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Poémes tunisien

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Poémes tunisien Empty Poémes tunisien

Message par KAMEL Mar 2 Mar - 9:10

La passion et l'impuissance



Chebbi, poète arabophone, qui est à la fois le Rimbaud et le Hugo tunisien, fou d'amour pour son peuple, le porte aux nues et le voue aux gémonies. Ce double mouvement de la passion se retrouve chez bien des poètes de langue française. C'est Moncef Ghachem qui a le mieux su exprimer cet amour en termes de ferveur érotique :

J'écris avec toi bien-aimée mon sang mon coeur ma voix
Avec ma patrie Tunisie mon offrande
Je ne suis qu'à toi je peux me déchirer pour toi
Tunisie ma chérie ma Tunisie chaude amante
(Car vivre est un pays)

Salah Garmadi l'associe à d'autres sens : l'odorat, la vue et le goût:

oh mon coeur friand m'en lasserai-je un jour
des mimosas frileux fleurissant mes retours (...)
des couleurs enivrées de nos murs blancs et bleus (...)
des dattes de lumière des pastèques de sang.
(Nos ancêtres les bédouins)

La détresse, l' "emmurement" sont concrètement traduits, chez ce poète sensuel, par l'image de la privation, l'irrémédiable rupture avec la saveur succulente des fruits méditerranéens:

Comme si jamais plus nous ne mangerons de mûres (...)
Comme si jamais plus l'orange ne sera sanguine`
(Nos ancêtres les bédouins)

La nostalgie du pays, surtout chez les exilés - volontaires ou involontaires - participe de cet amour. "Tunis je t'ai quitté un jour contre mon gré", avoue Claude Benady dans Un Eté qui vient de la mer, tandis qu'Albert Memmi, avec une sensualité surprenante, savoure les délices du souvenir ou que Tahar Bekri s'abandonne à la douceur des évocations. Même Hédi Bouraoui, qui pourtant rêve d'un monde sans frontières, "without boundaries", révèle son attachement au pays natal :

Obsédé l'apatride
Il a beau se réfugier
S'accrocher au premier venu (...)
Rien
Même la mort ne peut venir au secours [4]

Cette nostalgie est souvent associée à la mère comme chez Ghachem car si "vivre est un pays", ce pays - là ne suffit pas à la faim d'amour du poète :

ma mère si jeune bonne et brisée par le capital
j'ai retrouvé son sourire avec la tranche de pain noir
le canoun de romarin
et la soupe réchauffée
(Cent mille oiseaux.)

Le constat d'échec dressé par Majid El Houssi, le fossé qu'il découvre entre son peuple et lui n'en procèdent pas moins de la même passion : "Le texte goudronné et gluant de métaphores inutiles pour une racaille aux haillons sordides" (Ahméta-O).

Garmadi, lui, lorsqu'il songe à ces "damnés [qui] rêvent

De bière
Et de Bavière
Et de seins dénudés,

ne leur en veut nullement mais tourne sa dérision contre les intellectuels, contre lui-même :

Je suis un poète suis-je un poète
Et tous ces intellectuels bêtes
Qui ne font que leurs emplettes
(Nos ancêtres les bédouins)

La poésie pour tous, celle qui devait toucher les masses, changer la vie, n'émeut qu'un cercle restreint, une élite idéaliste. Abdelaziz Kacem, avec humour, évoque ces "retours à l'envoyeur" par lesquels le peuple réexpédie au poète sa marchandise (Le Frontal).

N'empêche que la Tunisie est là, exhibée ou en filigrane, dans presque toute la poésie de langue française, à travers cette

(...) fille perdue de la Kasbah
Figée devant un lablabi [5]
Une fille dans un sale
Safsari [6] [7]

ou dans les invocations au passé millénaire du pays, aux multiples races qui l'ont constitué, de "nos ancêtres les bédouins" qui nient par leur seule présence le "slogan effaceur", à la brillante civilisation arabe d'Orient et d'Occident que ressuscite la mémoire de Chams Nadir:

Et voici que m'étreint une semblable douceur du soir
Descendant sur l'Euphrate et le Guadalquevir
Voici que bruit à mes oreilles le vol des abeilles
Dans les jardins de Grenade et de Samarkande
(Le livre des célébrations)

en passant par la "sève numide", réactivée par le même poète, le passé phénicien, "les monuments magnère abattus par la haine" dont se souvient Ali Hamouda (Terre maternelle).

Bien que "descendant si bas d'une si haute ascendance" le poète ait "peine à remonter la pente" (Abdelaziz Kacem, Le Frontal), cette réappropriation du passé est souvent euphorique. Elle est libératrice comme la remontée du refoulé. Elle révèle que l'écriture demeure une entreprise d'auto-construction ou d'auto-justification.

Presque tous y succombent, à l'exception peut-être de Hédi Bouraoui qui se veut le champion de l'universel :

Je nie toutes vos notions
Je refuse d'être
classé
Même dans la famille
Des crustacés
(Tremblé)

Mais son universalisme a quelque chose de volontairement étriqué. Il va de pair avec un engagement tiers-mondiste revendiqué et assumé :

Chants créoles
Chants wolofs
Chants arabes
Chants berbères
Chants... chants.... chants
Chants de la liberté
(Haïtu-Vois)

KAMEL
Invité


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Message par KAMEL Mar 2 Mar - 9:13

Les affres de la langue



Comme ses frères maghrébins, tout poète tunisien de langue française se voit un jour ou l'autre, quand ce n'est pas tous les jours, confronté à la question classique: "Pourquoi écrivez-vous en français ?". Il s'agit là d'une question irritante en raison de tous les sous-entendus qu'elle draine dans son sillage mais c'est une bonne question.

L'acculturation qui "torture" Majid El Houssi "dans la voussure de [son] être" le pousse paradoxalement à "re-trouver [sa] langue effacée" (Iris Ifriqiya). Moncef Gachem se révèle moins tortueux et moins torturé: "Je me gausse de l'angoisse sénile de ceux qui galvaudent la poésie maghrébine de langue française, prétextant déracinement et déculturation" . Quant à Garmadi, il avoue sans ambages : "(...) c'est par l'intermédiaire de la langue française que je me sens le plus libéré du poids de la tradition" et, dans Le Monde, il considère que, dans la situation où il écrit, le problème de la langue est un faux problème comparativement au problème de la création, de la liberté d'expression, et de l'auto-censure: "Devant toute bouche trilingue et cousue, je dis : "liberté" et "crachez le morceau", en arabe classique ou parlé, en français roté ou éternué : que le mot soit et puis viendront les comptes" .

Cette sensibilité au problème de la langue se retrouve chez les critiques qui, dans ce domaine, multiplient les affirmations qui n'ont pour fondement que leur conviction intime. Lorsque Taoufik Baccar écrit: "Il semble que le Tunisien, chaque fois qu'il a eu à engager les profondeurs de son moi, ait répugné à recourir au français" , pense-t-il que son ami Garmadi ait engagé autre chose que les profondeurs de son moi dans la partie française d'Avec ou Sans ou Nos ancêtres les bédouins ? Et Hédia Khaddar est-elle sûre de son fait quand elle avance que "chez les auteurs bilingues, la création littéraire est différente selon qu'ils écrivent en arabe ou en français ?". Ne généralise-t-elle pas trop vite à partir d'un cas ou deux ?

En réalité, le français, chez les meilleurs poètes, n'est pas une langue d'emprunt mais une langue appropriée par laquelle s'écoulent naturellement les humeurs, les sentiments, les rêves et les obsessions de l'homme. Riche et pleine de vie, l'expression du moi en français l'est à plus d'un titre. Culturellement, elle est puissante parce que c'est une scène de liberté où des mots, quelquefois morts pour la civilisation qui les a inventés, demeurent actifs lorsqu'ils sont transposés dans un autre contexte. Ainsi, tel texte français qui, en engendrant 1789, a fait son oeuvre en France, demeure vif dans une Tunisie guettée par le fondamentalisme de même que tel poète arabe subversif continue, par delà les siècles, à distiller une contre-culture salutaire :

Voltaire est à moi plus qu'à toi
Mais j'ai de plus Abou Nawass

Certes, la langue poétique succombe souvent au psittacisme et frise la caricature comme chez feu Mohamed Jamoussi qui, empruntant les rythmes de la versification française classique, emporte en même temps ses thèmes et ses motifs, peuplant ses poèmes de sylphes, de naïades et autres divinités champêtres. Mais ailleurs, lorsque l'imitation est pastiche volontaire et conscient, lorsqu'un sourire en coin l'illumine, elle est tout à la fois témoignage d'une filiation et prise de distance irrévérencieuse.

Le problème de la langue est aussi, on pouvait s'en douter, un thème à part entière. "On sait, depuis Mallarmé qu'"éprise d'elle-même", la poésie moderne parle surtout de poésie. Abdelaziz Kacem intitule un de ses textes "Al" (Le Frontal) et Chems Nadir adresse une "supplique dérisoire à l'Aleph", tandis que Sophie El Goulli, moins cérémonieuse, s'écrie :

Qu'est-ce que cette histoire ?
des lettres et des chiffres
des consonnes qui ne sonnent aucune heure
des voyelles qui ne donnent rien à voir
(Vertige solaire)

KAMEL
Invité


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