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Jean BERTAUT

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Message par Najat Jeu 27 Mai - 23:04


  • Jean BERTAUT (1552-1611)

Adieu



De postposer ta gloire aux lois de son service,
De n'avoir dans le coeur rien que son nom escrit,
Et pour charmer un mal qui tous les jours s'aigrit,
Luy faire incessamment de mon coeur sacrifice ;

Seigneur, c'est un peché bien digne du supplice
Que jamais ny l'espoir ny le temps n'amoindrit ;
Mais procedant d'un coeur que l'Amour attendrit,
Ma foiblesse en ce crime est ma seule complice.

Tu sçais bien, ô Seigneur, que si je l'eusse peu,
Depuis maintes saisons ce laqs j'eusse rompu,
Tirant ma liberté d'une main si cruelle.

Comme donc en l'aymant et servant malgré moy,
La contrainte amoindrit mon merite envers elle ;
Elle amoindrit aussi mon offense envers toy.
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Message par Najat Jeu 27 Mai - 23:05

Complainte sur la mort du feu Roy



... Helas, il me souvient que quand son pasle corps
Fut mis à reposer en la couche des morts
J'entray dedans la chambre où le plomb qui l'enserre
Gisoit sans nulle pompe estendu contre terre,
Pendant que l'artizan à cet oeuvre empesché,
De maint ais resonnant l'un à l'autre attaché,
Formoit la triste chambre où la fatale marque
Des fourriers de la mort logeoit ce grand monarque.
Et lors ramentevant que celuy dont les os
Dormoient entre les vers dedans ce plomb enclos,
Naguere estoit au monde et mon Prince et mon maistre,
Celuy d'où tout mon heur se promettoit de naistre,
Et de qui le trespas me venoit de ravir
L'espoir de tout le bien qu'à le suivre et servir
J'avoy peu meriter d'un coeur si debonnaire,
D'un tel coup de douleur dedans l'aine frappé
Par le triste penser qui m'avoit occupé,
Que presque evanoüy je tombay sur la place,
En paleur une pierre, en froideur de la glace,
Et tel qu'aux yeux humains se feroit admirer
Un marbre qu'on oirroit gemir et souspirer.

Dieu ! qu'il roula de pleurs sur mon visage blesme
Quand apres ce transport je revins à moy-mesme,
Et quand par les ruisseaux que mon oeil espandit
Ce glaçon de tristesse en larmes se fondit !
Long temps je ressemblay ceste Nymphe affligée
Qui fut par trop pleurer en fontaine changée :
Puis commençant l'humeur de manquer à mon oeil,
Tourné vers l'artizan ouvrier de ce cercueil :
Ô toy (lui dy-je alors d'une voix triste et basse)
Qui de la main celeste as receu ceste grace
D'enfermer au cercueil les os d'un si grand Roy,
Pour Dieu, ne vueille point envier à ma foy
L'honneur de t'assister en ce piteux office
Que luy rend maintenant ton fidelle service.
Permets moy de tenir le sapin que tu couds,
Que j'en touche les ais, que j'en touche les clouds :
Que ma tremblante main un à un te les donne,
Et que de ce devoir en pleurant je couronne
Les services passez qu'à luy seul j'ay rendus,
Et qu'helas par sa mort pour jamais j'ay perdus.
Je l'ay servy treize ans, dont mon attente morte,
Apres tant d'esperance, autre fruit ne rapporte
Que ces cuisans souspirs, que cet honneur amer
De pouvoir maintenant au cercueil l'enfermer :
Et si, j'estimeray la fatale inclemence
Ne m'avoir point du tout laissé sans recompense
M'accordant ceste grace, ains beniray mon sort
De l'avoir peu servir encor apres sa mort...
Najat
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Message par Najat Jeu 27 Mai - 23:05

Complainte sur une absence


Je n'ay veu qu'à regret la clarté du Soleil,
Et rien tant soit-il beau n'a mon ame ravie,
Depuis qu'en soupirant j'éloignay ce bel oeil,
De qui la seule veuë est tout l'heur de ma vie.

Les jours les plus luisants me sont obscures nuits,
Que je passe en tristesse et complaintes funebres,
Ne pouvant le ciel mesme, au fort de tant d'ennuis,
Illuminer le corps dont l'ame est en tenebres.

Je ne fay que penser à l'heur que j'ay perdu,
Quoy que ce souvenir aigrissant ma complainte
M'égalle au criminel sur la gesne étendu,
M'estant chaque pensée une mortelle attainte.

Le seul bien d'un portrait exprimant sa beauté
Console un peu mes yeux et mon dueil diminue :
Mais qu'est-ce que cela m'en voyant absenté,
Si ce n'est pour Junon embrasser une nue.

Ah, que je veux de mal aux rigueurs de la loy,
Qui de m'en éloigner s'est acquis la puissance !
Que j'en hay mon devoir aussi bien comme moy,
Luy du commandement, moy de l'obéissance.

Falloit-il qu'oubliant les saints voeux d'amitié,
Pour croire un vain respect et suivre sa Chimere,
Je commisse une erreur indigne de pitié,
De peur d'en commettre une excusable et legere ?

Non, je ne me sçaurois laver de ce peché,
Ny ne puis concevoir qu'il me soit pardonnable :
Et me dois voir ce crime à jamais reproché,
Si je n'en suis vangeur aussi bien que coulpable.

Mais quel plus grand tourment que de m'en voir bany
Peut chastier mon coeur s'il faut qu'il s'en punisse ?
Helas, l'avoir commis c'est m'en estre puny :
Mon peché m'est luy-mesme un rigoureux supplice.

Aussi, quoy que l'Amour s'en plaigne justement,
Si sent-il au pardon la pitié le contraindre ;
Voyant ma propre erreur m'estre un si grand tourment,
Que se plaindre de moy ce n'est rien que me plaindre.

Ah Dieux ! que ne mouru-je aux pieds de sa rigueur,
Lorsque je prins congé de sa chere presence !
Las ! pour ce qu'en partant je luy laissois mon coeur
Je ne pensois jamais ressentir son absence.

Fol, qui n'avisois pas qu'encor que mille morts
Assaillent un Amant éloigné de sa dame,
Il ne ressent l'ennuy d'en estre loin du corps
Qu'autant qu'il en est pres du penser et de l'ame.

Or voy-je maintenant qu'Amour a bien semé
Des espines d'ennuy dans son doux labyrinthe :
Et qu'au desir d'un coeur de sa flamme allumé
La longueur d'une absence est bien pleine d'absinthe.

Mais quelque trait d'ennuy qui me puisse offenser,
Rien n'esteindra l'ardeur dont je me sens éprendre
Ains faudra désormais, avant que voir cesser
Mon ame d'estre en feu, me voir le corps en cendre.

Non, ma flamme vivra jusqu'à mon dernier jour,
Malgré toute infortune et presente et future.
J'ay beaucoup de douleur, mais j'ai bien plus d'amour :
L'une fait que j'endure, et l'autre que je dure.

Seulement, ô beaux yeux, yeux qui m'estes si doux
Que l'heur de vous servir m'est plus qu'un diadême,
Avienne que l'oubly n'éloigne point de vous
Un coeur que vostre absence éloigne de soymême.

Cieux qui prestez l'oreille aux saints voeux des amans,
Faites qu'en jettant l'oeil sur vos vives lumieres,
La divine Beauté qui cause mes tourmens
Lise dans vostre front ces voeux et ces prieres.

Et vous vents bienheureux qui vers elle passez,
Portez luy de ma foy l'immortelle assurance ;
Luy disant en deux mots bassement prononcez,
Que je meurs de desir en vivant d'espérance.
Najat
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Message par Najat Jeu 27 Mai - 23:06

Elégie (1)



Comme alors que le jour c'est caché sous la terre,
Le soucy plus ouvert se referme et reserre,
Dedaigneux de laisser regarder à son oeil
D'autres flammes au Ciel que celles du Soleil :
Ainsi quand les malheurs qui traversent ma vie
M'ont de vostre bel oeil la presence ravie,
Le mien se fermeroit, dolent de ne voir rien
Qui ne semble exprimer la perte de son bien :
Et dédaigneux de suivre, en l'ombre où je chemine,
Une lumiere humaine apres une divine,
Fuiroit en quelque lieu de clarté dépourveu,
Cherchant de ne rien voir, et de n'estre point veu;
Si le poignant regret que me cause ma perte,
Ne tenoit ma paupiere incessamment ouverte
Aux pleurs dont le ruisseau coule sans s'estancher
De mon coeur misérable, ainsi que d'un rocher.
De vous dépeindre au vif les peines que j'endure
Errant en une nuit si tristement obscure,
L'ingenieux pinceau des plus rares esprits
L'essay'roit vainement s'il l'avoit entrepris.
Vous, imaginez-les, qui pouvez de vous mesme,
Par vos perfections, par mon amour extrême,
Par l'aise que je sens voyant vostre beauté,
Juger quel mal je souffre en estant absenté.
Le mal n'est gueres grand qui se peut bien dépeindre :
Et je sçay mieux souffrir que je ne sçay me plaindre;
Ayant l'ame plus ferme à porter les malheurs,
Que la langue eloquente à conter mes douleurs.
Le crayon tous les jours monstre en vostre peinture,
Que tant plus sont parfaits les traits dont la nature
A rendu pour sa gloire un visage animé,
Tant moins facilement peut-il estre exprimé.
Une parfaite amour en effet est semblable :
Tant plus ardante elle est, moins elle est exprimable :
Et le mal que l'absence aux amants fait gouster,
S'il se fait bien sentir, se voit mal raconter.
Helas ! si ceste ardeur qui m'a mis tout en flame
Embrazoit seulement la moitié de vostre ame,
Je n'aurois nul besoin de ceste plainte icy
Pour faire à vostre esprit juger qu'il est ainsi.
Vous mesme en mon absence, atteinte de tristesse,
Vous plaindriez le tourment dont la vostre me blesse :
Connoistriez quel mal c'est qu'estre loin de son bien ;
Et sentant vos ennuis, vous jugeriez du mien.
Mais le Ciel vostre autheur, ô ma douce inhumaine,
Ne vous forma jamais pour souffrir tant de peine.
Sa main vous a voulu ses graces departir
Pour donner du tourment non pour en ressentir.
Aussi suffiroit-il au desir qui m'allume,
Si lors que loing de vous le regret me consume,
Pour rendre aucunement mes ennuis appaisez,
Vous plaigniez pour le moins le mal que vous causez.
Je ne me plaindrais point si vous daigniez me plaindre :
Car malgré les malheurs qu'en absence on doit craindre,
Heureux est le destin du serviteur absent
De qui l'on sent l'absence autant qu'il la ressent.
Mais las! pourquoy faut-il que les arbres sauvages
Qui vestent les costaux ou bordent les rivages,
Qui n'ont veine ny sang qu'Amour puisse allumer,
Observent mieux que nous les loix de bien aimer ?
On dit qu'en Idumée, és confins de Syrie,
Où bien souvent la palme au palmier se marie,
Il semble, à regarder ces arbres bienheureux,
Qu'ils vivent animez d'un esprit amoureux.
Car le masle courbé vers sa chere femelle
Monstre de ressentir le bien d'estre aupres d'elle :
Elle fait le semblable, et pour s'entrembrasser
On les voit leurs rameaux l'un vers l'autre avancer.
De ces embrassemens leurs branches reverdissent,
Le Ciel y prend plaisir : les astres les bénissent :
Et l'haleine des vents soupirants à l'entour
Loüe en son doux murmure une si chaste amour.
Que si l'impieté de quelque main barbare
Par le tranchant du fer ce beau couple separe,
Ou transplante autre-part leurs tiges desolez,
Les rendant pour jamais l'un de l'autre exilez :
Jaunissants de l'ennuy que chacun d'eux endure
Ils font mourir le teint de leur belle verdure,
Ont en haine la vie, et pour leur aliment
N'attirent plus l'humeur du terrestre element.
Si vous m'aymiez, helas ! autant que je vous aime,
Quand nous serions absens nous en ferions de mesme :
Et chacun de nous deux regrettant sa moictié,
Nous serions surnommez les palmes d'amitié.
Nom qui nous conviendrait si de mesme constance,
Si de mesme desir nous faisions résistance
A tout ce qui pourroit une amour étoufer,
Et par nostre victoire en sçavions triompher.
Mais autant que ma flamme est grande et violente,
Autant, pour mon tourment, la vostre est foible et lente,
Et tient de la froideur d'une ame où fait sejour
Une simple amitié, non une ardante amour.
La mienne est comparable au feu d'une fournaise
Qui tourne tous les jours une forest en braise :
Et la vostre à celuy qui dessus les autels
Fume d'un peu d'encens au pied des immortels.
Et c'est ce qui me tue, et qui fait qu'à toute heure
Mon coeur impatient gemit, soupire, pleure,
Et fait priere aux Cieux qu'ils m'accordent le bien
D'augmenter vostre amour, ou d'aimoindrir le mien.
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Message par Najat Jeu 27 Mai - 23:06

Elégie (2)



... Ah ! fille sans amour, ou du moins sans constance,
Pourquoy paissant mon coeur d'une vaine espérance,
Me juras-tu jamais que mon feu te plaisoit,
Et qu'un mesme desir ta poitrine embrasoit ?
Pourquoy soufflant l'ardeur de ma flamme insensée
M'asseuras-tu jamais que j'estois ta pensée :
Et que ta seule amour bruslant trop vivement
Ne nous permettoit point d'aymer également ?
Si tu ne m'aymois point que te servoit la fainte
Dont tu trompois l'espoir d'une amitié si sainte !
Si vraiment tu m'aymois, pourquoy sans mon erreur
As-tu pris ma constance et mon nom en horreur ?
Qu'ay-je dict, qu'ay-je faict, digne de ce supplice ?
Que je sache ma faute avant qu'on me punisse.
Qu'on ne me face point, par une injuste loy,
Mourir sous les tourments sans me dire pourquoy.
Ce saint et chaste feu de qui la pure flame
Ardoit incessamment sur l'autel de mon ame,
L'ay-je laissé mourir, ou l'ay-je violé
Par quelque feu prophane où mon coeur ait bruslé ?
Ma bouche t'accusant de ma mort inhumaine,
Ou ma main decrivant la rigueur de ma peine,
Ont-elles contre toy lâché sans y penser
Quelque traict qui t'ait peu justement offenser ?
Helas ! et l'une et l'autre est trop accoustumée
A loüer la Beauté qui te rend estimée,
Mesme au fort des tourments dont tu gesnes ma foy,
Pour avoir en fureur blasphemé contre toy.
Aussi n'eust pas souffert le doux feu qui m'anime
Qu'un dépit m'eust rendu coulpable de ce crime :
Ma douleur l'eust commis, mon amour l'eust puny.
Je me fusse à jamais interdit la parole :
J'eusse bruslé ma main comme un autre Scevole :
Si mesme es passions ou plus l'ame s'aigrit
J'eusse blessé ton nom de bouche ou par escrit.

Mais tu ne me sçaurois reprocher cest' offence,
Causant ton changement dessus mon imprudence :
Car j'en suis incoulpable, et de tout ce malheur
A toy seule est la faute, à moy seul la douleur.

Or vueillent, les destins que tu ne sois blessée
De repentir aucun en ta jeune pensée
Pour ce trait d'inconstance, et que t'en souvenir
Ce ne soit point un jour toy-mesme t'en punir.
Je ne desire point que ta peine me vange :
Assez suis-je vangé de te voir perdre au change,
Et puis comme pourroit du mal te desirer
Un coeur qui n'a jamais appris qu'à t'adorer ?
Que l'eternel oubly de ta jeune inconstance
Me l'effaçant du coeur soit ma seule vengeance :
Afin que mon repos se remarque aussi bien
Naistre de mon oubly que ma peine du tien.

Cependant, si jamais tu repasses l'histoire
De ma fidele amour par devant ta memoire,
Il te ressouviendra que j'ay fait jusqu'aux Cieux
Voller par mes soupirs la gloire de tes yeux.
Il te ressouviendra que j'ay sans artifice
Monstré de postposer ma vie à ton service,
Donné ta volonté pour regle à mes desirs,
Senty de ton bien seul naistre tous mes plaisirs.
Et lors, en t'accusant d'estre ingrate et cruelle,
Peut-estre avoüeras-tu qu'un esprit si fidelle
Que celuy dont les Cieux me daignent animer,
Tout imparfait qu'il est, t'obligeoit à l'aymer.
Bien est-il imparfait au prix de tant de graces,
Dont approchant des Dieux les humains tu surpasses :
Mais parfait en amour, constance et fermeté ;
Seule perfection qui manque à ta beauté.
Najat
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Message par Najat Jeu 27 Mai - 23:07

Stances


Ne vous offensez point, belle ame de mon ame,
De voir qu'en vous aymant j'ose plus qu'il ne faut :
C'est bien trop haut voller, mais estant tout de flame
Ce n'est rien de nouveau si je m'éleve en haut.

Comme l'on voit qu'au ciel le feu tend et s'élance,
Au ciel de vos beautez je tens pareillement :
Mais luy c'est par nature, et moy par cognoissance ;
Luy par nécessité, moy volontairement.

Aussi suis-je content que le sort adversaire
Darde sur mon amour quelque trait orageux,
Pourveu que l'accusant ainsi que temeraire,
Quelqu'un aussi le louë ainsi que courageux.

Car il me reste assez gravé dans la memoire,
Que voulant m'approcher d'un celeste flambeau,
La mort en ceste audace est conjointe à la gloire,
Et que sous ce trophée est basty mon tombeau.

Mais puis qu'en mon amour il faut que je m'égare,
Du vol de mes desirs dereglant la hauteur,
De quel plus beau Soleil pourroy-je estre l'Icare,
Moy qui veux consoler ma mort par son autheur ?

L'homme est bien malheureux, de qui l'ame indiscrette
Peut ailleurs qu'en vos mains sa franchise enfermer :
C'est ou n'avoir point d'yeux pour vous voir si parfaite,
Ou n'avoir point de coeur pour vous oser aimer.

Quant à moy, je plaindrais et ma peine et mes larmes,
Si je les dépendais pour de moindres beautez,
Car je hay qu'un autre oeil m'enchante de ses charmes,
Que celuy qui rendroit les dieux mesme enchantez.

Non, sçachant que ma flamme est celeste et divine,
Je ne puis rien aymer s'il n'est egal aux dieux :
Je veux qu'un bel oser honore ma ruine;
Et puis quil faut tomber, je veux tomber des cieux.

Arriere ces desirs rempants dessus la terre :
J'ayme mieux, en soucis et pensers elevez,
Estre un aigle abattu d'un grand coup de tonnerre,
Qu'un cygne vieillissant és jardins cultivez.

Non en volant si haut je ne crain point l'orage,
Et l'effroy du peril ne m'en retire point :
Ce qui sert d'une bride aux esprits sans courage,
Est un vif esperon dont le mien est espoint.

J'ayme qu'à mes desseins la fortune s'oppose :
Car la peine de vaincre en accroist le plaisir.
Pouvoir facilement obtenir quelque chose,
M'est assez de suget d'en perdre le desir.

Advienne seulement que mon ame embrasée
Du desir d'acquérir ceste riche toison,
Trouve la seule peine à mes voeux opposée,
Afin que de ce monstre elle soit le Jason.

Mais helas ! je crains fort qu'un malheur invincible
Transforme tellement l'heur à qui je m'attens,
Qu'au lieu de dificile il le rende impossible,
Et joigne à mes travaux la perte de mon temps.

Dementez cette crainte, ô beauté qui convie
Aux erreurs de l'amour les plus sages esprits
Suffise à vos rigueurs qu'il me couste la vie,
Sans que j'en perde encor et l'attente et le prix.

Ainsi de vostre teint l'immortelle jeunesse
Ne soit jamais sujette à l'empire des ans :
Ny ne puissent jamais les traits de la vieillesse
Vous rendre les miroirs des objets malplaisans.

Ainsi la libre voix des belles de cest âge,
Vous puisse declarer Royne de la Beauté;
Et tout de qui desdaigne à vous en faire hommage,
Criminel envers vous de leze Majesté.
Najat
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