Le monde des vivants

par TITEFEE Dim 10 Avr - 11:35

Cotonneuse impression dans mes oreilles, les sons étouffés se fondent en des phonèmes harmonieux mais ni voix, ni instruments et qui deviennent peu à peu mélodieuses musiques, ou plutôt des résonnances faisant changer de couleur, les parois d’un cône de lumière.

Je suis lovée dans une boule, traversant lentement l’espace de ce cône dont je distingue au loin la tache bleu-nuit de la sortie de ce tunnel.

Etrange impression de reposer sur le plan médian de cette sphère lumineuse.
Le demi-cercle inférieur est traversé par un ruban où je peux suivre ma vie, dans une atmosphère plus sombre que celle où je suis à présent. Je retrouve des pans entiers de mon vécu, et j’éprouve à nouveau mes joies, mes angoisses, mes chagrins, mes bonheurs, mon désenchantements, mes amours, des visages dis parus dont j’avais oublié la voix et le sourire. Des paysages qui n’étaient pas restés imprimés dans ma mémoire et que pourtant, étrangement je dessinais en pensant les inventer ! Ces images se reliaient entre elles, tout en étant de périodes différentes. Mêmes effets perçus, lors de circonstances semblables... Comme si une petite lampe rouge s’allumait dans mon cerveau et m’avertissait de la teneur du message et de la conduite à tenir : fuite ou combat !

Plus bas encore, dans le réceptacle du cercle inférieur, tourbillonnaient des étoiles, et j’imaginais à les voir ainsi se rapprocher d’un entonnoir translucide qu’il s’agissait de parcelles d’âmes en route pour le monde matérialisé. Et j’avais dû être cette poussière tourbillonnant dans le magma originel…

Rêve ? sans aucun doute !

Hier je m’étais endormie, enfin apaisée, après des jours et des nuits de souffrance, de sommeil entrecoupés de cauchemars et baignant dans des draps trempés par ma sueur aigre. J’entendais tout ce qui se passait autour de moi, mais ne pouvait répondre car ma voix restait dans ma gorge. Et pourtant je l’entendais… je m’entendais !

Des femmes en blanc entraient dans ma chambre et changeaient les poches qui pendaient de la perche… épongeaient mon front et repartaient avec leur plateau posé sur leur chariot.

Pendant ce temps je continuais mon rêve, avec un esprit surdimensionné, ayant l’impression de tout capter même si les choses se télescopaient. C’est seulement maintenant que je recevais des enseignements de toutes ces phases vécues correspondant à des expériences que je n’avais pas su relier, avant cela, entre elles. Chaque tonalité émotionnelle colorait ma sphère d’une bayadère de couleurs dégradées, de plus en plus sombres selon l’intensité des émotions ressenties.
Je portais mon regard bien au-delà de la lumière la plus pure, celle qui grésillait presque à l’étage supérieur, de ce cône que je franchissais lentement et j’y remarquais un ensemble de bulles irisées qui montaient vers le dernier cercle bleu tout en haut, comme attirées, comme ma bulle protectrice vers le cercle bleu à l’horizon lointain.

Je ne sais pourquoi je pensais à cet instant précis que ce que je voyais était la mémoire de l’univers à laquelle l’âme accède après la mort.

Détachée de tous les désirs terrestres qui m’animaient encore il y a peu d’instant, je ressentais un besoin irrépressible de me rapprocher de ce dernier demi-cercle pour rejoindre mes vies passées et mes incarnations futures.

Les rêves nous font voyager à travers le temps et je sentais que le réveil allait être proche, car tout se brouillait dans ma tête. Je ne voulais pas encore ouvrir les yeux car la douleur éclatait dans mon corps et je m’entendais gémir…

Ah rester encore un peu dans ce monde duveteux et protecteur qui m’avait accueillie…je…

- Docteur, le cœur repart, …oxygène, les constantes remontent, ouf, on la récupère… Il était moins cinq !
- Bon, On garde l’intubation et si le score est à 8, retour à la phase d’aggravation. Pour l’instant le monitoring devrait faire l’affaire. Surveillance totale et pronostic dans quelques heures. Pour l’instant on ne peut se prononcer, car la tension n’est encore qu’à 6 ! Je repasserai après ma tournée, mais n’hésitez pas à me bipper si quelque chose de nouveau intervenait

Je venais de reprendre pied dans le monde des vivants !