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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier

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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty La Cité Des Eaux:Henri De Régnier

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 8:39

Rappel du premier message :

LA CITÉ DES EAUX

Versailles, Cité des Eaux.
MICHELET.


SALUT A VERSAILLES

Celui dont l'âme est triste et qui porte à l'automne
Son coeur brûlant encor des cendres de l'été,
Est le Prince sans sceptre et le Roi sans couronne
De votre solitude et de votre beauté.

Car ce qu'il cherche en vous, ô jardins de silence,
Sous votre ombrage grave où le bruit de ses pas
Poursuit en vain l'écho qui toujours le devance,
Ce qu'il cherche en votre ombre, ô jardins, ce n'est pas

Le murmure secret de la rumeur illustre,
Dont le siècle a rempli vos bosquets toujours beaux,
Ni quelque vaine gloire accoudée au balustre,
Ni quelque jeune grâce au bord des fraîches eaux;

Il ne demande pas qu'y passe ou qu'y revienne
Le héros immortel ou le vivant fameux
Dont la vie orgueilleuse, éclatante et hautaine
Fut l'astre et le soleil de ces augustes lieux.

Ce qu'il veut, c'est le calme et c'est la solitude,
La perspective avec l'allée et l'escalier,
Et le rond-point, et le parterre, et l'attitude
De l'if pyramidal auprès du buis taillé;



La grandeur taciturne et la paix monotone
De ce mélancolique et suprême séjour;
Et ce parfum de soir et cette odeur d'automne
Qui s'exhalent de l'ombre avec la fin du jour.



O toi que l'aube effraie, ô toi qui crains l'aurore,
Et que ne tentent plus la route et le chemin,
Quitte la ville vaine, arrogante et sonore
Qui parle avec des voix de soleil ou d'airain.

C'est là que l'homme fait sa boue et sa poussière
Pour élever son mur autour de l'horizon;
Mais toi, dont le désir n'apporte plus sa pierre
Au travail en commun qui bâtit la maison,

Laisse ceux dont le bloc charge, sans qu'elle plie,
L'épaule et dont les bras sont propres aux fardeaux,
Se construire sans toi les demeures de vie
Et va vivre ton songe en la Cité des Eaux.



L'onde ne chante plus en tes mille fontaines,
O Versailles, Cité des Eaux, Jardin des Rois!
Ta couronne ne porte plus, ô souveraine,
Les clairs lys de cristal qui l'ornaient autrefois!

La nymphe qui parlait par ta bouche s'est tue
Et le temps a terni sous le souffle des jours
Les fluides miroirs où tu t'es jadis vue
Royale et souriante en tes jeunes atours.

Tes bassins endormis à l'ombre des grands arbres
Verdissent en silence au milieu de l'oubli,
Et leur tain qui s'encadre aux bordures de marbre
Ne reconnaîtrait plus ta face d'aujourd'hui.

Qu'importe! ce n'est pas ta splendeur et ta gloire
Que visitent mes pas et que veulent mes yeux;
Et je ne monte pas les marches de l'histoire
Au-devant du Héros qui survit en tes Dieux.

Il suffit que tes eaux égales et sans fête
Reposent dans leur ordre et leur tranquillité,
Sans que demeure rien en leur noble défaite
De ce qui fut jadis un spectacle enchanté.

Que m'importent le jet, la gerbe et la cascade
Et que Neptune à sec ait brisé son trident,
Ni qu'en son bronze aride un farouche Encelade
Se soulève, une feuille morte entre les dents,

Pourvu que faible, basse, et dans l'ombre incertaine,
Du fond d'un vert bosquet qu'elle a pris pour tombeau,
J'entende longuement ta dernière fontaine,
O Versailles, pleurer sur toi, Cité des Eaux!
nadia ibrahimi
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty LES CLOCHES

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:36

Ce matin est si clair, si pur et si limpide
Que les cloches, qui l'ont à l'aurore éveillé
En sa douceur soyeuse et en sa fraîcheur vive,
Semblent tinter au ciel, où longtemps elle vibre,
Une gamme d'argent et de cristal mouillé.

Midi. Le fort soleil accable la ramure
Et verse ses rayons sur les choses et pleut
Sa lumière éclatante, impitoyable et dure;
Et les cloches, dans l'air qui brûle leur murmure,
Semblent fondre les gouttes d'or de l'heure en feu.

Les cloches de ce soir ont des rumeurs de bronze
Comme si se heurtaient entre eux des fruits d'airain
Et, mûres maintenant pour la nuit et pour l'ombre,
Elles sonnent au fond d'un ciel d'où filtre et tombe
La cendre qui succède au crépuscule éteint.

Le jour renaîtra-t-il de la nuit taciturne?
La vie est-elle morte avec lui sourdement?
Vous entendrai-je encore, ô cloches, une à une,
Recommencer--Espoir, Amour, Regret--chacune
Votre bruit tour à tour d'or, de bronze et d'argent?

nadia ibrahimi

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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty LE PASSÉ

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:36

Avec des mains de haine et de colère, Amour!
J'ai rompu rudement à mon genou farouche
Le beau cep qui porta la grappe dont toujours
Le goût voluptueux se ravive à ma bouche;

Et j'ai fait, tout ce jour, des treilles de ma vie
Brûler le sarment sec et la feuille séchée
Pour qu'il n'en reste au soir que la cendre et la suie
Qui demeurent après une vaine fumée.

Et c'est ainsi qu'avant que s'éteignît dans l'ombre
Ce feu dont les tisons ont mordu la nuit sombre,
O Passé, j'ai voulu que ta flamme suprême

Couronnât et rougît une dernière fois,
Comme d'un éclatant et pourpre diadème,
Le visage brûlant que je penchais sur toi.
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty CHANSON

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:37

J'ai fleuri l'ombre odorante
Et j'ai parfumé la nuit
De la senteur expirante
De ces roses d'aujourd'hui.

En elles se continue,
Pétale à pétale, un peu
Du charme de t'avoir vue
Les cueillir toutes en feu.

Est-ce moi, si ce sont elles?
Tout change et l'on cherche en vain
A faire une heure éternelle
D'un instant qui fut divin;

Mais tant qu'elles sont vivantes
De ce qui reste de lui
Respire l'ombre odorante
De ces roses d'aujourd'hui.
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty LE FLEUVE

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:37

Emporte dans tes yeux la couleur de ses eaux.
Soit que son onde lasse aux sables se répande
Ou que son flot divers, mine, contourne ou fende
La pierre qui résiste ou cède à ses travaux;

Car, sonore aux rocs durs et plaintif aux roseaux,
Le fleuve, toujours un, qu'il gémisse ou commande,
Dirige par le val et conduit par la lande
La bave des torrents et les pleurs des ruisseaux.

Regarde-le. Il vient à pleins bords, et sa course
Mène jusqu'à la mer la fontaine et la source
Et le lac tout entier qu'il a pris en ses bras.

Sois ce fleuve, Passant! que ta pensée entraîne
En son cours où toi-même, un jour, tu les boiras,
Ta source intérieure et tes eaux souterraines.
nadia ibrahimi
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty LIED

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:38

Dors lentement avec des rêves
Légers de l'air pur respiré
Le long des rives fraternelles
Où nos pas doubles ont erré.

Dors doucement avec des songes
Parfumés des fleurs du chemin
Qui ce soir encore dans l'ombre
Sont odorantes de tes mains.

Dors seule en rêve avec toi-même.
Sois ton propre songe; il n'est pas
D'autre couronne pour ta tête
Que le cercle nu de tes bras.
nadia ibrahimi
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty L'URNE

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:38

Sépulcre de silence et tombeau de beauté,
La Tristesse conserve en cendres dans son urne
Les grappes de l'automne et les fruits de l'été,
Et c'est ce cher fardeau qui la rend taciturne,

Car sa mémoire encore y retrouve sa vie
Et l'heure disparue avec la saison morte
Et tout ce dont jadis, enivrée et fleurie,
Elle a senti l'odeur féconde, saine et forte;

Et c'est pourquoi tu vas, en ta sombre jeunesse,
Portant en l'urne d'or les cendres de l'été
Et que je te salue, ô passante, Tristesse,
Sépulcre de silence et tombeau de beauté!
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty CRÉPUSCULE

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:39

C'est un jour dont le soir a la beauté d'un songe,
Tant l'air que l'on respire est pur en ces beaux lieux;
Et, sous le doigt levé du Temps silencieux,
La lumière s'attarde et l'heure se prolonge...
Gardes-en longuement la mémoire en tes yeux.

Si la source a la voix de sa Nymphe limpide,
Le frêne sous l'écorce étire son Sylvain:
Un lent souffle palpite au feuillage incertain;
Le ruisseau qui s'esquive est comme un pas rapide,
Et, nocturne, le bois va s'éveiller divin!

Mais nous, nous n'avons pas en cette nuit mortelle
Qui déjà nous entoure et qui rampe à nos pieds
De fontaine éloquente et de dieux forestiers;
Nous avons peur de l'ombre, et nous redoutons d'elle
L'impassible sommeil qui nous prend tout entiers.
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty LA COURSE

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:40

Vous m'avez dit:
Laisse-les vivre
Là-bas...
Que t'importent leurs bonds ou leurs pas
Sur l'herbe de l'aurore ou l'herbe de midi,
M'avez-vous dit?

C'est vrai. Ma maison est haute et belle sur la place.
C'est vrai que ma maison est haute et belle et vaste,
Faite de marbre avec un toit de tuiles d'or;
J'y vis; j'y dors;

Mon pas y traîne sur les dalles
Le cuir taillé de mes sandales,
Et mon manteau sur le pavé
Frôle son bruit de laine souple.
J'ai des amis, le poing levé,
Qui heurtent, en chantant, leurs coupes
A la beauté!
On entre; on sort.
Ma maison est vaste sous son toit de tuiles d'or,
Chacun dit: Notre hôte est heureux.
Et moi aussi je dis comme eux,
Tout bas:
A quoi bon vivre,
Là-bas,
A quoi bon vivre ailleurs qu'ici...

Puis le soir vient et je suis seul alors dans l'ombre
Et je ferme les yeux...

Alors:
Il me semble que l'ombre informe, peu à peu,
Tressaille, tremble, vibre et s'anime et se meut
Et sourdement s'agite en son silence obscur;
J'entends craquer la poutre et se fendre le mur

Et voici, par sa fente invisible et soudaine,
Que, sournoise d'abord et perceptible à peine,
Une odeur de forêt, d'eau vive et d'herbe chaude,
Pénètre, se répand, rampe, circule et rôde
Et, plus forte, plus ample et plus universelle,
S'accroît, se multiplie et m'apporte avec elle
Les diverses senteurs que la terre sacrée,
Forestière, rustique, aride ou labourée,
Mêle au vent de la nuit, du soir ou de l'aurore;
Et bientôt, peu à peu, toute l'ombre est sonore.
Elle bourdonne ainsi qu'une ruche éveillée
Qui murmure au soleil à travers la feuillée,
Après la pluie oblique et l'averse pesante;
Voici que maintenant toute l'ombre est vivante
Et que la nuit bourgeonne et la ténèbre pousse.
Le siège où je m'appuie est tout velu de mousse.
Je me penche: de l'herbe a verdi sur le marbre;
La colonne soudain végète, et c'est un arbre
Qui jusqu'à moi étend sa branche. Je me sens
Environné partout de souffles frémissants
Qui me chauffent la nuque et me brûlent la joue.
L'ombre hennit; l'ombre danse; l'ombre s'ébroue,
Palpite, naît, fleurit, germe, frémit, éclôt.
Je n'ai pas peur. Le vent chante dans les roseaux;

Je sens sourdre à mes pieds des sources; je respire
La résine, le fruit, la vendange, la cire
Et je devine au fond de l'ombre et parmi elle
Comme un cercle incertain de faces fraternelles.
La Vie autour de moi murmure, vibre, bat;
Je la sens dans cette ombre où je ne la vois pas;
Sa rumeur est lointaine ou proche, brusque ou douce;
Un invisible rire erre de bouche en bouche,
D'arbre en arbre, de feuille en feuille. Tout frissonne.
Et je sais qu'ils sont là, si je ne vois personne.
C'est en vain qu'on se tait; j'entends, j'entends, j'entends!

Puisque l'arbre, la source et la feuille et le vent
Sont venus jusqu'à moi et m'apportent en eux
Leurs obscures odeurs et leurs bruits ténébreux,
Êtes-vous là, fils de la glèbe et du sillon,
Hôtes de la forêt, de la plaine et du mont,
O formes à demi terrestres et divines?
Toi, Faune, qui cueillais les grappes à ma vigne,
Et toi, Satyre, qui dansais sur mon chemin,
Et toi, qu'on entrevoit entre les troncs, Sylvain?
O vous tous, avec qui, dans l'antre et le hallier,
J'ai vécu, de chacun longuement familier,
N'êtes-vous pas venus avec le vent et l'arbre
Me chercher sous le toit de ma maison de marbre
Pour me prendre la main et courir à l'aurore?

Ce sera toi. Salut, Maître! Salut, Centaure!
Salut, de qui le pas foule l'herbe et le sable,
Libérateur, ô Bienvenu, ô Vénérable,
Dont la barbe est d'argent et le sabot d'airain!
La croupe de cheval qui prolonge tes reins
Te fait homme à la fois et bête, ô Dieu. Ton torse
Ajoute à ton poitrail le surcroît de sa force.
Te voilà donc. Je t'attendais. Oh viens plus près!
Et maintenant prends-moi, Centaure, je suis prêt.
Je vais sentir ton poing me saisir à plein corps
Et, d'un geste puissant et d'un facile effort,
Me soulever de terre et m'asseoir sur ton dos!

Il m'a pris. J'ai senti son souffle sur ma peau.
Je serre son flanc rude et je m'accroche à lui;
Ma tête lourde a son épaule pour appui;
De mes deux bras j'étreins sa poitrine. La Ville
Qu'il traverse est silencieuse et dort tranquille.
Son pas égal résonne aux dalles de la rue.
Voici le mur, la porte et la campagne nue.
Il part; son ongle dur maintenant bat la terre,
Et toute la nuit vaste, immense et solitaire
Et l'ombre aventureuse et l'espace incertain
S'ouvrent au cabrement de son galop divin.

O vertige! L'élan du nocturne Coureur
M'emporte. La ténèbre est sourde et sans lueur.
Le sol tantôt s'éboule et tantôt s'affermit;
L'air rapide m'enivre et m'étouffe à demi;
Le Centaure tantôt se cabre et tantôt fonce;
C'est en vain qu'en passant, la haie avec sa ronce
Le retient au poitrail ou le griffe à la croupe,
Sa course furieuse et brusque s'entrecoupe
Du fossé qu'il enjambe ou du ravin qu'il saute.
Ici, le sable mou cède; là, l'herbe haute
L'entrave; le caillou roule et ronfle avec bruit
Derrière ce passant qui défonce la nuit;
Le terrain sous son pied s'ébranle, gronde ou sonne;
Une montée en vain l'essouffle et l'époumonne
Que sa pente le rue et redouble l'élan
Du Centaure qui va, passe, monte, descend
Et, d'une fougue égale et d'un même jarret,
Sort ruisselant du fleuve et boueux du marais,
Et, franchissant taillis, plaines, bois et vallons,
Parcourt éperdument l'ombre sans horizon,
Tandis que moi, uni à sa force mouvante,
Ivre d'air qui m'étouffe et de vent qui m'évente,
Je respire en sa triple et formidable odeur
Le Dieu terrestre, l'homme et la bête en sueur.

Encor, longtemps, toujours et d'échos en échos
L'espace retentit sous les quatre sabots.
Voici l'aube pourtant, bien qu'il soit nuit encore.
La ténèbre blémit et l'ombre se colore.
La montagne dressée abrupte, d'un seul bloc,
Entasse ses cailloux, ses pierres et ses rocs.
Le Centaure hennit vers la cime lointaine;
Il s'épuise; son flanc palpite à son haleine;
Il glisse, butte, tombe et sa force est à bout.
Il boite. Le sang rompt les veines de son cou.
Mais il monte toujours et sous moi je le sens
D'un effort monstrueux arquer son rein puissant;
J'entends râler sa gorge et craquer ses jointures.
Le pic vertigineux qui l'attire s'azure;
Nous allons vers le jour et la nuit reste en bas.
Le Centaure s'acharne et monte; chaque pas
Le hasarde à la chute et le risque à l'abîme,
Mais tout à coup, d'un bond furieux, à la cime,
Sur le rocher étroit du suprême plateau,
D'aplomb, il a posé son quadruple sabot,
Et, tout fumant encor de sa course sacrée,
Tournant sa tête en feu vers sa croupe dorée,
Prodigieux, aérien, pourpre et vermeil,
Il se dresse debout et rit dans le soleil.
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty LA PLAINTE DU CYCLOPE

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:40

«Toi qui dans l'air léger lances d'un souffle pur
La chanson de ta flûte en gammes vers l'azur
Et qui, longtemps assis devant la mer sacrée,
L'admires, tour à tour, rose à peine ou pourprée,
Quand le soleil se lève ou tombe à l'horizon;
O toi, qui, pour rentrer, le soir, en ta maison,
Suis ce sentier charmant qui va par la prairie
Et qui s'arrête au seuil de ta porte fleurie,
Sache au moins être heureux de ta félicité
Et combien purs et beaux tes jours auront été,
Car ton chien est fidèle et ton troupeau docile,
Et tu peux oublier que la verte Sicile,
Sous ses blés jaunissants et ses hautes forêts,
En son sein ténébreux cache un obscur secret;
Mais, dans le ciel noirci que son sommet embrume,
Regarde quelquefois, au loin, l'Etna qui fume,
Et, quelquefois aussi, lorsque tu t'en reviens,
Laisse aller devant toi tes chèvres et ton chien;
Couche-toi sur le sol et pose ton oreille
Contre terre. Entends-tu, qui, peu à peu, s'éveille
Et qui gémit et gronde avec un bruit d'airain,
La sonore rumeur d'un écho souterrain?

«C'est nous qui, sous la terre émue à notre haleine,
En cadence frappons l'enclume souterraine
Dont l'Etna porte au ciel la nocturne lueur.
Nous sommes là, couverts d'une chaude sueur,
Occupés dans la nuit furieuse et sans astres
A fondre le métal que nos marteaux vont battre.
Il court, fusible et clair, s'allonge et s'étrécit;
Brûlant, il étincelle, et froid, il se durcit.
La flamboyante orgie éclate. L'on est ivre
De l'arôme du fer et de l'odeur du cuivre.
Voici de l'or qui fond et de l'argent qui bout;
L'alliage subtil les mêle en un seul tout.

Notre peuple travaille, accouple, unit et forge!
La colère à forger nous saisit à la gorge
Et nous gonfle le muscle et nous brûle le sang.
Notre souffle inégal suit notre bras puissant,
Car, de tout ce métal qu'il martèle sans trêve,
S'aiguisent par milliers les lances et les glaives,
Et la bataille sort de notre antre guerrier.
Notre oeil unique, c'est ton orbe, ô bouclier!
Et nos torses fumants que la scorie encrasse
Ont servi de modèle à mouler la cuirasse,
Et c'est nous, de qui l'oeuvre obscur et souterrain
Pour la ville aux dieux d'or fait des portes d'airain.

«Condamnés à la nuit, Cyclopes, nous aurions,
Comme d'autres, aimé le jour et les rayons,
Le soleil, la clarté, l'air vaste, la lumière,
Mais notre race, hélas! de l'ombre est prisonnière.
C'est ainsi. La sueur nous coule de la peau
Tandis que court la source et glisse le ruisseau,
Furtive entre les joncs et La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 923781 sous les chênes,
Et que la Nymphe rit d'être nue aux fontaines!
Le vent frais eût séché nos corps laborieux.
La terre est belle. Non. Les fleurs pour tous les yeux
Multicolores et charmantes sont écloses,
Un sang divin triomphe en la pourpre des roses,
Mais l'oeil déshérité qui s'ouvre à notre front
N'était pas fait pour voir ce que d'autres verront,
Et, lorsque l'un de nous en rampant sur le ventre
Se hasarde au dehors debout au seuil de l'antre,
Le chien hurle à sa vue et le troupeau s'enfuit;
Chacun en le voyant s'écarte devant lui.
C'est en vain qu'un instant au soleil il s'étire.
On a peur. Les oiseaux s'envolent, et le rire
Des femmes s'interrompt en un cri, et l'on voit,
L'une dans le verger et l'autre vers le bois,
Se cacher Lycoris et courir Galatée;
La flûte du berger se tait, épouvantée,
Si le pas du Cyclope a troublé l'air divin.

«Bien plus. Les Faunes même et même les Sylvains
Nous lancent des cailloux et nous jettent des pierres,
Et notre oeil attristé sous sa lourde paupière
Les fait rire de nous dans leurs barbes. C'est vrai
Que l'ombre nous a faits rauques, gauches et laids.
Le marteau a rendu gourdes nos mains difformes;
L'âpre feu nous a cuit le visage. Nous sommes
Tout haletants encor du labeur souterrain,
Et notre souffle gronde en nos gorges d'airain.

«Laisse donc le printemps fleurir la terre douce.
Ne te hasarde plus vers ce qui te repousse,
Bon Cyclope! Reprends en bas ton oeuvre obscur;
Le four ronfle; la cuve est pleine et bout. L'azur
Du ciel est souriant, là-haut, aux blés que dore
Ce soleil qui pour toi n'aura pas eu d'aurore.
Retourne à ta caverne et rentre dans ta nuit;
Descends vers la rumeur et descends vers le bruit,
Et ne t'occupe plus de l'homme et de la terre.
Sue et peine et, parfois, pourtant, pour te distraire,
Songe que ton Destin, noir Ouvrier, est beau.
O Forgeron, tu as pour sceptre le marteau!
Ta couronne terrestre est un Etna qui fume;
Et, lorsque à tour de bras tu frappes sur l'enclume,
Pense donc que tu fais aussi, toi, comme un dieu,
Naître des fleurs de flamme et des roses de feu.»
nadia ibrahimi
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty PAN

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:41

C'était au temps
Où les grands Dieux de marbre et d'or
Ne vivaient plus qu'en leurs statues;
On les voyait encor,
Debout et nues,
Au seuil des temples clairs
A tuiles d'or,
Avec la mer
Derrière eux, éclatante, innombrable et sereine,
A l'horizon...

C'est ainsi que je les ai vus, étant petit,
Figures vaines
Dont on m'apprit,
Sans doute en riant d'eux, les formes et les noms;
Et je riais, enfant, à les voir et de voir
Celui-là, le plus grand, dont l'ombre, vers le soir,
S'allongeait à ses pieds, lourde et grave,
Parce que sa statue était faite d'airain:
C'était le Maître Souverain,
Que nul ne brave,
Zeus!

Et comme, ainsi que je l'ai dit,
Son ombre était énorme et moi petit,
Je m'asseyais dans sa fraîcheur déjà nocturne
Et je jouais avec des pierres, une à une,
Mais l'aigle courroucé qui veillait près de lui
Me regardait et j'avais peur, étant petit.

Et c'est ainsi que j'ai connu lui et les autres.
Apollon
Avec sa lyre; Hermès, les ailes aux talons
Et deux ailes de même encore à son pétase;
Mars qui brandit le glaive; et, nu, la barbe rase,
Le torse blanc, la chair heureuse et dans sa main
Portant le thyrse double et la pomme de pin,
Bacchus qui, couronné de pampre et toujours beau,
A sa tempe sans ride assure son bandeau,
Et Neptune barbu d'algues et dont l'oreille
Compare dans le vent qui l'apporte pareille
La rumeur de la mer à celle des forêts;
Et les Déesses et Cypris au rire frais
Dont fleurissent les seins et dont mûrit la bouche,
Et la grande Junon, sérieuse et farouche,
Et Diane hautaine et farouche comme elle,
Et Minerve casquée et l'antique Cybèle,
Tous ceux que l'univers honora d'âge en âge...
Mais tous n'étaient plus rien que de vaines images,
Et, qu'ils fussent sculptés dans le marbre ou dans l'or,
La figure des Dieux survivait aux Dieux morts.

Cependant l'étendue agreste de la terre
N'était point tout à fait encore solitaire.
Des êtres fabuleux et à demi divins
Se cachaient dans les bois et hantaient les ravins,
Fuyant l'homme et craignant sa ruse et son danger.
Dans un monde nouveau maintenant étrangers,
Ils épiaient les voix, les bruits, les pas: Centaures,
Dans la gorge des monts hennissant à l'aurore
Et qui, le soir, boiteux et lointains, du galop
De leur fuite inégale inquiétaient l'écho;
Faunes roux habitant les grottes et Satyres
Rôdant d'un pied furtif près des ruches à cire,
Tritons de qui la conque offusquait l'air marin,
Fausse et rauque parfois à leur souffle incertain;
Des Dryades souffraient sous l'écorce des chênes;
Des Nymphes étaient l'onde encore des fontaines,
Et, parfois, l'on voyait, dit-on, au crépuscule
A cette heure indistincte où la vue est crédule,
Errer un grand Cheval, au pas effarouché,
Qui, de loin et d'un bond, sans qu'on pût l'approcher,
S'envolait en ouvrant ses deux ailes de flamme!

On racontait cela, il m'en souvient,
A la veillée,
Auprès du feu;
Les femmes
Riaient quand on parlait du Satyre et du Faune,
Et j'écoutais de mes oreilles émerveillées.
C'était l'automne,
Et l'on se ressemblait, déjà, autour du feu
Où nous jetions
Des feuilles sèches et des pommes
De pin
Dans les tisons
A pleines mains...

Il y avait aussi quelqu'un d'autre
Dont on parlait souvent:
C'était avant
Qu'une voix, le long de la côte,
Eût couru sur la mer en criant
Qu'il était mort.
C'était au temps
Où le Dieu Pan
Vivait encor...

Il était invisible et présent dans les choses,
Mystérieux, informe, innombrable et sacré,
Et le printemps naissait avec toutes ses roses
De l'air fécond soudain qu'il avait respiré;

C'est lui qui, de la terre, en épis ou en paille,
Faisait pousser le blé et grandir la moisson,
Et qui, roi des troupeaux que l'étable embercaille,
Leur fait croître la corne et friser la toison;

C'est lui qui surveillait la vendange et la cueille,
Conduisait la charrue et guidait le labour,
Et qui, dans les vergers, abrite sous la feuille
Le fruit qui, mûr enfin, sera graine à son tour;

Les eaux, où sourdement s'abreuvent les semences,
Ainsi que le soleil, la nuée et le vent
Et l'ombre qui finit et la nuit qui commence
Et l'aurore et le soir, sont à lui qui est Pan.

Et, tandis que les dieux ont quitté leurs statues,
Lui seul est demeuré quand les autres sont morts,
Et sa forme multiple, éparse et jamais vue
Subsiste universelle et vit partout encor.

Mon père,
Homme pieux,
Savait ces choses,
Les ayant apprises du sien,
Vieillard
Versé dans la science des Dieux
Et blanchi à l'ombre des sanctuaires;
Ce fut mon père
Qui m'enseigna ce qui peut plaire
Au survivant,
A Pan,
Le dernier Dieu,
Disant:

«N'allume pas pour lui le bûcher ni la torche;
Le grand Pan ne veut pas les brebis qu'on écorche,
Ni le jeune taureau,
Ni la blanche génisse et la plaintive agnelle
Dont la gorge entr'ouverte au sang qui en ruisselle
Râle sous le couteau.

Ne choisis pas non plus pour charger ta corbeille
Le fruit de l'espalier ni le fruit de la treille,
Epargne à ta moisson
D'en prélever pour lui sa gerbe la plus ronde;
Pas plus que le miel roux ou que la cire blonde
Pan n'aime la toison

Des bêtes que poursuit le vol clair de la flèche
Ou que prend en ses lacs, caché sous l'herbe fraîche,
Le piège secret,
Ni l'écaille diverse, incertaine et changeante
De celles que ramène aux mailles qu'elle argente
La nasse ou le filet.

Non, mais va simplement au bord de cette source
Au milieu du bois frais et, sans suivre sa course
Qui la change en ruisseau
Dont le murmure nu s'étire sous les feuilles,
Penche-toi sur son onde, ô mon fils et y cueille
La tige d'un roseau.

Car Pan, le dernier Dieu de la terre vieillie,
Car Pan qui va mourir et qui déjà oublie
Qu'il est encor vivant,
Aime entendre monter au fond du crépuscule
Le chant mystérieux que disperse et module
La flûte dans le vent.»
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty LE SOMMEIL

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:42

Penses-tu que ces fleurs, ces feuilles et ces fruits,
Et cet âpre laurier plus amer que la cendre,
Penses-tu que mes mains pour eux les aient cueillis?

Si j'ai mêlé tout bas à l'onde des fontaines
Les larmes que leur eau pleure encore aujourd'hui,
Crois-tu que j'ignorais combien elles sont vaines?

Si, debout, j'ai marché sur le sable changeant,
Était-ce pour marquer mon pas sur son arène,
Puisqu'il n'en reste rien quand a passé le vent?

Et pourtant j'ai voulu être un homme et me vivre
Et faire tour à tour ce que font les vivants;
J'ai noué la sandale à mon pied pour les suivre.

Amour, haine, colère, ivresse, j'ai voulu,
Par la flûte de buis comme au clairon de cuivre,
Entendre dans l'écho ce que je n'étais plus.

Si j'ai drapé mon corps de pourpres et de bures,
N'en savais-je pas moins que mon corps était nu
Et que ma chair n'était que sa cendre future?

Non, ce laurier sans joie et ces fruits sans désir,
Et la vaine rumeur dont toute vie est faite,
Non, tout cela, c'était pour pouvoir mieux dormir

L'ombre définitive et la nuit satisfaite!
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty INSCRIPTION

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:42

Si haut que ta racine ait poussé vers l'azur
Ta cime épanouie et vivante, sois sûr,
Cher arbre, que, malgré l'ombre que sur la mousse
Etend autour de toi ta feuillée ample et douce,
Et bien que les oiseaux y chantent et qu'en bas
Un choeur de dieux sylvains défendent de leurs bras
La Dryade pensive au creux de ton écorce,
O bel arbre, debout encore dans ta force,
Sois sûr et pense que le temps et les destins
Qui font les soir jaloux naître de nos matins
Ne t'épargneront pas, car toute vie est telle.
L'inévitable lierre et l'automne mortelle.
nadia ibrahimi
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty AUTRE INSCRIPTION

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:43

Crois-moi. N'emprunte rien des hommes. Que tes yeux
Ne le conduisent point sur leur pas anxieux.
N'asservis pas ta faim à la faim d'autres bouches.
Au contraire, sois libre et, s'il le faut, farouche;
Et plutôt mords ton poing et frappe du talon,
Pour les mieux éloigner, ceux qui te parleront,
Puis, quand tu seras seul, regarde, écoute et veille.
Si le vent passe auprès de toi, prête l'oreille,
Car il sait les secrets de la nuit et du jour.
Marche ou trébuche, tombe ou rampe, monte ou cours
Ou reste là; l'aurore est pareille à l'aurore,
Ici ou là. Partout, sa graine fait éclore
Une semblable fleur à celle que tu tiens;
L'odeur qu'elle répand en parfums te revient
Dans l'air qui l'emporta et qui te le rapporte;
Demeure ou pars, attends ou cherche, va, qu'importe!
Ou remonte le fleuve, ou prends la route, ou suis
D'autres chemins. L'écho garde tes pas en lui
Comme pour te prouver, rétrograde et contraire,
Que ta marche est inverse et retourne en arrière.
Demeure donc. Pourquoi partir? Est-ce que l'eau
N'est pas la même au fleuve et la même au ruisseau,
Qu'elle gronde ou murmure et que, rapide ou lente,
Etroite ou large, elle bifurque, aille ou serpente?
Si la Mer est trop loin écoute la Forêt.
Sois attentif, sois docile et surtout sois prêt
A saisir la rumeur vivante éparse en elle
Et, debout, sens en toi la force universelle
Sourdre, croître, grandir et monter à son but
En ta stature d'homme ainsi qu'en l'arbre nu.
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty L'AUTOMNE

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:43

Si l'automne fut douce au soir de ta beauté,
Rends-en grâces aux dieux qui veulent qu'à l'été
Succède la saison qui lui ressemble encore,
Ainsi que le couchant imite une autre aurore
Et comme elle s'empourpre et comme elle répand
Au ciel mystérieux des roses et du sang!
Ce sont les dieux, vois-tu, qui font les feuilles mortes
D'un or flexible et tiède au vent qui les emporte,
Et dont l'ordre divin veut que les verts roseaux
Deviennent tour à tour, uniques ou jumeaux,
Et, selon que décroît leur taille à la rangée,
L'inégale syrinx ou la flûte allongée.

Ce sont eux qui, des fleurs de ton été, couronnent
Ta jeunesse mûrie à peine par l'automne
Et qui veulent encor que le parfum enfui
De la fleur se retrouve encore au goût du fruit
Et que, devant la mer qui baisse et se retire,
Une femme soit belle et puisse encor sourire.
nadia ibrahimi
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty LA FLEUR DU SOIR

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:44

Ne crois pas, ô passant, à me voir, quand tu passes,
Les mains vides, assis à mon seuil où s'enlace,
Au-dessus de ma tête et de mes cheveux blancs,
A soi-même le lierre égal et permanent,
Que je ne sache plus que la terre éternelle,
De saisons en saisons toujours se renouvelle.
Je n'ignore pas plus ces choses qu'autrefois
Quand, pour louer les dieux qui revivaient en moi,
Ou pour en couronner les nymphes des fontaines,
Toutes les fleurs tentaient mes deux mains incertaines.
Mais aujourd'hui, plus sage et de mon seuil, j'attends
Que l'été moins hâtif succède au court printemps,

Et, lorsque vient l'automne, aux dernières écloses,
Je choisis longuement ma rose entre les roses,
Car peut-être il faudra que cette fleur cueillie
Parfume jusqu'au soir le reste de ma vie.
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty HÉLÈNE AU CHEVAL

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:44

Le cheval gigantesque est debout; un grand rire
L'entoure. Entends grincer le câble qui le tire,
Et la foule le traîne et le pousse au jarret.
Un dard qui vibre encor tremble à son flanc secret,
Et quel mystère noir lui gonfle ainsi la panse?
Obèse et monstrueux, il oscille et s'avance.
Et chacun rit tout haut de la bête de bois.
Le seul Laocoon a maudit par trois fois
Le don douteux du Grec que le Troyen rapporte
Et l'a frappé d'un trait quand il passa la porte
A peine haute assez pour son échine, au bruit
Des boucliers d'airain que heurtaient devant lui
Les guerriers, lance au poing et le glaive à la hanche.
En le voyant, Priam rit dans sa barbe blanche
Et svelte, et souriante, et belle, s'avançant
Droit au monstre stupide, immobile et pesant,
Qui, muet, la regarde à lui venir, Hélène
Vers les rouges naseaux lève ses deux mains pleines
L'une de blé de cuivre et l'autre d'orge d'or.
Mais la vaste rumeur qui dilate et qui tord
Du remous de sa danse et du cri de sa joie,
Les femmes, les enfants et les hommes de Troie
L'empêche en s'approchant d'entendre au ventre obscur
Sourdre le stratagème et le fléau futur,
Et, d'un brusque sursaut de la Bête applaudie,
Le meurtre s'ébrouer et hennir l'incendie.
nadia ibrahimi
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty MASQUE

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:45

Avec la laideur rustique
De ton masque biscornu,
Où le regard raille, oblique,
La bouche au rire dentu,

Avec tes cornes pareilles,
Faune, en pointes à ton front,
Ton nez et tes deux oreilles,
On a fait un mascaron

Qu'on a sculpté dans un marbre
D'un ocre veiné de sang,
Qui ressemble aux feuilles d'arbre
De l'automne finissant.

Mais déjà tu peux à l'ombre,
Des pins hauts et des cyprès,
Avant que la feuille tombe
Des cimes de la forêt,

Venir boire à la fontaine
Où ta bouche jette une eau
Fraîche, pure, égale et saine
A puiser quand il fait chaud.

Et tu verras dans la vasque
Te sourire, en son reflet,
D'un sourire vrai, le masque
De ce Faune que tu es!
nadia ibrahimi
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty LE SOUVENIR

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:46

Qu'un autre, en arrivant au soir de son destin,
Voie au fond de sa vie, éclatant et hautain,
Celui qu'il fut jadis et dont le pas sonore
Sur la route parvient à son oreille encore
Et dont il se rappelle avoir vécu les jours.
La gloire a couronné son front heureux. L'amour
Au laurier toujours vert mêle son myrte sombre
Qui parfume la nuit et qui sent bon dans l'ombre;
La Fortune riante et qui lève un flambeau,
En riant, l'a tiré par le pan du manteau;
La toile s'est changée en pourpre à son épaule;
Les abeilles, au creux de la ruche et du saule,
Ont toujours eu pour lui quelque miel réservé.
Ce qu'il fut est si beau qu'il peut l'avoir rêvé
Et dans son souvenir, il s'apparaît pareil
A quelqu'un qui marcha longtemps dans le soleil
Et qu'au seuil de la nuit accueilleraient encor
Des torches de lumière et des trompettes d'or!

Mais moi, si je regarde au fond de ma pensée
D'aujourd'hui jusqu'au bout de ma route passée,
Toujours je me retrouve et toujours je me vois
Toujours le même, assis toujours au même endroit.
Sur le sable jaillit mon unique fontaine
Où ma bouche à son eau rafraîchit mon haleine.
Là-bas, près du pin rouge et rauque, dans le vent,
C'est là que je me vois et de là que j'entends
Encore, dans l'air pur, au matin de ma vie,
De ma flûte, monter de mes lèvres unies,
Sonore, harmonieux, humble, tremblant et beau,
Mon premier souffle juste à mon premier roseau.
nadia ibrahimi
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty LE SILENCE

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:46

Le silence est peut-être une voix qui s'est tue
Comme le dieu se tait debout en sa statue,
Et par elle n'a plus de vivant aujourd'hui
Que son ombre, au soleil, qui tourne autour de lui.
Le silence est peut-être une voix qui sait tout
Comme un dieu taciturne en son marbre debout,
Dont le geste éternel fait signe qu'on écoute
Ce que dira son ombre aux passants de la route,
Qui regardent, d'en bas et le genou plié,
L'ordre silencieux du dieu pétrifié.
nadia ibrahimi
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La Cité Des Eaux:Henri De Régnier - Page 3 Empty L'OUBLI SUPRÊME

Message par nadia ibrahimi Ven 30 Avr - 18:47

Que m'importe le soir puisque mon âme est pleine
De la vaste rumeur du jour où j'ai vécu!
Que d'autres en pleurant maudissent la fontaine
D'avoir entre leurs doigts écoulé son eau vaine
Où brille au fond l'argent de quelque anneau perdu.

Tous les bruits de ma vie emplissent mes oreilles
De leur écho lointain déjà et proche encor;
Une rouge saveur aux grappes de ma treille
Bourdonne sourdement son ivresse d'abeilles,
Et du pampre de pourpre éclate un raisin d'or

Le souvenir unit en ma longue mémoire
La volupté rieuse au souriant amour,
Et le Passé debout me chante, blanche ou noire,
Sur sa flûte d'ébène ou sa flûte d'ivoire,
Sa tristesse ou sa joie, au pas léger ou lourd.

Toute ma vie en moi toujours chante ou bourdonne;
Ma grappe a son abeille et ma source a son eau;
Que m'importe le soir, que m'importe l'automne,
Si l'été fut fécond et si l'aube fut bonne,
Si le désir fut fort et si l'amour fut beau.

Ce ne sera pas trop du Temps sans jours ni nombre
Et de tout le silence et de toute la nuit
Qui sur l'homme à jamais pèse au sépulcre sombre,
Ce ne sera pas trop, vois-tu, de toute l'ombre
Pour lui faire oublier ce qui vécut en lui.
nadia ibrahimi
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