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Le Caftan ensorcelé

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Le Caftan ensorcelé Empty Le Caftan ensorcelé

Message par nisrine nacer Lun 5 Avr - 18:10

cette histoire est arrivé un jour au pauvre M’hand, un tailleur du sud marocain...

Il était une fois un homme, tailleur de son état, qui avait la femme la plus insatisfaite qui soit : à chaque fois qu’elle avait envie d’une chose elle faisait tant et de si grands caprices que son pauvre mari cédait toujours et exauçait ses désirs pour avoir la paix.

Pourtant elle avait tout pour être heureuse, trois beaux enfants pour la combler, une si belle maison bien meublée, un mari des plus charmants, qui avait toujours du travail, ce qui les préservait de tout manque et de tout besoin.

Mais cette femme, Fadma, était constamment préoccupée par ce qu’elle ne possédait pas, se tourmentait à longueur de temps et semblait la plus malheureuse des épouses au monde, jusqu’à ce que son mari satisfasse ses souhaits les plus insignifiants. Sa maison était remplie d’objets de toutes sortes, mais il lui semblait toujours qu’il lui manquait quelque chose d’essentiel à son bonheur.

Aussitôt qu’elle se levait le matin elle commençait à s’agiter et à faire l’inventaire des choses dont la maison avait besoin : « Ah ! Nous n’avons plus de miel ! Il faut acheter de la farine ! Il manque de l’huile d’olive ! » Et elle partait sur-le-champ faire ses courses, remplissant ses paniers de victuailles de toutes sortes, d’objets et d’accessoires ménagers les plus divers, qu’elle prenait plaisir à ranger dans ses armoires pleines à craquer. Puis elle restait de longs moments à se ronger les ongles et irrémédiablement de nouveaux besoins surgissaient dans son esprit, la torturant de mille tourments.

Dès que son mari rentrait le soir de son atelier elle commençait à geindre : « Il nous faut de nouvelles couvertures ! Les nôtres sont vieilles et usées ! Il faut penser à changer cette table ! Un jour elle va s’écrouler ! Les enfants ont besoin de nouvelles chaussures ! » Etc., etc... Et chaque fois son mari obtempérait, s’empressait d’acquérir ce que sa femme réclamait ou lui laissait l’argent pour qu’elle fasse elle-même les courses qu’elle jugeait nécessaires.

Mais parfois ses besoins étaient extravagants, voire au dessus de leurs moyens, comme ce jour où elle réclama une parure complète en or, car la sienne en argent lui semblait démodée et lui faisait, disait - elle, honte.

Son mari protesta, car la parure en argent lui rappelait son pays et ses traditions : Mais, Fadma, ma chérie ! Nous n’avons pas les moyens pour une telle parure ! Et puis la tienne est très belle et très ancienne ! On n’en trouve plus de pareilles de nos jours ! » Justement, ma parure en argent n’est plus au goût du jour ! Elle n’est plus bonne qu’à être rangée au fond d’un tiroir, ou tiens ! Je vais la vendre, cela me fera déjà un peu d’argent d’avance pour en acheter une neuve ! Qu’en penses - tu ? » Mais Fadma chérie ! Tu ne vas quand même pas vendre des bijoux que ma grande tante t’a légués ! C’est une folie ! » Ah ! La ! La ! Mon pauvre M’hand ! Tu ne comprendras décidément jamais rien à la mode ni aux goûts des femmes ! Laisse - moi faire, je m’en occupe. »

Et son mari, vaincu et triste, ne disait rien, ne protestait pas, de peur de la fâcher et de la mettre en colère. Un autre jour elle lui déclara, un soir après qu’il soit rentré de son travail : M’hand, tu sais que je n’ai rien à mettre avec ma nouvelle parure en or ; mes caftans ne sont vraiment pas à la mode, ils sont trop typiques ; il m’en faut un en soie brodée de fils d’or et d’argent, à la dernière mode de Fès, comme j’en ai vu à la Kissaria, tu sais, la galerie marchande... Un caftan de soie brodé de fils d’or et d’argent ! Mais c’est impossible ! Est - ce que tu te rends compte de ce que c’est ? ! S’écria son mari. Je veux bien, ma chérie, mais je n’en ai pas les moyens ! Aucun homme de ma condition ne peut s’offrir un tel habit ! Et puis ce n’est pas de nos traditions ! On est de pauvres Chleuhs, pas de riches citadins fassis ! Cela m’est égal, entends - tu ? A quoi ça me sert une parure en or, dis - moi, si c’est pour la mettre avec des robes de montagnarde ? Je vais être la risée de toutes les femmes ! Tu es un tailleur, n’est - ce pas ? Alors débrouille - toi à m’en trouver un à bon prix chez un de tes collègues ! »

Alors le pauvre tailleur désemparé devant les exigences de son épouse essayait de la raisonner, tout en évitant de la froisser, car elle était d’un naturel excessivement émotif : Ecoute - moi, chérie, un caftan de soie brodé de fils d’or et d’argent est hors de prix et nécessite de longs mois de travail ; je connais tous les tailleurs de la ville et même de la région, et aucun n’en possède chez lui ! Je ne peux tout simplement pas te trouver un tel habit, et quand bien même j’irais jusqu’à Fès, je ne pourrais jamais disposer d’assez d’argent pour l’acheter, tu le sais bien. »

Mais malheureusement pour lui sa femme devenait aussitôt triste et se mettait à pleurer et à geindre, l’accusant de tous ses maux et de tous ses malheurs, restait de longs jours à se morfondre dans sa chambre, regrettant son malheureux mariage, ses enfants et ne désirait plus que mourir, car sa vie lui semblait irrémédiablement gâchée et sans valeur.

Le pauvre paysan aussi devenait mélancolique, car sa femme ne lui parlait plus et il avait perdu son entrain et sa bonne humeur au travail ; un de ses collègues, un vieux tailleur qui avait son atelier dans la même rue que le sien s’en était rendu compte et lui avait demandé la raison de son chagrin :

Mais que se passe - t - il, ô mon ami M’hand ? Tu es tout triste, depuis quelques jours et tu ne ris plus avec nous, tu ne viens plus partager un thé avec les collègues comme d’habitude. Serais - tu malade ? Aurais - tu des soucis ? Oh ! Non, mon ami ! Ma femme désire tout simplement un caftan en soie brodé de fils d’or et d’argent et je n’ai pas les moyens ni de lui en confectionner un, ni de le lui acheter ! Alors elle est triste et me considère comme le plus incapable des hommes ! Je ne peux qu’être patient et attendre que sa fantaisie lui passe... » Tu sais bien, reprit le vieux tailleur qui avait l’habitude de ce genre de choses, que lors bien même tu réaliserais son vœu, elle trouvera aussitôt un autre sujet d’insatisfaction. C’est toujours ainsi avec ces personnes qui ne se contentent jamais de ce qu’elles ont ! » Oui ! C’est exactement cela ! Tu as raison ! Même si je lui offre son maudit caftan de soie brodé de fils d’or et d’argent sa joie sera de courte durée et elle trouvera encore un autre besoin qu’il me faudra combler... C’est un perpétuel tourment... C’est surtout à cause de cet état de choses que je suis triste, vois - tu ! Mais je ne peux rien y faire. »

Le vieux tailleur commença à sourire et tapota l’épaule de son ami abattu. Oh ! S’il te plaît, ne te moque pas de moi ! J’ai déjà assez de soucis comme ça, alors ne ris pas. » Non, non, je ne me moque pas de toi ! Au contraire je souris car je crois connaître la solution à ton problème ! Ne t’en fais pas, je t’en parlerai demain. Maintenant viens boire un thé avec les amis, il y a peu de clients à cette heure - ci de la journée. »

Le soir, en rentrant chez lui, le tailleur trouva sa femme aussi mélancolique que d’habitude. Il essaya de lui parler, de la faire sourire, de lui être agréable en s’occupant des menus travaux domestiques, mais rien n’y fit. Elle demeurait boudeuse, ombrageuse, comme un gros nuage de pluie et avait hâte de s’isoler dans sa chambre, si ce n’était ses enfants qui n’avaient pas encore dîné ni sommeil. Il savait que rien ne la dériderait tant qu’elle n’avait pas son caftan de soie brodé de fils d’or et d’argent et il décida donc de la laisser tranquille en évitant de lui parler de ce sujet, de crainte de raviver son amertume.

Il pensait à sa conversation avec son vieux collègue et se demandait ce qu’il lui préparait comme surprise et comment il pourrait s’y prendre pour arranger son affaire, car il ne voyait aucune solution à son problème. Lui prêterait - il de l’argent ? Non, il était hors de question de s’endetter davantage, d’autant plus que la parure d’or n’était pas encore entièrement payée. Le vieux tailleur était l’artisan le plus adroit de la ville et il était au courant de toutes ces fichues modes vestimentaires venues du Nord ; Est - ce qu’il entreprendrait donc de lui confectionner un tel caftan ? Ce serait vraiment une entreprise presque impossible, quoique réalisable, car elle nécessiterait tant d’ouvriers et de longs mois de travail, un grand savoir faire et des matières premières précieuses hors de prix ! Non, non, décidément cela semblait impossible.

Le lendemain il se rendit à son atelier sans avoir la moindre idée de ce que son collègue allait lui dire. Vers midi, à l’heure du déjeuner, le vieux tailleur vint comme il le lui avait promis. M’hand, mon ami, ferme ta boutique et suis - moi. Nous allons rendre visite à quelqu’un. » Etonné, notre tailleur obtempéra néanmoins à l’ordre de son voisin, car il le savait homme honnête et sérieux, quoique farceur à ses heures et aimait bien blaguer. Ils marchèrent un moment dans les dédales du marché et s’arrêtèrent devant la boutique d’un autre tailleur, un immense magasin rempli de rouleaux de tissus, de machines à tisser, à coudre, et de toutes sortes de matériaux de couture, de broderie et de tissage. Des dizaines de tailleurs, d’artisans, d’apprentis étaient là, s’affairaient chacun à sa besogne, et au milieu de ce paradis de la confection se tenait un vieillard, à l’apparence modeste, comme s’il n’était pas concerné par toute cette agitation industrieuse. M’hand le reconnut aussitôt et blêmit de stupeur : Mais c’est Monsieur Lévi ! Le chef de la Corporation des Tailleurs ! C’est notre maître à tous ! Jamais je n’aurais pensé avoir l’honneur de pénétrer son magasin ! »

Le vieux tailleur s’approcha de ses collègues en souriant, en caressant sa barbichette blanche. « Entrez, entrez, mes amis, ne restez pas là, au milieu de ce bazar ! Venez dans mon bureau, nous serions plus à l’aise pour bavarder ! Hassan ! Va me chercher une théière chez le cafetier, s’il te plaît ! »

Les deux visiteurs suivirent leur représentant dans un petit local qui servait de bureau, au fond du magasin ; le vieux tailleur les invita à s’asseoir et aborda aussitôt le sujet de la conversation, comme s’il était déjà au courant de l’affaire. M’hand, mon jeune ami, je suis au courant de tes déboires ; je ne peux pas laisser un de mes collègues dans les soucis. Aussi... » A ce moment là, Hassan, le jeune apprenti frappa à la porte, chargé d’un plateau sur lequel il y avait une théière fumante et des verres. Lévi le remercia d’un hochement de tête et le jeune homme s’en alla en prenant soin de refermer la porte derrière lui. Tout en préparant le thé, le vieillard poursuivit : « Aussi, mon jeune ami, j’ai ce qu’il te faut. » Il servit à ses invités des verres et se leva, prit une échelle qu’il positionna contre des étagères chargées de rouleaux de tissus, de costumes, puis il saisit dans ce fatras un sac en cuir qu’il descendit et posa sur la table. « Voici donc la solution de ton problème ! »

Il ouvrit le sac et précautionneusement il en sortit un épais vêtement, enveloppé dans du tissu. Il dégagea alors, sous les yeux stupéfaits de M’hand un splendide caftan de soie pourpre, brodé de fils d’or et d’argent, à la mode fassi ! M’hand était stupéfait, ne savait pas quoi dire, ni pourquoi le maître de la corporation déballait devant lui un tel trésor. Ne dis rien, M’hand. Notre ami ici présent m’a dit que ta femme était exigeante, perpétuellement tourmentée par des désirs incessants ; voici donc ce caftan que tu lui offriras ; seulement, il faudra que tu saches qu’il est enchanté ; la personne qui le porte ne peut plus le retirer et pour son malheur il cause de terribles démangeaisons sur tout le corps ! La seule façon de s’en délivrer est de faire le vœu de ne plus être séduit par les biens matériels. » M’hand resta bouche bée , il voulut remercier le patron des tailleurs mais il ne savait pas quoi dire ni quoi croire. Son collègue vint à sa rescousse en blaguant et en prenant la parole à sa place. Tu ne t’attendais pas à celle - là, hein ? Allez, n’aie pas peur, prends - le et fais en bon usage ! » Lévi reprit la parole, pour le rassurer : Ne t’inquiète pas, va ! Tu verras que tu me le ramèneras très bien tôt ! On ne s’en sert qu’une seule fois, c’est cela le problème ! »

Après quelques remerciements balbutiés, M’hand et son ami prirent congé de leur collègue et partirent. Le tailleur tenait son précieux sac et il était à la fois inquiet et impatient de montrer son fameux contenu à sa femme ! Vers la fin de la journée il s’empressa de rentrer chez lui, pour montrer le fabuleux présent à son épouse. Aussitôt rentré sa femme lui demanda ce qu’il ramenait dans ce sac qu’elle ne connaissait pas. Fadma, ferme tes yeux, tu n’en reviendras pas ! Aussitôt, sa femme ayant deviné quelque surprise pour elle, ferma les yeux en souriant de plaisir ; M’hand prit sa main et lui fit caresser la douce étoffe, parcourue des broderies. Elle devina aussitôt de quoi il s’agissait et ouvrit les yeux, en agrippant le tissu et en criant de joie : Le caftan de soie ! Oh ! Je n’arrive pas à le croire ! Tu me l’as acheté ! Oh ! Chéri ! Merci ! Merci ! Je vais l’essayer tout de suite ! »

Et elle courut, folle d’excitation vers sa chambre pour se changer, car si elle était coquette elle restait néanmoins fort prude. Quelques instants après elle revint auprès de son mari, habillée du magnifique caftan qui lui seyait tellement bien ! On aurait dit qu’il était cousu pour elle, épousant parfaitement ses formes et sa taille. Elle était rayonnante de beauté et de bonheur et son mari l’admira, puis il eut honte en se rappelant tout à coup que ce fastueux vêtement ne lui appartenait vraiment pas, qu’il fallait bien le rendre après... Puis il s’inquiéta, pensant à ce que lui avait dit Lévi, le patron des tailleurs, mais il était trop tard ! Sa femme portait le caftan enchanté et elle semblait aux anges, ravie et ne cessait pas de tournoyer, de soulever la merveilleuse étoffe étincelante et légère. _ Alors, tu ne dis rien ? Comment me trouves - tu ? _ Tu es... Sublime ! Mais... _ Mais quoi ? Rabat joie ! Attends que je mette ma parure en or, et tu verras le résultat !

Et elle s’empressa d’aller chercher ses bijoux, son diadème incrusté de perles et de corail, ses bracelets en or ciselés, mit ses boucles d’oreilles aux pierres d’émeraude, ses colliers de perles tressés, avec un pendentif - talisman en forme de Coran en or qui protège de tout mal, sa ceinture en plaquettes d’or également, qui se chevauchaient les unes les autres comme la cuirasse d’un dragon étincelant ! De ses doigts chargés de bagues elle revint vers son mari, soulevant les pans de sa mise en soie, brodée d’or et d’argent. C’est vrai qu’elle était belle, mais tout ce faste et cette beauté le dépassaient, alors pour faire plaisir à sa femme il lui sourit tout simplement et lui dit : Tu es ravissante !

Elle resta ainsi un bon moment à s’admirer dans la glace, à se pavaner, à marcher avec recherche, pour voir quel effet ça ferait, et son mari la regardait. C’est exactement ce que je voulais ! Merci, chéri ! Merci ! J’aurais tellement de succès à la réception de demain, chez la voisine ! Tu sais, elle nous invite pour la circoncision de son fils ! Ah ! La ! La ! Je suis sûre que même H’nia n’a pas un si beau caftan ! Bien, je vais l’enlever maintenant et le ranger !

Et aussitôt elle s’éclipsa, fière et remplie d’aise dans sa chambre pour se dévêtir et déposer tous ses bijoux. Tout à coup son mari l’entendit hurler : « Oh ! Mon Dieu ! Qu’est - ce qui m’arrive ? M’hand ! Au secours ! »

M’hand avait deviné que quelque chose de terrible se passait dans la chambre et il courut pour voir le drame. Sa femme était debout face à l’armoire, essayant désespérément d’ôter le caftan qui semblait maintenant l’enserrer comme une camisole, à tel point qu’il était impossible de l’enlever ! M’hand s’approcha d’elle et vit qu’elle était désespérée. Il tenta de l’aider, en essayant d’ouvrir les boutons, mais ils semblaient scellés ; puis il essaya de tirer vers le haut, mais il ne fit qu’étirer l’étoffe qui se remettait aussitôt en place, comme s’il s’agissait d’une deuxième peau, collée au corps de sa femme ! Ils tentèrent tant et tant de façons, ahanant, gesticulant en tout sens, il prenait le caftan par le bas et essayait de le retirer en le soulevant et en le retournant comme une chaussette, mais en vain ! Fadma commençait à souffler, à rougir, à souffrir et à pleurer en grimaçant de douleur, de peur et de désespoir, puis elle hurla : Ca me gratte ! Ouille ! Ouille ! Ouille ! ça me brûle de partout ! ôte moi ce caftan de malheur !

Et puis elle devenait affreusement rouge, comme recouverte d’une couche de peau cramoisie, aussi pourpre que la soie du caftan, comme une brûlure qui la couvrirait au cou, sur la poitrine, sur les jambes et sur les bras, comme si elle s’était ébouillantée. Fadma pleurait et priait son mari de faire quelque chose, quitte à déchirer le beau vêtement, elle le supplia d’aller chercher une paire de ciseaux et de couper au plus vite cette étoffe infernale qui l’emprisonnait.

Il s’empara de ses ciseaux les plus aiguisés et regretta d’être obligé de commettre un tel sacrilège, mais la situation visiblement dramatique l’exigeait. M’hand eut beau tenter de couper l’étoffe elle résistait comme de l’acier, à tel point que les deux lames de l’instrument glissèrent l’une sur l’autre et se tordirent, piteusement vaincues par le tissu. Il n’avait jamais vu un tel prodige, une telle souplesse, une telle résistance, mais il n’eut pas le temps de s’en émerveiller, tant sa femme criait et se contorsionnait de douleur ! Il fallait se rendre à l’évidence, il n’y avait aucun espoir d’enlever ce caftan incendiaire qui enserrait la pauvre femme et l’empêchait désormais de se mouvoir, de s’asseoir, ni même d’esquisser le moindre geste, tellement il lui semblait que des milliers d’aiguilles rougies au feu la transperçaient !

Elle resta figée ainsi dans sa souffrance et commença à regretter et à se repentir en gémissant, en versant des larmes lourdes et silencieuses qui couraient sur son visage défait. C’est de ma faute ! Tout est de ma faute ! Je l’ai bien mérité ! » Je suis désolé pour toi, chérie, je vais appeler quelqu’un... », se lamentait son mari, à bout de patience. Et il esquissait le geste de sortir pour chercher de l’aide, mais sa femme, réalisant malgré tout le ridicule de la situation se mettait à gémir : Non, non, surtout pas, je t’en supplie, j’ai trop honte ! Mais il faut bien faire quelque chose ! Tu ne peux pas rester comme ça ! Mais elle s’entêtait à ce qu’il demeurât auprès d’elle, qu’il ne la quittât pas. C’est de ma faute ! C’est de ma faute ! Ah ! Tu avais bien raison, j’aurais dû t’écouter ! Ecoute, Fadma, ce n’est vraiment pas le moment ! Je vais appeler tes parents ! Non, non, pas mes parents, je t’en conjure pour l’amour de Dieu !

Puis, ne supportant plus de l’entendre hurler et ne sachant que faire M’hand se mit tout à coup en colère, malgré la souffrance de sa femme et commença à s’emporter contre elle, à lui faire tous les reproches qu’il n’osait jamais dire, tous les caprices puérils qu’elle lui faisait subir depuis si longtemps, ses bouderies et ses caprices, il lui fit une telle scène de ménage qu’il ne serait pas de bon ton de relater et curieusement elle le laissait dire, reconnaissait tous ses torts, se morigénait tellement qu’elle reformulait toutes les accusations qu’il lui faisait :

Oui, ! Oui ! Je suis bien sotte et tellement frivole ! Oui, oui ! je suis bien trop avide et si égoïste ! Oh ! Comme je suis stupide ! Oh ! Comme je t’ai fait souffrir, mon pauvre M’hand ! Pardonne - moi ! Pardonne - moi ! Me promets - tu que tu vas t’amender et que tu vas finalement ouvrir les yeux ? Oui ! Oui ! Je te le promets, sur la tête de nos enfants ! Mais délivre - moi de ce maudit vêtement ! Fais quelque chose ! Me promets - tu que tu ne seras plus dévorée par tous ces besoins inutiles, qui t’empêchent de vivre et d’être heureuse ? Oui ! Oui ! Désormais je ne garderai que ce qui est essentiel ! Je n’ai besoin de rien et j’ai tout le nécessaire à la maison ! Nos enfants, la santé et toi ! Je ne veux plus rien d’autre !

Et petit à petit, comme par enchantement, le caftan commença à se desserrer et elle put enfin mieux respirer et bouger un peu. Elle ouvrit les yeux et arrêta de pleurer. Son mari cessa de lui faire des reproches et il lui parla d’une voix plus affectueuse, la tenant par les mains : Dis, c’est vrai, tu n’as plus besoin de toutes ces choses ? Oui, je viens de me rendre compte que ce ne sont pas toutes ces affaires inutiles qui peuvent me combler et me rendre heureuse. Rien ne m’importe plus dorénavant que l’amour et le bien être de ma famille ! Tout le reste ce n’est que du faux bonheur et la cause de tous mes malheurs ! oh ! comme j’ai été stupide de ne pas m’en apercevoir ! » Alors, c’est sûr, tu ne veux plus de ce merveilleux caftan ? Peut - être es - tu simplement allergique à la soie ? Ne me parle plus de caftan de soie brodé de fils or et d’argent, ni de parure de Fès ! Va, et rends - le à celui qui te l’a vendu ! Il en sera fait comme tu le désires, ma chérie. Je dois reconnaître que je te préfère aussi telle que tu es, habillée comme une femme de chez nous ! » Dit le tailleur en riant, soulagé que cette affaire de caftan de soie brodé de fils d’or et d’argent se termine si bien !

Par Ait u-Lahyane Atanane.
nisrine nacer
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Date d'inscription : 09/09/2008

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