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UN HOMME DE TÊTE

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Message par yann Venner Dim 25 Mai - 12:41

Un homme de tête

FERDI, en arabe signifie : revolver, paria, délaissé...
nouvelle parue dans la Revue Algérie/Littérature/Action en 2005


Ferdi Lance était un policier de haut vol. Le meilleur de tous. Le meilleur, en tous cas, de la brigade des Abatscides - brigade chargée, comme on le sait, de la protection de l’aéroport international Toul’house Blaniakbar.

Ferdi était payé pour enrayer tout acte terroriste, prévenir tout détournement d’avion, empêcher le trafic illicite d’armes stupéfiantes, pour prendre le Mal à la gorge, l’étrangler, et le terrasser. Véritable terrassier du crime, Ferdi Lance était aussi un pauvre ver de terre, petit lombric rampant amoureux des étoiles. En d’autres termes, il aimait les hôtesses de l’air, en consommait à foison, toujours preux chevalier servant et à la noble figure ; toujours prêt pour défendre l’honneur de ces haquenées du ciel, voler à leur secours et prendre sous son aile ces belles étrangères, égarées tels des albatros, une fois débarquées à terre.

Il vivait d’ailleurs depuis quelque temps avec une charmante Nastasia, hôtesse biélorusse de passage, une pulpeuse blonde de vingt-six printemps et quelques feuilles. La dame en transit jouissait d’indéniables atouts ; mais le travail avant tout !

Toujours sur la brèche, plus souvent sur le tarmac que dans son hamac, Ferdi Lance courait sans cesse d’un terminal à l’autre, inspectait les soutes, reniflait le moindre bâton de shit (oeuvre de Chitan ), et n’hésitait pas à faire main basse sur tout colis suspect. Il était partout et nulle part à la fois. C’était, on vous l’a dit, un policier de haut vol.

Ses collègues les plus instruits le surnommaient AKER, génie à double tête personnifiant la terre dans sa matérialité et dont il assurait la cohésion. Représenté, à l’origine, comme une bande de terre ayant une tête humaine à chaque extrêmité, Aker prit plus tard l’aspect d’un double sphinx. Préposé à la garde des issues de l’au-delà, il était l’adversaire du défunt qui cherchait à y pénétrer. Par sa fonction, il protégeait dons Osiris.



On annonça le vol 732 pour Le Caire. Embarquement immédiat. La voix chaude et voilée de l’hôtesse invitait au désir ... d’un prochain vol. On eût dit un appel à l’extase, à une élévation certaine, à un voyage hors de soi. les passagers de tout poil, et de toutes confessions, se hâtaient tranquillement, comme anesthésiés par la voix d’Anastasia, car c’était elle. Les cartes d’embarquement dûment enregistrées, on prit la navette pour se rendre à l’avion de la compagnie Egypterranée.

Ferdi Lance, habillé en civil, faisait partie de la centaine de passagers. Il avait repéré, véritable instinct de sa tête chercheuse, un candidat à l’arrestation virtuelle. L’homme, âgé de soixante-dix ans environ, lisait le quotidien El Watan, l’oeil, on ose le dire chafouin. Du moins, l’un des deux. C’est ce qui paraissait troubler notre brave policier.

On le croyait voyager sous le nom d’Eloi Than, ressortissant belge né à Hanoï, le trois mars 1930, de mère khmère et de père inconnu, quoique certaines langues avançaient - bien qu’à reculons - qu’il était le fils d’André Malr... quand celui-ci était à Vientiane quelques années plus tôt, parti trafiquer le patrimoine religieux, véritable voie royale à l’époque, s’il en était...

L’homme était en fait un simple tailleur de pierre à la retraite, reconverti cependant en agent de change, travaillant secrètement pour le compte de la banque cairote Schliemann and Grote.

En vérité, moitié thaïlandais, moitié hollandais, et de taille plutôt moyenne, ce septuagénaire cacochyme se rendait à l’anniversaire de son petit-fils, le gentil Abd’ El Rhamane Youssoufi.

Ferdi Lance regardait les chaussures de l’homme. Discrètement. Mais pas assez cependant pour que le vieux ne remarque le manège du vrai faux policier démasqué. René Van Thaï, de son véritable nom, baissa alors le pantalon bouffant qui lui serrait la taille, discrètement. Afin de mieux dissimuler ses chaussures. Ferdi Lance, l’homme revolver, sortit alors de l’anonymat.

- Mains en l’air! Plus un geste! Et que personne ne bouge! Police de l’aéroport! hurla-t-il, le badge dans une main et l’arme dans l’autre, un pistolet Vico et Khaldun .35 mm à double obturation, capable de descendre un escalier de marbre.

Figé, l’homme fut appréhendé, prié de retirer ses chaussures, les mains au ciel.

Ce fut un triple échec. Premio, les contorsions du suspect retirant ses baskets Naïke el Jordan, firent tordre de rire les voyageurs descendus du bus. Deuxio, le soit disant terroriste ne portait que de simples chaussures de sport qui émettaient un vif éclair de lumière rouge quand on les frottait l’une contre l’autre. C’était, affirmait-il, pour les douze ans de son petit-fils! du 41! comme lui. N’avait pu résister au plaisir de les essayer. Un retour en enfance, en quelque sorte. Rien n’y fit. On débarqua le malheureux, accusé d’être un séide à la solde de la mouvance islamiste qui en avait fait voir de toutes les couleurs au monde entier depuis un fameux 11 Septembre. On connaisait la musique! Et son grand orchestre peu splendide. Plutôt du genre explosif, le chef d’orchestre et son armada de cymbales, percussions de coups bas, sonnettes d’alarme et tout le bataclan. On s’y entendait, pour y faire parler la poudre. Dialogue de soufre et de malentendants.

- Pas de fumée sans feu, dit-on depuis dans le quartier des affaires, à Manhattan.

Le vol 732 en partance pour Le Caire fut retardé. Une heure plus tard, on réembarqua le personnage. Fausse alerte. Fausse piste pour Ferdi Lance.

Une heure plus tard - tertio - au-dessus de la Méditerranée, l’avion explosa en plein vol. Cent dix-huit morts. La bombe miniature, du dernier cri, n’était pas dans les chaussures, mais sous le chèche du voyageur kamikaze. Il aurait suffi à Ferdi Lance de ne pas se focaliser sur les baskets dudit René Van Thaï ; mais que voulez-vous! Une erreur humaine et voilà 118 humains expédiés dans les limbes, qui au Paradis, qui aux enfers, ou en train de purger leurs os dans la strate-os-sphère si bien nommée.

Un policier, même s’il croit dégainer plus vite son revolver arabe, n’en fera toujours qu’à sa tête et ce sera bien fait pour ses pieds. Mektoub!

Ferdi Lance n’était pas fait pour devenir inspecteur en chèche. Encore une fois, ce fut à la mouvance Al Khaïda qu’on fit porter le chapeau. Ce qui donna encore une fois la grosse tête à Ben Laden et ses sbires, qui en rirent jusqu’à plus soif.

De rage, Ferdi but seize bières ce soir-là, pour oublier son drame.

Nastasia repartit au pays, pour un vol qualifié de définitif, avec un pilote russe de l’Aeroflot.

- Flûte! dit Ferdi Lance, perdu dans son hamac.

- A la nôtre! et nazd’rovié! dit Vladimir Routine en actionnant vigoureusement son manche à balai, sous le regard éthéré de son hôtesse adorée, tandis que l’avion montait, à l’assaut du ciel pur.



Ferdi, déçu et limogé, s'endormit. Il rêva qu'il se tirait une balle dans le pied et une autre dans la main, reconnaissant mais un peu tard qu'il n'était pas un homme de tête, encore moins un homme de main.
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Message par davidof Ven 13 Juin - 20:26

Un beau style fluide, simple, attachant par la densité des jeux des mots
Sauf que :
Entre les lignes on lit un dédain envers l’ARABE
En tant que personne, objet, langue, croyance…
(Un policier, même s’il croit dégainer plus vite son revolver arabe, n’en fera toujours qu’à sa tête et ce sera bien fait pour ses pieds. Mektoub)
Il faut dire que c’est à cause de ce genre d’atitude que beaucoup de drames se dégénèrent à travers le monde…
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Message par yann Venner Lun 16 Juin - 6:07

AUCUN dédain pour aucun peuple ; simplement une autodérision et une dérision envers chacun et soi-même quand la raison devient troublée par le goût d'obéir à des ordres idiots venant d'une hiérarchie devenue peureuse et affolée quand la moindre souris court par terre. Il en est de même avec les gendarmes américains dans leurs aéroports !
C'est une farce, poussée au grotesque qui a fait rire tous mes amis algériens de la revue Algérie/Littérature/Action
Mais on ne peut pas rire de tout avec n'importe qui...
D'où l'humour et l'ironie comme mise à distance, comme VERFREMDUNGSEFFEKT, effet de distanciation -disait Brecht à propos de son théâtre politisé et ironique.


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Message par yann Venner Jeu 18 Fév - 16:57

légèrement corrigée est en lice pour la nouvelle policière de Lyon qui devait commencer par "Embarquement immédiat..."
Résultat vers le 11 avril 2010
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Message par davidof Ven 19 Fév - 7:37

yann Venner a écrit:Un homme de tête

FERDI, en arabe signifie : revolver, paria, délaissé...
nouvelle parue dans la Revue Algérie/Littérature/Action en 2005


Ferdi Lance était un policier de haut vol. Le meilleur de tous. Le meilleur, en tous cas, de la brigade des Abatscides - brigade chargée, comme on le sait, de la protection de l’aéroport international Toul’house Blaniakbar.

Ferdi était payé pour enrayer tout acte terroriste, prévenir tout détournement d’avion, empêcher le trafic illicite d’armes stupéfiantes, pour prendre le Mal à la gorge, l’étrangler, et le terrasser. Véritable terrassier du crime, Ferdi Lance était aussi un pauvre ver de terre, petit lombric rampant amoureux des étoiles. En d’autres termes, il aimait les hôtesses de l’air, en consommait à foison, toujours preux chevalier servant et à la noble figure ; toujours prêt pour défendre l’honneur de ces haquenées du ciel, voler à leur secours et prendre sous son aile ces belles étrangères, égarées tels des albatros, une fois débarquées à terre.

Il vivait d’ailleurs depuis quelque temps avec une charmante Nastasia, hôtesse biélorusse de passage, une pulpeuse blonde de vingt-six printemps et quelques feuilles. La dame en transit jouissait d’indéniables atouts ; mais le travail avant tout !

Toujours sur la brèche, plus souvent sur le tarmac que dans son hamac, Ferdi Lance courait sans cesse d’un terminal à l’autre, inspectait les soutes, reniflait le moindre bâton de shit (oeuvre de Chitan ), et n’hésitait pas à faire main basse sur tout colis suspect. Il était partout et nulle part à la fois. C’était, on vous l’a dit, un policier de haut vol.

Ses collègues les plus instruits le surnommaient AKER, génie à double tête personnifiant la terre dans sa matérialité et dont il assurait la cohésion. Représenté, à l’origine, comme une bande de terre ayant une tête humaine à chaque extrêmité, Aker prit plus tard l’aspect d’un double sphinx. Préposé à la garde des issues de l’au-delà, il était l’adversaire du défunt qui cherchait à y pénétrer. Par sa fonction, il protégeait dons Osiris.



On annonça le vol 732 pour Le Caire. Embarquement immédiat. La voix chaude et voilée de l’hôtesse invitait au désir ... d’un prochain vol. On eût dit un appel à l’extase, à une élévation certaine, à un voyage hors de soi. les passagers de tout poil, et de toutes confessions, se hâtaient tranquillement, comme anesthésiés par la voix d’Anastasia, car c’était elle. Les cartes d’embarquement dûment enregistrées, on prit la navette pour se rendre à l’avion de la compagnie Egypterranée.

Ferdi Lance, habillé en civil, faisait partie de la centaine de passagers. Il avait repéré, véritable instinct de sa tête chercheuse, un candidat à l’arrestation virtuelle. L’homme, âgé de soixante-dix ans environ, lisait le quotidien El Watan, l’oeil, on ose le dire chafouin. Du moins, l’un des deux. C’est ce qui paraissait troubler notre brave policier.

On le croyait voyager sous le nom d’Eloi Than, ressortissant belge né à Hanoï, le trois mars 1930, de mère khmère et de père inconnu, quoique certaines langues avançaient - bien qu’à reculons - qu’il était le fils d’André Malr... quand celui-ci était à Vientiane quelques années plus tôt, parti trafiquer le patrimoine religieux, véritable voie royale à l’époque, s’il en était...

L’homme était en fait un simple tailleur de pierre à la retraite, reconverti cependant en agent de change, travaillant secrètement pour le compte de la banque cairote Schliemann and Grote.

En vérité, moitié thaïlandais, moitié hollandais, et de taille plutôt moyenne, ce septuagénaire cacochyme se rendait à l’anniversaire de son petit-fils, le gentil Abd’ El Rhamane Youssoufi.

Ferdi Lance regardait les chaussures de l’homme. Discrètement. Mais pas assez cependant pour que le vieux ne remarque le manège du vrai faux policier démasqué. René Van Thaï, de son véritable nom, baissa alors le pantalon bouffant qui lui serrait la taille, discrètement. Afin de mieux dissimuler ses chaussures. Ferdi Lance, l’homme revolver, sortit alors de l’anonymat.

- Mains en l’air! Plus un geste! Et que personne ne bouge! Police de l’aéroport! hurla-t-il, le badge dans une main et l’arme dans l’autre, un pistolet Vico et Khaldun .35 mm à double obturation, capable de descendre un escalier de marbre.

Figé, l’homme fut appréhendé, prié de retirer ses chaussures, les mains au ciel.

Ce fut un triple échec. Premio, les contorsions du suspect retirant ses baskets Naïke el Jordan, firent tordre de rire les voyageurs descendus du bus. Deuxio, le soit disant terroriste ne portait que de simples chaussures de sport qui émettaient un vif éclair de lumière rouge quand on les frottait l’une contre l’autre. C’était, affirmait-il, pour les douze ans de son petit-fils! du 41! comme lui. N’avait pu résister au plaisir de les essayer. Un retour en enfance, en quelque sorte. Rien n’y fit. On débarqua le malheureux, accusé d’être un séide à la solde de la mouvance islamiste qui en avait fait voir de toutes les couleurs au monde entier depuis un fameux 11 Septembre. On connaisait la musique! Et son grand orchestre peu splendide. Plutôt du genre explosif, le chef d’orchestre et son armada de cymbales, percussions de coups bas, sonnettes d’alarme et tout le bataclan. On s’y entendait, pour y faire parler la poudre. Dialogue de soufre et de malentendants.

- Pas de fumée sans feu, dit-on depuis dans le quartier des affaires, à Manhattan.

Le vol 732 en partance pour Le Caire fut retardé. Une heure plus tard, on réembarqua le personnage. Fausse alerte. Fausse piste pour Ferdi Lance.

Une heure plus tard - tertio - au-dessus de la Méditerranée, l’avion explosa en plein vol. Cent dix-huit morts. La bombe miniature, du dernier cri, n’était pas dans les chaussures, mais sous le chèche du voyageur kamikaze. Il aurait suffi à Ferdi Lance de ne pas se focaliser sur les baskets dudit René Van Thaï ; mais que voulez-vous! Une erreur humaine et voilà 118 humains expédiés dans les limbes, qui au Paradis, qui aux enfers, ou en train de purger leurs os dans la strate-os-sphère si bien nommée.

Un policier, même s’il croit dégainer plus vite son revolver arabe, n’en fera toujours qu’à sa tête et ce sera bien fait pour ses pieds. Mektoub!

Ferdi Lance n’était pas fait pour devenir inspecteur en chèche. Encore une fois, ce fut à la mouvance Al Khaïda qu’on fit porter le chapeau. Ce qui donna encore une fois la grosse tête à Ben Laden et ses sbires, qui en rirent jusqu’à plus soif.

De rage, Ferdi but seize bières ce soir-là, pour oublier son drame.

Nastasia repartit au pays, pour un vol qualifié de définitif, avec un pilote russe de l’Aeroflot.

- Flûte! dit Ferdi Lance, perdu dans son hamac.

- A la nôtre! et nazd’rovié! dit Vladimir Routine en actionnant vigoureusement son manche à balai, sous le regard éthéré de son hôtesse adorée, tandis que l’avion montait, à l’assaut du ciel pur.



Ferdi, déçu et limogé, s'endormit. Il rêva qu'il se tirait une balle dans le pied et une autre dans la main, reconnaissant mais un peu tard qu'il n'était pas un homme de tête, encore moins un homme de main.
UN HOMME DE TÊTE 426491 pour le travaille et félicitation.
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