacrer ! Ils ne le lâcheront pas vivant ! Sauvez-le pour l’amour de Dieu !... »
Retournons à notre histoire, tu veux bien ? Qu’est ce que je disais ? Oui : Le terrible Baâkila écouta mon histoire sans broncher. Je m’arrêtai exprès au milieu d’un épisode très alléchant, plein de suspense, en disant : « Ceux qui désirent connaître la suite doivent revenir demain. » Baâkila se leva, me fixa droit dans les yeux, me serra la main en disant : « Tu es un phénomène, toi ! Tu peux venir au jardin demain avec tes amis. Il y a des moineaux pour tout le monde. » Mes amis poussèrent des cris de joie. Ils firent un tapage tel que Si Ali sortit de chez lui avec un balai à la main.
Ce soir, j’ai compris que la force physique était insuffisante et que l’esprit et l’intelligence avaient plus de pouvoir. Le terrible Baâkila est devenu désormais l’un de mes humbles serviteurs. Je le manipulais à ma guise selon mes caprices et il ne voyait en cela rien de choquant. Je comprenais l’impact magique et l’aimant irrésistible de mes histoires et commençais à me sentir plus important que mes petits camarades morveux : supérieur ! J’avais un don qui leur manquait terriblement, celui d’éblouir, d’émerveiller, de faire rêver ; d’inviter au voyage ; le don d’ouvrir les portes de l’imaginaire et de l’irréel ; le don de raconter des histoires ! Et puisque je devenais important, je n’allais tout de même pas faire don de mon don ! Pour avoir le droit d’assister à mes séances vespérales, il fallait payer. J’acceptais tout : des billes, des biscuits, des lance-pierres, des toupies, des jantes de vélo (on les appelait à l’époque « Selkouss »), des bonbons, du pain bourré de viande, des gâteaux traditionnels…Jamais d’argent ! Jusqu’à présent, je n’ai pas encore compris pour quelle raison énigmatiquement enfantine, je n’ai jamais exigé d’être payé en pièces de monnaie. J’allais pourtant à la « Halka » du conteur public au souk, et les gens lui donnaient de l’argent. Me considérais-je petit et insignifiant devant le professionnalisme, le savoir-faire et l’art du conteur ? Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que mes histoires ne m’ont jamais fait gagner de l’argent. Je croyais que le rêve ne devait pas se vendre, que tout le monde y avait droit et que personne ne devait en faire sa propriété privée. J’étais naïf !
Et puisqu’on ne pouvait l’arrêter, le temps n’a cessé de passer, de repasser sans se lasser. (Je déteste le temps ; il me fait vieillir et finira par avoir ma peau !)… Je suis devenu écrivain…Je raconte désormais mes histoires par écrit avec une pensée nostalgique pour les petits morveux qui m’écoutaient plus sagement que leur maître d’école. Mon auditoire est devenu lectorat. J’ai perdu à jamais cet échange, ce contact direct, cette chaleur humaine, cette présence de l’autre… J’écris…Le silence… La solitude … Mais quand je sais que tu es en train de me lire, à cet instant même, je m’en réjouis. Je me sens utile, important. Je ne te cache pas, cher lecteur, la joie et l’allégresse que je ressens quand tu me lis. Il y a de quoi être fier, n’est ce pas ? Mais voilà, cher lecteur, j’ai un problème ; un problème très sérieux qui pourrait compromettre ma carrière d’écrivain et me contraindre au silence et à l’oubli : Mon dernier personnage refuse catégoriquement le sort que je lui ai réservé. Il ne veut pas se résigner, il n’est pas consentant. Il me crée d’énormes problèmes. Il me harcèle la nuit et surgit de moi pour perturber mon sommeil et rendre mes nuits blanches. J’ai tout fait pour le mettre hors d’état de nuire, en vain ! Il est coriace, imbattable, invincible. J’ai regretté, cher lecteur, de l’avoir créé, ce fils indigne, cet enfant maudit !... Je le sens en train de me narguer, bien installé dans un recoin de ma tête. Il se paie ma tête sans une once de respect et se permet même de me ridiculiser et de m’injurier. Mon Dieu ! Le voilà qui refait surface, le voilà qui émerge de mon tréfonds ! Il me calomniera sûrement et me salira de sa médisance assassine… De grâce, cher lecteur, ne lui fais surtout pas confiance. Il est diabolique, machiavélique. Il fera tout pour t’impressionner, pour que tu prennes son parti, pour m’anéantir, moi qui l’ai mis au monde !... Je dois partir, cher lecteur ; quand il est là, je dois partir. Avant de partir, je te dis une dernière fois : Ne l’écoute pas ! Ne l’écoute pas !
Cher lecteur, en guise d’introduction, je vous avoue que je n’ai aucun respect pour l’auteur et que je n’éprouve à son égard que mépris et exécration. C’est tout ce qu’il mérite, cet hypocrite ! Vous n’avez pas remarqué qu’il vous a tutoyé sans demander votre permission ? Vous ne savez pas pourquoi ? Bien sûr, pour profiter de cette familiarité à sens unique dans l’espoir de vous faire gober tous ses bobards. Vous avez sûrement remarqué aussi qu’il a essayé de vous convaincre en ressassant des citations d’auteurs, dignes de ce nom. C’est l’un de ses stratagèmes pour impressionner ses lecteurs. Dès qu’il tombe sur une citation, il la note sur son petit carnet et tant qu’il ne l’a pas insérée dans son texte, il ne trouve pas la paix ! Vous ne me croyez pas ? Lisez ce qu’il a écrit, vous y trouverez toujours des citations d’auteurs. Ce qui montre qu’il n’a aucune confiance en lui-même et a constamment besoin des vrais auteurs pour affirmer ses dires. Ce n’est pas un écrivain, c’est un perroquet, un scribouillard, un couturier de « jolies » phrases dépourvues de sens, de profondeur, de sentiments, de vie ! Mais au lieu de vivre modestement comme le commun des mortels, il fait comme la grenouille qui voulait être aussi grosse que le bœuf : Elle s’enfla si bien qu’elle creva ! Prétentieux et égoïste, il ne pense qu’à sa petite personne et tourne autour de son nombril. Quand on parle de lui dans les journaux ou dans les revues littéraires, il se pavane, fait la roue comme le paon en montrant son derrière. Son premier souci est de gagner la sympathie des critiques. Son rêve le plus fou est d’écrire un best-seller ! C’est plutôt un mirage, une utopie parce qu’il n’en est pas capable, c’est tout ! Il n’a pas l’étoffe, le talent, les couilles de cuivre ! Je le connais mieux que lui-même ; c’est un raté, il ne vaut pas un oignon, il ne vaut même pas un pet moins le quart !
Et ce n’est pas tout, ce soi-disant écrivain est lâche et malhonnête. Oui, cher lecteur ; je vis dans sa tête, je connais tous ses défauts. Je le hais car il mérite la haine : Il fait dire à ses personnages ce qu’il n’ose pas dire. Il fait faire à ces personnages ce qu’il n’ose pas faire. Il leur inocule toutes ses frustrations, toutes ses perversités, tous ces complexes, tous ces vices, toutes ses ignominies, toute son impuissance, toutes ses lâchetés ; toutes les ordures qui germent dans son subconscient. Et il se cache dans l’ombre, loin des regards, à l’abri ! Comme on le dit si bien en arabe dialectal (notre belle Darija) : «Il mange l’ail avec la bouche de ses personnages ! » Ses pauvres personnages ne sont en réalité que ses souffre-douleur, ses boucs émissaires !
C’est pour cette raison et pour d’autres choses encore que je me suis farouchement révolté contre le sort qu’il m’avait réservé. Si vous ne me croyez pas, cher lecteur, permettez-moi de vous résumer en quelques lignes l’histoire qu’il voulait qu’elle soit mienne et jugez par vous-même. Vous êtes souverain. J’accepte votre jugement. Donc, voici la vie qu’il m’a tracée, voici comment il a décidé que je sois, voici comment il m’a conçu :
« Je m’appelle Saïd. Mon père, cordonnier, est analphabète, tyrannique et violent. Il me bat pour des futilités. Il boxe ma mère chaque fois qu’il a bu du rouge ou de l’eau-de-vie. Ma mère est soumise, résignée, silencieuse et fataliste…Au collège, je suis nul en Math, ce qui me pousse à choisir la branche littéraire au lycée… Je décroche mon bac et je fais la fac... J’ai une licence en philo qui ne me sert à rien. Je rentre au centre de formation des instituteurs pour assurer ma croûte de pain. Mon rêve s’évapore : Enseigner la philosophie au lycée. J’enseigne l’alphabet, la grammaire et la conjugaison arabes au primaire… Je me marie avec une collègue qui ne tarde pas à m’empoisonner la vie avec ses droits, son émancipation, sa liberté et son égalité avec l’Homme ! Ma vie avec elle devient infernale, je divorce…Je sombre dans l’alcool et le libertinage. Je fréquente les lieux de débauche. J’engrosse une prostituée et me trouve dans l’obligation de l’épouser…Je demande une mutation à un bled lointain pour fuir les gens qui me montrent du nez…Je vide ma tête de toutes les doctrines philosophiques et je vends mes livres au marché aux puces… Je vis comme les paysans…Je me résigne, je plie l’échine, je me tais. Ma deuxième épouse m’exprime sa reconnaissance et sa gratitude pour l’avoir sauvée de la rue et lui avoir offert un foyer et une vie décente… Chaque soir, après l’école, je vais à l’unique café du faubourg oublié par la civilisation. Je fume quelques cigarettes au détail, je sirote un thé à la menthe et je remplis la grille des mots fléchés en arabe. Je rentre, je regarde des âneries à la télé et je m’endors. Je ne rêve plus ! »
Vous avez vu, cher lecteur, ce que l’esprit dérangé de l’auteur a prévu pour moi ! Comment voulez-vous que j’accepte une vie pareille ? Le génie créateur de mon auteur se résume ainsi : Un amas de misérabilisme et de défaitisme ! Je ne suis qu’un personnage, certes, mais j’ai le droit d’aspirer à une vie meilleure, au bonheur, au soleil, au printemps, à l’azur, à la lumière, à la vie !...Si l’auteur avait changé un détail, un tout petit détail au début de l’histoire, toute ma vie aurait changé. S’il avait raconté que j’étais excellent en Mathématiques, toute la suite aurait changé : J’aurais eu un diplôme technique supérieur, j’aurais été un cadre de haut niveau et j’aurais mené une vie aisée et cossue !


Alors, cher lecteur, qu’en dites-vous ? Jusqu’à quand allons-nous supporter cet auteur ? Jusqu’à ce qu’il pourrisse définitivement notre vie ? Ne vous a-t-il pas clairement avoué qu’il n’était qu’un parasite ? C’est grâce à vous et à moi qu’il existe. Nous lui donnons la crédibilité et l’éternité. Que proposez-vous pour nous débarrasser une fois pour toutes de cette créature oligophage ?...En attendant que vous preniez une décision sage et raisonnable, ce dont je ne doute pas, moi je retourne vivre dans la tête de l’auteur.

Veuillez agréer, cher lecteur, l’expression de ma rage distinguée !


Agadir, le 25 Avril 2006


Mostafa
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