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Prosper Jourdan

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Prosper Jourdan - Page 2 Empty Prosper Jourdan

Message par Najat Sam 1 Mai - 12:13

Rappel du premier message :

A

PROSPER JOURDAN


Mon fils bien-aimé, mon Prosper, mon ami, mon cher et doux poëte, tu
étais près de moi, il n'y a pas trois mois encore, près de nous qui
t'aimions et t'aimons toujours si tendrement; tu vivais de notre vie, tu
nous prodiguais toutes les délicatesses de ton amour, tout le charme
de ton esprit; tu nous parlais de ton avenir, de tes projets ...
et maintenant nous voici seuls et tristes! Tu nous as quittés pour
toujours, et ton pauvre père affligé, ton vieil ami t'écrit comme si tu
pouvais encore l'entendre, comme si tes yeux pouvaient déchiffrer encore
cette écriture que tu aimais tant, cher enfant adoré!

Tu nous as quittés! Que de peine j'ai à me le persuader et que de larmes
quand cette vérité m'apparaît dans toute sa tristesse! Une fièvre,
quelques jours de maladie, ont suffi pour éteindre la belle
intelligence, pour arrêter les battements de ce coeur loyal d'où
n'approchèrent jamais ni un sentiment bas ni une passion grossière! Tu
nous as quittés en pleine jeunesse, dans la fleur de les vingt-six ans,
mon Prosper chéri! Pourquoi si tôt? Pourquoi notre amour n'a-t-il pu te
rattacher à la vie? Ne savais-tu donc pas que ton départ nous laisserait
une incurable blessure?

Quand tu vivais près de nous, ami de mon âme, je n'avais pas de secrets
pour toi, tu lisais dans ma vie comme dans un livre ouvert. Je ne veux
pas perdre ces douces et chères habitudes de notre intimité; je continue
à te parler et à l'écrire, à te livrer mon coeur tout plein de toi.

Et pourquoi ne le ferais-je pas?

Tu vis, mon fils aimé; je suis trop imparfait pour savoir, quelle est la
forme que tu as revêtue, quel est le milieu où tu te développes, mais
je crois à ta vie loin de nous aussi fermement que je croyais à ta vie
quand j'avais le bonheur de te presser dans mes bras et d'entendre la
voix si douce à mes oreilles et à mon coeur.

Je crois à ta vie actuelle comme je croyais, comme je crois encore à ton
amour. Je t'ai vu expirer dans nos bras, j'ai contemplé ton beau visage
glacé par la mort, j'ai entendu la terre tomber, par lourdes pelletées,
sur le cercueil qui renfermait ta dépouille mortelle; mes yeux se
remplissent de larmes, mon coeur se déchire à ces cruels souvenirs,
et cependant je ne crois pas à la mort! Je te sens vivant d'une vie
supérieure à la mienne, mon Prosper, et quand sonnera ma dernière heure,
je me consolerai de quitter ceux que nous avons aimés ensemble, en
pensant que je vais te retrouver et te rejoindre.

Je sais que cette consolation ne me viendra pas sans efforts, je sais
qu'il faudra la conquérir en travaillant courageusement à ma propre
amélioration comme à celle des autres; je ferai du moins tout ce
qu'il sera en mon pouvoir de faire pour mériter la récompense que
j'ambitionne: te retrouver.

Ton souvenir est le phare qui nous guide et le point d'appui qui nous
soutient. A travers les ténèbres qui nous enveloppent, nous apercevons
un point lumineux vers lequel nous marchons résolument; ce point est
celui où tu vis, mon fils, auprès de tous ceux que j'ai aimés ici-bas et
qui sont partis avant moi pour leur vie nouvelle: mon père, ma mère, ma
soeur, Moïse Retouret, Delaury, Prosper Enfantin, Moroche, Jal, Charles
Ferrand, Gustave Suchet, et tant d'autres, hélas!

Te rappelles-tu encore, ami, nos conversations inépuisables sur ces
graves sujets, assis tous deux dans ta chambre de Mont-Riant: Dieu, la
mort, la vie éternelle, la liberté humaine, etc.? Maintenant ton âme,
dégagée des liens matériels si lourds et si compacts sur ce petit globe,
entrevoit ces grands problèmes d'un point de vue plus haut. Tu sais ou
tu le prépares à savoir ce que j'ignore; tu aperçois des clartés que je
ne soupçonne même pas. Mais ma foi reste ardente et entière, telle que
tu l'as connue! mon bien-aimé Prosper. Ce n'est pas sous la terre où
j'ai déposé tes restes que je te cherche, doux trésor de mon coeur, fils
qui as été mon orgueil, ami qui as été ma force et ma joie! non, mon âme
te cherche sur les hauts sommets, dans ces champs de l'infini peuplés de
demeures éclatantes.

Plus que jamais je crois à l'immortalité, à la persistance de
l'individualité humaine à travers le temps et l'espace; je crois au
libre arbitre, aux développements successifs de la vie, aux paradis et
aux enfers que nous nous créons, suivant le bon ou le mauvais usage que
nous faisons de notre liberté.

Je crois surtout à la toute-puissance de l'amour, du dévouement, de la
bonté, de l'indulgence, de toutes ces grandes vertus dont tu possédais
et dont j'admirais le germe en toi, mon Prosper!

Je crois aujourd'hui tout ce que nous croyions ensemble avec les
lumières de notre conscience et sans le secours d'aucun prêtre
catholique ou protestant. Nous étions et nous sommes toujours de ceux
qui n'appartiennent à aucune des églises existantes, et qui cependant se
sentent religieusement unis à Dieu et à tout ce qui est vrai, juste, bon
et beau.

Tu le vois, cher bien-aimé, je t'écris comme je t'écrivais quand nous
étions momentanément séparés pendant ton existence sur cette planète; je
t'ouvre mon coeur, je te rassure sur notre compte comme si tu en avais
besoin, en te disant que si ton départ a brisé nos âmes dans la douleur,
il ne les a du moins pas desséchées et que notre foi reste entière comme
elle l'était quand tu étais près de nous.

Et maintenant, mon Prosper chéri, approuveras-tu ce que nous avons fait?
Tu as mis autant de soin, mon doux poëte, à cacher ton nom et tes vers
que d'autres en incitent à se produire avec fracas. Mais à présent,
quand tu vis loin de ce globe, nous pardonneras-tu de réunir en un
volume ces chants de ta jeunesse? Non que nous ayons la pensée de les
livrer au public et aux indifférents! Mais, est-ce faiblesse, piété ou
amour-propre paternel, nous voulons offrir à chacun de nos amis, en
souvenir de toi, ce volume discret qui ne franchira pas les bornes de
l'intimité et de l'affection. La plupart de ceux qui t'ont connu,--et
tous ceux qui t'ont connu t'ont aimé,--ne soupçonnent même pas l'oeuvre
que tu as laissée, si incomplète qu'elle soit. Je laisse de côté, bien
entendu, et je garde pour nous seuls les lettres, les esquisses, les
plans, les articles que tu as publiés sous divers pseudonymes. J'ai fait
parmi tes poëmes, avec le concours de ta mère et de ton frère, un choix
presque rigoureux. Je n'ai voulu mettre sous les yeux de nos amis que ce
que ton goût, si exquis en toutes choses, aurait lui-même avoué.

En tête de ce volume je placerai cette lettre, où nous n'avons pu que
bien imparfaitement exprimer notre profond et tendre amour.

A toi, notre fils, notre frère, notre compagnon, notre ami, à toi
toujours et à notre réunion future.
H.C. et L.J.
Paris, 3 août 1866.
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Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:08

X

Or, un certain jour que Patrice,
--Patricius en bon latin,--
Avait justement le matin
Appris, au sortir de l'office,
Que l'on devait, le lendemain,
Le nommer évêque romain,
Il arriva que la nouvelle
De ce rapide avénement
Fit une sensation telle
Que ce fut un événement
Jusqu'au fond du cloître où Léone,
Fidèle comme au premier jour,
Priait le Christ et la Madone
De la guérir de son amour.

A cette nouvelle imprévue,
Vous pouvez vous imaginer
A quel point elle fut émue
Et ce qu'elle dut éprouver.

D'abord, sans force et sans courage
Devant ce fait presque inouï,
La pauvre enfant s'évanouit
Pour être en règle avec l'usage,
Mais, au bout de quelques instants,
Lorsqu'elle eut repris connaissance,
Oubliant toute obéissance
Et sans attendre plus longtemps,
Tremblante et pourtant décidée,
Les yeux baissés, le coeur battant,
Elle sortit de son couvent
Par une porte dérobée;
A pas furtifs et n'emportant
Qu'un petit miroir avec elle;
Et tandis qu'elle trottinait,
Tout le long du chemin, la belle
Furtivement s'y regardait
Pour voir si celui qu'elle aimait.
Allait encor la trouver belle.

Ce point-là, seul, l'inquiétait.
Or, à cette époque, Léone
N'avait pas encor vingt-trois ans,
Et l'on sait que, pour bien des gens,
C'est le bel âge d'une nonne.
Mais, que l'on pense ou non comme eux,
C'est ainsi que notre amoureuse
S'en vint, palpitante et peureuse,
Chez monseigneur son amoureux.

Lequel, il faut bien qu'on le dise,
Pour se donner avant la prise
Un avant-goût fort délicat
Des plaisirs de l'épiscopat,
Avec un sérieux d'église,
Était en train, pour le moment,
De s'admirer complaisamment
Devant un miroir de Venise
Et posait comme il le fallait,
Du talon jusques au collet,
Dans un bel habit violet.

Nadej-isis

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Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:09

XI

J'affirme, de mémoire d'homme,
Que jamais miracle accompli
N'étonna créature comme
Sut être étonné notre ami,
Quand, pareille au lys qui frisonne,
Sous son voile, dont chaque pli
Tremblait sur sa blanche personne,
Il vit apparaître Léone.
Le fait est, sans plus d'embarras,
Qu'ils se jetèrent dans les bras
L'un de l'autre, et qu'ils s'embrassèrent
De bon coeur, et recommencèrent
Tant et si bien que l'évêché
Lui-même en eût été touché.
Nadej-isis
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Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:09

XI

J'affirme, de mémoire d'homme,
Que jamais miracle accompli
N'étonna créature comme
Sut être étonné notre ami,
Quand, pareille au lys qui frisonne,
Sous son voile, dont chaque pli
Tremblait sur sa blanche personne,
Il vit apparaître Léone.
Le fait est, sans plus d'embarras,
Qu'ils se jetèrent dans les bras
L'un de l'autre, et qu'ils s'embrassèrent
De bon coeur, et recommencèrent
Tant et si bien que l'évêché
Lui-même en eût été touché.


XII

On se retrouve, on rit, on pleure.
On s'aime et le reste n'est rien;
C'est charmant. Bref tout alla bien
Pendant près d'une demi-heure.

Mais, une fois l'émotion
Du premier moment apaisée,
Quand la froide réflexion
Vint, avec sa morale usée,
Se représenter à l'esprit
Du futur prélat, il se dit
Qu'il avait fait une folie;
Et je crois qu'il s'en repentit.

Quoique Léone fût pâlie,
Elle était encor bien jolie
Et Patrice en eût été fou;
Mais l'évêché, quand on y pense,
A bien aussi son importance,
Et Patrice y tenait beaucoup.

Lors il s'établit une lutte
Entre sa raison et son coeur,
Et le jeune homme fut rêveur
Pendant une bonne minute.

Mais son parti fut bientôt pris,
Et, bien qu'il fût encore épris,
L'évêché lui parut sans prix.

Aussi devint-il inflexible.
Et, quand la malheureuse enfant
Ne pouvant le croire insensible,
Le suppliait en étouffant,
A travers sa pâleur mortelle,
Avec ses beaux yeux languissants
Et sa voix aux sons caressants,
De partir encore avec elle:

«--Ma chère, je réfléchirai,
Lui dit Patrice, et je verrai
Lorsqu'archevêque je serai.»

Devant un semblable langage,
Voyant son bonheur s'écrouler,
Léone sentit s'en aller
Tout ce qu'elle avait de courage.
Et, par un changement subit,
Grave et muette, elle sortit
L'oeil sombre, la démarche lente;
Si bien qu'en la voyant ainsi
Déchevelée et chancelante,
Son amant, un peu tard, hélas!
Lui courut après dans l'allée.

Mais, l'ayant en vain rappelée,
Pensif, il revint sur ses pas;
Car elle ne l'entendit pas,
Tellement elle était troublée.

Elle rentra dans son couvent
Par la même petite porte
Qu'elle avait franchie en rêvant
Quelques heures auparavant.
Mais la secousse était trop forte,
Et ses soeurs ne la virent plus;
Car, à l'heure de l'Angelus,
Le soir même on la trouva morte.

Patrice, en apprenant cela,
Se dit: «Le bonheur était là!»
Et derechef se désola.
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Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:14

XIII

Quelle apparence recueillie
Offre à l'oeil ce parc ténébreux!
A voir ces vieux troncs vigoureux,
On sent bien la mélancolie
D'une antique forêt vieillie
Dans le voisinage sacré
D'un vaste et puissant prieuré.

Ces bois ont un parfum mystique.
La vieille cloche au bruit d'airain
Y trouve un écho sympathique,
Et, ce lieu désert est empreint
D'une tristesse monastique.
Ces pins droits et silencieux
Disposent à la rêverie.
Leur ombrage est sombre et pieux,
Comme pour dire: «Ici l'on prie.»
Et les grands tilleuls tortueux
Ont, dans leur air majestueux,
Je ne sais quoi de vertueux,
De respectable et d'immobile
Qui donne à ce séjour tranquille
La solennité des saints lieux.
On dirait des religieux
Rêvant au néant de la vie.
Ce bois triste et mystérieux,
C'est le jardin de l'abbaye.

Rien n'est changé dans le couvent.
Les arbres sont verts comme avant,
Et les nonnes du monastère,
Ainsi qu'autrefois, vers le soir,
Viennent promener et s'asseoir
Sous leur ombrage solitaire.

Pourtant, derrière ce décor,
Est un jardin plus sombre encor,
Où jamais la fraîche églantine
N'accroche, le long des sentiers,
Aux branches des verts noisetiers
Sa tige odorante et mutine.

Là, de vieux arbres en lambeaux
Protégent les pâles tombeaux
Contre le vent et la froidure;
Ce sont des ifs et des cyprès.
La rivière qui passe auprès
Reflète leur sombre verdure.

Là, dans un éternel sommeil,
Dort plus d'un front jeune et vermeil,
Plus d'une par la mort blémie.
Sous un pin au feuillage épais,
Dans le silence et dans la paix,
C'est là qu'est Léone endormie.

Elle dort. Le temps passera,
Et toujours elle dormira
Sous la pierre, immobile et douce,
Et de sa divine beauté,
Hélas! hélas! rien n'est resté
Qu'une tombe où verdit la mousse.

Ce marbre, où nul ne doit venir,
Gardera seul le souvenir
De cette figure angélique.
Et seul, dans les tristes échos,
Le vent bercera son repos
D'une plainte mélancolique.

Ainsi fut, et non autrement,
L'héroïne de ce roman,
Qui n'ont jamais qu'un seul amant.

Et depuis lors le jeune évêque,
En proie au chagrin le plus noir,
Par amour devint ... archevêque,
Et cardinal ... de désespoir. XIV

Vous qui, d'une mignonne main,
Feuilletez ces pages légères,
Et qui les oublirez demain,

O vous, lectrices passagères,
Dont la joue au sang de carmin
N'a point de roses mensongères;
Si jamais vous avez pleuré,
Si jamais vous avez aimé,
Si jamais vous avez rêvé:
Parfois, dans la triste soirée,
A l'heure où la lune éplorée,
Viendra, par la vitre nacrée,
Pencher sur nous son front tremblant,
Plaignez la nonne en voile blanc
Par la mort tout ensommeillée,
Qui repose au sein de l'oubli,
Là-bas, parmi l'herbe mouillée,
Printemps céleste, enseveli
Sous la campagne défeuillée.

Le monde est un juge banal;
On trouve, en ouvrant un journal,
Des nouvelles du cardinal.
Mais Léone? qui parle d'elle?
C'est pourtant un rare modèle
Qu'une amante à jamais fidèle.


1865.


Dernière édition par Nadej-isis le Sam 1 Mai - 14:18, édité 1 fois
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Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:16

PREMIERES LARMES


J'admire ces étoiles lentes;
J'y vois même, en rêvant un peu,
Comme des gouttes d'or tremblantes
D'un ton divin sur un fond bleu.

J'écoute avec charme, ô nature!
Qu'est-ce donc qu'un coeur d'amoureux?
Ce bruit de cailloux, quand murmure
La source au fond du ravin creux;

Quand la brise, sur la montagne,
Soupire en inclinant les fleurs:
Et me voilà, par la campagne,
Dieu me pardonne, tout en pleurs!

Je crois même, quelle folie!
Qu'un rossignol ou qu'un pinson
Me rend plein de mélancolie.
Las! qui me rendra ma raison?

D'où vient, j'ose à peine le dire,
Que je me suis, seul dans les bois,
Surpris quatre fois à sourire
Quand je pleurais tout à la fois?

Est-ce l'amour? Sans m'y connaître,
Je le crois quand je pense à vous.
Mais, non; l'amour ne doit pas être
Si cruel, hélas, ni si doux!


1856.
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty L'AUTOMNE

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:17

Septembre finissait: déjà le vent d'automne
Du printemps, dans les bois, effeuillait la couronne.
Les monts, dorés encor des reflets du soleil,
Se mouraient sous ses feux. Chaque arbre à son réveil,
Voyait le sol jonché de ses feuilles flétries,
Brillantes de rosée et par le froid meurtries.
Comme un rideau de gaze, une faible vapeur
Jetait sur la vallée un voile de langueur;
De quelques pauvres toits, en spirale dormante,
S'élevait lentement une trace fumante,
Tandis que le soleil, à l'horizon lointain,
Rougissait les coteaux d'un rayon incertain.

En longs frémissements les brises murmurantes
De l'automne apportaient les senteurs enivrantes
Et soupiraient ces chants qui font rêver d'amour,
Errants dans les échos sur le soir d'un beau jour.
Et la nature alors chantait comme en un rêve
Le silence et l'amour, l'ombre et tout ce qui rêve,
Puis semblait, languissante ainsi que la beauté,
Mourir dans sa splendeur et sa sérénité.


Octobre 1857.
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty PREMIERES LARMES

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:22

J'admire ces étoiles lentes;
J'y vois même, en rêvant un peu,
Comme des gouttes d'or tremblantes
D'un ton divin sur un fond bleu.

J'écoute avec charme, ô nature!
Qu'est-ce donc qu'un coeur d'amoureux?
Ce bruit de cailloux, quand murmure
La source au fond du ravin creux;

Quand la brise, sur la montagne,
Soupire en inclinant les fleurs:
Et me voilà, par la campagne,
Dieu me pardonne, tout en pleurs!

Je crois même, quelle folie!
Qu'un rossignol ou qu'un pinson
Me rend plein de mélancolie.
Las! qui me rendra ma raison?

D'où vient, j'ose à peine le dire,
Que je me suis, seul dans les bois,
Surpris quatre fois à sourire
Quand je pleurais tout à la fois?

Est-ce l'amour? Sans m'y connaître,
Je le crois quand je pense à vous.
Mais, non; l'amour ne doit pas être
Si cruel, hélas, ni si doux!


1856.
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Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:23

A MARIE


En promenant, vous souvient-il, Marie,
Vous me donniez votre petit bras blanc
Que je serrais parfois, tout en causant?
Vous pâlissiez malgré vous, ma chérie,
Et votre voix tremblait en me parlant.

Je vous aimais, Mariette, et pourtant
N'en disais rien, mais je mourais d'envie
De vous conter mon secret, par moment,
En promenant.

Mais vous partez; quand on part, on oublie.
Vous allez donc vous marier, vraiment?
Parfois, là-bas, si votre coeur s'ennuie,
--Vos grands yeux bleus sont si doux en rêvant!--
Songez à moi du fond de l'Algérie,
En promenant.


Toulon, Juin 1858.
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty RHODINA

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:23

Fille de Lesbos, vierge aux tresses blondes,
Nymphe auprès de qui pâlirait Vénus,
Fleur du Sunium, dont de chastes ondes
Au soleil jadis baignaient les pieds nus!

Comme sur la mer, la mer frémissante
Poursuit le sillon d'un fuyant esquif,
Sur le sable fin l'onde caressante
A-t-elle effacé ton pas fugitif?

Blanche Rhodina, ma déesse antique,
Si chez les mortels, par faveur des dieux,
Tes charmes divins, dans leur grâce attique,
Daignaient un beau soir descendre des cieux,

Si tu revenais, ravissante et telle
Que Cléphas te vit, un jour de péché,
Je voudrais t'aimer d'amour immortelle
A rendre jalouse Hélène ou Psyché!

Car parmi tes soeurs au chaste sourire
Dont je vois s'enfuir dans les bois ombreux
Le pas, cadencé comme un chant de lyre,
Toi seule es la reine aux yeux amoureux.

Et tu m'aimerais, ma pudique amante,
Tout en restant nymphe et divinité:
Comme ton sein nu sa pudeur charmante,
O reine, l'amour a sa chasteté.


Passy, Août 1858.
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty A L'HOTELLERIE

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:24

--SOUVENIR DE MUSSET--


I

Il est des jours, Dieu me pardonne!
Où, sans mentir,
Je sauterais de la Colonne
Pour en finir.

D'où vient cette mélancolie?
Voyons un peu:
Suis-je en veine de poésie?
Mais non, par Dieu!

Est-ce un de ces spleens qu'on éprouve
Quand, par moment,
Votre étourdi de coeur se trouve
Seul en aimant?

Suis-je dans mes jours de tristesse?
Ai-je un trésor
Caché dont le souci m'oppresse?
Ou bien encor

La province me semble-t-elle
Bête à ce point
Qu'il n'est rien qu'on puisse chez elle
Trouver à point?

La connaissez-vous, la province?
Pour aujourd'hui,
Hélas! j'y bâille comme un prince
Mourant d'ennui.

Lyon! dire qu'on y demeure!
Séjour mortel!
Si je couche ici, que je meure
Dans cet hôtel!

Par hasard, est-ce que vous êtes
De mon avis,
Que rien, même en ses jours de fêtes,
Ne vaut Paris?

Car Paris! ah! mademoiselle,
C'est là qu'on vit;
C'est là que la femme est fidèle,
A ce qu'on dit.

C'est là que l'Amour vend ses pommes
Et mille riens,
Et c'est le pays des grands hommes
Et des vauriens.

Ah! c'est beau, Paris! Pour les femmes,
Quel paradis,
Et quel purgatoire, ô mesdames,
Pour les maris!

Ces pauvres gens ... mais je m'arrête;
Car, Dieu merci!
Pas plus que vous ne m'inquiète
Un tel souci!

Mon avis, puisque la franchise
Est de saison,
Est que vous avez, quoi qu'on dise,
Toujours raison;

D'abord parce que, dans la vie,
Autant qu'on peut,
Je trouve qu'il faut suivre un peu
Sa fantaisie;

Et puis, vous savez bien, Ninon,
Vous que j'implore,
Que, tout ce que vous trouvez bon,
Moi je l'adore.

Et je le dis sincèrement,
Chacun avoue,
Femmes, que le bon Dieu vous doue
Très-joliment.

Et qu'il n'est pas un homme au monde
Qui vaille enfin
La moindre fille, brune ou blonde.
C'est bien certain.


II

Pour en revenir au malaise
De mon esprit,
Nous parlions de ce qui me pèse
Et m'assombrit:

Non! ce n'est ni la Poésie
Au front rêveur,
Engendrant la mélancolie
Dans tout le coeur;

Ni le spleen qui bâille et qui bâille,
Le spleen maudit
Triste et plat comme une muraille
Qu'on reblanchit;

Ni rien des malheurs de la vie,
Petits ou grands,
Qui passent et que l'on oublie
Avec le temps.

Mais alors, d'où vient que mon âme
Voit tout en noir?
Que mon coeur palpite, sans flamme
Et sans espoir?

Quel est donc ce malaise étrange
Qui m'engourdit?
Est-ce mon diable ou mon bon ange
Qui m'affadit?

Je crois que j'aimais ma maîtresse,
Sans m'en douter;
Et que je suis plein de tristesse
De la quitter.

Suis-je donc un amant fidèle?
Car, en un mot,
J'ai dans l'âme une peur mortelle
De l'aimer trop.

Je laisse, hélas! tout ce que j'aime
Derrière moi;
Si je pleure au fond de moi-même,
Voilà pourquoi.

Je sens que mon coeur se réveille,
Espoir déçu!
Quand je le crois mort, il sommeille
A mon insu.

Nous avons beau faire, notre âme
Subsiste en nous
Et brûle, étincelle sans flamme,
D'un feu plus doux.

Cette étincelle est notre vie,
Joie ou malheur;
Sa lueur, ardente ou pâlie,
Jamais ne meurt.

C'est la mystérieuse chaîne
Qui nous unit
A tout ce que notre âme en peine
Aime et bénit;

C'est l'amour qui tue ou fait vivre;
C'est notre sort;
C'est l'étoile qu'il nous faut suivre
Après la mort.

Dieu l'a dit, et la destinée
Suit son chemin
Comme une ennemie acharnée
Du genre humain.

Je marchais, croyant pour la vie,
Mon coeur brisé,
Et voilà que ce coeur me crie:
«Tu t'es trompé!»

Mes amis, ma mère et mon père,
Je vous aimais.
J'aimais ma maîtresse, ah! misère!
Plus que jamais.

Ah! si c'est bien toi qui déchaînes
Charmes et peines!
S'il est vrai que, toujours, demain
Soit dans ta main!

Mon Dieu, si nos blessures même
Viennent de toi!
Si mon cri n'était qu'un blasphème,
Pardonne-moi.


1858.
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty Re: Prosper Jourdan

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:24

LA ROSE


O ma pauvre rose effeuillée,
Charme, regret, parfum, trésor,
Toi que ses lèvres ont mouillée,
O fleur, parle-moi d'elle encor.

C'est dans un bal que je l'ai vue,
Blanche avec des lèvres de feu.
Une douce flamme ingénue
Brillait dans son profond oeil bleu.
C'était, je crois, la nuit dernière
Que je la vis pour en mourir.

Il n'est point de pire misère,
Et pourtant ma douleur m'est chère
Et cher aussi son souvenir.


II

La Valse a d'étranges ivresses;
Je sentais à chaque détour
Ses beaux bras aux molles caresses
Qui me chargeaient de morbidesses
Toutes ruisselantes d'amour.
--Elle est blanche, sa chevelure
L'éclaire comme un cadre d'or
Éclaire une miniature.
L'étoile tremblante qui dort
Aux cieux où sa clarté s'azure,
Brille d'un moins pur diamant
Que ne brillait son front charmant
Pendant cette nuit de féerie.

Hélas! Tout s'est enfui, pourtant!
Mais de ma vision chérie
Il me reste la fleur flétrie
Qu'elle a perdue en me quittant.

O douceur! ô mélancolie!
Adieu, fleur désormais pâlie!
L'amour est ce bel oiseau bleu
Léger comme un songe frivole,
Qui nous caresse, et puis s'envole.
En battant des ailes, vers Dieu!


Paris, Novembre 1859.
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty RENCONTRE

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:25

Je le croyais pourtant bien mort, mon pauvre amour.
Et rien que pour la voir aujourd'hui, dans la rue,
Le voilà revenu, brûlant, comme à sa vue
Il me prit un beau jour.

Mais alors il était doux et plein d'espérance
Comme un rayon de lune adorable qui luit,
Quand la tempête souffle et que le vent balance
Les arbres dans la nuit.

Et je l'avais béni, lui si plein de promesses,
Me berçant à son chant....--Beaux rêves enchanteurs!--
Hélas! pourquoi faut-il que toutes nos tendresses
Nous coûtent tant de pleurs?

Certes! j'aurais juré de l'avoir oubliée,
Elle qui m'a tant fait souffrir quand je l'aimais,
Et voilà que ma plaie à peine refermée
Saigne plus que jamais!


Passy, Mai 1860.
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty A MADAME L***

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:25

C'est amusant, à deux, de courir dans les bois,
Et de rêver le soir au frais des grands ombrages.
En parlant à voix basse errer sous les feuillages,
N'est-ce pas un bonheur à faire envie aux rois?

Cependant un boudoir, lorsque de petits doigts
Vous en ouvrent la porte, a bien ses avantages,
Qui partout ont semblé divins, même aux plus sages.
C'est mon avis, et c'est le vôtre aussi, je crois.

On dit même, est-ce vrai? qu'une bonne voiture
Quand les coussins sont doux, moins pourtant que les yeux
De celle qui l'occupe, est chose qui s'endure.

Un seul point me surprend: ces mots mystérieux
Que le coeur seul entend, que la bouche murmure,
Oh! comme on les oublie après un an ou deux!


Passy, Juin 1860
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty ADIEU, NINON

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:26

Depuis longtemps,
Trop longtemps, je soupire.
Il est grand temps
Aujourd'hui de me dire
Si vous voulez
Jouer avec ma flamme.
Parlez, madame,
Mais vous me le paierez.

Allons, mon coeur,
Et cachez, je vous prie,
Cet air moqueur
Qui vous rend moins jolie.
Quoi! vous osez
Rire de mon attente?
Riez, méchante,
Mais vous me le paierez.

Hélas! pourquoi
Faut-il que je vous aime,
Fille au coeur froid,
Qui n'aimez que vous-même?
Vous souriez?
Ma peine est bien étrange,
Allez, mon ange,
Mais vous me le paierez.

Pourquoi tantôt
Votre voix si rieuse,
Au piano
Était-elle rêveuse?
Vous le savez,
Cela vous rend plus belle.
Chantez, cruelle,
Mais vous me le paierez.

Mêlant nos pas
Dans un même dédale,
Quand dans mes bras
La Valse vous rend pâle,
Vous ne songez,
Vous, qu'à votre toilette.
Dansez, coquette,
Mais vous me le paierez.

Mais quel courroux!
Vous aurais-je blessée?
Quels yeux moins doux!
Quelle moue offensée!
Vous vous fâchez?
Vous êtes en colère?
Boudez, ma chère,
Mais vous me le paierez.

Adieu, Ninon.
Eh bien! quel est ce geste?
Qu'avez-vous donc?
Voulez-vous que je reste?
Ciel! vous pleurez
Votre main me rappelle....
Pleurez, ma belle,
Mes maux sont trop payés.


Passy, Août 1860.
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty DANS LA FORÊT

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:26

Bois où l'Automne se courrouce,
Et, dans les sentiers gracieux
Étend sa rouille sur la mousse!
Brises dont la plainte est si douce
Qu'elle semble venir des cieux!

Sombres écueils! roches antiques!
Vous qui bravez les océans!
Vous que les vagues atlantiques
Ont, dans leurs fureurs fantastiques,
Découpés en profils géants!

Et vous, cieux où l'aube étincelle,
A l'heure où la lune s'endort,
Dites-moi s'il est, brune ou blonde,
Une belle plus belle au monde
Que ma maîtresse aux cheveux d'or?


Étretat, Décembre 1860.
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty MESSAGE

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:26

Allez vers elle, fleurs chéries,
Allez, et ne trahissez pas
Ces mots que dans mes rêveries
Ma bouche dit tout bas.

Ne lui dites pas, indiscrètes,
Combien de désirs insensés
Cachent sous mes regards glacés
Leurs flammes inquiètes.

Ne lui dites pas qu'en tous lieux
Mon coeur la suit à tire-d'aile,
Que les rayons de ses grands yeux
Me font frémir près d'elle;

Cachez-lui qu'un mot de sa voix
Trouble mon oreille ravie,
Et que je donnerais ma vie
Pour mourir sous ses lois.

Qu'elle ignore, la grande dame,
Que je l'aime au point d'en mourir,
Quand ma bouche, étouffant mon âme,
Froidement sait mentir;

Lorsque dans sa chambre où, sans cause,
Je deviens timide et tremblant,
Tous deux, d'un ton indiffèrent,
Nous parlons d'autre chose.

Quand elle fait, par ses accents,
Sur la scène où chacun l'admire,
Haleter la foule en suspens
Par son divin sourire,

Dans un coin, Prosper Jourdan - Page 2 923781, inconnu,
Qu'elle ignore, la grande artiste,
Combien celui-là seul est triste
Qu'un beau rêve a perdu!

Ne lui dites pas que je l'aime,
Ni combien il m'en a coûté
Pour comprimer mon coeur blessé
Qui criait en moi-même!

Ne lui dites pas que je meurs
Et que c'est elle qui me tue,
N'ayant pas soupçonné mes pleurs
Dans mon âme éperdue.

Pourquoi faut-il l'avoir connue,
Puisque j'en devais tant souffrir?
N'eût-il pas mieux valu mourir
Avant de l'avoir vue?

Maudit soit le jour où mes yeux
Ont vu ces traits si pleins de charmes,
Puisqu'inutiles sont mes voeux
Et vaines mes alarmes!

Gardez bien mon triste secret;
Si vous lui parliez de ma peine,
Qui sait, avec son air de reine,
Ce qu'elle en penserait?


Paris, Janvier 1860.
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty A MA MÈRE

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:27

Où sont-ils, mes chagrins d'enfant,
Grandes peines vite oubliées,
Aux larmes si vite essuyées
Que je riais en même temps?

Comme elles sont loin, les soirées
Que nous passions en attendant
Mon père! O mes heures dorées!
Tu disais: «Quand tu seras grand!...»

J'ai grandi. Le temps d'un coup d'aile
Jette au vent bien des rêves d'or:
J'ai souffert et je souffre encor.

Mais j'ai dans mon âme immortelle
Senti que Dieu me laisse encor
Ma mère, et que j'ai tout en elle.


Paris, Février 1861.
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty Re: Prosper Jourdan

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:27

A MA MÈRE


Un an passé, mère, qu'un beau matin,
Enfant par l'âge et vieux par la tristesse,
Malade, usé, las de vivre sans cesse
Et de trouver l'ennui sur mon chemin,

En souriant à mon nouveau destin,
Je vins ici chercher dans ta tendresse
Pour mon coeur froid la chaleur de ta main,
Dans ton amour l'abri de ma faiblesse;
C'est près de toi, pour la première fois,
Que j'ai connu la douceur de sa voix,
Que le bonheur a passé sur ma route.

Je vais partir. Qu'importe? j'ai vécu.
Qu'il soit béni, malgré ce qu'il en coûte
Pour le pleurer après l'avoir perdu!


Alger, 5 février 1862.
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty A MON AMI PAUL E.. G..

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:28

Paul, as-tu quelquefois, dans tes jours de tristesse,
Senti passer en toi quelque gai souvenir?
Et n'as-tu pas alors, à travers ta détresse,
Songé combien le charme en est doux à sentir?

Moi j'y pensais ce soir, laissant mon feu mourir;
J'errais dans ce passé qui me revient sans cesse.
Je songeais qu'il est loin, et, sans qu'il y paraisse,
Que voilà plus d'un an que tu m'as vu partir.

Puis je rêvais encore, et dans la cheminée
Suivant des yeux la bûche à demi consumée,
Je comparais ma vie à ce feu pâlissant.

Et je songeais, mon cher, à notre douce vie,
A ce qu'un souvenir a de mélancolie,
Et qu'il est doux aussi de vieillir en s'aimant.


Alger, mardi soir, 25 février 1862.
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty A MADAME V***

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:28

Puisqu'il vous faut six mois pour être mon amie,
Avez-vous bien songé, quand vous me les disiez,
A ce que ces deux mots ont de mélancolie
Et de douceur aussi? Tandis que vous parliez,

Il me semblait à moi que c'est une folie
Et que pour la prévoir, quoi que vous en pensiez,
Il faut que l'amitié soit un peu ressentie,
Et, même à votre insu, que vous en éprouviez.

Laissez-moi l'espérer; car après tout, madame,
S'il n'en est rien, ces vers que vous me demandiez,
Je voudrais bien savoir ce que vous en feriez.

Mais six mois! Jusque-là que faire de mon âme?
Ah! songez que mes maux seraient tous oubliés
Et mes chagrins finis demain, si vous vouliez!


Alger, Mars 1862.
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty A MADAME A***

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:29

--ENVOI DE ROSINE ET ROSETTE --


Ce conte fut écrit sous un climat doré
Où nous avons vécu dans un site adoré,
Près de ma mère;
Où vous m'avez soigné comme elle, de longs jours,
Adoucissant pour moi le mal, qui fait toujours
La vie amère;

Où vous m'avez guéri, toutes deux de moitié,
Où mon âme vivait, dans sa double amitié
Tout endormie;
Où d'être aimé deux fois j'ai senti la douceur,
Car elle était ma mère, et vous étiez ma soeur
Et mon amie.

Et maintenant, le rêve adorable me suit.
Je revois ce rivage où l'on entend, la nuit,
Gémir la lame,

Et j'écoute pleurer, comme un chant qui s'émeut,
Le souvenir si doux, hélas! que rien ne peut
M'ôter de l'âme!


Paris, Juin 1862.
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty A FÉLIX M***

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:29

Ainsi, mon cher ami, nous voilà vieux, malades,
Ennuyés, sérieux, mélangeant notre vin,
Toi souffrant, moi rimeur, en un mot, très-maussades,
Alea jacta est ... et je parle latin!

Qui m'aurait dit cela lors de nos sérénades
Sous les balcons d'Aline, et de nos escapades
La nuit, dans mon quartier, alors que, le matin,
Nous nous apercevions que le sommeil est sain?

Plus j'y songe, vraiment, et plus je me désole
Que, pour de bons amis, un pareil temps s'envole,
Puisque l'amitié reste et qu'elle doit grandir.

Et, comme j'y pensais en ouvrant cette page
Pour y mettre ces vers, je songeais qu'à notre âge
C'est un bien d'être unis et de se souvenir.


Paris, Juin 1862.
Nadej-isis
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty A MON PÈRE

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:30

Grâce au titre un peu plaisant,
Un peu plaisant qu'on me prête,
Puisque me voilà poëte,
Hélas! poëte, à présent!

O ma muse, allez-vous-en,
Allez-vous-en, et la fête
Que nous fêtons sera faite,
Sera faite plus gaiment;

Ou chargez-vous de lui dire
Qu'il me garde son sourire
Gai comme un soleil de mai.

Car il n'est de poésie
Au monde, ni d'ambroisie
Qui vaille un sourire aimé.


Paris, 25 Août 1862, jour de Saint-Louis.
Nadej-isis
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty EFFET DE LUNE

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:30

DANS LA MITIDJA

RIMES RICHES

--A THÉODORE DE BANVILLE--


C'est l'heure où la ferme
Ferme.
Le Soir incertain
Trace en découpures
Pures
L'horizon lointain.

Une vapeur vaine
Veine
Le couchant blêmi,
Et semble au bord d'une
Dune,
Un flot endormi.

La nuit qui l'apaise,
Pèse
Sur l'homme qui dort,
Et le ciel s'étoile,
Toile
D'azur aux points d'or.

Cependant le tremble
Tremble,
Lorsqu'en voltigeant,
Une folle brise
Brise
Ses feuilles d'argent.

Quelque pauvre hère
Erre
Dans la Mitidja,
Et, dans le silence,
Lance
L'air de Kadoudja .

Dans la diaprée
Prée,
Du ruisseau mutin
L'onde trébuchante
Chante
Son air argentin,

Et l'herbe entr'ouverte,
Verte,
Frange ses réseaux,
Où l'eau qui roucoule,
Coule
Parmi les roseaux.

Le sol uniforme
Forme
Un tapis ouaté,
Dont la ronce aride
Ride
L'uniformité.

Là, le cactus perse
Perce
L'aloës en fleurs;
La ronce jumelle
Mêle
Ses piquants aux leurs.

Bien que leur ensemble
Semble
Au hasard éclos,
Leur triple ramure
Mure
De pauvres enclos.

L'Arabe en maraude
Rôde
Dans les alentours,
Et suit de malignes
Lignes,
Pleines de détours.

Sa marche est coulante,
Lente,
Et ne s'entend pas.
Et le sinistre être,
Traître,
Guette à chaque pas,

Afin qu'il évite
Vite
L'oeil du gabelou,
Et, dans la broussaille,
S'aille
Cacher comme un loup.

La lune d'opale,
Pâle
Dans les bleus sillons,
Inonde la plaine,
Pleine
De pâles rayons.

O lune blafarde,
Farde
Ton visage blanc;
Tâche que ta face
Fasse
Un oeil moins tremblant!

Ton air morne et grave
Grave
Au fond de mon coeur
Ton grand trou livide,
Vide,
Au reflet moqueur.

Pauvre astre impassible!
Cible
De tant de rimeurs!
Est-ce de ce qu'on te
Conte,
Lune, que tu meurs?

Leur lyre énervante
Vante
Ton disque jauni.
Toi qui vois leur tâche,
Tâche
Que ce soit fini.

D'une voix émue,
Mue
Par un faux humour ,
Est-ce toi qu'un homme
Nomme
L'astre de l'amour?

Ta méchante corne,
Qu'orne
Ta jaune couleur,
Est plutôt l'emblème
Blême
Qui porte malheur.

Ta prunelle éteinte,
Teinte
D'un morose éclair,
Semble une lanterne
Terne
Pendue au ciel clair.

Quand la Nuit, sereine
Reine,
Tient l'homme abattu,
Vers la solitaire
Terre
Que regardes-tu?

La lumière adverse
Verse
Des rayons hagards.
Lune, que t'importe?
Porte
Ailleurs tes regards.

Va, pâle inconnue,
Nue,
Glisse au sein des nuits,
Laisse notre immonde
Monde
Tout chargé d'ennuis.

Glisse dans l'espace.
Passe.
Et, bouche sans voix,
Sache avec mystère
Taire
Tout, ce que tu vois.


Paris, Mars 1866.
Nadej-isis
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Prosper Jourdan - Page 2 Empty MANDOLINE

Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:31

J'ai pour unique amante
Une fille charmante,
A l'oeil profond et doux
Comme un ciel andalous.
--Quelque ennui me tourmente.

Son tuteur subrogé
N'a, certes, pas songé
Que je pourrais peut-être
Entrer par la fenêtre.
--Je ne sais ce que j'ai.

C'est un moyen pratique,
Très-vieux, mais poétique
Et qui, pour nos amours,
Nous est d'un grand secours.
--Je suis mélancolique.

Que j'aime la rougeur
De plaisir et de peur
Dont rougit, quand j'arrive,
Mon amante craintive!
--J'ai du noir dans le coeur.

Seigneur! qu'elle est jolie!
J'en ai fait ma folie;
Et sans elle, ici-bas,
Je n'existerais pas.
--Tout m'attriste et m'ennuie.

Sa soeur a de grands yeux
Bruns; mais les siens sont bleus.
On ne sait trop laquelle
Des deux est la plus belle.
--Je suis très-malheureux.

Et, deux fois la semaine,
A l'église elle mène,
Ange plein de douceur,
Son tuteur et sa soeur.
--Comment guérir ma peine?

Ma main souffletterait
Quiconque toucherait
Un cheveu de la tresse
De ma jeune maîtresse.
--J'éprouve un mal secret.

Le coeur me bat d'avance.
Le soir, lorsque je pense
Que va sonner pour nous
L'heure du rendez-vous.
--Quelle triste existence!

Certes, j'aime à plein coeur
Cette belle en sa fleur,
Et l'amour de ma mie
M'est plus cher que ma vie.
--Mais ... j'aime aussi sa soeur.


Paris, Avril 1866.
Nadej-isis
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Message par Nadej-isis Sam 1 Mai - 14:32

Décidément, la mort est belle.
J'ai dix-neuf ans, et je m'en vais
Me faire sauter la cervelle,
Pour en finir à tout jamais.
Celle que j'aime s'évertue
A se cacher je ne sais où:
L'ai-je rêvée ou l'ai-je vue?
N'importe, il faut que je me tue,
Pour qu'on sache que j'en suis fou.

Ce n'est point par amour du drame;
Mais enfin c'est original
De se tuer pour une dame
Que l'on a rencontrée au bal.
Nadej-isis
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