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Anatole France

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Anatole France Empty Anatole France

Message par fayssal morad Lun 19 Avr - 9:22




Anatole France est un écrivain français majeur du 20ème siècle, Né sous le nom de François Anatole Thibault. Anatole France est né à Paris le 16 Avril 1844 et mort à Saint Cyr sur Loire le 12 octobre 1924. Anatole France était admiré par ses pairs, il est l'auteur de nombreuses citations. Anatole France reçut le prix Nobel de Littérature en 1921.
*****************
À ETIENNE CHARAVAY
***
l'aurtorgaphe


Cette feuille soupire une étrange élégie,
Car la reine d’Écosse aux lèvres de carmin
Qui récitait Ronsard et le Missel romain,
A mis là pour jamais un peu de sa magie.


La Reine blonde avec sa débile énergie
Signa Marie au bas de ce vieux parchemin,
Et le feuillet Anatole France 923781 a tiédi sous sa main
Que bleuissait un sang fier et prompt à l’orgie.

Là de merveilleux doigts de femme sont passés
Tout empreints du parfum des cheveux caressés
Dans le royal orgueil d’un sanglant adultère.

J’y retrouve l’odeur et les reflets rosés
De ces doigts aujourd’hui muets, décomposés,
Changés peut-être en fleurs dans un champ solitaire.
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Anatole France Empty Les Légions de Varus

Message par fayssal morad Lun 19 Avr - 9:26

Auguste regardait Anatole France 923781 couler le Tibre ;
Il songeait aux Germains : ce peuple pur et libre
L’étonnait ; ces gens-là lui causaient quelque effroi :
Ils avaient de grands cœurs et n’avaient pas de roi.
César trouvait mauvais qu’ils pussent se permettre
D’être fiers, et de vivre insolemment sans maître.


Puis le bon César prit pitié de leur erreur
Au point de leur vouloir donner un empereur.
Il crut d’un bon effet qu’aussi l’aigle romaine
Se promenât un peu par la forêt germaine :
Il n’est tel que son vol pour éblouir les sots ;
Puis, l’or des chefs germains lui viendrait par boisseaux ;
On s’ennuyait ; la guerre était utile en somme :
On n’avait pas d’un an illuminé dans Rome.


Auguste se souvint d’un homme de talent ;
Varus s’était montré proconsul excellent :
Maigre il était entré dans une place grasse,
Et s’en était allé gras d’une maigre place.
Donc Varus, que César aimait pour ses travaux,
Ayant trois légions, trois ailes de chevaux,
Et, pour arrière-garde, ayant quatre cohortes,
De l’Empire romain les troupes les plus fortes,[ page ]
Mena ces braves gens à travers les forêts,
Le front dans les taillis, les pieds dans les marais.
Alors la forêt mère, inviolée et sainte,
Etreignit les Romains dans son horrible enceinte,
Les fit choir dans des trous, leur déroba les cieux ;
Chaque arbre avait des doigts et leur crevait les yeux.
Les soldats abattaient ces arbres pleins de haines ;
Et les chevaux, oyant gémir l’âme des chênes,
Se jetaient effarés dans la nuit des halliers,
Et, contre les troncs durs, brisaient leurs cavaliers.
Des flèches cependant venaient, inattendues,
Aux arbres ébranlés, clouer les chairs tordues ;
Et les soldats mouraient la javeline aux mains.


Hermann était debout au milieu des Germains ;
Le chef dormant s’était relevé pour leur cause,
Hermann, gloire sans nom ! Hermann ! l’homme, la chose
De l’antique patrie et de la liberté,
Toujours beau, toujours jeune et toujours indompté !
Le chef blond était là, dans sa force éternelle ;
Pieuse, le gardait la forêt maternelle.
Le chef au pavois rouge, autour du bois hurlant,
Serrait un long cordon de Germains au corps blanc ;
Et, trois jours et trois nuits, la sainte Valkyrie,
Sur ces bois pleins de sang, fit planer sa furie :
Son œil bleu souriait, — et ses neigeuses mains
Tranchèrent le jarret aux enfants des Romains.
Lorsque le courrier vint, poudreux, dire l’armée
De l’empire romain dormant sous la ramée,
L’empereur en conçut de si fortes douleurs
Qu’il ôta de son front sa couronne de fleurs,



Et renvoya la foule au milieu d’une fête ;
Aux tapis de son lit il se cogna la tête,
En s’écriant : « Varus, rends-moi mes légions ! »
Bien quitte alors envers les expiations,
Il allait s’endormir, quand, pleurante et meurtrie,
Devant ses yeux mal clos, se dressa la Patrie.


« César, rends-moi mes fils, lui dit-elle ; assassin,
Rends-moi, rends-moi ma chair et le lait de mon sein !
César, trois fois sacré, toi qui m’as violée,
Et qui m’as enchaînée et qui m’a mutilée,
Oui, la chair et le sang de mes plus beaux guerriers,
N’est vraiment qu’un fumier à verdir tes lauriers !
A leur cime, une sève épouvantable monte,
Hélas ! et fait fleurir ma misère et ma honte.
Et je n’ai plus mes fils, ceux qui dans mes beaux jours
Me couronnaient d’épis, me couronnaient de tours.
Rends-moi mes légions, ma force et ma couronne,
Et dors sous tes lauriers, car leur ombre empoisonne !
Autrefois, quand, aux jours de ma fécondité,
J’enfantais dans la gloire et dans la liberté,
Je riais à mes fils morts pour la cause sainte,
Tombés en appelant ceux dont j’étais enceinte :
Leurs frères étaient prêts, et mon œil radieux
Les suivait citoyens, les perdait demi-dieux.
Je sentais des guerriers frémir dans mes entrailles,
Et mon lait refaisait du sang pour les batailles...
Mais comme la lionne, en sa captivité,
Je fais tout mon orgueil de ma stérilité.
César ! vois mes beautés maternelles flétries ;
Vois pendre tristement mes mamelles taries.
Sur les fruits de ton viol mes flancs se sont fermés ;


Je ne veux pas des fils que ton sang a formés.
Rends-moi mes légions, ces dernières reliques
De la force romaine et des vertus publiques !
César ! rends-moi leur sang précieux et sacré ;
Rends-moi mes légions !... mais non, non ; je croirai
Le ciel assez clément et toi-même assez juste,
Si seulement tu veux, divin César Auguste,
De tout ce sang glacé que les lunes du nord
Boivent, de tant de chairs que la dent des loups mord,
Me rendre ce qu’il faut de nerfs, de chair et d’âme,
Pour tirer de ton cou tordu ton souffle infâme ! »


Ainsi, sur l’empereur roulant ses yeux ardents,
Hurla la Louve, avec des grincements de dents.
Puis Auguste entendit des murmures funèbres
Tout remplis de son nom monter dans les ténèbres
Formidables, et vit, par le ciel entr’ouvert,
Des soldats défiler, blancs sous leur bronze vert ;
Et Varus, qui menait la troupe pâle et lente,
Leur montrait le César de sa droite sanglante.
César ferma les yeux et sentit, tout tremblant,
Ses lauriers d’or glacer son front humide et blanc.
Tendant ses maigres bras au ciel de Germanie,
Il cria, blême, avec un râle d’agonie :
« Varus ! garde la troupe intrépide qui dort !
Garde mes légions, ô ma complice ! ô Mort ! »
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Anatole France Empty DAPHNE.

Message par fayssal morad Lun 19 Avr - 9:27

Cher Hippias, un vœu t'a pris ta fiancée !

Nous n'achèverons pas l'union commencée.

Oh ! trois fois malheureux parce que je te plus,

Ne reviens plus jamais ici, ne reviens plus !



Fermez-lui le chemin de tous nos ports, étoiles !

O souffles qui passez et gonflerez ses voiles,

Souffles mystérieux du soir, s'il est en vous

Un Esprit, un Génie intelligent et doux,

Sur la nef précieuse allez parler à l'homme,

Hélas ! qu'il ne faut plus désormais que je nomme,

Et s'il s'est endormi songeant à notre amour,

Pour qu'il ne sente pas d'amers regrets un jour,

Effacez doucement de ses yeux mon image.

Qu'il m'oublie ! Et qu'un soir, au hasard d'un voyage,

Reçu près d'un foyer tranquille et réjoui,

IL y trouve une vierge et l'emmène chez lui,

Plus heureuse que moi, mais non certes plus tendre.

Ah ! s'il m'était permis...

Un CHŒUR lointain de jeunes hommes, chantant un épithalftrae

Hymen, Hymen aux beaux flancs,

Hespéros se lève.
Viens à nous ; la nuit est brève :

Hâte tes pieds blancs !

DAPHNÉ.

Mais il me semble entendre

Un invisible chœur et des-appels lointains
Qui hâtent une vierge à de nouveaux destins.

Le CHŒUR se rapproche :

Accours, la nuit brève est bonne

Et douce aux aveux.
Viens, portant dans tes cheveux

La verte couronne !

DAPHNÉ.

De fleurs pour le festin leur chevelure est ceinte,
Car l'épouse a promis et la promesse est sainte.

Le CHŒUR plus proche encore :

O prince aux sandales d'or,

Hymen, Hyménée !
Reçois la vierge amenée

Qui te craint encor.

DAPHNÉ.

Ami, ne venez pas ! n'approchez pas, amis !
Je ne suis pas parée et, bien qu'ayant promis,
Sur mon front négligé les fleurs de marjolaine
N'exhalent pas encor leur odorante haleine.

Le CHŒUR suit sa route et s'éloigne

La beauté qui brille en elle

Sied à ton dessein :
Hymen, tire de son sein

La vie éternelle.

DAPHNÉ.

Où s'en vont loin de moi les chansons et les pas ?

Les amis de l'époux ne me chercheront pas !
Pourtant j'aurais porté dans la chambre choisie
Les parfums d'un amour plus doux que l'ambroisie.
Ton épouse étrangère, Hippias, crois-tu bien
Qu'elle ait un cœur plus sûr et meilleur que le mien ?
Silence de la nuit ! nuit froide et solitaire !
Non, je n'attends plus rien de l'homme et de la terre.

Elle détache de son doigt son anneau d'or.

O fontaine où l'on dit que dans les anciens jours,
Les Nymphes ont goûté d'ineffables amours,
Fontaine à mon enfance auguste et familière,
Reçois de la chrétienne une offrande dernière.
O source ! qu'à jamais ton sein fidèle et froid
Conserve cet anneau détaché de mon doigt,
L'anneau que je reçus dans une autre espérance.

Elle jette son anneau dans la. source.

Réjouis-toi, Dieu triste à qui plaît la souffrance !
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Anatole France Empty DAPHNÉ, KALLISTA

Message par fayssal morad Lun 19 Avr - 9:29

Kallista est portée en litière. Son esclave Phrygia l'accompagne.

KALLISTA.

Phrygia, soutiens-moi jusqu'à la maison sainte.
Je te cherchais, ma fille. Oh ! certes, Dieu n'a pas
Sans un profond dessein conduit ici tes pas.


DAPHNÉ.

vois, mère : je cueillais des plantes salutaires.

KALLISTA.

Enfant initiée aux augustes mystères,

Quittons la vanité de ces secours humains,

Et pour ma guérison prenons d'autres chemins,

Ma fille, écoute-moi : tu sais bien que ta mère

N'a pas mis son espoir en la vie éphémère,

Que son sein n'est gonflé que du désir des cieux,

Qu'elle trouve à la mort un goût délicieux.

Mais tu sais qu'il n'est pas encor temps qu'elle meure.

Et qui donc après moi garderait la demeure

Des discours des gentils, des pièges des démons ?

Qui donc arracherait l'homme que nous aimons,

Ton vieux père, à l'abîme invisible que creuse,

Sous ses pas égarés, son ignorance affreuse ?

Et toi-même, qui donc, en tes jours de langueur,

Du vin spirituel viendrait nourrir ton cœur

Affaibli par le lait de la tendresse humaine ?

Mes esclaves nombreux et soumis que je mène

Dans tes chemins, Seigneur, avec sévérité,

Qui remettrait leurs pas dans le sillon quitté ?

Quelle voix, en ce bourg plein d'idoles d'argile,

Aux fils des vignerons, dirait ton évangile ?

Et quelle main assez ferme dispenserait

L'aumône aux pauvres gens, selon ton intérêt ?

Ta volonté, mon Dieu, soit faite, et non la mienne !

Mais avant de m'ôter d'ici, qu'il te souvienne

Des âmes en péril dont tu me ris l'espoir.
Je suis ton ouvrière : il me faut jusqu'au soir,
Maître mystérieux, travailler dans ta vigne,
Afin que je t'apporte une vendange insigne.

DAPHNÉ.

Tu vivras, douce mère, et sur tes cheveux blancs
Les jours s'écouleront pacifiques et lents.

KALLIST.4.

Tu m'aimes, mon enfant, ta tendresse craintive,
Sans oser l'espérer, souhaite que je vive.
Dieu seul peut retarder l'heure du grand départ ;
Mais dans ma guérison je te garde une part.
Pour qu'à me laisser vivre ici-bas Dieu consente,
J'espère en la vertu de ta tête innocente.
Enfant, colombe intacte, agneau prédestiné,
Fruit de dilection que le Ciel m'a donné,
Jeune plante qui croîs sous mon amour austère,
Non pas avec l'espoir de fleurir sur la terre,
Mais afin de répandre au Ciel ta bonne odeur
Et de plaire au Dieu vierge à qui plaît la pudeur,
Ton âme qu'exalta l'espérance féconde
Ne saurait plus se prendre aux choses de ce monde,
Et tes lèvres que brûle un immortel désir
N'ont soif que de la source impossible à tarir.
Prenant la vie ainsi qu'une nuit sous la tente,
Tu veilles en joignant les deux mains dans l'attente !
Enfant, bien que peut-être un terrestre dessein
Ait jadis urf moment troublé ton jeune sein,

Dans les bras d'un époux tu ne veux pas descendre
Ni goûter des baisers plus amers que la cendre.
Tu ne veux pas semer dans le trouble et l'effort
Pour grossir la moisson du mal et de la mort !
Certes ! la veuve est bonne et la vierge est meilleure.
Heureux qui, tes yeux clos, prie en attendant l'heure !
Heureux qui n'a pas mis son espoir en la chair !

DAPHNE.

Mère, tu sais le nom de l'homme qui m'est cher.
Mon père m'a choisi le jeune époux que j'aime,
Hippias de Théra, que tu chéris toi-même.
Mais un jour nous viendra plus propice et plus doux,
Quand tu seras guérie, à parler de l'époux.

KALLISTA.

Enfant, l'amour terrestre est un amour fragile :
Les amants sont unis par des chaînes d'argile.
Mais la vierge chrétienne, à l'ombre de l'autel,
Sait trouver dans l'extase un époux immortel.
Alors qu'elle est choisie, épousée aux blancs voiles,
Le cœur percé du glaive et le front ceint d'étoiles,
Elle entend, sur la harpe et le psaitérion,
Les anges célébrer sa mystique union.
Elle boit au festin la grâce à pleins calices,
Et goûte avec amour d'ineffables délices
A noyer^ses regards dans le rayonnement
De l'époux dont le cœur saigne, ouvert largement.
Gloire à celle, ô Daphné, qu'un tel maître réclame !
Ecoute ce que j'ai résolu dans mon âme.

Ouvrez la porte auguste aux deux battants d'airain,
Femmes ; je veux parler au Maître souverain.

KUe s'agenouille sur les degrés du temple.

A ta face, ô Seigneur, et dans tes sanctuaires
Le juste vient chercher les vrais électuaires.
Au seuil de ta maison, sous tes sept lampes d'or,
Je t'implore à genoux pour que je vive encor
Et qu'il me soit donné d'achever sur la terre,
Dans le jeûne et l'exil, ma tâche salutaire.
Si tu reçus le vœu de l'antique Jephté,
Ton fils exaucera mon vœu dans sa bonté.
Je ne lui promets pas de sanglante victime.
Tu recevras, ô Christ, mon holocauste intime.
Je jure sur le Livre inspiré par l'Esprit,
Je jure devant toi sur le quadruple écrit
De l'Aigle, du Taureau, du Lion et de l'Ange
De t'offrir une épouse agréable en échange
De ma force rendue et de ma guérison.
Christ ! je prendrai pour toi l'épouse en ma maison.
Que je vive ! et l'enfant que tu m'avais donnée,
Daphné, ma fille heureuse, à l'autel amenée,
Pour que soit accompli le plus sacré des vœux,
Recevant ton anneau, coupant ses longs cheveux,
S'offrira toute à toi, sans qu'un fils de la femme
Ait pour elle chanté l'impur épithalame.

DAPHNE.

O ma mère !

KALLISTA.

Elle ira, te prenant pour époux,
Consacrer sa ceinture à ton autel jaloux.

DAPHNK.

O ma mère !

KALLISTA.

Et jurer^d'une bouche fidèle
Que jamais fils d'Adam ne s'approchera d'elle.

DAPHNÉ.

O ma mère !

KALLISTA.

Il est fait, l'indéliable vœu.
Roi d'Orient assis à la droite de Dieu,
Christ, ne refuse pas celle que* je te donne !
Accorde à son front pur le voile et la couronne,
Pour que je sorte un jour de ce monde, les mains
Pleines d'œuvres, les pieds usés dans tes chemins,
Ef pour que, devant toi, vers le Seigneur, un ange
Porte ma gerbe d'or dans la céleste grange.
Elle est là, tu la vois, mon offrande, en mes bras.
J'eus soin.de la nourrir pour toi ; tu la prendras !
Si dans quatre-vingts jours je suis debout, vivante,
Forte comme il convient pour être ta servante,
Tu m'auras fait entendre, ô B,oi ! qu'elle te plaît,
La vierge que nourrit ta crainte avec mon lait.
Et, dans un an, au mois des terrestres vendanges,
Je te l'amènerai, doux spectacle à tes anges,

Fiancée, ayant mis au doigt l'anneau d'or fin,
Belle, et le front voilé pour les noces sans fin.

DAPHNÉ.

Romps ce voeu sacrilège, ô ma mère, délie
Ton enfant qui t'adjure et pleure et te supplie
Afin de n'être pas prise éternellement
Dans le réseau d'un vœu sans accomplissement.
Hâte-toi ! romps ce vœu, de crainte que j'expie
Par ma perte et la tienne une parole impie.
Souviens-toi, souviens-toi de ce que j'ai promis,
Devantmon père auguste, au plus cher des amis.
Mère, ne livre pas mon innocente vie
Au spectre du remords qui suit la foi trahie.
Mère, vois cet anneau fidèle entre mes doigts !
Il est un fils d'Adam, mère, à qui je me dois.
J'ai juré qu'Hippias délierait ma ceinture.

KALLISTA.

Nous devons tout à Dieu, rien à la créature.

DAPHNE.

Si tu m'aimes...

KALLISTA.

Je t'aime en Dieu.

DAPHNÉ.

Mère, entends-moi.
Arrache le filet de remords et d'effroi,
Le filet de ton vœu qui m'a prise : délivre,
Délivre-moi ! Je veux respirer, je veux vivre !

Ecoute, j'ai revu tantôt l'époux futur
Et j'ai promis encor, ici, sous le ciel pur,
De le suivre, fidèle, en sa chambre d'ivoire
Ou de dormir avec Karôn, dans la nef noire.
Oh ! prends pitié de moi, te souvenant du jour
Où ton cœur virginal fut parfumé d'amour.

KALLISTA.

Je ne me souviens plus des vanités du monde,
Mais le divin amour est comme une belle onde,
Où le coeur dans l'ivresse et le ravissement,
Epris de l'infini s'abîme infiniment.
Si le besoin d'aimer te brûle et te tourmente,
Plonge dans le torrent d'amour, heureuse amante !
Ce que j'ai fait est fait, et nul, selon la loi,
Ne peut s'interposer entre le Christ et moi.

DAPHNE.

Mère, c'en est donc fait, tu m'as prise en ton piége !

KALLISTA.

J'ai dit. S'il se pouvait qu'impie et sacrilège,

Ma fille violât l'inviolable vœu,

Qu'elle ne voulût pas payer ma. dette à Dieu,

Epargne, ô Justicier, sa tète consacrée

Et fais tomber sur moi la vengeance assurée.

Seule je me dévoue aux ténébreux troupeaux

Des Démons qui dans l'air nous guettent sans repos ;

Que je perde ta grâce et qu'à ta sainte table

Je ne tende jamais ma bouche détestable ;

Qu'étrangère, sans part, aux œuvres des chrétiens,

Tu ne me comptes plus, Jésus, parmi les tiens.
Que l'âpre désespoir dessèche mes paupières
Et cuise comme un feu mes lèvres sans prières ;
Et quand je hanterai pendant mes nuits d'effroi
Les tombeaux des martyrs qui gémiront sur moi,
Que les noirs Séraphins, les Princes des ténèbres
Me lancent sous le choc de leurs ailes funèbres,
Le souffle sulfureux des imprécations.
Que je meure sans l'huile et sans les onctions,
Et n'ayant point baisé la croix expiatoire,
Et que l'Enfer soit clos pour l'éternité noire
Sur mon âme et mon corps plongés soixante fois
Dans des fleuves ardents de bitume et de poix...
Ils viennent ! Les voici les Anges de l'abîme,
Car j'ai commis par toi l'irrémissible crime,
Ma fille. Ils m'ont saisie entre leurs bras velus.
Je.meurs. Je suis damnée et comme n'étant plus...

KUe tombe inanimée.

L'ESCLAVE PHRYGIA.

Elle est inerte et froide et telle qu'une morte :
Réveille-toi, maîtresse ! O femmes, qu'on la porte
En sa litière. Hélas ! voyez-vous sa pâleur ?
Cette méchante enfant l'a tuée, ô douleur !

DAPHNE.

Qu'on apporte l'anneau, le voile et la couronne !
Jésus, prince jaloux, prends celle qu'on te donne.
Rends la vie et l'espoir, mère, à ton front pâli ;
Mère, rassure-toi, ton vœu sera rempli.

Les femmes esclaves ont emporté Kallista.
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Anatole France Empty HIPPIAS, DAPHNÉ.

Message par fayssal morad Lun 19 Avr - 9:30

HIPPIAS, DAPHNÉ.

DA P H N É, devant le temple.

J'ai cueilli le dictame illustre entre les plantes
Et les tiges en fleur des herbes consolantes.
J'en veux faire un breuvage, afin de secourir
Celle dont je suis née et que je vois mourir.
Christ, messager divin de la bonne parole,

S'il est vrai qu'à ta voix l'essaim des Dieux s'envole
Et qu'Apollon n'est plus le divin guérisseur,
Jésus, roi languissant aux yeux pleins de douceur,
Puisque ton règne arrive, il me vient l'espérance
Qu'un Dieu qui sut souffrir sait guérir la souffrance.
Maître, sauve ma mère : elle est des tiens aussi.
Et donne-moi l'époux que mon père a choisi.

HIPPIAS, fais«nt quelques pas vers elle.

Daphné, ma douce gloire et toute mon envie,
Vois l'homme qui sera la moitié de ta vie,
L'époux promis selon les usages anciens.
Il est là, viens et mets tes deux bras dans les siens.

DAPHNÉ.

Oui, c'est toi ! Ce n'est pas ton insensible image,
Cher Hippias, qui vient raconter ton naufrage.

Je savais, voyageur qui portes mon amour,

Qu'il me serait donné, le jour de ton retour.

L'espérance habitait ma poitrine fidèle.

Viens ! je te vais conduire à ma mère et, près d'elle

Qui, triste, fait rouler la laine en écheveaux,

Hôte du vieux foyer, tu diras tes travaux.

Un mal courbe ma mère et lui brûle le foie.

HIPPIAS.

Tous nos jours sont mêlés de douleur et de joie.

Tes chagrins sont les miens ; mais malgré ton accueil,

Je ne franchirai pas les dalles de ton seuil.

Vois : ce large chapeau noué contre la brise,

Cette ceinture étroite à ma tunique grise,

Ces guêtres à mes pieds, ce bâton à ma main

Sont d'un homme pressé de suivre son chemin.

Mon navire, parti de mon île natale,

Par l'ordre paternel, vers l'onde occidentale,

Au fond du port déjà tourne son éperon.

Comme l'outre d'eau fraîche occupait le patron,

Je suis venu. Je pars : avec l'aile des voiles,

Gagnant la haute mer au retour des étoiles,

Sous leur chœur révéré qui me protégera,

Je vais vendre à Pœstum les vins noirs de Théra.

DAPHNE.

Oh ! ne me quitte pas encor : cette heure est belle.
Reste : la mer est vaste et l'absence est cruelle.

HIPPIAS.

Je venais, j'espérais, de ce sentier obscur,

Voir ta porte et ton ombre un moment sur le mur.
Mais bientôt, au retour de ma route prospère,
Je reviendrai m'asseoir au foyer de ton père,
Je boirai dans sa coupe, afin que le vieillard,
Ainsi qu'il l'a promis, me laisse sans retard
T'emmener sur ma nef de myrtes couronnée,
Vers mon toit où luiront les torches d'hyménée.
O coupes, ô chansons, ô fleurs ! Vienne ce jour !
Car j'ai connu par toi l'inévitable amour
Et je sais qu'une main de vierge est prompte et sûre
A faire au cœur d'un homme une douce blessure.
J'aime. On dit que l'amour est un mal : je le sais
Et j'aime. Le tourment m'est cher que tu me fais.
Celle qui peut blesser saura guérir, ô femme !
Et tu me seras douce et semblable au dictame.
Aimer ne trouble pas à jamais la raison ;
Quand tu seras entrée épouse en ma maison,
Nous connaîtrons la paix, le foyer, l'abondance,
L'amitié, les enfants, la tardive prudence,
Et nous vivrons pareils à deux arbres jumeaux
Qui versent l'ombre fraîche en mêlant leurs rameaux.
Mais mon père le veut : je poursuis mon voyage.
Le fils obéissant vit heureux un long âge.
Invoque en ma faveur Hespéros, astre clair.

DAPHNÈ.

J'invoquerai Jésus qui maichait sur la mer.

HIPPIAS.

Ma Daphné, gardons-nous des paroles légères ;

N'invoquons point les Dieux des races étrangères,

Car la terre natale et nos bois et nos cieux

Sont encor palpitants du souffle de nos Dieux..

On sent dans l'air sacré leurs signes, leurs présages.

Je ne quitterai point le culte des vieux sages.

Les hommes d'autrefois, qui valaient mieux que nous,

Acquittaient le tribut qu'on doit aux Dieux jaloux.

Pieux observateur des coutumes antiques,

Moi, je prierai comme eux, debout, sous les portiques.

Nos Dieux, Daphné, sont bons et joignent en riant

La belle vierge émue à l'homme impatient.

DAPHNK.

Au cher jour que ma main fut prise dans la tienne,
Tu mis ton anneau d'or au doigt d'une chrétienne.
Un prêtre, ayant chassé les Nymphes d'un ruisseau,
Enfant, me baptisa par le sel et par l'eau ;
Et je devins ainsi la sœur et la compagne
De celui qui voulut mourir sur la montagne.

HIPPIAS.

La nature des Dieux est obscure, il est vrai.
Gardons-nous d'offenser jamais rien de sacré.
Plus d'un Dieu vénérable, aux lèvres d'ambroisie,
Nous est venu jadis de la terre d'Asie.
Et je crois, car mon cœur n'est ni léger ni vain,
Qu'en Jésus, roi des Juifs, quelque chose est divin.
Mais parce qu'il mourut quand vint la neuvième heure,
Je le nomme Adonis que Cythéréia pleure,
Et je le nomme Hermès, parce qu'il a conduit

Le peuple vain des morts par les champs de la nuit..
Aime et réjouis-toi de vivre, chère tête.
Dans le port l'ancre hésite et la voile s'apprête.
Laisse-moi d'un baiser effleurer tes cheveux.

DAPHNÉ.

Tu le prendras un jour ce baiser que tu veux.

HIPPIAS.

Cueillons l'instant fleuri.

DAPHNÉ.

Sachons attendre l'heure.

HIPPIAS.

Un souvenir est bon.

DAPHNÉ.

L'espérance est meilleure.

HIPPIAS.

L'aîr, les myrtes, tes yeux, tout m'enchaîne, et je pars !

DAPHNÉ.

Va ! nous avons choisi la meilleure des parts.
Sois heureux !

HIPPIAS.

Tu souris, et la livide crainte
Sur ton sourire, 6 vierge, est tristement empreinte.
Tu redoutes pour moi i'avenir hasardeux.

DAPHNE, en pleurant.

Ah ! je songe à la mer et je songe à nous deux !

Je songe aux jours d'absence, aux longues nuits, aux rêves
Tout pleins de ton image inerte sur les grèves.

H IP P IA S, après un long baiser.

Tes pleurs coulaient pour moi, ma lèvre a bu tes pleurs.
L'homme sage et pieux ne craint point de malheurs.
Après le cours entier d'une changeante année,
Daphné, tu reverras ma tête fortunée.

DAPHNE.

Ami, je t'attendrai de saison en saison,
Comme il sied à la femme, au fond de la maison.
J'en fais un grand serment : la mort, la mort jalouse
Peut seule en ses longs bras t'enlever ton épouse.

HIPPIAS.

Vis heureuse, ô Daphné.

DAPHNE.

Hippias, sois en paix.

Il s'en va.

Hippias !... Sur mes yeux tombe un nuage épais.
O tristesse ! ô frisson ! inexplicable crainte !
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Anatole France Empty LE PÊCHEUR, HIPPIAS.

Message par fayssal morad Lun 19 Avr - 9:32

LE PÊCHEUR, HIPPIAS.

HIPPIAS.

H est coiffé d'un chapeau thessalien ; sa tunique grise est ceinte aux reins, ses
chaussures hautes sont nouées à la cheville par des courroies de cuir. 11 tient un bâton
blanc à la main ; sa démarche est rapide.

Salut, verger, maison, chambre où, filant la laine,
Pour moi fleurit la vierge à la divine haleine !
Pêcheur ( car tes paniers de jonc luisent couverts
D'une écume marine et de goémons verts ),
Tu ne l'ignores pas : cette maison est celle
Du vieil Hermas. Vit-il >

LE PÊCHEUR.

Il vit, mon fils, et scelle
Dans des vases de terre antique un vin récent.

HIPPIAS.

Les Dieux gardent la paix à son toit florissant !
Mais as-tu vu Daphné sa fille en ses demeures ?
Dis si sa vie est douce et si les jeunes Heures
Sur son front innocent passent d'un vol léger.

LE PÊCHEUR.

Les Dieux la rirent belle, ils l'aiment, étranger ;
Car la sainte pudeur la voile et la couronne.
Elle est heureuse.

HIPPIAS.

Ami, cette parole est bonne.
Ne peux-tu rien m'apprendre aussi de Kallista,
Sa mère ?

LE PÊCHEUR.

Elle gémit d'un Dieu qu'elle irrita....
Mais il n'est pas prudent que le pauvre révèle
A l'homme curieux une triste nouvelle.
Je dirai seulement qu'Apollon peut encor
Contre une tête impie armer ses flèches d'or.

Il s'en va.
HIPPIAS.

Oui, c'est Daphné, là-bas, étincelante et blanche !
Cueillant sur le sentier des herbes, elle penche
Sa taille et son beau col plus merveilleux à voir
Que leur image errante en mes yeux clos, le soir.
Je la vois, si longtemps désirée, et sa vue
Verse en mes yeux l'effroi d'une chose inconnue.

O Dieux qui me l'offrez à l'angle du chemin,
Vous avez mis sur elle un charme plus qu'humain !
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Anatole France Empty le pécheur

Message par fayssal morad Lun 19 Avr - 9:34

La roule est lente, hélas ! de la ville à la mer
Et la fatigue est prompte et le pain est amer
A qui le va gagner dans les cités avares.
Les poissons à présent, plus maigres et plus rares,



N'appesantissent plus ma nasse et mon filet

D'où jadis une proie abondante roulait,'

Espoir d'un riche gain, dans ma barque joyeuse.

Les Dieux n'assistent plus ma vie industrieuse.

Et voici que, ce-jour, en vidant mes paniers,

Les femmes de Corinthe avec leurs cuisiniers

N'ont sur mon étal nu laissé que treize oboles,

Car la femme est avide et fertile en paroles.

Les hommes sont mauvais, cet âge est dur ; les Dieux

Ont quitté sans retour un peuple injurieux.
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Anatole France Empty La Part de Magdeleine

Message par fayssal morad Lun 19 Avr - 9:35

L'ombre versait au flanc des monts sa paix bénie,
Le chemin était bleu, le feuillage était noir,
Et les palmiers tremblaient d'amour au vent du soir.
L'enfant de Magdala, la fleur de Béthanie,



Gémissait dans la pourpre et l'azur des coussins.
Le grand épervier d'or des femmes étrangères
Agrafait sur son front les étoffes légères ;
La myrrhe tiédissait dans l'ombre de ses seins ;

Ses doigts, où les parfums des jeunes chevelures
Avaient laissé leur âme et s'exhalaient encor
Autour du scarabée et des talismans d'or,
Gardaient des souvenirs pareils à des brûlures.

Or elle haïssait ce corps qui lui fut cher ;
Tous les baisers reçus lui revenaient aux lèvres
Avec l'âcre saveur des dégoûts et des fièvres.
Madeleine était triste et souffrait dans sa chair ;

Et ses lèvres, ainsi qu'une grenade mûre,
Entr'ouvrant leur rubis sous la fraîcheur du ciel,
L'abeille des regrets y mit son âcre miel,
Et le vent qui passait recueillit ce murmure :

« J'avais soif, et j'ai ceint mon front d'amour fleuri ;
J'ai pris la bonne part des choses de ce monde,
Et cependant, mon Dieu, ma tristesse est profonde,
Et voici que mon cœur est comme un puits tari !

« Mon âme est comparable à la citerne vide
Sur qui le chamelier ne penche plus son front ;
Et l'amour des meilleurs d'entre ceux qui mourront
Est tombé goutte à goutte au fond du gouffre avide.

« Je n'ai bu que la soif aux lèvres des amants :
Ils sont faits de limon, tous les fils de la mère ;
La fleur de leurs baisers laisse une cendre amère,
L'étreinte de leurs bras est un choc d'ossements.

« Je brisais malgré moi l'argile de leur chaîne.
Seigneur ! Seigneur ! ce qui n'est plus ne fut jamais !
Leurs souvenirs étaient des morts que j'embaumais
Et qui n'exhalaient plus qu'à peine un peu de haine.

« Et je criais, voyant mon espoir achevé :
« Pleureuses, allumez l'encens devant ma porte,
« Apprêtez un drap d'or : la Madeleine est morte,
« Car étant la Chercheuse elle n'a pas trouvé ! »

« Et j'ouvrais de nouveau mes bras comme des palmes ;
J'étendais mes bras nus tout parfumés d'amour,
Pour qu'une âme vivante y vînt dormir un jour,
Et je rêvais encor les vastes amours calmes !

« Le Silence entendit ma voix, qui soupirait
Disant : « La perle dort dans le secret des ondes ;
« Or je veux me baigner dans des amours profondes
« Comme tes belles eaux, lac de Génésareth !

« Que votre chaste haleine à mon souffle se mêle,
« Tranquilles fleurs des eaux, afin que le baiser
« Que sur le front élu ma lèvre ira poser,
« Calme comme la mort, soit infini comme elle ! »

« Telle je soupirais au bord du lac natal,
Mais sur mes flancs blessés une mauvaise flamme,
Rebelle, dévorait ma chair avec mon âme,
Et voici que je meurs sur mon lit de santal.

« Pourtant, j'accepte encor la part de Madeleine
J'avais choisi l'amour et j'avais eu raison.
Comme Marthe, ma sœur, qui garda la maison,
Je n'aurai point pesé la farine ou la laine ;

« La jarre, au ventre lourd d'olives ou de vin,
Dans les soins du cellier n'aura point clos ma vie ;
Mais ma part, je le sais, ne peut m'être ravie,
Et je l'emporterai dans l'inconnu divin ! »

Elle dit : le reflet des choses éternelles
L'illumina d'horreur et d'épouvantement.
Alors elle se tut et pleura longuement :
Une âme flottait vague au fond de ses prunelles.

Or, Jésus, celui-là qui chassait le Démon
Et qui, s'étant assis au bord de la fontaine,
But dans l'urne de grès de la Samaritaine,
Soupait ce même soir au logis de Simon.

Vers ce foyer, ce toit fumant entre les branches,
Madeleine tendit, humble, ses belles mains ;
Et l'on aurait pu voir des pensers plus qu'humains
Rayonner sur son front comme des lueurs blanches.

La tristesse rendait plus belle sa beauté ;
Ses regards au ciel bleu creusaient un clair sillage,
Et ses longs cils mouillés étaient comme un feuillage
Dans du soleil, après la pluie, un jour d'été.

L'enfant de Magdala, la fleur de Béthanie,
S'en alla vers Jésus qu'on a nommé le Christ,
Et parfuma ses pieds ainsi qu'il est écrit.
Et la terre connut la tendresse infinie.
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Anatole France Empty la danse des morts

Message par fayssal morad Lun 19 Avr - 9:36

Dans les siècles de foi, surtout dans les derniers,
La grand'danse macabre était fréquemment peinte
Au vélin des missels comme aux murs des charniers.


Je crois que cette image édifiante et sainte
Mettait un peu d'espoir au fond du désespoir,
Et que les pauvres gens la regardaient sans crainte.

Ce n'est pas que la mort leur fût douce à prévoir ;
Dieu régnait dans le ciel et le roi sur la terre :
Pour eux mourir, c'était passer du gris au noir.

Mais le maître imagier qui, d'une touche austère,
Peignait ce simulacre, à genoux et priant,
Moine, y savait souffler la paix du monastère.

Sous les pas des danseurs on voit l'enfer béant :
Le branle d'un squelette et d'un vif sur un gouffre,
C'est bien affreux, mais moins pourtant que le néant.

On croit en regardant qu'on avale du soufre,
Et c'est pitié de voir s'abîmer sans retour
Sous la chair qui se tord la pauvre âme qui souffre.

Oui, mais dans cette nuit étalée au grand jour
On sent l'élan commun de la pensée humaine,
On sent la foi profonde. — Et la foi, c'est l'amour !

C'est là, c'est cet amour triste qui rassérène.
Les mourants sont pensifs, mais ne se plaignent pas,
Et la troupe est très-douce à la Mort qui la mène.

On se tient en bon ordre et l'on marche au compas ;
Une musique un peu faible et presque câline
Marque discrètement et dolemment le pas :

Un squelette est debout pinçant la mandoline,
Et, comme un amoureux, sous son large chapeau,
Cache son front de vieil ivoire qu'il incline.

Son compagnon applique un rustique pipeau
Contre ses belles dents blanches et toutes nues,
Ou des os de sa main frappe un disque de peau.

Un squelette de femme aux mines ingénues
Éveille de ses doigts les touches d'un clavier,
Comme sainte Cécile assise sur les nues.

Cet orchestre si doux ne saurait convier
Les vivants au Sabbat, et, pour mener la ronde,
Satan aurait vraiment bien tort de l'envier.

C'est que Dieu, voyez-vous, tient encor le vieux monde.
Voici venir d'abord le Pape et l'Empereur,
Et tout le peuple suit dans une paix profonde.

Car le baron a foi, comme le laboureur,
En tout ce qu'ont chanté David et la Sibylle.
Leur marche est sûre : ils vont illuminés d'horreur.

Mais la vierge s'étonne, et, quand la main habile
Du squelette lui prend la taille en amoureux,
Un frisson fait bondir sa belle chair nubile ;

Puis, les cils clos, aux bras du danseur aux yeux creux,
Elle exhale des mots charmants d'épithalame,
Car elle est fiancée au Christ, le divin preux.

Le chevalier errant trouve une étrange dame ;
Sur ses côtes à jour pend, comme sur un gril,
Un reste noir de peau qui fut un sein de femme ;

Mais il songe avoir vu dans un bois, en avril,
Une belle duchesse avec sa haquenée ;
Il compte la revoir au ciel. Ainsi soit-il !

Le page, dont la joue est une fleur fanée,
Va dansant vers l'enfer en un très-doux maintien,
Car il sait clairement que sa dame est damnée.

L'aveugle besacier ne danserait pas bien,
Mais, sans souffler, la Mort, en discrète personne,
Coupe tout simplement la corde de son chien :

En suivant à tâtons quelque grelot qui sonne,
L'aveugle s'en va seul tout droit changer de nuit,
Non sans avoir beaucoup juré. Dieu lui pardonne !

Il ferme ainsi le bal habilement conduit ;
Et tous, porteurs de sceptre et traîneurs de rapière,
S'en sont allés dormir sans révolte et sans-bruit.

Ils comptent bien qu'un jour le lévrier de pierre,
Sous leurs rigides pieds couché fidèlement,
Saura se réveiller et lécher leur paupière.

Ils savent que les noirs clairons du jugement,
Qu'on entendra sonner sur chaque sépulture,
Agiteront leurs os d'un grand tressaillement,

Et que la Mort stupide et la pâle Nature
Verront surgir alors sur les tombeaux ouverts
Le corps ressuscité de toute créature.

La chair des fils d'Adam sera reprise aux vers ;
La Mort mourra : la faim détruira l'affamée,
Lorsque l'éternité prendra tout l'univers.

Et, mêlés aux martyrs, belle et candide armée,
Les époux reverront, ceinte d'un nimbe d'or,
Dans les longs plis du lin passer la bien-aimée.

Mais les couples dont l'Ange aura brisé l'essor,
Sur la berge où le souffre ardent roule en grands fleuves,
Oui, ceux-là souffriront : donc ils vivront encor !

Les tragiques amants et les sanglantes veuves,
Voltigeant enlacés dans leur cercle de fer,
Soupireront sans fin des paroles très-neuves.

Oh ! bienheureux ceux-là qui croyaient à l'Enfer.
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Anatole France Empty âmes obscures

Message par fayssal morad Lun 19 Avr - 9:38

Tout dans l’immuable Nature
Est miracle aux petits enfants :
Ils naissent, et leur âme obscure
Éclôt dans des enchantements.


Le reflet de cette magie
Donne à leur regard un rayon.
Déjà la belle illusion
Excite leur frêle énergie.

L’inconnu, l’inconnu divin,
Les baigne comme une eau profonde ;
On les presse, on leur parle en vain :
Ils habitent un autre monde ;

Leurs yeux purs, leurs yeux grands ouverts
S’emplissent de rêves étranges.
Oh ! qu’ils sont beaux, ces petits anges
Perdus dans l’antique univers !

Leur tête légère et ravie
Songe tandis que nous pensons ;
Ils font de frissons en frissons
La découverte de la vie
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Anatole France Empty Les choses de l’amour

Message par fayssal morad Lun 19 Avr - 9:39

Les choses de l'amour ont de profonds secrets.
L’instinct primordial de l’antique Nature
Qui mêlait les flancs nus dans le fond des forêts


Trouble l’épouse encor sous sa riche ceinture ;
Et, savante en pudeur, attentive à nos lois,
Elle garde le sang de l’Ève des grands bois.
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Anatole France Empty Le désir

Message par fayssal morad Lun 19 Avr - 9:42

Je sais la vanité de tout désir profane.
A peine gardons-nous de tes amours défunts,
Femme, ce que la fleur qui sur ton sein se fane
Y laisse d'âme et de parfums.


Ils n'ont, les plus beaux bras, que des chaînes d'argile,
Indolentes autour du col le plus aimé ;
Avant d'être rompu leur doux cercle fragile
Ne s'était pas même fermé.

Mélancolique nuit des chevelures sombres,
A quoi bon s'attarder dans ton enivrement,
Si, comme dans la mort, nul ne peut sous tes ombres
Se plonger éternellement ?

Narines qui gonflez vos ailes de colombe,
Avec les longs dédains d'une belle fierté,
Pour la dernière fois, à l'odeur de la tombe,
Vous aurez déjà palpité.

Lèvres, vivantes fleurs, nobles roses sanglantes,
Vous épanouissant lorsque nous vous baisons,
Quelques feux de cristal en quelques nuits brûlantes
Sèchent vos brèves floraisons.

Où tend le vain effort de deux bouches unies ?
Le plus long des baisers trompe notre dessein ;
Et comment appuyer nos langueurs infinies
Sur la fragilité d'un sein ?


Juin 1869.
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Anatole France Empty sur une signature de marie stuart

Message par fayssal morad Lun 19 Avr - 9:43

Cette relique exhale un parfum d'élégie,
Car la reine d'Ecosse, aux lèvres de carmin,
Qui récitait Ronsard et le missel romain,
Y mit en la touchant un peu de sa magie.

La reine blonde, avec sa fragile énergie,
Signa Marie au bas de ce vieux parchemin.
Et le feuillet heureux a tiédi sous la main
Que bleuissait un sang fier et prompt à l'orgie.

Là de merveilleux doigts de femme sont passés,
Tout empreints du parfum des cheveux caressés
Dans le royal orgueil d'un sanglant adultère.

J’y retrouve l’odeur et les reflets rosés
De ces doigts aujourd'hui muets, décomposés,
Changés peut-être en fleurs dans un champ solitaire.

1868.
fayssal morad
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Anatole France Empty Marine

Message par fayssal morad Lun 19 Avr - 9:43

Sous les molles pâleurs qui voilaient en silence
La falaise, la mer et le sable, dans l’anse
Les embarcations se réveillaient déjà.
Du gouffre oriental le soleil émergea
Et couvrit l’Océan d'une nappe embrasée.


La dune au loin sourit, ondoyante et rosée.
On voyait des éclairs aux vitres des maisons.
Au sommet des coteaux les jeunes frondaisons
Commençaient à verdir dans la clarté première.
Et le ciel aspirait largement la lumière.

Il se fit dans l'espace une vague rumeur
Où le travail humain vint jeter sa clameur.
Les femmes en sabots descendent du village,
Les pêcheurs font sécher leurs filets sur la plage,
Et le soleil allume, au dos des mariniers,
Les spasmes des poissons dans l'osier des paniers.
Dans un creux de falaise où voltige l'étoupe,
Un vieil homme calfate, en chantant, sa chaloupe,
Tandis que tout en haut, parmi les chardons blancs,
Cheminent deux douaniers, au pas, graves et lents.
Dans un bateau pêcheur dont la voile latine.
Blanc triangle, reluit à travers la bruine,
Un vieux marin, debout sur le gaillard d'avant,
Tendant le bras au large, interroge le vent.
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Anatole France Empty Théra

Message par fayssal morad Lun 19 Avr - 9:44

Cette outre en peau de chèvre, ô buveur, est gonflée
De l'esprit éloquent des vignes que Théra,
Se tordant sur les flots, noire, déchevelée,
Étendit au puissant soleil qui les dora.


Théra ne s'orne plus de myrtes ni d'yeuses,
Ni de la verte absinthe agréable aux troupeaux.
Depuis que, remplissant ses veines furieuses,
Le feu plutonien l'agite sans repos.

Son front grondeur se perd sous une rouge nue;
Des ruisseaux dévorants ouvrent ses mamelons ;
Ainsi qu'une Bacchante, elle est farouche et nue,
Et sur ses flancs intacts roule des pampres blonds.

Mai 1872.
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